Les pavements à glaçure plombifère et faïence stannifère
XIIIe-XVIe siècle
p. 321-346
Texte intégral
INTRODUCTION
1Nous voudrions ici présenter quelques recherches exemplaires sur les pavements à glaçure plombifère (XIIIe-XVe siècles) et en faïence stannifère (XIIIe-XVIe siècles) dont les pavements de la chapelle de Suscinio découverts et étudiés par Patrick André sont le plus bel exemple connu en France et sans doute en Europe mêlant les deux techniques. Depuis le milieu du XIXe siècle, les érudits locaux se sont souvent penchés sur ce sujet qui a par ailleurs fait l’objet de nombreuses monographies et d’études régionales, essentiellement centrées sur les carreaux provenant de collections souvent mal documentées, considérés individuellement et de manière trop isolée comme support à une iconographie variée. Dans un passé plus récent, un mouvement de réévaluation et d’études plus larges, né au début des années 1980, tend à considérer davantage les carreaux comme les éléments d’un ensemble, susceptibles de fournir toutes sortes d’informations, des Petits carrés d’histoire, comme ils ont été définis avec bonheur dans l’exposition de 1995 évoquée plus loin1.
2Dans ce contexte, la première manifestation a sans doute été celle sur Les carreaux de pavage dans la Bourgogne médiévale organisée par Matthieu Pinette à Autun en 19812. Au sein de ce mouvement, Christopher Norton s’est tout particulièrement distingué par son travail sur les pavements français des XIIIe-XIVe siècles3. Un important colloque sur les terres cuites architecturales au Moyen Âge s’est ensuite tenu à Saint-Omer, événement dont les textes ont été réunis par Didier Derœux et publiés en 19864. Poursuivant ses recherches, Christopher Norton a également étudié et publié la magnifique série des carreaux de pavement du musée Carnavalet à Paris5, et l’équipe du Laboratoire d’Archéologie Médiévale Méditerranéenne d’Aix-en-Provence en 1995 une étude des carreaux méridionaux à l’occasion d’une exposition à Avignon6.
3L’étude des carreaux de faïence est naturellement venue s’inscrire dans la continuité de ces travaux. En 1984, Christopher Norton a fait un premier point sur les carreaux de faïence médiévaux dans un article de la revue anglaise Medieval Archaeology7. Un colloque intitulé Châteaux de faïence a ensuite été organisé en 1993 par les archéologues de Marly-le-Roy et du château de Marly8. Plus récemment, la manifestation baptisée Images du pouvoir, pavements de faïence en France du XIIIe au XVIIe siècle, initiée par Jean Rosen et Thierry Crépin-Leblond, s’est tenue au musée de Brou, à Bourg-en-Bresse, accompagnée d’une exposition9. L’histoire sur le long terme des carreaux à glaçure stannifère s’y trouvait pour la première fois associée à celle des carreaux à glaçure plombifère, comme elle l’est dans cette table ronde, ce qui a fourni l’occasion de reconsidérer l’histoire précoce de la faïence en France depuis le XIIIe jusqu’au XVIIe siècle10. Plus près de nous, une étude des carreaux de faïence en Languedoc et Provence sur le long terme (XVIe-XVIIIe siècles) réalisée par l’équipe du Laboratoire d’Archéologie Médiévale Méditerranéenne d’Aix-en-Provence a été publiée en 200411.
4Pour avoir une vision plus complète des divers travaux concernant ce sujet, on consultera avec profit l’excellente bibliographie en ligne de Pierre Garrigou-Grandchamp, intitulée Les carreaux de pavement au Moyen Âge. Bibliographie des carreaux de pavement médiévaux en terre cuite (XIIe-XVe siècles), complétée et mise à jour en mai 200412. En outre, depuis 2007, un certain nombre de travaux ont vu le jour, montrant que les recherches se poursuivent sans faiblir. L’un des plus importants est sans doute l’ouvrage collectif Terres cuites architecturales médiévales et modernes, dirigé par Jean Chapelot en 200913. Il faut également signaler la thèse de Sophie Lamadon-Barrère sur Les pavements à incrustation de la France du Nord (XIIe-XIVe siècle) : mise en œuvre et place dans le décor de l ´ édifice religieux, soutenue à Lille, la même année14. Dans un domaine proche de celui des pavements, la thèse de Catherine Baradel-Vallet sur Les toitures polychromes en Bourgogne du XVIe au XXe siècle, soutenue à Dijon en 2008 et dont la publication est annoncée, a brillamment montré les rapports étroits qui existent en maints édifices majeurs du Moyen Âge entre les sols glaçurés et les toitures revêtues de tuiles « plombées », abusivement qualifiés de « bourguignonnes ». Dans le domaine des sols en faïence, la récente découverte, au château de Ranrouët-en-Herbignac (44), de carreaux de Masséot Abaquesne appartenant à un panneau historié, constitue un événement majeur, mais l’on peut aussi se réjouir de la récente acquisition par l’État du pavement de Polisy – sans doute le plus bel ensemble de la Renaissance française –, visible désormais au musée national du château d’Écouen.
QUELQUES NOTIONS DE TECHNIQUE
5Si le terme générique de céramique inventé au XIXe siècle désigne globalement toutes les productions de terre cuite, la méconnaissance des différences techniques existant entre ces diverses productions a été et reste bien souvent la source d’un certain nombre d’incompréhensions et d’erreurs : aussi n’est-il pas superflu de les évoquer brièvement. Il est ici question de carreaux de terre cuite bicolores à décor d’engobe et glaçure plombifère, datant pour la plupart des XIIIe et XIVe siècles, comme à Suscinio, mais aussi de carreaux en faïence stannifère, également présents dans ce pavement de technique mixte.
6Les premiers sont élaborés à partir d’une argile plastique, dont la pâte mise en forme et encore molle reçoit une empreinte dans laquelle on coule des argiles liquides de couleur différente, qu’on appelle des engobes. On en revêt la face d’une glaçure à base de plomb et de silice, additionnée de fondants qui en abaissent la température de fusion. Une monocuisson de l’ensemble aux environs de 800 à 900 ° C selon les cas permet d’obtenir une vitrification transparente qui laisse voir la couleur de la terre cuite. Si, sur un fond d’engobe clair, la teinte jaune que prend éventuellement la glaçure transparente résulte d’un effet d’optique donné par les impuretés du plomb, les glaçures peuvent également être plus ou moins colorées, en vert par l’oxyde de cuivre ou en brun par celui du fer, voire en brun violacé par celui de manganèse. Cette très ancienne technique indigène, originaire du nord-ouest de l’Europe, est essentiellement pratiquée en France de manière courante à partir du XIIIe siècle. Elle nécessite un savoir-faire certain, mais ne présente pas de difficultés particulières (fig. 1).
7La nature de la faïence stannifère, technique exogène, est différente, et bien plus complexe. Elle tire ses origines du califat de Bagdad, aux environs du VIIIe siècle de notre ère, époque à laquelle les potiers Abbassides inventent une céramique destinée à imiter la porcelaine chinoise, dont le fond blanc merveilleux fait oublier la nature terrestre. Pour ce faire, ils introduisent dans la glaçure de l’oxyde d’étain qui la rend opaque et blanche, et utilisent progressivement un nombre restreint d’autres oxydes métalliques pour y poser des motifs : le cuivre permet d’obtenir du vert, le manganèse du brun violacé et l’antimoine du jaune, essentiellement, suivis par le bleu issu du cobalt. L’obtention du rouge de fer pose de multiples problèmes qui ne seront totalement maîtrisés que très tardivement.
8En principe, la céramique à glaçure stannifère – qui ne recevra en France le nom de « faïence » qu’au début du XVIIe siècle – nécessite une pâte plus élaborée contenant une proportion de marne dont l’élément calcaire est destiné à favoriser l’adhérence de l’émail au support, et doit subir deux cuissons successives, en atmosphère oxydante15. La première, aux environs de 900°C, dite de « dégourdi », permet d’obtenir le « biscuit ». Le revêtement de glaçure stannifère avec ses décors éventuels est cuit dans un deuxième temps, à une température un peu inférieure à 1 000°C. Cette technique exige donc une bonne connaissance des matériaux et des oxydes métalliques, et une température qui ne peut être aisément atteinte que dans des fours améliorés ; en un mot, des savoir-faire spécifiques détenus par un technicien expérimenté.
