Construire et habiter la maison en pan de bois en Alsace1
p. 73-98
Texte intégral
1L’architecture médiévale nous est surtout connue par les grands édifices aristocratiques, publics ou religieux, témoins de chantiers de prestige, mettant en œuvre des matériaux de grande qualité et les savoir-faire les plus spécialisés. On connaît en revanche moins bien les maisons et l’architecture ordinaire, moins durable et beaucoup plus soumise au renouvellement. L’approche technique de cette architecture en pan de bois montre que c’est autour de 1400 que va se stabiliser, dans l’aire régionale, la structure de la maison à colombage qui n’évoluera plus, pendant près de trois siècles, qu’au niveau du décor.
2La vallée rhénane est parcourue en son centre par le Rhin, fleuve certes sauvage mais qui forme un trait d’union entre les deux rives jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Rien ne différencie les constructions de part et d’autre de cet axe marchand reliant l’Italie aux Pays-Bas. Ce n’est qu’à partir de l’annexion de l’ensemble de l’Alsace par la France en 1682, que la manière de construire à la française parvient à s’imposer2. Cependant, au XVIIIe siècle encore, le poids de la tradition l’emporte et seuls les bâtiments administratifs, militaires et religieux, ainsi que certaines grandes demeures aristocratiques portent l’empreinte française3. Ainsi, au dernier niveau des combles des maisons alsaciennes, les arbalétriers avec panne faîtière datent de cette époque. Cet apport technique, dans une charpente qui a fait ses preuves depuis plus de deux siècles, n’est d’aucune utilité mais participe de l’art de construire français.
3Quarante ans d’études et de recensement du service de l’Inventaire général auxquelles s’ajoutent des travaux complémentaires de terrains ainsi que les nombreuses études monographiques menées récemment permettent d’estimer à plus de mille le nombre de maisons médiévales conservées en Alsace. Le corpus de 180 maisons datées par dendrochronologie auquel nous avons eu accès présente plus de la moitié d’édifices antérieurs à 1500. Même en excluant du corpus les maisons des grandes villes, il s’agit très rarement de fermes. Ce sont surtout des maisons construites à l’intérieur d’enceintes fortifiées. Elles ont été bâties pour des viticulteurs, des commerçants et artisans détenteurs du droit de bourgeoisie. Elles étaient habitées par des familles aisées et ne nous renseignent pas sur l’habitat des manouvriers et des petites gens.
4Hormis dans les grandes villes, c’est en Alsace centrale, principalement dans le vignoble qui s’étend de Marlenheim à Thann, qu’ont été, pour diverses raisons, conservées de nombreuses maisons de la fin du Moyen Âge. En effet, on ne connaît que peu de traces de maisons antérieures au XVIIe siècle dans le massif et les vallées de la montagne vosgienne. De même, les villages agricoles non fortifiés de la plaine rhénane furent des proies faciles en temps de guerre et furent régulièrement détruits, et n’ont gardé que peu de témoins cohérents de l’architecture civile de cette fin du Moyen Âge. En revanche, la richesse du vignoble du piémont, et la densité de petits bourgs fortifiés dès le XIIIe siècle en Alsace centrale ont été des facteurs propices à la construction et à la conservation des maisons. En effet, ces petits espaces, que l’on peut du point de vue de la forme qualifier d’urbains, sont strictement limités par leur fortification et la structure du parcellaire y est très contrainte. La taille et la forme des parcelles semblent en avoir été fixées dès le XIVe siècle, conditionnant ainsi forme et volume des maisons. Les reprises successives du bâti se limitent principalement aux façades et aux couvertures, dans un tissu urbain stabilisé. En outre, il semble que la présence de remparts élevés ait joué un rôle de protection du bâti adossé et c’est dans la proximité immédiate de ces murs d’enceinte que l’on relève le plus grand nombre de bâtiments médiévaux bien conservés dans leur structure.
LA MAISON EN PAN DE BOIS : UNE DÉFINITION
5Le pan de bois ou colombage est une ossature de bois massif ou chaque essence et chaque section sont hiérarchisées selon leur fonction et leur place dans la structure (fig. 1).
6Entre les pièces de bois, les vides sont remplis d’une maçonnerie qui met en œuvre des matériaux et des techniques variés. Le colombage est appelé « Fachwerk » en allemand, c’est-à-dire « ouvrage spécialisé ». Il s’agit donc d’un travail de spécialiste, dont le charpentier est véritablement un maître d’œuvre. Il sait jouer d’astuce pour utiliser au mieux le bois disponible et l’emploi de fûts tordus ou irréguliers et des branches est fréquent. Pour les pièces les plus importantes, le bois est en général utilisé plein cœur : les pièces concernées sont les poteaux, les sablières et les solives. On tire du fût une seule poutre de section quadrangulaire alors que pour les pièces secondaires, on peut utiliser des demi-fûts. La face plane des éléments obtenus est systématiquement tournée vers l’extérieur afin d’éviter la stagnation de l’eau et de permettre au charpentier d’aligner les pièces de bois. C’est aussi sur cette face plane qu’il pourra référencer les pièces qui seront tracées, taillées puis assemblées, dans un premier temps, sur le plancher de trace.
7Le choix du bois comme matériau de construction répond à plusieurs préoccupations. L’approvisionnement tout d’abord : le bois est abondant et la pierre de construction est indisponible en plaine. De plus, le coût du transport et de l’extraction de la pierre est important. Sa mise en œuvre est plutôt réservée aux grands chantiers et à l’architecture de prestige. Le bois quant à lui est disponible en abondance à proximité, à l’exception des grandes pièces d’œuvre dont les forêts locales, en fonction de leur mode de gestion ou de leur état d’exploitation, peuvent être dépourvues. L’architecture en pan de bois permet une utilisation optimale des ressources locales : l’arbre est utilisé dans sa totalité, du tronc aux branches, et les matériaux complémentaires nécessaires au hourdis des murs et cloisons ainsi que les matériaux de couverture sont disponibles partout : argile, paille, chaume. Enfin, on peut souligner la simplicité de mise en œuvre, qui ne nécessite qu’un nombre limité d’artisans spécialisés : pas de maçons ni de tailleurs de pierre, en dehors de la mise en place du rez-de-chaussée maçonné, très fréquent dans l’architecture du vignoble.
