Chapitre 2. Amboise : le château et la ville du XVe siècle à nos jours
p. 31-45
Texte intégral
1En 1434, Amboise devint définitivement ville royale ; si ce statut ne changea pas radicalement le visage de la ville durant un siècle environ, son évolution demeura toutefois étroitement liée à celle du château.
LE CHÂTEAU, RÉSIDENCE ROYALE AUX XVe ET XVIe SIÈCLES
2Actuellement, il est impossible de déterminer si l’architecture du château a été modifiée par Charles VII. La présence du roi fut rare à Amboise où l’on ne lui connaît que trois séjours : deux le 23 novembre 1432 et le 7 août 14491, un troisième en 1446 authentifié par les comptes de Loches2.
3En revanche, dès le début du règne de Louis XI, le château devient la résidence principale de Charlotte de Savoie, d’Anne de France (jusqu’à son mariage avec Pierre II de Bourbon), de Jeanne de France (même après son mariage avec Louis d’Orléans) et du dauphin Charles, futur Charles VIII. À la naissance du dauphin en 1470, Louis XI délaisse Amboise, lui préférant Tours ou le Plessis-lès-Tours. Durant tout son règne, il exige de la ville sa participation à l’effort de guerre : tenir les fortifications de la ville en état, fournir des hommes de garde et des francs-archers ou encore mener chevaux et pièces d’artillerie en Normandie, Catalogne, Picardie et Bretagne.
4En 1483, Charles VIII succède à son père. Depuis le 23 juin 1483 et jusqu’en 1491, la jeune Marguerite d’Autriche, fille du roi des Romains Maximilien et fiancée de Charles VIII, demeure au château d’Amboise3. Mais en 1491, le roi épouse Anne de Bretagne, ce qui lui permet de mettre un terme aux guerres de Bretagne. Les risques de guerre s’éloignent, les entrées royales se multiplient et les déplacements d’une cour importante et itinérante rythment la vie de la ville.
5Après leur installation à Blois en 1500, Louis XII et Anne de Bretagne ne viennent plus qu’épisodiquement à Amboise, d’autant plus que Louis XII a demandé à Louise de Savoie de s’y installer avec son fils François, héritier présomptif du trône.
6Ayant passé une grande partie de son enfance au château, François Ier se montre très attaché au lieu. Louise de Savoie y établit sa résidence principale et de grands événements s’y déroulent tels que le baptême du dauphin François et le mariage du duc d’Urbin au printemps 1518. Par ailleurs, Léonard de Vinci s’installe en 1516 au Clos-Lucé où il s’éteint en 1519. Jusque dans les années 1540, la cour se rend assez régulièrement à Amboise. La venue de Charles Quint en 1539 est l’occasion de la dernière grande fête du règne donnée ici4.
LE CHÂTEAU DE LA RÉVOLUTION À NOS JOURS
Vers un monument public
7En 1789, le château subit peu de dégradations. À la suite de la mort du duc de Penthièvre, il est mis sous séquestre le 22 novembre 1793. Dans ce contexte révolutionnaire, passant du statut royal au statut de monument public5, il reçoit le nom de « citadelle » et abrite des vétérans. En 1797, la terre d’Amboise est démantelée en dix lots dont celui du château.
8En 1805, la sénatorerie d’Orléans décide d’abattre les bâtiments les plus délabrés, d’en vendre les matériaux et de financer la remise en état et au goût du jour de la grande salle sur la Loire et du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins. Les procès-verbaux de démolition sont dressés entre 1805 et 1808 sous la direction des architectes Pierre Thomas Baraguey et Jean-François-Thérèse Chalgrin6 ; Jean-Bernard Jacquemin lève le plan du château daté du 20 juin 18077. En avril 1811, le sénateur Roger Ducos s’installe dans ses nouveaux appartements.
9Sous la première Restauration, l’ordonnance de juillet 1814 décrète la suppression des sénatoreries. Amboise devait revenir à la duchesse douairière d’Orléans si le domaine n’était pas vendu avant le 1er septembre 1814. Mais, le retour de Napoléon durant les Cent-Jours ne lui laisse pas le temps de s’installer au château qui, dès avril 1815, sert de dépôt d’armes et de munitions. Un plan d’une grande précision daté du 17 juillet 1815 présente l’ensemble des cavités du promontoire pouvant servir de lieux de stockage8 (fig. 39).
