Chapitre 1. Les principes figuratifs des vertus
p. 21-80
Texte intégral
1Pour prendre toute la mesure de l’imagerie des vertus au Trecento, il est nécessaire de dégager les principes qui en régissent la constitution. La nature abstraite des personnifications conduit à s’interroger sur les causes de leur élaboration. Plusieurs facteurs devront être évalués. Il faudra d’abord prendre en considération leurs origines théologiques et figuratives afin de montrer comment, à la veille du XIVe siècle, le thème est propice à de nombreuses inventions. Il s’agira ensuite d’étudier les conditions immédiates dans lesquelles elles apparaissent dans le but de prouver que les vertus sont fonctions des commanditaires, et que, loin d’être des images convenues, elles s’adaptent toujours aux publics auxquels elles s’adressent. Il faudra enfin déterminer les procédés qui conduisent à leur formation, c’est-à-dire les artifices mnémoniques, afin de démontrer qu’elles sont conçues pour imprimer les valeurs morales dans la mémoire de leurs destinataires.
ORIGINES ET FORTUNE DU THÈME
2Avant d’aborder l’étude proprement dite de l’imagerie morale, il convient de définir aussi précisément que possible ce que la culture du Moyen Âge identifiait comme vertu et comme vice. En effet, la plupart des débats moraux de notre époque ont en commun d’être insolubles en raison de la diversité des idées et valeurs qui les constituent. Il manque aujourd’hui un consensus clair sur les notions morales : les vocables « vertu » et « vice » sont devenus des appellations floues que le langage courant emploie en des sens souvent éloignés de ceux qu’ils avaient dans la tradition chrétienne.
La constitution d’un ordre moral
3Depuis les Pères des débuts du christianisme jusqu’aux grands docteurs du XIIIe siècle, l’Église s’est appliquée à identifier, à classer et à hiérarchiser les états d’âme des chrétiens. Progressivement, le système moral s’est organisé autour du nombre sept, considéré comme le chiffre de la plénitude et de la totalité, en proposant les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales comme septénaire positif et les sept vices principaux comme septénaire négatif. Ces deux septénaires ne se sont toutefois affirmés que très tardivement1. Dans ces classifications, les sept vertus ne correspondaient pas systématiquement aux trois vertus théologales et aux quatre vertus cardinales et les sept vices n’étaient pas toujours ceux énoncés dans la classification de Grégoire le Grand (v. 540-604). Le changement crucial survient entre le XIIe et le XIIIe siècle grâce au renouveau théologique et pastoral qui transforme en profondeur la physionomie de la chrétienté2.
Le septénaire des vertus
4Étymologiquement, le terme « vertu » renvoie à une grande variété de significations. Dérivé du mot latin vir, il désigne, au sens premier, la force, la vigueur ou la puissance et, en un sens plus général, la perfection, la valeur, la prospérité, le bonheur et la gloire. La notion de vertu remonte au monde grec. Déjà mentionné par la philosophie présocratique, c’est Platon qui en propose la première systématisation pour constituer les fondements de sa République3. Aristote (384-322 av. J.-C.), dans l’Éthique à Nicomaque, en fait une perfection de l’être humain auteur de ses actes et une disposition permanente à choisir en se tenant dans le juste milieu4. Du côté du christianisme, les Écritures lui donnent rarement une dimension morale. Dans l’Ancien Testament, c’est l’idée de force et de puissance qui prédomine. Dans la Septante apparaît aussi le terme αρετη, qui désigne ce qui plaît, et qui peut s’appliquer à n’importe quelle supériorité ou excellence : santé du corps, force, gloire ou honneur. De ce fait, c’est surtout dans le Nouveau Testament que la notion chrétienne de vertu apparaît dans ses dispositions morales et surnaturelles.
5Suivant saint Thomas d’Aquin, le système moral repose sur sept vertus principales agencées en deux ensembles5. Le premier ensemble, spécifiquement chrétien et défini dès les origines patristiques, se compose de trois vertus, dites théologales, qui sont la Foi, l’Espérance et la Charité. Le deuxième ensemble, qui trouve ses racines dans la pensée grecque, est constitué de quatre vertus, dites cardinales, qui sont la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance6. C’est saint Paul qui le premier fait de la Charité, de l’Espérance et de la Foi les fondements moraux de la vie du chrétien7. Reprenant les épîtres de l’Apôtre des Gentils, la patristique n’a eu de cesse de confirmer leur indissociabilité et leur primauté. Aucune de ces vertus ne peut exister sans les deux autres et c’est avec le concours des trois que le chrétien peut envisager de s’accomplir8. À la différence des vertus « humaines », c’est-à-dire des vertus qui peuvent être discernées par notre intelligence et acquises par une bonne éducation, ces trois vertus sont un don de Dieu : chacune d’elles est appelée « […] théologale du fait qu’elle a Dieu comme l’objet auquel elle s’attache9 ».
6Même s’il n’est pas possible d’établir de hiérarchie définitive entre les trois vertus théologales, il semble toutefois que la Charité soit considérée comme la plus importante. Pour Thomas d’Aquin, entre autres, cette vertu est » […] plus excellente que la Foi et que l’Espérance10 ». Elle constitue une doctrine fondamentale dès les Pères de l’Église11. Chez les Grecs, le terme ordinaire pour la qualifier est le αγάπη : il désigne aussi bien la Charité à l’égard de Dieu que la Charité à l’égard du prochain. Pour Clément d’Alexandrie (v. 150-216), il est en effet impossible d’aimer vraiment Dieu sans aimer le prochain ou d’aimer vraiment le prochain sans aimer Dieu12. Mais, plus qu’une vertu regroupant les différentes sortes d’amours, la Charité est surtout la source et l’origine de toutes les vertus. Pour saint Jérôme et saint Grégoire, elle est la Mère et la Forme de l’ensemble des vertus13, tandis que pour saint Bonaventure (v. 1217-1274), elle représente le souverain désir d’être uni à Dieu14.
7À la suite de la Charité viennent l’Espérance et la Foi. D’après saint Paul, l’Espérance est le ressort de la détermination à vivre selon le Christ et à supporter les épreuves ; elle est parfaitement assurée, étant fondée sur la promesse de Dieu et sur la Croix rédemptrice15. L’Église a développé cette interprétation pour en faire la vertu qui permet d’obtenir le Salut. En ce sens, elle doit protéger du découragement et soutenir le croyant dans l’attente de la béatitude. Ainsi, dès le IIe siècle, Clément d’Alexandrie relie l’Espérance à l’attente de l’immortalité et, au XIIIe siècle, saint Thomas en fait une attente de la jouissance de Dieu, un mouvement ou une tendance vers un bien futur, difficile mais possible16.
8De son côté, la Foi est la vertu indispensable du cheminement spirituel du chrétien17. Son importance apparaît dans l’Évangile selon saint Jean qui affirme à plusieurs reprises que posséder la Foi permet de posséder la vie éternelle18. Il convient en outre de préciser que la Foi n’est pas due à une décision de la volonté naturelle et que la raison n’est pas le principe de la Foi. Comme la Charité et l’Espérance, la Foi est une vertu infuse : c’est Dieu qui lui permet d’exister et de persévérer. La tradition voit donc en elle la racine de la vie surnaturelle dans sa réalité la plus profonde et la plus secrète comme dans ses actes les plus manifestes : pour Clément d’Alexandrie, Hugues de Saint-Victor (v. 1096-1141) ou Guillaume de Saint-Thierry (v. 1085-1148), elle est le principe de l’exercice spirituel19.
9À ces trois vertus proprement chrétiennes s’ajoutent quatre vertus issues de l’héritage antique : la Prudence, la Justice, la Force et la Tempérance. Ces quatre vertus ont été mises en évidence par Platon, Aristote et les stoïciens. Si saint Ambroise (v. 339-397) est l’un des premiers à les christianiser et à leur donner le qualificatif de « cardinales », il appartient à Grégoire le Grand de les intégrer définitivement à l’ordre moral en les présentant comme les fondements de l’édifice spirituel20. Plus tard, saint Thomas explique que le nom de cardinal leur est donné parce qu’elles forment la base de la vie morale21. Contrairement aux vertus théologales, elles ne sont pas un don gratuit de Dieu mais, suivant l’interprétation aristotélicienne, acquises par l’intellect et l’expérience.
10Parmi ces quatre vertus, la Prudence est souvent désignée comme la plus importante22. Elle applique en effet son discernement aux actions de toutes les autres vertus puisqu’elle détermine les actes qu’il est nécessaire d’accomplir pour être juste, fort ou tempérant. Elle remplit donc un rôle déterminant dans toutes les actions humaines. C’est ainsi que, selon Aristote, elle est « […] une disposition, accompagnée de règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour un être humain23 ». Pour saint Thomas, elle est la vertu la plus nécessaire à la vie car elle permet de régler le bien et de contrôler les attitudes des hommes24. Elle est constituée de deux parties, l’une naturelle, l’autre surnaturelle. La première est l’habile discernement des affaires de ce monde : étant destinée à des objectifs utilitaires, elle n’est pas nécessairement concernée par le Salut et peut donc être pratiquée chez les incroyants. La deuxième est infuse : elle est le fait de ceux qui sont en état de grâce et elle est souvent considérée comme un don de Dieu assimilable à la Sagesse.
11Après la Prudence vient la Justice. Réglant l’homme dans ses rapports avec autrui, cette vertu est souvent considérée comme une valeur indispensable de la société. Platon en fait une propriété nécessaire à l’accomplissement de la cité idéale tandis qu’Aristote la décrit comme une « disposition qui rend les hommes aptes à accomplir les actions justes25 ». C’est Thomas d’Aquin qui en donne la définition la plus définitive. Selon lui, elle est une volonté constante et perpétuelle de donner à chacun ce qui lui appartient26. Elle est alors entendue en un double sens. Tantôt, elle vise l’égalité ou l’harmonie entre un homme et un autre homme, tantôt elle s’applique universellement. À son tour, la Justice particulière se partage en deux espèces : la Justice commutative et la Justice distributive. La Justice commutative règle les échanges entre des personnes, elles-mêmes considérées comme égales selon le principe de l’égalité arithmétique : chacun doit recevoir autant qu’il donne. La Justice distributive se préoccupe de la valeur respective des personnes et de leurs mérites inégaux.
12À la suite de la Prudence et de la Justice vient la Force. Considérée comme une disposition générale de fermeté, la Force est nécessaire à la pratique de toutes les autres vertus. Amplement célébrée par les Anciens, le christianisme lui donne un accent particulier puisqu’il la fait naître de la faiblesse. La vie évangélique du Christ, notamment la Passion, s’attache à montrer comment la faiblesse de l’homme se convertit en force spirituelle. Ainsi, pour saint Thomas, « la vertu de l’âme ne se déploie pas dans la faiblesse de l’âme, mais dans la faiblesse charnelle. Il appartient à la force de l’âme de supporter courageusement la faiblesse de la chair […]27 ». Loin d’être seulement une qualité physique, la Force devient une faculté qui permet de surmonter la faiblesse de l’homme pécheur et d’accéder à l’Esprit.
13Enfin, quatrième des vertus cardinales, la Tempérance sert de pivot à toutes les vertus qui se rapportent à la modération, à la maîtrise des excès, des pulsions et des passions. C’est une vertu spéciale puisque son rôle est de dompter les élans de la nature. Saint Thomas l’oppose à la gourmandise, à l’ébriété et à la luxure en affirmant que « […] ce sont les plaisirs de la nourriture et de la boisson et les plaisirs sexuels qui sont proprement l’objet de la Tempérance28 ». Elle remplit un rôle de premier ordre dans la pratique des vertus cardinales car elle apporte mesure et raison au prudent, au juste et au fort.
14Même si les vertus théologales et cardinales dominent amplement le système éthique chrétien, celui-ci s’enrichit de beaucoup d’autres notions. Dans le Songe de Scipion de Cicéron (v. 106-43 av. J-C.), la Justice engendre les vertus exemplaires, la Tempérance les vertus de l’esprit purifié, la Force les vertus purifiantes et la Prudence les vertus politiques. Avec la Somme théologique de saint Thomas, ces vertus secondaires gagnent en importance : la Dilection, la Joie, la Paix et la Miséricorde sont les fruits bienfaisants de la Charité ; la Piété, le Respect, la Dulie, l’Obéissance, la Reconnaissance et la Vérité deviennent les vertus connexes de la Justice ; la Magnanimité, la Patience et la Persévérance apportent leur soutien à la Force ; la Pudeur, l’Honneur, l’Abstinence, le Jeûne, la Sobriété ou la Chasteté sont les composantes essentielles de la Tempérance. Nombreux sont les traités qui concentrent leur attention sur ces valeurs subsidiaires. Dans le De virtutibus et vitiis, Alcuin (v. 730-804) accorde autant d’intérêt à la Sagesse, à la Paix, à la Miséricorde, à la Patience ou à l’Humilité qu’aux vertus cardinales, et, dans le Verbum abbreviatum, Pierre le Chantre (v. 1150-1197) s’applique à décrire en détail la Douceur, la Générosité, la Pureté, la Paix, la Patience ou l’Obéissance sans les distinguer précisément des vertus du septénaire. Ainsi, même si les vertus théologales et cardinales commandent le système moral, rien n’empêche les encyclopédistes d’inventer et de commenter d’autres vertus.
15La multiplication du nombre de valeurs morales n’a pas été sans effet sur les arts. Elle a eu pour conséquence de ralentir l’affirmation du septénaire. D’une part, jusqu’au XIIe siècle, les deux ensembles de vertus sont souvent figurés séparément. Les images préfèrent alors concentrer leur attention sur les vertus cardinales, comme le montre l’Évangile de Cambrai, conservé à la bibliothèque municipale éponyme (Ms. 327, f° 16v) et datant du IXe siècle, qui se contente de la Prudence, de la Justice, de la Force et de la Tempérance pour entourer Charles le Chauve (fig. 2). D’autre part, les programmes restreignent rarement leur choix aux seules vertus du septénaire. Ainsi, le Reliquaire du pape Alexandre, conservé aux Musées royaux du Cinquantenaire à Bruxelles et daté de 1145, associe à l’image de la Force les vertus secondaires de Sagesse, de Conseil, d’Humilité, de Piété et de Science. À partir de la fin du XIIe siècle, même si le septénaire apparaît plus souvent, les artistes, à la manière des encyclopédistes, multiplient le nombre de vertus. Réalisé en 1181, l’Autel de Klosterneuburg de Nicolas de Verdun (v. 1150-1210) ne compte pas moins de 22 vertus. Il en va de même sur les façades des cathédrales où le nombre et l’identité des vertus varient, comme dans le portail central de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris, sculpté entre 1200 et 1210, qui compte douze vertus, l’Humilité, la Prudence, la Chasteté, la Charité, l’Espérance, la Foi, la Force, la Patience, la Douceur, la Concorde, l’Obéissance et la Persévérance. Si, dans ce cas, les trois vertus théologales sont bien présentes, seules deux des quatre vertus cardinales sont figurées.
16Dans la péninsule italienne, les cycles des vertus se limitent également rarement au septénaire. À la basilique San Marco de Venise, le Portale Maggiore datant du XIIe siècle et les mosaïques de la coupole centrale réalisées au début du XIIIe siècle comptent seize vertus et béatitudes : aux trois vertus théologales et aux quatre vertus cardinales viennent s’ajouter l’Humilité, la Bénignité, la Componction, l’Abstinence, la Miséricorde, la Patience, la Chasteté, la Modestie et la Constance. Au baptistère de Parme, les reliefs des ébrasements des portes (v. 1196-1200) montrent douze vertus dont la Chasteté, la Piété, la Libéralité, la Patience, l’Humilité, la Paix et la Modestie. C’est finalement à partir de la fin du XIIIe siècle que l’emploi des vertus théologales et cardinales se fait plus fréquent. Les artistes toscans sélectionnent alors presque toujours des vertus qui proviennent du septénaire. Il en va ainsi de Nicola Pisano pour la chaire du Dôme de Sienne exécutée entre 1266 et 1268. Le sculpteur n’ajoute qu’une vertu supplémentaire, l’Humilité. La formule semble définitivement assimilée avec Giotto et Giovanni Pisano qui s’en servent respectivement dans les fresques de la chapelle Scrovegni et dans la chaire du Dôme de Pise.
Le septénaire des vices
17Aux valeurs positives que constituent les vertus théologales et cardinales, le Moyen Âge s’applique à opposer sept valeurs négatives auxquelles il donne le nom de vices. Les vices sont des notions qui s’opposent directement à la vertu puisqu’ils détournent l’âme de sa fin dernière29. Ils incitent immanquablement au mal et conduisent l’âme à se comporter contre nature, « […] c’est-à-dire contre les exigences rationnelles d’une nature humaine considérée dans son perfectionnement normal30 ». Bien qu’ils soient souvent qualifiés de péchés capitaux, ils ne doivent cependant pas être confondus avec les péchés. Si le péché implique une action consciente et volontaire, un acte moralement mauvais s’opposant à l’acte vertueux, le vice, lui, doit plutôt être compris comme une tendance fondamentale et constante, une disposition permanente qui oriente vers le mal31. L’expression « péchés capitaux », qui sert aujourd’hui à désigner les sept vices, est rarement employée par les moralistes avant le XIIIe siècle. Dans les Quaestiones disputatae, Thomas d’Aquin récuse même cette formule parce qu’elle implique l’idée de châtiment capital et suggère que tous les péchés issus d’un vice sont mortels32. Il admet toutefois la prédominance de certains vices en considérant comme capitaux les vices qui engendrent d’autres vices : « On appelle vices capitaux, avons-nous dit, ceux qui donnent naissance à d’autres […]33. » La notion de vices ou de péchés capitaux semble largement adoptée à la fin du XIIIe siècle. C’est en tout cas ce que laisse entendre la Summa de casibus conscientia de Bartolomeo da San Concordio qui affirme que l’interrogatoire du pénitent doit être mené à partir d’eux34.
18Dès le IVe siècle, les ermites du désert imaginent une liste des différentes passions susceptibles d’empêcher les moines d’obtenir le Salut35. Dans le Tractatus de octo spiritibus malitiae rédigé par Évagre le Pontique (v. 346-399) apparaît une première liste de huit notions génériques qui comprennent tous les actes peccamineux36. Cette liste compte la Gourmandise, la Fornication, l’Avarice, la Tristesse, la Colère, l’Acédie, la Vaine gloire et l’Orgueil. C’est par l’intermédiaire de Jean Cassien (v. 360-435) que cette série se transmet à l’Occident. Dans le De coenobiorum institutis, Jean Cassien reprend presque intégralement la nomenclature évagrienne et donne des équivalents latins aux termes grecs. Il apporte une seule modification en plaçant la Colère avant la Tristesse37. Au VIe siècle, Grégoire le Grand propose une nouvelle liste. Il fait de l’Orgueil la racine de tous les vices, confond la Tristesse avec l’Acédie – qu’il remplace par l’Envie – et place en premières positions les vices de nature spirituelle. Il expose cette nouvelle nomenclature dans les Moralia in Job : de l’Orgueil naissent la Vaine gloire, l’Envie, la Colère et la Tristesse, qui sont suivies de l’Avarice, de la Gourmandise et de la Luxure. Si cette classification fait rapidement autorité, elle ne s’impose toutefois pas totalement. Nombreux sont les moralistes qui en proposent d’autres. Dans le Poenitentiale, le moine irlandais Cummean suit la structure orientale en commençant par les vices de chair, tandis que, dans son De vitiis et virtutibus, Raban Maur (v. 780-856) préfère le système de Jean Cassien en proposant une liste à neuf termes38. C’est finalement Hugues de Saint-Victor (v. 1096-1141) qui est le premier à normaliser la solution grégorienne. D’abord, dans le Sermo de quinque septenis, où il agence l’univers moral autour du chiffre sept : les sept vices s’opposent aux sept demandes du Pater, aux sept dons du Saint Esprit, aux sept vertus et aux sept béatitudes. Ensuite et surtout, dans la De sacramentis christianae fidei, où il détermine avec précision la nature des vices principaux, rattache la Tristesse à l’Acédie et la Vaine gloire à l’Orgueil, et donne naissance à la formule vitia capitalia39.
19Suivant l’Ecclésiastique, la Superbe – ou Orgueil – est le « commencement de tout péché40 ». Elle est en effet à l’origine de la chute des anges déchus et de l’expulsion d’Adam du Jardin d’Eden. De saint Augustin à Isidore de Séville (v. 560-636), elle est invariablement décrite comme la source de toutes les maladies de l’âme41. Très prolixe sur la question, saint Thomas en fait une sorte de désir déréglé qui entraîne inévitablement le mépris de Dieu42. Il l’oppose à la Magnanimité et à l’Humilité et la distingue clairement des autres vices qui lui ressemblent, notamment de la Vaine gloire, de la Présomption et de la Jactance.
20Deuxième vice du septénaire, l’Envie est en quelque sorte une habitude qui prédispose à voir de mauvais œil le bien du prochain43. À l’origine de nombreux péchés, l’Envie n’apparaît pourtant pas dans les premières listes des vices. Absente de la classification d’Évagre, elle fait une apparition momentanée dans celle de Cassien mais n’y occupe pas le rang de vice principal puisqu’elle est rangée parmi les rejetons de l’Orgueil. C’est Grégoire le Grand qui lui donne un relief particulier en la plaçant en deuxième position et en lui accordant une descendance abondante : la Haine, la Discorde, la Diffamation, l’Exultation de l’adversité d’autrui et l’Affliction.
21Le troisième vice, la Colère, appartient au septénaire des vices capitaux depuis les origines du christianisme. Présente sans la moindre hésitation dans les classifications d’Évagre, de Cassien et de Grégoire le Grand, la Colère est considérée comme l’une des fautes les plus graves du chrétien. Thomas d’Aquin la définit comme une inclination à la vengeance, un emportement excessif de l’âme et du corps44. Comme tous les vices capitaux, elle donne naissance à de nombreux autres maux. Selon Grégoire le Grand, elle enfante notamment la Querelle, l’Enflure d’esprit, l’Injure, l’Indignation et le Blasphème45.
22Le quatrième vice, l’Acédie, est une sorte d’ennui et de découragement « […] qui s’emparent d’une âme incapable de se fixer et d’accomplir les tâches auxquelles elle devrait se livrer46 ». Le milieu monastique est particulièrement concerné par ce vice. Le moine insatisfait de ses occupations et de son monastère peut en effet facilement être touché par la lassitude. Jean Cassien l’inclut dans son classement et Thomas d’Aquin la distingue clairement de sa semblable, la Tristesse, laquelle est louable si elle conduit à la pénitence, mais qui est blâmable si elle ne provient pas d’une vraie douleur intérieure : tel est le cas de l’Acédie qui risque de conduire au Désespoir, à la Pusillanimité, à la Haine et à la Rancœur47.
23Le cinquième vice, l’Avarice, se situe dans une position intermédiaire par rapport à ses congénères. Elle se trouve en effet à mi-chemin entre les vices de l’âme – Superbe, Envie, Colère, Acédie – et les vices du corps – Gourmandise, Luxure. Selon Thomas d’Aquin, elle est à la fois un vice spirituel, puisqu’elle est le désir de posséder, et un vice charnel, parce qu’elle procure des plaisirs matériels. Elle devance parfois la Superbe pour devenir, suivant la maxime paulinienne, la racine de tous les maux48. Elle donne naissance à la Trahison, à la Fraude, à la Tromperie, au Parjure, à l’Inquiétude, à la Violence et à l’Insensibilité49.
