Chapitre 7. La municipalité et l’architecture religieuse
p. 271-276
Texte intégral
1Au XVe siècle, les édifices religieux se limitent intra muros à la petite église, ou chapelle, Saint-Simon et à la collégiale castrale Notre-Dame-et-Saint-Florentin qui est fermée aux paroissiens en 1469 sur ordre de Louis XI. Saint-Simon est trop exiguë pour recevoir tous les fidèles et la plupart sont obligés de se déplacer à Saint-Denis. Cette grande église située au faubourg éponyme ne peut pas, elle-même, accueillir tout le monde. Certes, le couvent des Minimes dispose d’une église mais elle demeure réservée au clergé régulier (fig. 13 et 28). Quant à la chapelle des ponts, de la Meyte et de Saint-Mamer, elle ne peut en rien se concevoir comme un lieu de rassemblement. Enfin, le couvent des Cordeliers ne peut pas se substituer à une église paroissiale (fig. 9 et 10).
L’ÉGLISE NOTRE-DAME-ET-SAINT-FLORENTIN-EN-GRÈVES
2Dès 1469, le conseil de ville se rassemble pour choisir le lieu où édifier une nouvelle église paroissiale (fig. 182a et 182b) :
Pour ce que le roy estant en ceste ville a fait dire et remonstrer aux habitans de ladicte ville et gens d’eglise que son plaisir est qu’il n’y ait plus paroisse en l’eglise de monseigneur Saint Florentin estant ou chastel dudit Amboise et qu’il soit advisé lieu convenable en la ville pour faire une eglise qui servira de paroisse. Tous ont dit et esté d’oppinion qu’il n’y a point lieu plus convenable pour faire ladicte eglise que la ou est la nonnerie d’Amboise et que tel en soit fait et le rapport au roy.1
Fig. 182a > Emplacement de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves [© L. Gaugain].
Fig. 182b > Vue ancienne de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves (vers 1960) [© Région Centre, Inventaire général].
Fig. 183 > Vue du coup de sabre dans la maçonnerie sur le mur gouttereau sud de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves [© Région Centre, Inventaire général, M. Hermanovicsz].
3La chronologie du chantier est très mal connue. Si l’on en croit une lettre patente de Louis XI datée du 16 août 1473, l’augmentation de 5 d. t. sur chaque minot de sel vendu dans le royaume dont devait bénéficier la ville pour construire l’église n’eut cours que pendant 4 ans2. Il est admis que le chantier fut interrompu 2 ans, puis l’église consacrée en 1484 sous le vocable de Notre-Dame3. La documentation à ce propos fait défaut. Une seconde lettre patente de Louis XI datée du 29 mars 1479 (n. st.) instruit sur le chantier qui est amorcé depuis 1476 mais dont le projet ne convient pas au roi :
Deux ans ou environ, nous feusmes en ladicte ville d’Amboise et veisme le commancement de ladicte eglise, qui pour lors ne fusta nostre plaisance, et au moyen de ce fut plus besongné en ladicte eglise.4
4Les textes ne gardent aucune trace de la construction de cette église, pas même le passage d’un marché, mais l’église de la ville est encore appelée après 1500 « l’eglise neufve5 ». L’édifice ne doit vraiment prendre forme qu’après 1481 car à cette date on entrepose encore les matériaux de la ville dans « la nonerie6 ». En 1482, est mentionnée comme l’« eglise neufve7 » ; puis en 1485, lors d’un paiement des travaux de serrurerie est localisée « la muraille entre l’eglise neufve et Saint Simon8 ».
5En 1493-1494, Guillaume Leroy, archer de la garde du roi9, échange une parcelle qui lui appartient vers l’Anonerie contre une parcelle des marais nouvellement asséchés permettant ainsi de gagner un peu de place dans les murs de la ville pour agrandir l’église. En 1499, sur les deniers communs de la ville on alloue à Jean Coqueau, notaire, 100 ℓ. t. pour « faire les paiemens de l’euvre et ediffice de l’eglise neufve10 », une somme importante qui prouve l’activité du chantier à cette date. En 1506, Robin Rousseau reçoit 25 ℓ. t. pour la charpenterie de l’église11. Bien que significatif, ce montant ne saurait couvrir le coût total de la charpente d’une telle structure car, en mars 1486, pour la charpenterie de la maison de la ville, le même charpentier touche 74 ℓ. t. Au vu du parcellaire observable sur le plan cadastral de 1808, la surface de la maison de ville est2 à 3 fois plus réduite que celle de l’église. On peut donc supposer que celle-ci est édifiée en deux campagnes, à moins que Robin Rousseau ne se charge que d’une partie de la charpente ou qu’il ne fournit pas, le bois contrairement à l’habitude. Enfin, en mars 1507, Pierre Peillerault demeurant à Limeray livre à la ville 5 500 ardoises pour couvrir l’église12, signant par là que le chantier est en cours d’achèvement.
