Léonard de Vinci ingénieur entre Milan et Florence
p. 73-102
Texte intégral
LES GRUES EXCAVATRICES DE LA PÉRIODE MILANAISE
1Léonard de Vinci s’est certainement orienté vers les études technologiques à la suite de sa formation dans l’atelier de Verrocchio et de sa fréquentation du chantier de la coupole de la basilique florentine. Malgré le rapide succès qu’il connut en tant que peintre, Léonard de Vinci continua à cultiver un intérêt pour la technologie, jusqu’à lui donner un rôle prépondérant après son voyage à Milan en 1482. Tout en continuant à réaliser ses chefs-d’œuvre picturaux les plus connus lors de son séjour au service de Ludovic le More, il réalise un nombre impressionnant d’études de caractère technique et scientifique, rassemblées dans les manuscrits produits à partir des années 1490. Cela nous montre que la technologie et la science occupent progressivement une place toujours plus grande dans la vie professionnelle de Léonard de Vinci. De fait, Sforza, puis César Borgia et les régents français de Milan comme le roi François Ier, le considèrent souvent comme un ingénieur. Après son voyage à Milan, Léonard de Vinci semble ne plus s’occuper de grues et de monte-charges pour la construction édilitaire. Son intérêt envers ces dispositifs semble avoir disparu avec son expérience sur le chantier de Brunelleschi, où il avait acquis la technologie la plus avancée pour le levage et la mise en œuvre des éléments structurels et décoratifs des édifices. L’absence de grues destinées à la construction édilitaire dans les manuscrits réalisés après sa période florentine indique que Léonard de Vinci, même s’il continue à fournir des idées pour des projets architecturaux, n’a probablement plus été à la tête d’un chantier. En témoignent ses projets pour la ville idéale pour Ludovic le More, ainsi que le projet pour le palais royal de Romorantin réalisé pendant son séjour à Amboise dans les dernières années de sa vie. En outre, son atelier milanais se trouvait à proximité de la cathédrale dont il fréquentait le chantier de construction. Au début des années 1490, en effet, il participa au concours qui visait à résoudre les problèmes de statique de la tour lanterne de la cathédrale. On garde de cette expérience de splendides dessins de contreforts, ainsi que le témoignage de la réalisation d’un modèle en bois que Léonard de Vinci devait présenter au concours, mais aucun dessin ou aucune note relatifs au chantier. Il est probable que le bagage technique provenant de Brunelleschi acquis à Florence était suffisant pour ne pas expérimenter de nouvelles solutions, ou peut-être que son projet n’a pas été approuvé et n’a jamais été mis à exécution. Mais les expériences de Léonard de Vinci pour résoudre les problèmes de déplacement et de levage de charges ne s’arrêtent pas là. Il s’appliqua également à étudier une autre catégorie de machines, toujours destinées au déplacement de grosses charges : les grues pour creuser les canaux. Dans ce cas aussi les dessins de Léonard de Vinci présentent des modèles qui semblent très innovants. Les travaux pour creuser les canaux s’avéraient extrêmement coûteux et étaient surtout réalisés à la main. Il n’existait aucune machine pour creuser assez efficace pour détrôner les équipes d’ouvriers dotés d’outils traditionnels (pics, pioches, pelles). Le travail manuel était accompli à l’aide de charriots, de rampes et de monte-charges. Les manuscrits des ingénieurs de la Renaissance, en particulier ceux de Francesco di Giorgio, décrivent certains charriots destinés certainement au travail agricole, équipés de pic et de herses pour labourer le terrain. Mais, en plus de n’avoir aucune preuve de leur réelle fabrication, ils n’égalaient pas, semble-t-il, le rendement des ouvriers qui creusaient à la main. Les dessins de Di Giorgio montrent plutôt des prototypes ou de simples exercices de style explorant les applications possibles des principes cinématiques mécaniques. En revanche, il est certain que les ingénieurs ont tenté d’alléger et d’économiser les travaux d’excavation et, encore une fois, les manuscrits de Léonard de Vinci contiennent les solutions les plus développées et détaillées pour résoudre ces problèmes. Sur le folio 944ro du Codex Atlanticus, Léonard de Vinci commente le système d’excavation d’un canal près de Pesaro : il souligne le peu d’efficacité de la grue excavatrice utilisée et propose des options qui prévoient l’adoption d’un dispositif automatique d’excavation à guillotine. La machine est dotée d’une lame montée sur une structure similaire à celle d’un