24Le sixième vice, la Gourmandise, est un « […] désir désordonné du manger et du boire, un vice opposé aux vertus spéciales d’Abstinence et de Sobriété50 ». Elle est le plus terrible des péchés auxquels les moines risquent de succomber puisque les aliments, nécessaires à la survie de l’homme, peuvent conduire involontairement au plaisir. Pour les moralistes occidentaux, à l’exception notable de saint Augustin, le péché originel ne se résume pas à l’Orgueil, mais implique aussi la Gourmandise. De façon plus générale, le désir de nourriture constitue l’accès privilégié à l’univers du péché. Toutefois, à la fin du XIIIe siècle, la crainte suscitée par la Gourmandise s’amenuise, comme l’indique saint Thomas qui réduit fortement sa gravité. Selon le docteur angélique, la Gourmandise ne constituerait pas un péché mortel, sauf dans le cas extrême d’un plaisir tellement démesuré qu’il rabaisserait l’homme à la bestialité51.
25Septième et dernier vice, la Luxure « […] consiste dans l’appétit et l’usage déréglés de la délectation vénérienne ou charnelle52 ». Les Saintes Écritures la placent expressément parmi les vices qui excluent l’homme du royaume des cieux53. À l’origine qualifiée par le terme de fornication, qui désigne l’union sexuelle hors du mariage, elle regroupe par la suite tous les péchés liés à la sexualité. Elle se manifeste en péchés internes ou en péchés externes, juxtanaturam ou contra naturam, de pensée, de délectation morose, de plaisir et de désir. À la manière de la Gourmandise, elle est un vice qui implique nécessairement la participation du corps. Pour saint Thomas, elle conduit à divers égarements : aveuglement de la raison, rejet de la Foi, précipitation, inconstance dans le jugement et amour démesuré de soi54.
26Regroupant l’ensemble des péchés susceptibles d’affecter l’âme du chrétien, le septénaire des vices constitue la base de la réflexion des moralistes. Il s’agence en un système à la fois statique et souple qui permet de comprendre facilement l’univers des fautes et ses dynamiques internes. Le concile de Latran IV (1215) contribue fortement à son succès puisqu’il réaffirme l’obligation de se confesser au moins une fois par an55. Les manuels qui se répandent à partir de cette date invitent d’ailleurs les confesseurs à se servir du septénaire pour interroger les pécheurs. Pour prendre la mesure de sa fortune, il suffit de feuilleter les ouvrages de théologie les plus importants de l’époque qui s’articulent tous autour de lui : la Summa de vitiis de Jean de la Rochelle (v. 1200-1245), la Summa fratris Alexandri d’Alexandre de Hales (1186-1245), le Breviloquium de saint Bonaventure ou le De malo de Thomas d’Aquin. Mais, malgré cette immense fortune, ce septénaire ne fait pas toujours l’unanimité. Aux sept vices manquent en effet deux péchés parmi les plus graves, à savoir l’Infidélité et l’Hérésie. Plusieurs moralistes s’intéressent alors à d’autres systèmes de classification, notamment aux schémas tripartites dont les subdivisions reposent sur les modalités selon lesquelles se manifestent les péchés : péchés de pensée, de parole et d’action56. Jean de la Rochelle et Alexandre de Hales reconnaissent la validité de ce système et l’emploient partiellement à l’intérieur de leur somme. Avec la Somme de Thomas d’Aquin, le septénaire des vices est encore plus fortement mis à mal. À chacune des nombreuses vertus subsidiaires que le dominicain rattache aux vertus cardinales et théologales correspond non pas un, mais deux vices opposés, qui représentent les extrêmes par rapport au juste milieu de la vertu.
27Dans les arts, le septénaire des vices est loin d’avoir toujours tenu le rôle principal. En dépit de l’importance du schéma grégorien, l’iconographie a longtemps fait appel à d’autres systèmes. L’héritage légué par la Psychomachie de Prudence a d’abord dominé le thème. Aux vices de Colère, de Superbe, de Luxure et d’Avarice, Prudence associe trois vices absents des classifications d’Évagre le Pontique et de Grégoire le Grand : l’Idolâtrie, le Désir et la Discorde. Le septénaire tarde également à s’imposer dans les monastères. Dans le Liberfloridus de Lambert de Saint-Omer, enluminé vers 1120 et conservé à la bibliothèque de l’université de Gand (Ms. 16, f° 232), l’arbre du mal dénombre treize vices. Les programmes sculptés des cathédrales ne valorisent guère davantage ce classement : le cycle de Notre-Dame de Paris ne suit pas la liste grégorienne en figurant seulement quatre vices du septénaire sur douze. Au bout du compte, jusqu’au XIVe siècle, le septénaire ne joue qu’un rôle secondaire, d’autant plus que les artistes le délaissent souvent au profit de systèmes mettant en avant les oppositions avec les vertus. Associer les deux septénaires conduit même à des élaborations relativement complexes, comme dans le portail de la salle capitulaire de la cathédrale de Salisbury où les voussures, sculptées entre 1260 et 1280, déploient un cycle de quatorze vertus triomphant d’autant de vices. Les claveaux de gauche montrent les sept vices écrasés par les vertus opposées, tandis que ceux de droite montrent les vertus théologales et cardinales écrasant les vices contraires. Les deux septénaires ne pouvant se répondre, ils s’ajoutent l’un à l’autre57. Giotto est confronté à la même difficulté à la chapelle Scrovegni. Pour exploiter la correspondance suggérée par la disposition en vis-à-vis des vertus et des vices, il a dû « choisir ». Privilégiant le septénaire des vertus, il n’a pas figuré les sept vices capitaux, mais a préféré montrer le contraire de chacune des vertus : l’Inconstance répond à la Force, l’Infidélité à la Foi, le Désespoir à l’Espérance, la Folie à la Prudence et l’Injustice à la Justice. Seules l’Envie et la Colère proviennent de la liste de saint Grégoire58.
La tradition iconographique
28Le thème des vertus et des vices a suscité des figurations aux formes multiples tout au long du Moyen Âge. La première formule développée est celle du combat guerrier. Cette métaphore trouve sa source dans l’Épître aux Éphésiens où saint Paul conseille de se pourvoir des armes de Dieu, avec le casque pour le Salut, le glaive pour l’Esprit et la cuirasse pour la Justice59. Plus tard, dans le De coenobiorum institutis, Jean Cassien parle lui aussi d’une bataille contre les péchés et suggère de se munir d’armes spirituelles pour en repousser l’assaut, tandis que, dans les Moralia in Job, Grégoire le Grand décrit une armée composée de vices qui s’apprête à lancer une attaque contre le Christ. La métaphore sert d’argument au poème de Prudence, la Psychomachia. Composé au début du Ve siècle, ce poème raconte la lutte qui met les vertus aux prises avec les vices dans l’âme du chrétien60. Prudence y imagine une série de couples antagonistes qui s’affrontent tour à tour en un corps à corps sanglant : la Foi et l’Idolâtrie, la Pudeur et l’Impureté, la Patience et la Colère, l’Humilité et la Jactance, la Sobriété et la Luxure, la Miséricorde et l’Avarice, la Concorde et la Discorde. Dans les arts visuels, ce combat donne naissance à une iconographie abondante, d’abord dans les manuscrits du poème, ensuite et surtout dans les programmes sculptés des églises des XIIe et XIIIe siècles61. Le combat prend alors la forme d’une série de duels montrant les vertus armées comme des chevaliers se tenant debout sur les vices personnifiées par des personnages difformes.
29La littérature médiévale développe bien d’autres formules. Dans la Scala Coeli attribuée à Jean Climaque (v. 579-649), le cheminement spirituel prend la forme d’une échelle à gravir où chacun des barreaux constitue une étape au cours de laquelle il faut vaincre les péchés. L’iconographie de cette métaphore se développe surtout dans le milieu monastique62. Elle apparaît par exemple dans le Speculum virginum enluminé entre 1140 et 1200 dans l’abbaye cistercienne de Sainte-Marie à Eberbach et conservé au British Museum (Ms. Arundel 44, f° 93v°) qui figure plusieurs vierges qui, malgré l’attaque d’un dragon et d’un démon, gravissent une échelle jusqu’au Christ. Le Liber scivias, rédigé dans les années 1165-1175 par l’abbesse Hildegarde de Bingen (1098-1179), proposait une iconographique similaire63. Il figurait sept personnifications disposées le long d’une colonne-échelle symbolisant chacune des étapes de l’élévation spirituelle, c’est-à-dire les différentes vertus que les novices devaient acquérir, à savoir la Chasteté, l’Espérance, la Foi, l’Obéissance, la Crainte de Dieu, la Charité et l’Humilité.
30Une autre métaphore didactique a connu un grand succès dans les milieux monastiques. Il s’agit des arbres du Bien et du Mal64. Dans le premier quart du XIIe siècle, un moine longtemps confondu avec Hugues de Saint-Victor construit autour de ce motif un traité au titre significatif, Les fruits de la chair et de l’esprit65. Ce moine imagine deux arbres opposés : l’un plonge ses racines dans l’Humilité et produit des fruits vertueux, l’autre naît de la Superbe et produit des fruits vicieux. Les enluminures qui illustrent l’ouvrage rapportent en détail les filiations entre les différentes valeurs morales. L’exemplaire conservé à Salzbourg (Studienbibliothek, Ms. Sign. 162, f°s 75v°-76) montre ainsi un premier arbre qui repose sur une figure féminine personnifiant l’Humilité et qui porte sept fruits contenant chacun une vertu du septénaire. De ces fruits naissent sept feuilles à l’intérieur desquelles sont inscrits les noms des vertus subsidiaires. Un deuxième arbre dédié aux vices obéit au même procédé : la Superbe est figurée à la place de la souche et chacun des fruits est occupé par un vice qui tient sept feuilles sur lesquelles sont inscrits les péchés qu’il est susceptible de provoquer.
31Dans la péninsule italienne, le thème des vertus s’affirme tardivement. Il est rarement figuré avant les années 1100 et, au XIIe siècle, il se cantonne surtout à la plaine du Pô, à la Lombardie, à l’Émilie et à la Vénétie. Contrairement à l’imagerie du Nord de l’Europe, aucune formule ne se dégage clairement. Même la psychomachie peine à s’imposer. Les images éparses qui le figurent s’inspirent plus ou moins fidèlement de Prudence et se contentent de souligner l’antagonisme entre le Bien et le Mal sans s’attacher à caractériser précisément les valeurs morales. Il en va ainsi de la mosaïque de la cathédrale de Crémone datant du deuxième quart du XIIe siècle qui figure « crudelitas » contre « impietas » et « fides » contre « discordia » sans rendre compte des nombreux rebondissements qui animent le récit. Toutefois, même si le thème est rarement figuré, plusieurs églises lui ont consacré des cycles entiers. À Vérone, par exemple, les fresques fragmentaires du cloître de la cathédrale montrent les vestiges d’un programme psychomachique qui semble avoir été relativement ambitieux. Dans l’église Santa Maria de l’abbaye bénédictine de Summaga, des peintures en grisaille datant des années 1180-1200 laissent également deviner un cycle complet66. Enfin, les fresques du complexe monastique des Santi Quattro Coronati, datées de 1235-1255, prouvent que le thème était bien connu à Rome (fig. 3). Les vertus y apparaissent comme de robustes chevaliers, vêtus de heaumes et de cottes de maille, qui portent sur leurs épaules des saints ou des personnages de l’Ancien Testament. Chacune des personnifications triomphe de personnages exemplifiant des vices identifiés par des inscriptions citant abondamment les Écritures et les moralistes67.
32À la formule de la psychomachie s’ajoute un autre ensemble de figurations qui se contente de montrer les vertus seules. Ces personnifications ne suivent pas de règles iconographiques fixent. Leur sélection est changeante et leur forme variable. L’absence d’attributs particuliers ou de caractéristiques précises rend même leur identification difficile. Il en va ainsi des trois vertus sculptées sur le linteau du portail occidental de la cathédrale de Vérone où seules des inscriptions permettent de les reconnaître. À San Benedetto di Polirone, les mosaïques de pavement du Tombeau de la comtesse Mathilde de Toscane figurent également les vertus cardinales sans attributs particuliers. Les personnifications portent simplement des palmes à la manière de martyres. À la même époque, d’autres cycles essaient toutefois de caractériser les vertus avec plus de précision. À San Marco de Venise, l’iconographie commence même à se figer. Le cycle de la coupole de l’Ascension et celui du Portale Maggiore dotent certaines personnifications des mêmes attributs : la Justice tient une balance et une boîte, la Force lutte contre un lion, la Tempérance vide un pichet dans une vasque, la Prudence tient un serpent dans chaque main et la Foi un sceptre68.
33Durant la seconde moitié du XIIIe siècle, les personnifications gagnent en clarté et certains attributs s’affirment. Sculptée par Nicola Pisano dans les années 1260, la chaire du baptistère de Pise constitue la première œuvre remaniant considérablement le thème. L’originalité des personnifications est telle que leur identification a posé de nombreux problèmes aux spécialistes du sculpteur69. Juchées sur les colonnes qui soutiennent la chaire, quatre vertus complètent un programme sculpté complexe. Aux figures bibliques de Saint Jean-Baptiste et de l’Archange Michel ou Gabriel s’ajoutent la Charité, la Foi, la Force et l’Humilité. La Charité tient par la main un enfant qui s’avance avec une petite corbeille pleine de fruits. La Foi porte un petit chien avec lequel elle joue. La Force prend la forme d’un homme nu qui porte un lionceau sur l’épaule droite et une peau de lion autour du bras gauche, et qui saisit la gueule d’une lionne tandis qu’un autre lion apparaît derrière ses jambes : pour certains, il s’agirait d’une évocation d’Hercule, pour d’autres, de Daniel dans la fosse aux lions70. L’Humilité enfin, qui pour Eloise M. Angiola serait Ève chassée du Paradis, consiste en une femme nue qui incline la tête et qui se couvre d’un grand manteau71. Déroutante en bien des points, l’iconographie de ces vertus donne un souffle nouveau à un thème qui jusqu’alors manquait d’ambition. Nicola Pisano fait preuve de la même inventivité pour la chaire du Dôme de Sienne, qu’il sculpte vers 1266-1268, avant d’être relayé par son fils Giovanni Pisano qui réalise à son tour une série de vertus pour la chaire du Dôme de Pise.
34Le renouveau que connaît le thème en sculpture trouve son équivalent en peinture avec le cycle que Giotto peint en grisaille entre 1303 et 1305 pour le compte du négociant Enrico Scrovegni dans la chapelle de l’Arena à Padoue72. Ce cycle comprend une série de quatorze personnifications73. Les vertus sont toutes pourvues d’attributs qui les singularisent nettement : la Charité, juchée sur un tas de sacs de pièces de monnaie, tient une corbeille de fruits tout en tendant son cœur au Christ ; la Foi piétine des parchemins avec des signes cabalistiques, tient un phylactère exposant le dogme de l’Église, porte une clé à sa ceinture et foule une idole avec la hampe de sa croix ; l’Espérance, ailée, s’élève vers un ange qui lui tend une couronne ; la Prudence, assise à un pupitre, écrit tout en s’observant dans un miroir ; la Justice, en trône sous un édicule gothique, tient une figurine dans chaque main, l’une figurant un ange, l’autre un homme châtiant un personnage agenouillé ; la Force, revêtue d’une armure et d’une peau de lion, tient une massue et un bouclier ; la Tempérance (fig. 4), enfin, porte une bride sur la bouche et une épée soigneusement liée à son fourreau. Du côté des vices, l’iconographie est tout aussi riche : l’Envie, debout dans des flammes, est affublée d’un visage monstrueux, d’une langue en forme de serpent, d’oreilles de chauves-souris et d’une paire de cornes, et serre une bourse dans la main droite ; le Désespoir se pend dans une violente convulsion alors qu’un petit démon vient arracher son âme ; l’Infidélité, debout devant une gerbe de feu, porte dans le creux de la main une figurine qui tient un arbuste et une corde attachée autour de son cou ; la Folie brandit une massue et porte un curieux vêtement en queue de pie ainsi qu’une couronne de plumes ; l’Injustice, assise devant la porte d’une ville en ruine, tient une épée pointée vers le bas et une lance au pic crochu ; l’Inconstance, debout sur une roue, perd l’équilibre sur un bloc de marbre ; la Colère, enfin, déchire frénétiquement sa tunique en rejetant la tête en arrière. À ces quatorze images s’ajoutent deux personnifications disposées symétriquement dans le linteau de la porte orientale de la paroi septentrionale. À droite, un homme porte une peau de bête et tient un agneau et une massue ; à gauche, une femme couronnée, des yeux de laquelle sortent deux massues, tient un livre. Il pourrait s’agir de la Stupidité et de la Sagesse74.
35Le cycle peint par Giotto est remarquable sur plusieurs points. D’abord, par l’importance qu’il accorde aux personnifications : même si celles-ci semblent traitées comme des figures secondaires du programme d’ensemble de la chapelle, elles occupent une position déterminante puisqu’elles sont placées à la hauteur des yeux du regardeur. Ensuite, par l’application qu’il met à les caractériser : attributs, physionomies, attitudes et affects sont soigneusement élaborés afin de traduire avec précision la nature fondamentale de chaque valeur morale. Enfin, par l’originalité du répertoire iconographique qu’il met en œuvre : Giotto ne se contente pas de puiser dans la tradition des vertus et des vices, relativement pauvre en Italie, mais conçoit des figures intégralement nouvelles. Pour ce faire, il s’inspire de la démarche des Pisano en puisant comme eux dans l’héritage antique. La Tempérance (fig. 4) reprend ainsi l’iconographie des vestales, telle qu’elle est employée, par exemple, dans la statue d’Eumachia (fig. 5) conservée au Museo Archeologico Nazionale à Naples. Debout dans une attitude impassible, la personnification tourne sensiblement la tête tout en levant la main droite et porte une longue cape qui, comme la palla de la prêtresse romaine, lui couvre la tête et laisse deviner des cheveux ondulés. La reprise s’avère ici d’autant plus riche de sens que les vestales constituent de parfaits exemples de refrenatio cupiditatis75. C’est sans doute avec la Force que la référence à l’Antiquité est la plus aboutie. La personnification est pourvue d’attributs – entre autres la léonté – qui font clairement écho à l’effigie d’Hercule frappée sur les monnaies romaines. Elle porte la peau de lion exactement de la même manière, c’est-à-dire nouée autour du cou par les pattes avant avec la tête de l’animal en guise de capuche. À ces éléments figuratifs s’ajoute le titulus qui achève de confondre la vertu avec le héros de la mythologie en invoquant la lutte contre le lion de Némée sur le registre de la psychomachie :
[La Force] a raison de tout en vainquant […]
et armée, portant la massue,
écrase aussi les mauvais.
Voici qu’elle tue par la violence le lion
se couvre de sa peau,
remporte tous les combats
et n’est brisée dans aucun […].76
36Giotto fait ici preuve d’une remarquable capacité d’invention en renouvelant la tradition médiévale grâce au répertoire antique. Mais, plus que par la nouveauté de l’iconographie, c’est par la disposition des vertus dans le décor de la chapelle et par la fonction dont il les investit dans leur rapport avec le public que le maître florentin ouvre le thème à de nouvelles perspectives.
LES MODALITÉS DIDACTIQUES DES VERTUS
37Dès le XIIe siècle, quelques grands monastères français développent des programmes consacrés aux vertus et aux vices77. Ces programmes ne remplissent toutefois pas de fonction particulière vis-à-vis de la communauté des moines. Ils ne s’adressent pas exclusivement au monde claustral, mais plutôt à l’ensemble des fidèles puisqu’ils prennent place dans les porches, dans les avant-nefs ou dans les premières travées des églises, comme à Vézelay ou à Saint-Benoît-sur-Loire. Dans les complexes italiens du XIVe siècle, ils sont investis d’un tout autre statut. Étant presque toujours situés au cœur des couvents, ils sont surtout destinés aux frères. Ils remplissent alors un rôle singulier qui enrichit la pratique religieuse à plusieurs niveaux : ils rappellent les principes qui guident la communauté ; ils rendent manifestes les fondements sur lesquels reposent l’édifice cultuel ; ils investissent la liturgie d’une nouvelle symbolique. Dans le monde laïc, les personnifications s’adressent également à un public précis. Elles sont principalement destinées aux élites dirigeantes et ont pour vocation de rappeler les valeurs qui doivent régir la cité.
Les dispositions particulières des vertus
38On s’est longtemps mépris sur la fonction des images au Moyen Âge. Pour Émile Mâle, les images gothiques faisaient fonction de Bible des illettrés78. À la fois support de contemplation et instrument d’enseignement et d’édification, elles auraient été conçues pour exposer les textes sacrés aux fidèles analphabètes venus suivre l’office. Or, il est aujourd’hui largement prouvé que de nombreux laïcs savaient lire, surtout aux derniers siècles du Moyen Âge79. De plus, réduire les images à une fonction de catéchèse simplifiée ne concorde pas avec les mentalités de cette époque : « Cette vision réductrice ne correspond ni aux théories médiévales de l’image, ni a fortiori à des pratiques caractérisées par une inventivité iconographique prodigieuse et par une créativité qui ne se laisse pas enfermer dans des strictes codifications80. »
39L’organisation interne des églises italiennes met elle-même en lumière le caractère complexe de l’imagerie gothique. Aux XIIIe et XIVe siècles, les églises mendiantes séparent plus ou moins rigoureusement les initiés, à savoir les frères, des non-initiés, c’est-à-dire le commun des fidèles. Au-delà du tramezzo, le chœur, l’abside et le transept avec ses nombreuses chapelles constituent une zone réservée aux membres des ordres religieux. Or, surtout dans les églises franciscaines et dominicaines, c’est dans cette zone que sont le plus souvent figurées les vertus : dans la basilique inférieure de Saint-François à Assise, elles se situent à la croisée du transept ; dans l’église San Francesco de Pistoia, elles apparaissent dans la chapelle du maître-autel ; dans l’église Santa Maria Novella à Florence, elles se trouvent dans la chapelle Strozzi à l’extrémité sud du transept. Ce constat conduit à supposer que la majorité des vertus concernait un public restreint, presque exclusivement composé par les membres des ordres auxquels pouvaient parfois s’ajouter les commanditaires des chapelles.
40Dans le cas particulier de la chapelle privée d’Enrico Scrovegni à Padoue, les personnifications s’adressaient également à un public initié (fig. 6). La chapelle était en effet réservée au commanditaire et à ses proches, ainsi qu’aux membres de son ordre militaire, les Cavalieri di Maria Gloriosa81. L’espace interne était lui-même divisé en deux parties par un tramezzo en marbre et la partie qui se trouvait du côté de l’abside était exclusivement destinée aux Cavalieri, tout du moins dans le projet initial82. Disposées les unes à côté des autres sur toute la longueur du soubassement, les personnifications ne concernaient donc pas toutes le même public : la Prudence, la Folie, la Force et l’Inconstance situées à proximité de l’abside, ainsi que les images présumées de la Stupidité et de la Sagesse, figurées sur le linteau de la porte permettant de passer de la chapelle à la crypte, concernaient plus volontiers les membres de l’ordre.
41À ces dispositions spatiales particulières s’ajoutent des conditions de visibilité compliquées. Les dimensions réduites et les emplacements parfois incommodes des personnifications les rendent souvent difficiles à voir distinctement. Dans la majeure partie des cas, les vertus sont situées dans les parties les plus hautes des cycles : dans la chapelle Bardi de la basilique Santa Croce à Florence (pl. I, fig. 7), elles sont figurées à presque dix mètres de hauteur dans des médaillons polylobés mesurant seulement 1,36 mètre de diamètre ; et que dire de la chapelle Strozzi à Santa Maria Novella (fig. 8), où elles s’insèrent dans de petits cadres en forme d’étoiles nichés dans les bordures qui décorent les nervures de la voûte ? Presque impossibles à voir distinctement, il est fort probable que seuls les dominicains les plus érudits en comprenaient la teneur.