10Durant la seconde Restauration, par ordonnance du 8 février 1816, la duchesse d’Orléans recouvre ses biens9. À sa mort le 23 juin 1821, son fils Louis-Philippe, duc d’Orléans et futur roi des Français, hérite le domaine. Les travaux portent alors principalement sur les cuisines de l’ancien logis des Sept Vertus transformées en écuries. La rampe d’accès est modifiée pour faciliter le passage des carrosses. Le tracé de l’enceinte est régularisé en dégageant le rempart de ses constructions annexes. Des délibérations ainsi que deux plans dressés entre 1839 et 1842 présentent l’état d’avancement de ces travaux10. Le chantier le plus important est celui du tunnel achevé en 1848 et long de près de 80 m, qui permet de traverser le promontoire, en face du pont, du nord au sud. Enfin, en 1835, les travaux de restauration intéressent plus particulièrement la chapelle11.
11En 1848, la révolution contraint Louis-Philippe à s’exiler. Ses biens sont confisqués le 22 janvier 185212. Le château appartient alors à la ville qui doit assurer la détention de l’émir Abd el-Kader et sa suite, après sa défaite en Algérie contre le duc d’Aumale. De cette période datent plusieurs états des lieux13.
12En 1873, il est à nouveau rendu à la famille d’Orléans qui a à sa tête le comte de Paris, dit Philippe VII. Après son décès le 8 septembre 1894, le château mis en vente est racheté par le duc d’Aumale le 7 mai 189714. Par échange, il revient à la Société civile du domaine de Dreux qui avait pour mission de gérer le patrimoine historique de la maison de France. L’actuelle Fondation Saint-Louis en est l’héritière depuis le 4 janvier 1974.
13En 1940 et 1943, plusieurs obus tombèrent dans l’ancienne cour du donjon, à l’emplacement du fossé, dans la chapelle, sur les tourelles du nouveau logis de Charles VIII sur les jardins, sur les Quatre Travées et sur le logis du Tambour. Par la suite, on ne cessa de maintenir en état la porte des Lions et les remparts.
Les restaurations menées par les architectes Ruprich-Robert (1872-1925)
14La correspondance du comte de Paris et des architectes ainsi que les comptes des travaux jusqu’en 1924 sont conservés aux Archives nationales15, dans les archives privées de la famille d’Orléans. Les dessins correspondants sont, quant à eux, conservés à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine16. En outre, un dossier retrace la plupart des étapes de restauration du château17.
15En 1839, le château est classé monument historique. Cette protection n’a aucune incidence sur l’état du château avant 1853, date à laquelle des fouilles sont entreprises sous la direction d’Arsène Houssaye, à l’emplacement de l’ancienne église Notre-Dame-et-Saint-Florentin où est découvert le tombeau de Léonard de Vinci.
16La sénatorerie d’Orléans avait aménagé les lieux et rasé tous les bâtiments délabrés entre 1806 et 1808, mais l’état du château s’était encore dégradé et des travaux d’entretien furent à nouveau nécessaires. En 1870, le comte de Paris les entreprend18. Après de nombreux rapports et relevés, Victor Ruprich-Robert propose en 1872 plusieurs projets relevant d’une interprétation discutable du dessein de Charles VIII (fig. 15). Son fils Gabriel achève les travaux entre 1887 et 192519. Sont ainsi restaurés : la tour des Minimes (1872, 1874, 1875, 1878), la chapelle (1880 et 1883), la tour Garçonnet (1881, puis 1893-1896), le bâtiment sur Loire de la grande salle (1882 et 1884), le rempart sur Loire (1884), la tour Heurtault (1884) et le nouveau logis de Charles VIII sur les jardins (1885 et 1896-1897). En 1895-1896, la transformation des logis en asile pour vieillards implique un compromis entre éléments à restituer et à modifier20.
17Par suite des dommages de guerres, les travaux reprennent en 1951, dirigés par Bernard Vitry ; il est nécessaire de « restaurer les restaurations » achevées à peine 40 ans plus tôt. Les architectes ont privilégié les relevés aux observations de terrain et la succession des campagnes de restauration a parfois effacé les indices archéologiques préservés. Pour la tour Garçonnet, les dessins légendés de Victor et Gabriel Ruprich-Robert permettent de comprendre certaines structures architecturales laissées en place (fig. 31 CC).
