Chapitre 8. Les lieux des plaisirs seigneuriaux : jardins, prés, parcs, vergers et garennes
p. 275-309
Texte intégral
Des choses qui peuvent être faites pour la délectation.
Pierre de Crescens, Le livre des prouffits champestres et ruraulx, Paris, 1486, livre VIII, chap. IV.
1« Pas de château sans jardin », écrit Jean Guillaume1. L’affirmation pourrait valoir aussi pour le manoir, même si l’on ne s’est guère interrogé jusqu’ici sur cet aspect de la petite maison noble2. Seuls Nicolas Gautier pour le Perche, Marie-Hélène Since pour la Basse-Normandie et Marie-Eugène Héraud pour la Vendée ont étudié les jardins du XVIe siècle, mais sans analyser leur rapport avec la demeure3. Il faut dire que contrairement aux châteaux qui disposent des célèbres dessins et gravures de Du Cerceau, les manoirs sont rarement documentés sur ce point. Pour mener cette enquête, on possède peu d’éléments en dehors de l’analyse cartographique et topographique : lecture des cadastres anciens, antérieurs aux grands remembrements du XXe siècle4, repérage des structures en terre encore en place (fossés, talus, fausses-braies, mottes féodales) et examen archéologique des structures maçonnées (logis seigneurial, dépendances et murs de clôture). Pour certains manoirs, il existe de plus quelques plans antérieurs au cadastre dit napoléonien (plans terriers, plans de vallée, Atlas de Trudaine), des descriptions de visiteurs et des photographies aériennes de l’IGN. Ajoutons que les livres de Charles Estienne et Jean Liébault, Claude Gauchet et Olivier de Serres et le recueil de 1582 de Jacques Androuet du Cerceau livrent quelques grands principes organisateurs du jardin et des autres lieux d’agrément autour de la maison noble5. Enfin, la comparaison avec des châteaux, mieux documentés, se révèle parfois éclairante.
2Pour comprendre l’histoire du jardin de la petite demeure noble en Haute-Normandie, il convient d’abord de distinguer les maisons des champs de notables vivant en ville, les résidences campagnardes de gentilshommes vivant à la cour une partie de l’année et les manoirs a priori plus simples de nobles vivant du seul revenu de leur terre, car les contraintes imposées, les moyens financiers et les désirs des uns et des autres peuvent être radicalement différents. Il faut également distinguer les divers espaces clos réservés au seigneur autour du logis : jardin potager et jardin d’agrément, cour à préau et cour plantée d’arbres, pré entouré d’arbres, verger, garenne, parc de chasse, le jardin, au sens strict, n’étant pas toujours le lieu d’agrément privilégié de la maison noble. Ce constat m’a incité à aborder le sujet dans une perspective plus organique, comme cela a déjà été fait pour la distribution des châteaux – après tout, les lieux d’agrément ne sont-ils pas parfois voulus comme une extension de la demeure : des pièces extérieures à l’usage du seigneur et de sa famille ? Je voudrais en effet situer les lieux d’agrément dans l’ensemble de l’environnement du manoir – et non les examiner de manière isolée –, afin de mieux comprendre leur fonction et leur destination.
LES « JARDINAGES » : JARDINS NOURRICIERS ET JARDINS MIXTES
3Le jardin au sens strict figure sur le cadastre dit napoléonien pour chaque domaine ou presque. Il s’agit le plus souvent d’un enclos carré ou rectangulaire bordé de haies, de fossés ou de murs, organisé régulièrement en carrés ou rectangles plantés, appelés au XVIe siècle « planches », « carreaux », « parquets » ou « compartiments ». Le jardin le plus courant des manoirs haut-normands est le jardin nourricier, « en laquelle [il] y a moins de superfluité que de proffit6 ». Selon Marie-Hélène Since, le jardin potager est considéré en lui-même comme un lieu d’agrément que le maître de maison apprécie comme tel, avec ses fleurs et ses parfums. Toujours selon elle, « la plupart des manoirs du XVIe siècle de la campagne normande étaient entourés de tels petits jardins qui cumulaient ces deux fonctions7 ». Dans les traités, ils sont plutôt juxtaposés. Dans son Agriculture et maison rustique (traduit du latin et augmenté par Jean Liébault en 1564), Charles Estienne place jardin nourricier et jardin d’agrément dans le même enclos, leurs parterres placés respectivement à gauche et à droite d’une longue allée que dessert le logis. Olivier de Serres propose un jardin similaire, partagé :
en quatre espèces, assavoir, en potager, bouquetier, médicinal, fruictier […]. Tous lesquels jardins, contigus et unis ensembles, seront enfermés dans un clos, entr’eux divisés par allées découvertes ou couvertes en treillages, plats ou voutoyés […] adjoustant la vigne à tel clos, pour n’en faire qu’un grand et ample.8
4Plus loin, il propose des modèles de parterres où légumes et fleurs « à plaisir » sont plus étroitement associés, avec des « compartiments pouvant servir pour jardin entier : voire et pour potager, parce que ses vuides sont capables, à cause de leur largeur, de recevoir des herbes de mesnage qui seront bordées de celles de plaisir, dont toutes ensemble se rendront de plaisante utilité9 ». L’analyse du cadastre ancien, de quelques plans terriers et des dispositions restituées des manoirs confirme ces deux lectures contrastées, car elle permet de distinguer trois grands types de jardins nourriciers en Haute-Normandie : le jardin unique, exclusivement nourricier, le jardin à la fois potager et d’agrément, le jardin potager distinct du jardin d’agrément.
5Pour les manoirs les moins importants qui constituent la majorité des domaines nobles haut-normands, tels Anquetierville, Héronchelles, Caltot et Beuzeville-la-Guérard, le jardin, de petites dimensions et le plus souvent éloigné du logis, paraît être, sans contestation possible, un jardin nourricier. Il forme l’une des nombreuses dépendances utilitaires du manoir, sans statut particulier ; il est donc traité comme tel. De reste, dans quelques cas certes exceptionnels, comme au Hérault, on n’a pas hésité à rejeter le jardin en dehors du pourpris10 (fig. 34a). Cela revient-il à dire que ces petits domaines campagnards étaient dépourvus de lieux d’agrément ? Sans doute non, mais il faut croire que ceux-ci étaient de nature différente ou plus modestes. Pour continuer avec l’exemple du Hérault, on observe que le logis possédait à l’arrière une coursière en bois au premier étage qui donnait des vues sur le pourpris planté en verger et bordé de ce côté par une triple rangée d’arbres de haute futaie (fig. 133). On devine qu’au printemps, lors de la floraison des pommiers dont les branches croissent à hauteur du premier étage de la demeure, les habitants qui se tenaient sur la coursière avaient sous les yeux un véritable tapis de fleurs et, au-delà, les frondaisons des arbres créant l’illusion d’une lisière de forêt. Cette disposition, qui ne demande pas un investissement lourd et apporte un revenu supplémentaire, dût plaire aux hobereaux normands, puisqu’elle se retrouve avec quelques variantes dans un certain nombre de domaines11, y compris ceux, plus importants, munis d’un jardin étendu, tels Bailleul-la-Campagne, Houlbec et La Motte. Il faut dire que les archevêques de Rouen en avaient montré l’exemple dès la fin du XVe siècle dans leur manoir de Fresne-l’Archevêque : en 1477, Guillaume d’Estouteville avait fait planter cent chênes de 16 à 19 pieds de hauteur (de 5,20 à 6,17 mètres) autour du jardin « affin de rompre les vents qui pourroient grever ou abastre les pommiers » ; en 1490, Robert de Croismare y fait apporter à son tour 112 « periés [poiriers] et pommiers bâtars gros et de la haulteur d’un homme12 ».
6Si la fonction nourricière de ce type de jardin ne fait aucun doute, il est possible qu’elle s’accompagne, dans quelques cas, d’une fonction d’agrément. À Mentheville (fig. 89), la place du jardin à l’extérieur du pourpris à côté d’autres enclos visiblement dédiés à l’agrément et à l’exercice de la chasse (un verger et un petit parc boisé) suggère que l’unique jardin, potager, avait aussi un rôle récréatif. Cette observation laisse penser que, dans l’enclos de ce jardin, certains parterres étaient pour l’agrément tandis que d’autres étaient potagers, comme le préconisent les traités d’agronomie. L’hypothèse est d’autant plus vraisemblable lorsque le jardin est étendu, comme au Bus, à Martainville, aux Mottes et à Auffay. La répartition des parterres pouvait cependant être différente de celle du jardin idéal d’Estienne et Liébault. Un plan terrier de Martainville au XVIIIe siècle figure, en effet, les parterres d’agrément placés au plus près du logis tandis que les parterres légumiers sont situés au-delà, sur le même axe (fig. 12). Cette répartition, sans doute d’origine à Martainville, se retrouve à Brécourt, où les parterres d’agrément bordent un bâtiment, peut-être un portique (plan terrier du XVIIIe siècle) ; les parterres potagers sont situés plus loin, dans le même enclos. Dans ces cas de figure, on comprend que c’est la volonté de profiter des fleurs et de leur parfum qui a commandé l’emplacement des différentes plantations à l’intérieur du jardin, au plus près de l’entrée. En l’absence de documents, on ne peut qu’émettre une hypothèse : lorsqu’un jardin, unique, borde directement le logis et qu’il est axé sur lui, ce qui est le cas au Bus, au manoir d’Ango ou à Saffray13, la répartition des parterres est celle qu’on vient de décrire. Autre cas de figure, autre hypothèse : lorsque le logis est décalé par rapport à l’axe du jardin qui le borde directement, les parterres situés en face du logis sont destinés à l’agrément alors que ceux situés sur le côté sont légumiers ou herbiers. Les jardins de Perriers (vers 1475), Commanville (vers 1500), du Mesnil-Jourdain (vers 1515) et des Rocques (vers 1525, fig. 42a) devaient être organisés selon le principe qu’Estienne et Liébault publieront plus tard. C’est encore le cas à La Valouine (1592-1602), qui semble par ailleurs suivre bon nombre des principes dictés par les deux auteurs.
7La réunion du jardin potager et du jardin d’agrément dans un même enclos présente bien des avantages : un seul puits permet de tirer l’eau pour les arroser14 ; visuellement, il offre au visiteur l’impression d’un seul et vaste jardin, les parterres légumiers et herbiers offrant un agrément et une variété supplémentaires tout en étant à peu de distance des pièces de service de la demeure. On devine à travers ces exemples que la séparation des fonctions correspond à des domaines au statut plus relevé.
8Ce constat se vérifie encore lorsque le jardin est isolé : il caractérise presque uniquement des domaines importants (baronnies, pleins-fiefs). Dans quelques-uns de ces domaines, le jardin, placé à distance au fond d’une vallée, est plus étendu et cerné par l’eau d’une rivière (Clères, Perriers, Chambray). Arrêtons-nous sur Chambray, qui illustre parfaitement l’ambivalence du jardin du manoir. Situé au fond de la vallée, ce jardin, le seul attesté sur ce domaine (à l’exclusion d’un petit jardin de lin et de chanvre dans le fossé de la basse-cour), est à la fois d’agrément et d’utilité – il est d’ailleurs appelé « jardin potager » au XVIIIe siècle15 (fig. 36). Nul doute que ce jardin a été privilégié lors des travaux ambitieux menés par Gabriel de Chambray et Jeanne d’Angennes après 1578. Au prix de travaux de terrassement importants, le nouveau logis a été élevé au bord d’un à-pic, vers les vues les plus étendues sur le paysage de la vallée. Et comme au château de Vallery16 (vers 1550), le jardin a été installé au fond de la vallée afin de profiter du passage de la rivière et de l’étendue du terrain plat à cet endroit : très vaste (133 × 95 mètres), il est bordé par un large canal alimenté par l’Iton et par une parcelle en herbe – une terrasse ? – d’où il est possible d’admirer les parterres.
9Le dernier type est le mieux représenté : le jardin potager distinct du jardin d’agrément. Dans bon nombre de domaines étudiés ici, le potager, placé dans un enclos séparé de celui destiné à l’agrément du seigneur et de sa famille, lui reste cependant attaché : il en est seulement séparé par un mur de clôture, comme à Ételan, Bailleul-la-Campagne, Sénitot ou Beuzeville-la-Grenier, parmi tant d’autres17. La proximité des deux jardins offre tous les avantages du type précédent. Cependant, leur organisation peut prendre un tour particulier. À Ételan, les deux jardins en terrasse bordent au sud le manoir : le jardin d’agrément, à l’est, borde les pièces principales du logis, tandis que le potager, à l’ouest, est situé au pied du bâtiment qui abrite les offices18 (fig. 32a, 32c, 121). La volonté de hiérarchisation des fonctions est manifeste à Ételan, où l’emplacement des deux jardins semble avoir été commandé par la distribution de la maison noble. Une organisation comparable se voyait probablement à Sénitot, à Tilly et à Acquigny – j’y reviendrai plus loin19. De même, à Bailleul-la-Campagne, les deux jardins, mitoyens, sont implantés de telle sorte que celui d’agrément, le plus vaste, est axé sur la plate-forme du logis, tandis que le potager se trouve inclus dans la ferme.
10Enfin, le jardin potager peut être placé à distance du logis, rejeté sur le côté de la cour (Fontainele-Bourg, Le Flot, Bailleul) ou placé à l’écart dans la basse-cour (Heubécourt, Fleury, Le Hom, Limeux, Thevray, Le Bec-Crespin). En dépit de sa situation moins favorable, le potager est parfois beaucoup plus vaste que le jardin dédié à l’agrément (Bailleul, Ménilles).
LE JARDIN D’AGREMENT
Ce sont les ornemens du jardin de plaisir, destinés au contentement de la veue. Recréent aussi l’esprit, les précieuses et douces senteurs, […] pour soulagement en ses sérieuses affaires.
Olivier de Serres, Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Paris, 1600, sixiesme lieu, chap. XIII.
Le jardin clos
11On le sait, bien des éléments de continuité relient le jardin clos médiéval (hortus conclusus) à celui de la Renaissance, ce qui explique le succès persistant de l’ouvrage de Pietro Crescenzi, Opus ruralium commodorum (vers 1309), qui connaît 44 éditions en latin, italien et français entre 1478 et 156520. Il n’est donc pas étonnant de constater que le type du jardin clos, sans contact direct avec la demeure, se retrouve tout au long du XVIe siècle en Haute-Normandie et qu’il y conserve pour l’essentiel les caractères de celui des siècles précédents21. Se rendre au jardin constitue un but de promenade et, la porte passée, on pénètre dans un lieu de divertissement où le seigneur, en noble compagnie, se livre aux « plaisances mondaines » : jouer de la musique, chanter, converser, se promener. Les éléments clés du jardin courtois, comme on en voit si souvent sur les pages peintes des manuscrits, sont la clôture extérieure (en général un mur crénelé), le puits ou la fontaine, le préau, les arbres (fig. 174). Le jardin est structuré par des allées et des treillages de bois, qui ouvrent par de petits portillons sur les plates-bandes de formes géométriques ; au fond et sur les côtés, les rosiers sont palissés le long des murs. Ce type d’aménagement est attesté en Haute-Normandie dans quelques demeures de qualité du XVe siècle, tel le manoir suburbain de Déville, près de Rouen, où l’archevêque Raoul Roussel possède un jardin planté d’arbres avec fontaine, viviers et pêcherie22. D’autres raffinements peuvent être introduits. Ainsi, au cours des années 1480, Jacques d’Estouteville et Louise d’Albret font aménager le jardin de leur château de Valmont d’une logette et de tonnelles en menuiserie23. Encore à Déville, à partir de 1494, Georges d’Amboise fait réaménager le jardin avec des banquettes de gazon, des tonnelles dorées et peintes, et de grandes allées bordées d’arbres24. On connaît par ailleurs les luxueux aménagements du jardin du cardinal à Gaillon, qui reste avant tout un jardin fermé – y compris après les modifications opérées dans la seconde moitié du XVIe siècle (fig. 128). D’ailleurs, dans le reste du domaine royal, il paraît encore naturel au XVIe siècle de créer des jardins de ce type (Chantilly vers 1525, Vallery vers 1550, projet de Chenonceau vers 157925).