42Reléguées dans les encadrements des cycles, sur les voûtes, dans les voussures ou sur les linteaux, les vertus ne sont que rarement traitées comme les sujets principaux des programmes. Elles en deviennent parfois hermétiques. Ainsi, dans la chapelle Baroncelli (pl. I, fig. 9), tout laisse à penser qu’il n’y avait que les officiants qui pouvaient apprécier celles qui se trouvent dans les petits médaillons ornant les embrasures de la baie située derrière l’autel. Discrètes, voire dissimulées, les vertus semblent dans ce cas peintes autant pour elles-mêmes que pour un hypothétique public.
43Néanmoins, même si les vertus sont employées sur un registre décoratif, il ne faut pas les réduire à un rôle subsidiaire d’images d’accompagnement ou de remplissage. Il importe de souligner que, à la différence de l’ornement moderne, l’ornamentum médiéval ne désigne pas seulement des figures vides de sens, uniquement faites pour plaire au regard, mais s’emploie aussi pour qualifier les réalités immatérielles ou spirituelles83. Plus encore, d’après Isidore de Séville, le decorum est une forme du parfait et du Bien, c’est-à-dire une sorte d’équipement utile au bon fonctionnement d’une chose ou d’un être84. Suivant ces considérations, les vertus qui sont figurées dans les bordures et dans les cadres doivent être envisagées comme des éléments indispensables des cycles qu’elles complètent. Elles sont d’ailleurs souvent investies d’un rôle fondamental puisqu’elles se distribuent à des emplacements-clés des programmes où elles assument une fonction porteuse. Elles prennent ainsi fréquemment la forme de cariatides dans les ensembles sculptés. Dans la chaire du Dôme de Pise, dans le bénitier de San Giovanni Fuorcivitas à Pistoia ou dans les tombeaux de Campanie, elles supportent littéralement l’ensemble des structures avec leurs images. Un tel rôle architectonique est explicitement formulé par la littérature de l’époque. Le poète franciscain Jacopone da Todi (v. 1230-1306) assimile ainsi les vertus cardinales aux gonds d’une porte et à une « colonne » supportant la vie humaine, tandis que Dante dispose des bas-reliefs montrant des figures vertueuses dans la paroi de la montagne qui soutient les différents niveaux du Purgatoire85.
44Les décors peints traitent les valeurs morales de façon comparable. À Padoue, les vertus et les vices sont ainsi figurés entre les fausses dalles en marbre qui composent la plinthe du soubassement (fig. 6). En les disposant de la sorte, la peinture cherche à signifier la nature singulière des personnifications. D’une part, elle rend compte de leur valeur abstraite : en tant qu’universaux, les personnifications ont pour finalité d’ouvrir l’espace pictural, c’est-à-dire l’historia, à l’universalité des principes. D’autre part, en soulignant le contraste avec la tridimensionnalité des scènes narratives, elle donne l’impression qu’elles font corps avec la surface murale, donc avec l’édifice ecclésiastique lui-même. De ce point de vue, elles jouent le même rôle que les vertus sculptées avec les planètes et les arts libéraux dans le soubassement du campanile de la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence (pl. II, fig. 10), dont la construction est dirigée par Giotto à partir de 1334. La comparaison s’avère d’autant plus probante qu’elles sont disposées dans le même réseau de plaques de marbre polychrome.
45Le procédé qui consiste, en sculpture comme en peinture, à confondre les personnifications avec les murs de l’édifice qu’elles décorent trouve sa justification dans quelques-uns des traités liturgiques des XIIe et XIIIe siècles86. Le De ornamentis ecclesiae de l’abbé du Mont-Cassin Bruno de Segni (v. 1045-1123) considère ainsi la Foi, l’Humilité, la Patience, la Chasteté, la Charité, la Paix, l’Obéissance ou l’Abstinence comme les fondements architecturaux de l’expérience religieuse87. Le Rationale Divinorum Officiorum de Guillaume Durand (1230-1296) fait de la Charité et de la Foi les ciments et les mortiers spirituels qui permettent aux pierres, en d’autres termes aux fidèles, de soutenir les murs de l’Ecclesia88. L’aspiration de l’évêque de Mende s’affirme avec force chez Jean Roussel, abbé de Saint-Ouen de Rouen de 1303 à 1339, qui compare la nouvelle abbatiale qu’il fait construire à la Jérusalem céleste qui, selon lui, repose directement et fermement sur les vertus :
Que la Ville sainte de Jérusalem soit construite comme une cité, mais non pas au moyen de masses de pierres matérielles, mais de pierres vivantes, une cité que la force des vertus rend solide et dont les murs indestructibles s’élèvent grâce à la communauté des saints.89
46Pareille métaphore rencontre une fortune considérable chez les franciscains et les dominicains qui envisagent les vertus comme les véritables fondements de l’architecture de leurs églises. La basilique de Saint-François à Assise constitue à cet égard un exemple édifiant.
Dans les cycles franciscains
47Les vertus peintes sur les voûtes de la croisée du transept de la basilique inférieure de Saint-François à Assise (fig. 11) sont particulièrement complexes à étudier, surtout lorsque l’on cherche à prendre en compte le rapport qu’elles entretenaient avec le public au XIVe siècle. Même si aujourd’hui elles s’offrent librement aux regards des nombreux touristes et pèlerins qui visitent la basilique, il est exclu de les considérer comme des images qui avaient pour mission d’expliquer les valeurs morales à l’ensemble des fidèles. La disposition sophistiquée des quatre Triomphes à l’intérieur du complexe d’Assise indique au contraire que les vertus s’adressaient surtout, voire exclusivement, aux membres de l’ordre franciscain90. Si les frères pouvaient regarder à loisir les personnifications sous lesquelles ils se rassemblaient au moins sept fois par jour pour suivre les offices, il n’en allait pas de même pour les fidèles. De fait, malgré la suppression du tramezzo au début des années 1300, le chœur leur était encore partiellement interdit par un chancel en fer forgé qui devait protéger le tombeau de saint François de l’adoration excessive des dévots les plus zélés91. En outre, même si les laïcs pouvaient pénétrer dans le transept, plusieurs éléments indiquent que les vertus ne leur étaient pas destinées. D’abord, le chœur restait l’espace privilégié de l’ordre franciscain puisque les frères y accédaient directement depuis le couvent en empruntant deux portes situées dans les bras du transept. Ensuite, les nombreux éléments – inscriptions, personnifications, attributs – qui composent les fresques demandent une observation attentive et répétée que ne pouvaient pas se permettre les laïcs. Enfin, la voûte de la croisée du transept adopte une forme qui semble avoir été spécialement pensée pour que le Triomphe des vertus soit vu depuis le chœur. Elle a une portée plus importante et une hauteur plus faible que le couvrement de la nef et du transept : tels des voiles, ses voûtains paraissent s’affaisser. S’il est reconnu que ces particularités constructives sont surtout dues à des raisons architectoniques, elles répondent peut-être aussi à des nécessités d’ordre décoratif92. Grâce à ce dispositif architectural, les Triomphes étaient plus facilement visibles par les franciscains tout en se dérobant au regard des fidèles. Ces derniers ne devaient pas voir assez distinctement les personnifications pour en comprendre le sens. Ils n’apercevaient que le Triomphe de saint François figuré dans le voûtain ouest qui, à la différence des trois autres fresques, leur faisait face depuis le milieu de la nef.
48La disposition sophistiquée des vertus est enrichie par leur emplacement particulier au sein du couvent. Elles sont figurées exactement au-dessus du maître-autel, c’est-à-dire au cœur de l’activité liturgique du couvent, et sont donc investies d’une forte valeur sacramentelle. Elles se trouvent par ailleurs au centre architectonique de l’ensemble du complexe conventuel : placées au point d’intersection des voûtes de la nef, du transept et de l’abside, elles font office de clé de voûte des deux basiliques superposées. Enfin, elles se situent au cœur de l’ordre franciscain tout entier puisqu’elles sont peintes au-dessus du corps du fondateur de l’ordre, saint François lui-même, qui est enseveli sous le maître-autel et dont la tombe souterraine était visible depuis la buca delle lampade.
49L’agencement particulier d’Assise semble avoir connu une certaine fortune chez les franciscains. Au cours du XIVe siècle, les couvents de l’ordre suivent son modèle, entre autres celui de Florence qui, vers 1320, commande à Giotto les vertus pour la voûte de la chapelle Bardi dans la basilique Santa Croce, et celui de Pistoia qui en fait peindre vers 1343 par Dalmasio degli Scannabecchi sur la voûte de la chapelle du maître-autel de son église. Dans les deux cas, les vertus obéissent à la disposition de l’église-mère : elles prennent place au-dessus d’un autel, au cœur du sanctuaire, dans une chapelle consacrée à saint François.
50La formule assisiate trouve une application plus élaborée dans le cycle de la chapelle Baroncelli, également dans la basilique Santa Croce à Florence (fig. 9). Construite entre 1295 et 1310, cette chapelle se trouve à l’extrémité du bras nord du transept de l’église. Elle se compose de deux travées, dont une seulement s’ouvre sur le transept, et est flanquée, à gauche, par le couloir qui conduit à la sacristie et, à droite, par la chapelle de la famille Castellani. En 1328, la famille Baroncelli commande un ambitieux décor composé de sculptures, de vitraux, de panneaux peints et de fresques93. Étant donné la position particulière de cette chapelle au sein du couvent, son décor était conçu pour s’adapter à deux publics distincts, les Baroncelli et les Frères mineurs. Consacré à la vie de la Vierge Marie et aux vertus, le cycle de fresques qui couvre les voûtes et les murs a été confié à Taddeo Gaddi. Les voûtes montrent, au-dessus de la première travée (pl. II, fig. 12), les quatre vertus cardinales et, au-dessus de la deuxième (pl. II, fig. 13), les trois vertus théologales, auxquelles s’ajoute l’Humilité. Aujourd’hui largement ouverte sur le transept, la chapelle était auparavant close par un chancel qui en restreignait l’accès et qui ne rendait pas son décor visible en permanence. Grâce à cet aménagement, les vertus étaient peintes pour s’adapter aux différents moments cultuels. Seules les vertus de la première voûte pouvaient être vues de l’extérieur par-dessus le chancel, alors que les vertus de la deuxième voûte ne le devenaient qu’une fois entré dans la chapelle. Pénétrer à l’intérieur de l’espace cultuel devenait ainsi, pour les frères et pour la famille Baroncelli, un moment de révélation : voir le non-visible leur permettait en quelque sorte d’approcher le vertueux. La complexité de cette disposition était renforcée par la variété des moyens techniques utilisés. Alors que les vertus cardinales, polychromes, se détachent nettement de façon à être vues depuis le chœur de la basilique, les vertus théologales sont peintes dans un camaïeu de gris qui imite la statuaire.
51Si, par sa sophistication, la disposition des vertus de la chapelle Baroncelli constitue un cas remarquable, elle n’est pas unique. D’autres exemples, notamment dans les tableaux d’autel, indiquent que les vertus entretiennent une relation mûrement réfléchie avec leur(s) public(s).
Dans les retables
52Au Trecento, les personnifications morales n’apparaissent pas seulement dans l’art monumental, mais aussi dans les retables. Dans ce domaine, deux formules iconographiques principales se détachent : soit les vertus sont figurées en compagnie de la Vierge ou du Christ dont elles soulignent la perfection morale, soit les vices se tiennent défaits sous les pieds des saints pour rappeler le triomphe de la vertu. Dans les deux cas, une constante est à remarquer : étant disposées autour ou aux pieds des saints personnages, les personnifications ne font jamais office de sujet principal ; elles sont rarement figurées à la même échelle que les personnages principaux et sont souvent trop petites pour qu’un public non averti puisse les voir.
53La Vierge parturiente, exécutée entre 1375 et 1380, attribuée à Cenni di Francesco di Ser Cenni (actif v. 1369-1415) et conservée à la Pinacoteca Vaticana (pl. III, fig. 14), et le Polyptyque Rinuccini, réalisé en 1379 par Giovanni del Biondo (actif v. 1356-1398) et conservé dans la basilique Santa Croce à Florence, constituent deux exemples représentatifs de cette iconographie. L’un et l’autre montrent la Mère du Christ entourée de huit figurines voltigeant qui personnifient les vertus. Si ces figurines sont censées donner un sens nouveau à l’iconographie traditionnelle de la Vierge à l’Enfant, elles s’avèrent toutefois trop facilement négligeables pour en changer irréversiblement la forme. Même si les panneaux qui les montrent sont relativement grands – la Vierge parturiente mesure 106,5 × 58,5 cm et le Polyptyque Rinuccini 345 × 310 cm –, elles étaient trop petites pour que la majeure partie des fidèles puisse les voir.
54Les vertus peuvent se faire plus secrètes encore. Dans le Polyptyque de Santa Felicita à Florence (fig. 15), réalisé vers 1355 par Taddeo Gaddi, aujourd’hui conservé dans la sacristie de l’église mais de provenance inconnue, les vertus de Charité, Foi, Espérance et Humilité prennent la forme de petites statues en pierre discrètement posées sur le trône en marbre de la Vierge à la manière de pinacles. Dans ce cas de figure, seul un public prévenu pouvait les repérer et identifier leurs attributs, d’autant plus que les dimensions monumentales du retable (206 × 280 cm) indiquent que celui-ci était destiné à un maître-autel94. Le même constat peut être fait pour une Croix peinte de la fin du XIVe siècle attribuée à Lorenzo di Bicci (v. 1350-1427) et conservée au Musée du Petit Palais à Avignon (fig. 16) qui dissimule, de part et d’autre du Christ crucifié, dans le décor géométrique, les sept vertus théologales et cardinales95. Ces vertus devaient sans doute échapper au regard du commun des laïcs, ce qui permettait à la croix de combiner deux niveaux de lecture : d’un côté, en étant suspendue au-dessus du tramezzo, elle ravivait la dévotion des fidèles massés dans la nef ; de l’autre, elle invitait les franciscains qui avaient connaissance de son decorum à méditer sur la signification théologique et morale du sacrifice du Fils de Dieu.
55Le caractère hermétique du culte des vertus est confirmé par quelques panneaux qui, comme l’indiquent leurs dimensions réduites, étaient destinés à un usage strictement privé. Il en va ainsi de la Vierge à l’Enfant entourée de saints et des vertus (38,4 × 26 cm) attribuée à Giotto ou à son entourage, datée de 1315-1320 et conservée dans une collection privée (pl. III, fig. 17). Ce panneau, qui a récemment fait l’objet de nouvelles analyses, était probablement le pendant de la Crucifixion conservée au musée des Beaux-Arts de Strasbourg96. Deux éléments indiquent que le diptyque ainsi constitué a été réalisé pour un commanditaire très proche des franciscains, voire pour un membre du tiers ordre : premièrement, le saint franciscain – saint François ou saint Antoine de Padoue – qui se tient à droite de la Vierge ; deuxièmement, les vertus qui font échos sur plusieurs points aux Triomphes d’Assise réalisés durant les mêmes années. L’Espérance, qui écarte les bras en oraison, et la Charité, qui tient une gerbe de fleurs et qui tend un cœur à l’Enfant-Jésus, se tiennent debout de part et d’autre de la Vierge. Au pied du trône se trouvent cinq autres vertus à l’identification incertaine : l’Humilité à genoux cierge à la main, la Prudence (?) vêtue de vert, la Foi qui brandit la statue d’un ange tenant une croix, la Force portant la léonté, une épée et un bouclier, la Tempérance (?) vêtue de noir avec un voile blanc sur la tête97. Plus que par l’originalité du répertoire iconographique, c’est par l’importance qu’il accorde aux vertus que ce panneau constitue une image remarquable. Les entités morales supplantent en effet les saints, lesquels sont repoussés loin au fond de la scène, pour devenir les intermédiaires privilégiés du dialogue intime du dévot avec la Vierge.
56Dans de très rares cas, les vertus jouent le rôle de protagonistes principaux des retables, comme le prouve la Maestà réalisée dans les années 1335 par Ambrogio Lorenzetti et conservée au Palazzo del Comune de Massa Marittima (pl. III, fig. 18). Probablement conçue pour le maître-autel de l’église des Ermites de saint Augustin de San Pietro in Orto, cette Maestà propose une iconographie comparable à celle du diptyque de Giotto. Elle figure les vertus assises sur les gradins du trône de la Vierge : sur la première marche se trouve la Foi qui regarde dans un miroir, sur la deuxième l’Espérance qui porte une tour fortifiée, sur la troisième la Charité qui tient un cœur enflammé et une flèche98. Dans ce panneau, les vertus campent en apparence un rôle relativement clair. Elles célèbrent la perfection morale de la Vierge tout en remplissant le rôle de médiateur avec le public. Néanmoins, plusieurs éléments les rendent plus compliquées qu’il n’y paraît. Par exemple, l’image de la Trinité qui est subtilement peinte dans le miroir que présente la Foi99 ou la fine corde qui est attachée à la flèche que tient la Charité (pl. III, fig. 19) et qu’elle écarte avec son index et son majeur ne deviennent perceptibles que lorsque le regardeur se tient au plus près du panneau. Ces détails étaient sûrement invisibles aux yeux des fidèles et il est même probable qu’ils ne concernaient que les membres de l’ordre des Ermites.
57L’hypothèse selon laquelle la compréhension des vertus est fonction des conditions de visibilité s’applique également à l’imagerie des vices. C’est notamment les cas d’un panneau peint sur ses deux faces vers 1403-1404 par Taddeo di Bartolo et conservé à la Galleria Nazionale dell’Umbria à Pérouse qui montre sur l’avers une Vierge à l’Enfant et sur le revers Saint François triomphant des vices (fig. 20). Ce panneau faisait partie d’un polyptyque, démembré vers le milieu du XVIe siècle, qui se trouvait sur le maître-autel de l’église San Francesco al Prato à Pérouse100. La connaissance de sa situation originelle permet de supposer qu’il était destiné à délivrer deux messages distincts : le premier, avec l’image de la Vierge à l’Enfant, avait pour vocation de stimuler la dévotion mariale des fidèles massés dans la nef ; le deuxième, avec l’image de Saint François triomphant des vices, s’adressait aux frères rassemblés dans le chœur en leur rappelant les vices qu’ils devaient s’employer à éviter.
58Ce panneau prouve, une fois de plus, que les personnifications figurées dans les églises italiennes étaient surtout destinées aux membres des ordres religieux, c’est-à-dire à un public initié à la complexité des systèmes éthiques et des classifications morales. Ce postulat se trouve confirmé par les décors peints dans les salles capitulaires des complexes conventuels et monastiques.
Dans les salles capitulaires
59La salle du chapitre devient aux XIIIe et XIVe siècles un élément extrêmement important des complexes conventuels mendiants : la communauté s’y réunit régulièrement pour promulguer de nouvelles règles, pour traiter des affaires courantes, pour examiner et admettre les novices, et pour accompagner l’édification spirituelle des frères101. Elle se situe souvent à l’estdu complexe conventuel et à proximité du chevet de l’église, car la confession des fautes – qui a lieu normalement chaque jour après les matines et les primes, et après les messes des fêtes liturgiques importantes comme le Jeudi saint – réclame des allers et retours fréquents du chœur au chapitre. La salle capitulaire est par ailleurs le lieu le plus prestigieux du couvent puisque, selon Humbert de Roman (v. 1194-1277), général de l’ordre dominicain de 1254 à 1263, elle doit servir à accueillir les hôtes de marque. Initiatique, édificatrice et symbolique, cette salle apparaît donc comme un espace primordial de la vie spirituelle et morale des ordres réguliers.
60D’une rare complexité, majoritairement consacrés au Christ et aux saints des ordres, les décors des salles du chapitre remplissaient un rôle didactique essentiel en enseignant et en incitant à la méditation102. Aujourd’hui encore, la chapelle San Nicola du couvent augustin de Tolentino propose un cycle qui témoigne partiellement de leur teneur. Nommée communément « Cappellone di san Nicola » depuis le XVIIIe siècle puisqu’elle accueille vers 1325 les reliques du saint local, Nicolas de Tolentino (v. 1246-1305), cette chapelle remplit à partir de la fin du XIVe siècle le rôle de salle capitulaire103. Entre 1326 et 1348, un peintre à l’identité inconnue est chargé d’y figurer la vie de Nicolas et du Christ sur les murs, les grands docteurs de l’Église sur la voûte et les vertus ainsi qu’un vice dans les pendentifs. Le programme ainsi défini remplissait deux fonctions. D’une part, il célébrait la sainteté du saint de l’ordre en comparant sa vie à celle du Christ. D’autre part, il s’adressait aux membres du chapitre en leur imposant des principes et des exemples qui devaient guider leur réflexion : les personnifications des pendentifs rappelaient les fondements moraux de la communauté tandis que les quatre docteurs de la voûte proposaient des exemples édifiant d’entendement et de sagesse.
61La salle capitulaire du complexe dominicain de Santa Maria Novella à Florence comporte également un ensemble de fresques incluant des vertus. Plus connue sous le nom de chapelle des Espagnols, cette salle fut construite au milieu des années 1350, sous le priorat de Jacopo Passavanti (v. 1302-1357), et décorée entre 1365 et 1367 par le Florentin Andrea di Bonaiuto, également appelé Andrea da Firenze (actif v. 1343-1377)104. Les quatre voûtains figurent la Résurrection, l’Ascension, la Pentecôte et la Barque de saint Pierre. Sur le mur face à l’entrée se trouve la Passion du Christ, sur celui de gauche le Triomphe de saint Thomas d’Aquin et celui de droite l’Église militante chassant les hérétiques grâce aux domini canes et quatre personnages mondains dans un jardin qui ont parfois été interprétés comme des vices105. La complexité des thèmes développés conduit à penser que ce cycle a été élaboré par les dominicains les plus érudits de la communauté florentine, laquelle dispensait un enseignement de haut niveau grâce à son studium generale particulièrement réputé106. Il a en effet été imaginé comme une somme résumant les principes spirituels, moraux et théologiques qui devaient régir la vie du chapitre. Pour en mesurer pleinement la valeur, il est opportun de préciser que la salle n’a pas seulement accueilli le chapitre du couvent de Florence mais aussi, en 1374, soit peu de temps après la fin des travaux, le chapitre général de l’ordre et donc un public encore plus savant.
62L’image la plus dense du programme, le Triomphe de saint Thomas d’Aquin (pl. IV, fig. 21), figure le saint assis au-dessus des hérétiques vaincus avec, à ses côtés, les évangélistes, les prophètes et les rois de l’Ancien Testament, au-dessous, les sept Sciences (?) et les sept Arts libéraux en trône, et, au-dessus, les vertus théologales et cardinales en vol. Les nombreuses personnifications qui composent cette fresque amènent à supposer qu’elle s’adressait aux dominicains les plus instruits. Or, étant donné que les frères participant au chapitre se disposaient sur tout le pourtour de la salle, seule une petite partie de l’assemblée avait suffisamment de recul pour la voir convenablement. Offrant peu d’impression de profondeur, privilégiant le hiératisme et la frontalité, cet immense schéma classificateur se trouve particulièrement effectif quand il est vu dans une position opposée107. Ainsi, seuls les frères siégeant le long du mur sud, peut-être les membres les plus éminents du chapitre, pouvaient le voir d’un seul coup d’œil et en apprécier totalement la teneur. Il constituait à leurs yeux une sorte de structure ontologique de la doctrine thomiste destinée rappeler les principes qui devaient prévaloir dans l’administration de l’ordre.
