La restauration des toitures du château de Suscinio1
p. 25-38
Texte intégral
RAPPEL HISTORIQUE
1Édifié par les ducs de Bretagne sur la presqu’île de Rhuys, le château de Suscinio se dresse au bord de l’Océan. Sa construction débute au début du XIIIe siècle à l’initiative de Pierre de Dreux. De cette période peut dater le « vieux logis » ou « vieux donjon » sur l’angle sud-ouest du logis ouest (fig. 1 et 2). Son fils, Jean Ier, et son petit-fils Jean II en font leur principale résidence et continuent les travaux jusqu’au début du XIVe siècle. Après les diverses fortunes que connut le château au cours de la guerre de Succession de Bretagne, celui-ci fut rendu en 1381 au duc Jean IV qui le restaura et construisit le logis est ; son fils Jean V entreprit, dans une grande campagne de travaux, la construction du logis ouest et de la tour Neuve qui le flanque au nord-ouest et dont le premier niveau est constitué d’une casemate d’artillerie (fig. 10). Au cours du XVIe siècle furent apportées à ce logis des modifications que l’on perçoit, entre autres, dans les reprises en façade nord ou dans la cheminée dont la facture est différente des autres. Confisqué en 1520 par François Ier, le château fut délaissé et pratiquement inoccupé jusqu’à la Révolution, sauf en 1589 par le duc de Mercœur, chef de la Ligue en Bretagne, qui y adjoignit deux bastions (fig. 1 et 3). Le château a été progressivement abandonné au XVIIIe siècle. L’examen du chartrier d’Uzès confirme l’état de vétusté des toitures en 1777, tout en donnant une idée très précise du type de charpente et de ses dimensions. En l’an IV, le château fut vendu comme bien d’émigré. Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques visita les ruines en 1835 et obtint son classement sur la première liste des Monuments historiques en 1840. Cette belle ruine est alors visitée pour son caractère romantique dont les gravures pittoresques rendent compte.
2Avec l’acquisition de l’ensemble du château de Suscinio par le Conseil général du Morbihan en 1965, commence une campagne importante de restauration sous la direction de René Lisch, architecte en chef des Monuments historiques. Cette intervention a permis de consolider les ruines, de remonter des escaliers, de restituer aux baies leurs traverses et meneaux, de recréer un pignon de lucarne en partie sud de la façade ouest du logis est, de refaire le pont d’accès au-dessus des douves recreusées et remises en eau. René Lisch proposa alors la restitution des toitures, projet qui ne sera pas réalisé. À la demande du Conseil général, et pour répondre à une fréquentation touristique toujours plus importante, la restauration de l’aile est du château avec la remise en place de planchers fut décidée en 1978 pour créer un musée permettant de présenter les pavements médiévaux en terre cuite vernissée découverts en 1975 à l’emplacement de l’ancienne chapelle, à l’extérieur de l’enceinte du château.
3Les projets d’Hervé Baptiste, architecte en chef des Monuments historiques, proposaient deux modes de couvertures du logis est : une qui reprenait la silhouette des couvertures originelles, l’autre avec des toitures terrasses qui permettait de conserver l’aspect des ruines. La délégation permanente de la Commission supérieure des Monuments historiques, en date du 13 février 1978, vota pour le projet de restitution des couvertures et demanda un examen en séance plénière. Celle-ci réunie le 24 avril 1978, infirma ce choix et retint la solution des toitures terrasses plus respectueuse de ces ruines qui avaient séduit Prosper Mérimée et entraîné le classement du château. Elle suivait ainsi les principes de la charte de Venise. Cette dernière proposition a été réalisée et a permis la revitalisation de l’aile est du château où le musée est aujourd’hui implanté. La différence d’écriture architecturale entre le traitement des terrasses et des planchers en béton armé et les détails de remplissage des baies d’un dessin traditionnel est toutefois apparu rapidement contradictoire : l’une permettant de conserver l’aspect des ruines, l’autre étant un élément de restitution de l’image du château ancien habité. Cette contradiction était renforcée par l’introduction d’une activité humaine sédentaire dans un lieu qui par nature est ouvert aux intempéries et à la prolifération de la végétation.
