Enseigner l'histoire au temps de la IIe République espagnole
p. 251-264
Texte intégral
1Dans un numéro extraordinaire consacré par le quotidien El Pais à la dictature de Franco, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la mort du Caudillo, Felipe González soulignait la nécessité de "se souvenir dans un pays qui a la mémoire si fragile"1. Si l'oubli consensuel a été pour l'Espagne postfranquiste le gage d'une transition démocratique réussie2, la redécouverte récente d'ouvrages scolaires qui furent un des outils de la propagande nationaliste semble annoncer une nouvelle relation de l'Espagne avec son passé. Une des premières parutions, El florido pensil d'Andrés Sopeña Monsalve, publié en 1994, présentait sous la forme d'un florilège critique les maximes et éléments de doctrine de l'école franquiste3. Quelques années plus tard, vinrent d'autres reprints'. L'Enciclopedia Álvarez, Enciclopedia Dalmáu, entreprises où se mêlent, plus confusément, la réflexion sur le passé, l'exercice de mémoire et l'opportunisme commercial. Dans cette même lignée, mais s'en différenciant, cependant, par sa présentation et sa problématique, se situe l'ouvrage préfacé par Josep Fontana, Enseñar historia con una guerra civil por medio4, dans lequel l'historien espagnol met en regard deux manuels d'histoire de l'école primaire publiés l'un dans les débuts de la IIe République et l'autre en 1941 par l'Instituto de España. Cette publication offre donc la confrontation de deux conceptions de l'histoire situées dans deux contextes historiquement et idéologiquement opposés-le réformisme politique de la IIe République espagnole et l'autoritarisme de l'État nationaliste franquiste-et cherche à "retrouver la dimension la plus constructive de la IIe République espagnole"5, tout en se situant aussi dans le large débat sur les Sciences Humaines ("debate sobre las humanidades") qui agite l'Espagne de la fin du XXe siècle.
2L'étude qui suit s'inspire de la méthode comparative, mais, à la différence de Enseñar historia con una guerra civil por medio, se propose de confronter deux manuels publiés dans un contexte politique homogène-celui de la IIe République-et se fondera d'une part sur le manuel de González Linacero publié en 1933 et dont l'ouvrage de Fontana a permis la redécouverte6 et d'autre part, sur le manuel Historia de España. Primer grado d'Edelvives7. Il s'agira de montrer comment à travers ces deux manuels l'enseignement de l'histoire apparaît bien comme un enjeu politique. Le manuel de Linacero, d'une conception originale, comme nous le verrons, rejette l'histoire nationale pour proposer aux jeunes écoliers une histoire de l'humanité. En revanche, l'ouvrage d'Edelvives repose sur une vision nationale-voire nationalistede l'histoire dans une offensive nettement antirépublicaine alors que le gouvernement républicain, à la suite des élections de fin 1933, vient de basculer à droite. Dans le fond, ces deux manuels, reflets du contexte politique de l'époque, pourraient illustrer la problématique que l'on pourrait formuler ainsi en paraphrasant le titre de l'édition de Josep Fontana : "Comment enseigner l'histoire avec une république au milieu".
Mi primer libro de historia ou l'histoire autrement
3L'introduction à l'adresse des instituteurs ("A los maestros") révèle d'emblée les principales orientations de l'ouvrage quant à ses fondements non seulement pédagogiques, mais aussi idéologiques : il s'agit de "combler une évidente lacune dans l'enseignement de l'Histoire"8 (avec majuscule), en abandonnant une histoire événementielle faite de "batailles et de crimes", de "récits de règnes vides de sens historique", en se débarrassant de "cet insupportable et sot fatras de princes et de favoris"9 pour renouer avec la notion d'évolution historique au coeur de laquelle se trouve le peuple. Ainsi l'auteur précise qu'il ne faut pas oublier que "l'Histoire ce ne sont pas les personnages qui l'ont faite, mais le peuple tout entier et surtout le peuple travailleur, humble et endurant"10.
4Avant d'aborder l'application pratique et didactique de ces choix idéologiques, il faut rappeler comment ce manuel conçu par un instituteur licencié en histoire, directeur de l'Ecole Normale de Palencia et qui devait mourir fusillé en 193611 s'inscrit dans le projet politique et éducatif de la IIe République espagnole récemment proclamée. "La proclamation de la IIe République plaça l'éducation au centre de la scène politique et en fit l'objet d'une attention renouvelée", observent deux spécialistes contemporains des manuels scolaires espagnols12. Rodolfo Llopis avait clairement exprimé dans son ouvrage-La revolución en la escuela-qui retraçait son expérience à la tête de la Direction Générale de l'Enseignement Primaire, les liens de réciprocité qui unissaient le nouveau régime né le 14 avril 1931 et l'école. Ainsi, dans l'idéal, la République se devait de militer pour l'Ecole en développant des centres scolaires et en améliorant la formation des maîtres et l'Ecole, en retour, devait militer pour la République en étant le lieu privilégié de la diffusion de l'idéologie républicaine : "L'école a toujours été l'arme idéologique de toutes les révolutions. L'école doit faire des sujets de la monarchie bourbonienne des citoyens de la république espagnole"13, écrit Llopis au seuil de son ouvrage. Dans le même temps, l'instituteur devenait la cheville ouvrière de la réalisation du projet républicain. On procède alors à la réforme des Ecoles Normales pour la formation des nouveaux maîtres14 et à la mise en place de "Stages d'information culturelle et pédagogique" et de "Semaines pédagogiques"15 destinés à la formation continue des maîtres en activité, ces maîtres qui avaient été formés par la monarchie et qui étaient souvent l'instrument du cacique local16. Ainsi le voeu de la République était de faire du maître un militant de l'éducation et il était du devoir de la République de réconcilier l'Ecole avec le peuple :
"Il fallait en terminer avec le divorce existant entre l'Ecole et le peuple ; nous pensons y être parvenus ; le peuple aime enfin l'Ecole et la considère comme sa propre chose : c'est notre plus belle conquête"17.
