Introduction
p. 11-16
Texte intégral
1 Dès le milieu du XIXe siècle, les constructions en pan de bois ont attiré l’attention des premiers « historiens de l’architecture » du Moyen Âge. Ainsi, A. Verdier et F. Cattois publièrent quelques planches représentant des maisons en pan de bois dans leur Architecture civile et domestique au Moyen Âge et à la Renaissance (fig. 1)1, tandis que cette technique de construction était abordée par E. Viollet-le-Duc dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture française2 ou encore par C. Enlart, plus tard, dans le Manuel d’archéologie française3. Les bâtiments présentés dans ces premiers travaux sont généralement de grande qualité, la plupart du temps des maisons urbaines remarquables arborant un abondant décor sculpté.
2L’ouvrage de R. Quenedey en 1926 sur les habitations de Rouen4 constitue une étape fondamentale dans l’étude du pan de bois en France, et plus généralement dans celle de l’habitat ancien. En s’appuyant sur l’analyse d’un bâti ancien alors bien conservé, des sources archivistiques et en prenant en compte l’environnement physique et humain des bâtiments, cette étude consacre une large part à la construction proprement dite et décrit dans le détail plusieurs systèmes constructifs du pan de bois. Ce travail pionnier reste isolé pendant plusieurs décennies et ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que se développent des recherches d’une nouvelle ampleur sur ce sujet. À partir des années 1960, les fouilles d’habitats villageois ainsi que le développement des recherches ethnologiques sur la maison paysanne vont contribuer à mieux connaître les bâtiments ruraux en pan de bois5. Les maisons urbaines vont également faire l’objet d’observations à partir de la fin des années 1970 grâce au développement de l’archéologie urbaine et au travers d’enquêtes menées par les chercheurs des services de l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, fondé en 1962 par A. Malraux6. À la même époque, des études s’appuyant sur des sources écrites ont contribué à éclairer certains traits de bâtiments urbains en pan de bois7 : les contrats de construction permettent par exemple d’apprécier la richesse et la diversité des termes techniques de charpenterie utilisés pour désigner les pièces de bois ; les comptabilités témoignent des travaux permanents nécessaires à l’entretien et à la réparation de ces structures.
3Partant, dans les années 1980 et 1990, plusieurs études sont réalisées, essentiellement à l’échelle d’une ville ou d’une région, impulsées notamment par les services de l’Inventaire, le Centre de recherches des Monuments Historiques (fig. 2)8, ainsi que par l’amplification des opérations d’archéologie du bâti, méthode qui est alors redéfinie dans le contexte des rénovations urbaines et du développement de l’archéologie préventive9.
4Ces études fondamentales, aux approches méthodologiques diverses, apportent un éclairage considérable sur la question du pan de bois, en s’attachant à des régions variées comme la Lorraine10, l’Alsace11, la Bretagne12, la Normandie13, le Val de Loire14 ou la Bourgogne15. Malgré tout, il convient de noter que le sud du territoire est largement moins couvert, à l’exception du remarquable travail réalisé sur la ville de Cahors16.
5C’est également à cette époque que sont organisés des expositions (par exemple : Les veines du temps. Lectures de bois en Bourgogne en 199217) et des colloques consacrés à divers aspects de la construction en bois, qui aboutiront à la publication de premières synthèses, comme par exemple Le bois et la ville du Moyen Âge au XXe siècle en 198818, Le bois dans l’architecture en 199319, ou plus récemment Le bois dans le château de pierre au Moyen Âge en 199720. En définitive, une des dernières synthèses sur la construction en pan de bois est celle proposée par B. Saint-Jean-Vitus et M. Seiller (avec la collaboration de F. Fray et I. Lettéron)21 dans l’ouvrage fondamental Cent maisons médiévales en France sous la direction d’Y. Esquieu et J.-M. Pesez22. Cet article accompagne le catalogue de l’ouvrage contenant une centaine d’études monographiques portant sur tous types de construction confondus, parmi lesquelles se distinguent une douzaine d’habitations en pan de bois, correspondant à des bâtiments conservés en élévation à l’exception de deux maisons appréhendées par l’étude de vestiges enfouis. Il convient de remarquer que la majorité des exemples présentés sont des constructions édifiées entre le XVe siècle et le milieu du XVIe siècle, et que seulement trois bâtiments sont antérieurs à cette période23.