18Les premiers clichés sont des vues d’ensemble qui donnent une idée de l’étendue des bouleversements que subit le château, en particulier la tour des Minimes (fig. 32 CC). Ils témoignent d’un château très hétéroclite où les habitants successifs des lieux ont adapté l’architecture à leurs besoins sans chercher à conserver ni authenticité ni homogénéité. Le chantier des architectes Ruprich-Robert se caractérise par des choix de restauration conformes aux habitudes de la fin du XIXe siècle : une restitution systématique des parties disparues (fig. 16). Toutefois, les divers maîtres d’œuvre ont veillé à conserver certaines clefs de lecture du bâti. L’iconographie a parfois été prise pour modèle. Ainsi s’explique le double couronnement de la tour des Minimes (fig. 33 CC), qui est tel qu’il apparaît sur une miniature de la fin du XVe siècle21 (fig. 15).
LE DEVENIR DU CHÂTEAU À L’ÉPOQUE MODERNE
19Si, à partir de 1542, le roi n’est plus guère présent à Amboise, la forteresse continue d’abriter les séjours des enfants de la couronne. Les travaux de construction reprennent sous Henri II et Catherine de Médicis. Les sources contemporaines de ces aménagements sont rares22, mais les plans de Jacques Androuet du Cerceau et ceux levés en 1708 montrent la disposition des nouvelles constructions (fig. 8, 9, 10, 11, 16, 17, 18 et 19 CC). L’année 1560 est marquée par la Conjuration d’Amboise. Dès lors, la famille royale reviendra très peu au château23. Bien qu’il fasse toujours l’objet de « réparations et fortiffications », il n’est plus habité que par les chanoines de Saint-Florentin. Catherine de Médicis évoque des travaux dans sa correspondance mais sans apporter de précision quant à leur déroulement ou leurs emplacements24. À la suite de la conjuration, le château sert de prison25. Henri III est le premier à y envoyer ses opposants.
20Tandis qu’Henri IV boude Amboise, Louis XIII s’y arrête à plusieurs reprises. Ses séjours de 1616, 1617, 1619 et 1620 sont connus26. Manifestant un intérêt certain pour le lieu, le roi y envisage des travaux d’entretien partiellement exécutés. Des travaux de fortification sont, quant à eux, réalisés mais on ne connaît pas la motivation exacte de leur entreprise (fig. 7 CC). À cette époque, le favori du roi, Charles d’Albert, duc de Luynes, est nommé gouverneur de la ville et du château.
21En 162727, la baronnie revient en apanage à Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. En 1631, alors que Gaston d’Orléans ne cesse de conspirer contre le roi, le cardinal de Richelieu ordonne la neutralisation du château et de la ville afin qu’ils ne deviennent pas un lieu de repli pour les frondeurs. En 1643, la ville n’avait pas fini de régler ses dettes « tant pour les estappes des gens de guerre qui ont passé par cette ville, pour les fraiz du siege du chasteau de cette ville, pour le comblement des fossez et razement des fortiffications d’icelle28 ». Entre 1623 et 1632, deux états des lieux dévoilent quelques dispositions du château29. Il est plausible que le fossé séparant le donjon de la seconde cour ait alors disparu, mais il n’en est pas fait mention et les logis longeant le fossé y sont mêmes décrits.
22Sous le règne de Louis XIV, le château est habité par différentes personnalités. En 1660, à la mort de Gaston d’Orléans, le domaine revient à la Couronne. Le château sert à nouveau de prison et compte parmi ses hôtes de marque Nicolas Fouquet (1661) et le duc de Lauzun (1671).
23Depuis que, sur ordre de Richelieu, les remparts du château n’étaient plus défendus par les douves, les Amboisiens les avaient investis. Le 5 février 1690, par arrêt du Conseil d’État du roi, Colbert ordonne aux « particuliers qui ont creusé des caves sous le château et fait des logements dans les fossés de les démolir incessamment et de remettre les lieux en l’état primitif30 », mais ils n’en font rien.
24En 1708, un plan est levé dans le but de moderniser le château (fig. 16, 17, 18 et 19 CC). En 1714, il est donné à la duchesse de Berry par Louis XIV. En 1718, sous la direction de Robert de Cotte, un procès-verbal est dressé pour évaluer son état31. Au vu de l’importance des travaux nécessaires pour le rendre habitable, Louis XV lui attribue finalement celui de Meudon32.
