Pan de bois et identité culturelle. Le cas du bassin de la Meuse moyenne
p. 17-30
Texte intégral
1Depuis longtemps déjà, on a tenté de mettre en relation architecture et géographie dans le but de dégager des caractères culturels spécifiques à une région. Les regards des géographes, folkloristes, ethnologues, architectes et historiens de l’art ont chacun apporté une contribution intéressante à cette réflexion, qui pourrait aujourd’hui être utilement nourrie de l’approche particulière des archéologues. Celle-ci met en effet en évidence des caractères et une évolution en partie différents, qui, confrontés aux données géographiques, pourraient jeter une lumière nouvelle sur la question de l’identité culturelle.
2La construction en pan de bois, en particulier urbaine, se prête spécialement bien à cet exercice. En résumant, on peut affirmer que, durant la longue période qui s’étend des origines à la fin du Moyen Âge, les techniques de la construction en bois n’évoluent que très lentement et que les caractères locaux sont peu marqués dans les régions qui nous intéressent aujourd’hui. L’apparition du pan de bois, avec l’utilisation de sablières, du solin puis de l’encorbellement sont les innovations principales sur près de deux millénaires, tandis que les constructions à « portiques » et à « poteaux montant-de-fond » sont les deux traditions que l’on peut clairement distinguer suivant des critères géographiques.
3Au XVe siècle, voire plus tôt dans certaines régions, l’architecture urbaine en pan de bois connaît une profonde mutation. Les formes se diversifient et se complexifient, l’évolution s’accélère, les particularités nationales ou régionales s’affirment, tandis que dans les campagnes, la maison paysanne perpétue les anciennes traditions, en introduisant çà et là quelques innovations venues de la ville. Dans tous les cas, la construction en pan de bois reste très largement imperméable aux styles internationaux, laissant entendre qu’elle serait le reflet privilégié des pratiques et des manières de vivre d’un lieu, d’une ville, d’une région ou d’une nation.
4La Belgique, et plus particulièrement le bassin de la Meuse moyenne, constitue une région intéressante pour vérifier cette hypothèse. Historiquement, elle correspond à un ensemble de petits territoires que l’on regroupe habituellement sous l’étiquette « Pays-Bas méridionaux », auxquels il convient d’ajouter la principauté de Liège, officiellement indépendante (fig. 1). Du fait de leur situation, ces territoires ont été longtemps âprement convoités par les grandes nations voisines. Leur histoire est donc le fruit d’un équilibre instable entre l’aspiration à une autonomie relative, en particulier dans les villes, et l’assujettissement à un pouvoir central éloigné, changeant, dont les décisions furent sans cesse remises en question. À ce contexte s’ajoutent des relations commerciales importantes, vitales pour les grandes villes, qui ont influencé leur histoire.
5L’architecture urbaine en pan de bois nous paraît refléter ces différentes dimensions : politique, commerciale et culturelle, nationale et régionale voire locale. L’aborder par le biais des caractéristiques techniques, comme l’ont montré des recherches récentes menées sur le pan de bois mosan, permet de distinguer la part de leur influence respective. Notre propos est de les souligner, et d’ainsi mettre en évidence des groupes culturels dans leur contexte historique, particulièrement complexe.
LE NORD ET LE SUD DE LA BELGIQUE, DEUX TRADITIONS DISTINCTES ?
6Un classement de l’architecture urbaine en pan de bois sur base des caractéristiques techniques principales suffit à distinguer deux grandes familles dans les territoires correspondant aujourd’hui à la Belgique. La première, au nord1, regroupe le duché de Brabant, les comtés de Flandre, de Hainaut et d’Artois ainsi que le Cambrésis. La seconde, au sud, comprend les principautés de Liège et de Stavelot-Malmédy, le comté de Namur et les duchés de Limbourg et de Luxembourg.
7Le constat est à priori simple : au nord domine la maison sur pignon dont les ossatures, souvent limitées à la façade à rue, sont recouvertes d’un bardage (fig. 2). Au sud règne la maison-cage, entièrement bâtie en pan de bois apparent et dont la toiture est parallèle à la voirie (fig. 3). Une lecture plus attentive conduit cependant à nuancer ce premier constat, en dépit de la différence de nature et de quantité des sources à notre disposition dans ces deux régions. En effet, au nord, les vestiges ont pratiquement disparu mais l’iconographie est abondante et ancienne, en raison de l’importance politique, économique et financière des villes au cours des siècles passés. Au sud, au contraire, le patrimoine est encore riche mais l’iconographie est récente et limitée principalement à Liège, les autres villes n’ayant pas connu d’ampleur politique comparable aux villes du nord. Enfin, l’architecture en pan de bois septentrionale n’estre présentée que pour le XVe et le XVIe siècle, époque à laquelle la construction en brique la supplante progressivement, alors qu’au sud elle perdure jusque tard dans le XVIIe siècle, voire jusqu’au siècle suivant dans les territoires proches de l’Allemagne.