8C’est le charpentier qui est à la fois le concepteur, le maître d’œuvre et le chef du chantier. Il est généralement aidé par un ouvrier qualifié, un compagnon en formation et un apprenti. La main-d’œuvre complémentaire nécessaire à l’édification de la maison est généralement recrutée dans l’environnement immédiat de la famille ; elle tiendra un rôle de manœuvres. La corporation des charpentiers, est, comme les autres, très structurée et organise de façon stricte et réglementée la formation et la carrière des apprentis. Au terme de quatre années d’apprentissage, le maître charpentier remet solennellement à l’apprenti (« Lehrknecht ») admis comme compagnon (« Geselle ») les quatre outils indispensables à l’équarrissage, au façonnage et à l’assemblage des pièces du pan de bois : une doloire (« Breitbeil »), une cognée (« Bart »), une tarière (« Löffelbohrer ») et une bisaiguë (« Kreuzaxt »). Le compagnon est un salarié qui ne pourra s’établir comme maître charpentier que s’il obtient le droit de bourgeoisie.
LES GRANDES ÉTAPES DE LA CONSTRUCTION D’UNE MAISON
9Si la majorité de la matière première est issue de l’environnement immédiat, les bois d’œuvre de grande taille proviennent de forêts distantes. Elles peuvent être apportées par flottage sur le Rhin, depuis les massifs de la Forêt Noire ou de Suisse (fig. 2). L’arbre abattu et ébranché est apporté au chantier ou à la scierie pour être débité en planches ou en une poutre. Le débardage est mené par flottage, sur les petits cours d’eau aménagés à cet effet, ou en tirant les grumes à même le sol. Les deux types de transport laissent des traces spécifiques : les bois flottés portent des percements circulaires sur angle, dont une extrémité est en forme d’entonnoir triangulaire pour faciliter le passage des harts qui sont les liens souples constitués de tiges de noisetier ou de saule utilisées pour assembler les troncs. On peut ainsi organiser et articuler des trains de bois de cent mètres et plus de long qui descendront le Rhin. Les bois tirés présentent des arrachements et des écrasements caractéristiques qu’il est difficile de masquer.
10Les bois débités sont amenés sur le plancher de trace, ou « Zimmerplatz », où ils seront présentés, tracés et assemblés à plat avant d’être dressés une première fois, puis démontés avant leur transport et leur remontage définitif en ville. En effet, pour effectuer toutes ces manipulations et le stockage des pièces de charpente, il faut un espace important, rarement disponible dans le tissu serré d’une ville fortifiée. En raison de ces contraintes, le chantier se situe le plus souvent à l’extérieur de la ville.
11Une fois l’ossature terminée, elle est transportée puis remontée sur son emplacement définitif, sur un solin ou un rez-de-chaussée maçonné. On installe ensuite les différents planchers.
12Dans certains cas, le plancher peut être mis en place avant d’ériger les murs périphériques de l’étage, il est alors visible en façade. Vient alors l’étape de remplissage des espaces entre les différentes pièces des pans de bois en torchis sur clayonnage ou en maçonnerie de moellons ou de briques en fonction des matériaux disponibles.
13La couverture, principalement en chaume jusqu’au XIVe siècle va progressivement faire place à la couverture en tuile sous la pression des nombreux règlements édictés pour lutter contre les incendies.
14La charpente du comble est indissociable des étages carrés lorsqu’il s’agit de structures à bois longs. Lorsqu’il s’agit d’étages carrés dissociés, respectant toutefois les descentes de charges et la statique du bâtiment, chaque niveau est alors conçu de manière autonome.
LES CHARPENTES DE COMBLE
La spécificité de la charpente alsacienne (fig. 3)
15L’assemblage de chaque paire de chevrons dans un entrait constitue la principale spécificité des charpentes alsaciennes. Il s’agit de charpentes à chevrons-formant-fermes qui, en fonction de leur taille, pouvaient être complétées par un ou plusieurs niveaux de faux-entraits. Leur contreventement longitudinal, dans les édifices religieux, est assuré par de grandes écharpes fixées sur la sous-face des chevrons par des chevilles en bois. En revanche les charpentes des édifices à pignons à redents ne présentent aucun contreventement longitudinal4.
La charpente à poutre longitudinale de renfort (fig. 4)
16Dès la fin du XIIIe siècle5, des poutres longitudinales de renfort sont placées sous les faux-entraits en étant soutenues par des poteaux à enfourchement posés à même le plancher, sans ordre établi6. Ces poutres longitudinales viennent renforcer les assemblages des chevrons aux faux-entraits, qui sont le plus souvent à tiers-bois et à demi-queue d’aronde, plus rarement de simples mi-bois maintenus par deux chevilles.
La charpente à chevalet sur poteaux (fig. 5)
17Avec la construction du couvent des Dominicains à Guebwiller (1335d) les poteaux et les poutres longitudinales latérales de renfort de la charpente sont traitées comme une suite de chevalets sur poteaux possédant leur propre contreventement.
18Les poteaux sont assemblés à leur pied dans l’entrait pour le chœur et sur une sablière basse, posée sur les entraits, pour la partie orientale de la nef. À leur sommet, ils sont assemblés dans la poutre longitudinale de renfort. Le contreventement est assuré sur chaque poteau par deux aisseliers liant celui-ci à la poutre longitudinale. Le contreventement latéral du chevalet est pris en charge par deux contrefiches croisées montant du chevron, sous le premier faux-entrait, au chevron opposé sous le deuxième niveau de faux-entrait en croisant et s’assemblant à mi-bois avec le poteau et le premier faux-entrait.
19Le principe du chevalet sur poteaux dans les structures à chevrons-formant-fermes va perdurer jusqu’au XIXe siècle. Le seul changement notable est la disparition progressive, à partir du début du XVIe siècle, de l’assemblage à mi-bois, auquel se substitue l’emploi bientôt généralisé du tenon et mortaise.