25Le 24 février 1761, le duc de Choiseul fait l’acquisition du domaine de Chanteloup (fig. 17). Amboise et Chanteloup appartiennent désormais au duché-pairie de Choiseul-Amboise créé en 1764 après échange des terres d’Amboise avec celles de Choiseul. Un autre procès-verbal d’estimation des travaux d’entretien est dressé lors de la prise de possession33.
26Enfin, le château est acheté le 20 juillet 1786 par le duc de Penthièvre qui apporte d’importantes modifications aux parties en bon état : la grande salle sur la Loire, le nouveau logis de Charles VIII sur les jardins34 − appelés « échansonnerie » − et le couronnement de la tour des Minimes, où l’on aménage un salon couvert d’une verrière connue par l’iconographie du XIXe siècle (fig. 32 CC). Les jardins sont également remaniés. À cette époque, après avoir visité le château, le docteur Bruneau relate quelques éléments historiques et architecturaux35. Mais c’est aussi sous le duc de Penthièvre que le logis des Sept Vertus prend feu en 178836.
AMBOISE, LA BONNE VILLE AUX XVe ET XVIe SIÈCLES
27Durant la guerre de Cent Ans en Anjou-Touraine, les points de franchissement de la Loire jouent un rôle éminemment stratégique : « Les bonnes villes s’imposent d’elles-mêmes et d’autant plus que l’État s’affaiblit37. » Amboise appartient au réseau urbain à même de se défendre. En dehors des grandes batailles, la guerre de Cent Ans se caractérise par un pillage continu et systématique des campagnes comme des villes. Ce fait entraîne dans un premier temps la restauration des enceintes, puis durant la période de paix de 1380-1415, « ce n’est plus parce qu’une ville est “bonne” qu’elle se met en peine de se clore, c’est parce qu’elle veut le paraître qu’elle accepte d’en assumer les frais écrasants38 ». Les comptabilités conservées qui suivent immédiatement cette période, montrent qu’Amboise se trouve dans le cas de figure de ces petites villes qui se fortifient symboliquement. Elle n’obtient cependant le titre de bonne ville qu’en 149539.
28Si la fortification d’un château prend tout son sens lorsqu’il est menacé et qu’il se replie sur lui-même, une ville, si forte soit-elle, conserve des ouvertures de nécessité vitale : ses portes constituent autant de points faibles et de brèches dans son système défensif. Comme tant d’autres40, Amboise pouvait par sa taille être assimilée à une agglomération secondaire, mais son enceinte l’élevait au rang de ville.
29L’histoire de Tours fournit des jalons chronologiques essentiels. En 1356, le début des comptes tourangeaux coïncide avec le renforcement de la défense de la ville face aux périls de la guerre de Cent Ans41. Après une période de prospérité et d’essor, le conflit franco-anglais menaçait et il fut indispensable d’étendre les enceintes urbaines autour des faubourgs les plus développés42. Comme Tours, Amboise présentait deux centres (fig. 1, 5 et 40 CC) : l’un autour du château, protégé par la première enceinte et l’autre autour de Saint-Denis. Petit à petit l’espace vierge et marécageux qui séparait les deux pôles avait été aménagé et investi par les Amboisiens, ce qui nécessita d’édifier une seconde enceinte pour les protéger.
LA VILLE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
Institutions municipales et religieuses
30La Contre-Réforme se traduit au XVIIe siècle par un développement des institutions religieuses féminines (fig. 1 CC) : les Sœurs hospitalières et, en 1626, une communauté d’Ursulines dépendant du couvent de Tours. Les bâtiments conventuels s’élevaient entre le vieux marché (actuelle place Richelieu) et le faubourg Saint-Denis ; dans les années 1970, des vestiges étaient encore visibles aux 30 et 32 rue Rabelais.
31Cette composante importante de la ville qu’étaient les couvents fut supprimée à l’époque révolutionnaire. Différents inventaires et procès-verbaux décrivent sommairement les édifices43. En 1792, le couvent des Minimes est vendu, et en 1821 l’église sert de magasin. En 1793, l’église du prieuré Saint-Thomas sert d’écurie au 11e régiment de Hussards. Les Cordeliers sont également dissous à la Révolution et leur couvent vendu le 9 Germinal de l’an VI (29 mars 1798). Dès 1820, une fabrique de limes investit les locaux. Enfin en 1800, les bâtiments des Ursulines, dispersées dès 1789, sont détruits.