5Daniel González Linacero s'est personnellement et fortement impliqué dans cette mission éducative de la République en animant un stage de formation des maîtres en 1932, en dirigeant diverses missions pédagogiques et en contribuant à la création, à Palencia, de la Federación de Trabajadores de la Enseñanza18. L'élaboration de son ouvrage participe de cette même volonté de concilier idéal politique et enseignement de l'histoire : le voeu de la République était de rendre l'Ecole au peuple ; avec Mi primer libro de historia, le peuple, en quelque sorte, s'approprie l'histoire. Le manuel semble animé d'un double mouvement d'appropriation : appropriation de l'histoire par le peuple, appropriation de l'histoire par l'enfant. Et c'est là que réside l'autre nouveauté de Mi primer libro de historia qui s'inspire des méthodes pédagogiques de Roger Cousinet : "Nous ne prétendons pas être originaux-précise Linacero dans l'introduction-, Cousinet en France a préconisé cette manière de faire de l'histoire". Cette "manière de faire de l'histoire" consiste, selon le pédagogue français, à partir des "états présents de notre civilisation, depuis les plus visibles jusqu'aux plus abstraits, l'histoire pouvant être définie comme [...] l'étude de l'action exercée par le temps (et par le travail humain) sur les choses, qui, sous cette action, satisfont de mieux en mieux les besoins auxquels elles répondent"19.
6Suivant la méthode préconisée par Roger Cousinet, [Linacero avait sans doute eu connaissance des théories de Cousinet (instituteur à Malakoff, puis inspecteur de l'Education nationale dans l'Aube et, enfin, titulaire de la chaire de pédagogie de la Sorbonne en 1945) par ses publications dans La Nouvelle Education dont il assure la direction entre 1922 et 1939], Mi primer libro de historia, qui s'organise en dix unités thématiques, débute par la présentation du milieu naturel de l'enfant "Nuestra vida". Ce premier chapitre est donc consacré à l'expérience personnelle et quotidienne du jeune écolier considéré au sein de son environnement familier et social : sa maison, son école, son village ou sa ville, sa famille. D'abord ancrée dans la concret et proche de l'enfant, cette première leçon aborde ensuite le milieu naturel élargi à l'Espagne-"notre nation [...] formée par de nombreuses villes et villages différents" (p. 10)-, pour passer au reste des nations formées, comme l'Espagne, de villes et de villages. Une carte muette de la péninsule comprenant le réseau fluvial et des points figurant les grandes villes, ainsi que trois vignettes représentant des enfants appartenant aux trois races qui peuplent les continents viennent illustrer ces propos (toutes les illustrations du manuel sont de Trillo).
7On observera que l'Espagne est présentée comme la nation commune et non comme le pays, c'est-à-dire moins comme un territoire dans sa réalité géographique (de ce "milieu naturel" sont absents le relief et les paysages) que comme une communauté humaine, culturelle et politique. Les vignettes représentant trois enfants de races différentes permettent au jeune élève de se situer dans un ensemble humain plus vaste sans échapper, cependant, aux stéréotypes : le petit Blanc est vêtu d'un costume marin et tient un cerceau ; le petit Asiatique assis en tailleur porte un kimono et est encadré par deux branches de cerisier en fleurs ; enfin, le petit Noir est nu à l'ombre d'un triste palmier étique. Le même respect des conventions gouverne la représentation des parents : le père travaille à l'atelier, à l'usine... tandis que la mère s'occupe de la maison et des enfants ; les illustrations renforcent ce schéma : le père frappe sur une enclume, la mère est penchée sur sa machine à coudre. La dernière partie de ce premier chapitre s'achève sur les progrès techniques qu'a connus l'humanité dans différents domaines, qu'il s'agisse de la maison, l'habillement, les transports, l'éclairage qui permet de voir la nuit "comme en plein jour". Autant de matières et de champs que vont considérer les unités suivantes.
8Selon Roger Cousinet, l'apprenti historien doit sans cesse se poser la question : "Comment, à la suite de quelles transformations, l'état présent est-il arrivé à être ce qu'il est ?"20. Le manuel de Linacero est animé par cette même démarche. Ainsi les neuf unités suivantes-la maison, le vêtement, la chasse et les armes, les transports, l'éclairage, le travail, les divertissements et les jeux, l'écriture et le livre, la coopération et la solidarité-sont organisées thématiquement et chronologiquement, orientées qu'elles sont à mettre en lumière l'évolution dans une vison positiviste de l'histoire.
9Chaque unité thématico-chronologique, elle-même divisée en sections (entre quatre et sept), retrace les étapes de l'évolution technique jusqu'à l'époque contemporaine.
10Au progrès technique qui occupe la majorité des chapitres du manuel succèdent le progrès intellectuel et le progrès social, dans une progression du concret vers l'abstrait qui était conseillée, on s'en souvient, par Cousinet. Aussi les chapitres "L'écriture et le livre" et "Coopération et solidarité" viennent-ils parachever l'ensemble comme l'aboutissement de tous les progrès matériels et techniques réalisés. Le progrès technique induit le progrès intellectuel et humain ; un progrès d'ailleurs inéluctable, qui fait du savoir une réalité uniquement soumise à la volonté de chacun et débarrassée des contingences matérielles. Le savoir n'est plus réservé à une élite sociale, le progrès technique permet également une démocratisation du savoir : "les livres sont à la portée de tout le monde" (p. 57)21.