63Toujours à Florence, la salle capitulaire attenante à l’église Santa Felicita montre les vestiges d’un programme qui révèlent de manière significative le statut dont les vertus étaient investies dans le monde monastique (fig. 22). Construite entre 1383 et 1387, cette salle est l’unique édifice conservé du monastère féminin bénédictin qui occupait les lieux depuis le XIe siècle. Elle consiste en un espace voûté qui repose sur des piles octogonales. Commandé par l’abbesse Costanza de’Rossi et réalisé à partir de 1387 par Niccolò di Pietro Gerini (actif v. 1368-1415), son décor associe une thématique dévotionnelle, la Passion du Christ, à des vertus. Au-dessus de l’autel est figurée une Crucifixion tandis que, dans les huit compartiments de la voûte, sont peints le Christ bénissant et les sept vertus théologales et cardinales. La présence des vertus est particulièrement insistante dans ce lieu. Chaque personnification est figurée en buste strictement de face et s’inscrit dans un médaillon de 90 centimètres de diamètre qui occupe la quasi-totalité de la surface des voûtains. Elles se détachent ainsi nettement et s’affirment comme les images dominantes du décor. Cet effet était probablement très efficace lors des chapitres. Les membres de l’ordre, une fois entrés dans la salle, devaient se sentir littéralement scrutés par le regard des valeurs morales. De ce point de vue, les vertus remplissaient la même fonction que celles qui apparaissaient dans les lieux de décisions politiques, à savoir guider la réflexion et les agissements de l’élite.
Dans les palais civiques
64À partir de la fin du XIIIe siècle, les cités-républiques du Nord et du centre de la péninsule italienne se lancent dans la construction de palais municipaux destinés à afficher leur nouvelle indépendance. Emblème de la cité, le palais devient à la fois le lieu d’exercice et la métaphore architecturale du pouvoir politique108. Il n’est plus la demeure privée de l’autocrate, mais un édifice appartenant à la commune et fait, à ce titre, l’objet de toutes les attentions des autorités : il s’accommode de grandes loggias destinées aux déclarations publiques et de vastes salles servant à accueillir les assemblées du peuple. Il est également au cœur du système de communication politique. L’intérieur est décoré de fresques – revêtement bon marché – dans lesquelles le gouvernement affiche ses convictions et ses aspirations.
65Ces édifices sont souvent désignés par l’expression « palais public ». Si cette dénomination rappelle avec justesse que les palais matérialisent l’idéal républicain de l’ensemble des citoyens d’une ville et parfois de son contado, elle suggère aussi – parfois à tort – que ceux-ci étaient ouverts à quiconque souhaitait y entrer. Or, pour comprendre la portée des fresques qui couvrent leurs murs, il est nécessaire de s’interroger sur les personnes qui étaient les plus à même de les fréquenter. Le Palazzo Pubblico de Sienne offre à cet égard un exemple intéressant puisqu’il constitue le palais du Trecento le mieux préservé et celui qui comporte le plus d’images des vertus et des vices.
66Quelques historiens ont tenté de brosser un portrait du public qui fréquentait le palais communal siennois109. Selon John Larner, par exemple, ce bâtiment était ouvert à tous les citoyens110. La citoyenneté ne concernait toutefois pas l’ensemble de la population111. Les femmes en étaient exclues. Certains citoyens étaient par ailleurs plus familiers du palais que d’autres. Souvent logés en son sein, y travaillant quotidiennement, les membres du gouvernement et le personnel administratif constituaient un public privilégié. À ce public permanent s’ajoutaient les officiers du contado, les juristes, les notaires et les ambassadeurs qui le visitaient occasionnellement et qui avaient une culture suffisamment érudite pour comprendre la signification des programmes décoratifs.
67Pour parvenir à identifier plus précisément les publics, il faut prendre en compte la fonction exacte de chaque salle. L’intérieur du palais suit un plan conventionnel. Le rez-de-chaussée comprend une cour, des bureaux et des espaces de rangement tandis que le premier étage est dévolu en majeur partie aux salles de réunion. La salle de la Mappemonde a été la première salle aménagée à l’étage (v. 1304-1310). Elle était destinée à accueillir le conseil général de la république qui comptait un nombre important de participants : 300 membres permanents, auxquels pouvaient s’ajouter 150 autres membres, le podestat et ses juges, le Maggior sindaco et la Seigneurie112. La Maestà (fig. 23) que Simone Martini (v. 1280-1344) y a peinte vers 1312-1321 était destinée à ce public, comme l’indique les vers inscrits sur les marches du trône de la Vierge qui leur étaient directement adressés :
Les fleurs angéliques, roses et lys,
dont s’orne la céleste prairie,
ne me délectent pas plus que les bons conseils.
Mais je vois parfois que certains, par leurs ambitions,
me méprisent et trompent ma cité
et que, plus vil est leur propos, plus ils sont loués.
Que chacun regarde qui ces paroles condamnent.113
68Selon l’hypothèse avancée par Alessandro Bagnoli, ces vers auraient été ajoutés lors de la « restauration » de la fresque que Simone Martini a effectuée en 1321, à la suite de la sanglante émeute de 1318 qui avait dressé les charcutiers, les notaires et plusieurs familles nobles contre les Neuf114. La nécessité d’une remise à jour du message confirme, s’il en était besoin, la fonction communicative du décor du palais.
69Attenante à la salle de la Mappemonde (fig. 24), la salle des Neuf concernait un public plus restreint. Elle était en effet réservée aux réunions du conseil des Neuf. Institué en 1287, ce conseil était composé de citoyens élus qui résidaient à l’intérieur même du palais, dans l’aile est, pendant toute la durée de leur mandat. Vers 1338-1340, Ambrogio Lorenzetti y peint l’ensemble du Bon et du Mauvais gouvernement. Même si, comme le rappelle Patrick Boucheron, d’autres citoyens avaient accès à la salle, ce cycle a, semble-t-il, été spécialement pensé pour les Neuf, peut-être même pour des moments particuliers de leur déplacement115. Au Trecento, les Neuf entraient par une porte ‒ aujourd’hui murée – située à l’extrémité sud du mur est. La première fresque qui s’offrait à eux était donc celle du Mauvais gouvernement, notamment la personnification de la Peur planant au-dessus du contado qui devait les préparer à fuir les formes de gouvernement tyrannique. Pendant le conseil, ils siégeaient vraisemblablement sous la fresque du mur nord, c’est-à-dire sous le Bon gouvernement. Ils bénéficiaient ainsi du regard tutélaire des vertus et pouvaient être visuellement associés au gouvernement idéal qui se déployait au-dessus d’eux. Pour sortir, ils empruntaient la porte du mur septentrional, qui les conduisait à leurs appartements, de sorte que la dernière image qu’ils voyaient avant de reprendre leurs activités ordinaires était celle des vertus. Le cycle était donc conçu pour que les dirigeants ne se défassent jamais de l’image des valeurs morales, comme l’atteste la légende inscrite sous le Bon gouvernement qui les invite à ne pas « […] détourner leur regard des visages rayonnant des vertus […]116 ».
70À proximité de la salle des Neuf, l’anté-chapelle propose un autre exemple de la manière dont le décor s’adaptait à la fonction des salles. Au XVe siècle, ce lieu singulier remplissait plusieurs rôles. D’abord, comme son nom l’indique, en étant placé devant la chapelle, il facilitait la transition du civique au spirituel. Ensuite, étant contigu à de nombreuses autres salles, il constituait un passage souvent fréquenté car il assurait la liaison entre la salle de la Mappemonde, la salle du Consistoire et celle du Baillage. Enfin, en servant de couloir d’accès à la salle du Consistoire, il faisait office d’antichambre. Gail E. Solberg a ainsi noté la présence de graffiti dans le soubassement de son décor qui prouvent qu’il a servi de salle d’attente117. Les vertus et les Hommes illustres que Taddeo di Bartolo y a peints en 1414 devaient donc s’adapter à différents publics. Ils s’adressaient à la fois aux dirigeants qui se rendaient à l’office célébré dans la chapelle, aux magistrats et aux conseillers qui passaient d’une salle à l’autre, et aux ambassadeurs ou aux hôtes qui attendaient d’être reçus dans la salle du Consistoire.
71Ces différents cycles prouvent finalement que dans la société civique du Trecento l’imagerie morale s’adaptait au public visé et que, loin d’être énigmatiques, les personnifications visaient à être intelligibles. Sur ce point, les fresques que Cola di Rienzo (v. 1313-1354) fait peindre à Rome sont particulièrement instructives118. Cola di Rienzo est un lettré romain, ami de Pétrarque et grand admirateur de l’Antiquité, qui s’engage en 1343 dans une carrière politique avec pour ambition d’unifier l’Italie et de restaurer la grandeur passée de sa ville natale. Pour ce faire, à partir de juillet 1344, il développe un programme reposant sur l’ordre moral, la rénovation de la justice et la dénonciation des dérives de la noblesse romaine, entre autres des puissantes familles Orsini et Colonna119. Deux ans plus tard, avec le soutien du légat du pape, il prend le pouvoir et est élu tribun et libérateur de la République. Afin de légitimer plus efficacement son intervention, il fait réaliser des étendards pour les cortèges et des fresques pour les édifices publics qui célèbrent les vertus du régime qu’il compte instaurer, la Justice, la Foi, la Concorde et la Paix. La chronique d’un anonyme romain, écrite entre 1357 et 1360, laisse entendre que ces images, pourtant relativement compliquées, étaient faites pour s’adresser au plus de personnes possible120. Voici notamment comment elle décrit les réactions de la population devant la fresque peinte sur la façade de l’église de San Angelo in Pescheria, laquelle figurait la personnification de Rome sauvée d’un incendie par un ange et une colombe – autrement dit par Cola di Rienzo – à la demande des deux saints protecteurs de la ville, Pierre et Paul :
La foule qui confluait à San Angelo regardait ces figures. Beaucoup disaient que c’étaient des vantardises et riaient. Certains disaient : « Il faut autre chose que des figures pour améliorer la situation de Rome. » Quelqu’un disait : « C’est une grande chose, elle a une grande signification. »121
72Comme le prouve la chronique, la fresque conçue par Cola remplit parfaitement sa mission, celle de véhiculer un message audible et compréhensible par tous.
LES PROPRIÉTÉS MNÉMONIQUES DES PERSONNIFICATIONS MORALES
73Afin de saisir l’intégralité des principes qui régissent les personnifications, il est nécessaire d’examiner le processus qui mène à leur création. Les personnifications revêtent un statut particulier au sein du répertoire artistique puisque, en tant que figurations de notions, elles mettent grandement à contribution le processus créatif en cherchant à rendre l’insaisissable appréhendable et mémorisable. Il est admis depuis l’Antiquité que l’esprit saisit plus facilement les notions qui prennent des formes concrètes et tangibles122. L’invention de figures capables de matérialiser des idées abstraites s’inscrit dans cette perspective, c’est pourquoi il convient d’exposer comment, à partir du XIIIe siècle, le regain d’intérêt porté aux arts de la mémoire constitue un préalable propice à l’invention des personnifications, et de quelle manière, au XIVe siècle, les vertus se trouvent de ce fait investies de nombreuses propriétés mnémoniques.
La mémoire à la fin du Moyen Âge comme engagement moral
74Certes, l’art de la mémoire est avant tout un art intérieur : ses inventions ne se donnent pas à voir dans la mesure même où elles ne servent qu’à permettre de se souvenir de ce dont on parle. Toujours est-il que la mnémonique est étroitement liée au processus de création artistique, comme l’ont démontré les travaux pionniers de Frances Yates et les études plus récentes de Mary Carruthers et de Lina Bolzoni123. Les nombreuses personnifications des vertus qui apparaissent au Trecento lui sont grandement redevables. D’une part, parce qu’en tant que figurations de notions morales, elles sont étroitement liées à la mémoire : la mémoire étant une partie efficiente de la Prudence, c’est elle qui permet de bien agir. D’autre part, parce qu’elles sont accompagnées d’un véritable discours de la méthode, entre autres grâce aux nombreux traités qui la vulgarisent au XIIIe siècle.
La mnémonique comme contribution à la Prudence
75Suivant l’héritage cicéronien, le Moyen Âge considère la mémoire non seulement comme un savoir-faire mais aussi comme une vertu morale en soi124. Dès le début du XIIIe siècle, les traités sur la rhétorique développent considérablement cette dimension. La Rhetorica novissima de Boncompagno da Signa (v. 1165-1240) fait ainsi de la mémoire une qualité innée digne des vertus et une condition primordiale de l’aspiration suprême du chrétien. Selon Boncompagno, la mémoire doit permettre au fidèle d’obtenir le Salut en se rappelant inlassablement « […] les joies invisibles du Paradis et les tourments éternels de l’Enfer125 ». Les mêmes préoccupations apparaissent chez le fameux prédicateur Giordano da Pisa(v. 1255-1311) qui assure que si les hommes gardaient en mémoire l’Enfer, ils ne pécheraient certainement plus126. Les grands docteurs de la scolastique conçoivent également la mémoire comme une véritable activité vertueuse. Dans le De bono, saint Albert le Grand (v. 1193-1280) sort définitivement la mémoire de sa dimension rhétorique pour la placer au cœur de la philosophie morale. Reprenant la thèse cicéronienne, il en fait la plus nécessaire des propriétés de la Prudence et la qualité principale qui conduit au bien agir127. Thomas d’Aquin s’inscrit dans le droit fil de son maître et fait de la mémoire une composante indispensable des vertus. Pour lui, elle est la somme de tous les savoirs, tant pratiques que spéculatifs, qui permet à la Prudence de façonner notre vie morale et de bien vivre. La définissant comme un habitus, c’est-à-dire comme une faculté ou une disposition de l’âme, saint Thomas la conçoit comme le maillon décisif entre la notion du Bien et le bien agir, entre la notion de Prudence et le comportement prudent. Il souligne en outre sa dimension temporelle. Magasin des souvenirs, la mémoire s’inspire, selon lui, des expériences passées pour envisager le futur :
Or, ce qui est vrai dans la plupart des cas, on ne peut le savoir que par l’expérience, aussi dans l’Éthique, le Philosophe dit que la vertu intellectuelle naît et grandit grâce à l’expérience et aux temps. À son tour, l’expérience est le produit d’un grand nombre de souvenirs, dit-il encore dans la Métaphysique. En conséquence, il est requis pour la Prudence d’avoir beaucoup de souvenirs.128
76Toujours plus soucieuse de ses souvenirs, la Prudence devient une vertu résolument tournée vers le passé, une vertu du temps et de la mémoire. L’idée était fortement présente dans la culture laïque, comme en témoigne Cecco d’Ascoli qui considère que c’est par le souvenir que la Prudence maintient l’homme dans l’état de félicité129. Les mêmes aspirations guident un simple marchand comme Paolo da Certaldo (v. 1320-1370), pour lequel la Prudence influe sur tous les moments de la vie parce que celle-ci permet de prévoir en pensant au « […] temps passé, au temps présent et au temps qui peut avec raison arriver […]130 ».
77Dans le domaine des arts, l’iconographie met tardivement en valeur la temporalité de la Prudence131. La vertu connaît divers attributs tout au long du Moyen Âge : l’Anticlaudianus d’Alain de Lille (v. 1128-1202) lui donne une balance pour mesurer le poids des choses à la manière de la Justice, l’art carolingien lui attribue un livre, symbole de connaissance et de sagesse, les XIIe et XIIIe siècles font souvent appel au serpent pour signifier son discernement132. C’est seulement à partir de la première décennie du XIVe siècle que son iconographie met en valeur ses propriétés mnésiques. Les artistes italiens lui donnent alors la forme d’un être bicéphale qui se regarde dans un miroir : la face figurée sur l’arrière de son crâne montre qu’elle se souvient toujours du passé, tandis que le reflet de son visage indique qu’elle sait prévoir l’avenir. Giotto ouvre la voie à cette nouvelle formule sur les murs de la chapelle Scrovegni où il figure la Prudence en train de se regarder dans un miroir (fig. 25). Le maître ne la peint certes pas encore avec une tête vraiment bicéphale, mais joue volontairement sur une certaine équivoque puisqu’il donne à la touffe de cheveux attachés derrière sa tête les traits approximatifs d’un deuxième visage133. Cette excroissance étrange montre qu’une nouvelle iconographie est en gestation.
78Les Vele d’Assise proposent une version plus aboutie quelques années plus tard. Dans le Triomphe de l’Obéissance (fig. 26), la Prudence est figurée comme un être incontestablement bicéphale : un deuxième visage, fixé à l’arrière de son crâne, à la manière d’un masque, est résolument tourné vers le passé. Cette fois en revanche, à la différence de l’iconographie de Padoue, la personnification ne regarde pas dans un miroir mais tourne celui-ci en direction du frère agenouillé devant l’Obéissance. L’inscription qui se déroule sous la fresque précise : la Prudence « […] sait prévoir l’avenir, et sait laisser derrière elle le présent. Comme par le diviseur et le compas, elle règle tout ce qui est à faire, et à travers le miroir de la vertu tremble l’Obéissance […]134. » En d’autres termes, pour les franciscains, la Prudence déclenche le repentir par les souvenirs qu’elle procure et stimule durablement la pénitence par la promesse du Salut.
79Image édifiante de la connaissance accumulée, la tête à deux visages devient rapidement un trait constant de la vertu cardinale. Pour insister sur ses capacités mnésiques surnaturelles, les artistes donnent souvent à l’un des deux visages l’aspect d’une vieille femme ou d’un vieil homme, comme au Cappellone San Nicola à Tolentino ou dans la salle capitulaire de Santa Felicita à Florence. Ils s’appliquent ainsi à cultiver l’opposition entre les âges. Contrastant avec la jeunesse du visage facial, la vieillesse du visage occipital suggère l’ancienneté des souvenirs qui habitent la vertu. L’iconographie s’enrichit encore durant la seconde moitié du XIVe siècle. Les peintres comme les sculpteurs donnent alors plus précisément forme aux préceptes cicéroniens en inventant une personnification tricéphale. C’est ainsi que le Tombeau de saint Augustin, réalisé par l’école de Giovanni di Balduccio vers 1350-1360 dans l’église San Pietro in Ciel d’Oro à Pavie, figure la Prudence avec une tête conjuguée aux trois temps (fig. 27).
80Au motif de la tête à deux ou trois visages, les artistes ajoutent enfin des formules qui visent à souligner les facultés sapientielles extraordinaires de la vertu. Ils équipent ainsi la personnification d’attributs qui proviennent du monde des sciences : un compas à la chapelle Scrovegni, un astrolabe à Saint-François d’Assise, une sphère armillaire à la chapelle Baroncelli ou un sablier dans le Bon gouvernement du Palazzo Pubblico. Ces instruments de mesure, à la fois mathématique, géographique, astronomique et temporel, traduisent la parfaite clairvoyance de la Prudence et sa capacité surnaturelle à évaluer l’incommensurable. L’ampleur de son savoir se trouve également mise en lumière par l’emploi de diagrammes classificateurs, comme dans les Documenti d’amore de Francesco da Barberino où la personnification scrute un schéma concentrique dans lequel sont inscrites les propriétés qui la constituent (fig. 28). Cette formule est particulièrement heureuse : elle parvient à confondre la personnification avec les méthodes mémorielles.
Le renouveau de la mnémonique au service des vertus
81Au XIIIe siècle, l’intérêt que le milieu monastique porte à la mémoire s’accompagne de la redécouverte de la mnémonique antique. L’emploi de schémas visuels comme aides pour la mémoire se développe alors à partir de l’ars memoriae de la rhétorique classique dont les principales sources sont le De inventione de Cicéron, qui le décrit sommairement, le livre III de la Rhetorica ad Herennium, attribué durant tout le Moyen Âge à Tullius (Cicéron), et le livre XI du De institutione oratoria de Quintilien. C’est la Rhetorica ad Herennium qui est la plus prolixe sur le sujet. Ce manuel définit deux sortes de mémoire : l’une naturelle, avec laquelle l’homme serait né ; l’autre artificielle, c’est-à-dire renforcée par le travail. « La mémoire naturelle est celle qui est innée dans notre esprit et qui a pris naissance en même temps que notre pensée. La mémoire artificielle est celle que renforcent une espèce d’apprentissage et des règles méthodiques135. » Selon le même manuel, la mémoire artificielle consiste en l’établissement d’un itinéraire réglé dans une série de lieux architecturaux, « […] par exemple, une maison, un entrecolonnement, une pièce, une voûte et d’autres choses semblables136 ». Une fois ces séries de lieux apprises par cœur de façon à pouvoir les parcourir mentalement, il faut fabriquer et placer dans chacun des lieux des images des objets que l’on veut mémoriser137. Attachée à une notion ou à une idée, cette image déclenche la remémoration et permet ainsi à l’orateur d’argumenter son discours.
82Les traités attribués à Cicéron ou à Quintilien sont parfaitement connus au Moyen Âge. Considérés comme des ouvrages de référence en matière de rhétorique, le De inventione et la Rhetorica ad Herennium sont souvent copiés à la suite l’un de l’autre dans un même manuscrit. Ils prennent alors le nom de Prima et Seconda Rhetorica. Même s’il est probable que leur connaissance ait été lacunaire, leur popularité est attestée par le nombre élevé de copies exécutées entre le XIIe et le XIVe siècle. Durant cette période, l’art de la mémoire connaît un profond renouveau grâce à la relecture qu’en font les scolastiques, en premier lieu Albert le Grand. Dans le De bono, le dominicain fait une longue analyse de la mémoire artificielle et de la technique romaine des lieux et des images, dans laquelle il reprend les préceptes de la Rhetorica ad Herennium en tentant de les adapter aux conditions du XIIIe siècle. D’après lui, la mémoire artificielle est un bien nécessaire qui permet de perfectionner les capacités de la mémoire naturelle et de guider celui qui la pratique sur le chemin de la vertu138. Ses réflexions sont prolongées par son élève Thomas d’Aquin. Glosant Cicéron et Aristote, l’éminent théologien expose dans la Somme théologique les quatre principes mnémoniques qui doivent obligatoirement régir la mémoire :
Le premier [moyen] est que l’on choisisse des similitudes adaptées à ce que l’on veut se rappeler, à condition toutefois qu’elles ne soient pas trop banales ; car ce qui est inhabituel nous étonne davantage […]. Le deuxième moyen est que l’on s’exerce à disposer dans un certain ordre ce que l’on veut se rappeler, de sorte que l’on passe facilement d’un souvenir à l’autre […]. Le troisième moyen est que l’on porte de l’attention et de l’affection à ce que l’on veut se rappeler, parce que plus une chose a fait impression sur l’esprit, moins on l’oublie […]. Le quatrième moyen est de méditer fréquemment ce que l’on veut se rappeler.139
83Trouvant des justifications dans l’Éthique à Nicomaque, où Aristote écrit que l’excellence morale – éthos – résulte de l’habitude140, Thomas d’Aquin fait de l’art de la mémoire une pratique qui permet d’accéder à la vertu. Selon lui, c’est par la répétition d’attitudes ou d’actes – habitus – dont nous gardons le souvenir que l’homme est prédisposé à agir convenablement et vertueusement. L’entraînement de la mémoire est d’ailleurs proche de la définition que saint Thomas donne de la vertu elle-même : la vertu proviendrait des mœurs, « […] de cette signification l’autre est du reste toute proche, celle qui veut dire coutume, car la coutume vient en quelque sorte de la nature et produit un penchant qui ressemble à une inclination naturelle141 ». En faisant de la mémoire un habitus, le dominicain transforme la mnémonique en une pratique de la vertu. Devenue obligation éthique, celle-ci va trouver de nombreuses applications dans tous les secteurs de la vie sociale et en premier lieu dans la prédication.