Fig. 174 > Le Verger de Déduit. Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Roman de la Rose, Maître des livres de prières d’environ 1500, Bruges, vers 1490-1500, peinture sur parchemin. Londres, The British Library, Ms Harley 4425, f° 12v°.
Expériences nouvelles
12En dépit d’une forte continuité avec les siècles précédents, certains développements, parfois spectaculaires, marquent l’histoire du jardin haut-normand du XVe à la fin du XVIe siècle.
13Avant la fin du XVe siècle, le jardin est habituellement situé à distance du logis et sans lien direct avec lui. Mais, comme toute règle, celle-ci a ses exceptions. Ainsi, il est fort probable qu’à l’époque médiévale déjà, il existait des manoirs où logis et jardin étaient mitoyens26. Pour preuve, le manoir de La Vigne, au Mesnil-sous-Jumièges, où mourut Agnès Sorel le 9 février 1450 : le logis du début du XIVe siècle, au sud de la cour, possédait une grande salle et une chambre dont les fenêtres ouvraient au midi sur une parcelle bordant le logis, sans nul doute un jardin (fig. 122a). Mieux, ce jardin était accessible directement depuis la chambre située au premier étage par une porte (en place) et un grand perron extérieur (aujourd’hui disparu27). La qualité de ce manoir, dépendance de l’abbaye de Jumièges toute proche, et son utilisation, pour héberger des hôtes de marque28, expliquent la précocité de cette disposition remarquable.
14À partir des années 1494-1495 néanmoins, ce qui était l’exception semble devenir la règle : le jardin se rapproche du logis ou le borde directement, il s’agrandit fortement (sa superficie moyenne double) et l’accès, s’il n’est pas direct, est du moins facilité par la proximité. Dans ce tournant décisif, trois édifices semblent avoir joué un rôle éminent : Ételan, Martainville et Clères.
15La maison des champs de Louis Picard, à Ételan, est celle où des innovations capitales apparaissent. Située à l’ouest de Rouen, sur un site de crête qui offre un panorama incomparable sur la vallée de la Seine, elle a été embellie par cet homme d’armes de la compagnie de Louis d’Orléans, qui, présent en Italie en novembre 1494, reçut du prince un don de 700 lt pour mener les travaux29.
16Le premier trait marquant d’Ételan, on l’a vu, tient au fait que la demeure est dépourvue de tout ouvrage défensif30. De plus, la position sur cour de la tour d’escalier, contraire aux usages locaux31, permet de dégager la façade arrière, et de l’ouvrir largement au rez-de-chaussée (fig. 32).
17De ce côté, le logis est bordé par un jardin d’agrément (environ 75 x 22 mètres), au plus près des fenêtres du logis32. Par sa situation et ses dimensions, ce jardin est d’une grande nouveauté en Normandie. En outre, disposé sur la ligne de crête, au bord d’un à-pic, il a été aménagé en petites terrasses plantées d’arbres fruitiers et bordées par des garde-corps (fig. 32c). Cette solution où le jardin offre des vues grâce à des murs bas, est, à ma connaissance, unique à cette date dans la province. Après Ételan, il faut en effet attendre les années 1520 puis la fin des années 1560 pour en trouver d’autres exemples – Les Rocques (vers 1525) et Archelles (1567-1575, sans terrasse mais avec des murs bas). Dans le reste du royaume, le garde-corps bordant une terrasse apparaît seulement en 1511 au château de Bury, dont le parti, comme l’a suggéré Jean Guillaume, a peut-être été inspiré par le premier exemple italien d’une telle disposition : la villa Médicis de Fiesole près de Florence33. L’empreinte italienne sur le logis d’Ételan, avec sa tour d’escalier fortement inspirée de l’Italie, rend vraisemblable l’hypothèse que le jardin en terrasse d’Ételan puise à la même source que celui de Bury, d’autant que Louis Picard, comme Florimond Robertet, accompagna Charles VIII à Florence et à Naples en 149434.
18Martainville, élevé à la même époque qu’Ételan par Jacques Le Pelletier, riche marchand et armateur rouennais, présente trois enclos distincts, la basse-cour, la cour et le jardin, qui se succèdent sur le même axe, le relief du terrain ayant cependant obligé à désaxer légèrement la basse-cour (fig. 12). Le logis en « forme de chasteau » se dresse au centre. Avec son allée traversant la demeure jusqu’à une porte ménagée à l’arrière dans la tour d’escalier et qui mène au jardin après avoir franchi le fossé, Martainville est la première petite maison noble de Haute-Normandie à posséder un accès quasi-direct au jardin (fig. 44). Autre point important, le jardin, si son étendue est dès le XVe siècle celle attestée au XVIIIe35, présente des dimensions (130 × 95 mètres) inconnues jusque-là : il devait même être légèrement plus grand que le premier jardin de Gaillon (160 × 75 mètres). On aurait peine à le croire, si le cas de Clères ne pouvait l’étayer.
19Situé à près de 20 kilomètres au nord de Rouen, à proximité de la route de Dieppe, Clères a été rebâti au début des années 1500 par Georges de Clères et Anne de Brézé, sœur du grand sénéchal de Normandie (fig. 33). Le bâtiment principal est un ancien logis-porte des années 1470-1480 que le couple fait réaménager, ouvrir par de grandes fenêtres et agrandir par l’ajout d’une garde-robe, d’un cabinet et d’une petite galerie. Le choix d’élire cet ancien bâtiment comme nouveau logis seigneurial n’est pas fortuit : à cet endroit, les pièces principales de la demeure (salles et chambres) pouvaient s’éclairer au midi sur la vallée de la rivière Clérette. Ainsi, il semble que la volonté de profiter du paysage, du terrain plat du fond de la vallée et du passage de la rivière ait commandé ce choix. En effet, c’est là, à proximité de la nouvelle maison noble qu’un vaste jardin (195 × 95 mètres) cerné par le cours détourné de la rivière fut aménagé – il était accessible par le pont-levis du logis-porte que l’on a conservé. Autre nouveauté : l’ancienne motte castrale, toute proche, accessible par un pont depuis la petite galerie privée du couple, fut sans doute aménagée pour l’agrément à cette époque36.
20On serait tenté de déduire un rôle spécifique joué par ce petit groupe de personnes, qui, outre leur appartenance à l’élite de la province, ont en commun d’avoir participé directement ou indirectement à la première guerre d’Italie. Louis Picard, on l’a dit, était au-delà des Alpes sous les ordres de Louis d’Orléans et de Charles VIII. Jacques Le Pelletier, échevin de Rouen, fait partie de la délégation de la métropole normande reçue par le roi à Lyon en 1494 lors des préparatifs de la guerre37. Georges de Clères, baron du lieu, tenu au ban et à l’arrière-ban, était sans doute au côté de son beau-frère, le grand sénéchal de Normandie, qui participa à l’expédition vers Naples.
21Toutefois, on observera que Jacques Le Pelletier n’a pas franchi les Alpes et que Clères semble tenir avant tout ses nouvelles dispositions de Gaillon. Le logis-porte qui ouvre par un pont sur une étendue gazonnée précédant un vaste jardin, la motte cernée par des douves en eau que franchit un pont permettant au seigneur de s’y retirer et l’emploi de motifs italianisants aux lucarnes rappellent, en effet, des éléments du château du cardinal d’Amboise : le « portail vers le jardin », l’« hermitage » et le décor « à l’antique ».
22S’il faut reconnaître à ces trois réalisations un rôle éminent dans l’intérêt porté aux lieux d’agrément en Haute-Normandie, il est donc à nuancer. Ételan fut rebâti dans le contexte de la première expédition d’Italie et semble avoir inspiré tout spécialement l’organisation générale de Normanville, construit vers 1500, avec basse-cour rejetée sur le côté, corps de logis entre cour et jardin, façade arrière dégagée de la tour d’escalier. Mais Ételan estun édifice bâti pour l’essentiel par Guillaume Picard, le père de Louis, dans les années 1470 : si la maison semble tenir son aspect le plus remarquable des remaniements opérés par Louis Picard, on sait encore peu de ce qu’elle doit aux travaux de Guillaume. Pour Martainville, on est bien en peine de savoir aujourd’hui l’origine de son parti si novateur. Quant à Clères, il doit beaucoup au grand chantier de Gaillon. Ces observations invitent à la prudence, même s’il faut reconnaître le caractère décisif du tournant du XVIe siècle et le rôle joué par ces trois édifices. La tendance de fond qui s’amorce alors ne fera en effet que se confirmer au cours des décennies suivantes, sans retour possible à la tradition.
L’accès direct au jardin
23Jusqu’aux environs de 1510, il est assez habituel pour se rendre au jardin de sortir du logis, de faire quelques pas dans la cour (Perriers, Normanville, Commanville), d’emprunter un pont franchissant les fossés ou les douves (Bailleul-la-Campagne, La Motte), voire de faire une petite promenade si le jardin est éloigné (Houlbec). Mais une fois le jardin plus proche et plus étendu, les fenêtres du logis ouvrant parfois directement « dessus le jardin38 », il parut naturel de lier plus étroitement les deux espaces.
24Dès les années 1510-1520, au Mesnil-Jourdain, la modeste maison noble en pan de bois ouvrait peut-être directement sur les parterres qui la bordent à l’arrière par une porte de la grande salle (fig. 175). Autre signe de l’intérêt porté au jardin, le logis possédait une coursière à l’étage, qui, en plus d’assurer l’indépendance des pièces, offrait aux habitants un promenoir agréable avec vues sur le paysage alentour et les parterres en contrebas. Autant qu’on puisse en juger, un tel lien direct entre cour et jardin est alors une nouveauté. Mais cette solution ne prit pas dans la province : le passage par la pièce publique de la maison noble devait présenter bien des désavantages à des seigneurs encore peu enclins à ouvrir ainsi leur maison sur l’extérieur. Du moins dénote-telle une volonté plus forte d’établir une liaison directe avec l’extérieur.
25À partir de la décennie suivante, on a l’idée d’ouvrir simplement une porte au pied de la tour d’escalier rejetée en façade arrière où se trouve le jardin (Sénitot, fig. 114). Cet accès direct plus aisé au jardin laisse penser que celui-ci joue un rôle nouveau dans la vie de la petite maison noble. Le jardin change de statut pour devenir un prolongement de la demeure. Aussi, somme toute, paraît-il logique que beaucoup de gentilshommes normands tiennent encore à le fermer par de hauts murs, comme une pièce réservée à leur usage et à celui de leur famille qui en avait la clef. À partir de ce moment, avoir un accès direct au jardin devient la formule incontournable de toute demeure de la noblesse. On ne doit donc pas s’étonner que le traité d’agronomie d’Estienne et les recueils de Du Cerceau pour « bastir aux champs » enregistrent des usages devenus courants : ils incitent le propriétaire à faire « en sorte, que de l’un des costez de sa chambre il eust veüe sur sa court et premiere entrée de sa ferme et de l’autre sur ses jardins et terres principales » ou encore à avoir sa propre entrée « par un perron, que ferez descendre de vostre chambre sur [les jardins]39 ».
26Bon nombre de seigneurs normands, séduits par le parti architectural si novateur de Martainville, le sont d’autant plus que le jardin, qui borde désormais directement le logis, peut être immédiatement accessible. Contrairement aux solutions précédentes, l’introduction à Martainville d’allées ou de couloirs couplés avec l’escalier, où toutes les pièces principales sont indépendantes, salles comprises, permet à chacun de se rendre au jardin à sa guise.