Enseigner l'histoire avec la République au coeur
11Le dernier chapitre "Coopération et solidarité" systématise en cinq étapes l'évolution de la vie sociale de l'homme : la horde, la tribu, la mise en place des échanges commerciaux liée à la création des villes, les relations entre les villes qui donnent lieu aux idées d'union et d'aide mutuelle, pour parvenir à l'époque actuelle où "personne ne vit pour soi" (p. 62), en une vision téléologique de l'histoire dont les différentes phases sont les prémisses de cette épiphanie coopérative et solidaire. La dernière page du manuel reflète ainsi une société fondée sur l'altruisme, l'échange et le partage.
12Ce dernier chapitre, est une synthèse, à la fois, des principes spencériens et darwiniens d'évolution, qui inspirent la conception de l'ouvrage, et des valeurs républicaines22. Dans un ouvrage d'entretiens, Ce qui nous fait penser, Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur évoquent la figure de Léon Bourgeois qui, au début du XXe siècle, a développé le modèle du solidarisme : "Pour Bourgeois les sociétés forment des « ensembles solidaires » dont l'équilibre, la conservation, le progrès obéissent à la loi générale de l'évolution".
13Puis Jean-Pierre Changeux cite Léon Bourgeois :
"Le bien moral est de nous vouloir et de nous concevoir comme membre de l'humanité unis contre le risque afin qu'aux inégalités naturelles ne s'ajoutent pas des inégalités d'origine sociale"23.
14Le présent dont il s'agit est avant tout institutionnellement républicain comme le montre l'allusion au "travailleurs de toutes classes" qui reprend le préambule de la Constitution de la IIe République espagnole : "L'Espagne est une République démocratique de travailleurs de toutes classes"24. L'aboutissement de l'évolution sociale se trouve dans la république qui est le régime de l'Espagne au moment de la rédaction du manuel. "En dépit du fait que les républicains aimaient à clamer que leur victoire représentait une victoire révolutionnaire avec le passé, ils n'étaient pas moins enclins à justifier leur régime en termes d'histoire espagnole que ne l'étaient leurs interlocuteurs de la droite", écrit Carolyn Boyd25. Dans le manuel de Linacero la République vient s'inscrire dans une dynamique historique non pas nationale mais universelle.
15Dans un article consacré à "L'enseignement de l'histoire en Espagne", Rafael Altamira déplorait que l'histoire enseignée dans les écoles nationales manquât de portée à l'égard de l'histoire générale de l'humanité et observait en conclusion que "l'enseignement historique dans les écoles est regardé comme devant former la conscience nationale et patriotique des élèves en vue de l'action présente et future"26. Au contraire, le propos de Linacero est d'éveiller une conscience sociale chez les jeunes enfants. Cet éveil passe d'abord par la mise en évidence des inégalités sociales qui ont été le lot des siècles passés. Aussi fait-on remarquer, dans le chapitre sur la maison, la différence entre les riches et les travailleurs : "Depuis de très nombreux siècles les riches ont eu des demeures somptueuses et les travailleurs, des habitations réduites et pauvres" (p. 17)27. En ce qui concerne le vêtement, l'auteur fait également observer le contraste entre riches et pauvres à mesure qu'apparaît la civilisation, pour les riches le faste et le luxe, alors que les serviteurs, toujours pauvres, portaient des habits misérables (p. 22). Le jeune écolier est invité à prendre conscience de la hiérarchie qui gouverne la relation entre les individus dans une société divisée entre maîtres, esclaves et serviteurs (p. 17).
16Cette notion de hiérarchie sociale est amplement soulignée dans l'unité consacrée aux "Divertissements et jeux" dans laquelle on décrit et illustre, certes, l'art du tournoi mais où l'on n'omet pas de préciser que "seuls les riches pouvaient y prendre part". Les gens du peuple n'y allaient qu'en spectateurs pour assister à la fête (p. 49). Plutôt que de laisser le jeune écolier s'émerveiller devant les fastes des époques passées, on invite l'enfant à avoir un certain recul réflexif, à exercer son sens critique vis-à-vis d'une société inégalitaire. Dans ce même chapitre consacré aux "Divertissements", lorsqu'aux tournois succède la Renaissance comme le suggèrent les costumes et le bal au palais représenté sur l'illustration, on observe : "A cette époque-là aussi les portes de tous les lieux de distraction étaient fermées aux pauvres et ces salles étaient résevées aux personnes fortunées" (p. 50)28. A la différence des temps passés, l'époque actuelle présente un bien-être social dont tous peuvent jouir. Il en était ainsi de la démocratisation de la lecture, comme on a pu l'observer, il en est ainsi de la démocratisation des jeux et des divertissements qui sont aujourd'hui "pour tout le monde" (p. 51).
17A la société de contrastes des temps passés, s'oppose la société actuelle perçue comme une véritable communauté. Comme on a déjà pu l'observer, c'est l'objet de la dernière unité "Coopération et solidarité", mais une grande partie du manuel souligne cet esprit communautaire d'aujourd'hui par la récurrence du pronom "tous" qui exprime l'idée d'union, de grand ensemble solidaire. Dans le premier chapitre, "Notre vie", sont évoquées ces maisons où n'habite personne mais dont tout le monde profite comme l'Ecole, l'Eglise, la Mairie et la Maison du peuple (p. 9). Cette première unité, nous l'avons vu, situait l'enfant dans son milieu naturel immédiat-la maison, la famille, l'école-mais, par une série de cercles concentriques, ce chapitre inaugural place également l'écolier au sein d'une communauté élargie, le village tout entier perçu lui aussi comme une grande famille "qui partage les joies et les peines de chacun de ses individus" (p. 12)29. Cette solidarité et entraide mutuelle sont graphiquement représentées par un accident de la circulation dont a été victime un jeune garçon que tout le monde va secourir.