mouton. Elle extrait des « tranches » de terrain qui sont recueillies directement dans un caisson. L’action de la guillotine est intégrée au mouvement des bras de la grue. Le principe cinématique de la machine n’est pas tout à fait clair, mais l’idée que le dessin exprime est celle d’une automatisation complète des opérations d’excavation, de charge, de transport et de décharge du matériau. Les manuscrits de Léonard de Vinci contiennent de nombreuses études sur les canalisations et sur la gestion des rivières. Ils exposent aussi certaines idées concernant la création de réseaux d’irrigation destinés à l’agriculture, aux égouts, aux transports et qui pourraient être utilisés comme force motrice pour les centres urbains. Traditionnellement, on attribue à Léonard de Vinci diverses interventions sur les canaux milanais, mais l’on ne conserve aucune preuve de sa participation aux opérations. Malgré l’absence de documentation, on ne peut que reconnaître le grand intérêt de Léonard de Vinci pour l’hydraulique et pour les techniques d’excavation des canaux, qu’il a certainement étudiées afin d’obtenir de Ludovic le More une fonction opérative qu’il n’obtint pourtant jamais. Parmi ces études, on trouve le dessin d’une grande grue excavatrice à bras rotatif, qui permet de sortir hors de la zone d’excavation les caissons remplis manuellement. La partie la plus intéressante de ce dessin tient dans le système de traction qui est constitué d’une rampe à spirale dans laquelle les ouvriers agissent sur la corde – à la main ou au moyen d’animaux –, soulevant et déplaçant le caisson le long du front de l’excavation. Le caisson a un profil arqué, de manière à ce que la grue, en se tournant, maintienne le caisson près de la paroi de terre à enlever. Dans les observations relatives à cette machine, Léonard de Vinci spécifie que la rampe à spirale est la voie la plus brève pour arriver à la surface avec un chariot et que l’inclinaison de la rampe doit être d’une « demi obliquité », c’est-à-dire à 45 degrés. Un système d’excavation similaire se trouve aux folios 1012ro/vo, toujours dans le Codex Atlanticus : la rampe à spirale y est remplacée par une rampe rectiligne, qui doit fonctionner avec une grue rotative dotée d’un système de traction à contrepoids. Ce dernier dispositif n’est autre qu’un monte-charge sur lequel on place un certain nombre d’ouvriers jusqu’à obtenir un poids supérieur à celui du caisson à soulever. Pour le faire fonctionner, Léonard de Vinci prévoyait une équipe de quatre ouvriers ainsi qu’un bœuf. Une fois que le chargement était terminé, deux ouvriers et le bœuf passaient de la rampe au monte-charge et, pendant que le caisson se soulevait, les deux autres faisaient tourner la grue. Le dessin reproduit deux de ces systèmes de levage unis par une robuste poutre de soutien. Ils fonctionnent parallèlement sur les deux côtés du canal : le premier est en position de charge, le second de décharge. En bas à droite, le dessin d’une rampe à spirale rappelle la grue excavatrice du folio 444ro. Une note explique que ce système est plus efficace que la rampe rectiligne et qu’il permet de raccourcir le parcours de quatre mille brasses calculé pour mille cycles de travail par jour. Si l’on traduit ces chiffres en unités de mesure actuelles, il s’agirait d’une économie d’environ deux kilomètres et deux-cents mètres par jour. L’avantage vient du fait qu’avec la rampe à spirale, le bœuf et les ouvriers descendent à l’aide du monte-charge au point exact où commence la remontée, tandis qu’avec la solution linéaire, ils doivent se déplacer d’un espace équivalent à la longueur de la base de la rampe avant de pouvoir y remonter à nouveau. Le système à double poulie est également digne d’intérêt. Il sert à amplifier la course de la corde qui retient le caisson. Ce dernier devait dépasser la levée de terre et donc être soulevé à une hauteur supérieure à celle du monte-charge qui, lui, couvrait seulement la distance du fond du canal jusqu’à la plateforme supérieure de la rampe. Léonard de Vinci résout ce problème en montant deux poulies de diamètres différents sur l’arbre transversal de la grue. Ainsi, il arrivait à faire fonctionner la grue de manière asymétrique, sans être contraint à augmenter la hauteur du montant vertical, ce qui aurait impliqué de réaliser une rampe plus longue afin d’atteindre la plateforme supérieure du monte-charge. Au verso du folio 1012, l’ingénieur étudie ce dispositif d’excavation encore plus en détails, en illustrant également le dispositif automatique de décharge du caisson.