Fig. 175 > Le Mesnil-Jourdain (Eure). Plan général du domaine, état restitué vers 1590, sur fond de plan topographique (mise au net : T. Guérin), équidistance des courbes : 0,25 m. A : maison noble ; B : ancienne motte castrale ; C : corps de galerie (décrit comme « chasteau couvert d’ardoize, clos de fosséz » en 1668).
27Les plus anciens édifices où l’on peut percevoir l’influence de Martainville étaient peut-être Le Bourgtheroulde (1499-1504), et plus sûrement Fontaine-le-Bourg (vers 1512), mais, détruits de longue date, il est impossible de savoir s’ils offraient un passage direct au jardin. En revanche, le cas est assuré au Bus (vers 1530, fig. 124), à Tilly (1528-1535, fig. 58), à Acquigny (1547-1557, fig. 29, 65), à Bailleul (vers 1565, fig. 39), à Fleury (vers 1562-1570, fig. 17, 40) ou encore à La Valouine (1592-1602, fig. 13b). Pour ces exemples, il est clair que le jardin a été placé en fonction du logis principal, et, inversement, que la distribution intérieure du logis a été pensée en fonction du jardin, pour qu’il soit accessible et visible depuis le logis.
28La formule de l’allée couplée à l’escalier devait certainement paraître comme le nec plus ultra de la distribution dans la province normande, ce qui explique son succès, à la fois immédiat et prolongé40, et peut-être aussi l’introduction tardive de l’escalier rampe sur rampe dans-œuvre dont les premiers exemples à Beuzeville-la-Grenier (fig. 38) et à Bonnemare (fig. 125) datent seulement du milieu du siècle. Ce parti consiste à placer une allée à côté de la première volée de l’escalier qui occupe toute la profondeur du bâtiment. Ainsi, contrairement à la formule de Martainville, la façade arrière est dégagée de la tour ou du pavillon d’escalier et l’accès au jardin est encore plus direct. Dans les décennies suivantes, peu de changements se remarquent. L’escalier rampe sur rampe dans-œuvre est employé presque aussi fréquemment que la formule précédente : on le retrouve au Plain-Bosc, aux Brûlins, à Senneville, à La Folletière et sans doute à Thevray. Seule exception, à Brécourt (vers 1577-1585), l’allée est pour la première fois juxtaposée à un escalier rampe sur rampe dans-œuvre au centre d’un bâtiment simple en profondeur : elle permet de traverser la demeure pour se rendre directement au jardin. Ce parti connut une grande fortune par la suite.
Le jardin réglé sur le logis
29Parallèlement à l’amélioration de ses accès, le jardin noble de Normandie, plus vaste et plus proche, va peu à peu s’organiser en fonction du logis.
30On l’a vu, un désir d’axialité se manifeste à Martainville dès les années 1490 (fig. 12). Mais les accidents du terrain rendent la disposition irrégulière. C’est au Bus, l’une des premières demeures à proposer un accès direct au jardin que celui-ci, aussi large que le logis, est placé sur l’axe marqué par l’entrée à l’habitation. Mais la nouveauté est toute relative, car la maison n’est pas symétrique et l’allée centrale n’est pas en face de l’entrée du jardin (fig. 124).
31Au même moment, le désir de mieux voir le jardin et le paysage suscite d’autres initiatives. Un groupe cohérent de quatre manoirs marque plus sûrement un changement, car si leur organisation s’apparente à celles qu’on vient de voir, le jardin y prend une place plus grande.
32À Ételan (vers 1494, fig. 32a), puis aux Rocques (vers 1525, fig. 42a), à Sénitot (1528-1536, fig. 114) et à Tilly (1528-1535, fig. 58, 176), la maison est au centre de trois enclos. Chaque enclos a sa vocation particulière et se trouve disposé en fonction de la distribution de la demeure : la cour y donne accès ; le jardin potager, la cour de service ou à vocation agricole sont accessibles depuis les offices tandis que le jardin se rejoint directement depuis le logis (Sénitot, Tilly), ou indirectement depuis la cour principale (Ételan, Les Rocques). On comprend que ces jardins sont placés au plus près de la maison pour être vus des habitants depuis les fenêtres des pièces principales. L’organisation rayonnante autour de la maison dénote ainsi une volonté plus forte de séparation et de hiérarchisation des fonctions.
33Mais ces dispositions similaires découlent d’idées différentes. À Sénitot et à Tilly, la tradition du jardin fermé bordé par de hauts murs reste forte. À Ételan et aux Rocques, on tire profit des particularités du site remarquable du Val de Seine. À Ételan, on l’a dit, le jardin est formé de terrasses se rejoignant par des escaliers droits (fig. 32c). Aux Rocques, la maison, établie sur une pente plus douce et élevée sur un étage de soubassement rattrapant le dénivelé, est située à une distance suffisante de l’à-pic et du fleuve pour ménager d’un côté une cour et de l’autre, en contrebas, un jardin (fig. 42). Ételan et Les Rocques sont les premiers exemples dans la province de l’exploitation des possibilités qu’offre la pente pour aménager le jardin41. Mieux, aux Rocques, la cour s’étend à droite du logis et forme à cet endroit une terrasse bordée par un petit garde-corps, qui propose d’autres points de vue, à la fois sur le jardin, sur un vaste verger et sur le magnifique paysage fluvial. Manifestement, on s’est attaché à multiplier les aménagements pour bénéficier au maximum des vues larges que procure le site.
34Tilly participe d’une idée encore différente, mais qui n’en est pas moins originale. L’enclos au milieu duquel se dresse le bâtiment principal est fermé de hauts murs crénelés flanqués de tourelles (fig. 91). Depuis le jardin situé à l’intérieur, il était possible par la porte de l’une des tourelles ouvrant sur la fausse-braie, de longer le mur d’enceinte et, continuant sur la fausse-braie, d’atteindre, après un pont franchissant les douves, un jardin bien plus vaste (96 × 90 mètres), réglé sur l’enclos du logis.

Fig. 176 Tilly, à Boissey-le-Châtel (Eure). Plan général restitué sur fond de plan cadastral ancien, état vers 1535. A : basse-cour (1 : logis du fermier ; 2 : grange ; 3 : colombier ; 4 : jardin potager ; 5 : réservoir, étang) ; B, C et D : enclos seigneurial, B : cour (6 : logis seigneurial), C : cour du commun (7 : puits ; 8 : logis secondaire), D : petit jardin (9 : pavillon) ; E : grand jardin ; F : pré (10 : mare). G : parc.

Fig. 177 > Coussay, à Coussay-en-Mirebalais (Vienne). Plan général restitué, état vers 1520. 1 : chemin d’accès ; 2 : église prieurale ; A : cour (4 : logis de Denis Briçonnet) ; B : cour du commun (3 : bâtiment de service, cuisine) ; C : petit jardin d’agrément ; 5 : dépendances destinées à la destruction ; 6 : pavillon d’entrée ; 7 : nymphée ; 8 : grand jardin (non réalisé). [Dessin X. Pagazani d’après Guillaume 2006.]
35Quelle est l’origine de ces dispositions si particulières ? Leur apparition dans quatre manoirs distants d’une trentaine de kilomètres est-elle fortuite ? Inconnu du château français, ce parti existe également au prieuré de Coussay en Poitou, construit pour Denis Briçonnet, abbé de Cormery, à partir de 1519. La restitution de cet édifice, récemment étudié par Jean Guillaume, peut être poussée plus loin42 (fig. 177). À Coussay, le logis de plan rectangulaire allongé se dresse isolé au centre d’une plate-forme, cantonnée de tourelles et entourée de douves que franchissent deux ponts. L’emplacement de plusieurs éléments (puits, bâtiment de service, accès) invite à penser que, comme dans nos quatre manoirs normands, la plate-forme était primitivement divisée en trois enclos distincts. À l’est, du côté de l’entrée, était la cour, qui commandait le logis ; au sud-ouest devait être une cour de service, avec le bâtiment des offices (encore en place) et d’où il était possible d’accéder aux caves situées sous le bâtiment principal ; au nord-ouest était un petit jardin, qui communiquait directement avec la chambre de Denis Briçonnet par une petite vis. Le puits (aussi conservé) devait être placé entre la cour de service et le jardin d’agrément pour servir aux deux. Ce n’est pas tout : à l’ouest, un pont reliait le petit jardin de la plate-forme à la vaste cour que Briçonnet avait l’intention de modifier. Les pavillons à l’extrémité, qui abritent un délicat nymphée, et le petit canal qui traverse la cour pour jeter l’eau de la fontaine dans les douves suggèrent en effet que Denis Briçonnet ambitionnait de faire de la cour un vaste jardin à la suite de celui, plus modeste, de la plate-forme. C’est donc l’organisation vue à Tilly que l’on retrouve ici.
36Coussay est-il une autre pièce d’une série que nous avons commencée à redécouvrir en Normandie ? Il semble que oui, même si l’on est bien en peine de voir le lien qui unissait Briçonnet et nos gentilshommes normands. Ce qui est assuré, en revanche, c’est que ce type d’organisation spatiale connut au début du siècle un certain succès en Haute-Normandie, et un dernier rebondissement spectaculaire vingt ans plus tard, à Acquigny.
37Bâti dans les années 1550, Acquigny présente, on l’a dit43, un logis à l’exceptionnel plan en équerre centré qui s’élève, isolé, sur une plate-forme carrée (52,5 × 52,5 mètres) entourée de douves alimentées par le cours détourné de l’Eure (fig. 29, 65). La plate-forme a été adaptée au plan singulier du logis, de sorte que ses côtés soient parallèles aux ailes du bâtiment mais que le pont franchissant les douves et donnant accès à la cour soit sur l’angle, dans l’axe médian de la demeure. Comme à Ételan, à Coussay, aux Rocques, à Sénitot et à Tilly, et pour les mêmes raisons, la plate-forme sur laquelle se dresse l’édifice devait être divisée en trois enclos par des haies ou des palissades. Au nord, la cour principale, au sud-est un jardin potager accessible de plain-pied depuis la cuisine et au sud-ouest un jardin d’agrément, accessible depuis l’escalier principal par un degré extérieur. Comme à Coussay et à Tilly, les espaces destinés à l’agrément s’étendaient également au-delà de la plate-forme : au sud, un jardin plus grand (environ 75 x 60 mètres) était réglé sur la plate-forme bordée de douves que franchit un pont à cet endroit.
38À Tilly, bien que l’enclos du bâtiment principal soit irrégulier, on a tenté d’ajuster sur lui le vaste jardin qui s’étend au-delà des fossés. À Acquigny, le grand jardin (peut-être bordé par un portique) est réglé sur la plate-forme. En Normandie, c’est donc au cours des années 1530-1550 qu’on eut l’idée d’intégrer jardin et logis dans une même composition. Si par la suite, on renonce apparemment à l’organisation rayonnante autour du logis, l’idée, présente à Acquigny, du jardin réglé sur la cour, elle-même aménagée en partie en jardin et accessible immédiatement après un fossé que franchit un pont retint l’attention. On la retrouve dix ans plus tard avec quelques variations aux Fossés (vers 1562, fig. 41) et à Thevray (vers 1566, fig. 35a).
39En dehors de la série des corps de logis isolés sur plate-forme, d’autres édifices ont pu jouer un rôle dans le processus de réglage du jardin. Au manoir de Jean Ango (vers 1540), si tant est que notre restitution soit acceptée, le jardin, qui s’étend après un fossé en contrebas de la grande galerie est aussi large et sur le même axe que la cour intérieure du manoir. Mais, plus sûrement, deux grands chantiers normands semblent avoir eu un rôle décisif dans ce mouvement : Mesnières et Annebault.
40À Mesnières, vers 1545, Charles de Boissay fait reprendre les travaux arrêtés au milieu des années 1520 dans un esprit tout différent44 (fig. 93). Situé sur le coteau nord de la vallée de la Béthune, le château, bordé de douves, s’organisait autour d’une cour carrée avec l’ancien logis seigneurial au sud, un corps de galerie à l’est et un corps de logis neuf au nord percé d’un passage d’entrée central. Le jardin était sans doute situé à l’est, du côté où la galerie ouvre ses fenêtres – un tableau du XVIIe siècle représente des parterres de broderie de ce côté (fig. 84). Les travaux engagés vers 1545, qui bouleversent cette organisation, visent à créer une composition unitaire : on détruit une grande partie de l’ancien logis seigneurial pour ouvrir la cour au sud, un nouveau logis seigneurial est bâti à l’ouest tandis qu’on rhabille la façade sur cour du logis nord. Les abords font l’objet de travaux tout aussi importants : un jardin est créé au nord tandis qu’au sud une allée droite bordée d’arbres précède une avant-cour bordée de douves et réglée sur le château. À partir de ce moment, le jardin se situe sur l’axe marqué par l’allée d’arbres, les entrées successives, les ponts franchissant les douves et le passage au centre du corps de logis nord qui permet désormais de s’y rendre. Nul doute que cette composition axée fut créée à ce moment, car la façade du corps de logis en fond de cour, avec son nombre impair d’arcades, ne se comprend que depuis l’axe alors développé.
41C’est sans doute au même moment que Claude d’Annebault décide de faire bâtir sur sa seigneurie d’Appeville. Le château, détruit, n’est connu que par un plan et une élévation sur cour datée de 1778 (fig. 28). La construction est sans doute intervenue entre février 1544, date de la nomination d’Annebault à la charge d’amiral de France (ce que suggère la présence d’ancres sculptées sur les façades45) et de gouverneur de Normandie, et, au plus tôt, 1549, date de l’érection de la seigneurie d’Appeville en baronnie d’Annebault, ou, au plus tard, 1552, date de la mort d’Annebault46.
42Le bâtiment s’élevait près de la route de Pont-Audemer à Rouen et de la rivière Risle dans un site très favorable à l’aménagement d’un jardin d’eau. Comme au château royal de Madrid, l’édifice était isolé, le volume constitué uniquement de pavillons, et le niveau inférieur occupé par des offices (ce que suggère la présence de grands soupiraux dans le soubassement). Si les toits formaient des volumes indépendants, comme à Madrid encore, celui de l’escalier, plus haut, se démarquait des autres par un dôme surmonté d’un lanternon. Le bâtiment se dressait au fond d’une plate-forme isolée par des douves alimentées par le cours détourné de la Risle : une passerelle ou un pont partant du pied de l’escalier les franchissait et conduisait au jardin, aussi large que le château et ses douves, bordé et recoupé par des canaux formant une grille orthogonale superposée à celle des allées.
43Ces partis, certes, ne sont pas nouveaux en France : l’idée d’organiser le château sur un axe se voit au Verger (vers 1500), à Bury (1511), à Chenonceau (1513) ; des aménagements d’eau sont connus à Fontainebleau (vers 1535-1540), au Grand-Jardin à Joinville (1533-1546), à Anet (dès avant 1548). Mais ils apparaissent en Normandie de manière quasi-simultanée, à Mesnières et à Annebault, et sont presque aussitôt imités dans toute la province. On devine que certains seigneurs normands ont apprécié l’idée des plates-formes se succédant sur le même axe et que celle des jardins d’eau répondaient à leur goût pour les enclos multiples, de nature différente, procurant des promenades où l’intérêt est sans cesse renouvelé.
44Les partis de Mesnières et d’Annebault offraient des modèles pour organiser ces espaces et le paysage en fonction de la demeure. Le goût pour ces deux partis donna finalement naissance à un nouveau type d’organisation, qui les associe.
45À trois kilomètres seulement en aval d’Annebault, le parti adopté par l’amiral de France inspire quelques années plus tard un site beaucoup plus modeste mais de nature identique en bordure de la Risle. Bâtie par le bailli d’Évreux Louis d’Orbec, la maison des Mottes est un petit pavillon rectangulaire (la façade sur cour est large de 18 mètres seulement), flanqué d’une tourelle d’escalier au centre de la façade arrière (fig. 120). Comme à Annebault, le logis, dont la façade sur cour est calquée sur celle des gros pavillons du château, est isolé au fond d’une plate-forme cernée par le cours détourné de la Risle. Un pont franchissait le fossé pour rejoindre un vaste jardin qui semble la raison d’être du nouvel édifice : des prés entourés d’arbres étaient parcourus par un réseau de canaux, dont un, au centre, était placé exactement dans l’axe de l’entrée du bâtiment principal et de la plate-forme. Une seconde plate-forme, à gauche de celle du logis et réglée sur elle, enfermait un jardin d’agrément.
46Dans les années 1560, on retrouve le parti de Mesnière à une autre échelle, au manoir du Hom. Trois plates-formes bordées d’eau se succèdent sur le même axe : une avant-cour, à usage de basse-cour, précède la cour carrée, cantonnée aux angles de pavillons, bordée sur au moins deux côtés par des corps de logis ; la cour commande le jardin. Les plates-formes sont placées sur le même axe matérialisé par les ponts franchissant de larges douves en eau alimentées par le cours détourné de la Risle.
47À la fin des années 1560, à Archelles, la cour bordée par des fossés en eau sur ses côtés et au fond de laquelle se dresse le logis, forme un premier jardin, le plus petit, le plus haut et traité le plus simplement puisqu’il s’agissait sans doute de parterres en herbe comme aujourd’hui : elle est le point de départ d’une composition perpendiculaire à l’axe marqué par l’entrée de la cour et du logis (fig. 95a). À partir du préau de la cour, le visiteur découvrait un second jardin, légèrement plus grand et plus bas que le premier, visible au-dessus d’un mur bas (fig. 95b), puis, après l’avoir traversé et franchi le cours de la Béthune qu’un pont enjambait, il en découvrait un troisième, plus vaste, plus bas (car situé au fond de la vallée sur une île formée par deux bras de la Béthune) et orné d’une fontaine en son centre (fig. 178). Enfin, à l’est, un quatrième jardin, presque aussi grand que le précédent, bordait le second jardin qui lui donnait accès et le bâtiment principal.

