Introduction
p. 283-284
Texte intégral
1Les échanges qu’a permis l’atelier « Systèmes d’information, patrimoine et mémoire » sont marqués par une richesse qu’on pourrait résumer par une forte tension entre deux tendances : d’un côté la diversité, non seulement des objets considérés, mais surtout des regards posés sur ces objets, de l’autre, la persistance à travers toutes les recherches d’une même volonté, celle de qualifier, par-delà tel dispositif – mais en prenant précisément en compte ce dernier – des pratiques et des enjeux sociaux et culturels. Le tissu (j’emploie à dessein ce terme choisi par les anciens pour désigner les œuvres) des petits objets et des grands projets en matière d’information fait tenir de multiples façons une certaine mémoire de la culture. Il est nécessaire à ce que Maurice Halbwachs nommait la « mémoire sociale »1 ; mais sa dimension technique ne suffit pas pour autant à définir le « don du patrimoine »2, ce geste paradoxal par lequel nous nous faisons héritiers de ce que le passé nous a laissé, quelquefois à son insu.
2C’est donc d’abord, dans les enquêtes présentées ici, toutes chargées d’empiricité et soucieuse de « traquer » des dispositifs, la question des relations qui se nouent qui sera centrale. Relations, si l’on veut, entre trois termes : cette « mémoire sociale » plus ou moins diffuse et disséminée, qui n’est pas seulement la mémoire partagée de tel groupe social ou professionnel constitué (par exemple les documentalistes ou les informaticiens) mais un composite3 étendu fait d’objets, de récits, de tours de main, d’habitudes intériorisées ; l’ensemble des systèmes d’information issus de l’histoire professionnelle des normes du faire, avec leurs propriétés d’ordre, de représentation, de langage ; enfin la perspective du sens de conserver (du patrimoine) qui, par-delà la combinaison de ces éléments, désigne une visée, convoque un espace tiers symbolique4, crée des valeurs et du lien. Pour tous les auteurs qui interviennent dans cette session, les systèmes d’information sont des instrumentalisations de pratiques jusque là diffuses et ils ne constituent qu’un composant, certes déterminant, de cet espace mémoriel dont la recherche s’emploie à qualifier la place, car elle relève d’une culture prétendant à se partager. En somme, il ne suffit pas qu’il y ait inscription pour qu’il y ait lien, qu’il y ait conservation pour qu’il y ait mémoire, qu’il y ait mémoire pour qu’il y ait institution.
3C’est dans cet espace de préoccupation partagé que se déploient donc les intérêts de connaissance différents, qui font la richesse du débat et qui expliquent que ce dernier, par-delà le caractère disparate des objets, engage des questions théoriques essentielles, à la croisée de l’exigence informationnelle et du procès communicationnel. Il serait audacieux de résumer ici la visée de ces recherches, mais on peut souligner que s’y manifeste un souci différent et complémentaire. Pour Gérard Regimbeau, le travail typologique permet d’élucider la pertinence d’une médiation informationnelle dans une problématique de l’usage. Pour Patrick Fraysse, il s’agit d’interroger la capacité d’une innovation technique et plastique à fomenter un déplacement créatif (dans le temps et l’espace). Pour Julien Tassel, l’analyse sémiotique des productions professionnelles permet de comprendre comment une certaine rhétorique se déploie dans l’instrumentalisation des pratiques documentaires. Pour Mehdi Gharsallah, est en jeu notre capacité à évaluer la façon dont les stratégies techniques configurent, par le traitement massif des traces, des décisions majeures mais invisibles qui affectent l’archive d’une société.
4Ces chercheurs portent chacun en eux des programmes de recherche très structurants, dont on percevra les différences à la lecture des textes. Leurs schèmes d’intelligibilité5 du social ne sont pas les mêmes. Mais tous se confrontent activement, et avec un sens de la nuance, à des objets qui résistent. Cette résistance est celle qu’autorise l’espace entre le caractère massif du travail de l’archive et l’hétérogénéité considérable des moyens que les hommes ont inventés pour la canaliser, pour conjurer les effets imprévisibles de sa dynamique.
Notes de bas de page
1 Il faut rappeler que la notion de « mémoire collective », souvent citée chez Halbwachs, suppose une mémoire plus diffuse et circulante entre les différents groupes d’une société, qu’il nomme « mémoire sociale ».
2 Davallon (J.), Le don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris : Hermès science publications, collection « Communication, médiation et construits sociaux », 2006.
3 Le Marec (J.), « Ce que le « terrain » fait aux concepts : vers une théorie des composites », Mémoire pour l’HDR, Paris 7, 2002.
4 Lamizet (B.), Les lieux de la communication, Liège, Mardaga, 1992.
5 Berthelot (J.-M.), L’intelligence du social, Paris : Puf, 1991.
Auteur
Professeur des Universités en sciences de l’information et de la communication
Groupe de recherche interdisciplinaire sur les processus d’information et de communication (Gripic, EA 1498), Université Paris IV (Celsa)
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Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume 2
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006
Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume I
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006