Urbanisme
32Les fortifications médiévales de la ville étaient toujours présentes au XVIIe siècle (fig. 40 CC). En 161144, 161445, 165046 et 173147, elles sont remises en état. En 173848, le portail du pont et sa grosse tour, qui s’élèvent sur la rive droite à l’entrée des vieux ponts de pierre, sont quasiment en ruines ; ils sont abattus avant qu’ils ne s’effondrent d’eux-mêmes, au risque d’emporter le pont. Cette destruction est suivie, en 173949, par celle de l’ancien portail du Petit Fort puis, en 178350, de la porte Titery, en 178751, de la porte Heurtault et, en 179852, de la porte Tripière.
33Les réflexions hygiénistes qui se font jour à la fin du XVIIIe siècle entraînent pour la ville trois mesures : couvrir le cours de la Masse, véritable égout à ciel ouvert, élargir les rues et déplacer les cimetières. Si cette deuxième entreprise n’est que timidement amorcée, on prend en revanche les choses en main pour la Masse : son bras dit principal est condamné53. Le 10 mars 176754, une déclaration royale somme les municipalités de déplacer les cimetières hors les murs et les faubourgs. En 177455, on relègue le cimetière Saint-Florentin sur une parcelle située le long de l’actuelle rue Racine (fig. 4 CC). Le nouveau cimetière est consacré le 27 mai 177556. En 1778, c’est le cimetière Saint-Denis qui rejoint l’ouest de la ville :
Une pièce de terre labourable de 5 quartiers ou environ dépendant du prieuré Saint-Thomas de cette ville, scittué au Clos du bœuf […] ce terrain situé sur une élévation et hors des faubourgs de cette ville, éloignée de la dernière maison habitée dudit faubourg de 191 toises 4 pieds.57
34Les promenades sont à la mode : le mail créé le long de la Loire, en 1621 sur une centaine de mètres, couvre bientôt tout le bord du fleuve58 (fig. 18). Le mail Saint-Thomas est aménagé tel qu’on le connaît (fig. 19).
Économie
35Amboise ne connut pas de bouleversement spécifique dans la seconde moitié du XVIe siècle. Le déclin de la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles est marqué par une chute des revenus et une diminution de la population59. Les finances sont d’autant plus mauvaises que noblesse et bourgeoisie fortunées avaient quitté la ville, alors que la population désargentée, qui avait tenu une charge pendant un temps au service du roi ou de la reine, demeure à Amboise exemptée d’impôts60. La vie de cour laisse ainsi place à l’installation des Sœurs hospitalières et des Ursulines qui maintiennent, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, mais suivant une décadence lente et régulière, l’industrie lainière et les tanneries qui existent depuis les XVe et XVIe siècles. Les quatre foires annuelles sur la place du Grand Marché sont, quant à elles, préservées. Enfin, au début du XVIIIe siècle, des halles couvertes sont installées au Carroir61, au pied du château (fig. 1 CC).
36À la fin du XVIIIe siècle, des industries nouvelles se mettent en place62. Dès 1770, le duc de Choiseul autorise au château l’installation d’une fabrique de casques pour troupes et des ateliers de buffleterie63, exemptés de taxes de péage pour franchir le pont64. En 1773, en bord de Loire, à la sortie de la ville vers le faubourg Saint-François, s’installe une « manufacture royale de quincaillerie, taillanderie, bijouterie de toutes sortes de métaux façons d’Angleterre65 ». La Loire procurait l’énergie hydraulique et facilitait les approvisionnements en matière brute venue du Nivernais ainsi que l’exportation des produits finis.
37En 175366, la route d’Espagne est définitivement déviée, ce qui entraîne de graves conséquences économiques pour la ville67 (fig. 3 CC). Au XVIIe siècle, la construction systématique des levées le long de la Loire provoque des crues plus importantes, le niveau du fleuve pouvant monter jusqu’à 6 ou 7 m au-dessus du niveau habituel. Les hivers sont très rigoureux : en 160868, le pont est rompu par les glaces et il faut attendre 1620 pour qu’il soit de nouveau en usage ; en 164169, les crues sont considérables ; en 166570, les réparations imposées par Colbert sont encore une fois très lourdes. Cependant, les levées protégeant les bords de Loire permettent l’installation des sièges de justices, des entrepôts et des marchés sur la rive droite, entre Orléans et Tours.