LES GRUES EXCAVATRICES POUR DÉVIER L’ARNO
2Pendant les premières années du XVIe siècle, Léonard de Vinci continue à développer les technologies appliquées à l’excavation des canaux, lorsque, à son retour à Florence, Nicolas Machiavel l’emploie dans le projet de déviation de l’Arno. La volonté de détourner le fleuve n’était pas nouvelle, elle avait été exprimée déjà dans les années 1470-1480. Dans sa biographie de Léonard de Vinci, Giorgio Vasari écrit que ce personnage « fut le premier, déjà quand il était enfant, à parler du fleuve Arno pour le canaliser de Pise à Florence ». La déviation de l’Arno représentait un projet colossal qui aurait eu d’immenses répercussions sur le territoire, en offrant finalement à la ville de Florence une ouverture sur la mer. Léonard de Vinci réalisa divers dessins relatifs à ce projet qui, non seulement aurait eu des retombées économiques positives sur le commerce et le transport, mais encore aurait joué un rôle décisif dans l’issue de la guerre entre Pise et Florence, à faveur de cette dernière. Il espérait que, après avoir détourné Pise du cours de l’Arno, Florence aurait réussi à vaincre sa résistance. Le projet fut lancé mais jamais achevé. D’abord parce que l’ingénieur qui suivait les travaux ne se conformait pas aux indications de Léonard de Vinci et ne donnait pas au canal la juste inclinaison pour faire s’écouler l’eau du lit du fleuve. Ensuite parce qu’entre-temps, les Florentins vainquirent Pise. Le projet perdit donc de son intérêt, par rapport à l’investissement économique considérable qu’il demandait. Sur les folios du début du Codex Atlanticus, on trouve deux dessins de deux puissantes grues excavatrices, réunis à l’origine en une seule planche, de manière à pouvoir comparer les deux modèles et démontrer la supériorité de l’un sur l’autre (Pedretti, 1972, 417n). Le premier dessin représentait le modèle de Léonard de Vinci et le second rappelait l’architecture de la « machine de traction de Pesaro » que l’ingénieur avait vue à l’œuvre et critiquée pendant son séjour dans la ville des Marches en 1502. Ces deux dessins nous permettent de reconstituer un scenario dans lequel Léonard de Vinci dut démontrer la supériorité de la machine qu’il avait lui-même inventée sur l’autre qui, probablement, constituait soit la solution traditionnelle, soit le projet d’un autre ingénieur. Lorsque l’on met les deux dessins l’un à côté de l’autre, la suprématie du modèle de Léonard de Vinci est évidente. La grue traditionnelle, en effet, est placée sur la digue et travaille dans le tracé du canal depuis l’extérieur, nécessitant donc un chantier plus grand. De plus, si l’on observe le dessin de cette machine, on voit qu’aucun système de déplacement intégré n’est prévu et que, pour suivre l’avancement de l’excavation, il faut de temps en temps que le terrain autour de la levée de terre soit aplati, afin de permettre l’installation de la machine. Dans le second modèle, Léonard de Vinci résout le problème en plaçant la machine directement dans le lit du canal : les bras rotatifs de la grue, montés frontalement, sont capables de déposer le matériau enlevé le long des digues. La grue excavatrice est dotée de rails et se déplace grâce à un système de traction à vis qui lui permet d’avancer en même temps que l’excavation. Le système de levage suit une logique ingénieuse qui intègre les phases de chargement et de déchargement aux opérations d’excavation. Les caissons déplacés par les deux grues sont soulevés et abaissés par une seule corde qui passe par une grosse poulie centrale : le système de charge et de décharge ressemble donc à une espèce de balancier. En bas, le caisson se remplit, tandis qu’à l’extérieur, à l’extrémité opposée du trou, l’autre caisson se vide. Pour actionner le mouvement alterné de montée et de descente des caissons, les équipes d’ouvriers jouent un rôle déterminant à chaque poste de travail. Lorsque le caisson inférieur est chargé et que celui à l’extérieur est vidé et ramené à l’espace surmontant le trou, l’équipe d’ouvriers à l’extérieur monte dessus, en augmentant ainsi le poids nécessaire pour l’abaisser et faire monter l’autre caisson plein de terre. Ce dernier est ensuite vidé par la même équipe d’ouvriers qui l’a rempli et qui s’est déplacée sur la levée de terre pendant les opérations de levage. Il n’existe malheureusement aucun document témoignant de la construction effective de cette machine. Les excavations effectuées afin de dévier l’Arno dans l’« Étang de Livourne » avancèrent pendant quelques mois sous la direction de l’ingénieur hydraulique Colombino avant que le projet n’échoue. Dans un folio du Codex Atlanticus dédié à ce projet, Léonard de Vinci estime qu’il aurait fallu enlever environ un million de tonnes de terre pour l’excavation du canal. Après avoir observé les mouvements des ouvriers dans les opérations d’excavation, Léonard conclut qu’il fallait deux jours de travail pour enlever un cube de terre (64 brasses) et que, par conséquent, pour creuser tout le canal il aurait fallu 57 000 jours. Cette somme de travail aurait pu être allégée par l’emploi de sa puissante grue excavatrice.