18Sans nul doute, le manuel s'organise autour de la notion de démocratie et plus précisément autour de la triade républicaine "Liberté, égalité, fraternité" faite réalité dans la société actuelle. L'égalité, c'est une société montrée idéalement sans classes, c'est l'égalité d'accès à la culture. La fraternité est exprimée par les notions de solidarité, d'entraide, nous l'avons vu, mais elle est plus explicitement évoquée à la fin du chapitre "La chasse et les armes", lorsque de l'arme défensive on est passé à l'arme offensive et mortifère utilisée par l'homme contre d'autres hommes qui sont "ses frères" (p. 31). L'allusion rapide à la guerre 14-18 ("Il y a quelques années il y eut une grande guerre") est l'occasion de dénoncer les massacres, les morts d'hommes, de femmes et d'enfants et les mutilés. Cette réflexion d'inspiration antibelliciste est à opposer aux autres manuels d'histoire de caractère militariste, qui encensent les guerres en tant que démonstration de patriotisme et que dénonçait Linacero dans l'introduction. La liberté, enfin, c'est avant tout la liberté de choix dans une société débarrassée du déterminisme social ; ainsi tous les enfants vont à l'école pour apprendre et exercer plus tard des métiers qui leur permettront de gagner leur vie. Le choix du métier ne dépendra que des préférences et des capacités de l'enfant, l'école apparaissant comme la machine égalitaire par excellence dans une perspective républicaine. Dans le même ordre d'idées, le manuel se veut également l'éloge du travail et de l'effort personnel. Cette vision idéale, aboutie, de la société ne dissimule pas une pauvreté encore existante évoquée dans le chapitre sur la maison : "Mais il est des petites villes et des villages où la majeure partie des maisons sont exiguës, peu confortables et tristes ; ce sont les maisons des pauvres qui gagnent très peu et qui ont à peine de quoi vivre" (p. 20)30. Cette observation est sans doute à lier à la réalité quotidienne de certains enfants dans le cadre d'une école ouverte à tous et s'ajoute à la volonté d'éveiller la conscience sociale et civique des enfants.
19L'appareil didactique qui n'a pas encore été abordé vise, dans le même esprit, à une plus grande autonomie de l'élève. Les récits sont simples, écrits en gros caractères, les textes sont illustrés par une iconographie sobre mais abondante. Chaque unité est découpée en sections qui n'occupent qu'une seule page, chaque page est également répartie entre texte et image. Constamment, le récit invite l'enfant à établir une relation entre texte et gravure. Sans cesse, l'observation et la réflexion personnelles de l'enfant sont sollicitées, comme dans cette question qui clôt la dernière section du chapitre "La chasse et les armes" : "Ne croyez-vous pas que cette guerre où moururent tant de millions de gens fut une grand malheur ?" (p. 31)31. Des ponts et passerelles incitent les écoliers à effectuer des rapprochements-la chasse aux lions se situe au temps des palais assyriens et égyptiens dessinés un peu auparavant (pp. 28 et 17), les parties de chasse à l'époque des châteaux (pp. 29 et 18)-pour retrouver la cohérence temporelle à travers la diversité thématique.
20Eloge du travail, de l'effort personnel, des valeurs essentiellement républicaines (bien que le régime politique de l'Espagne ne soit pas une seule fois évoqué), la situation sociale actuelle comme aboutissement d'une dynamique historique, le refus d'un passé national (d'ailleurs si peu républicain) au profit d'une histoire de l'humanité (limitée au monde occidental) dans une perspective évolutionniste : ce premier manuel d'histoire s'inscrit clairement dans les préceptes de la politique éducative des républicains qui voulaient transformer l'étude de l'histoire en une inspiration positive pour la responsabilité civique et la vertu républicaine32. Le fait est évident lors de la publication de la deuxième (et dernière) édition de Mi primer libro de historia en 1935. Le manuel jouit alors à la fois d'une reconnaissance officielle puisqu'il a été "sélectionné par le Conseil National de Culture", comme il est indiqué sur la page de garde, et d'une reconnaissance publique comme le prouvent les 10. 000 exemplaires vendus lors de la première édition33. Pour cette seconde édition la maquette est conservée, les variations sont donc minimes, quelques dessins sont légèrement modifiés, comme, par exemple, l'atelier de réparation d'automobiles (p. 46) plus réaliste et modernisé. La différence la plus importante se situe, en fait, en fin d'ouvrage, dans l'unité "Coopération et solidarité" dont le contenu idéologique est plus visible. La "maison du peuple" a été remplacée par la mutualité ouvrière, qui, cette fois, occupe toute la moitié supérieure de la page. Le changement iconographique est accompagné de la modification du paragraphe final de la dernière section "Dans les syndicats, associations, mutualités, coopératives, etc., ces travailleurs apprennent à pratiquer les deux grandes vertus sur laquelle repose la vie : la coopération et la solidarité"34. Par cette conclusion qui parachève aussi l'ouvrage, le manuel ne se situe plus seulement dans une perspective républicaine et civique, mais militante en unissant étroitement l'exercice de la coopération et de la solidarité à des instances politisées. Mi primer libro de historia affirme ainsi plus fermement son inscription dans l'orthodoxie républicaine.