8Malgré ces difficultés, des pratiques communes apparaissent clairement : on trouve aussi des toitures parallèles à la rue dans les villes du nord, bien que moins fréquentes et souvent plus modestes (fig. 4), et les toitures sur pignon sont connues des territoires méridionaux, jusqu’au milieu du XVIe siècle (fig. 5). Dans ces exemples, qui ont aujourd’hui pratiquement disparu, le pignon était décoré de planches dont la forme et l’agencement sont une synthèse des pratiques septentrionales2. Dans ce système, que nous qualifions arbitrairement de planches de rive en surplomb, deux planches d’inspiration gothique ou renaissante étaient assemblées d’un côté à un poinçon débordant et de l’autre à deux blochets, qui reposaient à leur tour sur des aisseliers ou des consoles.
9Des variantes sont également perceptibles au sein du groupe septentrional, notamment dans les ossatures, les assemblages, les essentages ou encore la conception des pignons. Dans l’un ou l’autre cas, une pratique spécifique à une région plus circonscrite est même avérée, comme la disposition des planches des essentages, qui diffère dans le comté de Flandre, dans le duché de Brabant et dans le comté de Hainaut (fig. 6). Les limites d’une approche fondée sur l’iconographie et des vestiges trop peu nombreux sont cependant manifestes. Il est en effet impossible d’une part, d’assurer que le corpus est significatif, et d’autre part, de dégager des caractéristiques précises et donc d’autres particularités sous-régionales. Une limite ne peut donc être franchie faute de « matériel » représentatif, mais même dans ce cas des résultats intéressants peuvent apparaître, pour autant que ce matériel soit étudié dans sa logique constructive, comme le permet l’approche archéologique du bâti.
10Un exemple subtil nous en est donné par le cas de la Halle aux blés de Durbuy, bâtiment emblématique largement transformé depuis sa construction dans la première moitié du XVIe siècle3. L’aspect-original de la ferme débordante ornant l’imposant pignon, qui se réduit aujourd’hui aux éléments assemblés aux versants, a pu être reconstitué grâce à une étude archéologique approfondie4 (fig. 7). D’après celle-ci, la conception de cette ferme, et pas seulement son décor, s’inspirait clairement de modèles flamands et brabançons, alors que le reste du bâtiment était entièrement conçu dans l’esprit de la tradition liégeoise. Bien que surprenante, cette dualité est attestée dans plusieurs bâtiments liégeois aujourd’hui disparus, pouvant dater de la fin du XVe siècle ou au début du siècle suivant. Sans doute faut-il y voir le reflet des relations économiques et artistiques, intenses à cette époque, entre la principauté de Liège et les territoires du nord.
11L’étude archéologique se révèle ici efficace pour appréhender objectivement un patrimoine fortement remanié, voire pour souligner la prégnance des méthodes d’investigation du passé et des concepts qui en sont issus. En effet, dans le cas de Durbuy, le projet de restauration de la ferme débordante n’a pas tenu compte des conclusions de l’étude archéologique, préférant une évocation contemporaine sans rapport avec les vestiges conservés mais sans doute plus conforme à l’image habituelle de ce type de bâtiment (fig. 8).
LA PRINCIPAUTÉ DE LIÈGE ET LE BASSIN DE LA MEUSE MOYENNE, DEUX RÉALITÉS GÉOGRAPHIQUES ET CONSTRUCTIVES IMBRIQUÉES
12Au sud subsiste un patrimoine de plusieurs centaines d’exemples ruraux et urbains, qui autorise une étude archéologique approfondie. Les recherches menées dans le cadre de notre doctorat5 ont permis de l’aborder sous un angle inédit : la typologie des ossatures, qui permet de définir des familles sur base de ressemblances formelles, la dendrochronologie, qui situe précisément dans le temps les types ainsi définis, et l’archéologie du bâti pour appréhender ne fût-ce que succinctement les multiples transformations des bâtiments. L’approche archéologique a permis de mettre en évidence des évolutions assez subtiles de la fin du XVe au XVIIe siècle, qui reflètent l’évolution des manières d’habiter. L’augmentation progressive de la surface des jours dans les façades offre ainsi des espaces de vie plus lumineux, l’augmentation de la hauteur du niveau des combles en fait un étage habitable et confortable, et l’évolution des proportions des différents niveaux témoigne de changements dans les fonctions, parmi d’autres exemples.