38Colbert met en place le système des intendants de généralités pour gérer de manière centralisée l’entretien des ponts et chaussées71. L’essentiel des frais d’entretien ou de reconstruction d’un pont revient néanmoins à la ville, et Amboise n’est pas en mesure de financer ces travaux, contrairement à Tours qui s’est considérablement développée. La route détournée sur la rive droite pour rejoindre Tours ne traverse alors plus Amboise pour gagner Bléré par les terres. Or, cette traversée demeurait l’une des principales sources de revenus de la population et de la ville (pontage, péage…) qui permettait notamment l’entretien du pont.
39Grâce à des travaux d’endiguement par des pieux, l’île Saint-Jean avait pu être lotie72. Mais l’édification des levées eut des conséquences sur les petites îles qui représentaient une surface propre à la culture non négligeable et qui disparurent avec la hausse du niveau des eaux.
40Au XVIIIe siècle, la morphologie d’Amboise ainsi que les pôles dynamiques de la ville, établis depuis le XVIIIe siècle sans grande évolution, se modifient. Si la rive droite peut enfin se développer c’est au détriment de la rive gauche. Tout au long du XVIIIe siècle, des solutions de fortune sont adoptées pour maintenir le passage sur le pont. En 1789, la débâcle des glaces emporte les ponts de bois reconstruits à peine vingt ans plus tôt. Il faut attendre 1794 pour qu’un nouveau chantier se mette en place, et les travaux s’achèvent en 1820.
LES GRANDS TRAVAUX D’URBANISME DES XIXe ET XXe SIÈCLES
L’enceinte
41Cinq facteurs principaux sont à l’origine des mutations des XIXe et XXe siècles : la confiscation des biens de l’Église, la destruction des remparts et l’alignement des rues (1835 et 1886-1887), la mise en place de la voie de chemin de fer sur la rive droite (1846), le déplacement et la reconstruction des ponts (1846-1848) et enfin, les travaux d’assainissement menés jusque dans les années 1970.
42En 1808, si la plupart des portes de ville n’existent déjà plus, le tracé de l’enceinte apparaît encore en grande partie sur le plan cadastral (fig. 6 CC). Le processus de transformation est lent et la porte Galaffre ne disparaît qu’en 1856.
Les alignements des fronts de rue
43Initiés sous Louis-Philippe dès 183473, les plans d’alignement visent à améliorer la vie des Amboisiens en redessinant le tracé des rues et des places les plus étroites (fig. 18, 20, 21, 22, 23 et 24). Les ruelles doivent mesurer plus de 3 m de large et les rues ordinaires atteindre 6 m. Les places, telle la place Saint-Roch sur l’île, doivent être symétriques. Seules trois rues, très étroites et typiquement médiévales, sont totalement épargnées : les rues Newton, du Petit Soleil et Bellepoule (fig. 25).
44Autour de 1887, une seconde phase d’alignement touche le quai des Marais (fig. 26). Sur les plans sont notés le nom du propriétaire – qui apparait déjà sur les plans de 1835 − et son métier. On dénombre ainsi 6 tanneurs74 encore installés sur le bras secondaire de la Masse.
Les ponts et la circulation dans la ville
45À partir de 1846, les ponts sur Loire sont reconstruits et mis à l’alignement de celui du Bout-des-Ponts, à l’emplacement qu’on leur connaît, vraisemblablement pour remédier aux problèmes d’affouillement75. Mais le pont d’origine médiéval resta cependant en usage jusque dans les années 1870 (fig. 32 CC). Au milieu du XIXe siècle, on cherche à protéger la ville contre les crues de la Loire et de la Masse. Les levées sont surélevées et des remparts de crues construits (fig. 27). Les travaux entrepris sur la Masse consistent à contrôler son débit en amont en creusant un canal de dérivation vers Château-Gaillard et les Châtelliers, à équiper la ville de plusieurs vannes et écluses et à couvrir son cours. La circulation de la ville se modifiant, l’ancienne rue Saint-Denis (actuelle rue Nationale) qui avait accueilli la route d’Espagne pendant des siècles est remplacée par la « Grande route de Paris à Poitiers » en bord de Loire qui se trouve désormais à l’abri des crues. En 1846, on voit se développer, avec l’implantation de la ligne de chemin de fer76, le faubourg du Bout-des-Ponts, et l’ancien centre-ville est déserté.