L'histoire selon Edelvives ou le recentrage nationaliste
21Conçu dans une perspective chronologique, nationaliste et patriotique, Historia de España. Primer grado, rédigé par un groupe de frères maristes qui publient sous le nom d'Edelvives (acronyme formé sur Editorial Luis Vives)35, se présente bien comme l'antithèse du manuel de Linacero, bien qu'édité juste un an après celui-ci (1934). Le premier chapitre se veut allégorie de l'histoire elle-même - la première ilustration représente un enfant plongé dans la lecture d'un livre d'histoire sur fond de blason national frappé de lions rampants et de châteaux-une sorte de mise en abyme de l'étude de l'histoire orientée vers l'éveil de l'esprit patriotique du jeune enfant. Ainsi cette première leçon s'achève sur l'exaltation de la patrie à travers la gravure allégorique et la composition lyrique. Les trois quatrains du poète argentin Leopoldo Díaz simplement intitulés "¡Patria !" placent fermement la patrie sous les auspices de la foi, de l'héroïsme et du martyre. La gravure représente l'Espagne sous les traits d'une matrone dont le front est ceint d'une couronne murale (donc non monarchique) et qui tient d'une main la couronne de lauriers et de l'autre une bannière moins emblème national que catholique car la hampe est en forme de croix ; autour de la figure féminine les symboles du travail (une usine fumante et un angelot qui frappe sur une enclume), des arts (un enfant peintre) et de la spiritualité (une église qui ressemble fort à San Francisco el Grande de Madrid). On remarque d'emblée que le manuel est soumis à un sérieux verrouillage patriotique et militariste : aux préludes nationalistes correspond une coda non moins patriotique avec un "Canto a la bandera" qui exalte les "indomptables guerriers" et les "gloires espagnoles" qui retentissent dans un "martial fracas".
22Très traditionnellement, le manuel est découpé en vingt leçons organisées en questions-réponses (140 paragraphes en totalité) ; à chaque leçon correspond une lecture (excepté la vingtième qui est assortie de deux lectures, la dernière étant un extrait du Quichotte), la lecture est soit extraite d'une oeuvre historique-la crónica de Jaime I, l'Historia de España du Père Mariana-soit créée par les auteurs. Les lectures, sur lesquelles il faudra revenir, se veulent moins dogmatiques que les leçons et se fondent pour la plupart d'entre elles sur la bravoure de personnalités historiques.
23Les vingt leçons s'articulent chronologiquement autour des quatre grandes périodes historiques : l'antiquité (qui débute avec les premiers peuplements ibères et celtibères), le Moyen Âge, puis les époques moderne et contemporaine. Il n'est pas fait mention de la préhistoire qui fait pourtant son apparition dans les manuels scolaires à la fin du XIXe siècle36. Le Moyen Âge et l'époque moderne constituent le plat de résistance du manuel (20 pages et 21 pages, respectivement), ces deux étapes étant décisives dans la construction du nationalisme espagnol à travers ses deux valeurs essentielles : la monarchie et le catholicisme. Cependant, l'exaltation nationale n'est pas absente dans les quatre premières leçons de l'ouvrage, où l'on apprend que l'Espagne celtibère était "fort riche en produits agricoles et en métaux précieux"37 et faisait, "d'après les historiens de l'antiquité, l'admiration et l'envie des autres peuples" (p. 9)38. La lecture 2 vient relayer cette vision idyllique de "l'Espagne primitive" : une terre boisée, fertile, riche en bétail ("d'immenses troupeaux paissaient dans les collines et les prairies"39) et en pépites d'or (p. 10).
24D'autre part, et ce dans une démarche inspirée par le positivisme du XIXe siècle, le développement d'un milieu naturel exceptionnel sert à mettre en relief les caractéristiques physiques et morales de ces peuples celtes et ibères donnés comme fondateurs de la "race espagnole" (p. 8) et qui se distinguent par la robustesse de leurs corps et par leur attachement à leur indépendance (p. 10). En fait, les quatre leçons de l'histoire de l'antiquité organisées, après les premiers peuplements celtes et ibères, autour de la domination carthaginoise, puis de la romanisation de la péninsule, sont là comme jalons essentiels de la formation d'un caractère national marqué par le courage, la résistance, l'héroïsme et le patriotisme-"la période romaine est pleine d'exemples de patriotisme" (p. 15)40 -, autant de qualités qui s'incarnent principalement dans deux personnages élevés à la catégorie de héros nationaux, Viriathe, "vainqueur de nombreux généraux romains", et Corocota, le Cantabrais, "guerrier fameux par ses audacieux exploits", auquel la lecture 5 est consacrée (pp. 15-16). L'avant-dernière leçon du manuel extraite de Historia de España du jésuite Juan de Mariana41 souligne, il est vrai, la grossièreté des moeurs des Espagnols des temps anciens, défaut amplement compensé par leur courage, leur sens de la justice et leur constance dans la religion.
25Mais c'est avec le Moyen Âge et l'époque moderne que s'affirment les deux valeurs cardinales du nationalisme espagnol : la monarchie et le catholicisme. La monarchie est introduite par les Wisigoths dans une Espagne catholique "dans sa totalité" (p. 21). L'histoire de la Reconquête est l'occasion de mettre en exergue la combativité des Chrétiens qui ne laissent pas de répit aux Arabes (p. 25) et de glorifier les rois exemplaires de courage et de piété, tels Ramire I, Ferdinand I le Grand ("Il mena une vie exemplaire et mourut saintement", p. 30)42, Ferdinand III le Saint, "modèle de rois". Au nom de l'exaltation nationale et de l'ethnocentrisme, l'héritage culturel arabe est pratiquement nié dans la formule lapidaire qui frôle le paradoxe : "presque toute la culture arabe fut redevable aux Espagnols"43, tant dans le domaine de l'agriculture et de l'industrie que dans celui de la littérature et des sciences (p. 25). La mosquée de Cordoue (représentée en gravure) et l'Alhambra de Grenade sont les deux seuls vestiges cités par les auteurs. La monarchie inaugurée dans la péninsule par les Wisigoths, puis défendue par les royaumes chrétiens, trouve, évidemment, son aboutissement dans l'avènement des Rois Catholiques, dont "le règne est le plus glorieux de toute l'histoire de l'Espagne" (p. 39)44 Par ailleurs, l'identification de la nation espagnole avec le catholicisme (dès le Ve siècle) explique que l'expulsion des jésuites, sous Charles III et "sous l'influence d'un ministre voltairien"45 soit sévèrement blâmée. Les dernières pages du manuel sont consacrées aux tableaux chronologiques qui se résument aux dates des règnes des rois wisigoths, asturiens, léonais, etc., aux généalogies des rois de la Maison d'Autriche et de la dynastie des Bourbons d'Espagne, les dates de proclamation des Ie et IIe Républiques étant incluses dans le tableau "Rois d'Espagne". Une manière bien particulière de régler leur compte à ces épisodes si peu représentatifs de la nation espagnole dans l'esprit des auteurs du manuel !