13De la masse des informations recueillies, augmentée des documents iconographiques et d’autres études plus récentes, ont émergé des données inédites sur les techniques employées et sur leurs éventuelles spécificités géographiques. Sur ce point, les découvertes sont particulièrement intéressantes puisqu’elles mettent en évidence deux logiques constructives différentes dans un même bâtiment. Si l’on s’en tient aux façades, un premier ensemble technologiquement cohérent se dégage, qui correspond approximativement au territoire de l’ancienne principauté de Liège (fig. 1). À Liège, Maastricht, Verviers, Hasselt ou Dinant, ce sont les mêmes façades que l’on retrouve, aisément identifiables à leur aspect-général, dans lesquelles les décharges en croix de Saint-André jouent un rôle prépondérant (fig. 9, 10). Ces ossatures se distinguent clairement de celles des territoires voisins et forment donc une famille en soi. Ce type d’ossature correspond au territoire de la principauté, qui formait une enclave dans les Pays-Bas méridionaux, à la fois indépendante et assujettie au Saint Empire romain germanique jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.
14Par contre, si l’on envisage le bâtiment dans sa totalité, des différences locales apparaissent dans la structure principale des pans de bois, c’est-à-dire dans leur conception. Ces différences définissent deux sous-ensembles, qui correspondent respectivement au nord et au sud de la principauté de Liège. Au sud, le bassin de la Meuse moyenne forme un premier ensemble cohérent où la manière liégeoise domine. Elle se caractérise par l’organisation des structures mises en œuvre (trame, emplacements des décharges et des guettes), l’usage exclusif de l’assemblage à tenon et mortaise, l’emplacement et la manière de la décoration, et enfin l’encorbellement unique, limité au premier étage de la façade à rue (fig. 11).
15Dans le nord de la principauté, par contre, on observe l’utilisation d’encorbellements superposés, de structures organisées différemment, et le recours à des assemblages à mi-bois ou particuliers (fig. 12). C’est le cas notamment d’une variante de l’assemblage à tenon et mortaise, dans lequel une grosse cheville oblique unit les deux pièces (fig. 13). Ces particularités se retrouvent dans les constructions rurales de la même région, ce qui confirme l’hypothèse que ces techniques sont représentatives d’un territoire distinct. Historiquement, il s’agit de la partie thioise de la principauté de Liège, en particulier le comté de Looz, un petit territoire qui fut assujetti au XIVe siècle mais qui conserva une relative autonomie6.
16De ces observations, nous pouvons conclure que deux réalités historiques se superposent dans un même bâtiment. La plus visible, perceptible dans la conception des façades, correspond à la réalité politico-économique de la principauté de Liège. À Liège, principale ville de la région et capitale politique, l’architecture en pan de bois fut peu sensible aux styles internationaux mais développa une manière proche des exemples français qui s’est imposée à l’ensemble du territoire, donnant une impression trompeuse d’unité. L’empreinte resta en effet superficielle dans le nord de la principauté, où certaines techniques constructives, perceptibles dans la conception générale du bâtiment, relèvent d’une autre tradition. Celle-ci témoigne d’une réalité culturelle différente, assimilable à une zone géographique plus précise. Ces observations soulignent en outre la diffusion très large que pouvaient connaître certaines techniques urbaines. Les « liens de base7 », que l’on retrouve dans l’ensemble de l’Europe du nord au XVe siècle, en sont un exemple à plus grande échelle.
L’ARCHITECTURE RURALE : LE CAS DU PAYS DE HERVE
17Ces conclusions peuvent-elles être étendues à l’architecture rurale ? Une première approche de la maison paysanne en pan de bois du Pays de Herve semble l’indiquer8. De par sa situation particulière, aux confins des territoires que nous avons évoqués, des Pays-Bas et de l’Allemagne, cette petite région de l’Est de la Belgique se prête idéalement aux comparaisons (fig. 14). En outre, un patrimoine en pan de bois significatif, essentiellement rural, y est encore conservé ainsi qu’aux alentours (fig. 15, 16).