L’art de la mémoire dans la prédication et sa vulgarisation
84Sous l’influence des scolastiques, les prédicateurs adoptent rapidement la méthode de la mémoire artificielle pour apprendre leurs prêches142. C’est notamment le cas de Giovanni da San Gimignano (v. 1260-v. 1340) qui reprend exactement les quatre règles de saint Thomas, à savoir disposer dans un ordre déterminé les choses à se rappeler, s’y rattacher avec intérêt, les ramener à des symboles inhabituels et les méditer fréquemment143. Les dominicains comme les franciscains inventent ainsi des images ayant pour vocation d’être les plus marquantes possibles. Certaines de ces figures apparaissent dans le Fulgentius metaforalis, compilation d’exempla attribuée au franciscain John Ridewall (?-v. 1340), où plusieurs personnifications sont élaborées suivant la troisième règle de saint Thomas144. L’Idolâtrie est par exemple imaginée comme une prostituée aveugle, aux oreilles mutilées et au visage défiguré, accablée de maladies et qui est chassée par le son de plusieurs trompettes. Chaque élément de cette image doit guider le prédicateur dans son argumentation : comme une prostituée, l’Idolâtrie abandonne Dieu pour la fornication ; elle est aveugle et sourde parce qu’elle est née de la flatterie ; son visage est triste et défiguré parce qu’une des causes de l’Idolâtrie est l’angoisse immodérée. Pour faciliter le processus de mémorisation, des vers simples et rimés accompagnent la description du texte : Mulier notata, oculis orbata/ aure mutilata, cornu ventilata/ vultu deformata et morbo vexata. Des images mentales analogues se trouvent dans le manuel franciscain du Fasciculus morum145. La Prière y est imaginée comme un beau jeune homme, au corps enflammé, muni d’une longue lance qui regarde en direction du ciel et qui est supporté par quatre anges munis de parchemins. Dans les Moralitates attribuées au dominicain Robert Holcot (v. 1290-1349), la description de la Charité montre à quel point ce genre d’invention abonde de détails visant à favoriser le processus de remémoration :
Nul ne peut dire quel visage a la Dilection, quelle apparence, quelle stature, à quoi ressemblent ses mains et ses pieds. Mais elle a des pieds, puisqu’ils conduisent à l’Église. C’est pourquoi, à partir de cette image, la Charité ou la Dilection, peut être décrite comme une reine placée sur un trône, de stature élevée, mariée à Phébus, nourrie de miel, au visage quadruple et aux habits dorés, ayant les mains ruisselantes et tendues, les oreilles ouvertes et attentives, des yeux enflammés, et des pieds de chèvre.146
85Toutes ces images n’ont assurément jamais été inventées pour être figurées par les arts visuels. D’ailleurs, aucun des nombreux manuscrits des Moralitates de Robert Holcot ne contient d’illustrations. L’ouvrage qualifie de « peinture » chacune des images mnésiques en les signalant par le mot pictura écrit en marge, mais il est lui-même totalement dépourvu d’enluminures. Vu leur complexité, il est fort probable que beaucoup d’entre elles auraient été impossibles à reproduire et qu’elles étaient exclusivement destinées à la formation de projections mentales. Toutefois, même sans chercher à trouver des sermons ou des manuels de prédications qui auraient directement servi de modèles iconographiques, on peut présumer que le mode de fabrication mnésique développé par les ordres mendiants a influencé le processus de création artistique147. Quelques ouvrages de la fin du Moyen Âge laissent même penser que des enluminures ont été exécutées dans un but mnémonique148. Dans une étude consacrée à l’un des manuscrits de la Glose des échecs amoureux d’Evrart de Conty ( ?-1405), Madeleine Jeay a ainsi judicieusement supposé que les seize images des dieux antiques qui ponctuent le texte « […] fonctionnent comme procédés mnémotechniques destinés à intégrer en une seule image un ensemble de données et de connaissances149 ». Dans la péninsule italienne, les enluminures des Documenti d’amore de Francesco da Barberino procèdent de la même méthode puisqu’elles glosent le texte en donnant forme aux images intérieures suscitées par les commentaires. Comme l’atteste cet exemple, les traités de moralité ont dû jouer un rôle déterminant dans le processus de vulgarisation des techniques mémorielles.
86Contrairement aux siècles précédents où la rhétorique est presque exclusivement l’affaire des abbés, des prêtres, des moines ou de quelques membres de l’aristocratie, la pratique mnésique s’étend à d’autres strates de la société. De nombreux traités rédigés en vulgaire par des laïcs ou par des clercs tendent à démontrer qu’elle ne constituait pas un phénomène marginal, confiné à quelques cercles d’érudits, mais qu’elle tenait une place centrale dans l’édifice culturel italien. C’est à Bologne, dans le contexte du renouveau de la rhétorique antique, qu’apparaissent les premiers commentaires laïcs sur la mémoire150. En 1221, Bene da Firenze (?-1239) rédige en latin un court traité sur la rhétorique, le Candelabrum seu summa recte dictandi, dans lequel il distingue la mémoire naturelle de la mémoire artificielle151. À la même époque, Boncompagno da Signa écrit le Rhetorica novissima, ouvrage promis à un grand succès, dont la huitième partie, intégralement consacrée à la mémoire, énumère les signes communs qui peuvent servir d’auxiliaires mnésiques152. À la fin du XIIIe siècle, l’engouement des laïcs pour la mnémonique ne cesse de croître. Dans sa vulgarisation pionnière du De inventione de Cicéron, Brunetto Latini reprend les principes des Anciens et des scolastiques sur les deux sortes de mémoire et voit dans la mémoire artificielle une science qui permet de « […] retenir les choses que nous avons entendues ou trouvées ou apprises grâce à quelques sens du corps153 ». Le Florentin vulgarise ici l’idée thomiste selon laquelle la mémoire est un ensemble d’habitudes qui conduit au vertueux.
87Bien évidemment, les ordres mendiants jouent un rôle décisif dans la propagation de ce savoir. Dès le XIIIe siècle, les traductions en vernaculaire de la Rhetorica ad Herennium contribuent à mettre les techniques antiques à la portée des lecteurs non latinistes. La plus célèbre de ces traductions, la Fiore di rettorica, est rédigée entre 1258 et 1266 par le dominicain Guidotto da Bologna154. À ces vulgarisations s’ajoutent de nombreux commentaires de mnémonique simplifiée, comme les Ammaestramenti degli Antichi du dominicain Bartolomeo da San Concordio (1262-1347) qui comprend un traité de techniques mémorielles, le Trattato della memoria artificiale, qui développe une partie des préceptes d’Aristote, de la Rhetorica ad Herennium et de saint Thomas155.
88Ces différentes sources conduisent à supposer que la mnémonique a constitué un outil indispensable à l’éclosion de la rhétorique humaniste. C’est ce que laisse entendre une lettre que Pétrarque rédige en 1355 à l’attention de deux amis génois, Luchino dal Verme (1320-1372) et un certain Giovanni Fedolfi da Parma. L’humaniste florentin y décrit une image intérieure, celle d’un arbre, sur laquelle il invite ses deux amis à méditer. En réponse, ceux-ci lui envoient la reproduction de l’image mentale peinte sur parchemin tout en pressant l’humaniste de bien vouloir leur expliquer la signification de la métaphore. Pétrarque renvoie aussitôt une lettre dans laquelle il précise que cet arbre cultivé par les anciens bergers se compose de quatre branches principales symbolisant les quatre vertus cardinales et que, grâce à l’agriculteur céleste qui a labouré la terre, c’est-à-dire le Christ, il est devenu un arbre à sept branches puisqu’aux vertus cardinales sont venues s’adjoindre les trois vertus théologales. À la suite de son explication, Pétrarque ajoute :
L’arbre que je t’avais décrit à ma manière, tu l’as dessiné avec des couleurs variées, en mémoire de cette sentence horatienne selon laquelle « ce qui pénètre par les oreilles stimule plus faiblement l’âme que ce qui est placé sous les yeux fidèles ».156
89Cet échange de lettres est triplement instructif. D’abord, il nous informe que les premiers humanistes s’approprient l’imagerie monacale – ici, celle de l’arbre des vertus – pour composer leurs propres images mémorielles. Ensuite, il suggère que le rapport entre la pratique mémorielle et la morale est autant exploité par la société laïque que par les clercs. Enfin, il montre que les images intérieures et figurées se confondent et que les images morales s’imaginent autant qu’elles se figurent.
La mise en œuvre des artifices mnémoniques
90Même si la mémoire est surtout décrite comme une technique que les individus exploitent à leur convenance, en choisissant leurs lieux et en façonnant leurs propres images, il est possible que la généralisation de cette pratique et la diffusion de son enseignement par des exemples aient conduit à la constitution et à la transmission progressive d’un capital commun d’images et de lieux. Une pareille collectivisation des outils mnémoniques invite par conséquent à en chercher des traces dans la constitution des vertus.
Les loci
91Depuis l’origine du christianisme, la mémoire est considérée comme un immense conglomérat d’espaces dans lesquels s’accumule une quantité incommensurable de savoirs157. La littérature morale développée par les milieux monastiques s’est ingéniée à organiser et à rationnaliser cet immense univers intérieur. L’imagerie italienne se situe dans le droit fil de cette question, comme l’atteste l’iconographie des vertus, lesquelles s’insèrent souvent dans de grands ensembles rigoureusement structurés. L’organisation générale du Triomphe de saint Thomas d’Aquin (fig. 21) obéit à ce genre de schéma. Les différentes figures qui constituent la fresque, depuis les vertus théologales jusqu’aux représentants des arts libéraux en passant par saint Thomas, sont réciproquement liées. Chaque élément n’a de sens qu’en référence aux autres et, comme dans une image de mémoire, chaque composant en appelle un autre. Le Triomphe de saint Augustin (fig. 1) adopte la même forme de dispositif. Certaines personnifications vont jusqu’à faire office d’index en énumérant les vertus subsidiaires à la manière d’un organigramme, comme la Prudence qui tient un arbre dont les fruits servent de lieux secondaires occupés par des inscriptions. Le thème obéit aux mêmes règles dans le monde civique. Le Bon gouvernement (fig. 29) se déploie ainsi sur trois niveaux superposés qui mettent en lumière les interdépendances régissant la pratique du pouvoir. À Asciano, les fresques du Palazzo Corboli (fig. 30), attribuées à Cristoforo di Binduccio et Meo di Pero et réalisées vers 1350-1375, s’agencent en plusieurs médaillons, figurant les Vertus cardinales et leurs exemples, le Jugement de Salomon, le Songe de Nabuchodonosor et la Légende de Barlaam, qui prennent la forme de diagrammes rappelant les schémas mnésiques monastiques.
92Si l’ordre et l’agencement sont les caractéristiques les plus flagrantes de la mnémonique, il convient aussi de prendre en considération l’aspect des lieux que les personnifications occupent. Les loci obéissent à des règles rigoureuses : ils doivent être variés, de taille moyenne, c’est-à-dire ni trop grands ni trop petits, ne pas être trop éclairés ou trop sombres, et être établis suivant des intervalles réguliers. Le De memoria artificiali adquirenda de Thomas Bradwardine (v. 1290-1349) apporte des précisions utiles sur ces différents points158. Selon le mathématicien anglais, les loci consisteraient en des espaces lumineux, ouverts et dépourvus de trop grandes particularités risquant de distraire l’attention. Ils doivent également se différencier les uns des autres par la variété des couleurs et être d’une taille qui ne soit pas supérieure à ce que la vue perçoit d’un seul coup d’œil. Il est aujourd’hui reconnu que les compartiments dans lesquels figurent les personnifications sont grandement redevables à ces règles. Frances Yates a naguère attiré l’attention sur la nature mnémonique des niches qui accueillent les vertus et les vices dans la chapelle Scrovegni, tandis que, plus récemment, Sven Georg Mieth a fait de l’ensemble de sa décoration une sorte de « domus mnemotecnica159 ». De fait, à la manière des emplacements décrits par Thomas Bradwardine, les niches peintes par Giotto sont régulièrement disposées sur les murs, elles ne sont pas trop espacées les unes des autres afin d’être facilement parcourues du regard et sont suffisamment grandes pour accueillir les personnifications et pour être vues d’un seul coup d’œil.
93Pour faciliter la mémorisation, il est aussi conseillé de choisir des lieux courants. Thomas Bradwardine précise que les emplacements réels sont préférables aux emplacements imaginaires ou fictifs parce qu’on peut les revoir fréquemment, ce qui permet, à la longue, d’en acquérir une connaissance parfaite. Albert le Grand conseille ainsi aux moines et aux clercs de se servir d’une église, d’un cloître ou d’un hospice pour constituer des séries de lieux160. Le Triomphe de l’Obéissance (pl. IV, fig. 31) évoque cette astuce mnésique. L’image est en effet composée d’une salle capitulaire et d’un portique ouvert sur un jardin à la manière d’un cloître, de sorte que l’entrecolonnement de l’architecture détermine des cases qui permettent de séparer les vertus – l’Obéissance, la Prudence et l’Humilité – de la foule des anges qui s’avance à l’entrée de la salle, comme devaient le faire les loci décrits par les Anciens.
94L’intercolumnium est sans aucun doute le locus le plus fréquemment utilisé car il permet d’isoler chaque image tout en constituant des séries. Ainsi, dans les Documenti d’amore de Francesco da Barberino, les quatre vertus de Sollicitude, de Persévérance, de Vérité et de Force sont placées entre des colonnes réunies par des arcades (fig. 32). Ayant une parfaite connaissance du corpus des auteurs antiques et des Pères de l’Église, Francesco da Barberino maîtrisait probablement en expert les techniques mémorielles. Les personnifications figurées dans son traité sont toutes insérées dans des lieux qui correspondent bien aux caractéristiques du locus. L’emplacement de la Justice (fig. 33), par exemple, est conçu comme un espace rectangulaire, ni trop grand, ni trop petit, convenablement éclairé, dont le décor est suffisamment sobre pour ne pas distraire l’attention, mais assez différent pour qu’il se distingue des autres lieux. Les loci de Francesco da Barberino sont de surcroît conçus comme de véritables « boîtes » ouvertes sur l’extérieur : ils ne montrent pas seulement des images, mais contiennent réellement les idées à retenir.
95Il est effectivement nécessaire que les images des notions à mémoriser occupent de leur présence les loci dans lesquels elles sont figurées, car, comme l’affirme Cicéron, « […] un corps ne peut se comprendre sans un lieu161 ». Les emplacements sont de ce fait souvent pourvus d’un effet de profondeur qui permet d’investir les personnifications d’une présence véritable. Les niches polylobées qui abritent les vertus théologales à la chapelle Baroncelli (fig. 13) sont ainsi équipées d’une double enveloppe qui contribue à leur donner une profondeur convaincante, proche du trompe-l’œil. L’effet tridimensionnel se trouve ici renforcé par le fond bleu qui s’ouvre derrière les personnifications et qui, par son indétermination, permet à l’observateur de concentrer son attention sur l’image à mémoriser. Pour qu’elle puisse s’inscrire dans la mémoire, l’image doit en effet se détacher et, pour ce faire, le fond doit être le plus neutre possible, c’est-à-dire comporter un motif simple ou être totalement dépouillé162. Les niches de la chapelle Scrovegni obéissent parfaitement à cette exigence (cf. infra fig. 40). Les dalles de marbre placées derrière les personnifications contrastent avec l’effet de profondeur des niches et leur tonalité assez sombre tranche avec la teinte en grisaille des figures. Prenant la forme d’une page, elles font office d’emplacements tranquilles qui isolent les valeurs morales des foules agitées qui animent la vie du Christ figurée dans les registres supérieurs.
Les attributs
96Les attributs sont certainement les outils mnémoniques les plus employés par le mode figuratif de la personnification : ils constituent des symboles concis qui suscitent des associations mentales permettant de créer des enchaînements d’idées. D’après les préceptes des Anciens, il suffit de visualiser intérieurement la figure et de reprendre les unes après les autres les parties qui la composent pour retrouver toutes les données auxquelles ces parties renvoient. La Rhetorica ad Herennium dote ainsi un malade d’éléments qui permettront à l’orateur de se remémorer sa plaidoirie :
Nous placerons, à côté du lit du malade, l’accusé, avec à la main droite une coupe, dans la main gauche des tablettes et à l’annulaire des testicules de bélier. Nous pourrons ainsi nous rappeler les témoins, l’héritage et l’empoisonnement de la victime.163
97Les manuels de moralité emploient souvent cette technique, comme le Liber de moribus hominum du dominicain Jacopo da Cessola (v. 1250-1322) qui s’inspire du jeu d’échecs pour exposer les valeurs morales164. Les pièces de l’échiquier y sont décrites avec force détails, chacun de leurs attributs correspondant à un point de discours moral. Le roi, par exemple, porte la pourpre royale car son esprit et son âme doivent être vêtus de vertus morales, il tient un globe pour signifier qu’il doit gouverner et administrer son royaume et un sceptre pour montrer que c’est à lui qu’appartient le droit de faire obéir les sujets. Les traités enluminés font appel au même procédé. La Canzone delle virtù e delle scienze, datée de 1300 environ et conservée à la Bibliothèque nationale de France (Ms. Ital. 112), figure ainsi les vertus avec de nombreux attributs caractéristiques, comme l’atteste l’enluminure de la Justice (fig. 34). Assise sous la voûte céleste, la personnification tient dans la main gauche une balance et dans la main droite une épée, tandis que derrière elle se trouvent une échelle et deux anges qui lui portent conseil. D’une densité confinant à l’exhaustivité, cette peinture remplit parfaitement sa fonction mémorielle. Chaque attribut désigne en effet l’une des qualités qui sont mentionnées par le texte : la balance signifie l’équité de la vertu, l’épée sa résolution, les anges les conseils que Dieu lui prodigue et l’échelle son ascension vers les cieux.
98Peint par Nardo di Cione (?-1366) vers 1354-1357, le cycle de la chapelle Strozzi prouve que les attributs jouent un rôle tout aussi important que les personnifications elles-mêmes. Thomas d’Aquin y est figuré à quatre reprises en train de brandir les attributs que les vertus lui ont donnés en main propre (fig. 35). Les objets choisis sont suffisamment inhabituels pour rendre les vertus actives, c’est-à-dire marquantes. Ils suivent en cela les conseils de saint Thomas en personne : les images ne doivent pas être trop banales « […] car ce qui est inhabituel nous étonne davantage, et l’esprit pour cette raison le retient davantage et plus vivement […]165 ». Ainsi, en figurant la Pénitence avec la discipline comme attribut, Nardo di Cione invente une personnification à la fois suffisamment incongrue et familière pour marquer la mémoire des frères. La discipline remplissait une fonction mnémonique d’autant plus légitime aux yeux des dominicains qu’elle servait à mortifier la chair pour « rappeler » au pénitent les fautes commises. Lorsque la mnémonique était insuffisante, la mémoire du corps venait à la rescousse. C’est exactement la même iconographie qui est employée chez les franciscains dans les Triomphes de la basilique Saint-François à Assise. La Pénitence (fig. 36) tient la discipline et porte des marques de flagellation, tandis que l’Obéissance (fig. 26) pose le joug sur les épaules du frère agenouillé devant elle. Avec ce genre d’attributs, les personnifications imposaient donc un modèle de comportement autant physique que moral.
Les imagines agentes
99L’auteur de la Rhetorica ad Herennium recommande d’employer des personnifications qui soient les plus frappantes possibles, c’est-à-dire « des images qui ne soient ni muettes ni floues mais qui soient en action ». Pour ce faire, il conseille de leur conférer « une beauté exceptionnelle ou une laideur singulière », de les embellir « avec des couronnes ou des habits de pourpre » ou de les enlaidir en les imaginant « souillées de sang ou de boue ou barbouillées de rouge […]166 ». L’imagerie italienne reprend ces préceptes, surtout avec les vertus qu’elle imprègne d’une beauté remarquable. Il est vrai que les valeurs morales positives sont alors considérées comme belles, notamment au regard des théologiens qui associent la beauté à la bonté spirituelle et envisagent le beau comme une forme de resplendissement de l’être vertueux167. Cette beauté se manifeste par un hiératisme frontal et une gestuelle modérée qui sont censés mettre en valeur l’intégrité, autrement dit l’achèvement et l’harmonie168. Les vertus peintes par Ambrogio Lorenzetti dans le Bon gouvernement répondent exactement à ces critères. La Tempérance (fig. 37) incline ainsi la tête et désigne calmement de l’index de la main gauche son sablier tout en tenant avec précaution un pan de son manteau contre elle. Les traits de son visage traduisent la quiétude et la concentration, tandis que ses caractéristiques physionomiques suivent les canons de beauté de la fin du Moyen Âge : elle a des yeux étirés en amandes et des cheveux impeccablement coiffés en tresses.
100La beauté des vertus s’avère d’autant plus frappante qu’elle s’enrichit souvent d’un traitement lumineux, étant donné que, selon saint Thomas, « la beauté des corps célestes consiste principalement dans la lumière […] », car plus les corps sont proches de Dieu, plus leur luminosité est grande169. En peinture, cette « claritas » se manifeste avant tout par des nimbes dorés et rayonnants qui, à la manière de ceux des saints, exaltent la perfection des vertus. Mais elle est aussi signifiée par l’emploi de couleurs chatoyantes170. Ainsi, dans la Maestà de Massa Marittima (fig. 18), la Charité est peinte en monochrome dans un rouge-orangé lumineux tandis que la Foi et l’Espérance portent des couronnes et des plastrons ornés de pierres précieuses étincelantes.
101Du côté des vices, les artistes s’attachent également à concevoir des images marquantes. Pour ce faire, ils n’hésitent pas à figurer des personnifications laides, étranges, monstrueuses, voire grossières. En effet, prenant à contre-pied les critiques de saint Bernard de Clairvaux contre les images bizarres qui risquaient de détourner les moines de la méditation, Albert le Grand recommande avec enthousiasme l’emploi de métaphores originales pour assurer la remémoration171. Les préceptes de saint Albert s’appliquent d’autant mieux aux vices que les normes de l’esthétique médiévale correspondent à la nature éthique de ces êtres. Altération de l’intégrité, mauvaises proportions et déformation du corps sont les manifestations les plus édifiantes du péché, comme le prouve le manuscrit de la vulgarisation française de l’Éthique à Nicomaque, enluminé vers 1375 par le Maître du couronnement de Charles VI et conservé au Museum Meermanno-Westreenianum à La Haye (Ms. 10 D 1), où la Vertu se tient entre les formes du Vice incarnées, d’un côté, par un géant rustaud et, de l’autre, par un nain estropié et bossu. L’art italien cultive également ce genre d’antagonisme. Dans la chapelle Scrovegni, les agissements déraisonnés des vices contrastent fortement avec la gravité exemplaire des vertus. La fureur de la Colère (pl. V, fig. 38), par exemple, qui arrache frénétiquement ses vêtements, s’oppose à l’impassibilité de la Tempérance (fig. 4). Par sa valeur heuristique, ce type de contraste est particulièrement utile à l’art de la mémoire : il permet au regardeur de se repérer rapidement dans son propre inventaire moral.