9Cette technologie étrangère arrive en Europe par le biais de l’Italie et de l’Espagne aux xiie-XIIIe siècles, et en France au début du XIIIe siècle à Marseille. Parée des plumes de paon de la nouveauté et de l’exotisme, elle va se répandre peu à peu à la faveur de réseaux d’initiés et de commanditaires prestigieux, s’installant le plus souvent concurremment avec la technologie indigène de la glaçure plombifère. Alors qu’avec cette dernière, on reste dans un monde dont le sol garde les couleurs de la terre, l’émail blanc de la faïence, voire le bleu à partir de la fin du XIVe siècle, permettent de dématérialiser ce sol et de mettre en valeur des images colorées qui y sont apposées, système autorisant un autre type d’expression qui offre des possibilités esthétiques et spirituelles extrêmement différentes (fig. 2).
PRESENTATIONS, BILANS ET NOUVEAUTES
10Christopher Norton a souligné l’importance capitale du site de Suscinio dans l’étude des carreaux de pavement du Moyen Âge. À un moment où l’archéologie médiévale prenait son essor, la découverte du pavement resté en place de la chapelle extra muros du château de Suscinio en 1975 a relancé l’étude des pavements en France commencée au XIXe siècle. Si, à cette époque, on pensait que les carreaux de pavement existaient surtout dans les grandes églises, les cathédrales, les abbayes, et qu’ils étaient essentiellement un décor ecclésiastique, cette découverte nous a également montré l’importance que pouvaient revêtir les carrelages dans le luxueux décor des châteaux, aidant en même temps à la compréhension des châteaux eux-mêmes. Alors que ces édifices peuvent avoir disparu, de même que les autres éléments de leur ancien décor comme les statues, les peintures ou les tapisseries murales, on a des chances de retrouver les restes des carrelages qui peuvent avoir survécu dans les remblais, ultimes témoignages de leur splendeur passée.
11Si ce sont en fait les restes de trois pavements qui subsistent à Suscinio, l’un d’entre eux a été trouvé en place, et ceci est quelque chose d’exceptionnel qui mérite d’être souligné. Christopher Norton pense que le premier, datable du XIIIe siècle, dont on a trouvé les restes dans les douves, a été fabriqué dans un atelier de la région d’Angers. Mais le plus remarquable est le pavement de la chapelle, dans un état quasi complet, fouillé dans de bonnes conditions, qui nous donne la possibilité d’en étudier la disposition d’ensemble, et les hiérarchies des différentes parties : la nef, le chœur et le sanctuaire… Il est particulièrement important de souligner que différentes techniques ont été mises en œuvre à Suscinio : en effet, nous sommes ici en présence d’une apparition très précoce de la faïence en France. Suscinio est le seul endroit en France, grâce à Patrick André, où l’on ait la possibilité de voir un grand pavement du Moyen Âge quasi complet.
L’Ouest de la France
12À côté des carreaux de Suscinio publiés grâce au Conseil général du Morbihan en 200116, il existe aussi d’autres sites importants en Bretagne : ceux de Conleau, en Vannes, et de Carnoët, au sud de Quimperlé (Finistère).
13À Conleau, en Vannes, on n’est plus chez les ducs de Bretagne comme à Suscinio, mais chez l’évêque de Vannes, dans sa résidence d’été du XIIIe siècle17. Dans cette île, inhabitée encore à la fin du XIXe siècle, un Vannetais entreprenant vers 1880 de construire des chalets locatifs pour lancer les bains de mer tomba par hasard sur un pavement en place. Après en avoir fait un relevé très précis, il présenta à la Société polymathique de Vannes quelques carreaux, encore conservés aujourd’hui aux Archives départementales du Morbihan et dans les réserves du musée de Vannes, où Patrick André a pu en prendre connaissance et les publier. Ils occupaient une grande salle dans ce manoir épiscopal proche de Vannes. Ce sont à peu près les mêmes carreaux à glaçure plombifère et décors d’engobe que ceux de Suscinio, datables de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle. Dans ce décor répétitif, connu par les relevés précis de l’inventeur de 1880, on observe une sorte d’inclusion, exprimée par des motifs d’un autre type. Tout se passe comme si, là aussi, on avait voulu matérialiser un endroit (le siège de l’évêque ?), à la place précise qui offrait, par la croisée, une vue sur la proche ville de Vannes et sa cathédrale (fig. 3).
14Carnoët se trouve sur la rive ouest de la rivière Ellé, appelée aussi la Laïta, qui marque en aval de Quimperlé la frontière avec le Morbihan. Nous sommes donc ici dans le Finistère, dans une résidence des ducs de Bretagne, où ils ne doivent guère avoir beaucoup séjourné. Elle fut semble-t-il assez vite abandonnée. Dans cette ruine perdue dans la forêt autrefois ducale, des carreaux ont été trouvés à plusieurs reprises. En 1794, le garde forestier y remarqua des « grands carreaux vernissés » sur lesquels étaient exécutés « de jolies bambochades, des caprices ». Vers 1880, le baron Danery, maître des lieux, préleva d’autres éléments qu’il déposa aux musées de Cluny et de Sèvres, où ils sont aujourd’hui conservés. En 2001 enfin, des décors semblables sont découverts aux abords immédiats du château dans des remblais. Les exemplaires que Patrick André a vus sont des carreaux glaçurés plombifères à décor incrusté, empruntant leurs thèmes au monde animalier et végétal, ou à motifs fleurdelysés et héraldiques (fig. 4). À vrai dire, rien ne les apparente vraiment à ceux de Suscinio, ni les dimensions (13 cm de côté) ni le catalogue des décors18. Déjà, en 1884, un archéologue normand avait noté la similitude de ces carreaux de Carnoët – et aussi d’autres provenant du couvent des Dominicains à Quimperlé, fondé en 1254 –, avec ceux de Normandie. Entre la Normandie et Carnoët, les liaisons, maritime et fluviale, par le cours de la Laïta, rendent possible une telle parenté, hypothèse proposée par Patrick André à l’attention des spécialistes de Normandie.
15Trois séries de carreaux de pavement à glaçure plombifère de l’ouest de la France ont été trouvées dans les Pays de la Loire et en région Centre. La première est la série angevine de la fin du XIIIe siècle dont les découvertes, connues et publiées par Christopher Norton19, sont surtout localisées dans le Val de Loire, en Indre-et-Loire (Nouâtre), en Maine-et-Loire (Saumur, Angers…), mais aussi en Bretagne, à Suscinio, dans le pavement le plus ancien. Il s’agit de carreaux bicolores incrustés, à glaçure plombifère, dont les motifs sont connus sur la plupart des sites de cette série, notamment à l’abbaye d’Asnières et à Saint-Maur-de-Glanfeuil (Maine-et-Loire). Ceux qui sont présentés ici le sont pour trois raisons : ils n’ont pas encore été publiés ; la glaçure d’aspect jaunâtre a gardé tout son coloris et sa brillance ; et surtout, ils ne proviennent pas, comme la plupart de ceux de cette série, d’édifices religieux ou d’un grand château princier comme celui de Saumur, mais d’un édifice seigneurial de moyenne importance, le château des seigneurs de Rochefort-sur-Loire, en Anjou (fig. 5).
16La deuxième série est une production du Val-de-Loire, datée du premier tiers du XIVe siècle. Elle n’est connue à ce jour que par trois sites : l’abbatiale de Marmoutier, en Indre-et-Loire, le manoir de Buron à Morannes et la maison forte de Brain-sur-Allonnes, dans le Maine-et-Loire. Seuls les carreaux de Marmoutier ont été découverts en place. Ils se composent de deux types de décors : l’un, dit « décor de carreaux à mosaïque rectiligne », formé par l’association de carreaux unis monochromes ; l’autre, associant des carreaux monochromes et des carreaux bicolores. Pour les motifs bicolores à engobe de cette série, outre le fait qu’ils ont des motifs communs, leur particularité est le choix de motifs rappelant la position sociale des commanditaires, notamment à Brain-sur-Allonnes.