18De nos premières investigations, il ressort qu’un même bâtiment peut appartenir à plusieurs groupes couvrant un territoire plus ou moins restreint suivant les critères utilisés. Si l’on prend comme repère la structure principale des bâtiments ainsi que leur forme générale, l’architecture du Pays de Herve peut être rangée dans un groupe couvrant le nord et l’ouest de la Belgique. Elle appartient ainsi à la tradition des constructions à portiques et se distingue des constructions à poteaux montant-de-fond, qui s’imposent au sud, au-delà de la Vesdre.
19Si on choisit d’autres critères, comme l’organisation des bâtiments, les techniques de superposition des étages, l’agencement des pièces des ossatures ou certains détails architecturaux et décoratifs, une zone homogène plus précise se dessine : une grande partie du Pays de Herve et le nord de la communauté germanophone de Belgique, soit la région que l’on appelle l’« Entre-Vesdre-et-Meuse », qui correspond au sud de l’ancien duché de Limbourg. Cette région n’équivaut pas à un territoire historique mais, détail intéressant, la rupture est particulièrement sensible à la frontière néerlandaise. Au-delà apparaissent des particularités inconnues du Pays de Herve, comme les fermes « en carré », dont les bâtiments sont disposés autour d’une cour, ou l’usage de couples de guettes opposées et superposées, induites par des ossatures reposant sur une logique différente (fig. 17). Le fait que cette frontière fut mise en place lors de la scission des Pays-Bas en 1581, à l’origine du tracé du « Limbourg des États »9, semble indiquer que la dimension politique fut ici déterminante, à la différence du reste du Pays de Herve dont l’homogénéité semble davantage liée à une empreinte culturelle. L’absence de patrimoine antérieur à cette date dans la partie néerlandaise qui nous intéresse empêche cependant d’approfondir cette hypothèse.
20Enfin, pour être plus précis encore, si l’on prend en considération certains détails, comme la densité de la trame des ossatures, l’utilisation de certaines pièces (décharges, guettes) ou l’aménagement de l’espace intérieur, on peut encore distinguer deux sous-régions : d’une part le centre et l’ouest de l’ « Entre-Vesdre-et-Meuse », où l’influence liégeoise est plus marquée, et d’autre part, le nord et l’est où des ressemblances avec les territoires néerlandais et allemands sont davantage perceptibles. C’est le cas, par exemple à Gemmenich, Sippenaeken ou Tersaessen, où les ossatures recourent à de longues guettes opposées, et dans le nord de la communauté germanophone de Belgique, où l’encorbellement et les pignons à rue perdurent tardivement. Aux marges des territoires apparaissent donc des zones de transition où l’architecture, comme en un fondu enchaîné, trahit déjà l’influence du territoire voisin.
21L’influence des villes est perceptible dans certains détails (encorbellement, consoles sculptées), notamment les grandes croix de Saint-André qui apparaissent dans les bâtiments les plus anciens (fig. 18). Ces croix sont caractéristiques d’ossatures de maisons du XVe siècle à Maastricht voire du début du siècle suivant à Liège et se retrouvent dans des logis ruraux sur l’ensemble des territoires envisagés jusqu’à présent ainsi qu’en Rhénanie (fig. 19), confirmant la grande diffusion de certaines pratiques urbaines.
AU-DELÀ DES TECHNIQUES : L’HISTOIRE DES HOMMES
22Il ressort de ces observations que les techniques employées dans l’architecture en pan de bois témoignent des modes de vie d’une population dans une région donnée ainsi que de leur évolution au gré de l’histoire politique et économique dominante. En milieu urbain, un même bâtiment peut refléter l’influence dominante d’une grande ville et l’appartenance à un État mais il peut aussi témoigner d’une réalité culturelle distincte, propre à un territoire plus restreint. Par réalité culturelle, nous entendons donc en quelque sorte le terroir, mais pas seulement dans son acceptation rurale ou folklorique. Cette réalité relève plutôt de la « Heimat », ce concept allemand, intraduisible en français, qui désigne à la fois le pays natal, le village où on a grandi, la maison où on a passé son enfance ou celle où on est» chez soi ». Ce n’est pas la mère patrie, en tant que concept politique : la « Heimat » n’a ni frontières, ni uniformes, ni drapeaux. C’est» le pays » que chacun porte à l’intérieur de soi.