102Dans ce répertoire mnémonique, la physiognomonie joue un rôle primordial. Les vices revêtent en effet une apparence souvent personnalisée qui permet d’établir des équivalences claires avec les comportements habituels des hommes. Les attitudes et les postures deviennent à la fois des marques de la mémoire et des traces des affections et des passions de l’âme. Pour Cecco d’Ascoli, la qualité du cœur se voit à l’aspect physique. Il ne faut donc pas faire confiance à celui qui a des sourcils touffus qui se rejoignent car sa laideur s’accompagne de belles paroles et de largesse envers les autres. L’homme qui a un nez aquilin désire vivre du bien des autres, celui qui est maigre est rempli de soucis, celui qui a un cou trapu est frauduleux, celui qui en a un long et mince est timide, et celui qui est penché est avare172. Les personnifications morales négatives sont affublées de caractéristiques dépréciatives similaires dont l’exagération conduit parfois au grotesque. La Folie peinte à la chapelle Scrovegni s’avère ainsi particulièrement ridicule : elle porte une robe en queue de pie très courte par devant et une couronne faite de plumes et de boules, et elle brandit une massue tordue qu’elle regarde fixement173. Certains vices vont jusqu’à puiser dans le répertoire du monstrueux en prenant l’aspect d’êtres hybrides, mi-hommes mi-animaux, comme dans le Triomphe de la Chasteté (fig. 36) où l’Immondice consiste en un corps d’homme avec une tête et des pattes de sanglier. Avec de telles personnifications, les peintres vont délibérément à l’encontre des règles de convenance du Trecento telles que Cennino Cennini (v. 1370-v. 1440) les résume en citant Horace : « Peintres et poètes ont toujours eu la même possibilité de tout oser : cette permission, nous la demandons et nous l’accordons tour à tour, mais pas de mêler le doux au cruel, d’unir serpents et oiseaux, agneaux et tigres174. » De la sorte, ils parviennent à créer des images choquantes qui amplifient les potentialités mnésiques des notions personnifiées tout en rendant précisément compte de leurs propriétés particulières.
Le propre des personnifications
103L’une des principales difficultés auxquelles étaient confrontés les peintres et les sculpteurs du Moyen Âge était de trouver des solutions plastiques adéquates pour figurer des abstractions. Parvenir à rendre compte de toute la complexité de chacune des vertus et de chacun des vices devait constituer un défi. Une note de Francesco da Barberino dans les Documenti d’amore laisse deviner l’ampleur de la tâche : « La nécessité et la grâce de l’amour ont fait de moi sinon un peintre, au moins un dessinateur car aucun artiste dans ces régions où j’ai commencé le livre ne me comprenait correctement175. » Si ce commentaire ne fait pas nécessairement de Francesco da Barberino l’auteur des enluminures de ses manuscrits, il indique cependant que le lettré rencontrait des complications pour trouver un artiste capable de figurer les personnifications à son goût.
104Visualiser l’invisible de manière adéquate par la vraisemblance des attitudes et des gestes, concerne d’autant plus l’art de la personnification que la puissance mimétique s’avère primordiale dans le processus de mémorisation. Celle-ci contribue en effet à rendre les personnifications plus marquantes. Dans le Tombeau de saint Augustin, l’atelier de Giovanni di Balduccio figure ainsi avec « réalisme » les signes de la mortification que s’inflige l’Obéissance (fig. 39) : le visage émacié et creusé par les rides traduit la longueur des jeûnes et des privations.
105Perdant leur statut d’abstraction, les personnifications se teintent de caractéristiques humaines qui contribuent à renforcer leur présence réelle. Elles ne font plus seulement office de figures symboliques, mais portent aussi en elles la signification des notions qu’elles figurent. Pour reprendre les préceptes de la mnémonique, elles sont animées de la propriété de la notion figurée, c’est-à-dire de ses qualités intrinsèques.
106Dès les années 1302-1305 et la chapelle Scrovegni, Giotto s’était appliqué à saisir les propriétés particulières des vertus et des vices. Maria Monica Donato considère ainsi que les figures de Padoue sont les premières personnifications qui concrétisent des idées et des raisonnements en présence physique176. Les contemporains du peintre en furent d’ailleurs fortement impressionnés, comme l’atteste le témoignage de Francesco da Barberino qui admire la maîtrise avec laquelle le maître a su figurer la terrible convoitise de l’Envie (pl. V, fig. 40) consumée de l’intérieur comme de l’extérieur par un désir inextinguible177. C’est sans nul doute Marcel Proust qui a su le mieux saisir la signification profonde du réalisme inhabituel des valeurs morales de Giotto. Dans Du côté de chez Swann, écrit vers 1909, le romancier souligne l’étrange « banalité » des vertus, notamment de la Charité qu’il compare à une vulgaire cuisinière, et le traitement chirurgical du visage déformé de l’Envie :
L’Envie, elle aurait eu davantage une certaine expression d’envie. Mais dans cette fresque-là encore, le symbole tient tant de place et est représenté comme si réel, le serpent qui siffle aux lèvres de l’Envie est si gros, il lui remplit si complètement sa bouche grande ouverte, que les muscles de sa figure sont distendus pour pouvoir le contenir, comme ceux d’une enfant qui gonfle un ballon avec son souffle, et que l’attention de l’Envie – et la nôtre du même coup – tout entière concentrée sur l’action de ses lèvres, n’a guère de temps à donner à d’envieuses pensées.
Malgré toute l’admiration que M. Swann professait pour ces figures de Giotto, je n’eus longtemps aucun plaisir à considérer dans notre salle d’études, où on avait accroché les copies qu’il m’en avait rapportées, cette Charité sans charité, cette Envie qui avait l’air d’une planche illustrant seulement dans un livre de médecine la compression de la glotte ou de la luette par une tumeur de la langue ou par l’introduction de l’instrument de l’opérateur, une Justice, dont le visage grisâtre et mesquinement régulier était celui-là même qui, à Combray, caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses et sèches que je voyais à la messe et dont plusieurs étaient enrôlées d’avance dans les milices de réserve de l’Injustice. Mais plus tard j’ai compris que l’étrangeté saisissante, la beauté spéciale de ces fresques tenait à la grande place que le symbole y occupait, et que le fait qu’il fût représenté non comme un symbole puisque la pensée symbolisée n’était pas exprimée, mais comme réel, comme effectivement subi ou matériellement manié, donnait à la signification de l’œuvre quelque chose de plus littéral et de plus précis, à son enseignement quelques chose de plus concret et de plus frappant.178
107L’effet « concret » loué par Marcel Proust s’avère d’autant plus remarquable que les personnifications de Padoue sont figurées sous la forme de statues. Elles sont peintes dans un camaïeu de gris qui imite la couleur de la pierre et sont disposées dans des niches figurées en perspective qui les investissent du volume de la ronde-bosse179. Grâce à ce procédé, Giotto réussit à la fois à rendre tangibles les valeurs morales et à contourner le problème qui consiste à figurer de manière vraisemblable des abstractions qui par définition n’existent pas. L’effet illusionniste est renforcé par le traitement des marbres feints entourant les figures qui adoptent la forme d’un véritable décor en trompe-l’œil (fig. 40). Les dalles placées dans les niches, derrière les personnifications, sont figurées dans des marbres allant du granit gris bleuté au porphyre rouge. Chaque niche est encadrée par des plates-bandes de différents marbres qui sont quadrillées par un réseau de moulures blanches. L’intervalle entre les niches est occupé par deux grandes dalles carrées ressemblant à de la brèche violette, elles-mêmes encadrées par des moulurations à plusieurs ressauts comprenant une frise de perle, et insérées dans une plus grande dalle rectangulaire imitant le marbre vert de Prato. L’illusionnisme est amplifié par la mise en œuvre technique. Giotto a en effet conçu une fresque relativement complexe composée d’un mortier à forte teneur en chaux, déposé en plusieurs couches successivement polies, et de pigments minéraux liés à de la cire180. Cette technique lui a permis d’obtenir une surface lustrée avec des veines polychromes proches de celles du marbre qu’il s’est de surcroît appliqué à imiter : quatorze types de marbres ont été identifiés avec précision181.
108Avec ce décor marmoréen, Giotto crée un cadre propice à la figuration d’images mnésiques. De fait, d’après la Summa de exempli et rerum similitudinibus de Giovanni da San Gimignano, le marbre est une pierre étroitement liée à la Prudence, autrement dit à la mémoire : réputé pour sa dureté et sa solidité, il est le matériau de la résistance et de la permanence182. En s’associant à lui, les personnifications acquièrent un peu de ses qualités et s’extraient définitivement de la temporalité de l’historia qui se joue au-dessus d’elles. Leur fonction mémorielle en vient ainsi à se confondre avec la nature ontologique des vertus. La théologie de la fin du Moyen Âge envisage effectivement les valeurs morales comme des Êtres transcendant le temps et s’inscrivant dans la permanence de l’intellect. Robert Grosseteste les place parmi les universaux tandis que saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin font d’elles des substances incorruptibles183.
Les exempla
109Les personnifications ne sont pas les seules figurations étroitement liées à la morale et à la mnémonique. Il en va de même des exemplifications. Qu’ils prennent la forme d’anecdotes, de fables, d’épisodes de l’Ancien ou du Nouveau Testament, de saints ou de personnages de l’histoire antique, les nombreux exempla qui jalonnent la culture chrétienne veulent à la fois édifier et marquer la mémoire184. Le Tractatus de diversis materiis praedicabilibus d’Étienne de Bourbon (v. 1180-1256), le De abundantia exemplorum d’Humbert de Roman ou le Breviloquium de virtutibus antiquorum principum et philosophorum de Jean de Galles ( ?-1285) indiquent tous que la visée édificatrice des exempla est tournée vers la morale185. Or, les exempla sont dotés d’évidentes facultés mémorielles : brefs, authentiques et vraisemblables, ils marquent davantage que les discours théoriques et dogmatiques186.
110Certains exempla étaient tellement communs qu’ils constituaient de véritables modèles de comportement vertueux187. C’est notamment le cas de sainte Marie-Madeleine qui, à partir de la fin du XIIIe siècle, devient une figure paradigmatique, non seulement de la repentance, mais aussi des vertus188. La pénitente en vient alors à être figurée agenouillée aux pieds du Crucifié, qu’elle embrasse, dans une posture qui cite explicitement l’iconographie de l’Espérance : de profil et à genoux, elle tend les bras pour agripper le pied de la Croix et lève la tête en direction du corps du Christ dont le sacrifice offre justement un espoir de Salut189. Chez les Frères mineurs, saint Bonaventure fait de la sainte un modèle de perfection morale, surtout dans l’Expositio in Evangelium S. Lucae, où il conçoit sa conversion dans la maison de Simon le Pharisien comme la plus haute manifestation de la Charité et de l’Humilité190. L’art franciscain exploite volontiers cette lecture. Dans la Croix peinte de Lorenzo di Bicci (fig. 16), Marie-Madeleine est explicitement associée aux vertus puisqu’elle figure dans le décor géométrique du fond avec les sept figurines des vertus théologales et cardinales. Dépassant son statut paradigmatique, elle devient ainsi elle-même une vertu et une figure autonome s’inscrivant dans la mémoire à la manière d’une personnification.
111Il est possible de constater le même processus de transformation de l’exemplification en image de mémoire du côté des vices. La culture du Trecento regorge de personnages, tels Hérode, Alexandre le Grand ou Néron, qui, en raison de leur nature foncièrement vicieuse, constituent des contre-exemples édifiants. Ainsi, dans le bras sud du transept de la basilique inférieure de Saint-François à Assise, à proximité du Triomphe des vertus, la Pendaison de Judas (fig. 41), réalisée entre 1315 et 1322 par Pietro Lorenzetti (v. 1280-1348), est conçue pour marquer les esprits. Peinte à gauche de l’une des deux portes qui conduisaient au cloître, cette fresque rappelait aux frères de la communauté franciscaine qu’ils devaient vivre en conformité avec la règle de saint François, autrement dit avec la Pauvreté. Il est vrai que Judas constituait une figure particulièrement significative de ce point de vue191. Parce qu’ils s’envisageaient comme les apôtres de l’alter Christus – surnom donné à saint François –, les franciscains considéraient les avares comme de nouveaux Judas. Les Fioretti comparent ainsi Giovanni della Cappella, l’un des douze premiers compagnons de François, à Judas en personne, puisque, comme lui, il apostasia et se pendit192. Dans cet ordre d’idées, la Pendaison servait donc de contre-exemple édifiant au modèle de perfection morale incarné par le Poverello. À ce titre, elle est pourvue d’indéniables qualités mnémoniques : le cou distendu et gonflé par la corde qui l’étrangle, les cheveux imprégnés de sueur, collés sur le visage ou emportés par le vent, et le ventre ouvert dont sort une masse d’intestins et de sang rendent Judas terriblement marquant. La portée mémorielle de cette image s’avère d’autant plus forte que l’emploi du pendu pour qualifier la déviance morale fait partie des lieux communs de la peinture du Trecento ‒ il est fréquent dans la peinture infamante et Ambrogio Lorenzetti en fait l’attribut de la Sécurité dans le Bon gouvernement.
112C’est par la répétition que le procédé de l’exemplification remplit finalement le mieux sa mission mnésique. Dans son étude consacrée à la mnémonique dans la chapelle Scrovegni, Sven G. Mieth a en partie mis en évidence cet aspect : afin de faciliter le processus de mémorisation, le cycle peint par Giotto jouerait sur les multiples analogies reliant la vie du Christ à la vie de la Vierge193. Ce jeu de correspondances s’avère encore plus pertinent avec les personnifications. Les vertus et les vices s’insinuent en effet dans toute l’historia par un habile jeu de rappels de formes et d’échos plastiques. Par exemple, dans le Jugement dernier, le Christ adopte une position similaire à celle de la Justice : assis en trône, figuré de face dans une posture hiératique, il incline la tête et fait le geste de la pesée194. Les échos plastiques se multiplient au point d’associer insidieusement la narration aux vertus. Dans l’Ascension, l’image du Christ montant aux cieux coïncide parfaitement avec l’Espérance : le Sauveur, vu de profil, lève la tête et tend parallèlement les deux bras en direction du ciel ; le pan de drapé qui vole dans son dos dessine une forme qui rappelle les ailes de la vertu. Giotto recourt aux mêmes artifices du côté des vices. Dans le Christ devant Caïphe, le grand prêtre juif (fig. 42) déchire brutalement sa tunique exactement comme la Colère (fig. 38) tandis que le Désespoir qui se pend évoque la pendaison de Judas figurée dans les Enfers. La nature vicieuse de l’apostat apparaît également dans la Trahison où, à la manière de l’Envie, il serre fermement la bourse contenant les trente deniers que les prêtres juifs lui ont remis. Attributs, détails ou attitudes se répètent ainsi constamment, assénant sans relâche à la mémoire du fidèle des modèles de comportement et des figures repoussoirs.
113Loin de se cantonner à la chapelle Scrovegni, ce procédé « moralisateur » usant de la répétition constitue un poncif de la peinture du XIVe siècle. À ce système interne aux cycles s’ajoutent des images qui se répètent au point d’investir le champ figuratif du Trecento dans sa totalité. L’image de la mère en train d’allaiter en est un exemple. Employée pour la première fois par Giovanni Pisano pour la statue de l’Ecclesia qui supporte la chaire du Dôme de Pise, cette iconographie est l’une des caractéristiques les plus fréquentes de la Charité. Tino di Camaino l’adopte dès 1321 pour une statue désormais conservée au Museo Bardini à Florence (fig. 43). Dans le même temps, elle devient aussi l’une des formules récurrentes de l’imagerie mariale195. L’emploi concomitant de cette iconographie pour deux thèmes différents atteste de la fonction mémorielle des poncifs. La répétition de l’image de la lactation permet en effet de rappeler de manière latente la grande miséricorde de la Mère du Christ. Par sa coopération à la Rédemption et par sa participation au sacrifice de son Fils, Marie a fait preuve d’une charité infinie. Suivant cette idée, lorsque l’iconographie de la lactation est employée pour la Charité dans un cycle consacré à la Vierge, elle permet une confusion maîtrisée. Ainsi, à Florence, dans le Tabernacle d’Orsanmichele sculpté vers 1352-1359 par Andrea di Cione, dit Andrea Orcagna (v. 1308-1368), la juxtaposition d’une scène de Nativité à une personnification de la Charité allaitant un seul enfant, et non deux comme bien souvent, risque volontairement l’amalgame : l’image est autant celle de la Vierge nourrissant son Fils que celle de la vertu. L’analogie contribue à brouiller les frontières entre les thèmes et à ouvrir aux fidèles des perspectives jusque-là réservées aux initiés.
Notes de bas de page
1 Voir Baschet Jérôme, s.v. « Vizi e virtù », dans Enciclopedia dell’arte medievale, 11, Rome, 2000, p. 729-734 ; Casagrande Carla, Vecchio Silvana, I sette vizi capitali. Storia dei peccati nel Medioevo, Turin, 2000, trad. fr., Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, 2003.
2 Voir Bejczky István P., Newhauser Richard (dir.), Virtue and Ethics in the Twelfth century, Leyde/ Boston, 2005, p. 12.
3 Platon, Œuvres complètes, VI-VII. La République, traduit par Émile Chambry, Paris, 1959, IV, 427e.
4 Aristote, Éthique à Nicomaque, traduit par Jean Nicot, Paris, 1997, II, 6.
5 Thomas d’Aquin, Somme théologique, traduit par Aimon-Marie Roguet, 5 vol., Paris, 1984-1986, IIa-IIae.
6 Aubert Jean-Marie, s.v. « Vertu », dans Dictionnaire de spiritualité, Ascétique et mystique, 17 vol., Paris, 1937-1995 (désormais DS), 16, col. 485-497.
7 Paul, I Corinthiens, 13, 13.
8 Augustin, Enchiridion ad Laurentium sive de fide, spe et caritate, dans Patrologiae cursus completus. Series Latina, édité par Jean-Paul Migne, vol. 1-221, Paris, 1887-1974 (désormais PL), 40, col. 231-290.
9 Thomas d’Aquin, Summa theologica, 6 vol., Paris, 1926-1935, IIa-IIae, q. 17, a. 6 : Respondeo dicendum quod virtus aliqua dicitur theologica ex hoc quod habet Deum pro obiecto cui inhaeret dupliciter.
10 Ibid., IIa-IIae, q. 23, a. 4 : Et ideo caritas est excellentior fide et spe ; et per consequens omnibus aliis virtutibus.
11 Dublanchy Émilien, s.v. « Charité », dans Dictionnaire de théologie catholique, 18 vol., Paris, 1909-1972 (désormais DTC), 2, col. 2220.
12 Clément d’Alexandrie, Stromates, dans Patrologiae cursus completus. Series Graeca, édité par Jean-Paul Migne, vol. 1-164, Paris, 1857-1945 (désormais PL), 8, col. 1230.
13 Jérôme, Epistola LXXXII, dans PL, 22, col. 742 : Cunctarum virtutum mater est caritas ; Grégoire le Grand, Homiliarum in evangelia. Libri II, dans PL, 76, col. 1205 : […] sic multae virtutes ex una caritate generantur.
14 Bonaventura da Bagnoregio, Commentaria in quatuor libros sententiarum, dans Doctoris seraphici S. Bonaventurae Opera omnia, 10 vol., Quaracchi, I-IV, 1882-1901, III, XXVI, a. 1, q. I : Et si objiciatur quod caritas praemium non intuetur, dicendum quod illud intelligitur de praemio creato ; de praemio autem increato non habet veritatem, quia maxima charitas maxime desiderat unire Deo et habere Deum.
15 Paul, I Cor., 15, 12-33.
16 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 17, a. 1.
17 Bovis André de, s.v. « Foi », dans DS, 5, col. 530-614.
18 Jean, 3, 36 ; 6, 40 ; 20, 31.
19 Clément d’Alexandrie, Stromates, op. cit., V, 1 ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis christianae fidei, dans PL, 176, col. 173-618 ; Guillaume de Saint-Thierry, Speculum fidei, édité par Marie-Madeleine Davy, Paris, 1959, p. 27.
20 Ambroise, Expositio Evangelii secundum Lucam libris X comprehensa, 62, PL, col. 1653 ; Grégoire le Grand, Moralium libri sive expositio in librum beati Job. Pars I, dans PL, 75, col. 592 : Solidum mentis nostrae aedificium, prudentia, temperantia, fortitudo, iustitia sustinet. In quatuor vero angulis domus ista subsistit, quia in his quatuor virtutibus tota boni operis structura consurgit.
21 Thomas d’Aquin, Quaestiones disputatae, édité par P. Bazzi, 2 vol., Turin, 1949, « De virtutibus », q. 5, a. 1 : Vita ergo proprie humana est vita activa, quae consistit in exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis […].
22 Berriot-Salvadore Evelyne, Pascal Catherine, Roudaut François, La vertu de Prudence entre Moyen Âge et âge classique, actes de colloque, Montpellier, 2008, Paris, 2012.
23 Aristote, Éthique à Nicomaque, op. cit., 1140b.
24 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 47.
25 Aristote, Éthique à Nicomaque, op. cit., 1129a.
26 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 58, a. 1 : Videtur quod inconvenienter definiatur a iurisperitis quod iustitia est constans et perpetua voluntas ius suum unicuique tribunes.
27 Ibid., IIa-IIae, q. 123, a. 1 : Ad primum ergo dicendum quod virtus animae non perficitur in infirmitate animae, sed in infirmitate carnis, de qua apostolus loquebatur. Hoc autem ad fortitudinem mentis pertinet, quod infirmitatem carnis fortiter ferat […].
28 Ibid., IIa-IIae, q. 141, a. 4 : Et ideo circa delectationes ciborum et potuum, et circa delectationes venereorum, est proprie temperantia.
29 Ibid., IIa-IIae, q. 10, a. 5 : Et ideo uni virtuti multa vitia opponuntur. Diversitas autem vitiorum quae unicuique virtuti opponitur potest considerari dupliciter. Uno modo, secundum diversam habitudinem ad virtutem.
30 Michel Albert, s.v. « Vice », dans DTC, 15, col. 2859.
31 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., Ia-IIae, q. 10.
32 Id., Quaestiones disputatae, op. cit., « De malo ».
33 Id., Somme théologique, op. cit., Ia-IIae, q. 84, a. 3 : Et sic dicitur vitium capitale ex quo alia vitia oriuntur, et praecipue secundum originem causae finalis […] Unde metaphorice omne principium caput vocatur, et etiam homines qui alios dirigunt et gubernant, capita aliorum dicuntur.
34 Bartolomeo da San Concordio, Summa de casibus conscientiae, Venise, 1481, XI, 5 : Debent esse interrogationes principaliter de septem vitiis capitalibus.
35 Sur l’histoire du septénaire des vices, voir Casagrande C., Vecchio S., I sette vizi capitali…, op. cit., passim ; Bloomfield Mortin W., The Seven Deadly Sins. An Introduction to the History of a Religious Concept, with Special Reference to Medieval English Literature, East Lansing, 1952 ; Solignac Aimé, s.v. « Péchés capitaux », dans DS, 12, col. 853-862.
36 Évagre le Pontique, Tractatus de octo spiritibus malitiae, dans PG, 79, col. 1145-1164.
37 Jean Cassien, De coenobiorum institutis libri duodecim, dans PL, 49, col. 53-476.
38 Voir Solignac A., s.v. « Péchés capitaux », art. cit., col. 860.
39 Hugues de Saint-Victor, De sacramentis christianae fidei, op. cit., passim.
40 Ecclésiastique, 10, 13-15 : Initium superbiæ hominis apostatare a Deo :/ quoniam ab eo qui fecit illum recessit cor ejus, quoniam initium omnis peccati est superbia.
41 Augustin, De peccatorum meritis et remissione, dans PL, 44, col. 168 : Vitiorum namque omnium humanorum causa superbia est. Isidore de Séville, Differentiarum sive de proprietate sermonum, dans PL, 83, col. 96 : Octo sunt autem perfecta, vel principalia vitia, quae omne genus humanum inquietant, ex quibus vitiorum turba exoritur copiosa, id est : gulae concupiscentia, fornicatio, avaritia, invidia, tristitia, ira, inanis gloria, novissima dux ipsa et harum radix superbia.