4En 1987, un nouveau projet présenté par Hervé Baptiste pour le logis ouest reprenait le même principe de couverture avec des toitures terrasses. Ce projet n’a pas été réalisé. En 1989, Le Conseil général demandait un projet d’extension de musée en utilisant le corps de logis ouest. Ce projet remis en juillet 1990, reprenait le parti retenu en 1978 par la Commission supérieure des Monuments historiques pour le corps de logis est, avec pour différence :
la nature des planchers que la découverte de nouvelles archives a permis de restituer à l’identique des dispositions du XVIe siècle (à grands soliveaux passants) ;
une toiture plate, légère et réversible en métal.
5Parallèlement à ce projet, il nous était demandé de procéder à une étude préalable à l’éventuelle restitution des couvertures. L’objet de l’étude, une décennie après la mise en œuvre des toitures terrasses du logis est, était de tirer les enseignements de ces premiers travaux et d’analyser les documents d’archives, de relever et d’interpréter les traces encore visibles sur le monument et, dans un souci de cohérence d’écriture architecturale, de débattre des différentes hypothèses permettant de proposer un ensemble de couvertures appropriées pour le château de Suscinio.
ANALYSE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DES COUVERTURES DU LOGIS EST
6L’abandon du château de Suscinio dès le milieu du XVIe siècle nous permettait de découvrir un monument qui avait subi peu de modification depuis cette époque à l’exception des dégradations dues au temps et à l’absence d’entretien.
7Les archives redécouvertes par l’historien du patrimoine Gérard Danet (extraits du chartrier d’Uzès du 3 janvier 1684 au 14 novembre 1823) donnaient une description précise du monument. Les témoins archéologiques relevés sur le bâtiment, complétés par ces descriptions, nous permettaient de restituer sans risque d’erreur les dispositions de couvertures telles qu’elles pouvaient avoir existé.
8Ainsi, les rapports du 3 février 1699, du 31 janvier et 9 février 1779 attestent que les couvertures du château étaient en ardoises posées aux clous :
[…] Jan Baptiste Gatinet couvreur d’ardoises estant du presant au chateau de Suscinio pour parachever la couverture diceluy […] de plus de vaingts milliers d’ardoise a neuf.
9Une couverture en ardoises était parfaitement compatible avec les pentes de couverture. D’autre part, des fragments d’ardoises avaient été découverts dans les douves. Un examen attentif des témoins archéologiques recoupant les sources d’archives permettait de procéder à une reconstitution graphique des toitures du château (fig. 4 et 5).
Le corps de logis est
10Les pignons en place, avec les réservations pour les chevrons, les réservations pour les jambages des arbalétriers au droit des maçonneries du pignon de refend, les traces de solin des couvertures sur les conduits des cheminées, donnaient avec précision la silhouette des couvertures en ardoise de cette partie et le profil exact de la charpente.
11La lucarne reconstruite sous la direction de René Lisch est une interprétation possible et conforme à la typologie des lucarnes contemporaines de la région dans ce type d’édifice ; en l’absence de documents permettant une restitution fidèle des autres lucarnes de cette même façade, un dessin de lucarne identique à celle-ci a été proposé à l’emplacement des traces de baies encore visibles sur le mur ouest de la salle nord. La partie inférieure des ébrasements de ces baies attestait du caractère maçonné des lucarnes.
12Le pignon nord présentait côté est une amorce de chevronnière. Cette extrémité de chevronnière permettait de confirmer la silhouette originale du pignon nord avec un dessin similaire aux chevronnières encore en place sur le pignon sud. Les traces de solins visibles en façade nord du pignon nord attestaient que les bâtiments qui venaient s’y appuyer étaient situés au-dessous du chemin de ronde et confirmaient que le pignon nord limitait bien le corps de logis est.