La charpente à chevalet à jambe de force (fig. 6 et 7)
20Le XVe siècle voit apparaître un nouveau type de chevalet dit « chevalet à jambe de force ». Le poteau de la génération précédente va se décaler et se plaquer sous le chevron, dégageant de la sorte une surface utilisable plus grande dans le comble. L’avantage principal et la nouveauté résident en priorité dans le report des charges du toit à la verticale du mur gouttereau. Auparavant, les descentes de charge transmises par les poteaux se faisaient loin du mur, provoquant ainsi un effet de cisaillement au niveau de l’appui et obligeant le charpentier à sur dimensionner les entraits. Par contre, avec la descente de charge au droit du mur, l’entrait se voit recentré dans son rôle de tirant7.
21Comme pour le chevalet sur poteaux, le chevalet à jambes de force va perdurer jusqu’à nos jours. C’est à Riquewihr, à la maison dite à l’Ours noir, qu’apparaît la première structure à jambe de force reconnue en Alsace (1435d). Les premières jambes de force étaient assemblées par tenon et mortaise dans le faux-entraits, mais ce nœud fragile a rapidement été compensé et renforcé par l’adjonction d’une nouvelle pièce de bois, appelée étrésillon, plaquée sous le faux-entrait et assemblée à tenon et mortaise dans la tête des jambes de force. Plusieurs décennies de tâtonnements sont repérables dans les structures observées et des dispositifs archaïsants existent dans certaines micro-régions, telles que le Sundgau mais, presque partout, la ferme à jambes de force trouve sa forme définitive dès la seconde moitié du XVe siècle, sans évolution majeure.
Les charpentes suspendues8 (fig. 8 et 9)
22Les charpentes à grandes portées font appel aux arbalétriers et aux poinçons pour éviter le fléchissement des entraits et répondre ainsi aux besoins de grandes salles. Le principe constructif est une charpente à chevrons-formant-fermes, avec ou sans chevalet à poteaux ou jambes de force, couplé avec un système à poinçon et arbalétriers. La plus ancienne actuellement connue en Alsace est la charpente du Constofel (1348d) mis au jour place Saint Thomas à Strasbourg9, avec une portée sans appui de 14,80 m. L’église Saint Jean de Wissembourg (1420d), avec ses quatre niveaux de comble, possède un poinçon double (formé de deux pièces de bois) moisant à chaque niveau une sous-poutre longitudinale, sauf au premier niveau de comble où il s’agit d’une sur poutre à laquelle chaque entrait est suspendu par une clef en bois. Au XVIIIe siècle, il est encore très courant de rencontrer ce type de structure dans les maisons bourgeoises.
LE PAN DE BOIS : TYPOLOGIE
23Il est très fréquent, notamment en ville et dans le vignoble, vraisemblablement en raison des fonctions artisanales utilisant l’eau, que le rez-de-chaussée des maisons soit maçonné sans que cela influe sur les superstructures en pan de bois.
24La typologie proposée fait donc abstraction de cette variable commune à tous les types reconnus. Elle est basée sur les caractéristiques constructives et statiques des bâtiments. Sur ces bases, on peut isoler deux grandes familles, la troisième rassemblant les structures mixtes.
Les structures à poteaux de fond (fig. 10 et 11)
25Dans le premier type de structure charpentée, les descentes de charge se transmettent verticalement au sol par l’intermédiaire des poteaux de fond quel que soit le nombre d’étage.
26La statique de la maison est assurée par ces poteaux de fond qui peuvent être enfoncés profondément dans le sol de façon à ce que la hauteur d’enfouissement des poteaux soit suffisante pour assurer la stabilité de l’ensemble de la structure. Il est aussi possible que les poteaux reposent sur des pierres ou une sablière. Il devient alors indispensable de les contreventer, c’est-à-dire d’assurer leur maintien vertical, par des pièces obliques appelées goussets. L’ensemble de l’édifice est protégé des déformations horizontales. D’une part, le contreventement longitudinal est assuré par le pan de bois des murs gouttereaux et d’autre part, le contreventement latéral par celui des deux pignons et des refends intérieurs à poteaux de fond parallèles aux pignons.
27Les charpentes de ces maisons sont constituées de pannes (pannes faîtières, pannes intermédiaires, pannes sablières) qui sont assemblées aux poteaux de fond par tenons et mortaises. Souvent, les poteaux de fond centraux comportent des sous-faîtières de montage et, dans ce cas seulement, la panne faîtière est assemblée aux poteaux de fond par des tenons traversant. Les chevrons s’appuient sur les pannes et sont fixés, pour les plus anciennes structures à la panne faîtière par des chevilles en bois. Ce sont les poteaux qui portent les pannes, et les pannes les chevrons.
Les structures à étages superposés (fig. 12 et 13)
28La deuxième famille de bâtiments répond à une logique statique toute différente. Chaque niveau (rez-de-chaussée, étage carré, charpente du comble) est construit de façon autonome et, de ce fait, nécessite un contreventement propre pour assurer sa stabilité. C’est une superposition de boîtes « auto-contreventées ». Chaque entité (boîte) assure sa propre stabilité (droite/gauche, avant/arrière). Le pan de bois se compose de poteaux corniers, de poteaux intermédiaires compris entre une sablière basse et une sablière haute, d’une ou plusieurs entretoises auxquels s’ajoutent les pièces obliques assurant la stabilité de la structure.
29Le système assurant le lien entre les étages superposés varie. Dans bien des cas, les étages sont simplement empilés les uns sur les autres sans liaison verticale. Dans un certain nombre de structures médiévales, le pan de bois de l’étage est posé directement sur le plancher formant le plan supérieur du niveau bas. L’extrémité des planches apparaît alors en façade entre les solives de plancher et la sablière de chambrée du pan de bois supérieur. On rencontre également des dispositifs qui assurent une liaison entre les différents étages ou boîtes qui ont pour objet d’éviter un glissement latéral ou une déformation du pan de bois due à l’utilisation de bois vert. La sablière de chambrée est alors assemblée par entaille aux solives du plancher.