17Enfin, la troisième série concerne les pavements de la fin du Moyen Âge provenant du château de Saumur. Des notes importantes sur ces carrelages trouvés en place ont été publiées il y a un siècle par Lucien Magne. Viennent s’y ajouter les pavements trouvés en 2000 par Anne Dodd-Opritesco. Dans un article du Bulletin monumental de 2001, elle signale la découverte d’un pavement médiéval, partiellement conservé in situ et dont les carreaux glaçurés se rattachent à la série mise au jour au début du XXe siècle par Lucien Magne : de formes complexes, ils constituent un type de mosaïque. Les uns sont unis (barrettes de liaison), les autres bicolores à décor incrusté. La plupart des carreaux incrustés présentent le même motif de croix recerclée, l’autre motif consistant en un personnage muni d’un heaume et d’une hampe. Ses relevés restituent une composition simple et tripartite de l’ensemble du pavement. Trois registres parallèles sont faits d’un assemblage du même motif, la croix recerclée, mais avec des formes différentes (fig. 6). Ces trois registres sont séparés par deux bandes de carreaux unis entourant une suite du même motif de personnage avec un heaume. Il faut ajouter aujourd’hui que, si les pavements mosaïques de Saumur sont généralement attribués à l’époque du duc Louis Ier d’Anjou (1360-1384), un récent article de Jacqueline Mongellaz les date précisément de la seconde campagne de travaux, entre 1376 et 1382, précédant ainsi de quelques années les carreaux de faïence de Mehun-sur-Yèvre étudiés par Philippe Bon, qu’ils pourraient avoir inspirés20.
18Sur le site médiéval de « La Cave Peinte » à Brain-sur-Allonnes, non loin de Saumur, environ 15 000 carreaux ont été exhumés lors des fouilles de cette maison forte violemment détruite par un incendie vers 1360-1361. L’archéomagnétisme a permis de les dater du premier tiers du XIVe siècle. Ils n’ont pas été trouvés in situ car ils provenaient de l’étage. La majorité est composée de carreaux glaçurés vert et jaunes, unis ou striés. 230 sont bicolores à engobe avec une trentaine de motifs différents. En outre, quelques-uns sont des carreaux de faïence décorés, plus ou moins contemporains de ceux de Suscinio.
19Parmi les points particuliers qui mériteraient d’être développés, le premier concerne les aspects communs et les différences entre les sites de Marmoutier et Morannes évoqués plus haut et celui de Brain-sur-Allonnes : alors qu’à Marmoutier, site religieux, et à Morannes, site seigneurial, on retrouve beaucoup de motifs courants dans l’iconographie des pavements, les décors de Brain sont beaucoup plus variés, et c’est en outre le seul site à présenter des motifs humains et des carreaux de faïence décorée (fig. 7). Cette différence peut-elle s’expliquer par leur date de fabrication ? L’archéologue Charles Lelong a daté la mise en place du pavement de Marmoutier de 1320, et le manoir de Morannes a été acheté en 1316 par le seigneur de Craon, dont la représentation des armoiries est un élément de datation. On peut supposer qu’il a fait des travaux peu après cette acquisition, c’est-à-dire à une date proche de 1320. À Brain-sur-Allonnes, d’après l’étude des monnaies, la reconstruction du bâtiment d’où proviennent les carreaux n’a pu se faire avant 1310, date corroborée par l’étude stylistique des fragments de vitraux et la datation archéomagnétique des carreaux vers 1300 + ou - 15, donc avec une probabilité vers 1315, dans une fourchette large entre 1315 et 1330. En conséquence, les carreaux de Brain-sur-Allonnes peuvent être soit un peu antérieurs à ceux des deux autres sites, soit contemporains, soit postérieurs. Mais même si leur fabrication avait été un peu plus tardive, les différences observables à Brain-sur-Allonnes relèvent certainement des choix du commanditaire, le chevalier de Sacé, dont les pavements auraient été l’un des marqueurs de sa qualité sociale à l’intérieur de son habitation, une maison forte, habitat caractérisant la petite et moyenne noblesse.
20Comme on l’a dit, Brain-sur-Allonnes est le seul des trois sites qui offre des motifs humains, apparemment choisis pour rappeler l’appartenance à la noblesse, ou l’hommage (tête couronnée) à la chevalerie (guerrier à cheval). D’autres motifs renvoient aussi au pouvoir de la noblesse (l’aigle symbolique et la tour portée par un éléphant) ainsi qu’à son mode de vie (la chasse avec le sanglier au dos hérissé, les festivités avec l’ours enchaîné).
21Le site de Brain-sur-Allonnes est une maison forte, c’est-à-dire une résidence seigneuriale à double fonction, militaire et agricole. L’aspect militaire transparaît à travers le guerrier à cheval chargeant avec une épée, le guerrier à pied armé d’une lance, le centaure armé et tenant un bouclier, l’animal fabuleux, mi oiseau, mi quadrupède, chevauché par un personnage tenant un écu, enfin l’éléphant supportant une tour. La fonction agricole, quant à elle, est symbolisée par un vigneron, ainsi que par le chat guettant une souris, prédatrice des grains. Les décors des vitraux civils affirment aussi l’appartenance sociale du commanditaire : couronne, feuille de chêne qui symbolise la robustesse, et lierre, plante vivace et tenace. Enfin, à Brain-sur-Allonnes, un certain nombre d’objets figurés sur les carreaux de pavement ont été exhumés lors des fouilles. La fonction militaire du site est attestée par des éléments de cotte de maille, éperon, masse d’arme, épées, dagues, umbo de bouclier, carreaux d’arbalète, étriers, éléments d’harnachement et fers de chevaux… La fonction agricole est rappelée par les outils : serpes à crocs, couteaux pour la vigne, faucille pour la récolte des céréales, coutre de charrues, bêche, houe pour le travail de la terre…
22Les carreaux décorés de Brain-sur-Allonnes ne constituent qu’une faible partie de l’ensemble (un peu plus de 2 %), mais comportent un grand nombre de figures (une trentaine). Les motifs qui y ont été trouvés doivent être étudiés à la fois comme le reflet d’une période, le premier tiers du XIVe siècle, et d’un atelier, mais aussi, avec la prudence nécessaire, comme les symboles du pouvoir seigneurial d’un chevalier et de son habitat, une maison forte.
23Les pavements du château de Saumur ont fait l’objet lors d’une restauration d’une analyse physico-chimique21 et pétrographique. En 1907-1908, Lucien Magne en avait trouvé un ensemble vraiment exceptionnel, qu’on datait de la rénovation du château par Louis Ier d’Anjou, vers 1380. De cet ensemble seuls de petits panneaux de carreaux ont été conservés au château, montés sur du cartonnage : ce sont eux qui ont été restaurés et étudiés pour en évaluer l’homogénéité et éventuellement déterminer un atelier de fabrication. Après un travail de relocalisation de ces carreaux en fonction des pièces du château, des prélèvements ont été effectués pour en identifier les pâtes. Les carreaux sont soit en terre blanche, soit en argile rouge, avec au moins deux couleurs de glaçure : une jaune et une verte, qui paraît presque noire. Les incrustations sont ou de pâte blanche dans des carreaux rouges, ou l’inverse. Ils sont très érodés, et il ne reste pratiquement plus de glaçure. La pétrographie a néanmoins permis de caractériser la minéralogie des pâtes, et de déterminer que le groupe A, celui des pâtes blanches et le groupe B, celui des pâtes rouges, sont tous deux issus d’un même atelier, alors que dans le groupe C, formé par les carreaux qui se différencient, figurent en particulier tous ceux des bordures. On peut donc s’interroger sur l’approvisionnement de ces bordures : même atelier, mais matières premières différentes ? Technologie de fabrication de moindre qualité ? Approvisionnement auprès d’un autre atelier ? D’autre part, quelques ensembles plus exotiques ne correspondent pas du tout aux matières premières des groupes A et B qui sont des argiles de la région : y a-t-il eu achat auprès d’un autre fournisseur, ou ces éléments appartiennent-ils à une rénovation effectuée à une période différente ? Voilà un exemple des résultats et des questionnements que peuvent apporter les analyses de laboratoire et la physico-chimie. Peut-on envisager l’hypothèse d’une mise en place du sol nettement postérieure à la construction ? La datation avancée est-elle assurée par une trace archéologique ? Les pavements globalement homogènes permettent-ils d’induire la contemporanéité de la salle de parement et de la galerie ? Si l’homogénéité complète est bien avérée, en dehors des bordures et de certains petits passages entre les pièces, il est difficile en revanche de dire combien de temps les ateliers ont perduré ! L’approvisionnement peut très bien provenir d’un même atelier, avec les mêmes types de matières premières pendant trente ou quarante années, voire plus, et il est impossible d’apporter une réponse précise à cette question, d’autant que les techniques physico-chimiques ne permettent pas d’assurer une datation22.