6L’église est construite en remployant une partie du mur de l’ancienne halle au blé (« anonerie »). Le coup de sabre visible aujourd’hui dans la maçonnerie du côté de la placette Saint-Florentin correspond à ce collage (fig. 183). D’après ses vestiges, il s’agissait d’un édifice de médiocre qualité mais il est vrai que les multiples restaurations menées par le service des Monuments historiques ont été désastreuses (fig. 184). Si elles ont permis de la maintenir hors d’eau, elles ont en contrepartie effacé tout l’intérêt architectural d’une église flamboyante bâtie entre le dernier quart du XVe et le début du siècle suivant, dans un contexte particulièrement propice à la construction. De 37 m de long pour 11,50 m, construite en moyen appareil de tuffeau, elle présente une abside à 5 pans (fig. 185). Ses parements sont régulièrement scandés d’épais contreforts et chacune des 10 baies à réseau est ménagée au sein d’une des travées. L’espace intérieur entièrement remanié se compose d’un grand vaisseau principal de quatre travées voûtées d’ogives quadripartites (5 m de large), flanqué de bas-côtés très étroits (1,50 m de large) couverts de berceaux transversaux. De deux files de piles fasciculées naissent les nervures de voûtes et les arcs doubleaux. Le chœur, dont le parement est plus authentique, est couvert d’une voûte d’ogives à liernes.
7Son apparence extérieure est comparable à de nombreuses églises datant de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle dans les régions du grand Ouest13. Sa porte d’entrée d’origine, qui ouvre sur la placette Saint-Florentin − puisque de l’autre côté se dressait le mur de la ville − constitue le seul vestige digne d’intérêt, bien que très endommagé, comme on peut le constater d’après certains clichés photographiques et quelques dessins anciens (fig. 186a et 186b). La porte couverte d’un arc segmentaire surmonté d’une belle accolade à choux et crochets, est encadrée de petits pilastres carrés, ornés de pinacles et d’accolades.
Fig. 184 > Vue ancienne de l’intérieur de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves [© Région Centre, Inventaire général].
Fig. 185 > Plan de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves d’après le relevé par Hardion [publié dans L.-A. Bosseboeuf, Amboise…, op. cit., p. 106 ; DAO L. Gaugain].
Fig. 186a > Vue du portail sud de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves [© Région Centre, Inventaire général, M. Hermanovicsz].
Fig. 186b > Portail sud de l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves, dessin au crayon, fin XIX e siècle [© BM de Tours].
LES AUTRES ÉDIFICES RELIGIEUX
8À la fin du Moyen Âge, une chapelle est ajoutée au chevet de l’église Saint-Denis qui date du XIIe siècle (fig. 187 et 188). Ce chantier n’est pas documenté par les comptes de la ville. Les baies flamboyantes sont très semblables à celles de Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves, malgré les nombreuses traces de restauration.
9La chapelle de la Meyte (ou de Saint-Mamer) a disparu. Dressée sur les ponts (fig. 38 et 39 CC), elle se réduisait à un simple tronc pour les aumônes placé dans une niche, couvert d’un petit toit d’ardoises et orné d’une image de Notre-Dame14.
10La chapelle Saint-Simon apparaît dans les comptes sous le terme d’église. Elle joue en effet ce rôle durant la construction de l’église Neuve. Nous ne connaissons rien de son architecture sinon son emplacement au-dessus de la porte de ville15.