30Dans cette logique d’empilement, la charpente du comble est conçue de façon autonome par rapport aux étages inférieurs. Elle se compose d’une succession de triangles formés par l’assemblage de deux chevrons et d’un entrait (fig. 14). C’est ce qu’on appelle une charpente à chevrons formant-fermes. En Alsace, à partir de 1335, apparaît dans la charpente une structure complémentaire appelée chevalet à poteaux : « Stehender Stuhl » puis, un siècle plus tard, le chevalet à jambe-de-force dénommé « Liegender Stuhl ». Ces structures sont toutes les deux destinées à soutenir les poutres longitudinales de renfort sur lesquelles s’appuient les faux entraits. Elles contribuent aussi à assurer une meilleure stabilité longitudinale à la charpente. Il est important de rappeler ici l’originalité de la charpente rhénane qui réside dans le fait que malgré l’apparition du chevalet, chaque paire de chevrons continue à s’appuyer sur un entrait. De ce fait, la poutre longitudinale de renfort faisant office de panne sert, en priorité, à soulager les efforts exercés sur le chevron et le faux entrait. Les contreventements longitudinaux sont assurés entre les fermes maîtresses par différentes combinaisons entre aisseliers, goussets et décharges. Dans ces maisons à étages dissociés, la charpente est donc autonome.
Les structures mixtes (fig. 15)
31Cette famille intermédiaire est une combinaison entre la logique statique des poteaux de fond et celle des étages superposés. Seuls les pignons comportent des poteaux de fond. Ceux-ci sont reliés entre eux par des poutres longitudinales dont l’assemblage s’effectue par tenons traversants clavetés. La charpente entre les deux pignons est à chevalets. Avant le deuxième quart du XIVe siècle, il n’existe pas de chevalet mais un certain nombre de poteaux à enfourchement sous les poutres longitudinales dont le rôle est de soulager les assemblages chevrons/faux entraits. Dans certains cas, les poteaux reposent directement sur le plancher des combles alors que dans d’autres, ils prennent appui sur une sablière posée sur le plancher.
32Ces structures mixtes associent les pignons des structures à poteaux de fond avec le système à chevalet des structures à étages superposés.
33La fonction statique de la structure est assurée à la fois par l’utilisation, en pignons, de poteaux de fond et entre les dits pignons, par une structure à chevalets assurant à la fois descente de charge et contreventement longitudinal.
34De cette façon, les quatre façades, c’est-à-dire les deux pignons et les deux murs gouttereaux, assurent une enveloppe stable et rigide. La mise en place d’une série de chevalets entre les deux pignons complète la structure tout en limitant les difficultés liées à la mise en œuvre de pièces de grande longueur à l’intérieur du bâtiment.
35La charpente de ces maisons présente les caractéristiques suivantes : les poutres longitudinales et latérales de renfort sont assemblées en pignon avec les poteaux de fond par un tenon traversant et un aisselier et le contreventement au niveau des chevalets est assuré par des aisseliers (croisés ou non), des goussets et/ou des décharges en fonction de l’époque et du savoir-faire du charpentier.
36Dans ce type d’édifice il n’y a pas de faîtière mais une poutre longitudinale centrale. Elle est assemblée au poteau de fond central de chaque pignon par un tenon traversant claveté, solidarisant ainsi les deux pignons. Dans ces maisons, on observe des poteaux de fond en pignons, une charpente à chevalets mais pas de panne faîtière.
ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES PANS DE BOIS
37Le pan de bois, comme la charpente, est composé d’un certain nombre de pièces aux fonctions bien spécifiques : pièces porteuses, éléments de contreventement, structures secondaires voire de remplissage. Chaque époque y apporte son lot de nouveautés sans déroger aux principes élémentaires qui régissent la statique du bâtiment.
Le pan de bois médiéval, XIIIe-XVe siècles (fig. 16)
38Le pan de bois médiéval est avant tout fonctionnel puisque chaque pièce de la structure est indispensable à la statique du bâtiment. Il est principalement dépourvu d’ornement. Les poteaux sont contreventés par des goussets et des aisseliers et un seul niveau d’entretoise divise la hauteur d’étage. Pourtant un semblant de décor voit le jour : les assemblages deviennent plus sophistiqués : à queue d’aronde, à demi-queue d’aronde, à crans et/ou à festons. Les chevilles sont traversantes et possèdent une tête proéminente en forme de globe à facettes. Les poteaux de la structure porteuse portent en haut-relief des consoles sur lesquelles s’appuient une nouvelle pièce, moulurée en cavet et doucine, doublant l’entretoise10. Après 1420 environ, les aisseliers et les goussets des poteaux se croisent et sont placés en chevrons pour former une figure en forme de K appelée « Mann » par les charpentiers. Les fenêtres des façades se multiplient et offrent de plus grandes dimensions. Au XVe siècle, un second niveau d’entretoise apparaît. Les bois longs cèdent leur place aux étages dissociés et le plancher, jusqu’alors apparent en façade, disparaît. Cette lente gestation va de pair avec les modifications structurelles au niveau de la charpente qui aura atteint un niveau technique suffisant pour traverser les siècles.
Le pan de bois de la Renaissance, XVIe-XVIIe siècles (fig. 16)
39Tout en respectant les principes structurels précités, les artisans de la Renaissance vont apporter leur propre contribution plus liée à la recherche de confort et à la valorisation esthétique du pan de bois qu’au renforcement structurel du bâtiment. Les pièces de bois des structures secondaires de la façade se multiplient. Les moulurations, les chambranles saillants, les poteaux corniers sculptés en haut-relief contrastent fortement avec les façades du siècle précédant. Les enduits des hourdis sont souvent peints ou simplement soulignés d’un ou plusieurs liserés colorés. En outre, les poutres sont également peintes. Les goussets s’allongent jusqu’à la sous-face du deuxième niveau d’entretoise. L’aisselier se réduit à une pièce pleine, de forme triangulaire occupant la hauteur comprise entre le deuxième niveau d’entretoise et la sablière haute du pan de bois. Les allèges de fenêtres rivalisent d’ingéniosité mariant croix de Saint-André et losanges, chaises curules et potelets sculptés, résilles ou superposition de deux madriers sculptés en relief. Malgré cette profusion de décors, la répartition interne des espaces de vie est encore lisible depuis la rue. Les maisons les plus cossues peuvent arborer en façade une petite pièce en surplomb tels une logette ou un oriel. La grande résille, motif ornemental, comprise entre la sablière haute et la sablière basse d’un pan de bois, se retrouve parfois en charpente comme élément de contreventement entre deux fermes maîtresses. Les chevilles ne sont plus apparentes afin de ne pas nuire au décor.