24Nicola Coulthard et Florence Delacampagne23 ont réalisé en 1995, à la demande du Musée de Normandie, l’inventaire Pavés et plates-tombes24. Ces plates-tombes sont de grands carreaux de terre cuite utilisés pour représenter le défunt et recouvrir les sépultures. Même si c’est en Normandie qu’on en a recensé le plus grand nombre, il ne s’agit pas d’une spécificité normande. En parallèle, le travail se poursuit sur la diffusion, la localisation et la caractérisation des carreaux. Des analyses pétrographiques sont réalisées sur la plupart des carreaux étudiés au sein du service d’archéologie du conseil général du Calvados, et les données sont croisées avec le centre de chimie de l’université de Caen. Une étude a porté sur une collection extrêmement hétérogène appartenant à la Société historique et archéologique de l’Orne, avec des carreaux provenant de plusieurs sites.
25L’une des études les plus importantes concerne les carreaux provenant de l’abbaye de Saint-Evroult dans l’Orne25. Ceux qui ont été étudiés sont d’une part issus d’une fouille récente, menée entre 1998 et 2000, d’autre part des collections de la Société historique et archéologique de l’Orne, mais aussi du chantier de restauration des années 1970, soit un ensemble de 400 carreaux, essentiellement incrustés. Pour la première fois, des carreaux incrustés autres que carrés ou rectangulaires ont pu être répertoriés dans la région, preuve que certains d’entre eux appartenaient à des ensembles plus larges. Ce site présente la particularité de renfermer des carreaux avec des inserts cuits séparément, petits éléments tronconiques qui ont été rajoutés postérieurement pour donner un aspect mosaïqué, comme des exemplaires trouvés en Bourgogne, mais qui sont inédits dans la région.
26Tout dernièrement enfin, a pu être réalisé l’inventaire du millier de carreaux composant la superbe rosace de Saint-Pierre-sur-Dives, dont on connaît l’aquarelle réalisée en 1882 (fig. 8).
27Ce pavement qui avait été déposé dans la salle capitulaire de l’abbaye vient d’être redéposé, restauré, et est actuellement stocké, fournissant là l’opportunité pour une très belle publication collective à venir.
Le Sud-Ouest
28La forteresse médiévale de Blanquefort, à 12 km au nord de Bordeaux, fut agrandie au début du XIVe par Bertrand de Got, neveu du pape Clément V (1305-1314) et son légataire, issu de l’une des plus riches familles de l’Aquitaine. À la fin de la Guerre de Cent Ans, la forteresse fut confiée par Charles VII à un grand capitaine de l’armée française, Antoine de Chabannes, qui adapta le château à l’artillerie à feu. Malheureusement les carreaux de pavement du début du XIVe siècle furent remplacés par des dalles de calcaire blanc et furent remployés pour servir entre autres à stabiliser le sol de la cour intérieure ou jetés dans les douves. Depuis les travaux de fouilles et de déblaiement commencé en 196226, 1 290 éléments ont été mis au jour (mais seule 2,5 % de la superficie a été fouillée), dont 1 003 ont pu être étudiés. Parmi ces carreaux, 825 sont bicolores (82 %), avec 58 motifs différents, d’où une extraordinaire richesse de décor. L’inventaire et le catalogue de cet ensemble ont été publiés en 200527.
29Ces carreaux sont presque tous de format 11 x 11 cm, avec une épaisseur moyenne de 2,5 cm et un estampage de 0,5 à 2 mm de profondeur ; leur terre est rouge après cuisson, avec un décor d’engobe blanc. Il n’est pas inutile de rappeler ici le coût que représentait la fabrication de ces décors estampés à glaçure plombifère, que l’on retrouve sur plusieurs châteaux de Bertrand de Got. Les motifs, reconstitués par calque à partir de plusieurs éléments faute de carreaux entiers, se regroupent en cinq genres de motifs, classiques dans ce type d’artisanat : 17 géométriques (33 % du total des éléments bicolores), 16 héraldiques (22 %), 11 zoomorphes, animaux de basse-cour et animaux fantastiques (19 %), 7 végétaux (14 %) et 7 anthropomorphes, personnages réalistes ou fabuleux (10 %) (fig. 9). Quelques motifs restent indéterminés car non identifiés (2 %). Six séries, de A à F, ont été établies en fonction de la qualité visuelle des motifs, des glaçures et des caractéristiques physiques des carreaux. À partir de ces séries, on peut se poser plusieurs questions : y a-t-il eu un ou plusieurs ateliers de fabrication, ou bien plusieurs « mains » dans le même atelier ? Y a-t-il eu des campagnes de réfection successives, sachant que ce revêtement de sol est resté en place durant cent cinquante années dans le monument ?
30La datation de ces carreaux semble bien cernée aujourd’hui : les premiers d’entre eux doivent avoir été posés entre 1308, date de la donation de la seigneurie de Blanquefort à Bertrand de Got et 1324, celle de son décès. Enfin, des comparaisons visuelles non physico-chimiques avec d’autres sites en Gironde – dits « sites concordants » –, ont permis d’établir une carte d’implantation d’un atelier bordelais, avec les lieux de découverte de carreaux bicolores.
31Dès les années 1970, le Centre de Recherche en Physique Appliquée à l’Archéologie (CRP2A-IRAMAT, UMR 5060) a montré un intérêt pour les carreaux de pavement glaçurés médiévaux. La thèse de Claire Raffaillac-Desfosse28, dont un chapitre entier est consacré à l’étude de matériel aquitain provenant de la tour de Mérignac-Veyrines, de la forteresse de Blanquefort et du château de Villandraut. Des travaux plus récents, débutés dès 2004, ont concerné quatre sites : le château de Villandraut (inventaire de la collection, étude de l’homogénéité et de la provenance des argiles), la forteresse de Blanquefort (comparaison des séries évoquées plus haut avec les résultats acquis pour Villandraut), le château de Lormont (inventaire et étude des techniques de fabrication) et le « haut-castrum » de Châlucet (inventaire et étude de l’homogénéité de la collection). La thèse de Béatrice Cicuttini, dont la problématique est plus large et englobe le travail déjà effectué sur tous ces sites29, s’intègre dans un programme de recherche soutenu par la région Aquitaine, intitulé « Décors du bâti médiéval dans le Sud-Ouest : carreaux de pavement – dorures sur peintures murales ». Yoanna Léon30 a réalisé une étude sur les carreaux de pavement glaçurés du Haut Châlucet (Limousin), datés de la fin du XIIIe-début du XIVe siècle. Situé à quelques kilomètres au sud de Limoges, près d’axes routiers majeurs entre le royaume de France et celui d’Angleterre, ce château a joué un rôle capital du XIIe au XVIe siècle dans l’histoire régionale. Implanté sur un éperon à la confluence de deux rivières, la Briance et la Ligoure, il se dissocie en deux entités castrales juxtaposées mais fort différentes : le « bas-castrum » qui s’apparente à une agglomération de chevaliers co-seigneurs, et le « haut-castrum », sans doute à l’origine assez proche structurellement de son voisin, puis profondément bouleversé vers 1270 par la réalisation d’un vaste palais fortifié en son cœur. Son commanditaire, Géraud de Maulmont, est un personnage bien documenté, entre autre conseiller des rois de France, qui a accumulé durant sa vie de nombreuses seigneuries dont certaines situées à proximité de Châlucet, comme Courbefy. Plus de 1 700 carreaux ont pu être retrouvés à l’issue des différents dégagements et fouilles réalisés depuis le XIXe siècle. Ils se décomposent en trois types décoratifs : des carreaux à glaçure plombifère, soit estampés bicolores, soit monochromes, parfois incisés et découpés en petits éléments de mosaïque rectiligne, et des carreaux à glaçure stannifère peints en vert et brun. La plupart de ces derniers proviendraient de l’une des salles d’apparat du château située à l’étage, et pouvant correspondre à la chambre même de Géraud de Maulmont. Deux d’entre eux représentent d’ailleurs son blason. Ils sont associés à des éléments monochromes et s’intègrent visiblement dans le même ensemble, ce qui en ferait l’un des premiers pavements civils en faïence connus à ce jour.