Fig. 178 > Archelles, à Arques-la-Bataille (Seine-Maritime). Fontaine du jardin aux armes de la famille de Rassent.
48À Brécourt (vers 1577-1580), le parti à avant-cour, cour et jardin sur le même axe de Mesnières est une nouvelle fois mis en œuvre. Mais c’est à La Folletière (vers 1580-1590) qu’est faite la synthèse des partis de Mesnières et d’Annebault grâce aux généreuses ressources en eau offertes par l’Eure. Une avant-cour précède la cour au fond de laquelle se dresse un logis, isolé, qui reprend les volumes et la forme des toits d’Annebault (fig. 86). Un pont franchit une douve pour conduire à une troisième plate-forme qui porte un jardin d’agrément, tandis qu’au fond un autre pont donne sur une quatrième plate-forme où se dressent des allées d’arbres disposées de chaque côté d’un parterre de gazon. Les plates-formes qui se succèdent, entourées par des canaux, sont de plus en larges, selon le goût du temps : d’une manière assez modeste mais efficace à Archelles et à La Folletière, d’une manière autrement spectaculaire et à une autre échelle aux châteaux de Charleval et de Verneuil47.
Le jardin autour du logis
49Au cours de la même période, de nombreux petits seigneurs restent attachés au jardin sec, sans fossé, de plain-pied ou presque avec le logis. La volonté de régler le jardin sur le logis va se traduire différemment, avec d’autres développements.
50Dans les années 1550, l’introduction de l’escalier rampe sur rampe avec son accès direct, confirme une nouvelle tendance : l’allée centrale du jardin est placée sur l’axe marqué par la porte et le perron qui y conduit. Ce phénomène s’accompagne à nouveau d’un changement d’échelle du jardin, dont les dimensions s’accroissent progressivement entre 1550 et 1570. À Beuzeville-la-Grenier (vers 1550-1560), la volonté de créer un vaste espace symétrique (97 × 75 mètres) est d’autant plus évidente que le regard du visiteur, depuis le perron qui conduit au jardin, est arrêté de tous côtés par des arbres : les parterres, qui ont comme axe directeur une allée médiane, semblent situés dans la clairière d’un bois (fig. 38a). À Bonnemare (1555-1560), l’enclos planté pour l’agrément (112 × 73 mètres) est aussi large que le logis et les deux portiques qui le flanquent symétriquement : il est fort probable qu’une allée centrale, peut-être plus large, partait du logis et que deux autres allées parallèles à la première correspondaient au petit perron marquant le centre de chaque portique (fig. 18, 179). Une disposition analogue devait se voir dix ans plus tard à Miromesnil (s.d., vers 1560-1570 ?), à Thevray (vers 1566-1570) et à La Chapelle (vers 1560-1570), où les allées parallèles correspondent aux tours ou aux pavillons d’angle des logis (fig. 35a, 98, 103) – comme déjà à Anet vers 1550. De plus, dans ces vastes jardins, l’axialité est soulignée par une disposition nouvelle : un pavillon de plaisance (Miromesnil, Thevray) ou un puits monumental (La Chapelle, à Sotteville-les-Rouen-Oissel) occupe l’axe à l’extrémité opposée à la demeure (fig. 144). On devine que cette disposition a plu en France, car Du Cerceau en donne deux modèles dans son recueil de 158248.

Fig. 179 > Bonnemare, à Radepont (Eure). Élévation postérieure de la maison noble et portique sur jardin (à droite). L'aile gauche remplace un second portique lui aussi ouvert sur le jardin.
51La recherche d’une relation immédiate entre logis et jardin explique qu’on ait voulu créer des jardins sur trois côtés de la demeure. L’idée était peut-être déjà présente dans l’esprit d’Antoine Bohier, vers 1512 (fig. 37). En effet, à Fontaine-le-Bourg, la grande cour (à l’ouest) qui précédait le nouveau logis était sans doute plantée de parterres d’herbe au milieu desquels Bohier avait fait dresser une grande fontaine49 ; la grande cour commandait un petit jardin (d’agrément ou potager ?) au sud ; enfin, immédiatement derrière le logis dont les fenêtres s’ouvraient sur lui, un grand jardin (à l’est) était traité plus simplement puisqu’il s’agissait d’un simple pré entouré d’arbres ou de salles de verdure, traversés par des allées perpendiculaires, avec un vivier. La « grande maison » se trouvait ainsi liée à plusieurs jardins séparés les uns des autres par des murs de clôture. Le parti de Fontaine-le-Bourg ne connut guère de succès. Il faut en effet attendre en Normandie comme ailleurs le début des années 1560 pour voir apparaître les premiers jardins environnant le logis.
52À Charleval (Eure), dont la construction débute à la fin des années 1560, le château royal comprend deux jardins latéraux traités de la même manière que le jardin principal. La disposition est certes plus homogène, mais les jardins sont dissociés, de sorte qu’ils ne forment pas une seule composition : deux petits jardins sont en contact direct avec le bâtiment, tandis que le jardin principal est implanté sur une plate-forme isolée par des canaux. Dans les mêmes années, trois maisons nobles normandes présentent un parti résolument novateur : à Bailleul (vers 1565) et à Fleury-la-Forêt (vers 1562-1570), puis à Brévands dans le Cotentin (peu après 157250), une seule composition se développe sur les trois côtés de la demeure de plan massé, largement ouverte par de grandes fenêtres sur les parterres (fig. 17, 39, 40, 60). De plus, la clôture entre cour et jardin ne semble pas avoir été un haut mur, mais une haie ou une palissade (Fleury) ou encore un garde-corps (Bailleul), de sorte qu’à distance on pouvait deviner le jardin de part et d’autre du logis. En s’approchant, le visiteur pouvait admirer les parterres. À Bailleul, le jardin était encaissé d’environ 1,40 ou 1,50 mètre par rapport à la cour qui, bordée par un garde-corps, formait une sorte de terrasse d’où les habitants pouvaient admirer la végétation. Ce parti, dont on mesure la nouveauté, n’est pas immédiatement repris en Haute-Normandie. En revanche, il se voit peu après en Île-de-France. Est-ce pure coïncidence si après Fleury, situé tout près de Charleval où Baptiste Androuet du Cerceau travailla entre 1574 et 1576, on le retrouve au château de Fresnes construit par le même architecte à partir de 1578 (fig. 47) ? En Normandie, il faut attendre Jouveaux, construit dans les années 1590, pour revoir cette composition, autour d’une demeure au plan en équerre.
LES ELEMENTS REMARQUABLES OU EXCEPTIONNELS
Parcs d’agrément et parcs de chasse
53On sait à quel point la forêt était précieuse « pour la provision d’une bonne maison », à la fois pour le chauffage, les réparations, les constructions, et pour parquer les animaux51. Mais son usage le plus important pour la noblesse était d’offrir « la délectation de la chasse et le profit des bestes sauvaiges qu’on y prend52 ». Ce privilège explique que près des deux tiers des domaines étudiés possèdent un parc boisé ou un droit de chasse dans une forêt voisine. Les parcs avaient une autre fonction, tout aussi récréative pour le seigneur qui pouvait s’y promener en noble compagnie et y trouver le « plaisir des ombrages, et l’agréable séjour dessous les arbres en toutes saisons, mesme en hyver parans les froidures53 ».
54Il y a deux types de parcs, les petits et les grands. Les premiers, d’une superficie comprise entre 1 et 15 hectares, sont situés à côté du jardin ou du verger seigneurial, et laissent à penser qu’ils étaient avant tout un lieu de promenade : un « bois d’agrément » ou un « bosquet » (percé d’allées), comme le précisent parfois les plans terriers et les cadastres anciens54 (fig. 89). L’exemple de La Folletière, qui possède une disposition assez exceptionnelle, illustre parfaitement ces parcs de promenade : il fallait que le seigneur emprunte une barque pour atteindre le bosquet situé sur une île cernée par les bras de l’Eure55. Mais certains espaces boisés, plus utilitaires, devaient également servir de garenne pour le petit gibier destiné à la vente ou à la table du seigneur56. À Jouveaux, comme le recommandent Estienne et Liébault, un ruisseau coule à la lisière du petit bois pour permettre aux animaux de s’abreuver57.
55Les grands parcs destinés « aux grosses bestes sauvaiges », selon Olivier de Serres, « ne peu[ven]t appartenir qu’au grand seigneur58 ». Estienne et Liébault, toutefois, n’évoquent aucun rapport entre la qualité du propriétaire et la présence ou pas d’un grand parc : on comprend, en creux, que tout seigneur peut en disposer59. En Normandie, les grands parcs sont attestés dès la première moitié du XIe siècle. Ils sont la propriété exclusive de leur tenant, un membre de la haute noblesse, qui se réserve leur jouissance et les prérogatives qui leur sont liées. Espace d’agrément, il est à la fois une réserve de bois de futaie (chênes, hêtres), d’eau (étangs et mares peuplés de poissons et favorisant la fixation des oiseaux migrateurs), d’espaces en herbe (où paissent bovins et ovins), de « bêtes rousses et noires » (cerfs, chevreuils, sangliers) et un espace d’élevage d’animaux domestiques (chevaux, bovins60). Reste qu’au fil des siècles, leur propriété s’est étendue à toutes les strates de la noblesse.
56En Haute-Normandie au XVe siècle, les parcs les plus vastes sont encore en possession de Grands du royaume, tels les comtes d’Estouteville, de Tancarville et d’Eu, ou l’archevêque de Rouen et l’évêque d’Évreux61. Mais ils ne sont plus désormais les seuls. De nombreux domaines d’importance moyenne possèdent un parc, tels les baronnies et plein-fiefs d’Ételan, Clères, Acquigny, Le Mesnil-Jourdain, Le Bec-Crespin, Chambray et Thevray (fig. 29, 32a, 35a, 36). Il arrive aussi que ces parcs, hérités de l’époque médiévale, passent avec le reste du domaine entre les mains d’hommes nouveaux, aidés dans leur désir d’élévation sociale par le roi en personne. C’est le cas d’Ételan, donné par Louis XI en 1468 à Guillaume Picard, qui débuta sa carrière à Rouen comme simple avocat à l’Échiquier, et du Bec-Crespin, qui, après avoir appartenu aux Brézé et au duc d’Aumale, est acquis en 1579 avec l’aide d’Henri III par Nicolas Romé, un maître des requêtes de son hôtel. Au vrai, la présence systématique d’un grand parc dans ces domaines relativement importants est d’évidence le signe d’un statut privilégié, qui correspond précisément à des droits particuliers attachés à leur possession62. On comprend pourquoi au XVIe siècle quelques seigneurs, de même niveau social que Picard et Romé, mais moins bien introduits qu’eux auprès de Dame Faveur, aient voulu donner à leur modeste seigneurie l’apparence de la magnificence qu’apporte un parc de chasse, comme on le voit à Auffay, Tilly, Bonnemare, Bailleul-la-Campagne, Longuelune, Bailleul et Brécourt. La plupart de ces domaines ont en commun d’appartenir à des familles de noblesse récente, propriétaires depuis une, deux ou trois générations, et qui ont eu la chance de côtoyer le roi – sans que l’on puisse dire si ce fait est lié ou non à la présence du parc. Le grand parc ne semble donc pas seulement tenir au statut du fief, mais plutôt à la volonté de son possesseur d’avoir un tel lieu et, sûrement, aux dimensions de sa bourse : l’acquisition de terres suffisamment grandes pour implanter un parc, la construction des murs, des portails et pavillons d’entrée, l’entretien des bois et des bêtes représentaient certainement un investissement important, comme le reconnaît Olivier de Serres pour qui le parc est« inventé plus pour magnificence, que pour utilité63 ».
57Quelques documents permettent de savoir comment furent constitués certains de ces espaces boisés. À Tilly, peu avant de construire une nouvelle maison, le conseiller au parlement Claude Le Roux accrut l’étendue de son parc de deux hectares de bois « longeans et contigus des boys dudit seigneur » par un échange avec son suzerain Claude de Lorraine en 152964. De la même manière, Bailleul et Brécourt furent construits après une longue et patiente politique d’acquisition menée par leurs propriétaires, Bertrand de Bailleul, valet de chambre du roi, et Henri II Jubert, gentilhomme ordinaire de la chambre. Peut-être en fut-il ainsi pour les autres seigneuries dont l’histoire est mal documentée sur ce point, telles Bonnemare et Longuelune.