Le pan de bois du XVIIIe siècles (fig. 16)
40Bien que nouvellement annexée par la France, l’Alsace appartient toujours au foyer des constructeurs du monde germanique. Ses bâtisseurs11 viennent d’Allemagne et de Suisse, de même que les nouveaux habitants appelés pour repeupler le pays. Cette situation évoluera au bout de trente ou quarante années, puisque les initiateurs d’un nouveau style viennent dorénavant de France et sont porteurs de l’esprit de reconquête de la Contre-Réforme qui oriente le mouvement de reconstruction, suite aux destructions des guerres, vers une conception nouvelle du tissu bâti. Après la construction des places fortes sur le Rhin, celle des églises, des maisons curiales et des édifices publics se fait dans de nouvelles conditions contrastant avec celles du monde germanique. Il ne s’agit pas uniquement de construire des bâtiments publics ou privés, mais d’affirmer par l’architecture la fonction de ses occupants. Cette mode royale est alors suivie par tous les agents du roi. Le bâti officiel, portant la marque du pouvoir et qualifié de « bâti de maître », se distingue alors clairement du « bâti commun ».
41Les édifices sont construits en moellons munis de chaînages d’angles et de bandeaux en pierres, et sont couverts par un toit à quatre pans, avec ou sans brisis. Les fenêtres s’agrandissent et sont organisées régulièrement en travées. Contrairement aux époques précédentes, la distribution intérieure du bâtiment n’est plus lisible depuis la rue. Cependant, le type d’édifice décrit ci-dessus est également construit en pans de bois comme en témoignent les nombreuses12 représentations iconographiques de l’époque, mais son aspect final doit simuler celui d’un bâtiment en pierre, c’est-à-dire enduit avec de faux chaînages d’angle et de faux bandeaux. De même, l’encadrement des fenêtres et des portes cherche à imiter la pierre par l’apport de menuiseries saillantes clouées sur les pièces de bois. Le pan de bois, prévu pour être masqué par un enduit, présente une structure simplifiée sous la forme d’une alternance de deux modules de même taille. Le premier se compose de deux poteaux, deux niveaux d’entretoises13 et d’une décharge entre la sablière basse et la sablière haute du pan de bois. Le second se compose de deux poteaux, d’un linteau, d’un appui de fenêtre mouluré dans la masse et, en allège, un potelet ou deux décharges en chevron. Ce type de bâtiment est souvent couvert par une charpente à jambes de force dont le dernier niveau de comble est doté d’arbalétriers avec une panne faîtière. Le contreventement longitudinal est assuré par des décharges situées entre la sablière de jambes de force et la panne intermédiaire
LA « STUBE » LAMBRISSÉE, LE CŒUR DE LA MAISON
42La « Stube », qui est une caractéristique de l’architecture civile du Rhin supérieur est la pièce d’habitation principale de la maison. Elle est chauffée par un poêle alimenté depuis la cuisine. Dans les structures à pans de bois, seul le mur mitoyen (« Firewand ») entre la cuisine et la « Stube » est maçonné, autorisant d’un côté l’installation d’un foyer surélevé pour cuire les aliments et recevant de l’autre le poêle maçonné, considéré comme un bien immeuble dans les textes (fig. 17 et 18).
43L’implantation de la « Stube » conditionne le plan général de la maison. Dans le monde rural, le plan de la maison n’est pas astreint aux contraintes de parcellaire comme en ville. Il s’organise généralement en trois travées. La première sur la rue avec la « Stube » et l’alcôve (c’est de la fenêtre de la « Stube » qu’on surveille la rue), la travée centrale avec la cuisine, le four à pain et l’escalier menant à l’étage, et la dernière qui abrite généralement le logement des parents âgés et le cellier.
44En ville, l’habitat et les dépendances sont conditionnés en priorité par le parcellaire en lanière. La « Stube » occupe, en règle générale, la totalité du volume de la pièce donnant sur rue et l’emplacement du mur coupe-feu détermine la distribution de tous les autres volumes. L’iconographie médiévale nous apprend que l’utilisation de tentures était courante pour se protéger du froid hivernal rayonnant des murs maçonnés, pour cloisonner une pièce ou encore devant les baies pour obscurcir la pièce.
Répartition géographique et évolution de la « Stube » médiévale lambrissée
45L’Alsace constitue la limite ouest de la répartition du chauffage par poêle. On rencontre des « Stube » chauffées dans toute l’Alsace. De nombreuses « Stube » médiévales conservées ont été recensées et les plus anciennes connues à ce jour sont datées par dendrochronologie de 1377 à Dambach (fig. 19) et de 1442 à Kaysersberg (fig. 23). Véritable cœur de la maison, indissociable de la cuisine, la « Stube » est aussi un lieu de vie et d’accueil. Faisant fonction de pièce d’apparat, elle est souvent décorée de lambris ouvragés de décors lancéolés pour les plus anciennes, ou alors moulurées. Les plafonds peints y sont attestés dès le début du XIVe siècle.
46Dans le monde rural la « Stube » perdurera jusqu’au XIXe siècle alors qu’en ville l’usage du fourneau d’appoint en fonte va, dès le XVIIIe siècle, révolutionner l’usage de certaines pièces et leur affectation. L’évolution stylistique de cette riche décoration traduit l’importance des courants véhiculés le long de l’axe rhénan. En Alsace centrale, quinze ensembles lambrissés ont été étudiés. On peut les ranger en deux catégories principales selon leur mode de construction, mais l’on rencontre aussi des constructions mixtes.