23Nous avançons l’hypothèse que certaines techniques spécifiques à une tradition locale mises en évidence par l’architecture en pan de bois sont de cet ordre. Mais que s’y superposent d’autres techniques qui reflètent des traditions plus vastes, régionales, nationales ou internationales. À ce niveau d’analyse, on se gardera cependant d’être trop précis car les exceptions ou les mélanges de plusieurs influences que nous avons relevées indiquent que la réalité ne se résume pas à des ensembles aux intersections plus ou moins grandes.
24Dans cette démarche, l’archéologie du bâti a incontestablement un rôle important à jouer dans les années à venir par le regard particulier qu’elle porte sur l’architecture. Depuis une vingtaine d’années, les études de charpentes de bâtiments historiques se sont multipliées en France et en Belgique10. Ces études ont apporté un regard neuf sur l’histoire de ces constructions peu valorisées, bien que relevant souvent d’une haute technicité, autant que sur celle des bâtiments qui les portent. Elles ont également souligné les lacunes des études techniques de charpentes, qui ignorent les « intuitions, concepts et gestes de l’empirisme noble qui les a portés à l’existence et dont tout traité, s’il en fut, a disparu11 ». Tenter de comprendre ces objets au travers du prisme de nos concepts et de nos gestes est illusoire : « on a ici à considérer deux réseaux logiques étrangers l’un à l’autre ». En alliant typologie, approche archéologique du bâti et analyses dendrochronologiques, les études que nous venons d’évoquer cherchent à approcher le savoir ancien des charpentiers et à comprendre la logique qui a prévalu à leurs réalisations, autant qu’elles tentent d’identifier leurs multiples transformations.
25Cette méthode a pourtant ses limites, celles de l’objectivité matérielle. Nous classifions, nommons, étiquetons, conceptualisons, mais la réalité historique est autrement plus complexe. La pensée occidentale exprime ses catégories par des typologies, pourquoi ne pas les exprimer, comme la pensée chinoise, par des généalogies ? Pourquoi ne pas tenter de concilier ces deux regards : « l’école-doctrine et l’école-mémoire, les typologies et les généalogies, les biographies et les hagiographies, la structure qui classe et le fleuve qui coule », comme le résume si bien Marc Halévy12. C’est ce que nous avons tenté de faire au fil de nos recherches : certains bâtiments n’étaient connus que par une photo, d’autres ont fait l’objet de relevés et d’observations détaillés, mais c’est l’ensemble des informations replacées dans le contexte des différents aspects de la société passée et actuelle qui a donné un sens à cette architecture et qui a permis de s’approcher au plus près de son essence.
26Le regard que nous portons sur les choses est subjectif, indissociable de notre époque et, comme nous-mêmes, évolue en permanence. Pour ces raisons et dans un esprit d’ouverture – une vérité n’est scientifique que si elle est contestable – il nous apparaît essentiel de multiplier les approches, techniques autant que conceptuelles, et les discussions avec toutes les personnes concernées. De cette approche globale peut naître une compréhension inédite des choses, au-delà du sens littéral de l’architecture. Dans cette optique, la « Bauforschung » et l’ « Archeology of Buildings13 » proposent une démarche plus globale, ouverte et fédératrice que l’actuelle « archéologie du bâti », plus élitiste, qui se présente souvent comme une approche spécialisée n’abordant qu’un aspect de la réalité architecturale et privilégiant l’enregistrement à la mise en contexte. Ceci explique sans doute que depuis longtemps déjà, l’Allemagne et l’Angleterre disposent à la fois d’études approfondies et de synthèses sur l’architecture en pan de bois, alors qu’en Belgique et en France ce patrimoine n’a suscité que peu d’intérêt jusqu’à ces dernières années.
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Notes de bas de page
1 Au sujet des villes flamandes et brabançonnes, voir : Gyselinck 2005 ; Laenen 1981 ; Grootaers 1998 ; Constandt 1981.
2 Houbrechts 2008a.
3 Mignot, Henrotay, Bossicard 1999.
4 Eeckhout, Houbrechts 2005.
5 Houbrechts 2008b; Houbrechts 2007.
6 Cette région forme aujourd’hui la province du Limbourg belge.
7 « Fussband » en allemand, terme désignant deux liens opposés contrebutant le pied d’un poteau.
8 Houbrechts 2011.
9 Ce territoire correspond approximativement à l’actuelle province du Limbourg néerlandaise.
10 Voir par exemple : Épaud 2007 ; Hoffsummer 2002 ; Hunot 2001.
11 Taupin 2008.
12 Halévy Marc, Le Taoïsme, Paris, Eyrolles, 2009.
13 À ce sujet, voir : Morris 2004.
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