LES GRUES EMPLOYÉES DANS LES PORTS ET LES CANAUX
3L’entretien des voies d’eau, qu’il s’agisse de rivières ou de canaux, demandait un dragage continu des fonds. À cet effet, les ingénieurs avaient projeté des systèmes ingénieux pour enlever le sable et les détritus des fonds des canaux et des ports. Léonard de Vinci lui-même se préoccupa de ce problème en imaginant une drague automatique : positionnée sur la digue et actionnée au moyen d’un treuil, elle pouvait enlever les détritus et le sable du fond et les déposer sur un ponton (Manuscrit E, fo 75vo). Cette activité de dragage nécessitait également des systèmes de levage afin de décharger les pontons couverts de détritus. Dans les folios 49ro et vo du Manuscrit B – rédigé à Milan entre les années 1480 et 1490 – Léonard de Vinci décrit deux grues prévues pour ce type de travail. L’ingénieur peut soit les avoir vues en fonctionnement, soit les avoir inventées afin d’améliorer l’efficacité des modèles à l’œuvre le long des canaux milanais. Le premier modèle de grue est monté sur une plateforme rotative dotée d’un système de levage constitué d’une série de poulies et d’un treuil combiné à un système de blocage pour soutenir la charge pendant le déplacement. Le second modèle présente la même typologie de grue mais, cette fois, l’engin est doté de deux bras opposés travaillant en même temps, l’un à la charge, l’autre à la décharge du matériau. La note sous le dessin indique que cette machine servait à vider les fossés. Le dispositif de traction est fondé sur un treuil central dont le tambour sert à enrouler inversement les cordes des deux bras : lors de la rotation du treuil, l’une s’enroule et l’autre se déroule. Il s’agit d’une grue qui fonctionnait probablement en combinaison à un ponton qui transportait des caissons pleins de détritus dragués dans les canaux ou dans les ports. La machine était déplacée au moyen d’un treuil positionné sur le quai.
4La grue à flèche est également une machine destinée au travail de charge et de décharge dans les ports et le long des canaux. Elle est reproduite sur le folio 96ro du Codex de Madrid I, cette fois encore vue ou conçue par Léonard de Vinci pendant son premier séjour milanais. Il s’agit ici aussi d’une machine à double effet, constituée de deux montants parallèles capables de tourner indépendamment l’un de l’autre. Les deux grues sont munies d’un système de traction à corde dont le crochet est monté sur une poulie mobile qui diminue de moitié le poids de la charge. Dans le folio 43vo du Codex Atlanticus se trouve le dessin d’un autre modèle de grue que Léonard de Vinci aperçut en 1515 pendant une inspection. La machine se compose d’un robuste montant vertical renforcé par des poutres à butée montées du même côté de la grue, ainsi que d’une série de tendeurs latéraux. D’après le dessin, la machine ne semble pas en mesure de tourner et le système de levage n’est pas clair. Le folio montre un gros contrepoids (socle) qui doit constituer la base de l’engin, ce qui nous laisse penser qu’il s’agit d’une machine pour décharger des péniches chargées de matériaux de construction. Un dispositif analogue se trouve au folio 38ro du même ouvrage, associé à des études sur l’ancien port de Civitavecchia. Dans ce dessin, l’élévateur présente une course en saillie très réduite et à contrevent. Il s’agit probablement de structures fixes qui déplacent une plate-forme de charge du plan de la péniche jusqu’au niveau du quai.