46Les bombardements de 1940 détruisirent les ponts, la pointe aval de l’île d’Or et le quartier correspondant à l’emplacement de l’avenue des Martyrs de la Résistance (fig. 4 CC) qui fut alors percée, reliant le quai de Loire à la place Saint-Denis. Le pont côté château est reconstruit à l’emplacement de celui de 1846. Au cours des années 1960, Amboise perd définitivement son visage médiéval. On entreprend des travaux de reconstruction et l’on finit de raser les couvents et autres bâtiments des institutions religieuses, à l’exception du couvent des Minimes transformé en hôtellerie (fig. 14 et 28).
47Aujourd’hui, l’agglomération compte un peu plus de 13 000 habitants. En 1991, un Secteur sauvegardé77 et une Zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager sont mis en place, répertoriant les éléments anciens encore visibles dans la ville. À la lecture de ces rapports, on constate en concordance avec l’étude de terrain que sur une trame médiévale, palpable entre autres à travers le parcellaire laniéré, l’essentiel de la construction se trouve fortement remanié.
Notes de bas de page
1 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 36.
2 ADIL, E-Dépôt 132, BB 1-4, Assemblée des habitants de Loches, procès-verbaux, XVe-XVIe siècles.
3 D. Le Fur, Charles VIII, op. cit., p. 40-50 et 406-407.
4 ACA, CC 138, fo 73 ; et CC 139, fo 57 (1540).
5 Jean-Pierre Froger, Amboise et sa région entre Révolution et Contre-Révolution 1789-1800, thèse de doctorat d’histoire, Jean Tularden (dir.), La Sorbonne, 1984, Amboise, 1985, 339 p.
6 AN, O2 1383.
7 BnF, est., Ve 26 k, no 137. Destailleur.
8 ACA, Plan du Château d’Amboise en 1815.
9 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 153.
10 ADIL, C 633. AN, Cartes et Plans, 300 AP (I) 2299.
11 AN, 300 AP (I) 2006.
12 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 157.
13 ADIL, 2Q71, rapport du 16 février 1861.
14 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 164-165.
15 AN, 300 AP I 2015a et 2248.
16 Médiathèque de l'architecture et du Patrimoine (MAP), Planothèque : 0082/037/3002, 0082/037/2008, 0082/037/2007, 0082/037/2005, 0082/037/1001, 0082/037/1002, 0082/037/1003.
17 Ibid. (810370002 [1001]).
18 Id.
19 AN, Cartes et Plans, 300 AP (I) 2299 bis.
20 Ibid., Le cinquième projet fut adopté.
21 Saint-Pétersbourg, Bibliothèque nationale de Russie (BnR), ms. fr. Fv IV N 7, fo 1, « L’auteur offre son livre à Charles VIII », Miniatures des Chroniques d’Amboise.
22 Louis-Auguste Bosseboeuf, « Comptes de Louis XI, Louis XII et Catherine de Médicis », Touraine historique-documents inédits, 3e et 4e trimestre 1899, Tours, 24 p. Bibliothèque publique d’État Saltykov-Chtchedrine, à Léningrad, ms. fr. Fv. IX, IX² (enregistré comme une chartre de Charles VIII, alors qu’il s’agit de Charles IX). É. Dagnas-Thomas, Amboise, le grand dessein…, op. cit., p. 123.
23 On note néanmoins deux longs séjours en 1571 et 1572 (M. Chatenet, La cour de France…, op. cit., p. 322-323).
24 Hector de La Ferrière, Lettres de Catherine de Médicis, tome I, Paris, 1880, p. 618.
25 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 131.
26 Ibid., p. 132.
27 J.-P. Babelon, Le château d’Amboise, op. cit., p. 133.
28 ACA, BB 13, fo 33, 1643 : « Pour les fraiz du siege du chasteau de ceste ville […] pour le comblement des fossez et razement des fortiffication d’icelle. »
29 ADIL, C 655.
30 C. Chevalier, Inventaire analytique des archives…, op. cit., p. 277 ; d’après ACA, DD 42.
31 BnF, est., Hd 135 t. 4, dossier 1629 (extrait du Conseil d’État) : Devis de restauration du château d’Amboise en 1708.