Le chemin de ronde du pignon sud
13Les traces horizontales de solin de faîtage sur le pignon sud, les pierres en encorbellement qui supportaient la panne faîtière, les réservations pour l’ancrage des sous-entraits dans la maçonnerie du pignon sud, et les traces de solin de rive au droit de la tour des Salines permettaient de dessiner avec précision la silhouette de cette couverture traitée en appentis sur le pignon sud (fig. 6). La pente de cette couverture est de 47°. La maçonnerie située au-dessus des mâchicoulis remontée en moellons lors de la restauration à des fins de garde-corps n’a pas permis de conserver les traces des ouvertures qui éclairaient le chemin de ronde, l’ouverture d’une baie à meneaux et traverses donnant sur ce chemin de ronde couvert restant sans explication.
La tour des Salines
14Le procès-verbal du 11 mars 1779 (extrait du chartrier d’Uzès) relatif à la visite des bâtiments et dépendances du domaine de Rhuys indiquait que la tour des Salines présentait une forme pyramidale de base hexagonale. Une photographie datée de 1966, antérieure aux travaux de restauration, montre sur la face nord du conduit de cheminée le plus à l’est de la tour des Salines une trace de solin de couverture. La pente de ce solin est proche de 36° (fig. 7). La maçonnerie du conduit de cheminée ne présentait aucune trace d’arrachement qui laisserait supposer l’édification d’un mur d’enceinte en retrait du chemin de ronde. Ces deux éléments indiquaient que la tour et son chemin de ronde étaient couverts, reprenant ainsi les dispositions utilisées ailleurs dans le château.
15La tour de plan cylindrique extérieurement et de plan hexagonal à l’intérieur a sa couverture composée de deux parties : celle couvrant la partie centrale de forme pyramidale à base hexagonale avec une pente supérieure à 60°, celle couvrant le chemin de ronde en tronc de cône présentant une pente voisine de 36° (pente du solin relevé sur la façade Nord de la cheminée située le plus à l’Est). La couverture conique du chemin de ronde vient chevaucher la charpente de la couverture centrale pyramidale au milieu des facettes de cette pyramide pour rattraper la différence de pente entre les facettes (pente de 68°) et les arêtiers (pente de 65°).
16Les pierres en encorbellement de la façade ouest de la tour permettaient de supposer que la clôture du couronnement de la tour était assurée par un pan de charpente vertical servant de base au versant occidental de la couverture pyramidale du noyau central. Ce pan de bois était couvert soit par de l’ardoise naturelle, soit par un bardage de bois. Les maçonneries au droit des mâchicoulis ont été remontées dans les années 1960 en pierres de taille de granit sur une hauteur de 1,20 m pour servir de garde-corps. Ces maçonneries étaient initialement en moellons de granit.
La tour de la chapelle Saint-Nicolas
17La tour des Salines et la tour Saint-Nicolas, situées de part et d’autre de l’entrée principale de la façade est, présentent un même volume cylindrique tronqué du côté ouest et une hauteur voisine. En l’absence de document permettant de restituer l’exacte couverture de la tour Saint-Nicolas, le dessin de sa couverture pouvait être établi à partir des mêmes critères.
Le chemin de ronde situé au-dessus de l’entrée
18Le procès-verbal du 11 mars 1779 (extrait du chartrier d’Uzès) indique que la couverture du chemin de ronde au-dessus de l’entrée est située dans le prolongement de celle du corps de logis. Le relevé de cette partie permettait de connaître la forme de cette couverture en tenant compte de la hauteur de passage nécessaire au droit des mâchicoulis (fig. 8).
19La sablière de la charpente du corps de logis donnait le point haut de la couverture du chemin de ronde. La faible largeur du chemin de ronde permettait de supposer que sa charpente était constituée par des chevrons reposant sur la sablière haute et la sablière basse, celle-ci formant les linteaux des ouvertures situées au-dessus des mâchicoulis. La maçonnerie en pierres de taille réalisée lors de la restauration des années 1960 pour servir de garde-corps n’est pas conforme aux dispositions anciennes observées sur les photographies anciennes qui montrent des maçonneries composées de moellons de granit.