47La première famille rassemble des aménagements conçus et réalisés par le charpentier et intégrés au pan de bois au moment de l’édification de la maison. Aucun élément de la « Stube » n’est démontable sans nuire à la statique du bâtiment. C’est le cas à Ribeauvillé pour un ensemble daté par dendrochronologie de 1387 et à Wissembourg de 1528. La seconde catégorie est constituée de lambris rapportés, installés après la construction de la maison, et qui ne jouent aucun rôle dans la statique du bâtiment. Elles sont l’œuvre d’artisans spécialisés, sculpteurs, menuisiers, etc., et sont mises en place après l’achèvement de la structure en pan de bois ou maçonnée. C’est le cas de deux structures de Dambach : l’une datée de 1377, l’autre de 1435 ; et de celle de Ribeauvillé construite en 1466. Le plafond de la « Stube » de Ribeauvillé est situé en dessous des solives de plancher et chaque planche d’entrevous est recouverte de mortier de chaux formant une isolation. Le lambris mural est fixé aux parois par clouage dans deux niveaux de tasseaux engagés à fleur de la maçonnerie. Il existe aussi des structures mixtes, en partie constituées d’éléments rapportés et en partie d’éléments intégrés à la structure. Les éléments de la structure qui sont porteurs sont essentiellement des cloisons en poteaux/planches verticales ou cloisons voiles. Les cloisons dites poteaux/planches sont constituées par une sablière basse et une sablière haute dans laquelle on glisse alternativement un poteau chanfreiné, rainuré sur deux faces, et une planche et ainsi de suite sur toute la longueur. La cloison voile est composée uniquement de madriers verticaux, assemblés à rainures et languettes avec couvre-joints sur les deux faces. La stabilité de la cloison est assurée alors par une sablière haute et une sablière basse qui possèdent chacune une rainure dans laquelle sont glissés les madriers, comme c’est le cas pour la « Stube » de Colmar de 1393.
48Le plafond est toujours composé de planches clouées en sous-face des solives avec couvre-joints et planches de rives moulurées et sculptées. Les détails de mise en œuvre observés sur le terrain révèlent la présence sur le chantier d’hommes de l’art tels les sculpteurs et les menuisiers, et ceci à une date précédant la séparation des charpentiers et des menuisiers en deux corporations distinctes. Ces différents principes constructifs cohabitent depuis la fin du XIVe siècle.
49Pour présenter les grandes caractéristiques et les ensembles les plus cohérents représentatifs de cette architecture civile en pan de bois, trois bourgs fortifiés du centre de l’Alsace ont été choisis. À Dambach-la-Ville, Ribeauvillé et Kaysersberg, la conservation des fortifications, d’une partie du parcellaire médiéval et du réseau des rues permet de se faire une idée de l’atmosphère et de la physionomie d’une petite ville de la fin du Moyen Âge.
KAYSERSBERG
50Kaysersberg a la chance de conserver un nombre intéressant de maisons qui datent pour l’essentiel du milieu et de la deuxième moitié du XVe siècle. À ce jour, on recense dix-huit bâtiments domestiques dont les façades peuvent être observées depuis l’espace public. Six d’entre eux sont suffisamment bien conservés pour que leur structure soit immédiatement lisible. Douze autres présentent des éléments représentatifs de l’architecture du XVe siècle.
4 rue de l’Église (fig. 20)
51Ce bâtiment exceptionnel et très bien entretenu est une des plus anciennes structures en pan de bois de Kaysersberg. Son rez-de-chaussée est en partie maçonné et en partie en pans de bois. Le premier étage conserve sa disposition d’origine avec une « Stube » lambrissée de toute beauté. Le mur gouttereau sur rue est en encorbellement d’environ 30 cm. On observe l’entretoise moulurée faisant office d’appui de fenêtres. Elle est clouée aux différents poteaux de la structure par une cheville en bois décorative à tête saillante et repose sur une série de consoles taillées dans la masse des poteaux. Seuls le mur gouttereau arrière et le pignon présentent encore des ouvertures d’origines. Le poteau de fond qui traverse tous les niveaux de combles porte la panne faîtière sur laquelle sont posés les chevrons.
7 rue de l’Ancien Hôpital, 1458 (fig. 21)
52L’étage carré et les deux niveaux de combles en pans de bois sont posés sur un rez-de-chaussée surélevé. Le bâtiment est en encorbellement sur trois côtés. La structure se compose de poteaux corniers et de poteaux intermédiaires dont le contreventement est fait de petits aisseliers et de petits goussets en chevron. Dans le pignon, la fenêtre murée à deux vantaux est enserrée entre les deux niveaux d’entretoises qui limitent sa hauteur. La charpente est à chevalet sur poteaux. La salle lambrissée du rez-de-chaussée, en partie restaurée, est très belle et le plafond rapporté repose en partie sur un culot de grès.
18 rue Basse du Rempart (fig. 22)
53La structure en pan de bois de ce bâtiment trapu est posée sur un rez-de-chaussée massif et s’appuie contre un pignon maçonné non moins impressionnant. Alors que le bâtiment 4 rue de l’Église présente un pignon droit, celui-ci est en léger encorbellement. Il s’appuie sur les abouts des poutres longitudinales renforcées par des consoles rapportées en façade. L’écartement irrégulier des poteaux de l’étage carré tient compte de la distribution intérieure de l’édifice et notamment de l’implantation de la « Stube » avec ses fenêtres à plusieurs vantaux (fig. 23). Le contreventement est constitué de petits goussets et de petits aisseliers assemblés en chevron et à mi-bois. La présence de deux niveaux d’entretoises encadrant les fenêtres nous donne à penser que le pan de bois serait du XVe siècle, à l’image de celui de la maison Adolphe de 1441 à Colmar.
RIBEAUVILLE
54La majorité des maisons médiévales conservées datent de la seconde moitié du XVe siècle, mais tous les grands types de structures décrits plus haut sont représentés. Ribeauvillé possède trois bâtiments exceptionnels de 1336d, 1387d et 1392d de type à poteaux de fond.