Fig. 180 Fontaine-le-Bourg (Seine-Maritime). Le « pavillon du parc », état en 1917. Phototypie publiée par l’abbé Reneault, Le château des abbés de Fécamp à Fontaine-le-Bourg, Notes sur l’Abbaye de Fécamp, Fécamp, 1917.
58Les grands parcs étaient généralement fermés par de hauts murs en bauge, en brique ou en pierre, ou par des palissades en chêne, comme le recommandent Estienne et Liébault et l’attestent plusieurs textes65, car tous, ou presque, ont disparu, à l’exclusion de Fontaine-le-Bourg qui conserve quelques vestiges du mur de clôture et le « pavillon du parc », un petit bâtiment de plan carré des années 1480-1490 (très remanié au début du XXe siècle), qui commandait l’entrée du bois de la baronnie ; un écu placé au-dessus de l’arcade en anse de panier rappelait au visiteur l’appartenance du parc à l’abbaye de Fécamp (fig. 180). Le parc du Bourgtheroulde, qui contenait environ 104 acres (57 hectares) en prairies, étangs, bois de haute-futaie, bois-taillis, herbage, garennes, plants d’arbres fruitiers, était entouré de murs de brique66. Au Mesnil-Jourdain, les murs étaient en bauge67. Le parc de Fontaine-le-Bourg est assez bien documenté grâce à des marchés et mémoires des travaux de réparation effectués au milieu des années 155068. Il était clos de murs de sept pieds (environ 2,30 mètres) de haut, et trois portails (appelés « pavillons » ou « porches ») lui donnaient accès : le « pavillon du parc », « la grand porte du parc vers la prarye du costé des champs » et le « grand porche » vers le village de Tendos (au nord), construit en 1557 en grès et pierre de Saint-Leu. Mais en raison de sa faible superficie (environ 17 hectares) et de son relief accidenté, le parc de la baronnie devait servir exclusivement de réserve vivrière. À Fontaine-le-Bourg encore, une prairie, appelée dans les textes la « coste des vignes », borde la lisière du bois d’un côté et la rivière Cailly qui coule dans le clos du parc (fig. 37). Si elle permet aux bêtes de paître et de boire, elle n’était pas sans danger pour les hommes de la baronnie chargés de la faucher qui avaient la « craincte des cherfz de dedens le parc69 ». On comprend que cette prairie, par son emplacement en bordure de la « grand court » où se trouve la demeure de l’abbé, mais séparée d’elle par la rivière, permettait aux habitants de voir de près les cerfs, biches ou sangliers s’abreuver ou paître aux moments de la journée les plus frais en été. De fait, on trouve presque systématiquement entre le pourpris, où se dresse la maison noble, et le parc « à bestes sauvages », de tels pâturages baignés d’un cours d’eau, de fossés en eau (Tilly, peut-être Bailleul-la-Campagne), d’étangs (Le Bec-Crespin) ou de mares (Tilly, Bonnemare, fig. 18, 175). À Brécourt, il est vraisemblable que les parterres de gazon, situés en bordure du parc disposé directement derrière le logis, aient été prévus à cette fin.
59D’autres fiefs, parfois aussi importants, tel le plein-fief de Fleury, n’avaient pas de parcs, ce qui s’explique aisément : le détenteur du lieu possédait le droit de chasser, de faire pâturer ses bêtes et de prendre du bois à construire, à réparer et de chauffage dans les vastes forêts royales ou seigneuriales limitrophes70. Certains nobles détenaient d’ailleurs un office attaché à leur fief en rapport avec la forêt voisine : le seigneur du Taillis était « parquier » (régisseur) pour le roi de la forêt du Trait et le seigneur des Rocques verdier du parc des seigneurs de Villequier.
Les viviers
60L’exploitation des viviers, tout comme les parcs de chasse, était réservée à la noblesse qui en tirait des revenus substantiels71. De telles installations sont rarement identifiables aujourd’hui : cela ne veut pas dire que les viviers étaient peu utilisés dans la province, mais ces installations, liées à un privilège, ont sans doute disparu après la Révolution.
61En Haute-Normandie, les viviers sont attestés presque exclusivement dans les domaines nobles les plus importants. Ainsi les baronnies ou plein-fiefs de Mesnières, Valmont, Le Bec-Crespin, Le Bourgtheroulde, Chambray, Fontaine-le-Bourg et Thevray en possédaient un. Le plus souvent, il s’agit des douves maçonnées qui entourent la demeure, conçues à la fois pour la défense, pour l’agrément des possesseurs qui pouvaient y admirer les poissons et pour la réserve vivrière, comme c’est le cas peut-être à Clères et plus sûrement au Bec-Crespin, à Acquigny, à Thevray et à Mesnières : un tableau du XVIIe siècle représente le château avec des cygnes et des canards dans les douves, au bord desquelles se tient un pêcheur72 (fig. 84). Cet usage des douves semble avéré lorsque subsistent les bondes qui permettaient de contrôler leur alimentation en eau (Acquigny73). Il peut aussi s’agir du bras d’une rivière coulant à proximité, comme à Fontaine-le-Bourg et à Valmont, où une bonde filtre l’eau et retient les poissons (fig. 37) ; à Chambray, l’aménagement est plus important : le vivier prend la forme d’un large canal, alimenté par l’Iton qui borde le grand jardin (fig. 36). Le vivier peut être aussi un simple bassin rectangulaire maçonné, placé en bordure d’un jardin, tels les « estans » du Bourgtheroulde (en réalité des viviers, dont un seul subsiste) renfermant « une grande quantité de poisson » en 159174. Les douves ou le vivier placés au plus près du jardin et du logis (les fenêtres donnant vue sur eux), ces aménagements apportent un agrément supplémentaire au domaine. Contrairement à une idée reçue, si l’on en croit Charles Estienne et Jean Liébault, les viviers servent principalement au XVIe siècle, non aux poissons, mais au gibier d’eau : cygnes, canards, hérons, perdrix, bécasses, oies sauvages étaient présents à la table du seigneur75.
62Quelques rares domaines plus modestes possédaient également un vivier, tels les fiefs du Plain-Bosc et de Senneville, ce qu’explique leur histoire particulière (fig. 101). Certes, Le Plain-Bosc, propriété d’un secrétaire du roi à partir de 1570, est un domaine moins considérable que ceux mentionnés précédemment, mais il s’agit d’un héritage de l’époque précédente : il appartenait avant son acquisition par Georges Langlois à la puissante famille de Brézé qui y avait sans doute aménagé un vivier. À Senneville, le vivier est certainement l’ancienne mare « assise pres du manoir seigneurial dudit seigneur » que mentionne un texte de 1562 : la propriété, qui en était partagée jusque-là entre le seigneur et les habitants de la paroisse, est cédée par ces derniers à Martin Alorge pour lui exprimer leur reconnaissance d’avoir « gardé des gens d’armes qui ont passé et repassé par le pais depuis environ dix ans76 ». C’est lors de la construction de la nouvelle maison noble que Martin Alorge modifia la mare pour en faire un vivier, qui avait l’avantage d’être situé en bordure du jardin et à proximité immédiate du logis. Dans les deux cas, comme au Bourgtheroulde, il s’agit de bassins rectangulaires maçonnés.
63Cela veut-il dire que les manoirs moins importants ne possédaient pas leur vivier ou un équivalent ? Sans doute pas. Mais ces viviers, qui ne sont pas documentés, devaient être plus modestes : fossés ou simples mares que l’on rencontre souvent dans les basses-cours ou le parc, comme le suggèrent Charles Estienne et Jean Liébault, qui recommandent au « bon mestayer » de les curer et de les repeupler souvent de poissons77.
La cour aménagée pour l’agrément
64Des aveux des XVIe et XVIIe siècles, l’Atlas de Trudaine du XVIIIe, de nombreux plans cadastraux anciens du début du XIXe et des photographies du début du siècle dernier présentent les cours des manoirs normands plantées d’arbres fruitiers. Ces cours vertes, qui ressemblent fort à des vergers, ne doivent pas nous égarer : elles répondent sûrement moins à la volonté d’agrémenter le manoir (qu’il ne faut cependant pas exclure) qu’à celle de rentabiliser un terrain, qui, on l’a vu, pouvait être très étendu78. Car la cour est avant tout, dans une majorité de manoirs, l’enclos où se trouvent réunis les bâtiments utilitaires : une basse-cour au sol boueux, où circulent charrettes, serviteurs et animaux de la ferme.
65Dans quelques cas, pourtant, la cour peut faire l’objet de plus de soin, comme en témoigne l’exemple de Fontaine-le-Bourg (fig. 37). Vers 1512, l’abbé de Fécamp Antoine Bohier s’intéresse à la baronnie où ses prédécesseurs faisaient leur résidence d’été et aimaient chasser dans le grand parc. Bohier semble s’être attaché à y multiplier les espaces d’agréments. L’ancien bâtiment principal devient un petit logis, appelé le « fort » ou le « pavillon du fort » dans les textes, à l’usage privé de l’abbé (fig. 85), situé au fond d’un modeste jardin particulier, planté d’arbres fruitiers, clos de murs percés de fenêtres ouvrant sur le paysage alentour et qui commande par un pont un autre enclos, une cerisaie. La « grand maison », le nouveau logis que Bohier se fait construire à proximité, est bordée sur l’arrière par les « prairies du vivier », sans doute un pré entouré et traversé d’allées d’arbres, où prend place un vivier. Mais l’élément le plus remarquable est la « grande cour » agrémentée d’une « grand fontaine » à « deux cuves », autrement dit, selon toute vraisemblance, une fontaine à l’italienne, probablement en marbre et placée au centre d’un jardin composé de grands parterres d’herbe. On l’a dit plus haut, Bohier voulait sans doute que son logis se trouvât environné de jardins79. La cour, ainsi dégagée de bâtiments utilitaires (à l’exclusion des indispensables écuries et caves), ordonnée par la présence d’une fontaine à vasques superposées située dans l’axe de l’entrée et du bâtiment principal, manifeste le désir d’intégrer espaces extérieurs et intérieurs dans la même composition.
66Cette disposition si remarquable a-t-elle des précédents dans la province normande ? On sait que Georges d’Amboise avait érigé dans le jardin de son hôtel archiépiscopal rebâti (1495-1507) et dans la cour et le jardin de Gaillon (1508) de telles fontaines importées d’Italie80 (fig. 7). Bohier lui-même avait fait de même, au centre du jardin de son hôtel abbatial de Saint-Ouen de Rouen81. Si ces belles réalisations témoignent de l’intérêt du cardinal et de son grand vicaire pour les fontaines à l’italienne, celles-ci ne sont pas élevées devant la demeure. Deux autres réalisations du cardinal d’Amboise constituent plus sûrement des précédents : à Déville, après 1494, Georges d’Amboise fait embellir d’une fontaine la cour de son manoir suburbain ; à Gaillon, vers 1498, il projette de dresser des fontaines au milieu de parterres d’herbe établis dans la cour, devant les fenêtres de son logis82 (fig. 45).
67En Normandie, ce parti si novateur paraît avoir rencontré un certain succès puisqu’on le voit après Fontaine-le-Bourg dans trois édifices. Le premier se trouve à l’hôtel épiscopal des Loges, à Lisieux, résidence d’été des évêques rebâtie par Jean Le Veneur, que décrit en 1517 Antonio de Beatis, le secrétaire du cardinal d’Aragon :
Il s’y trouve un jardin rectangulaire très ordonné, mais planté en herbes, parce que les arbres, à cause du grand froid, n’y peuvent réussir. Au milieu dudit jardin, il y a une grande fontaine de marbre, bien travaillée avec certains puttini qui lancent l’eau très haut.83
68Le second, le « jardin » du receveur général de Normandie Guillaume Preudhomme, bâti par celui-ci vers 1520 dans un faubourg de Rouen, est figuré dans le Livre des Fontaines (fig. 4). La cour fermée de murs ressemble fort à un jardin d’agrément : un préau, peuplé de faisans et de paons, sur lequel sont plantés des arbres fruitiers, avec, au centre, une fontaine surmontée d’une figure masculine84. Enfin, le château de Tourlaville, à l’est de Cherbourg, bâti par Jean II de Ravalet à partir de 1562, est représenté dans un tableau du milieu du XVIIe siècle : on y voit le bâtiment principal précédé d’un immense parterre d’herbe entouré de murs au centre duquel se dresse une fontaine en marbre polylobée avec une statue de Neptune brandissant son trident au-dessus d’une cuve hexagonale85 (fig. 181). À l’exception peut-être de ce dernier exemple, il faut remarquer que cet aménagement semble spécifique aux maisons aux champs, manoirs suburbains (Déville et le jardin Preudhomme près de Rouen, Les Loges à Lisieux) ou résidences d’été à faible distance de la métropole normande (Gaillon, Fontaine-le-Bourg).

Fig. 181 > Château de Tourlaville. Anonyme, Marguerite de Ravalet et les amours, huile sur toile, vers 1655. [Cliché ville de Cherbourg-Octeville, musée d’art Thomas-Henry.]
69Curieusement, ce parti semble avoir trouvé peu d’écho en dehors de la Normandie – autant qu’on puisse en juger, car de telles dispositions ont pu disparaître sans laisser de trace. Le manoir suburbain du cardinal Du Prat à Vanves peut être cité, mais l’aménagement de la cour en jardin n’est pas assuré, à l’exception de la fontaine86. La même remarque vaut pour Anet, où une cour secondaire (à gauche de la cour principale) est mise en valeur par la célèbre fontaine de Diane, aujourd’hui au Louvre.
70En revanche, Bury, exact contemporain de Fontaine-le-Bourg, présente une cour organisée en quatre parterres d’herbe87 avec, au centre, non pas une fontaine mais une colonne portant le David en bronze de Michel-Ange.
71Avec statue isolée ou fontaine à l’italienne peuplée de personnages sculptés, les deux partis, voisins, ont certainement une origine commune. Selon Jean Guillaume, le parti de Bury vient d’Italie, plus précisément du Palais Médicis à Florence, que Florimond Robertet a pu admirer en 149488. L’axe central du palais florentin marqué par le David de Donatello au centre de la cour et par la fontaine et les deux Marsyas dans le jardin a très bien pu inspirer le parti de Bury, comme ceux de Déville, du projet de Gaillon et de Fontaine-le-Bourg. Mais on peut voir une autre source d’inspiration : le « courtil » médiéval, ou cour fermée du château, souvent représenté dans les miniatures des XIVe et XVe siècles, où l’on aperçoit une dame près d’une fontaine ou d’un puits, quelquefois cerné d’une treille. Pour Charles Estienne et Jean Liébault, il s’agit d’un « préau [… qui] ne contient autre cas qu’herbe verte, et la fontaine au milieu, avec quelques planes branches par estages89 ». C’est peut-être l’alliance de ces deux partis, l’un hérité de la tradition médiévale, l’autre issu de la volonté de régulariser l’environnement de la demeure, qui aura donné l’idée d’aménager la cour pour l’agrément.
72Tourlaville, vers 1562, est le dernier exemple qu’on ait pu retrouver. Cela veut-il dire que la cour aménagée pour l’agrément ne trouva pas grâce aux yeux des nobles normands dans la seconde moitié du XVIe siècle ? Rien n’est moins sûr, car les sources sont très lacunaires. Pour avancer, il faut élargir l’enquête aux manoirs dont la cour est dégagée de bâtiments agricoles.
73Aux Rocques, la cour, dégagée des dépendances, comporte à droite du logis une terrasse bordée d’un garde-corps qui donne des vues sur le paysage et permet d’atteindre le jardin et un verger par des escaliers (fig. 42). La cour d’Archelles, qui formait vraisemblablement un premier jardin, était le point de départ d’une composition axiale où le visiteur découvrait au fur et à mesure de son avancée des jardins de plus en plus grands (fig. 95). Certes, pour ces exemples, le lieu d’agrément n’était pas orné d’une fontaine à l’italienne ou d’une statue, comme Fontaine-le-Bourg et Bury, mais cela vaut aussi pour la France centrale : que ce soit la vaste avant-cour trapézoïdale prévue à Chenonceau pour Catherine de Médicis en 1576 (fig. 94) ou les quelques modèles que délivrent Du Cerceau et son entourage (fig. 182), la « court en preau » se pare de parterres d’herbe ou de fleurs – mais sans fontaine ou statue au milieu – et les murs qui la ferment de « pintures autour90 ». Le recueil de 1582, dont les modèles sont organisés selon le coût de construction, apporte une information supplémentaire : ce type ne caractérise que des demeures campagnardes d’un niveau assez relevé, à l’instar des maisons nobles de Haute-Normandie.
74Le développement de la cour d’agrément dénote une tendance de fond, que l’histoire du jardin en Haute-Normandie contribue à révéler. On l’a dit, l’intérêt croissant porté au jardin a entraîné la création de jardins sur trois côtés du logis. La cour aménagée en jardin d’agrément, certes souvent modeste, finit d’envelopper le logis : la demeure est désormais au centre d’une composition de jardins, tendance qui connaîtra son apogée au siècle suivant91.
75Enfin, certains seigneurs apportaient d’autres ornements à la cour de leur demeure, que l’on a brièvement évoqués mais qui, à leurs yeux, n’étaient sans doute pas les moindres, comme en témoigne Olivier de Serres :
C’est le roi de la volaille terrestre que le paon […]. Car que pouvés-vous regarder de plus agréable, que le manteau du paon ? […] Aucun autre oiseau ne s’aprivoise tant familièrement de l’homme, dont le pennage, comme de cestui-ci, soit paré d’or, d’argent, d’azur, de soie verte, de grise, d’orangée et d’autres diverses couleurs, si artistement arrengées, qu’on se perd en la contemplation de l’œuvre.92
76La cour du « jardin » du général Preudhomme (fig. 4) comme celle de la maison aux champs de Claude II Le Roux au Bourgtheroulde étaient peuplées de tels ornements vivants93.