La tour de l’Épervier
20Les traces de solin de la besace relevées sur le conduit de cheminée en façade ouest, complétées par celles de la façade nord du même conduit, indiquaient que la tour était couverte en totalité et que la pente de couverture au-dessus du chemin de ronde était de 36° au droit du conduit de cheminée. Compte tenu du volume cylindrique de la tour, sa couverture était conique ; le cône central avait, par analogie aux autres couvertures des tours, une pente supérieure à 60°.
21Les différentes ouvertures existantes dans les maçonneries en moellons réalisées au-dessus des mâchicoulis témoignaient de la disposition ancienne. Ces baies dont les encadrements étaient en pierres de taille présentaient des linteaux en pierres et étaient situées à des hauteurs différentes.
ANALYSE HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE DES COUVERTURES DE L’AILE OUEST
22Le matériau de couverture, comme pour l’ensemble du château, était l’ardoise posée aux clous (voir les rapports du 3 février 1699, du 31 janvier et 9 février 1779, extraits du chartrier d’Uzès).
Corps de logis ouest
23Les pignons encore en place et l’analyse de différentes traces de solin de couverture sur les cheminées permettaient d’établir un dessin précis des couvertures du corps principal de bâtiment, le tracé de charpente reprenant exactement celui du pignon. En face nord du pignon sud, le tracé du lambris de charpente encore perceptible donnait la silhouette des cerces des chevrons formant fermes, les poutres du plancher composant les entraits de la charpente (fig. 9 et 10).
Chemin de ronde ouest
24Une réservation pour recevoir un arbalétrier était visible sur le versant ouest du pignon de refend sud. Le chemin de ronde avait une fonction de desserte pour cette partie du bâtiment. Ces deux observations indiquaient que la galerie Ouest était couverte en appentis. En prenant une hauteur utile de 1,80 m au droit des mâchicoulis, la pente de cette couverture était de 26°. Les maçonneries au droit des mâchicoulis forment garde-corps et ne donnaient aucune indication sur la hauteur de la sablière et sur la disposition des ouvertures du chemin de ronde.
Tourelle d’escalier de la façade
25Cette tour d’escalier à base hexagonale présentait une couverture pyramidale dont les faces par analogie aux autres tours avaient une pente supérieure à 60° (fig. 11). La charpente de cette couverture reposait sur les arases de maçonnerie à leur niveau attesté et sur la charpente du corps de logis pour permettre l’accès aux combles depuis la tour. Les traces de solin en façades nord et sud de 1’escalier indiquaient une rupture de pente avec coyau au droit du mur est du versant est de la couverture du corps de logis principal.
26Aucun témoin archéologique ou document d’archive ne permet d’imaginer la forme de la couverture de la tour dite le « donjon ».
La Tour Neuve
27Les traces de solin et réservations pour les éléments de charpente relevées sur la façade ouest du conduit de cheminée le plus au sud, indiquaient précisément que la pente de la couverture principale au droit de cette cheminée était de 60°. Une trace de poutre horizontale montrait que cette poutre était située à 1,87 m du niveau du sol du chemin de ronde actuel. Cet examen complété par l’absence de trace de maçonnerie autour de la partie centrale indiquait que cette tour et son chemin de ronde étaient couverts. La couverture était en deux parties : l’une pyramidale à base hexagonale au centre, l’autre en forme de tronc de cône au-dessus du chemin de ronde avec une pente voisine de 30°. Les facettes de la pyramide centrale présentaient une pente de 60° et les arêtiers une pente de 56°. Le dégagement de l’escalier d’accès à la tour neuve est suffisamment important pour ne pas nécessiter de surélévation de charpente en forme de tourelle ; il n’est cependant pas exclu de penser que celle-ci recevait un élément de toiture spécifique s’ajoutant à la verticalité de l’ensemble.