6Depuis, les travaux sur le pan de bois ont évidemment été marqués par la généralisation des recherches menées par les services de l’Inventaire ou de la conservation régionale des Monuments Historiques, mais surtout par les études d’archéologie du bâti réalisées en amont des restaurations d’édifices, et dans certains cas par la systématisation des campagnes de datation par dendrochronologie qui permettent d’affiner ou parfois de modifier des chronologies24. La connaissance sur la maison en pan de bois a également beaucoup progressé ces dernières années grâce à certains enseignements universitaires, qui se traduisent par l’importance de mémoires portant sur ce sujet25. Une quinzaine d’années après les travaux majeurs des années 1990, il paraît donc intéressant de proposer un état des connaissances sur la construction en pan de bois dont l’approche s’est considérablement enrichie. Il s’agit ici de présenter diverses recherches réalisées lors de cette dernière décennie (2000-2012), ou bien étant encore en cours à l’heure actuelle. Certaines ont par ailleurs été présentées lors de la table ronde consacrée à la construction en pan de bois dans l’architecture du Moyen Âge et de la Renaissance tenue à Tours les 12 et 13 mai 2011 et organisée par le Laboratoire archéologie et territoires (LAT – UMR 3176 CITERES) et le Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR – UMR 7323). Cet état de la question sur la construction en pan de bois est complété par une bibliographie générale sur le sujet présentée en fin d’ouvrage.
7Si la construction en pan de bois est largement employée dans l’architecture domestique de la fin du Moyen Âge et du début de la période moderne, en revanche son utilisation avant le XVe siècle reste peu connue. Un des objectifs du présent ouvrage est donc de dresser un bilan des connaissances sur l’usage du pan de bois pour la période XIIIe-XIVe siècles, puisque très peu de bâtiments de cette époque ont été jusqu’à maintenant identifiés ou étudiés26.
8Cet ouvrage vise également à présenter les apports de l’étude des techniques de construction qui permettent de bien saisir certains avantages du pan de bois. Elle nécessite l’observation précise des modes de montage et des assemblages, des pièces de bois, des traces d’outils, qui, croisée à l’étude des sources textuelles, invite à s’interroger sur l’approvisionnement en bois (gestion des ressources forestières, transport, commerce et stockage) et les étapes successives de la chaîne opératoire (travail du charpentier : équarrissage, débitage, levage, etc.). Il convient de s’intéresser aux combinaisons entre l’armature principale du pan de bois et les éléments maçonnés de la maison, car si dans le discours ces deux techniques sont dissociées, elles sont en réalité toutes deux intimement liées comme dans ces « constructions mixtes » où la maçonnerie peut être employée pour les murs mitoyens, les rez-de-chaussée, murs bahuts, solins, etc. La jonction entre les différents éléments verticaux et horizontaux est souvent conditionnée par les éléments du plancher et par les charpentes de comble pour lesquelles nous observons des distinctions importantes entre les villes ou les régions avec l’emploi des charpentes à fermes et pannes ou de celles à chevrons-formant-fermes. Ainsi, diverses solutions techniques, plus ou moins complexes, peuvent être employées dans le cas des façades en encorbellement ou dans l’exemple des maisons situées à l’angle de deux rues avec des planchers en enrayure. L’analyse de l’armature secondaire permet quant à elle d’observer la répartition des ouvertures au sein de la paroi, et les éléments de contreventement dont les variantes sont déclinées dans plusieurs régions avec des pans de bois dits « à grille », « à losanges », « à croix de Saint-André », « en chevrons », « à Mann », etc. Le remplissage ou le hourdis situé entre les pièces de bois peut être réalisé de plusieurs façons : pierres, briques, torchis, ou planches.