Fig. 182 > Jacques Androuet du Cerceau, Modèle de maison, s.d., vers 1570-1580, New-York, Pierpont Morgan Library, 2006.19 (ancien M. 733), f° 85.

Fig. 183 > Château de Gaillon. Le jardin du Lydieu et l’« hermitage », détail du dessin de Jacques Androuet du Cerceau. British Museum, Department of Prints and Drawings, Inv. 1972 U. 843.
La motte castrale comme lieu d’agrément
77La motte castrale, vestige d’un passé féodal, remonte le plus souvent au XIe ou au XIIe siècle. Devenue inutile aux XVe-XVIe siècles, on la conserve pourtant parce qu’elle prouve aux yeux de tous le statut juridique du domaine sur lequel elle se trouve et, partant, la noblesse du propriétaire – même si celui-ci vient seulement de s’en porter acquéreur94. Cependant, dès le début du XVIe siècle, le désir d’échapper à l’espace clos de la cour et d’étendre le jardin explique le remploi, sans précédent semble-t-il, de la motte castrale dans un but bien différent de celui auquel elle était initialement destinée. L’origine de la formule apparue à ce moment en Haute-Normandie est sans doute à chercher à Gaillon.
78À bonne distance du château rebâti entre 1498 et 1510, dans l’immense parc de Gaillon, le cardinal-archevêque de Rouen crée un « hermitage », lieu retiré auquel on a donné la forme d’un rocher isolé au milieu d’un étang95. Jacques Androuet du Cerceau en présente une image (fig. 183) accompagnée de ce commentaire :
Continuant, vous parvenez jusques à un endroit où est dressée une petite chapelle et un petit logis, avec un rocher d’hermitage assis au milieu d’une eaue, ayant la cuve quarrée et entour icelle des petites allées à se pourmener : pour auquel entrer il faut passer une petite bascule. Près de là se voit un petit jardin, […] estant la place de cet hermitage fort mignarde et jolie, et autant plaisante qu’autre qui se puisse trouver.96
79Le « rocher d’hermitage » de Gaillon, isolé par des fossés en eau que l’on franchit par un pont-bascule, est accompagné d’un jardin. La description de Du Cerceau offre l’explication d’une telle disposition : il s’agit d’un lieu plaisant où l’on peut se promener. Une description par Jean de La Taille (1574) de peu antérieure à la publication de Du Cerceau apporte un supplément d’information :
[…] et de là je m’en vois
Gaigner sur un costau l’allée au long du bois
Qui, longue, me conduit jusqu’en un lieu sauvage,
Qui rustiquement fait sembloit un hermitage.
C’estoit un roc pointu que la nature ou l’art
A fait d’un canal d’eau enclos de toute part, Et croy que telle grotte aux Muses soit sacrée,
Ou qu’en tel lieu s’apprit le rustique d’Ascrée.
Maint hermite y sembloit ou gravir un rocher
Ou prier Dieu, ou bien à la ligne pescher…97
80Comme le laissait déjà deviner son nom et comme l’attestent les comptes de construction qui mentionnent la présence de reliques en 150898, on pouvait se retirer dans l’ermitage pour y prier. De manière étonnante, cette destination religieuse est associée à des usages profanes – comme, plus tard, à La Bastie d’Urfé, où la grotte est associée à la chapelle. On pouvait également pêcher dans l’étang99. Surtout, la référence aux Muses et à l’Ascrée d’Hésiode renvoie directement au mythe antique du Mont Parnasse, séjour d’Apollon et des Muses. Le cardinal pouvait donc aussi s’y retirer pour écouter de la musique ou composer des poèmes.
81L’extraordinaire ermitage de Gaillon dût frapper les esprits des contemporains. Mais si cette réalisation a plu, l’énorme investissement qu’elle nécessitait n’était pas à la portée des gentilshommes normands. Pourtant, contre toute attente, certains d’entre eux eurent le leur grâce à une ancienne motte castrale, dont la forme, un tertre isolé par des douves en eau, se prêtait à une telle utilisation au prix de quelques réaménagements. Clères, rebâti vers 1500-1506, offre peut-être le premier exemple conservé d’une motte castrale à vocation d’agrément (fig. 33).
82Après les guerres civiles qui suivirent la guerre de Cent Ans, Georges III de Clères avait bâti de neuf un logis seigneurial, un logis-porte et le bâtiment de justice de la baronnie dans l’ancienne basse-cour, au plus près de l’église paroissiale et de l’ancienne motte castrale, qui portait les vestiges de l’antique forteresse du XIIIe siècle. Vers 1500, Georges IV de Clères et son épouse Anne de Brézé, sœur du grand sénéchal de Normandie, mènent une importante campagne de réparations et d’aménagements des bâtiments et des jardins. Le logis-porte est en grande partie reconstruit et doté, au-delà de la chambre seigneuriale, d’une petite galerie bordée par des douves. À l’extrémité de cette galerie, une porte ouvre aujourd’hui sur une petite terrasse ménagée sur les vestiges d’une ancienne tour placée en face de la motte située au-delà des douves. On ne sait si la terrasse date de cette époque – elle a été retouchée au XIXe siècle, comme en témoigne le garde-corps –, mais deux choses sont sûres : la motte était autrefois accessible depuis l’extrémité de la galerie par un pont100 ; de plus, contrairement à l’habitude, les fenêtres de la galerie ne donnent pas sur les parterres d’un jardin, mais sur la motte101. On peut donc légitimement penser que la motte a été aménagée à ce moment pour l’agrément du seigneur et de sa famille puisqu’elle se situe à la suite des pièces privées du logis (galerie et chambre).
83On l’a vu plus haut, Clères témoigne à plusieurs titres de l’influence du magnifique château du cardinal d’Amboise102. L’architecte de Clères, visiblement inspiré par l’ermitage de Gaillon, a su répondre aux attentes du baron et de son épouse en réutilisant au mieux le site et les anciennes constructions103.
84L’idée de réutiliser la motte comme lieu d’agrément paraît avoir rencontré un succès prolongé dans la province car, outre Clères, on dénombre quatre autres exemples en Haute-Normandie : à Auffay, aux Fossés, à Chambray et au Mesnil-Jourdain.
85Construit par Jacques de Houdetot vers 1510, le logis seigneurial d’Auffay est situé à peu de distance d’une mare, du colombier et de l’antique motte castrale (fig. 184). Ainsi regroupés à l’intérieur du vaste clos-masure, ces éléments forment une sorte de cour secondaire. La particularité d’Auffay tient à l’emplacement du jardin sur une parcelle carrée, close de murs et cantonnée de petits pavillons104, située derrière la motte castrale, qui est bordée de ce côté par un fossé en eau. Aussi faut-il aujourd’hui contourner la motte et franchir un pont pour atteindre le jardin. Il est fort probable qu’autrefois la motte était complètement entourée par le fossé qu’il fallait franchir par un pont. Arrivé à la motte, le promeneur devait ensuite en faire le tour (ou la gravir) et emprunter un deuxième pont pour se rendre au jardin.
86Aux Fossés construit vers 1565, c’est sans doute par un petit jardin (situé dans la cour traitée en plate-forme à cet endroit) qu’on accédait à la motte plantée d’arbres et isolée au milieu de larges fossés en eau (fig. 41).
87On en trouve un nouvel exemple à Chambray, où Gabriel de Chambray et Jeanne d’Angennes font bâtir après 1578. Selon un texte du XVIIIe siècle, la « haute motte », qui suit la cour où se dresse le logis seigneurial moderne, est entourée de fossés et bordée au nord par un espalier et une terrasse. Depuis cet endroit, on pouvait admirer le magnifique paysage de la vallée de l’Iton (fig. 36).
88Peu après, au Mesnil-Jourdain (vers 1580-1590), la motte castrale donne lieu à de nouveaux développements pour l’agrément du domaine (fig. 175). Fermée par un mur et un fossé, c’est un lieu de promenade, où l’on se rend après avoir franchi un pont. Arrivés au sommet, les promeneurs pouvaient se retirer dans un corps de galerie. En effet, un bâtiment de plan rectangulaire allongé et flanqué d’un pavillon carré à chaque extrémité, fut adossé à la motte : il comprend à l’étage une galerie qui ouvre par une porte au niveau de la motte105 (fig. 185).

Fig. 184 > Auffay-la-Mallet, à Oherville (Seine-Maritime). Plan général restitué sur fond de plan cadastral ancien, état vers 1520. A : cour (1 : maison noble ; 2 : mare ; 3 : colombier ; 4 : maison du fermier ; 5 : jardin potager ; 6 : ancienne motte castrale) ; B : jardin d’agrément ; C : parc ; D : bois (sur le coteau).
89La disposition devait se perpétuer au XVIIe siècle : à Beaumesnil (1631-1640), la motte, aménagée en labyrinthe, était accessible depuis le jardin (aujourd’hui la cour, plantée de parterres de gazon106, fig. 127).

Fig. 185 > Le Mesnil-Jourdain (Eure). Le « château » vu au sud. [Cliché Inv. région de Haute-Normandie, Yvon Miossec]
90On retient de ce qui précède qu’il existe deux types d’aménagements différents, quoique liés. Le premier, le tertre artificiel, créé ex nihilo, apparaît semble-t-il à Gaillon et constitue sans nul doute le modèle du second, la réutilisation d’une ancienne motte castrale, dont le succès se prolonge jusqu’au XVIIe siècle. Dans le même temps, le thème du Mont Parnasse développé à l’ermitage de Gaillon connut un certain succès en Normandie au XVIe siècle. La fontaine de Lisieux (contre l’hôtel de ce nom), installée à Rouen vers 1518, représentait le Mont Parnasse accompagné de la Philosophie, Apollon, Pégase et les neuf Muses, le tout peint et doré107. On retrouve le thème en 1550, lors de l’entrée d’Henri II dans la ville : un grand arc de triomphe, traité en rocher, « taillé sur le naturel » au haut duquel Orphée jouait de la harpe accompagné des neuf Muses jouant du violon, était érigé à l’entrée du pont de Rouen108 (fig. 14).
91Autant qu’on puisse en juger, cet engouement pour les mottes castrales réaménagées ou pour les tertres artificiels n’a pas d’équivalent dans le reste du royaume où seuls trois exemples ont été repérés109.
Des « fabriques » dans le jardin : portiques, pavillons et grottes
92L’aménagement des mottes d’agrément, où l’homme plie la nature à des formes abstraites (allées du labyrinthe, et la création de jardins-îles ou de tertres en forme de rocher, où l’homme propose à l’inverse une imitation de la nature, témoignent de l’évolution que connaît le jardin normand au cours du XVIe siècle. Cette évolution se traduit aussi par d’autres aménagements, de plus en plus élaborés, qui ne sont plus désormais réservés aux seules demeures princières. Il n’est certainement pas fortuit qu’en éditeur soucieux de plaire à une clientèle de petits seigneurs, Du Cerceau propose dès 1561 un recueil de modèles comprenant diverses fabriques de jardin (puits, fontaines et pavillons110).
93Dès 1512 à Fontaine-le-Bourg, on l’a vu plus haut, en même temps qu’il bâtit une nouvelle maison, Antoine Bohier réaménage l’ancien logis sans doute jugé trop modeste pour être employé comme tel (fig. 85). Isolée dans la « grande cour » par son propre enclos bordé de fossés, la petite cour de ce logis est transformée en jardin planté d’arbres fruitiers, encadré de portiques ouverts sur lui et, comme les jardins contemporains d’Amboise et de Gaillon, sur le paysage alentour grâce à des fenêtres percées dans le mur de clôture. Ce petit logis, indépendant, luxueux, rappelle les pavillons du manoir archiépiscopal de Rouen (1495-1507) et de Gaillon (1498-1508), où vraisemblablement se retirait Georges d’Amboise lors de la venue du roi111.
94On retrouve à la fin du XVIe siècle une disposition plus directement inspirée de Gaillon et de Rouen. Le Bois-Rosé présentait un pavillon que commandait un corps de galerie (aujourd’hui disparu, excepté le mur extérieur), peut-être directement relié au logis seigneurial à son extrémité opposée. Comme au manoir archiépiscopal de Rouen, la galerie ne formait pas retour sur la cour mais bordait le jardin situé derrière le logis. Autrement dit, au Bois-Rosé comme à Rouen et à Gaillon, le logis du seigneur devait être relié par une galerie ayant regard sur un jardin à un autre logis plus privé situé dans un pavillon112.
95D’autres types de fabriques, isolées dans le jardin et souvent plus modestes, voient également le jour au cours du siècle. À Bonnemare (1560), dont le jardin était dédié à Diane comme l’annonce une dédicace latine113, les allées étaient scandées de pavillons brique et pierre (aujourd’hui disparus), tandis que des portiques procuraient des lieux à couvert, pour se protéger de la chaleur ou de la pluie, admirer la collection de statues et les peintures à fresque des murs ou simplement se reposer114 (fig. 179). Les portiques ouverts de Bonnemare ne sont pas un exemple isolé. Dans les années 1530 déjà, à Bricquebec, dans la Manche, Jacqueline d’Estouteville avait fait construire un portique comparable, ouvert sur un jardin situé à distance de son château : les arcades étaient bordées d’un garde-corps sans doute orné de statues115. On retrouve peut-être une disposition analogue à Brécourt, construit à partir de la fin des années 1570.