26Comme nous l'avons vu, et à l'inverse de l'ouvrage de Linacero, Historia de España renoue avec le support pédagogique traditionnel des questions-réponses inpiré par les catéchismes, qui canalisent la pensée et invitent à répéter mécaniquement. Chaque leçon est assortie d'une lecture de longueur variable mais ne dépassant que rarement une page. La lecture, à vocation illustrative, repose sur un double processus d'identification et édification de l'écolier et s'avère, en fait, essentielle dans la formation des jeunes esprits. Pour la plupart, les lectures sont centrées sur des personnages-Corocota, saint Hermenegildo, Agustina Zaragoza46-dont on exalte non seulement le courage et l'héroïsme mais aussi la vertu et le sens du sacrifice. La veine nationaliste est ainsi entretenue par le culte des héros ainsi que par une confusion et fusion délibérées entre mythe et histoire, entre histoire nationale et histoire religieuse. A l'image de certains personnages, certains lieux de l'histoire sont élevés à la catégorie de mythes nationaux, comme, par exemple, la bataille de Clavijo et l'intervention miraculeuse-et décisive-de saint Jacques de Compostelle aux côtés des armées chrétiennes de Ramire I (p. 29) ou encore la bataille de Navas de Tolosa au cours de laquelle "un ange ou, selon d'autres, saint Isidore montra le chemin"47 aux Chrétiens navarrais de don Sanche le Fort (p. 33). Le traitement de ces hauts lieux de la construction nationale et catholique de l'Espagne hésite entre la légende et le merveilleux et concourt à la création d'une véritable geste nationale, dans la lignée de l'historiographie du siècle passé48.
27Suivant donc la tradition historiographique libérale, le manuel d'Edelvives aborde la Guerre d'Indépendance de 1808 dans une même perspective apologétique. Le 2 mai 1808 est qualifié de glorieux (p. 60), Saragosse et Gérone (qui ont souffert le siège des Français) méritent d'être immortalisées et sont comparées à Sagonte et Numance (la première ayant résisté aux Carthaginois, la seconde aux Romains) pour leur héroïsme, ce qui, bien entendu, permet de confirmer la permanence d'un caractère espagnol attaché à l'indépendance49. Les héros de la Guerre d'Indépendance sont évoqués et représentés (Daoiz, Velarde, Palafox...), mais c'est Agustina Zaragoza qui mérite tous les honneurs : une des gravures maintes fois reprise dans l'imagerie de la Guerre d'Indépendance la représente mettant le feu au canon, continuant la résistance, juchée sur les cadavres de ses compagnons, la lecture 17 lui est consacrée sous la forme d'une ode de 12 redondillas dans lesquelles cette figure légendaire incarne le courage de tout le peuple espagnol.
28Si par sa dimension mythificatrice Historia de España se coule dans des moules historiographiques du XIXe siècle, elle s'en écarte par son idéologie clairement antilibérale. A la geste héroïque du soulèvement du peuple madrilène s'oppose le jugement négatif et définitif sur les Cortès de Cadix qui ont manqué "aux lois séculaires de l'Espagne" et dont l'oeuvre "enfermait les idées révolutionnaires de la France" (p. 65)50. Les Cortès de Cadix sont essentiellement anti-espagnoles et la Guerre d'Indépendance est vue dans son interprétation antirévolutionnaire et traditionaliste comme un soulèvement national contre "les principes révolutionnaires et anticatholiques qu'avait produits la terrible Révolution française" (p. 65)51. De façon significative, la lecture 18 est consacrée à l'abolition de la Constitution de Cadix par Ferdinand VII, abolition reçue avec joie dans tous les villages (p. 65). Ensuite, l'accesssion au trône et le règne d'Isabelle II sont considérés comme une usurpation, tandis que le carlisme est interprété comme une défense légitime des droits au trône du frère de Ferdinand VII, l'infant don Carlos, ce qui ne laisse guère de doute sur l'idéologie antilibérale des auteurs du manuel. Tandis que l'on encense la vaillance des généraux carlistes Zumalacárregui et Cabrera, dont les portraits encadrent celui de don Carlos, le règne d'Isabelle II est présenté comme une succession de conspirations (déjà les partisans de la Constitution de 1812 étaient vus comme des conspirateurs), de troubles et de pronunciamientos (ce qui n'est pas totalement faux). Le libéralisme du XIXe siècle (les partis modéré et progressiste) est associé à la perpétuelle agitation politique, aux désordres, à l'usurpation (p. 67). L'idéologie antilibérale du manuel s'oriente, avec les chapitres consacrés à l'histoire contemporaine, vers le traditionalisme et le carlisme. Le seul épisode de l'époque d'Isabelle II qui trouve grâce aux yeux des auteurs est la guerre d'Afrique, guerre de prestige colonial, menée en 1860.