42 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., Ia-IIae, q. 130 à q. 162.
43 Voir Vincent-Cassy Mireille, « L’Envie au Moyen Âge », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 2, 35, 1980, p. 253-271.
44 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 157, a. 2 : Si autem aliquis appetat quod fiat vindicta qualitercumque contra ordinem rationis ; puta si appetat puniri eum qui non meruit, vel ultra quam meruit, vel etiam non secundum legitimum ordinem, vel non propter debitum finem, qui est conservatio iustitiae et correctio culpae, erit appetitus irae vitiosus.
45 Grégoire le Grand, Moralium libri sive expositio…, op. cit., col. 588.
46 Bardy Gustave, s.v. « Acedia », dans DS, 1, col. 167.
47 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 35.
48 1 Timothée, 6, 10: Radix enim omnium malorum est cupiditas.
49 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 35.
50 Oblet Vincent, s.v. « Gourmandise », dans DTC, 6, col. 1521.
51 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 145-146.
52 AdloffJoseph, s.v. « Luxure », dans DTC, 9, col. 1339-1356.
53 Paul, Gal, 5, 18-21.
54 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIa-IIae, q. 43.
55 Voir Alberigo Giuseppe (dir.), Les conciles œcuméniques, 3 vol., Paris, 1994, II, p. 524.
56 Sur ce point, voir Casagrande Carla, « La moltiplicazione dei peccati. I cataloghi dei peccati nella letteratura pastorale dei secoli XIII-XV », dans La peste nera : dati di una realtà ed elementi di una interpretazione, actes de colloque, Todi, 10-13 octobre 1993, Spolète, 1994, p. 253-284.
57 Green Rosalie B., « Virtues and Vices in the Chapter House Vestibule in Salisbury », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 31, 1968, p. 149-158.
58 Sur ce point, voir Lackey Douglas P., « Giotto in Padua: A New Geography of the Human Soul », The Journal of Ethics, 9, 3-4, 2005, p. 551-572.
59 Paul, Éphésiens, 6, 11-13.
60 Prudence, Prudence, édité par Maurice Lavarenne, 4 vol., Paris, 1945-1955.
61 Sur la fortune de la psychomachie dans les arts, voir Stettiner Richard, Die Illustrierten Prudentius Handschrift. Tafelband : 695 Handschriftenseiten auf 200 Tafeln, Berlin, 1905 ; Michel Philippe, « La Psychomachie, thème littéraire et plastique », Gazette des Beaux-Arts, 6, 40, 1952, p. 319-340 ; Houlet Jacques, Combats des vices et des vertus. Les Psychomachies dans l’art, Paris, 1969 ; Norman Joanne S., Metamorphoses of an Allegory. The Iconography of Psychomachia in Medieval Art, New York/Londres, 1988.
62 Heck Christian, L’échelle céleste dans l’art du Moyen Âge. Une image de la quête du ciel, Paris, 1997.
63 Saurma-Jeltsch Lieselotte, Die Miniaturen im « Liber scivias » der Hildegard von Bingen, Wiesbaden, 1998.
64 Sur l’iconographie de l’arbre, voir Klapisch-Zuber Christiane, L’arbre des familles, Paris, 2003, p. 75 et 123.
65 Hugues de Saint-Victor, De fructibus carnis et spiritus, dans PL, 176, col. 997-1009.
66 Voir Osborne John, « The Dado Programme in Giotto‘s Arena Chapel and its Italian Romanesque antecedents », The Burlington Magazine, 145, 2003, p. 361-366.
67 Draghi Andreina, Gli affreschi dell’Aula gotica nel Monastero dei Santi Quattro Coronati, Milan, 2006.
68 Tigler Guido, « Les fonti teologiche del programma iconografico negli arconi del portale maggiore », dans La basilica di San Marco. Arte e simbologia, Venise, 1993, p. 149-166 ; Id., Il portale maggiore di San Marco a Venezia : aspetti iconografici e stilistici dei rilievi duecenteschi, Venise, 1995.
69 Sur les vertus de la chaire du baptistère de Pise, voir Angiola Eloise M., « Nicola Pisano, Federigo Visconti, and the Classical Style in Pisa », The Art Bulletin, 59, 1977, p. 1-27 ; Seidel Max, « Una nuova opera di Nicola Pisano », dans Arte italiana del Medioevo e del Rinascimento, II, Architettura e scultura, Venise, 2003, p. 271-287 ; Kessler Herbert L., « The Authority of Antiquity on Nicola Pisano’s Pisa Baptistery Pulpit », dans Le plaisir de l’art du Moyen Âge. Commande, production et réception de l’œuvre d’art. Mélanges en hommage à Xavier Barral i Altet, Paris, 2012, p. 122-129.
70 Sur l’identification de la Force, voir Seidel Max, « Il dialogo di Nicola Pisano con gli artisti dell’Antichità », dans Arte italiana del Medioevo…, op. cit., II, p. 133-192.
71 Angiola E. M., « Nicola Pisano… », art. cit., p. 20-22.
72 La bibliographie sur la chapelle de l’Arena est imposante. Voir Stubblebine James H. (dir.), Giotto: The Arena Chapel Frescoes, New York/Londres, 1969 ; Rough Robert H., « Enrico Scrovegni, the Cavalieri Gaudenti, and the Art Chapel in Padua », The Art Bulletin, 62, 1980, p. 24-34 ; Ladis Andrew (dir.), The Arena Chapel and the Genius of Giotto, New York/Londres, 1998 ; Derbes Anne, Sandona Mark, « Barren Metal and the Fruitful Womb: The Program of Giotto’s Arena Chapel in Padua », The Art Bulletin, 80, 1998, p. 274-291 ; Basile Giuseppe, Giotto : The Frescoes of the Scrovegni Chapel in Padua, Milan, 2002 ; Id., Il restauro della Cappella degli Scrovegni : indagini, progetto, risultati/Restoration of the Scrovegni Chapel : Surveys, Projects, Results, Milan, 2003 ; Jacobus Laura, Giotto and the Arena Chapel. Art, Architecture and Experience, Turnhout, 2008.
73 Sur les vertus et les vices, voir Pfeiffenberger S., The Iconology of Giotto‘ s Virtues…, op. cit., passim ; Bellitani Claudio, « Iconografia, iconologia e iconica nell’arte nuova di Giotto alla Cappella Scrovegni dell’Arena di Padova », Padova e il suo territorio, 4, 1989, p. 16-24 ; Cole Bruce, « Virtues and Vices in Giotto’s Arena Chapel Frescoes », Studies in the History of Italian Art, 1250-1550, Londres, 1995 ; Lermer Andrea, « Giotto’s Virtues and Vices in the Arena Chapel: The Iconography and the Possible Mastermind behind it », dans Luís Urbano Alfonso, Vítor Serrão (dir.), Out of the Stream : Studies in Medieval and Renaissance Mural Painting, Newcastle, 2007, p. 291-317 ; Derbes Anne, Sandona Mark, « “Ave Charitate plena”: Variations on the Theme of Charity in the Arena Chapel », Speculum, 76, 3, 2001, p. 599-638 ; Schwarz Michael V., Zöschg Michaela, Giottus pictor. Band 2 : Giottos Werke, Vienne, Weimar, 2008, p. 133-158.
74 Prosdocimi Alessandro, « La copia del monocromo giottesco con la Stultitia alla cappella degli Scrovegni », Bollettino del Museo Civico di Padova, 53, 1964, p. 91-96 ; Ladis Andrew, « The Legend of Giotto‘ s Wit and the Arena Chapel », The Art Bulletin, 68, 1986, p. 581-596.
75 Sur la vertu des vestales, voir Faroult Guillaume, « Les fortunes de la vertu. Origines et évolution de l’iconographie des vestales jusqu’au XVIIIe siècle », Revue de l’Art, 152, 2006, p. 9-30.
76 « cuncta sternit [fortitudo]/ superando […]/ et armata clavam gerens/ prava quoque deprimit/ en occidit vi leonem/ eius pelle tegitur/ omnem superat agonem/ et in nullo frangitur […]. »
77 Angheben Marcel, « Le programme iconographique du rez-de-chaussée de l’avant-nef de Vézelay : chapiteaux et portails », dans Christian Sapin (dir.), Avant-nefs et espaces d’accueil dans l’église, entre le IVe et le XIIe siècle, Auxerre, 2002, p. 450-462.
78 Mâle Émile, L’art religieux du XIIIe siècle en France. Étude sur l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration, 1898¹, Paris, 1948, p. 11. Pour une critique actualisée de la formule attribuée à Émile Mâle, voir Baschet Jérôme, « L’iconographie médiévale : l’œuvre fondatrice d’Émile Mâle et le moment actuel », dans Émile Mâle (1862-1954). La construction de l’œuvre : Rome et l’Italie, Rome, 2005, p. 274-288.
79 Voir Martin Hervé, Mentalités médiévales. XI-XVe siècles, Paris, 1996 ; Alexandre-Bidon Danièle, Système éducatif et cultures dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris, 1998, p. 91-94.
80 Baschet Jérôme, « Les sept péchés capitaux et leurs châtiments dans l’iconographie médiévale », dans Carla Casagrande (dir.), Histoire des péchés capitaux…, op. cit., p. 340-384.
81 L’ordre des Cavalieri Gaudenti est institué à Bologne en 1261 par le pape Urbain IV. Il s’agit d’une confrérie de chevaliers qui suit une règle rédigée par le franciscain Fra Ruffino Gorgone. Enrico Scrovegni n’en a été membre qu’une seule année, vers 1302-1303, c’est-à-dire au moment de la conception du cycle. Voir Meersseman Gilles, Pacini Gian P., Ordo Fraternitatis : confraternite e pieta dei laici nel Medioevo, 3 vol., Rome, 1977, III, p. 1262-1267.
82 Jacobus L., Giotto and the Arena Chapel…, op. cit., p. 333.
83 Sur la question de l’ornamentum, voir Bruyne Edgar de, Études d’esthétique médiévale, 3 vol., Genève, 1975, I, p. 70-80 ; Bonne Jean-Claude, « Les ornements de l’histoire », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 51, 1, 1996, p. 37-71. Voir également ORNEMENT/ORNEMENTAL, Perspective, 2010/2011-1.
84 Isidore de Séville, Etymologiarum sive Originum libri XX, édité par Wallace M. Lindsay, Oxford, 1962, 8, 18 : Decor elementorum omnium in pulchro et apto consistit ; sed pulchrum ei quod se ipsum est pulchrum, ut homo ex anima et membris omnibus constans. Aptum vero est, ut vestimentum et victus. Ideoque hominem dici pulchrum ad se, quia non vestimento et victui est homo necessarius, sed ista homini ; ideo autem illa apta, quia non sibi, sicut homo, pulchra, aut ad se, sed ad aliud, id est, ad hominem accommodata, non sibimet necessaria.
85 Jacopone da Todi, Laude, édité par Franco Mancini, Bari, 1974, X, 1-8 : « Alte quattro virtute/ son cardinal chiamate/ o’nostra umanitate/ perfece lo suo stato./ Come l’uscio si posa/ sopra il suo cardinile/ cosi la vita umana/ in tal quadrato stile. » Dante, Commedia, édité par Anna M. Chiavacci Leonardi, 3 vol., Milan, 1991, Purgatoire, X, v. 22-33.
86 Voir Palazzo Éric, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, 2000, notamment p. 74 ; Id., « Deux points de vue sur la signification du décor monumental de l’église chrétienne dans l’Antiquité et au Moyen Âge : Cyprien de Carthage (IIIe siècle) et Raban Maur (IXe siècle) », dans Le plaisir de l’art du Moyen Âge…, op. cit., p. 54-60.
87 Bruno di Segni, De ornamentisecclesiae, dans PL, 165, col. 903 : Primum Ecclesiae ornamentum fides est, quae in toto virtutum exercitu prima est. Omnes aliae virtutes eam sequuntur, et sine ipsa coelestis regni palatium non ingrediuntur. Si veniat humilitas, si patientia, si castitas, si ipsa charitas […].
88 Guillaume Durand, Rationale divinorum officiorum, édité par Anselme Davril et Timothy Thibodeau, Turnhout, 1995, chap. I, 10, 133-143 : Cementum autem, sine quo muri stabilitas esse non potest fit ex calce, sabulo et aqua. Calx fervens caritas est que sibi coniungit sabulum, id est terrenum opus, quia vera caritas sollicitudinem maximam habet mixtam pro viduis […]. Ut autem calx et terra ad edificium muri valeant, aque commixtione conglutinantur, siquidem aqua spiritus sanctus est ; sicut enim sine cemento lapides muri non simul iunguntur ad muri stabilitatem, sic nec homines ad edificium celestis Ierusalem possunt simul sine caritate fungi quam Spiritus sanctus operatur.
89 Cité dans Kurmann Peter, « L’allégorie de la Jérusalem céleste et le dessin architectural à l’époque du gothique rayonnant », dans Christian Heck (dir.), L’allégorie dans l’art du Moyen Âge…, op. cit., p. 67-77.
90 Sur le public des fresques de la croisée du transept, voir Cottier Jeanne-Pierre, Le « Vele » nella basilica inferiore di Assisi, Florence, 1981, p. 43 ; Robson Janet, « The Pilgrim’s Progress : Reinterpreting the Trecento Fresco Programme in the Lower Church at Assisi », dans William Cook (dir.), The Art of the Franciscan Order in Italy, Boston, 2005, p. 39-71 ; Gardner Julian, Giotto and his Publics : Three Paradigms of Patronage, Cambridge/Londres, 2011, p. 84-86.
91 Sur la suppression du tramezzo, voir Hueck Irene, « Der Lettner der Unterkirche von San Francesco in Assisi », Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 28, 1984, p. 173-202 ; Cooper Donal « “In Loco Tutissimo et Firmissimo” : The Tomb of St. Francis in History, Legend and Art », dans William Cook (dir.), The Art of the Franciscan Order…, op. cit., p. 2-37.
92 Rocchi Giuseppe, La basilica di San Francesco ad Assisi, interpretazione e rilievo, Florence, 1982, notamment p. 67 ; Caillet Jean-Pierre, « Les intentions à l’origine du parti architectural de la basilique Saint-François d’Assise : quelques propositions nouvelles », dans Le plaisir de l’art du Moyen Âge…, op. cit., p. 457-463.
93 Voir Gardner Julian, « The Decoration of the Baroncelli Chapel in Santa Croce », Zeitschriftfür Kunstgeschichte, 25, 1971, p. 91-114.
94 Branca Mirella (dir.), Il polittico di Taddeo Gaddi in Santa Felicita a Firenze : restauro, studi e ricerche, Florence, 2008, p. 14-20.
95 Sur la Croix peinte de Lorenzo di Bicci, voir Mognetti Elisabeth, « Marks of Devotion: Case Study of a Crucifix by Lorenzo di Bicci », Studies in the History of Art, Italian Panel Painting of the Duecento and Trecento, 61, 2002, p. 354-369.
96 Tartuferi Angelo (dir.), Giotto. Bilancio critico di sessant’anni di studi e ricerche, catalogue d’exposition, Florence, Galleria dell’Accademia, 5 juin-30 septembre 2000, p. 166-173 ; Thiébaut Dominique (dir.), Giotto e compagni, catalogue d’exposition, Paris, Musée du Louvre, 18 avril-15 juillet 2013, Paris, 2013, p. 158-163 ; Sciacca Christine (dir.), Florence at the Dawn of the Renaissance : Painting and Illumination, 1300-1350, catalogue d’exposition, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 13 novembre-10 février 2013, p. 118-119.
97 L’identification des vertus s’avère d’autant plus délicate que plusieurs attributs ont disparus, entre autres ceux que tenaient l’Espérance, peut-être une couronne, et la Prudence ( ?), sans doute un instrument de mesure et un miroir. Sur ce point, voir Tartuferi A. (dir.), Giotto…, op. cit., p. 166.
98 Norman Diana, « In the Beginning was the Word: An Altarpiece by Ambrogio Lorenzetti for the Augustinian Hermits of Massa Marittima », Zeitschriftfür Kunstgeschichte, 58, 1995, p. 478-504.
99 Sur le miroir de la Foi, voir Hibbard Howard, « A Representation of Fides by Ambrogio Lorenzetti », The Art Bulletin, 32, 1957, p. 137-138 ; Kessler Herbert L., « Speculum », Speculum, 86, 2011, p. 1-41.
100 Voir Solberg Gail E., « A Reconstruction of Taddeo di Bartolo‘s Altar-piece for S. Francesco al Prato, Perugia », The Burlington Magazine, 134, 1992, p. 646-656.
101 Sur la fonction des salles capitulaires dans les couvents italiens, voir Boskovits Miklós, « Insegnare per immagini : dipinti e sculture nelle sale capitolari », Arte Cristiana, 1990, p. 129-143 ; Id., Immagini da meditare. Ricerche su dipinti di tema religioso nei secoli XII-XV, Milan, 1994.
102 Gardner Julian, « Andrea di Bonaiuto and the Chapterhouse Frescoes in Santa Novella », Art History, 2, 1979, p. 108-138 ; Id., « The Cappellone di san Nicola at Tolentino : Some Functions of a Fourteenth-Century Fresco Cycle », dans Italian Church Decoration of the Middle Ages and Early Renaissance. Functions, Forms, and Regional Traditions, Bologne, 1989 ; Stein-Kecks Heidrun, Der Kapitelsaal in der mittelalterlichen Klosterbaukunst : Studien zu den Bildprogrammen, Munich, 2004.
103 La salle capitulaire était auparavant attenante au Cappellone. Voir Romano Serena, « Gli affreschi del cappellone : il programma », dans Miklós Boskovits, Nicola Raponi (dir.), Arte e spiritualità negli ordini mendicanti. Gli agostiniani e il cappellone di San Nicola a Tolentino, Tolentino, 1992, p. 258-259 ; Dunlop Anne, « Black Humour: The Cappellone at Tolentino », dans Louise Bourdua, Anne Dunlop (dir.), Art and the Augustinian Order in Early Renaissance Italy, Burlington, 2007, p. 79-98.
104 Les fresques de la chapelle des Espagnols sont réalisées grâce au mécénat de Buonamico de Guidalotti qui désigne à sa mort en 1355 Fra Jacopo Passavanti, alors operaio du couvent de Santa Maria Novella, comme exécuteur testamentaire. En 1357, Fra Zenobio de’Guasconi lui succède, prend la direction des travaux et, le 30 décembre 1365, signe un contrat pour la réalisation des fresques avec Andrea di Bonaiuto. Voir Russo Daniel, « Religion civique et art monumental à Florence au XIVe siècle. La décoration peinte de la salle capitulaire à Sainte-Marie-Nouvelle », dans André Vauchez (dir.), La religion civique à l’époque médiévale et moderne, actes du colloque Histoire sociale et culturelle de l’Occident, XIIe-XVIIIe siècle, Nanterre, 21-23 juin 1993, Rome, 1995, p. 275-295.
105 Margarete Dieck interprète ces quatre personnages comme les personnifications des dipositions intérieures qui, selon Jacopo Passavanti, empêcheraient les hommes de faire pénitence, à savoir la vana vergogna, la vana paura, la vana speranza et la disperazione. Dieck Margarete, Die Spanische Kapelle in Florenz : das trecenteske Bildprogramm des Kapitelsaals der Dominikaner von S. Maria Novella, thèse de doctorat, Université de Fribourg-en-Brisgau, Fribourg-en-Brisgau, 1997. Pour Joseph Polzer, il s’agirait plutôt des quatre âges de la vie. Polzer Joseph, « Andrea di Bonaiuto‘s “Via Veritatis” and Dominican Thought in Late Medieval Italy », The Art Bulletin, 77, 1995, p. 263-289.
106 Voir Romano Serena, « Due affreschi del Cappellone degli Spagnoli : Problemi iconologici », Storia dell’Arte, 28, 1976, p. 181-213 ; Antoine Jean-Philippe, « Ad perpetuam memoriam, les nouvelles fonctions de l’image peinte en Italie : 1250-1400 », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, 100-2, 1988, p. 541-615.
107 Antoine J.-P., « Ad perpetuam memoriam… », art. cit., p. 567.
108 Voir Boucheron Patrick, « De l’urbanisme communal à l’urbanisme seigneurial : cités, territoires et édilité publique en Italie du Nord (XIIIe-XVe siècle) », dans Élisabeth Crouzet-Pavan (dir.), Pouvoir et édilité. Les grands chantiers dans l’Italie communale et seigneuriale, Rome, 2003, p. 41-77.
109 Southard Edna C., The Frescoes in Siena’s Palazzo Pubblico, 1288-1539 : Studies in Imagery and Relations to other Communal Palaces in Tuscany, Londres/New York, 1979 ; Antoine Jean-Philippe, « Mémoire, lieux et invention spatiale dans la peinture italienne des XIIIe et XIVe siècles », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 48, 6, 1993, p. 1447-1469.
110 Larner John, Culture and Society in Italy, 1290-1420, Londres, 1971, p. 181.
111 Voir Gilli Patrick, « Comment cesser d’être étranger : citoyens et non citoyens dans la pensée juridique italienne de la fin du Moyen Âge », dans Patrick Boucheron, Olivier Mattéoni (dir.), Les espaces sociaux de l’Italie urbaine, XII-XV siècles, Paris, 2005, p. 341-364 ; Racine Pierre, « La citoyenneté en Italie au Moyen Âge », Le Moyen Âge, 115, 2009, p. 87-108.
112 Norman Diana, « For the Honour and Beauty of the City: The Design of Town Halls », dans Siena, Florence and Padua : Art, Society and Religion 1280-1400, 2 vol., Londres, 1995, II, p. 37.
113 « li angelichi fiorecti, rose e gigli/ onde s’adorna lo celeste prato,/ non mi dilettan più che i buon consigli./ ma talor veggio chi per proprio stato/ disprezza me e la mie tera inganna,/ e quando parla peggio è più lodato/ guardi ciascun cui questo dir condanna. » Sur les inscriptions de la Maestà, voir Redon Odile, Battaglia Ricci Lucia, Beltrami Pietro G., Brunet Jacqueline, Grieco Allen J., Les langues de l’Italie médiévale. Textes d’histoire et de littérature. X-XIVe siècle, Turnhout, 2002, p. 110-115.
114 Bagnoli Alessandro, La Maestà di Simone Martini, Milan, 1999.
115 Boucheron Patrick, « “Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici”. La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales. Histoire, sciences sociales, 6, 2005, p. 1154-1155.
116 « questa santa virtu ladove regge/ induce adunita lianimi molti/ (e) questi accio riccolti/ un ben comun perlor signor sifanno/ loqual p(er) governar suo stato elegge/ dino(n)tener giamma gliochi rivolti/ dalo splendor devolti/ dele virtu chetorno allui sistanno/ p(er) questo contriunfo allui si danno/ censi tributi (e) signorie diterre/ per questo sença guerre/ seguita poi ogni civile effetto/ utile necessario e didiletto. »
117 Solberg Gail E., Taddeo di Bartolo: His Life and Work, 3 vol., University of Michigan, 1991, III, p. 904.
118 Sur Cola di Rienzo, voir Sonnay Philippe, « La politique artistique de Cola di Rienzo (1313-1354) », Revue de l’Art, 55, 1982, p. 36-49 ; Romano Serena, « L’immagine di Roma, Cola di Rienzo e la fine del Medioevo », dans Maria Andolo, Serena Romano (dir.), Arte e iconografia a Roma : da Costantino a Cola di Rienzo, Milan, 2000, p. 227-256 ; D’Amico Juan C., « Allégorie et dissidence au XIVe siècle : Cola di Rienzo et la personnification de Rome », dans Anne Rolet (dir.), Allégorie et symbole : voies de dissidence ?…, op. cit., p. 281-299.