La salle nord
28Le pignon nord du logis ouest avait disparu (fig. 12). Son dessin était du même type que celui du pignon de refend nord encore en place et qui donne toutes indications de hauteur au faîtage et de pente de couverture. Le pignon nord sur son versant ouest venait s’appuyer sur les mâchicoulis est de la tour Neuve. L’absence de trace d’arrachement au niveau des maçonneries de cette partie indiquait que ce pignon nord a été construit après la tour Neuve, en étant simplement accolé à celle-ci. Les traces de solin de couverture sur la façade est de la Tour Neuve montraient l’existence d’une couverture dont le versant était perpendiculaire au faîtage de la couverture du corps de logis et qui venait reposer en partie haute sur la façade sud de la tour Neuve à l’intérieur de la salle nord. Le rapport du 28 janvier 1788 relatif au projet d’aménagement de grenier fait état de deux lucarnes existantes dans cette partie en façade est. Ces lucarnes étaient très vraisemblablement dans l’axe des ouvertures de l’étage inférieur. La reconstruction de la couverture de la salle nord était subordonnée à la restitution des maçonneries de l’étage inférieur qui avaient été arasées. Les traces d’enduit étaient visibles sur les niveaux bas de la partie nord à l’extérieur en façade est. Les fenêtres à meneaux et traverses surmontées d’un gable et le traitement en pierres de taille de granit de la partie supérieure constituaient des indications utiles pour reconstruire la maçonnerie manquante.
CONCLUSION
29Lors de sa première visite au château de Suscinio en 1835 Prosper Mérimée fut séduit par le caractère de ruines romantiques de l’ensemble du site. Il en demanda le classement au titre des Monuments historiques et obtint son inscription sur la liste de 1840. Aucune intervention sensible n’a eu lieu sur le château jusqu’au moment de son acquisition par le conseil général en 1965. Le souhait du nouveau maître d’ouvrage était de sauvegarder et d’utiliser cet ensemble patrimonial remarquable. La mise en place d’un musée pour accueillir les pavements médiévaux répondait à cette préoccupation. Les premières interventions de René Lisch dès 1965 permirent la consolidation de l’ensemble des ruines et la restitution d’un certain nombre d’éléments comme la lucarne en façade ouest du logis est. Ces travaux s’apparentèrent plus à de la restauration qu’à une simple consolidation et renforcèrent le maître d’ouvrage dans son souhait de proposer un usage de musée pour le bâtiment.
30La commission supérieure des Monuments historiques dans sa séance du 24 avril 1978 examina les projets d’Hervé Baptiste et retint le principe de couverture avec des toitures terrasses pour le logis est, après un débat très controversé. Jean Sonnier, architecte en chef et inspecteur général des Monuments historiques, confirma l’avis de la commission dans un courrier du 6 novembre 1978 tout en exprimant une opinion personnelle différente :
J’estime que cette solution est mauvaise et qu’elle aboutit à une mutilation du monument ; la fiction que ce château est une ruine ne résistera pas à la vision que l’on aura de lui lorsque les fenêtres seront en place et qu’il sera occupé.
31Cette prévision de Jean Sonnier était fondée. Les différents travaux de restauration et de restitution des planchers intervenus depuis 1965 avaient modifié profondément le monument. L’aspect de ruines tel qu’il pouvait exister avec la végétation, les équilibres précaires des maçonneries, le caractère abandonné, disparu pour laisser la place à un monument qui semblait arrêté dans une phase de restauration dans l’attente de la restitution de ses couvertures. L’activité du musée renforçait cette impression.
32Les traces archéologiques qui ont été sauvegardées lors des différentes interventions, complétées par des documents d’archives, permettaient, sans risques d’erreur, de proposer la restitution des couvertures anciennes et de redonner au château du Suscinio sa véritable image dans un projet architectural cohérent (fig. 13-14) :
les pignons de refend des corps de logis et l’interprétation des différentes traces archéologiques relevées sur ces maçonneries à travers les documents d’archives donnaient le tracé exact des couvertures ;
des travaux similaires réalisés pour les tours établissaient que celles-ci étaient couvertes et permettent de proposer un mode de couverture en harmonie avec celle des corps de logis à l’exception du « donjon » pour lequel nous n’avons trouvé aucun document susceptible de guider notre réflexion.