29L'orientation monarchiste et traditionaliste du manuel, dans le contexte de la IIe République espagnole, est bien à comprendre comme un retour aux valeurs nationales qui fondent l'Espagne et comme une offensive anti-républicaine. D'où le ton nostalgique adopté dans certains passages comme lors de la lecture 11 consacrée à Cisneros et à l'annexion de la Navarre, qui s'achève sur ces mots : "Oh temps heureux où l'on savait garder les trésors et où l'on agissait avec cette noblesse ! Dieu fasse qu'ils reviennent !" (p. 42)52. C'est ainsi que l'ultime paragraphe du manuel est un résumé-synthèse de toutes les valeurs-"éléments sociaux" dans le texte-qui font la grandeur de l'Espagne, c'est-à-dire les enseignements de l'Eglise catholique, en tout premier lieu, la culture des arts et des sciences, le développement de l'agriculture, de l'industrie et du commerce et le respect de l'autorité. La dernière lecture est tirée du Quichotte et s'intitule "La paix" ; en compensation, peut-être, de tant de guerres ! Il s'agit, plus précisément, d'un extrait de la fin du chapitre 37 de la première partie, qui précède immédiatement le célèbre discours des armes et des lettres. Éloge de la paix, donc, qui doit être la seule et vraie fin des armes, mais message à vocation moins civique que chrétienne. Du si beau discours de Don Quichotte Edelvives ne retient que les éléments de la doctrine religieuse, les enseignements du "meilleur maître de la terre et du ciel", Jésus-Christ (pp. 76-77).
30Cette ultime leçon est suivie, nous l'avons vu, par le "canto a la bandera" : la mission éducative de l'histoire se bornerait donc à enseigner à être bon catholique et bon soldat, dans le respect de l'ordre et de l'autorité.
31Dans la préface de son ouvrage Historia Patria, l'Américaine Carolyn Boyd écrit : "l'histoire nationale peut être évoquée soit pour légitimer, soit pour subvertir l'ordre politique existant"53. S'il s'agissait pour Daniel G. Linacero de légitimer la République et ses valeurs humanistes en l'inscrivant dans une continuité civilisatrice universelle, Edelvives renouait, en 1934, avec une conception traditionnelle de l'histoire, comme expression d'un nationalisme subversif dans une Espagne officiellement républicaine, alors que le gouvernement, suite aux élections de novembre 1933 basculait à droite et que l'accession de cette tendance au pouvoir sauvait les écoles catholiques de la fermeture54. Le manuel d'Edelvives est à interpréter, certes, comme une subversion, mais aussi comme le signe du renforcement institutionnel de la droite en dépit du contexte républicain d'alors. L'enseignement de l'histoire est bien autant arme éducative qu'idéologique. Dans chacun des manuels, le passé est instrumentalisé au profit d'un message politique à partir de modèles du siècle précédent ; mais tandis que Linacero enrichit la vision évolutionniste de l'histoire par une réflexion et un appareil pédagogiques novateurs, Edelvives emprunte, certes, les schémas interprétatifs de l'historiographie du XIXe siècle, mais refuse nettement l'idéologie libérale, fustige les Cortès de Cadix, sans doute parce que celles-ci ont été assimilées par la culture républicaine. C'est peutêtre également parce que le manuel d'Edelvives se situe à un moment charnière du devenir non seulement national avec une idéologie républicaine fragilisée mais aussi international avec la naissance et l'affirmation des nationalismes des mouvements fascistes. Historia de España est à considérer autant comme une étape régressive dans l'enseignement de l'histoire que comme un revirement significati qui annonce, en fait, les manipulations auxquelles l'idéologie franquiste soumettra l'histoire utilisée comme instrument dévoyé de propagande et d'endoctrinement. Ce même manuel d'Edelvives sera réédité dans la zone nationale au moment de la Guerre Civile avec deux légères modifications. Une retouche de l'avant-dernier paragraphe où l'on dénonce les désordres de la République rendue responsable de "la désatreuse guerre civile entre le néfaste conglomérat du front populaire et les authentiques forces nationales" et la substitution du portrait d'Alcalá Zamora par celui de Francisco Franco "Generalísimo del movimiento salvador de 1936 y jefe del estado Español" (p. 72) suffiront à faire, finalement, de ce petit manuel un des premiers organes de légitimation historique du franquisme55.
Notes de bas de page
1 "Hacer memoria en un país que la tiene tan frágil", El País, 19-XI-2000.
2 Le romancier Antonio Muñoz Molina écrivait en 1997 : "Parte del éxito de la transición se cimentó sobre el olvido mutuo y la suspensión del pasado, o sobre la renuncia a utilizarlo políticamente, para ser más exacto", "La historia y el olvido", El Pais, 9-XI-1997.
3 El florido pensil. Memoria de la escuela nacional católica, Barcelona, Crítica, 1994, réédité en 1997. Le succès de librairie de cet ouvrage a été relayé par une adaptation théâtrale très réussie au cours de l'année 1999, puis un film.
4 Enseñar historia con una guerra civil por medio, Barcelona, Crítica, 1999.
5 "Recuperar la dimensión más constructiva de la Segunda República española", introduction à Enseñar historia con una guerra civil por medio, op. cit., p. 23.
6 Daniel González Linacero, Mi primer libro de historia, Imprenta y Librería de Afrodisio Aguado, Palencia, 1933, 89 p.
7 Edelvives, Historia de España. Primer grado, Imprenta Galve, Barcelona, 1934, 88 p.
8 "Llenar un evidente vacío en la enseñanza de la Historia", p. 5. La pagination de l'ouvrage est double : celle du manuel original et celle de la réédition de Fontana. Nous suivons la pagination originale.
9 "Batallas y crímenes", "reinados vacíos de sentido histórico", "esa balumba insoportable de necedades de príncipes y favoritos", ibid.
10 "Sin olvidar que la Historia no la han hecho los personajes, sino el pueblo todo y principalmente el pueblo trabajador, humilde y sufrido", ibid.
11 Ces données bibliographiques figurent dans l'introduction de Cómo enseñar historia con una guerra civil por medio, p. 12.
12 Manuel de Puelles Benítez, et Alejandro Tiana Ferrer, "Les manuels secondaires dans l'Espagne contemporaine", in L'enseignement en Espagne XVIe -XXe siècles, numéro spécial de la Revue d'Histoire de l'Education dirigé par Jean-Louis Quererla, INRP, 1998, p. 128.