RECONSTITUTIONS 3D
GRUE À BALANCIER
5D’après Léonard de Vinci, Codex Atlanticus, fo 1012ro/vo.
Emploi
6Déplacement de la terre dans l’excavation des canaux.
Moteur
7Balancier.
Description
8Deux grues à bras rotatif parallèles portent le matériau d’excavation hors de la zone de travail. L’installation suit le bord du trou en se déplaçant sur des rails. Le contrepoids qui soulève la charge est constitué d’une plateforme mobile qui porte un bœuf et un homme.
Problèmes d’interprétation
9Dimensions : Léonard de Vinci fournit les dimensions de plusieurs parties de la grue en brasses (1 brasse milanaise = 59,49 cm) ; profondeur du fossé : environ 2,4 m ; hauteur de la grue : 4,8 m ; portée de levée 4,5 m ; hauteur du balancier : 1,80 m.
10Reconstitution : les descriptions verbales font référence à la grue de droite, tandis que le modèle de gauche présente certaines variantes qui sont difficiles à comprendre, autant pour ce qui concerne leur intention que leur fonctionnement. Le caisson est suspendu à un « trapèze ». Le dessin de Léonard de Vinci cristallise sur le papier une idée qui représente, d’un point de vue géométrique comme pour d’autres machines, un principe potentiellement efficace mais qui n’a pas été encore vérifié sur le plan de l’ingénierie.
GRUE EXCAVATRICE
11D’après Léonard de Vinci, Codex Atlanticus, fo 4ro
Emploi
12Creuser les canaux.
Moteur
13« Balancier » à contrepoids intégré par un volant.
Description
14La grue se compose d’une structure réticulaire en forme de tétraèdre qui avance sur deux rails grâce à un système de traction à vis. Les deux bras de la grue sont montés sur le même axe et peuvent tourner à 180° en soulevant et en abaissant alternativement deux caissons : l’un plein et l’autre vide.
Problèmes d’interprétation
15Dimensions : si l’on prend comme point de référence les seaux d’excavatrice représentés dans le dessin, qui mesuraient environ 1-1,20 mètres de longueur, on peut imaginer que cette énorme machine devait avoir une hauteur d’environ 8-9 mètres et une largeur d’environ 6 mètres. Le gros volant-poulie central devait avoir un diamètre d’environ 2,5 mètres.
16Reconstitution : le dessin n’est pas clair quant au passage des cordes pour arriver au moyeu d’enroulement. De plus, de la manière dont sont dessinés les caissons – tous deux dans le fossé en phase de chargement – le moteur à balancier ne pourrait pas fonctionner. L’idée que le balancier soit mis en mouvement seulement par les ouvriers qui montent dans le caisson vide n’est pas plausible étant donné le poids à soulever. Même s’il ne mesurait que 50 centimètres cubes – mesure proportionnelle à la pelle –, il pèserait plus de 500 kg. Pour que le balancier puisse fonctionner, il fallait soit réaliser des caissons capables de soulever au maximum 100-120 kg de terre, soit imaginer une autre hypothèse, le « volant-poulie » fonctionnant comme une roue à cage à écureuil similaire à celle de la grue de Vitruve. Les deux bras de la grue étant indépendants, la roue interne à la structure peut être interprétée comme un moteur à cage à écureuil capable de les actionner en même temps. Le dessin présente un autre problème : la représentation de l’encaissement. Celui-ci semble beaucoup trop large, surdimensionné par rapport à la longueur des bras de la grue, ce qui empêche ces derniers de porter les caissons sur les digues.
GRUE VIDE-FOSSÉS
17D’après Léonard de Vinci, Manuscrit B, fo 49ro.
Emploi
18Enlever le matériau lors de l’excavation et de la manutention des canaux.
Moteur
19Treuil.
Description
20La grue est montée sur une base tournante circulaire qui se meut au-dessus d’un marchepied muni de rouleaux. La poulie de charge est placée au sommet de l’antenne en saillie qui est renforcée par quatre barres transversales. Sur la partie postérieure, un caisson est appuyé sur le marchepied. Rempli de pierres, il fait office de contrepoids. La corde s’enroule sur un treuil qui contient un système de blocage afin de maintenir la charge suspendue. Ce dispositif est composé d’une roue à dents asymétriques et d’une dent d’arrêt.