33En 1990, trois orientations étaient possibles pour traiter les couvertures du château de Suscinio :
la première consistait à poursuivre le parti d’aménagement retenu en 1978 (mise en œuvre du projet du logis est) et en 1990 (étude d’aménagement du logis ouest) par la Commission supérieure. Cette hypothèse conservait toutes les ambiguïtés d’écriture architecturale entre la sauvegarde de l’aspect de ruines et la restauration du monument, mais répondait aux besoins d’extension du musée ;
la seconde, sur la base de notre étude, qui permettait de redonner au château sa silhouette originale et de reposer sans ambiguïté les planchers traditionnels du logis ouest, offrait les salles nécessaires à l’extension du musée, résolvait les problèmes d’étanchéité liés à la mise en œuvre des toitures terrasses du logis est. Cette solution permettait de restituer un ensemble architectural cohérent. La mise en place des couvertures anciennes constituant l’achèvement de la campagne de restauration commencée en 1965 ;
la troisième solution consistait à retrouver l’état de ruines de 1965 en proposant des structures d’accueil muséographique différenciées des emprises des bâtiments dont l’écriture architecturale contemporaine ne mettrait pas en cause la lisibilité des ruines (cellules en acier, verre et autres matériaux, réalisées en retrait des façades ou à l’extérieur de l’enceinte du bâtiment). Cette solution, qui aurait pu être très intéressante, impliquait une dérestauration très importante qui la rendait peu réaliste compte tenu des travaux réalisés depuis 1965. Il aurait convenu en effet de déposer les planchers et terrasses ainsi que les menuiseries du logis est.
34Au regard de l’ensemble des documents d’archives et des traces archéologiques analysés, et compte tenu de l’importance des travaux de réhabilitation déjà effectués, il apparaissait que l’hypothèse proposant la restitution des couvertures originelles était la solution la mieux adaptée au château de Suscinio, à son rôle de représentation et à sa vocation touristique et muséographique.
35Ce projet a été accepté par la commission supérieure des Monuments historiques qui, à l’appui de la démarche scientifique, considéra que les travaux de restauration déjà réalisés étaient irréversibles et que seule la réfection des toitures permettrait de conserver durablement le château et les collections qu’il renferme, et de l’utiliser dans sa totalité. Le projet correspondant a été réalisé avec les calepins, sections, assemblages et matériaux les plus proches possible de ceux d’origine. Seule la partie nord du logis ouest et la galerie du pignon sud du logis est, ont été traitées en ossatures de bois pour marquer une certaine incertitude quant aux dispositions originelles. Les carrières d’ardoises locales retrouvées dans les douves n’étant plus exploitées, le matériau le plus proche de celui utilisé à l’origine fut le schiste des Monts d’Arrée. Une petite exploitation fut réactivée.
36La restauration des toitures du château de Suscinio n’a donc pas été une volonté d’emblée de restitution à l’instar du Pierrefonds de l’architecte Viollet-le-Duc, mais l’aboutissement d’une succession d’opérations partielles guidées par le respect des principes de conservation et de leur évolution dans les années 1960-1990 (fig. 15). L’adhésion des élus et du public a été totale si ce ne sont les très rares regrets de quelques personnes qui avaient fréquenté les ruines dans leur enfance. La reconquête du château de Suscinio n’est pas achevée. Le logis ouest attend ses planchers et ses fenêtres afin de développer les surfaces muséographiques. En outre, une réflexion sur l’environnement du château apparaît à terme nécessaire, environnement proche avec le traitement du site de la chapelle et la remise en situation du pavage exceptionnel qu’elle renfermait, environnement plus large afin de remettre en situation l’édifice par rapport à la mer avec laquelle il entretient un rapport très original dans le paysage des côtes de France.
Notes de bas de page
1 Remerciements à madame Karine Vincent, archéologue, responsable d’opérations au service départemental d’archéologie du Morbihan.
Auteur
Architecte en chef des Monuments historiques
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