9Il est également intéressant de souligner l’importance du pan de bois dans les éléments de circulation et de distribution de l’habitation : escaliers, tourelles d’escalier hors-œuvre, coursières et galeries27, échauguettes, chambres hautes et autres structures en encorbellement comme les auvents, qui dans ce dernier cas posent la question du respect des réglementations urbanistiques destinées à limiter les empiètements sur la voie publique. L’observation d’autres structures en pan de bois, telles que les cloisons situées à l’intérieur des édifices ou les petits bâtiments annexes parfois élevés en fond de cour, sont autant d’éléments qui renseignent sur les modes d’habitation. Souvent, le caractère amovible de ces parois, fixées provisoirement aux murs et aux plafonds par des cales, ne permettent pas leur conservation d’où leur étude et aussi leur datation difficiles.
10L’analyse du décor, de la simple moulure soulignant l’encadrement d’une ouverture aux sculptures ornant les emplacements privilégiés de la façade comme les linteaux, les sablières ou les poteaux d’angle, informe également sur le statut des commanditaires et habitants de ces bâtiments. Le recours à la sculpture est particulièrement impressionnant avec le développement de vastes programmes iconographiques de sculptures figuratives et de thèmes moralisateurs ou édifiants que l’on retrouve aux XVe et XVIe siècles dans de nombreuses villes de la moitié nord de la France. Tout comme dans l’architecture en pierre, le décor en bois de cette période puise dans les formes du gothique flamboyant et dans celles de la Renaissance. La mise en valeur de la paroi en pan de bois s’effectue également grâce au type de hourdis employé pouvant créer des effets de contrastes, d’ombre et de lumière, ou des jeux décoratifs formés sur la déclinaison de formes géométriques, et de manière plus générale grâce au traitement d’ensemble de la surface de la paroi par des pigments colorés, des enduits ou des bardages d’ardoises ou d’essentes.
11L’ensemble des thèmes évoqués ici est donc traité, selon des approches distinctes, dans le présent ouvrage qui réunit une vingtaine d’articles regroupés par aires géographiques. Ces études récentes s’appuient essentiellement sur l’examen des vestiges en élévation par des analyses fines du bâti, des observations architecturales, avec des chronologies parfois renouvelées par des datations dendrochronologiques, et qui peuvent ainsi être croisées aux sources manuscrites et iconographiques. La majeure partie de ces travaux concerne le pan de bois domestique en contexte urbain. Cela s’explique par l’état de la recherche actuelle, partiellement tributaire des récentes politiques territoriales de rénovation ou de restauration portant d’avantage sur des centres villes ou des bourgs, où les vestiges de ces structures sont par ailleurs mieux documentés qu’en contexte rural.
Notes de bas de page
1 Verdier, Cattois 1855-1857. Voir également les relevés de façades en pan de bois publiés par la Commission des Monuments Historiques à partir de 1854.
2 Viollet-le-Duc 1844-1868 : en particulier les articles sur les « maisons » (tome VI) ou sur le « pan de bois » (tome VIII).
3 « Maisons de bois et de pisé » dans Enlart 1929 : p. 197-200.
4 Quenedey 1926.
5 Sur ce dernier point, voir les volumes publiés à partir de 1977 du corpus de L’architecture rurale française, ainsi que Cuisenier 1987 et Royer 2005.
6 Esquieu 1995 ; Burnouf, Boura 2008.
7 Par exemple : Auxerre (Liébard 1969) ou Cambrai (Neveux 1971).
8 Voir la série de relevés techniques effectués par le Centre de recherches des Monuments Historiques, réalisés essentiellement à partir des années 1940 et publiés dans les volumes de la collection Maisons à pans de bois. Études de structures (Maisons à pans de bois s. d. ; Bontemps 1983). Sur ce sujet voir : Mayer 2005.