34 rue de la Fraternité, 1336d (fig. 24 et 25)
55Le bâtiment daté de 1336d, situé entre la rue de la Fraternité et la ruelle du Plohn, est un des plus anciens pans de bois connus à ce jour dans le vignoble. La façade en encorbellement, modifiée successivement aux XIIIe et XVIIIe siècles, est posée sur le plancher médiéval apparent. Seule la façade arrière est intégralement conservée. Il faut noter la taille et le nombre de pièces de bois qui composent cette structure ainsi que les pièces obliques du contreventement à 45°. Tous les assemblages sont à mi-bois. Le pignon, dont toutes les poutres ont été recouvertes de planches, cache en partie ce très bel exemple de structure à poteaux de fond sur rez-de-chaussée maçonné, dont la subtilité constructive est apparue à l’analyse des intérieurs de la maison.
47 rue des Juifs, 1387d (fig. 26)
56Ce bâtiment construit en 1387d a fait l’objet de nombreuses consolidations mais présente encore suffisamment d’éléments exceptionnels en pignon et au niveau de la charpente pour que l’on s’y arrête.
57Les solives de plancher, appuyées sur un rez-de-chaussée maçonné, sont posées perpendiculairement au pignon ce qui témoigne d’un mode de construction ancien. Le plancher est apparent et la poutre sablière du pan de bois de l’étage noble conserve tous les assemblages à mi-bois de la structure médiévale d’origine. Le poteau cornier de droite a disparu lors de l’édification du mur gouttereau en moellons alors que celui de gauche a été maintenu derrière le nouveau pan de bois latéral. Les pièces obliques sont à 45° et assemblées à mi-bois. Ce bâtiment présente les mêmes caractéristiques que le no 34 de la rue de la Fraternité. La charpente et le pignon arrière, non visibles depuis la rue, sont intégralement conservés. L’ancienne « Stube » se situe dans l’angle formé par les deux rues.
1 rue des Juifs, 1475d (fig. 27)
58Situé dans l’angle formé par la rue des Juifs et la Grand-Rue, cet édifice de 1475d est un remarquable exemple du degré de perfection atteint par les maîtres charpentiers à la fin du Moyen Âge. Si l’on fait abstraction de la surélévation du toit côté Grand-Rue et des grandes fenêtres modernes, la structure en pan de bois est d’origine et intégralement conservée.
59On peut observer les différents assemblages mis en œuvre (à mi-bois et tenons et mortaises), les pièces obliques du contreventement qui se croisent pour former un K, figure caractéristique du XVe siècle finissant et le plancher qui n’est plus apparent en façade. C’est cette évolution technique qui fait que désormais les solives de plancher seront assemblées aux poutres basses des pans de bois.
60Le pignon est à encorbellement et sa charpente à chevalet sur jambe de force. Depuis la» Stube » au premier étage, positionnée dans l’angle des deux rues, on peut observer ce qui s’y passe.
4 rue de la Fraternité, XVe siècle (fig. 28)
61Ce bâtiment, situé à l’angle de deux rues, possède un pignon plus large que le mur gouttereau. Le pan de bois médiéval, intégralement conservé, repose comme il est d’usage dans le vignoble sur un rez-de-chaussée maçonné qui servait d’ouvroir. L’étage d’habitation ou étage noble présente des assemblages à mi-bois et d’autres à tenons et mortaises ainsi que les contreventements croisés en forme de K. On notera la présence de chevilles à grosses têtes si distinctives de cette époque.
62Au XVIIIe siècle, cédant à la mode « du tout crépis », le pan de bois a été recouvert d’un mortier de chaux et les angles de la maison peints à la manière d’un chaînage d’angle. Les clous, au niveau du comble, sont de cette époque et servaient à maintenir le crépi. Ils ont été conservés en les enfonçant dans leur support.
17 rue de la Fontaine, 1472d (fig. 29)
63Le bâtiment date de 1472d et présente toutes les caractéristiques des structures de cette fin de siècle. Le pignon est en encorbellement mais le plancher est encore apparent en façade. Les contreventements sont assemblés à mi-bois. La structure montre une densité de bois exceptionnelle.
DAMBACH-LA-VILLE
64Dambach-la-Ville, bourg fortifié du piémont, résulte du regroupement, au début du XIVe siècle, autour d’un noyau primitif du XIIe siècle, de plusieurs villages voisins. L’agglomération, dominée par le château du Bernstein, est un remarquable conservatoire de l’évolution de l’architecture en pan de bois du vignoble, toutes périodes confondues. Les bâtiments médiévaux sont exceptionnels et certains possèdent encore leur « Stube » lambrissée. Dambach conserve intra-muros un exemple vraisemblablement unique en Alsace d’une construction à poteaux de fond de 1436, accolée à une structure à étages superposés de 1439, ce qui prouve l’utilisation au XVe siècle encore, des deux techniques de construction décrites plus haut. Dix-neuf bâtiments domestiques antérieurs à 1500 y sont actuellement recensés.
13 place du Marché. Auberge de la Couronne, 1439 (fig. 30)
65L’Auberge de la Couronne est un imposant bâtiment en pan de bois de 1439 qui se compose d’un rez-de-chaussée maçonné, de deux étages carrés en pan de bois et d’une charpente à trois niveaux de combles. Les différents étages sont posés l’un sur l’autre et le pignon sur rue possédait, à l’origine, une ferme débordante. Au premier étage, dans l’angle sur rue, on distingue encore la succession, autrefois ininterrompue, de fenêtres accolées qui éclairaient la « Stube ». Elles sont maintenant en partie murées ou ont été repercées ultérieurement.
66Une lecture attentive de la structure permet de comprendre l’agencement du pan de bois médiéval du premier étage dont la salle de réunion ou « Stube » occupe encore aujourd’hui l’essentiel de l’espace. Elle a gardé son lambris d’origine.
67Au deuxième étage, l’ordonnancement des contreventements rythme la façade et conditionne l’emplacement et la taille des ouvertures. On notera les différents assemblages à mi-bois, plus ou moins ouvragés entre les différents éléments du contreventement. La charpente est à chevalets sur jambe-de-force.