Fig. 186 > Jacques Androuet du Cerceau, Livre d’architecture…, op. cit., 1582, modèle XIII. Détail.
96Un autre type de fabrique est le pavillon de jardin116, dont beaucoup ont malheureusement disparu. Plus modeste que le portique, ce petit bâtiment dressé au fond du jardin et ouvert sur lui par des arcades, offre un espace de collation et de repos à couvert. Déjà à Heubécourt dans les années 1530117, plus sûrement à Thevray à la fin des années 1560 (fig. 35a) et à Miromesnil vraisemblablement dans les mêmes années (fig. 98), on trouve des pavillons qui ressemblent fort à ceux que donne en modèle Du Cerceau dans son Livre de 1582118 (fig. 186).
97On signalera enfin la grotte du manoir de La Chapelle qui s’ouvrait sur une cour, sans doute aménagée en parterres de gazon. Elle se signale, à l’extérieur, par un mur animé de moellons de silex laissés bruts, imitant des concrétions, et par des arcades à bossage piqueté (fig. 187). D’origine italienne, à la mode en France à partir des années 1540-1550119, les grottes possèdent généralement un superbe décor intérieur ; malheureusement, il ne reste rien de celui de La Chapelle.
VRAIES ET FAUSSES FORTIFICATIONS DU MANOIR : LE ROLE DU JARDIN
98Les hauts murs crénelés hérités du jardin médiéval perdurent, on l’a dit, au XVIe siècle, mais il semble qu’une fonction nouvelle leur est attribuée à partir des années 1520-1530.
99À Tilly, on l’a vu plus haut, l’enclos où se dresse au centre le bâtiment principal est fermé de hauts murs crénelés flanqués de tourelles à deux étages (fig. 91). S’ils donnent un caractère défensif à l’ensemble et pouvaient, le cas échéant, servir à éloigner les voleurs grâce aux meurtrières des tourelles, ces murs avaient certainement aussi une fonction récréative. Ils portaient, en effet, un chemin de ronde – les trous des poutres qui soutenaient le plancher se voient encore à intervalles réguliers. À cette date, il ne peut s’agir que d’un lieu de promenade d’où l’on pouvait admirer les parterres du jardin, le paysage alentour, la lisière du bois et les mares voisines où, peut-être, comme à La Muette « les bestes rousses lassées du travail de la chasse se retiroyent120 ». Pour preuve, un pavillon en pan de bois (aujourd’hui disparu) visible sur une gravure de 1852, adossé au nord de l’enceinte, abritait sans doute l’escalier qui permettait d’accéder depuis le jardin au chemin de ronde et à une pièce haute, en légère saillie à l’extérieur (fig. 188). Le chemin de ronde, les murs crénelés, les tourelles et le pavillon avec son escalier et sa pièce haute rappellent le jardin contemporain dit « manoir des Gens d’Armes », construit à Caen vers 1525 par la famille de Nollent121. Autre point important : au pied de l’une des tourelles du jardin, une porte ouvrait sur la fausse-braie longeant le mur d’enceinte. Celui-ci était orné de motifs en brique surcuite donnant l’illusion d’un treillage sur lequel on avait fait pousser des plantes grimpantes122 ; continuant sur la fausse-braie, on pouvait ainsi atteindre, après un pont franchissant les douves, le vaste jardin situé au-delà.
100La pittoresque forteresse miniaturisée du « manoir des Gens d’Armes » à Caen et la maison noble de Tilly témoignent, chacune à sa manière, d’un goût pour le détournement à des fins ludiques et récréatives d’éléments militaires, qui peuvent, cependant, conserver un rôle défensif, même limité. Dans tous les cas, ils sont des signes extérieurs de noblesse. Ce détournement peut aller jusqu’à l’abandon complet de toute velléité défensive, comme au jardin dit « pavillon Henri II » à Alençon – situé il est vrai au centre de la ville –, construit vraisemblablement peu après 1545 par Jean Frotté, un secrétaire du duc d’Alençon et des rois François Ier et Henri II123. Les éléments miniatures de ce jardin, pastiches des tours des forteresses de l’époque médiévale, n’ont qu’une raison d’être : offrir au propriétaire et à ses invités un lieu de promenade plaisant agrémentant le jardin de vues sur la Sarthe qui coulait à proximité et sur le paysage alentour. Mais ce parti, spectaculaire, dépourvu de toute défense réelle, n’eut guère de succès dans les petites maisons campagnardes haut-normandes où la défense reste prioritaire. En revanche, à partir de ce moment, il devient plus habituel de lier plus étroitement défense et agrément.

Fig. 187 > La Chapelle, à Sotteville-les-Rouen-Oissel (Seine-Maritime). La petite galerie (en haut) et son portique autrefois ouvert par trois arcades en plein-cintre (en bas) sur un sol de cour plus bas à cet endroit.

Fig. 188 > Tilly, à Boissey-le-Châtel (Eure). Détail d’une lithographie d’après F. Benoist, La Normandie illustrée…, Nantes, 1852.