9 Arlaud, Burnouf 1993.
10 Par exemple : Guillaume 1982 ; Guillaume 1993 ; Guillaume 1998.
11 Travaux de Marc Grodwohl, Jean-Jacques Schwien, Maurice Seiller, Maxime Werlé.
12 Vannes (Dégez 1980 ; Dégez 1986), Dinan (Soulas 1986) et plus récemment le Trégor (Leloup 1996 ; Leloup 2002).
13 Par exemple : Lescroart 1980 ; Lescroart 1995a ; Lescroart 1995b ; Gauthiez 1993a ; Gauthiez 1993b.
14 Recherches menées essentiellement par des chercheurs de l’Inventaire, notamment à Tours (Bonnin 1979 ; Bonnin 1980 ; Bontemps 1980 ; L’architecture civile à Tours 1980 ; Guillaume, Toulier 1983), à Chinon (Toulier 1970 ; Toulier 1989), à Aubigny-sur-Nère (Toulier 1994), à Blois (Cosperec 1986 ; Cosperec 1994), à Bourges (Chazelles 1997), ou encore à Angers (Biguet, Letellier 1986 ; Biguet, Letellier 1992).
15 En particulier les recherches menées par l’archéologue B. Saint-Jean Vitus notamment sur les villes de Dijon, Joigny, Tournus, etc. (Saint-Jean Vitus 1988 ; Saint-Jean Vitus 1992 ; Saint-Jean Vitus 1993 ; Saint-Jean Vitus 1998).
16 Scellès 1999.
17 Les veines du temps 1992.
18 Colloque organisé à Saint-Cloud les 18 et 19 novembre 1988 (Le bois et la ville 1991).
19 Colloque de Rouen organisé en 1993 par la Direction du patrimoine (Le bois dans l’Architecture 1995). Pour un état de la question, voir en particulier l’article « Le bois dans l’architecture : bilan des études et connaissances » (Toulier 1995b).
20 Colloque de Lons-le-Saunier en 1997 (Poisson, Schwien 2003).
21 « La construction de bois » (Saint-Jean Vitus, Seiller 1998).
22 Esquieu, Pesez 1998.
23 Il s’agit de la maison 46 rue Donzelle à Cahors, conservée en élévation (Scellès 1998), ainsi que deux maisons ayant fait l’objet d’une fouille à Douai (Louis Émile, « Douai (Nord). Douayeul. XIIe siècle » et « Douai (Nord). Douayeul. XIIIe siècle », dans Esquieu, Pesez 1998, p. 181-182 et 183-184).
24 Voir entre autres : Burguière-Labrunie 2003 ; Le Digol, Bernard 2003 ; Chaix 2005 ; Lettéron 2005 ; Leloup 2006 ; Séraphin 2006 ; Freckmann, Goer, Schmitt2008 ; Napoléone 2008 ; Seiller, Boura 2008 ; Grodwohl, Metz, Seiller 2009 ; Grodwohl 2010 ; Journot 2010 ; Béa et alii 2011 ; Fock-Chow-Tho 2011 ; etc. Citons également plusieurs journées d’étude : Pans de bois de Bresse et d’ailleurs d’hier et d’aujourd’hui. Échanges d’expériences entre différentes régions françaises, 19 novembre 2005, organisées par l’écomusée de la Bresse bourguignonne (Pierre-de-Bresse) ; Histoire de la construction en pan de bois, 21-22 novembre 2008, organisées par la Maison du patrimoine de l’agglomération Troyenne et la région Champagne-Ardenne ; Autour de l’architecture en pan de bois, 14 et 15 mai 2012, organisées par la ville de Vannes et la région Bretagne.
25 Voir par exemple en bibliographie les mémoires de maîtrise ou de master réalisés depuis les années 2000, notamment à l’université Paris I-Sorbonne sous la direction de F. Journot.
26 À ce sujet, la publication d’un ouvrage sur la maison à l’époque gothique en Allemagne permet de bien prendre conscience de l’impressionnant corpus de maisons datées des XIIIe-XIVe siècles et étudiées dans ce pays (Allemagne gothique 2009).
27 Sur les galeries de circulation en pan de bois, voir les exemples étudiés à Charlieu (Garrigou Grandchamp, Pouly, Salvèque 1998) ou en Bourgogne (Saint-Jean Vitus 2008).
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