Problèmes d’interprétations
21Dimensions : Le dessin ne porte aucune indication quantitative. Les dimensions maximales de la grue peuvent être cependant proposées à partir du treuil. Afin de permettre aux ouvriers d’actionner facilement le treuil, celui-ci devait avoir son axe de rotation positionné à une hauteur comprise entre 1 et 1,5 mètres. En reportant cette mesure sur le dessin, on peut imaginer une hauteur et une portée de l’ordre de 6-7 mètres.
22Reconstitution : si, à première vue, le fonctionnement de cette grue est évident, la réalisation concrète de la machine ne va pas de soi : une série de problèmes émerge, dont la résolution demanderait de modifier sensiblement la structure. Par exemple, si l’on veut éviter de devoir forer le montant vertical central pour le passage de la corde, la grue devrait être réalisée de manière asymétrique par rapport au treuil. Le montant foré, par ailleurs, qui est la solution la plus proche du dessin de Léonard de Vinci, présente un frottement de la corde sur la surface interne du trou, et donc un risque d’usure pour la corde. Le système d’arrêt ne fonctionne pas parce que les dents de l’engrenage asymétrique sont dessinées de manière à arrêter la rotation pendant la phase de levage. Le dessin de la base rotative n’est pas clair et, pour être suffisamment solide, il requerrait un dédoublement de la structure à contrevent afin de soutenir les rouleaux de coulisse.
GRUE VIDE-FOSSÉS DOUBLE
23D’après Léonard de Vinci, Manuscrit B, fo 49vo
Emploi
24Enlever le matériau lors de l’excavation et de la manutention des canaux.
Moteur
25Treuil.
Description
26La grue est conçue de la même manière que celles dessinée au recto du même folio. Elle en diffère essentiellement par ses deux arbres de charge opposés qui, actionnés au moyen du même treuil, fonctionnent alternativement : l’un charge et l’autre décharge. La grue est montée sur un marchepied rotatif qui est tourné manuellement au moyen de poignées placées le long de la circonférence du marchepied. Un treuil est combiné à la grue pour la déplacer. Deux caissons sont placés sur le marchepied, à la base des montants qui soutiennent les bras des deux grues : ils lestent la machine et la rendent plus stable pendant le levage des charges.
Problèmes d’interprétation
27Dimensions : Léonard de Vinci ne fournit aucune mesure mais si l’on prend le treuil – qui doit être actionné à la main – comme référence, on peut imaginer que son axe de rotation se trouve à environ 1,5 mètres du marchepied. En se fondant sur cette hypothèse, on peut déduire que la hauteur totale de la grue devait être de 5 à 6 mètres, pour une portée d’environ 3 mètres.
28Reconstitution : la base rotative, qui ne possède que quatre roues, n’est pas très claire. Dans le modèle à bras unique (Manuscrit B, fo 49ro), la grue avait une base beaucoup plus solide, malgré la charge qui devait être moindre. On ne comprend pas bien non plus comment les essieux des roues peuvent se croiser en étant à la même hauteur : dans la reconstitution, les essieux ont été placés à des niveaux différents, ce qui change en conséquence le rayon des roues relatives.
GRUE À FLÈCHE DOUBLE
29D’après Léonard de Vinci, Codex de Madrid I, fo 96ro.
Emploi
30Charge et décharge de matériaux dans les canaux et dans les ports.
Moteur
31De la manière dont Léonard de Vinci la représente, la grue semble être actionnée à la main. Le système de réduction de la force consiste en une poulie mobile, mais la grue peut être facilement dotée d’un treuil.
Description
32Il s’agit de deux grues parallèles autonomes dotées de bras horizontaux capables chacun de tourner autour de son propre axe vertical. La structure est renforcée par des contrevents.
Problèmes d’interprétation
33Dimensions : aucun détail ne nous permet de connaître les dimensions de la machine. D’après le dessin, le rapport entre le diamètre de la poulie et la portée de la grue est de 1 à 15. Si l’on émet l’hypothèse, donc, que la poulie possède un diamètre de 30 cm, la portée de la grue sera de 4,5 mètres.
34Reconstitution : les deux grues respectent les mêmes dimensions et peuvent donc tourner de manière parallèle ou divergente. Elle ne peuvent pas se croiser.
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