Fig. 189 > Jacques Androuet du Cerceau, Livre d’architecture…, op. cit., 1582. Plan et vue à vol d’oiseau.
101Au jardin de Ménilles, dans les années 1550, les créneaux, suivant ceux de l’hôtel de Ferrare de Fontainebleau, s’ornent de frontons alternativement triangulaires et cintrés, et les murs, à la suite de ceux du château de Fleury-en-Bière, portent de grands motifs en brique se détachant sur l’enduit clair du mur (monogramme du couple, symboles de leurs vertus, devises de Henri II et monogramme de la reine, fig. 90). Un tel développement décoratif du mur de clôture du jardin s’explique. Il n’est pas rare, en effet, de placer le jardin d’agrément entre le chemin d’accès au domaine et le logis – outre Ménilles, La Boissaye, Le Bourgtheroulde, Cleuville, Miromesnil et La Valouine présentent cette configuration (fig. 13b, 98). On comprend qu’ainsi placé, l’enclos du jardin offre une défense supplémentaire au manoir : ses hauts murs de clôture, parfois cantonnés de pavillons, de tourelles (Ménilles, Le Bourgtheroulde) ou de bastions (Le Bourgtheroulde, Miromesnil), défendent l’arrivée au manoir ; la surface plane et dégagée du jardin, que protègent généralement les tours ou pavillons du logis, permet de voir arriver d’éventuels intrus. À l’inverse, depuis le chemin, les hauts murs du jardin se donnent à voir : par leur traitement, ils désignent clairement au visiteur dès son arrivée la présence du domaine noble.
102Dernière nouveauté, qui illustre le lien toujours plus étroit entre défense et agrément : à Beaumont, au Hom, à Thevray et au Bec-Crespin, demeures élevées dans la seconde moitié du XVIe siècle, les fausses-braies, en terre ou maçonnées, étaient selon toute vraisemblance plantées en petit jardin, potager ou d’agrément, et le mur de clôture palissé, comme à Tilly trente ans plus tôt (fig. 97b).
103Nul doute que ce phénomène est lié au développement des jardins autour du logis : il paraît dès lors naturel d’étendre les éléments liés à l’agrément à d’autres espaces du manoir, en particulier la cour et la basse-cour. Il faut sans doute imaginer que des haies, des treilles, des berceaux de charpente ou de verdure agrémentaient ces petits jardins. Mais en l’absence de vestiges, seule une analyse archéologique plus fine permettrait de révéler leur présence. Le précieux témoignage de Du Cerceau, qui propose en 1582 de nombreux modèles de plates-formes maçonnées ou en « terreau », avec des tonnelles de jardin et des berceaux de treillage (fig. 189), prouve que ce phénomène, semble-t-il nouveau dans les années 1530, est désormais bien établi124.
Notes de bas de page
1 Guillaume J., « Le jardin mis en ordre. Jardin et château en France du XVe au XVIIe siècle », in J. Guillaume (dir.), Architecture, jardin, paysage…, op. cit., p. 103-136.
2 Ni les études pourtant complètes par ailleurs sur le manoir en Bretagne [Chatenet M. et Mignot C. (dir.), Le manoir en Bretagne…, op. cit.] ni les recherches sur les manoirs de Tourraine (Cron E., Les manoirs en Touraine…, op. cit.) et du pays d’Auge (Lescroart Y., Manoirs du pays d’Auge, Paris, Mengès, 1995) n’abordent cet aspect. Voir aussi, pour un état de la question de l’étude des jardins en France, Brunon H., « L’histoire des jardins en France : anatomie d’une crise », Revue de l’art, no 173, 2011-3, éditorial.
3 Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit. ; Héraud M.-E., « Les carrés en île ou les jardins oubliés de la Renaissance », Vendée côté jardin, Paris, 2006, p. 50-64 ; Gautier N., « Les manoirs de la Renaissance… », art. cit., spécialement p. 235 ; Id., Les manoirs du Grand Perche, 1450-1610 : essai d’une analyse architecturale et paysagère, mémoire de DEA sous la direction de A. Salamagne), Tours, Centre d’études supérieures de la Renaissance, 2004, p. 81-84.
4 La pérennité du parcellaire de l’époque moderne a pu être observée au travers de l’étude des plans cadastraux anciens pour la Bretagne, la Touraine, la Normandie et la Vendée : Ducouret J.-P., « Le manoir et son site. L’apport du cadastre napoléonien », in M. Chatenet et C. Mignot (dir.), Le manoir en Bretagne…, op. cit., p. 59-67 ; Pagazani X., Les manoirs de Haute-Normandie…, op. cit., vol. 1, p. 33 sq. ; Héraud M.-E., « Les carrés en île… », art. cit.
5 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit. ; Androuet du Cerceau J., Livre d’architecture…, op. cit., 1582 ; Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit. ; Gauchet C., Le plaisir des champs…, op. cit.
6 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre III, chap. I, f° 116v°.
7 Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit.
8 Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., sixiesme lieu, chap. I, p. 783.
9 Ibid., sixiesme lieu, chap. XIII, p. 905.
10 Cette disposition originale se voit également à Prey.
11 En plus du Hérault, ce sont Anquetierville, Caumare, Beuzeville-la-Guérard, Auffay-la-Mallet, L’Écluse, Caltot, Raimbertot, Longuelune, Mentheville. Sur le plaisir du gentilhomme à s’occuper des arbres fruitiers, voir Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., sixiesme lieu, chap. XVI, p. 943.
12 AD Seine-Maritime, G 563 et G 568 : comptes, années 1477-1478 et 1490-1491, cités par La Conté M.-C. de, « Les jardins normands… », art. cit., spécialement p. 68.
13 Les autres sont La Chapelle, Le Bois-Rosé, Senneville, La Folletière, Jouveaux.
14 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre II, chap. I, f° 55, proposent de le placer au milieu de l’allée qui sépare jardin potager et jardin d’agrément, mais jugent préférable, pour « la commodité », d’avoir un puits pour chacun d’eux.
15 AD Eure, E 132 : aveu de Louis de Chambray, 17/10/1754, art. 7.
16 Département de l’Yonne. Ce château a été bâti par Pierre Lescot pour le maréchal de Saint-André.
17 Les autres sont Acquigny, Archelles, Bonnemare, Tilly, Ménilles, Le Plain-Bosc.
18 Pour preuve, la terrasse forme une saillie plus importante au droit du corps de logis principal : on a donné ainsi plus d’ampleur au jardin d’agrément.
19 Voir p. 284-286.
20 Rabreau D. et Mignot C. (dir.), Histoire de l’art. Temps modernes. XVe-XVIIIe siècles, Paris, 1996, p. 250 ; Antoine E. (dir.), Sur la terre comme au ciel. Jardins d’Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 2002, spécialement p. 205-206.
21 Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit., arrive à la même conclusion pour les jardins en Basse-Normandie.
22 AD Seine-Maritime, G 699 : registre de Déville, s.d. (XVe siècle), cité par La Conté M.-C. de, « Les jardins normands… », art. cit., p. 68 ; Mignot C., « La villégiature cardinalice… », art. cit., p. 128.
23 Beck B., « Le mécénat des d’Estouteville », art. cit., spécialement p. 28.
24 Bardati F., « Cardinaux aux champs… », art. cit., p. 150-151.
25 Guillaume J., « Le jardin mis en ordre… », art. cit., p. 105.
26 Dès le milieu du XIVe siècle, Vincennes et le Louvre possédaient un jardin situé immédiatement au-delà des fossés, ce qui permet d’y accéder rapidement par une poterne et une passerelle [Whiteley M., « Relationship between Garden, Park and Princely Residence in Medieval France », in J. Guillaume (dir.), Architecture, jardin, paysage…, op. cit., p. 91-102].
27 Pitte D., « Le Mesnil-sous-Jumièges… », art. cit., p. 127 et note 10, suggère qu’il s’agissait d’une construction annexe, mais aucune trace d’arrachements ou de trous de boulin ne se voit au premier étage. Comme la porte (d’origine) ne peut ouvrir sur le vide, on doit admettre qu’elle ouvrait sur un perron (dont les fondations viennent d’être retrouvées) adossé au mur de clôture du jardin.
28 Ibid., p. 131.
29 Document 1.
30 Voir p. 148.
31 Voir p. 95 et 229.
32 Ce jardin et ses terrasses, qui figurent sur le plan cadastral de 1826 (AD Seine-Maritime, 3 PP 770), remontent à la fin du XVe siècle, comme l’attestent leurs murs de clôture percés d’une meurtrière et la comparaison avec Normanville, construit autour de 1500, dont l’organisation est similaire.
33 Guillaume J., « Le jardin mis en ordre… », art. cit., p. 104-105 et note 10.
34 La compagnie d’ordonnances du duc d’Orléans dont faisait partie Louis Picard a suivi le roi vers Naples (document 1). Il n’est peut-être pas fortuit que la lettre de donation du duc, écrite le 23 novembre 1494, date du moment où le roi et Louis Picard sont à Florence.
35 Le jardin est connu avec cette étendue à partir de 1739 (AD Seine-Maritime, 2 Mi 214). Deux observations attestent cependant son ancienneté : l’allée médiane qui le traverse n’est pas dans l’axe du bâtiment principal, mais de la porte qui devait ouvrir sur lui ; les vestiges du mur de clôture en brique et une tourelle située à son extrémité semblent contemporains de la maison. Au moment de sa création, on n’a pas encore l’idée d’intégrer jardin et demeure dans la même composition. Une différence notable sépare néanmoins les jardins de Gaillon et de Martainville : alors que celui de Gaillon était entièrement consacré à l’agrément, le jardin de Martainville était, on l’a dit, divisé en deux espaces, l’un d’agrément, proche du logis, l’autre potager, éloigné, les deux étant d’ailleurs peut-être séparés par une clôture ou une palissade.
36 Sur les mottes castrales à fonction d’agrément, voir p. 298-301.
37 AM Rouen, A 9, 24/04/1494.
38 Document 16, art. 3.
39 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre I, chap. 5, fos 7v° et 8v°.
40 Voir p. 230 sq.
41 Sur ce sujet, voir Boudon F., « Jardins d’eau et jardins de pente dans la France de la Renaissance », in J. Guillaume (dir.), Architecture, jardin, paysage…, op. cit., p. 137-183, qui s’est surtout attachée à l’analyse du jardin des châteaux français. En Haute-Normandie, l’étude des manoirs d’Ételan et des Rocques et, en Touraine, de Candé (Monts, Indre-et-Loire) vers 1500, de La Côte (Reugny, I.-et-L.) vers 1515-1520 et de Valmer (Chançay, I.-et-L.) avant 1536, en offre des exemples précoces et dont la datation est peu contestable.
42 Guillaume J., « Un prélat aux champs… », art. cit.
43 Voir p. 194-196.
44 Pagazani X., « Le château de Mesnières », art. cit.
45 Rever F., Voyage des élèves…, op. cit.
46 Catalogue des actes de François Ier, op. cit., t. 4 (1890), no 13594 ; Catalogue des actes d’Henri II, op. cit., t. 3, no 4956, 06. E1.
47 La Folletière est peut-être la première pièce d’une série à redécouvrir. Beaumesnil (fig. 127), Cany, Balleroy, Maisons et même Vaux-le-Vicomte en offrent sans doute les dernières pièces, les plus belles, près de quarante ans plus tard.
48 Androuet du Cerceau J., Livre d’architecture…, op. cit., 1582, modèles XIII et XIX.
49 AD Seine-Maritime, 7 H 1139 : état des dépenses pour la réparation « de la grand fontaine de la court », 6/07/1559.
50 Faisant E., « Sic transit gloria mundi : vie et mort du château de Brévands », à paraître.
51 Voir p. 134-135.
52 Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., septiesme lieu, chap. VII, p. 1156.
53 Loc. cit.
54 Par exemple : AD Seine-Maritime, 3 PP 368, matrice cadastrale du Mesnil-Lieubray (Normanville), section B 1, parcelle no 98 (1828) ; 3 PP 351, matrice cadastrale de Martainville-Épreville, parcelle no 126 (1828).
55 Le côté gauche de la cour est aménagé en terrasse formant un embarcadère tandis que, exactement en face, l’île est aménagée par une petite anse artificielle.
56 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre VI, chap. 21, f° 230. Ainsi, à La Valouine, il faut sans doute reconnaître dans le petit bois que commande le jardin la « garenne » dont parle un aveu de 1602 (document 20).
57 Ibid., fol 230v°. Voir également Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., cinquième lieu, chap. XII, p. 661.
58 Ibid., p. 660-662.
59 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre VI, chap. 21, f° 230r°.
60 Casset M., Les évêques aux champs. Châteaux et manoirs des évêques normands au Moyen Âge (XIe-XVe siècles), Caen/Mont-Saint-Aignan, 2007, p. 60-69.
61 Ibid., p. 223-234 (Les Andelys), 243-250 (Condé-sur-Iton), 261-278 (Déville et Dieppe) et 305-334 (Fresne-l’Archevêque et Gaillon).
62 Les barons avaient semble-t-il droit « d’y préposer et establir » des « gardes et sergens » : un verdier-gruyer et deux sergents pour Fontaine-le-Bourg (AD Seine-Maritime, 7 H 1043 : compte, année 1512-1513, f° 161v°) ; un « verdier et garde des boiz, forés et garennes » au Bec-Crespin (1 ER 1597, Compte, année 1484-1485) ; deux « sergents et gardes des bois » pour Acquigny (Catalogue des actes d’Henri II, op. cit., t. 6, no 11601).
63 Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., cinquième lieu, chap. XII, p. 661.
64 AD Seine-Maritime, 2 E 1/272 : tab. Rouen, 06/09/1529.
65 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre VI, chap. 21, f° 230r°-v°.
66 Duchemin P., Histoire de Bourgtheroulde…, op. cit., p. 27.
67 AD Seine-Maritime, 2 B 437, f° 61 sq. : aveu du Mesnil-Jourdain, 1665.
68 Document 9, art. 10, 14, 16 et 21 (s.d., fin 1556).
69 AD Seine-Maritime, 7 H 1043 : compte de Fontaine-le-Bourg, année 1512-1513, f° 161v°.
70 Parmi d’autres : AP du château de Fleury-la-Forêt, arrêt du conseil du roi, 24/03/1708, Lettres patentes de Charles IX par lesquelles Pierre de Courcol dispose de droits d’usage en forêt de Lyons, 11/03/1562 (n. st.) (mention) ; document 20 : Florestan de Ricarville dit avoir « droict de chasser dedans ladicte forest[d’Eawy] a touttes bestes a pied plu ».
71 Comme le droit de chasse, le droit de pêche était réservé à la noblesse.
72 Au Bec-Crespin, le château est« environné de profonds fossez pleins d’eaux, vivier » (AD Seine-Maritime, 2 B 424, pièce no 25 : aveu rendu pour Le Bec-Crespin par Nicolas Romé, 12/01/1672) ; à Mesnières, il est« entouré de fossez […] remplys d’eau vives » (1 Mi 389 : dénombrement de J.-B.-F. Durey pour Mesnières, 12/05/1730). À Thevray, les « fossez en eau » servent de « pescherie » (document 18, art 21).
73 À Acquigny, trois bondes en pierre de taille sont encore en place.
74 Document 16, art. 45.
75 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre IIII, chap. 12.
76 AD Eure, E 1244, cité par Beaumont F. et Seydoux P., Gentilhommières…, op. cit., p. 160.
77 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre IIII, chap. 16. Aussi à Gaillon, dans les mares du parc (Deville A., Comptes et dépenses…, op. cit., p. 214).
78 Sur l’étendue de la cour du manoir, voir p. 152-156.
79 Voir p. 290.
80 Bardati F., « Cardinaux aux champs… », art. cit., p. 151-158 ; Smith M.H., « Rouen-Gaillon… », art. cit.
81 AD Seine-Maritime, 14 H 88 : comptes de Saint-Ouen, année 1511-1512, f° 36r°-v° ; Pommeraye J.-F. (dom), Histoire de l’abbaye royale de Saint-Ouen de Rouen…, Rouen, 1662, p. 220.
82 Sur Déville, voir Bardati F., « Cardinaux aux champs… », art. cit. Sur le projet de Gaillon, voir en dernier lieu Taburet-Delahaye E., Bresc-Bautier G. et Crépin-Leblond T. (dir.), France 1500…, op. cit., p. 70-71.
83 Beatis A. de (dom), Voyage du cardinal d’Aragon…, op. cit., p. 167-168 ; Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit., p. 180-182.
84 Pagazani X., « Maisons des champs… », art. cit., p. 205-207.
85 Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit., p. 181.
86 Sur Vanves, voir Bardati F., « Cardinaux aux champs… », art. cit. ; Mignot C., « La villégiature cardinalice… », art. cit., p. 126-127. Le pavage de la cour peut dater du temps des remaniements opérés par l’antiquaire florentin Gabriele Symeoni, qui fit du manoir suburbain de Du Prat le « Museo di Vanves ».
87 Du Cerceau figure ces parterres par un simple trait de contour, comme dans d’autres dessins de sa main ou dus à son entourage qui sont parfois légendés du mot « préau » (BM Lyon, ms. 6246, Ly 5 [1-2], fos 7v°-8r°, publié par Deswarte-Rosa S. et Régnier-Roux D., Le recueil de Lyon…, op. cit.).
88 Guillaume J., « Le jardin mis en ordre… », art. cit., p. 108.
89 Estienne C. et Liébault J., L’agriculture et maison rustique…, op. cit., livre III, chap. I, f° 116. Pour eux, le préau est un « jardin de plaisir pour les Dames, et pour la recréation de leur esprit ».
90 BM Lyon, ms. 6246 (publié par Deswarte-Rosa S. et Régnier-Roux D., Le recueil de Lyon…, op. cit.), Ly 5 [1-2], fos 7v°-8r°, Ly 46, f° 37r°, Ly 57, f° 48r°, Ly 77-78, fos 65v°-66r°, Ly 130 [1-2], fos 116v°-117r°, New York, 2006.19, f° 85. Androuet du Cerceau J., Livre d’architecture…, op. cit., 1582, modèles XXXI et XXXIIII.
91 Babelon J.-P. et Mignot C. (dir.), François Mansart…, op. cit., p. 105-108 et 228-230.
92 Serres O. de, Le théâtre d’agriculture…, op. cit., cinquiesme lieu, chap. IV, p. 586-587.
93 Document 16, art. 51.
94 Sur ce sujet, voir l’exemple du Plain-Bosc p. 294.
95 Sur l’« hermitage » de Gaillon, voir Woodbridge K., Princely Gardens. The Origins and Development of the French Formal Style, New York, 1986, p. 46-47; Thomson D., Jacques Androuet du Cerceau…, op. cit., p. 149. L’ermitage fut construit à partir de décembre 1502 (Deville A., Comptes et dépenses…, op. cit., p. 36-45, 68 et 86), à commencer par le bassin appelé « estang » dans les textes ; il ne prend le nom d’ermitage qu’à partir de 1508 (p. 332) : l’érection du rocher n’est pas documentée, mais elle doit se placer entre 1502 et 1508. En mars 1510, Jacopo Probo d’Atri l’appelle « uno solitario heremitagio » (Weiss R., art. cit., p. 11).
96 Androuet du Cerceau J., Le premier volume, op. cit., notice « Gaillon ».
97 Fontaine M.-M., « La vie autour du château… », art. cit., spécialement p. 287.
98 Deville A., Comptes et dépenses…, op. cit., p. 332 : [septembre 1508] « A quatre menusiers, pour avoir gardé jour et nuyt à l’ermitage les reliques estans en icellui, LXXVIII s. »
99 Ce qui est confirmé par les comptes de construction : [avril 1503] « A Guillaume Leforestier, pour la vendue de XX carpes de poisson pour mettre à l’estanc du Lydieu, au prix de III s. pour piece ; item, avecque ce, pour la livreson de cent XII tenches et deux cens de palle, par marché à luy fait de tout pour le prix et somme de VII lt XVIII s. » (Deville A., Comptes et dépenses…, op. cit., p. 43).
100 Un portail encore en place sur la motte, muni de rainures pour les flèches d’un pont-levis, est tourné vers la terrasse.
101 Une galerie ouvrant sur un jardin se voit à Mesnières (après 1521), au manoir d’Ango (entre 1535-1545), à Valmont (entre 1545 et 1550) et au Bourgtheroulde (s.d., avant 1591).
102 Voir p. 281-282.
103 Un lien plus direct peut être établi entre Clères et Gaillon : le bois des tonnelles et des pavillons du jardin près de l’ermitage et de la charpente de la maison du Lydieu provient de la forêt de la baronnie de Clères (Deville A., Comptes et dépenses…, op. cit., p. 61, 63, 72, 74, 76, 77 et 81).
104 Les pavillons et les murs semblent dater du XVIIe siècle, mais l’emplacement du jardin est sans doute bien antérieur.
105 Destinée à la présentation d’une collection comme le suggèrent les fenêtres percées en quinconce pour éclairer les trumeaux, la galerie ouvrait à chaque extrémité dans une pièce carrée munie d’une cheminée et peut-être de couchettes ou de lits de camp pour se reposer.
106 Jestaz B., « Le château de Beaumesnil », Congrès archéologique de France. Évrecin, Lieuvin, pays d’Ouche, 138e session, 1980, Paris, 1984, p. 191-217.
107 Lavedan P., Histoire de l’urbanisme, t. 2, Paris, 1941, p. 155.
108 L’entrée du Roy, Rouen, 1551, f° sign. K4v° et L1 (voir aussi Félix J., Entrée à Rouen du roi Henri II et de la reine Catherine de Médicis en 1550, Rouen, 1885) ; AM Rouen, Y 28 ; Cloulas Y., Henri II, op. cit., p. 286.
109 Le premier exemple était à l’hôtel de Cluny à Paris, rebâti vers 1497 par Jacques d’Amboise, frère aîné de l’archevêque de Rouen, si l’on en croit Germain Brice [Description de la ville de Paris et de tout ce qu’elle contient de plus remarquable, Paris, 1752 (9e éd.), p. 215]. Le second exemple était au milieu de l’étang de Fontainebleau (voir Boudon F. et Mignot C., Jacques Androuet du Cerceau…, op. cit., figures p. 160 et 161). Le troisième était au château de Bresles, la villégiature des évêques de Beauvais, où Odet de Coligny, cardinal de Châtillon, possédait un vaste jardin connu par la seule description de Simon Bazier en 1545 (texte latin cité et traduit par Fontaine M.-M., « La vie autour du château… », art. cit., appendice I, p. 285-287).
110 Androuet du Cerceau J., Second livre d’architecture…, op. cit.
111 Bardati F., L’architettura francese…, op. cit. ; Chatenet M., La cour de France…, op. cit., p. 268-269.
112 Bardati F., Chatenet M. et Thomas E., « Le château… », art. cit., p. 22 ; Bardati F., « Rouen, archevêché… », art. cit., p. 199-213.
113 La dédicace n’est qu’en partie lisible et la pierre semble avoir été posée après coup à sa place actuelle, au-dessus de la porte du logis ; mais la graphie date du XVIe siècle.
114 Mention des portiques avec leurs fresques et leurs statues en pierre (en mauvais état) dans une lettre de James C. Ducarel datée du 8 août 1761 adressée à son frère Andrew.
115 Les arcades, fermées dans les années 1550 pour faire du portique une demeure de plaisance, présentent une particularité mal interprétée jusqu’ici. Les allèges actuelles des fenêtres, qui formaient primitivement le garde-corps du portique, présentent des ressauts au droit des colonnes engagées qui scandaient la façade du portique, ainsi qu’au milieu de chaque arcade. Ces derniers ressauts, pris comme des subdivisions des arcades en deux baies jumelles [Deshayes J., « Le château des Galleries à Bricquebec », in B. Beck, P. Bouet, C. Étienne et I. Lettéron (dir.), L’architecture…, op. cit., t. 2, p. 55-58], devaient en réalité faire office de piédestaux à des statues ou à des bustes.
116 Ce type de construction existait déjà à la fin du Moyen Âge, dans le duché de Bourgogne et dans les maisons aux champs du roi René [Antoine E. (dir.), Sur la terre comme au ciel…, op. cit., p. 202].
117 Voir AD Eure, 3 PL 611 : plan cadastral d’Heubécourt (1836).
118 Androuet du Cerceau J., Livre d’architecture…, op. cit., 1582, modèles XIII et XIX.
119 On en trouve des exemples dans les demeures princières, à Fontainebleau (grotte du jardin des Pins, 1543-1544), à Meudon (1556-1559) et à La Bastie d’Urfé dans la Loire.
120 Androuet du Cerceau J., Le premier volume, op. cit., cité par Thomson D., Jacques Androuet du Cerceau…, op. cit., p. 103. Le rapprochement entre La Muette et Tilly est d’autant plus pertinent que le bâtiment principal, comme à La Muette, comportait une terrasse dans les parties hautes pour jouir du paysage boisé alentour.
121 Voir Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit., p. 184-186 ; Faisant E. et Prévet A., « Le “Manoir des Gens-d’Armes” : un jardin de la Renaissance à Caen », Cahiers Léopold Delisle, no 57, 2012, p. 35-71.
122 Des centaines de clous et de crochets en fer forgé et martelé sont encore fichés dans les joints du mur.
123 Dubois J., « Que dire de l’architecture civile à Alençon au XVIe siècle ? », », in B. Beck, P. Bouet, C. Étienne et I. Lettéron (dir.), L’architecture…, op. cit., t. 1, spécialement p. 196-198 ; Id., « Le pavillon dit “Henri II” à Alençon », », in B. Beck, P. Bouet, C. Étienne et I. Lettéron (dir.), L’architecture…, op. cit., t. 2, p. 285-287 ; Since M.-H., « Les jardins de la Renaissance… », art. cit., p. 184.
124 Androuet du Cerceau J., Livre d’architecture…, op. cit., 1582, modèles VIII, X, XI et XXXVII. Voir aussi la fausse-braie jardinière du Plessis-Bourré, qui pourrait être bien plus ancienne que sa première représentation dans Gaignière.
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