32Les différents sondages ont également mis au jour des restes de pavement retrouvés encore en place dans la tour ouest, ainsi qu’au rez-de-chaussée de l’une des salles, dite d’apparat.
33Le répertoire iconographique des carreaux de faïence est certainement le plus riche de la région puisque l’on dénombre 68 motifs pour 136 fragments (fig. 10). Pour les carreaux estampés, les motifs sont moins nombreux : il en existe seulement 13, dont 4 sont associés à des éléments de petit format, soit un quart de carreau standard. Les mieux représentés sont les éléments monochromes, de différentes teintes et formes, parfois pourvus d’incisions en surface. De nombreuses traces ont pu être observées sur la plupart des carreaux, tous types confondus ; des trous de centrage sont visibles en surface et correspondent à l’utilisation de gabarits à pointes. On distingue également des traces d’arrachements sur les flancs des carreaux, résultat de leur empilement au sein du four. Contrairement à celui des carreaux estampés, l’empilement des éléments faïencés est aéré et régulier. Leurs côtés ont une longueur moyenne de 12,3 cm, et ils mesurent environ 2,3 cm d’épaisseur. Les formats des carreaux estampés sont en revanche moins homogènes. Pour la longueur des côtés, on peut en effet observer deux maxima, de 11,3 cm et de 11,7 cm. Ceci peut s’expliquer par l’utilisation de matrices différentes lors de la paraison. La mesure systématique des distances entre deux trous de centrage ainsi que la distance séparant chaque trou des bords du carreau a permis de mettre en évidence l’utilisation de trois matrices, dont deux pour les carreaux estampés. Il faut noter que pour ces derniers, les mêmes estampes semblent avoir été appliquées pour le décor, ce qui impliquerait que ces deux gabarits aient été utilisés par le même atelier.
34Une quinzaine d’échantillons représentatifs de la collection ont subi des analyses physico-chimiques. La texture a été observée en lumière naturelle et en cathodoluminescence, technique qui consiste à bombarder l’échantillon avec un faisceau d’électrons. La détermination des compositions chimiques des glaçures, des décors et des terres cuites a été réalisée grâce à la spectrométrie de rayons X couplée au microscope électronique à balayage. La texture des terres cuites des carreaux estampés présente des caractéristiques différentes de ce que l’on observe pour les éléments faïencés, et leurs compositions chimiques se distinguent également. Les carreaux monochromes étudiés peuvent être scindés en deux groupes : certains présentent des caractéristiques similaires à celles des carreaux estampés en termes de texture et de composition, tandis que les autres s’apparentent plutôt au groupe des éléments faïencés. Ces différents résultats permettent de distinguer deux productions, donnant apparemment lieu à deux pavements distincts. Il est donc probable que deux ateliers différents aient œuvré sur ce site et ce, peut être pas tout à fait au même moment.
La Bourgogne
35Pour la Bourgogne, Odette Chapelot31, a inventorié un certain nombre d’ateliers de tuileries actifs entre 1338 et 1480, parmi lesquels on peut distinguer trois groupes dont celui du Val-de-Saône, objet de cette étude. Si l’on additionne aux données d’Odette Chapelot celles de la carte dite « de Cassini », et d’autres sources d’information comme les cartes d’État-major, on arrive à un nombre de tuileries important depuis le Moyen Âge. L’atelier d’Aubigny-en-Plaine, à 25 km au sud-est de Dijon, se distingue notamment par de nombreuses références à toutes les époques. Mais les techniques d’analyse et d’archéométrie permettent-elles de distinguer des ateliers aussi proches s’approvisionnant aux mêmes gisements géologiques ? Des prospections plus précises ont été réalisées pour tenter des micro-localisations d’ateliers au sol, et des prélèvements ont été effectués sur des échantillons collectés sur les sites, afin de déterminer des groupes de référence auxquels les carreaux à étudier ont pu être comparés pour en déterminer l’origine (fig. 11). Il a ainsi été possible de mettre en évidence un groupe rassemblant les carreaux de faïence de la chapelle du château de Longecourt-en-Plaine, datés de 1495, les fameux carreaux glaçurés de l’Hôtel-Dieu de Beaune datables par les archives de 1445 et 1451, ainsi que des carreaux de la Chartreuse de Champmol à propos desquels les textes nous disent pourtant qu’ils ont été fabriqués dans un autre atelier (fig. 12). L’étude accréditerait donc la thèse que l’atelier d’Aubigny-en-Plaine ait fabriqué des carreaux glaçurés bicolores à la fin du XIVe siècle pour la Chartreuse de Champmol, des carreaux bicolores pour l’Hôtel-Dieu de Beaune au milieu du XVe siècle, et soit même parvenu à maîtriser une technique entièrement différente pour les deux pavements de faïence du château de Longecourt, très précisément datables du printemps 1495. Ces pavements, que l’on peut considérer comme le chaînon manquant entre la faïence du Moyen Âge et celle de la Renaissance, constituent l’une des plus précoces manifestations de l’influence de la Renaissance italienne en France : Antoine de Baissey, seigneur de Longecourt-en-Plaine, capitaine des mercenaires suisses lors de l’expédition de Charles VIII à Naples – la première campagne d’Italie –, a pu recruter un technicien italien maîtrisant la technologie de la faïence, et le faire travailler en France dans cet atelier proche de son château. Mais pourquoi l’atelier d’Aubigny-en-Plaine, qui n’avait pas un statut ducal, se serait-il vu confier autant de réalisations de premier plan sur près d’un siècle et demi ?
36En 1981, Matthieu Pinette32 dans le cadre de l’exposition du musée d’Autun sur les carreaux de pavage bourguignons mit en évidence l’importance du site du château de Germolles (Saône-et-Loire), à 10 km à l’ouest de Chalon-sur-Saône, l’une des demeures du duc et de la duchesse de Bourgogne, Philippe le Hardi, frère du roi Charles V, et de Marguerite de Flandre.
37Acquise en 1380 des sires de Germolles l’ancienne maison forte (XIIe-XIIIe siècles), allait être transformée par Marguerite en château de plaisance. Si les ailes sud, ouest et nord ont partiellement disparu – on y trouve cependant encore le châtelet d’entrée, le cellier, la grande salle d’apparat, la chapelle inférieure et la chapelle ducale –, l’organisation du corps de logis qui se déploie à l’est est restée quasiment intacte, avec son élévation sur trois niveaux hiérarchisés : le rez-de-chaussée réservé aux communs, le premier étage abritant les appartements de la famille ducale, le second étage à « galetas » ou chambres sous charpentes. La collection de carreaux de pavement en terre cuite recouverts d’une glaçure plombifère comprend plusieurs milliers de pièces, complètes ou fragmentaires. Environ 70 % de cet ensemble est constitué de carreaux monochromes, le reste se composant de carreaux à décor estampé et rempli d’un engobe clair. La plupart de ces éléments ont été découverts dans des remblais postérieurs au Moyen Âge et l’on a peu d’indications quant à leur positionnement sur le sol.
38La première question qui se pose à propos des carreaux de Germolles est celle de leur provenance. On possède sur ce point de nombreuses indications assez précises grâce aux comptabilités : une première livraison a lieu en 1386-1387 venant de la fabrique d’Argilly, une deuxième en 1387-1388 provenant de deux autres ateliers, ceux de Longchamp et de Montot, et enfin une dernière mentionnée en 1399-1400, provenant à nouveau de Montot. Chaque mention nous renseigne sur la quantité de carreaux livrés, le coût correspondant ou le mode de transport vers Germolles, par terre et par voie d’eau, nous livrant parfois le nom des tuiliers, voire des transporteurs, mais ne permettant pas d’établir de quel atelier précis provient tel ou tel type de carreau. Outre des carreaux monochromes noirs, bruns, jaunes, ou tirant parfois sur le vert, le corpus se compose de carreaux ornés, avec 28 décors différents repérés à ce jour, que l’on peut classer en quatre grandes catégories : les motifs ouverts (entrelacs, losanges…), les motifs destinés à des compositions circulaires en quatre carreaux (oiseaux dans les arbres, cerf…), les motifs en frise (scène de chasse…), et les motifs fermés (rose, marguerite, lion, chardon…).