32 BnF, ms. fr. 78d, fos 173-175.
33 ADIL, C 950.
34 ACA, CC 138, fo 73 ; et CC 139, fo 57 (1540).
35 Bibliothèque municipale de Tours, ms. fr. 1320.
36 C. Chevalier, Inventaire analytique des archives…, op. cit., p. 140 ; d’après ACA, BB 56, fo 66vo.
37 Bernard Chevalier, Les bonnes villes de France, l’état et la société dans la France de la fin du XVe siècle, Orléans, 1995, p. 45.
38 Ibid., p. 53.
39 C. Chevalier, Inventaire analytique…, op. cit., p. 42, d’après ACA, AA 106, 3 juin 1495.
40 B. Chevalier, Les bonnes villes de France, l’état…, op. cit., p. 125.
41 Bernard Chevalier, Tours ville royale : 1356-1520, origine et développement d’une capitale à la fin du Moyen Âge, Paris-Louvain, 1975, p. 23-25.
42 On retrouve ce phénomène à Saumur (E. Cron, Saumur…, op. cit.) ou à Orléans (Clément Alix et Ronan Durandière, « La dernière enceinte d’Orléans (fin du XVe – 1re moitié du XVIe siècle) », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, nouvelle série, tome XVII-139, 1er trimestre 2004, p. 6).
43 ADIL, 1 Q 2 à 1 Q 6 : 1790. Gilles-Henry Bailly et Anne Debal-Morche, Amboise, Secteur sauvegardé : la richesse d’un patrimoine urbain, catalogue de l’exposition tenue en mai 1992 à Amboise, Amboise, 1992, p. 14-16.
44 Ibid., fo 166.
45 ACA, BB 11, fos 145 et 145 bis.
46 ACA, BB 16, fo 17.
47 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 384 ; d’après ACA, DD sup.
48 ACA, DD 50 et BB 33, fo 13 : démolition du « donjon » bâti à l’entrée du pont de pierre « qui menace une ruine si prochaine qu’il n’est presque plus possible d’y passer ».
49 ACA, BB 34, fo 1 et DD 49.
50 ACA, BB 55, fos 112vo-113.
51 ACA, BB 56, fo 16.
52 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 385.
53 ACA, DD 46, 17782 et 1783.
54 ACA, BB 49, fo 27vo et DD 38.
55 Ibid., p. 379.
56 ACA, GG 21.
57 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 382 ; d’après ADIL, C 299.
58 Ibid., p. 367.
59 Ibid., p. 285-389.
60 ACA, BB 1, fo 80vo, 16 octobre 1477.
61 ACA, plan no 9.
62 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 389-396.
63 AN, F 12749B, dossier 2.
64 ACA, BB 53, fo 18.
65 ACA, BB 54, fo 89.
66 ACA, BB 41, fos 1-5. AN, Cartes et Plans, F14 10165 17 II : Cartes des routes et chemins ouverts et à ouvrir le 1er janvier 1769.
67 J. Melet-Samson, Le développement historique…, op. cit., p. 308-309.
68 ACA, CC 167 et 168.
69 ACA, BB 12, fo 11.
70 ACA, BB 18, fo 128.
71 Jean Mesqui, Le pont en France avant le temps des ingénieurs, Paris, 1986, p. 45-50.
72 ADIL, C 269.
73 ACA, sans cote : Plans d’alignement.
74 Bergès, Aubert, Solomon, Dumée, Filature, Terriet, Oudin.
75 ACA, DD 31. On notera en aval du pont actuel, côté château, des vestiges de pieux qui affleurent dans le lit du fleuve et dont on ne connaît pas l’origine.
76 BnF, Cartes et Plans, Ge CC 1345, Atlas topographique dans la vallée de la Loire, présentant les études de chemins de fer de Nantes à Orléans, dessin par Héronville et Jacoubert, 1837-1838, encre et aquarelle sur papier ; échelle 1/10000e.
77 Id., et Gilles-Henry Bailly, Amboise, secteur sauvegardé. Plan de sauvegarde et de mise en valeur, tome 1, « Rapport de présentation », CEU-P Caradel, juin 1997, complété en août 2000, 40 p. et 150 p.
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