11Enfin, devant l’essor du faubourg du Bout-des-Ponts autour des années 1520, la ville entreprend la construction d’une nouvelle église en ce lieu (fig. 189 et 190). Elle est fondée sous le vocable Saint-Hubert et mise en service avant d’être consacrée en 152116. Comme pour l’église Notre-Dame-et-Saint-Florentin-en-Grèves, les restaurations successives ne laissent aucune place à l’analyse architecturale.
HOSPICES ET INSTITUTIONS CARITATIVES LIÉES À LA MUNICIPALITÉ
12Au Moyen Âge « dans sa paroisse, l’homme est citoyen tout à la fois de la cité céleste et de la société civile17 », mais à Amboise durant les trente dernières années du XVe siècle, point de paroisse. Le sentiment d’appartenance à la communauté, se fondant sur la présence de l’enceinte et plus que jamais sur le lien civil, va s’épanouir dans l’édification de monuments édilitaires. La faveur dont jouit à cette époque la confrérie Saint-Nicolas pourrait procéder du même besoin de repère identitaire.
Fig. 187 > Emplacement de l’église Saint-Denis. [© L. Gaugain].
Fig. 188 > Vue de l’église Saint-Denis-Hors-les-Murs depuis le promontoire du château [© Région Centre, Inventaire général H. Bouvet].
Fig. 189 > Emplacement de l’église Notre-Dame-du-Bout-des-Ponts [© L. Gaugain].
Fig. 190 > Vue de l’église Notre-Dame-du-Bout-des-Ponts depuis l’île. Au premier plan, les vestiges des piles du pont médiéval [© Région Centre, Inventaire général, R. Malnoury].
13La municipalité soutient les hospices et institutions caritatives amboisiennes : la léproserie Saint-Ladre et l’Hôtel-Dieu. Depuis le XIIIe siècle, ils jouent un rôle capital dans l’encadrement de la population, et les édiles veillent à ce que leurs abords soient protégés par des barrières au même titre que les portes de la ville18. En retour, communautés religieuses et confrérie civile soutiennent les projets édilitaires : les Minimes participent au guet de la porte du Petit Fort vers Chargé et la confrérie Saint-Nicolas contribue au chantier de la maison de ville19, en contrepartie de quoi elle peut se rassembler dans la salle. Les sources manquent pour étayer une analyse fouillée de leurs rapports, mais si la ville d’Amboise, de très petite taille, put se plier aux exigences royales ce fut avant tout grâce à l’extraordinaire cohésion des Amboisiens qui œuvrèrent toujours de concert, mettant de côté leurs différends.
Notes de bas de page
1 ACA, BB 1, fo 41vo, 19 novembre 1469.
2 BnF, ms. fr. 20579, pièce no 9.
3 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 253-255. Source non retrouvée.
4 ACA, DD (1479) d’après C. Chevalier, Inventaire analytique…, op. cit., p. 275.
5 ACA, CC 122, fo 27ro, 13 mars 1507 (n. st.).
6 ACA, CC 197, pièce 8, 28 août 1481.
7 ACA, CC 104, fo 17ro, 21 mai 1482.
8 ACA, CC 198, pièce 9, 1485.
9 ACA, CC 109, fo 13ro.
10 ACA, CC 114, fo 32vo.
11 ACA, CC 121, fo 43ro, 1506.
12 ACA, CC 122, fo 27ro.
13 André Mussat, Le style gothique de l’ouest de la France, Paris, 1963, 436 p. : Saint-Martin-de-Céré à la Ronde, Saint-Aubin aux Ponts-de-Cé, Sainte-Menehoulde à Palluau-sur-Indre. J. Noblet, En perpétuelle mémoire…, op. cit., p. 259-260, 273-274 et 277-278 : Notre-Dame à Montreuil-Bellay.
14 ACA, CC 91, fo 10ro, 1er avril 1469 (n. st.).
15 ACA, CC 204, pièce 7 : depuis le 27 mars jusqu’au 8 avril 1502 (n. st.).
16 En 1521, l’église Notre-Dame-de-Grâce-du-Bout-des-Ponts est consacrée ; elle n’entre pas dans le cadre chronologique de notre étude (J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 257).
17 Bernard Chevalier, Guillaume Briçonnet (v. 1445-1514), un cardinal-ministre au début de la Renaissance, Rennes, 2008, p. 23.
18 ACA, CC 105, fo 16, 6 avril 1485.
19 ACA, CC 200, pièce 16, 10 octobre 1498.
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