39Récemment, un sondage mené dans la grande salle d’honneur, au premier étage, sous un dallage des XVIIe-XVIIIe siècles, a permis de retrouver des carreaux in situ figurant des chardons, placés côte à côte (fig. 13). Par ailleurs, le château a conservé dans la plupart des pièces du premier étage du corps de logis des peintures murales datant du XIVe siècle, œuvres de Jean de Beaumetz, peintre officiel du duc et de son épouse, et de son atelier. Dans deux salles, la garde-robe et la chambre de Marguerite de Bavière, belle-fille du couple ducal, sont visibles les initiales M et P pour Marguerite et Philippe, entre lesquelles s’inscrivent des chardons, fleurs évocatrices du lien et de la fidélité conjugale. On peut envisager que le sol de cet appartement, dont on sait qu’il présentait des plafonds également ornés de ce même poncif, était recouvert de carreaux figurant des chardons. De même, la garde-robe présumée de la duchesse de Bourgogne, sur les murs de laquelle alternent des P et des marguerites, ainsi que la garde-robe présumée du duc, ornée de roses, pouvaient avoir leur sol couvert de carreaux figurant respectivement des marguerites et des roses.
40Les carreaux de Germolles jouent un rôle déterminant dans la conception emblématique du lieu. Si pour certains d’entre eux l’interprétation est assez évidente, tels ceux ornés d’une marguerite – allusion parlante à la maîtresse de céans –, ou d’une rose – la duchesse possédait à Germolles une immense roseraie et observait une dévotion particulière en faveur de la Vierge Marie, dont cette fleur est justement le symbole –, d’autres sont plus complexes. Le carreau figurant saint Georges combattant le dragon correspond sans doute à une dévotion du couple ducal, mais suggère surtout l’idéal de croisade, Philippe le Hardi ayant participé au renouveau de cette tradition chevaleresque en organisant une croisade. Le saint guerrier qui terrasse le dragon symbolise la victoire sur l’hérésie et le triomphe sur le diable. De même, des carreaux figurant une Roue de la Fortune ont été mis au jour. On y voit, en lieu et place de l’habituelle déesse Fortuna, un personnage couronné, roi ou duc, maintenant fermement la roue et donc maîtrisant le destin (fig. 14). Le message politique, exprimant la prééminence des princes, est éloquent.
41Enfin un autre motif, réalisé spécialement pour Germolles, souligne la valeur particulière que la duchesse avait voulu conférer à sa demeure aux champs, près de laquelle elle avait fait installer une bergerie modèle. Plusieurs carreaux représentent justement un ou deux moutons sous un arbre (fig. 15) : ces décors font écho à un groupe sculpté monumental, aujourd’hui disparu, qui se dressait jadis dans la cour, œuvre de Claus Sluter, et qui figurait grandeur nature la duchesse et son époux, debout sous un orme et entourés de moutons. C’est donc en princesse bergère que la duchesse accueillait ses hôtes. Dans un temps où le berger incarne, héritage de la tradition bucolique antique, l’idéal du bonheur humain – n’est-il pas, en vivant au sein de la Nature, seul vrai trésor, le véritable homme riche et heureux ? –, Marguerite de Flandre entend investir ce rôle, du moins symboliquement et poétiquement. Ainsi, les carreaux de pavement, en développant une iconographie qui va au-delà du simple décor, participent-ils pleinement à l’univers emblématique du lieu33.
LES PAVEMENTS DES XVe ET XVIe SIÈCLES
42Un ensemble de carreaux à glaçure plombifère34 d’environ 10 m2, présente la particularité de comporter en son décor d’engobe une devise qui s’étend sur un groupe de quatre carreaux, et qui n’est véritablement lisible qu’à l’envers, reflété dans une glace : je /veulx/ et ne puis, avec le nom de pomaut (?) et la date de 1546 (fig. 16). Ce pavement est censé provenir de l’Yonne, sans que l’on ait pour le moment plus de renseignements à son sujet, et sa particularité reste énigmatique : s’agit-il, ce qui paraît peu probable, d’un accident dû à la réalisation d’une matrice d’après un modèle par un ouvrier illettré ? D’une devise cachée par son inscription à l’envers ? En Bourgogne, les pavements glaçurés bicolores perdurent largement jusqu’au XVIIe siècle, particularisme régional qui n’est pas sans intérêt si on le compare à la présence simultanée des toitures polychromes réalisées dans le même matériau35. L’une des dernières manifestations connues de ces beaux carreaux bicolores en Bourgogne est un pavement du château d’Ancy-le-Franc, posé au XVIIe siècle, et il en existe un autre à l’abbaye de Cîteaux, de la même époque, commandé par l’abbé Pierre Nivelle (1625-1635)36. Sur le plan publié du pavement conservé en place au Bishofshof de Bâle, se trouvent associées les deux techniques de glaçure, plombifère et stannifère, non seulement sur des carreaux séparés, mais également, ce qui semble être une caractéristique suisse, sur le même carreau, le plus important, celui qui porte les armoiries du commanditaire, l’évêque Rotberg (1451-1458)37. Les fouilles du château de Kagenfels, près d’Obernai, en Alsace38 ont révélé des fragments de carreaux de poêle en faïence au décor bleu sur fond blanc de motifs divers : rinceaux, fleurs, et un personnage portant épée droite au-dessus de la tête et chapeau en feutre. Des traces de glaçure plombifère verte au revers permettent de penser qu’il s’agit d’éléments de corniches ou de plinthes qui jouxtaient ainsi en lignes horizontales des carreaux à glaçure verte plus classiques composant les façades et couronnements d’un ou plusieurs poêles. En l’état actuel, on s’oriente vers une datation dans la deuxième moitié du XVe siècle, hypothèse renforcée par la découverte d’éléments comparables contemporains trouvés à Bern et Constance (fig. 17).
43Comme le montre cet exemple, la présence de carreaux en faïence stannifère au XVe siècle est un problème délicat qui reste à éclaircir, alors qu’on avait tendance à dater sa disparition provisoire au tout début du XVe siècle, après ses dernières manifestations chez les ducs Valois, en Berry et Bourgogne. D’autre part, avant la découverte des carreaux de Longecourt-en-Plaine, datés de 1495 (fig. 2), on pensait que sa renaissance ne se manifestait pas avant l’arrivée des faïenciers italiens à Lyon en 1512, et la réalisation des pavements de l’église de Brou, à Bourg-en-Bresse, datables des environs de 153039. Mais des découvertes récentes comme celle de Kagenfels nous apportent la preuve que la glaçure stannifère, en technique mixte tout au moins, a été utilisée au XVe siècle dans des sites probablement divers, notamment autour de l’Alsace et de la Suisse. Une autre preuve en est donnée par une découverte récente : le poêle de la ville suisse de Fribourg avec ses armoiries, datable de la fin du XVe ou du tout début du XVIe siècle, aujourd’hui conservé au musée de la ville. Retrouvé complètement démonté sous un plancher par l’archéologue Gilles Bourgarel, il associe les deux techniques, avec une majorité de carreaux à glaçure plombifère verte, la glaçure stannifère étant exclusivement réservée aux armoiries de la ville, émaillées blanc, et aux personnages visibles entre les créneaux, peints en bleu sur fond blanc dans des postures gaillardes40 (fig. 18). Ainsi si la glaçure plombifère se maintient dans les pavements jusqu’à une date avancée, il en fut de même au XVe siècle pour la glaçure stannifère, apparue au XIIIe siècle.