13 place du Marché. Bâtiment arrière, 1436 (fig. 31)
68Accolé à l’arrière, le bâtiment daté de 1436 présente une structure d’un autre type.
69Son principe constructif repose sur l’usage de poteaux de fond traversant plusieurs niveaux, qui soutiennent les différentes pannes et servent de supports aux chevrons. Ce bâtiment arrière se compose d’un rez-de-chaussée maçonné, d’un premier étage en pans de bois sur lequel s’appuie une structure à bois longs composée d’un étage carré et de deux niveaux de combles.
70Les cinq poteaux du pignon prennent appui sur la sablière de chambrée du deuxième étage. Le poteau central était à l’origine d’un seul tenant jusqu’à l’assemblage sommital, avant la modification partielle du toit par l’adjonction d’une demi-croupe. Il n’y a pas de panne faîtière. Seuls les poteaux intermédiaires, qui se prolongent jusque sous le toit, portent des pannes. Les différents assemblages sont de belle qualité.
Angle de la rue des Tonneliers et de la rue des Potiers (fig. 32)
71Le bâtiment à l’angle de la rue des Potiers et de la rue des Tonneliers est un bâtiment à pans de bois dont le rez-de-chaussée a été dépareillé par de nombreuses reprises en sous-œuvre.
72À l’opposé, l’étage carré en léger encorbellement et le pignon sont intégralement préservés. Malgré les percements de grandes fenêtres au XVIIIe siècle, la structure présente un certain nombre d’ouvertures médiévales. Leur originalité réside dans le fait qu’elles ont été mises en place après le montage définitif de la structure, comme l’atteste l’assemblage des montants.
73On notera le contreventement à simple gousset particulier à ce bâtiment. Le type de charpente se devine dans le pignon car la ferme maîtresse, composée d’un chevalet à poteaux et de décharges en guise de contreventement, est intégrée dans la façade du pignon.
53 et 55 rue du Maréchal Foch, XVe siècle (fig. 33)
74Ce bâtiment à pans de bois est un des plus grands de Dambach. Il se compose d’un rez-de-chaussée maçonné, de deux étages superposés et d’un immense toit à trois niveaux de combles. Le deuxième étage est en encorbellement sur trois côtés. Du côté de la rue et du pignon nord-ouest, la sablière haute du pan de bois du premier étage est en deux éléments. La partie moulurée sous l’encorbellement, clouée sur la sablière est un élément décoratif. Le plancher est apparent à chaque étage. Le contreventement sur rue se compose essentiellement de goussets et d’aisseliers croisés, alors que celui sur la cour possède en plus une série de grands goussets sans aisseliers, ce qui est un critère de modernité. Les assemblages sont à mi-bois pour les aisseliers alors que les goussets sont à tenons et mortaises. Il y a un seul niveau d’entretoises. Ce magnifique bâtiment, dans un état de conservation remarquable, a pour originalité le nombre impressionnant de fenêtres d’origine. Au premier étage, dans l’angle, se trouvait la « Stube » dont la fenêtre, à chambranle saillant et à plusieurs vantaux, est encore identifiable. Au milieu des deux murs gouttereaux au deuxième étage, le poteau intermédiaire central présente trois mortaises dont la fonction exacte nous échappe. Il pourrait s’agir d’un élément décoratif symbolisant peut-être une échauguette.
75Le bâtiment en appentis, encore recouvert de tuiles canal au début de ce siècle, est une structure à bois longs vraisemblablement antérieure au bâtiment à deux étages. Sa préexistence a sans doute empêché la mise en place de l’encorbellement sur le quatrième côté.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Boehler 1994
Boehler Jean-Michel – La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1994.
Abel 1994
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Lévy-Coblentz Françoise – L’Art du meuble en Alsace : 1480-1698, t. 1, Du gothique au baroque, Éditions des Dernières nouvelles d’Alsace, Strasbourg, 1975.
Seiller, Boura 2008
Seiller Maurice, Boura Frédérique – « Construire et habiter en 1400, parcours en Alsace centrale », dans 1400, l’Alsace dans l’Europe gothique, Service de l’Inventaire du patrimoine, région Alsace, Éditions Lieux Dits, Lyon, p. 114-143.
Notes de bas de page
1 Certaines parties de cette contribution sont tirées de l’article : Seiller, Boura 2008.
2 La charpente alsacienne et rhénane se compose d’une succession de jambes de force, à la place des arbalétriers dans les charpentes françaises.
3 Ce mouvement de construction se développe surtout entre 1680 et 1690, suivi de 1690 à 1710 par une reconstruction des installations provisoires de la période précédente. Par-delà ces preuves tangibles, la reconstruction, au sens large du terme, apparaît comme une opération planifiée, engagée sur l’initiative des gouvernants et des possédants (Boehler 1994).
4 Les pignons à redents et/ou à créneaux, signes ostentatoires nobiliaires, étaient aussi censés contenir les poussées longitudinales, ce qui d’ailleurs se vérifie dans la durée.
5 Strasbourg : 33 rue des Hallebardes, pharmacie du cerf.
6 Ces poteaux sont posés soit directement sur le plancher soit sur un madrier longitudinal de 8 cm de haut, et indifféremment au-dessus ou non d’un entrait.
7 L’entrait travaille en traction alors que les faux-entraits travaillent en compression.
8 Strasbourg 1348d, Wissembourg 1420d, Walbourg 1454d.
9 L’étude de ce bâtiment a été réalisée par Maxime Werlé, archéologue au Pôle Archéologique Interdépartemental Rhénan.
10 Kaysersberg 1444d.
11 Par exemple, en Alsace française, l’architecte Peter Thumb du Vorarlberg construit Ebersmunster en 1713.
12 Il s’agit surtout de maisons curiales (Abel 1994).
13 Seul le deuxième niveau d’entretoise est chevillé aux poteaux.
Auteurs
Conservatrice régionale du service de l’Inventaire général du patrimoine culturel – Région Alsace
Chercheur associé au service de l’Inventaire général du patrimoine culturel – Région Alsave/UMR 7044, Université de Strasbourg
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