119 Sur la situation politique de Rome au XIVe siècle, voir Maire Vigueur Jean-Claude, L’autre Rome : une histoire des Romains à l’époque des communes (XIIe-XIVe siècle), Paris, 2010.
120 Anonimo Romano, Cronica, édité par Giuseppe Porta, Milan, 1979.
121 Ibid., XVIII, 18 : « La iente che conflueva in Santo Agnilo resguardava queste figure. Moiti dicevano ca era vanitate e ridevano. Alcuni dicevano : “Con aitro se vòlzera rettificare lo stato de Roma, che con figure.” Alcuno diceva : “Granne cosa ène questa e granne significazione hao.” »
122 Cicéron, De l’orateur, édité par Édmond Courbaud, 3 vol., Paris, 1950, III, 358.
123 Yates Frances A., The Art of Memory, Londres, 1966, trad. fr., L’art de la mémoire, Paris, 1975 ; Carruthers Mary, The Book of Memory, a Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, 1990, trad. fr., Le livre de la mémoire : une étude de la mémoire dans la culture médiévale, Paris, 2002 ; Id., The Craftof Thought: Meditation, Rhetoric, and the Making of Images 400-1200, Cambridge, 1998, trad. fr., Machina Memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des images au Moyen Âge, Paris, 1998 ; Bolzoni Lina, La stanza della memoria : modelli letterari e iconografici nell’eta della stampa, Milan, 1995, trad. fr., La chambre de la mémoire : modèles littéraires et iconographiques à l’âge de l’imprimerie, Genève, 2005 ; Id., La rete delle immagini. Predicazione in volgare dalle origini a Bernardino da Siena, Turin, 2002 ; Severi Carlo, « L’univers des arts de la mémoire : anthropologie d’un artefact mental », Annales. Histoire, sciences sociales, 2, 2009, p. 463-497.
124 Cicéron, De inventione, op. cit., II, LIII, 160 : Prudentia est rerum bonarum et malarum ne utrarumque scientia. Partes eius : memoria, intellegentia, providentia. Memoria est per quam animus repetit illa quae fuerunt […].
125 Boncompagno da Signa, Rhetorica Novissima, édité par Augusto Gaudenzi, dans Bibliotheca Iuridica Medii Aevi, II, Bologne, 1892, p. 249-297, 8. 1. 16 : Nos autem, qui fidem catholicam indubitanter credimus, invisibilium gaudiorum Paradisi et eternarum penarum Inferni debemus assidue memorari.
126 Giordano da Pisa, Quaresimale fiorentino, édité par Carlo Delcorno, Florence, 1974, p. 160-161.
127 Albert le Grand, De bono, dans Opera omnia, XXVIII, édité par Bernhard Geyer, Cologne, Monasterii Westfalorum, 1951, IV, II, « De partibus prudentiae ».
128 Thomas d’Aquin, Somme théologique, op. cit., IIae-IIae, q. 49, a. 1 : Quid autem in pluribus sit verum oportet per experimentum considerare, unde et in II Ethic. philosophus dicit quod virtus intellectualis habet generationem et augmentum ex experimento et tempore. Experimentum autem est ex pluribus memoriis ; ut patet in I Metaphys. Unde consequens est quod ad prudentiam requiritur plurium memoriam habere.
129 Cecco d’Ascoli, L’Acerba, op. cit., II, 7 : « […] la memoria del tempo passato/ e provedenza de quel eh’ha a venire/ conserva l’omo nel felice stato. »
130 Paolo da Certaldo, Libro di buoni costumi, dans Mercanti scrittori : ricordi nella Firenza tra Medioevo e Rinascimento, édité par Vittore, Milan, 1986, 346 : « E però sempre sta proveduto, e pensa il tempo, e lo tempo presente, e’l tempo che ragionevolemente to può venire a dosso. »
131 Sur l’iconographie médiévale de la Prudence, voir De Poli Luigi (dir.), La représentation de la Prudence, actes de colloque, Mulhouse, 5 mars 1999, dans Chroniques italiennes, 60, 1999 ; Brucher Christiana, « La Prudentia aux XIIe et XIIIe siècles », Romanische Forschungen, 83, 1971, p. 464-479.
132 Le serpent trouve sa source chez saint Matthieu, Mt 10, 16 : Ecce ego mitto vos sicut oves in medio luporum ; est ote ergo prudentes sicut serpentes et simplices sicut columbae.
133 Sur ce point, voir entre autres Giotto and the Arena Chapel…, op. cit., p. 198.
134 « […] futura quae prospicere/ scit simul et praesentia/ in retro iam deficere/ quasi per sexti circulum/ agenda cuncta regulat/ et per virtutis speculum/ obedientie trepidat […]. »
135 Rhétorique à Herennius, traduit par Guy Achard, Paris, 1989, III, 28 : Naturalis est ea quae nostris animis insita est et simul cum cogitatione nata ; artificiosa est ea quam confirmat inductio quaedam et ratio praeceptionis.
136 Ibid., III, 28 : Locos appellamus eos, qui breviter, perfecte, insignite aut natura aut manu sunt absoluti, ut eos facile naturali memoria conprehendere et amplecti queamus : ut aedes, intercolumnium, angulum, fornicem et alia quae his similia sunt.
137 Ibid.
138 Albert le Grand, De bono, op. cit., II, 2 : Naturalis est, quae ex bonitate ingenii deveniendo in prius scitum vel factum facile memoratur. Artificialis autem est, quae fit dispositione locorum et imaginum, et sicut in omnibus ars et virtus sunt naturae perfectionis, ita et hic.
139 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIae-IIae, q. 49, a. 1 : Quorum primum est ut eorum quae vult memorari quasdam similitudines assumat convenientes, nec tamen omnino consuetas, quia ea quae sunt inconsueta magis miramur […] Secundo, oportet ut homo ea quae memoriter vult tenere sua consideratione ordinate disponat, ut ex uno memorato facile ad aliud procedatur […] Tertio, oportet ut homo sollicitudinem apponat et affectum adhibeat ad ea quae vult memorari, quia quo aliquid magis fuerit impressum animo, eo minus elabitur […] Quarto, oportet quod ea frequenter meditemur quae volumus memorari.
140 Aristote, Éthique à Nicomaque, op. cit., 1103a, 17 sq.
141 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., Iae-IIae, q. 58, a. 1 : Et huic significationi moris propinqua est alia significatio, qua significat consuetudinem, nam consuetudo quodammodo vertitur in naturam, et facit inclinationem similem naturali.
142 Sur ce point, voir Bolzoni Lina, « Descrizione come educazione dello sguardo nei predicatori e nei mistici fra il Duecento e il Quattrocento », dans Olivier Bonfait (dir.), La description de l’œuvre d’art. Du modèle classique aux variations contemporaines, actes de colloque, Rome, Villa Médicis, 13-15 juin 2001, Paris, 2004, p. 3-20.
143 Giovanni da San Gimignano, Summa de exemplis et similitudinibus rerum, Lugduni, 1585, IV, XLII. Voir également Yates F. A., The Art of Memory, op. cit., p. 99.
144 Sur les métaphores du Fulgentius metaforalis, voir Smalley Beryl, English Friars and Antiquity in the Early Fourteenth century, Cambridge, 1960.
145 Voir Wenzel Siegfried, « Vices, Virtues, and Popular Preaching », Medieval and Renaissance Studies, 6, 1976, p. 29-50.
146 Cité dans Smalley B., English Friars…, op. cit., p. 173 : Hic dicendum est secundum Augustinum super Iohannem sermone 7 : Qualem faciem habet dilectio, qualem formam, qualem staturam, qualem manus, quales pedes habet, nemo potestdicere. Habet tamen pedes, quia ipsi ducunt ad ecclesiam. Unde ex ista imagine potestcaritas sive dilectio describi sicut una regina in throno collocata, statura elevata, figura quadrata, Phebo maritata, melle cibata, cum facie quadriformi et veste auriformi, manus habens stillantes et porrectas, aures apertas et directas, oculos flammeos et uxorinos et pedes caprinos.
147 Bolzoni L., « Descrizione come educazione… », art. cit., p. 18.
148 Freidman John B., « Les images mnémotechniques dans les manuscrits de l’époque gothique », dans Bruno Roy, Paul Zumthor (dir.), Jeux de mémoire : aspects de la mnémotechnie médiévale, Montréal/Paris, 1985, p. 170-195.
149 Jeay Madeleine, « La mythologie comme clé de mémorisation : la Glose des Échecs amoureux », dans Bruno Roy, Paul Zumthor (dir.), Jeux de mémoire…, op. cit., p. 155-185.
150 Cammarosano Paolo, « L’éloquence laïque dans l’Italie communale (fin du XIIe-XIVe siècle) », Bibliothèque de l’École des Chartes, 158, 2000, p. 431-442.
151 Abbruzetti Véronique, « À propos du Candelabrum de Bene da Firenze », Arzanà. Cahiers de littérature médiévale italienne. La science du bien dire. Rhétorique et rhétoricien au Moyen Âge, 8, septembre 2002, p. 11-33.
152 Boncompagno da Signa, Rhetorica Novissima, op. cit., 8e partie.
153 Latini B., La rettorica, op. cit., a. 31 : Artificiale è quella scienzia la quale s’acquista per insegnamenti delli filosofi, per li quali bene impresi noi possiamo ritenere a memoria le cose che avemo udite o trovate o aprese per alcuno de’senni del corpo.
154 Ward John O., « Rhetorica Theory and the Rise and Decline of Dictamen in the Middle Ages and Early Renaissance », Rhetorica, 19, 2001, p. 175-223.
155 Bartolomeo da San Concordio, Ammaestramenti degli antichi raccolti e volgarizzati per f. Bartolomeo da San Concordio, édité par Francesco Prudenzano, Naples, 1856, p. 260 : « La memoria artificiale si fa di due cose principalmente; de’luoghi, e delle immagini ; e noi con Tullio appelliamo luoghi quelle cose, che brieve, e perfettamente sono manifeste, e quelli facilmente con la naturale memoria comprendere possiamo ; siccome casa o canto, o camera, o gronda, o vero altre a queste somiglianti. »
156 Cité dans Bolzoni L., La rete delle immagini…, op. cit., p. 109: « L’albero che ti avevo descritto col mio stile tu lo hai disegnato a vari colori, e memore di quella sentenza oraziona, par qui “quel che penetra per le orecchie più debolmente stimola l’anima di quanto vien posto sotto ai fedeli occhi”. »
157 Voir Augustin, Les Confessions, traduit par Joseph Trabucco, Paris, 1978, p. 220 ; Id., Confessionum libri tredecim, dans PL, 32, X, 17, 26.
158 Rowland Beryl, « Bishop Bradwardine on the Artificial Memory », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 41, 1978, p. 307-312 ; Carruthers Mary, « Thomas Bradwardine, “De memoria artificiale adquirenda” », The Journal of Medieval Latin, 2, 1992, p. 93-104.
159 Yates F.A., The Art of Memory, op. cit., p. 106 ; Mieth Sven G., Giotto, Das mnemotechnische Programm der Arenakapelle in Padua, Tübingen, 1991.
160 Voir Carruthers M., Le livre de la mémoire…, op. cit., p. 194-199.
161 Cicéron, De l’orateur, op. cit., III, 358 : His autem formis atque corporibus, sicut omnibus quae sub aspectum veniunt, admonetur memoria nostra atque excitatur ; sede opus est, etenim corpus intellegi sine loco non potest.
162 Voir Carruthers M., Le livre de la mémoire…, op. cit., p. 194-199.
163 Rhétorique à Herennius, op. cit., III, 33 : Et reum ad lectum eius adstituemus, dextera poculum, sinistra tabulas, medico testiculos arietinos tenentem : hoc modo et testium et hereditatis et veneno necati memoriam habere poterimus.
164 Jacques de Cessoles, Le livre du jeu d’échecs ou la société idéale au Moyen Âge, traduit par Jean-Michel Mehl, Paris, 1995.
165 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., IIae-IIae, q. 49, a. 1.
166 Rhétorique à Herennius, op. cit., III, 37 : Id accidet si quam maxime notatas similitudines constituemus ; si non mutas nec uagas, sed aliquid agentes imagines ponemus ; si egregiam pulchritudinem aut unicam turpitudinem eis adtribuemus ; si aliquas exornabimus, ut si coronis aut veste purpurea, quo nobis notatior sit similitudo ; aut si quam rem deformabimus, ut si cruentam aut caeno oblitam aut rubrica delibutam inducamus, quo magis insignita sit forma ; aut si ridiculas res aliquas imaginibus adtribuemus : nam ea res quoque faciet ut facilius meminisse valeamus.
167 Voir Bruyne E. de, Études d’esthétique médiévale, op. cit., p. 173 ; Sorge Valeria, « “Claritas” et “Debita proportio” nell’umanesimo est etico di Tommaso d’Aquino », dans Giovanni Turco (dir.), Tempo della creazione e tempo delle arti, actes de colloque, Cassino/Roccasecca/Aquino, 1997, Casamari, 1999, p. 121-126.
168 Thomas d’Aquin, Summa theologica, op. cit., Ia-Iae, q. 39, a. 8 : Nam ad pulchritudinem tria requiruntur. Primo quidem, integritas sive perfectio, quae enim diminuta sunt, hoc ipso turpia sunt. Et debita proportio sive consonantia. Et iterum claritas, unde quae habent colorem nitidum, pulchra esse dicuntur.
169 Id., Commentum in quator libros Sententiarum magistri Petri Lombardi, dans Opera omnia, VI-VII, Parme, 1856-1858, II, 48, 2, 3 : Pulchritudo coelestium corporum praecipue consistit in luce […] ; II, 32, 10 : Propriissime enim Deus lux est, et quae ad ipsum magis accedunt, plus habent de natura lucis. Ergo in productione lucis illa creatura debet principaliter intelligi, cui principalius convenit ; sed haec est creatura spiritualis : ergo etc.
170 Le Moyen Âge associe fréquemment la couleur et la lumière. Voir Isidore de Séville, Etymologiarum…, op. cit., XVII, 1-2 : Colores autem dictos quod calore ignis vel sole perficiuntur, sive quod initio colabantur ut summae subtilitatis existerent. Colores aut nascuntur aut fiunt […].
171 Carruthers M., Le livre de la mémoire…, op. cit., p. 207.
172 Cecco d’Ascoli, L’Acerba, op. cit., II, 3 : « Mostra la vista qualità del core,/ lagreme poche col tracto sospiro,/ col pietoso sguardo che ven d’amore./ Cambiar figura con acti umili,/ poco parlare con dolce remiro/ segni perfecti son d’amor non vili./ Crispi capilli con l’ampiata fronte/ con li occhi piccinini posti dentro/ memoria e rason con lor son ionte :/ fanno desdegno ne l’anema superba,/ et onne sottil cosa mira al centro/ ma pur de umilità se mostra acerba […]. »
173 Ladis Andrew, « The Legend of Giotto‘s Wit and the Arena Chapel », The Art Bulletin, 68, 1986, p. 581-596.
174 Cennino Cennini, Il libro dell’arte, traduit par Colette Déroche, Paris, 1991 : « Pictoribus atque poetis/ quidlibet audendi semper fuit aequa potestas./ Scimus, et hanc veniam petimusque damusque vicissim,/ sed non ut placidis coeant immitia, non ut/ serpentes avibus geminentur, tigribus agni. »
175 Cité dans Frechet-Sutcliffe Robyn, L’illustration didactique d’un auteur encyclopédiste-moraliste au début du XIVe siècle : Francesco da Barberino et ses « Documenti d’amore », thèse de doctorat, Université Strasbourg II, Strasbourg, 1996, p. 42 : De secundo sic dico quod etsi non pictorem, designatorem tamen figurarum ipsarum me fecit necessitas, amoris gratia informante ; cum nemo pictorum illarum partium, ubi extitit liber fundatus, me intelligeret iusto modo. Poterunt hinc et alii, meis servatis principiis, reducere meliora.
176 Donato Maria M., « Breve itinerario intorno al Buon Governo, tra Siena e Firenze », dans Giuseppe Pavanello (dir.), Il Buono e il Cattivo Governo. Rappresentazioni nelle arti dal Medioevo al Novecento, catalogue d’exposition, Venise, Fondazione Giorgio Cini, 15 septembre-7 novembre 2004, Venise, 2004, p. 28.
177 Francesco da Barberino, I Documenti d’amore di Francesco da Barberino secondo i manoscritti originali, édité par Francesco Egidi, 4 vol., Rome, 1902-1927, II, 165 : […] invidiosus invidia comburitur intus et extra hanc Padue in Arena optime pinxit Giottus. Sur l’Envie, voir Shoaf Matthew G., « Eyeing Envy in the Arena Chapel », Studies in Iconography, 30, 2009, p. 126-167.
178 Proust Marcel, Du côté de chez Swann, Paris, 1987, p. 185-188.
179 Sur la question de la grisaille et du décor en trompe-l’œil, voir Luisi Riccardo, « Le ragioni di una perfetta illusione : il significato delle decorazione e dei finti marmi negli affreschi della cappella Scrovegni », dans Chiara Frugoni (dir.), L’affare migliore di Enrico : Giotto e la Cappella Scrovegni, Turin, 2008, p. 377-396 ; Cosnet Bertrand, « Les personnifications dans la peinture monumentale en Italie au XIVe siècle : la grisaille et ses vertus », dans Marion Boudon-Machuel, Maurice Brock, Pascale Charron (dir.), Aux limites de la couleur : monochromie & polychromie dans les arts (1300-1650), actes de colloque, Tours, 12-13 juin 2009, Turnhout, 2011, p. 125-132 ; Cordez Philippe, « Les marbres de Giotto : astrologie et naturalisme à la chapelle Scrovegni », Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 55, 2013, p. 9-25.
180 Guglielmi Antonio, Capanna Francesca, « L’intonaco giottesco per la realizzazione dei finti marmi : riflessioni e comparazioni sui procedimenti esecutivi », dans Giuseppe Basile (dir.), Giotto nella Cappella Scrovegni : materiali per la tecnica pittorica, Rome, 2005, p. 73-81.
181 Lazzarini Lorenzo, « I finti marmi di Giotto agli Scrovegni (Padova, Italia) », Marmora, IV, 2008, p. 131-140.
182 Voir Giovanni da San Gimignano, Summa de exemplis…, op. cit., livre II, notamment les commentaires de la partie « De metallis et lapidibus ».
183 Grosseteste Robert, Commentariusin posteriorum analyticorum libros, édité par Pietro Rossi, Florence, 1981, p. 131-141. Robert Grosseteste distingue trois sortes d’universaux : les Idées créatrices ; les formes émanées dans l’Intelligence, créées et causales ; les Puissances, c’est-à-dire les vertus et les rayonnements des Corps célestes. Bonaventura de Bagnoregio, Commentaria in quatuor libros sententiarum, dans Opera omnia, I, Quaracchi, 1885, II, XIX, a. 1, q. I, 7. 8 : Ex quarta consideratione, scilicet ipsius animae quantum ad propriam virtutem, arguitur sic. Nulla virtus materialis et corruptibilis nata est super se reflecti – haec per se manifesta est – anima rationalis secundum actum proprium nata est super se reflecti cognoscendo se et amando : ergo virtus animae rationalis non est materialis et corruptibilis : ergo est immaterialis et incorruptiblis. Sed si virtus est incorruptibilis, et substantia : ergo etc.
184 Le GoffJacques, SchmittJean-Claude, L’« exemplum ». Typologie des sources du Moyen Âge occidental, Turnhout, 1982, p. 37-38. Sur les exempla, voir également Welter Jean-Thiébaut, L’exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Âge, Paris, 1927 ; Berlioz Jacques, Polo de Beaulieu Marie A., Les exempla médiévaux. Introduction à la recherche, suivie des tables critiques de l’Index exemplorum de Frederic C. Tubah, Cahors, 1992 ; Ricklin Thomas (dir.), « Exempla docent » : les exemples des philosophes de l’Antiquité à la Renaissance, Paris, 2006.
185 Schmitt Jean-Claude, « Recueils franciscains d’exempla et perfectionnement des techniques intellectuelles du XIIIe au XVe siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 135, 1977, p. 5-21.
186 Sur la fonction mnésique des exempla, voir Berlioz Jacques, « La mémoire du prédicateur. Recherches sur la mémorisation des récits exemplaires (XIIIe-XVe siècles) », dans Temps, mémoire, tradition au Moyen Âge, actes du XIIIe congrès de la société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur, Aix-en-Provence, 4-5 juin 1982, p. 160-180 ; Bataillon Louis-Jacques, « Similitudines et exempla dans les sermons du XIIIe siècle », dans Katherine Walsh, Diana Wood (dir.), The Bible in the Medieval World : Essays in Memory of Beryl Smalley, Oxford, 1985, p. 191-205.
187 Geremek Bronislaw, « L’exemplum et la circulation de la culture au Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge-Temps modernes, 92, 1980, p. 140-165.
188 Russo Daniel, « Entre Christ et Marie. La Madeleine dans l’art italien des XIIIe-XVe siècles », dans Ève Duperray (dir.), Marie-Madeleine dans la mystique, les arts et les lettres, actes de colloque, Avignon, 20-21 juillet 1988, Paris, 1988, p. 173-190.
189 Voir Neil Ketti, « St. Francis of Assisi, the Penitent Magdalen, and the Patron at the Foot of the Cross », Rutgers Art Review, 9-10, 1988-1989, p. 83-110. Qu’on nous permette également de renvoyer à Cosnet Bertrand, Sainte Marie-Madeleine aux pieds du Crucifié dans la peinture toscane et ombrienne de la fin du XIIIe siècle au début du XIVe siècle, mémoire de maîtrise, Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours, 2002.
190 Bonaventura da Bagnoregio, Expositio in Evangelium S. Lucae, dans Opera omnia, X, édité par Adolphes Charles-Peltier, Paris, 1864-1868, VII, p. 36-40.
191 Westerhoff Ingrid, « Der Moralisierte Judas Mittelalterliche Legende, Typologie, Allegorie im Bild », Aachener-Kunstblatter, 61, 1995-1997, p. 85-156 ; Robson Janet, Speculum Imperfectionis : The Image of Judas in Late-Medieval Italy, PhD, Courtauld Institute of Art, University of London, London, 2001.
192 I Fioretti di san Francesco, édité par Riccardo Pratesi et Giacomo V. Sabatelli, Florence, 1982, I, p. 3 : « E come un de’dodici Apostoli, il quale si chiamò Iuda Scariotto, apostatò dello apostolato, tradendo Cristo, e impiccossi se medesimo per la gola : così uno de’dodici compagni di santo Francesco, ch’ebbe nome frate Giovanni dalla Cappella, apostatò e finalmente s’impiccò se medesimo per la gola. »
193 Voir Mieth S. G., Giotto…, op. cit., passim.
194 Sur la Justice de la chapelle Scrovegni, voir Riess Jonathan B., « Justice and Common Good in Giotto‘s Arena Chapel Frescoes », Arte Cristiana, 701, 1984, p. 69-80.
195 Miles Margaret, « The Virgin’s One Bare Breast : Female Nudity and Religious Meaning in Tuscan Early Renaissance Culture », dans Susan Suleiman (dir.), The Female Body in Western Culture, Cambridge, 1986, p. 193-208.
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