44Le Florentin Girolamo della Robbia, le « père de la faïence française », selon l’historiographie, venu de Florence en France dès 1518 pour y réaliser des « œuvres » de faïence, est de nouveau attesté sur le chantier du château de Madrid au bois de Boulogne vers 1528, ce qui a longtemps fait croire qu’il avait enseigné la faïence aux Français. Récemment ont été retrouvées au musée Carnavalet deux caisses de revêtements de faïence architecturale du château de Madrid, dont les analyses physicochimiques permettront peut-être d’appréhender la nature de la faïence de Girolamo della Robbia, et de déterminer si les deux carreaux conservés au musée national de Sèvres – Cité de la Céramique, proviennent également du château de Madrid41. De meilleure qualité est la production de Masséot Abaquesne, qu’on a gratifié de l’invention de sols sur de grandes surfaces, notamment au château d’Écouen et à La Bâtie d’Urfé, dans le Forez. Mais l’œuvre de Masséot Abaquesne (vers 1500-1564) n’est pas liée à celle de Girolamo della Robbia, mais bien aux ateliers anversois, des Italiens installés à Anvers depuis le début du XVIe siècle très productifs vers les années 1530. Vers 1535, le connétable Anne de Montmorency acquit pour son château de la Fère-en-Tardenois (Aisne) un pavement anversois acheminé par la Seine, depuis Rouen, puis par l’Aisne. Et c’est bien à Rouen que Masséot Abaquesne a eu l’idée de créer un atelier, qui produisit les mêmes types de carreaux de pavement – numérotés au revers ce qui en facilite la pose à Écouen ou à la Bâtie d’Urfé – et de vases en pharmacie42. Abaquesne apparaît ainsi comme un grand producteur de carreaux de faïence entre 1542, date du pavement d’Écouen, et 1557, date de la Bâtie d’Urfé. On a longtemps assimilé à son œuvre deux pavements quasi champenois : celui de la chapelle Sainte-Croix de la cathédrale de Langres qui présente la particularité, comme à la Bâtie d’Urfé, de refléter le décor de la voûte, et le pavement du château de Polisy, daté de 1545, peut-être initialement prévu pour un édifice religieux. Ce pavement, connu par une gravure du XIXe siècle, démonté dans les années 1970, se compose de 1 584 carreaux totalisant une surface de 28 m². Récemment réapparu sur le marché de l’art et classé « trésor national », il a été acquis par l’État, et a intégré les collections du musée national de la Renaissance, à Écouen, où il est présenté depuis 2009 (fig. 19). On a pu ainsi en examiner ces carreaux qui, techniquement et stylistiquement, ne sont pas de Masséot Abaquesne, mais attribuables à un atelier champenois, intervenant à Polisy et à Langres.
LE RÔLE DES COMMANDITAIRES
45Une source bourguignonne de 1412, évoque la fabrication d’un moule en bois pour faire les carreaux « à l’image du rabot et de la marguerite, selon le commandement du duc et de la duchesse », indication précieuse sur l’utilisation du bois pour confectionner les matrices, et l’intervention des commanditaires dans le choix des emblèmes. À la Fère-en-Tardenois, le connétable de Montmorency achète un pavement déjà réalisé identique à celui de l’abbaye d’Herckenrode de 1532, et fait simplement fabriquer quelques carreaux supplémentaires décorés de ses propres armoiries. Trois schémas peuvent donc exister : l’atelier fournit un sol déjà prêt ; l’atelier complète le pavement avec quelques ajouts ponctuels demandés par le commanditaire ; l’atelier enfin fabrique un pavement selon les critères fournis par le commanditaire, le modèle pouvant aussi bien être fourni par un artiste totalement extérieur à l’atelier de faïence. Au château d’Hesdin, les artisans montrèrent des exemplaires « pains et jolis » au duc Bourgogne, réalisés a [son] plaisir. Des artistes de renom ont pu apporter leur contribution dans la réalisation de ces carreaux : au château d’Hesdin, la commande de carreaux à Jehan Le Voleur, artisan venu d’Espagne, cité au même titre que Jan Van Eyck, de « varlet de chambre et paintre de Monseigneur le duc », fut faite « par l’ordonnance de notre amé vallet de chambre et paintre Melcior Brœderleim », auteur du retable de Dijon.
LES PAVEMENTS DANS LE CONTEXTE MONUMENTAL
46À Suscinio, les parois latérales de l’autel étaient revêtues d’un enduit peint de motifs très proches de ceux des carreaux du sol, assurant ainsi une prolongation visuelle de la surface carrelée, mais les carreaux muraux en faïence ne sont guère attestés avant le XVIIe siècle et l’arrivée des faïences de Delft, rapidement supplantées par celles de Rotterdam et de la Hollande du sud au XVIIIe siècle. Néanmoins dans la production de Bernard Palissy existent des carreaux de terre mêlée voulant imiter des effets de marbre, manifestement destinés à des décors de mur. À Saint Julien de Brioude, dans le bâtiment du doyenné, un décor héraldique peint sur les murs et le plafond était complété par un pavement de faïence aujourd’hui démonté, mais qui a pu être daté avec précision de 1284-1285, ce qui permet de le situer parmi les prototypes de la faïence française. Il y a là un exemple caractéristique de la correspondance entre le décor héraldique d’une seule famille, au sol, et celui des familles alliées, en haut des murs et au plafond. Le dessin du programme en stuc de la chapelle de la Bâtie d’Urfé a été donné par un artiste italien à Claude d’Urfé à Rome, qui l’a certainement envoyé à ses stucateurs à La Bâtie d’Urfé et à l’atelier de Masséot Abaquesne, afin que la composition du sol reflète celle de la voûte.
LES PAVEMENTS, MARQUEURS DE POUVOIR, DE HIÉRARCHIE, DE PASSAGES
47À Paray-le-Monial, prieuré clunisien de Saône-et-Loire, des fouilles réalisées à la fin des années 1990 ont permis de retrouver un pavement en place, posé dans le deuxième quart du XIIIe siècle. Magali Orgeur a constaté que le choix des techniques et des décors montre bien la volonté d’y matérialiser des passages, de traduire des hiérarchies. Ainsi, la nef est entièrement couverte de carreaux plombifères monochromes qui forment des assemblages de mosaïque en bandes, toutes orientées ouest-est, à l’exception de deux d’entre elles, qui le sont nord-sud. Elles partent d’une porte, aujourd’hui murée, mais qui était la porte d’accès des moines leur permettant de se rendre dans le cloître. Un motif de chevrons détermine une sorte de parcours fléché conduisant à la première travée de la nef. Se trouve ainsi souligné un sens de circulation conduisant à un autel qui, au XVIIe siècle encore, était dédié à la Vierge. Globalement, le relevé du pavement souligne de façon évidente une hiérarchisation des espaces, matérialisant au sol un chemin qui permettait aux moines d’entrer, d’accéder au chœur et de repartir ensuite vers le cloître. Voulu par le commanditaire, il servait aux processions et avait une valeur liturgique. Or, les fouilles réalisées après la dépose du pavement ont permis de retrouver des inhumations plus récentes, qui en soulignent exactement le tracé. Ce cheminement faisait donc encore sens au XVIIe siècle, car on y note des reprises de carrelages effectuées entre le XVe et le XVIIe siècles, comme si on avait eu la volonté de le sauvegarder. Le choix des couleurs participe encore de cette volonté de hiérarchiser les espaces : au bas-côté nord et dans la nef, espaces partagés par les laïcs et les moines, la couleur noire domine. Inversement, dans la partie exclusivement réservée aux moines, on utilise des carreaux bicolores, à la technique plus novatrice. Peut-être ce choix de carreaux à dominante plus claire procède-t-il du fait que, plus fragiles, ils ont été réservés à des passages empruntés par les seuls moines. À Reims, une même disposition existe dans une maison canoniale, avec les chevrons et le plan en bandes, à la différence près qu’au niveau des chevrons, carreaux unis et carreaux bicolores alternent.
48Les carreaux les plus précieux se trouvent souvent au niveau de la marche d’autel, endroit privilégié dans l’espace religieux, ainsi la tête d’homme de Suscinio, visiblement une marche d’autel, puisque la cassure montre qu’il formait un angle droit avec contremarche43. Ce motif est très proche par le dessin de celui qui figure sur un carreau de faïence des Jacobins de Toulouse, datable de la fin du XIIIe siècle44. Un autre exemple se trouve dans l’oratoire ducal de la Chartreuse de Champmol, où tous les carreaux de sol sont glaçurés bicolores, alors que la faïence n’est utilisée que sur la marche d’autel, et uniquement pour représenter les armoiries de Bourgogne et de Flandre45 et pour le XVIe siècle, on pensera au pavement de la chapelle de la Bâtie d’Urfé, conservé au musée du Louvre, lui aussi marche d’autel.
Notes de bas de page
1 Amouric Henri, Demians d’Archimbaud Gabrielle, Thiriot Jacques, Vallauri Lucy, Petits carrés d’histoire : pavements et revêtements muraux dans le midi méditerranéen du Moyen Âge à l’époque moderne, Catalogue d’exposition, Avignon-Palais des Papes, 1995.
2 Pinette Matthieu, Les carreaux de pavage dans la Bourgogne médiévale, catalogue d’exposition, Autun, Musée Rolin, 1981.
3 Norton Christopher, A Study of the 12th and 13th Century Decorated Tile Pavements in France and Related Material in England, thèse de doctorat, Université de Cambridge, 1983.
4 Derœux Didier (dir.), Terres cuites architecturales au Moyen Âge, Mémoires de la Commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, Arras, t. XXII, 1986.
5 Norton C., Carreaux de pavement du Moyen Âge et de la Renaissance. Collections du musée Carnavalet, Paris, 1992.
6 Amouric et al., Petits carrés d’histoire…, op. cit.
7 Norton C., « Medieval Tin-Glazed Painted Tiles in North-West Europe », Medieval Archaeology, t. XXVIII, 1984, p. 133-72.
8 Bentz Bruno (dir.), Châteaux de faïence, XIVe-XVIIIe siècle, catalogue de l’exposition, Marly-le-Roi, éd. Musée-Promenade de Marly-le-Roi/Louveciennes, 1993.
9 Rosen Jean et Crépin-Leblond Thierry (dir.), Images du pouvoir : les pavements de faïence en France du XIIIe au XVIIe siècle, catalogue d’exposition, Musée de Brou, Bourg-en-Bresse, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2000.
10 Rosen J., La Faïence française du XIIIe au XVIIIe siècle, « Dossier de l’art », no 70, Dijon, éd. Faton, 2000.
11 Amouric Henri, Vallauri Lucy, Vayssettes Jean-Louis, Intimités de faïence. Carreaux de pavements et revêtements muraux en Languedoc et Provence XVIe-XVIIIe siècles, catalogue d’exposition au Musée des tapisseries, ville d’Aix-en-Provence-MMSH, 2004.
12 Garrigou-Grandchamp Pierre, Les Carreaux de pavement au Moyen Âge. Bibliographie des carreaux de pavement en terre cuite (XIIe-XVe siècles), en ligne: http://www.societes-savantes-toulouse.asso.fr/samf/grmaison/themrech/carro01.htm.
13 Chapelot Jean (dir.), Terres cuites architecturales médiévales et modernes, CRAHM, Caen, 2009.
14 Lamadon-Barrère Sophie, « Les pavements à incrustation de la France du Nord (XIIe-XIVe siècle) : mise en œuvre et place dans le décor de l ´ édifice religieux », thèse de doctorat, Lille III, 2009.
15 Les récents travaux de Lætitia Métreau tendent à montrer qu’à Suscinio, même dans un contexte d’expérimentation et avec des terres peu appropriées, les carreaux faïencés ont subi deux cuissons.
16 André Patrick, Les pavements médiévaux du château de Suscinio, Vannes, Conseil général du Morbihan, 2001, réédition 2003, 61 p.
17 André P., « Les pavements médiévaux du manoir épiscopal de Vannes-Conleau (Morbihan) », Bulletin et mémoires de la société polymathique du Morbihan, t. CXXVII, 2001, p. 47-61.
18 Berriot C. et André P., « Les pavements médiévaux du château de Carnoët en Quimperlé », Société d’histoire et archéologie du pays de Lorient, t. 30, 2001-2002, p. 73-84.
19 Norton Christopher, « Thirteenth-Century Tile Pavements in Anjou », dans Mc Neill J. & Prigent D. (dir.), Anjou Medieval Art, Architecture and Archaeology, British Archaeological Association Conference Transactions, 26, Leeds, 2003, p. 210-234.
20 Mongellaz Jacqueline, « Les carreaux de pavement mosaïcaux du château de Saumur », dans Le château et la citadelle de Saumur. Architectures du pouvoir, Litoux Emmanuel et Cron Éric (dir.), Supplément au Bulletin monumental no 3, 2010, p. 91-107. « En optant pour des sols de type mosaïcal, [remplacés alors depuis près d’un siècle par les carreaux carrés estampés bicolores], Louis Ier prit une option techniquement compliquée et très onéreuse », voulant sans doute se rattacher à la tradition prestigieuse des édifices religieux de la région. « Le nombre minimal de moules dépasse largement la centaine […]. Néanmoins, la publication exhaustive des pavements du château de Saumur reste à venir » (Mongellaz J., op. cit., p. 101-107).
21 Par Nathalie Huet, Physicienne, directrice du laboratoire Arc’Antique, à Nantes, en 2007, aujourd’hui à la DRASSM, à Marseille.
22 Les seules possibilités de datation des terres cuites sont celles qu’offrent la thermoluminescence et l’archéomagnétisme, dont la mise en œuvre et l’efficacité nécessitent des conditions très particulières.
23 Archéologue, service d’archéologie du conseil général du Calvados.
24 Coulthard Nicola et Delacampagne Florence, Pavés et plates-tombes, Collection de la Société des Antiquaires de Normandie, Caen, Conseil général du Calvados, Cahier des Annales de Normandie, 27, 1995.
25 Coulthard N., Delacampagne F., Hincker V. et Savary Xavier, Les pavés de l’abbaye de Saint-Evroult (Orne), dans Terres cuites architecturales médiévales et modernes en Île-de-France et dans les régions voisines, textes réunis par Chapelot Jean, Chapelot Odette et Rieth Bénédicte, Caen, publications du CRAHM, 2009, p. 267-281.
26 Les travaux ont été conduits par Alain Tridant, archéologue à partir de 1967.
27 Tridant Alain, Les Carreaux de pavement de la forteresse médiévale de Blanquefort (Gironde), Blanquefort, publications du G.A.H.BLE, 2005.
28 Raffaillac-Desfosse Claire, Céramiques glaçurées médiévales : recherche de données physiques sur les techniques de fabrication et sur l’altération, thèse de doctorat de troisième cycle, Université Michel de Montaigne de Bordeaux 3, 1994.
29 Productions, techniques de fabrication et modes de diffusion des carreaux décorés de la vallée de la Garonne (XIIIe-XIV siècles), Thèse université Michel de Montaigne Bordeaux 3 en 2010, 580 p. + CD Rom.
30 Docteur en physique de l’université de Toulouse, 2010.
31 Il y a lieu de rendre ici un hommage à Odette Chapelot, décédée en 2011, remarquable chercheur, auteur de nombreuses publications de référence sur l’économie des carreaux de pavement médiévaux.
32 Conservateur en chef du patrimoine, résidant au château de Germolles (Saône-et-Loire).
33 Beck Patrice, Vie de cour en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, Saint-Cyr-sur-Loire, éd. Alan Sutton, 2002, et L’art à la cour de Bourgogne. Le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur. Les princes des fleurs de lis, catalogue d’exposition musée des Beaux-Arts de Dijon–The Cleveland Museum of Art, Paris, Réunions des Musées Nationaux, 2004.
34 Entrevu chez un antiquaire avant d’être remonté chez un particulier pour orner un devant de cheminée.
35 Thèse de Catherine Baradel-Vallet soutenue en 2008 à l’université de Bourgogne, à paraître aux éditions Faton à Dijon.
36 Voir Pinette M., Les Carreaux de pavage…, op. cit., p. 35 et pl. V, no 36 à 38.
37 Voir Rosen J. et Crépin-Leblond T., Images du pouvoir…, op. cit., p. 95-97.
38 Mathias Heissler, architecte du patrimoine, Direction des archives, du patrimoine et de la mémoire, Conseil général du Bas-Rhin.
39 Rosen J., La Faïence française…, op. cit., p. 32-35.
40 Bourgarel Gilles, « La Grand-Rue 10 : précieux témoin de l’histoire d’une ville », Cahiers de l’archéologie fribourgeoise no 9, 2007.
41 Voir Rosen J., La Faïence française…, op. cit., fig. 41, p. 31.
42 Cette hypothèse s’est récemment trouvée confirmée lors d’une fouille réalisée à Évreux : un ensemble archéologique de vases de pharmacie de Masséot Abaquesne, dont un exemplaire est signé, comprend également une chevrette en faïence d’Anvers (communication de B. Guillot, P. Calderoni et E. Lecler-Huby au colloque de Sens 2010, à paraître).
43 André P., Les Pavements médiévaux…, op. cit., p. 49.
44 Rosen J., La Faïence française…, op. cit., fig. 10, p. 10.
45 Ibid., p. 16-17.
Auteur
Directeur de recherche émérite CNRS. ARTeHIS, UMR 6298. Université de Dijon
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