13 "La escuela ha sido siempre el arma ideològica de todas las revoluciones. La escuela tiene que convertir a los subditos de la Monarquía borbónica en ciudadanos de la República española", Rodolfo Llopis, La revolución en la escuela, Madrid, M. Aguilar editor, 1933, p. 22. Llopis reproduit ici un article qu'il avait publié dans Crisol le 16 avril 1931.
14 Voir le chapitre V de La revolución en la escuela, "Maestros, buenos maestros", p. 86.
15 Ibid., pp. 86 et 131.
16 Ibid., p. 131.
17 "Había que acabar con el divorcio existente entre la escuela y el pueblo : eso creemos haberlo conseguido ; el pueblo ama ya la escuela y la considera como cosa propia : es nuestra mejor conquista", Ibid., p. 261 (conclusion de l'ouvrage).
18 Selon les informations de l'introduction de Josep Fontana. Pour une histoire de la FETE, association d'enseignants socialistes, voir Francisco de Luis Martín, Historia de la FETE, Madrid, Fondo Editorial de enseñanza, 1997.
19 Roger Cousinet (1881-1973), La pédagogie de l'apprentissage, Paris, Presses Universitaires de France, 1959, p. 98.
20 Roger Cousinet, op. cit., p. 98, note 1.
21 "Los libros están al alcance de todo el mundo".
22 En ce qui concerne le principe de solidarité comme aboutissement de l'évolution, on peut se reporter à l'article "Évolutionnisme" dans le Dictionnaire d'Histoire et Philosophie des Sciences, coordonné par Dominique Lecourt, Paris, PUF, 1999, pp. 390-394.
23 Jean-Pierre Changeux et Paul Ricoeur, Ce qui nous fait penser, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p. 312.
24 "España es una República democrática de trabajadores de toda clase, que se organiza en régimen de Libertad y de Justicia".
25 Carolyn Ρ Boyd, Historia Patria : Politics, History, and National Identity in Spain, 1875-1975, Princeton, Princeton University Press, New Jersey, 1997, p. 210. Il existe, depuis peu, une édition espagnole de cet ouvrage aux éditions Pomares-Corredor, Barcelone, 2000. Notre édition de référence est la version anglaise.
26 Rafael Altamira, "L'enseignement de l'histoire en Espagne", in Bulletin du Comité international des Sciences historiques, n° 13, octobre 1931, pp. 415-425. Bien que la publication soit datée d'octobre 1931, la rédaction de l'article est d'avril 1930 et donc antérieure à la proclamation de la République en Espagne.
27 "Desde hace muchísimos años los ricos han tenido moradas suntuosas y los trabajadores, habitaciones reducidas y pobres".
28 "También en este tiempo los pobres tienen cerradas las puertas de todos los lugares de distracción, reservados para las gentes adineradas".
29 "El pueblo entero es como una gran familia que participa del dolor o de la alegría de cada uno de sus individuos".
30 "Pero hay ciudades pequeñas y pueblos donde la mayor parte de las casas son reducidas, poco cómodas y tristes ; son las casas de los pobres que ganan muy poco jornal y apenas tienen para vivir".
31 "¿No os parece que fue una gran desgracia aquella guerra donde murieron tantos millones de personas... ?".
32 Cf. Carolyn P. Boyd, op. cit., p. 210.
33 "El éxito de nuestro librito ha culminado (sic) las esperanzas que en él habíamos puesto ; los maestros adoptándole en sus clases, las revistas y periódicos nacionales dedicándole críticas razonadas y elogiosas y el Consejo Nacional de cultura seleccionándolo para que pueda ser utilizado oficialmente en las Escuelas primarias, han contribuido a su difusión por todas las provincias de España y algunos centros extranjeros", Mi primer libro de historia, imprenta de "El diario palentino" de la viuda de J. Alonso, Palencia, 1935, prologue de la seconde édition, p. 7.
34 Le texte du manuel de 1933 disait : "Dans les maisons du peuple ces travailleurs apprennent à pratiquer les deux grandes vertus sur laquelle repose la vie : la coopération et la solidarité", p. 62.
35 Cf. Carolyn P. Boyd, "F.T.D. and Edelvives [were] trade names employed by the Marist Brothers", op. cit., p. 226.
36 Cf. Joaquín García Puchol, Los textos escolares de historia en la enseñanza española (1808-1900), Barcelona, Universitat de Barcelona Publicacions, 1993, p. 108.
37 "España, riquísima en productos agrícolas y en metales preciosos".
38 "Fue civilizándose rápidamente hasta ser, según nos cuentan historiadores antiguos, la admiración y envidia de los demás pueblos".
39 "Inmensos rebaños pacían en los montes y praderas".
40 "El período romano está lleno de ejemplos de patriotismo".
41 L'histoire générale du Père Mariana, publiée pour la première fois au XVIIe siècle, est la référence obligée de l'historiographie du XIXe siècle. Cf. par exemple, Paloma Cirujano Marin (ed.), Historiografía y nacionalismo español 1834-1868, Madrid, C.S.I.C., 1985, p. 81.
42 "Llevó vida ejemplar y murió como santo".
43 "Casi toda la cultura árabe se debió a los españoles".
44 "El reinado de los Reyes Católicos es el más glorioso de la Historia de España".
45 P. 56. Le ministre voltairien est le comte d'Aranda. La définition de l'adjectif "volteriano" dans l'édition de Historia de España. Primer grado de 1941 (Editorial Luis Vives, Zaragoza) est la suivante : "partidario de Voltaire, impío francés".
46 Cette dernière, mieux connue sous le nom d'Agustina de Aragón, personnage historique récupéré par la légende, est abondamment représentée dans l'imagerie de la Guerre d'Indépendance. Elle s'illustra pendant le siège de Saragosse par les Français. Elle inspire un des Desastres de la guerra de Goya.
47 "Un ángel o según otros san Isidro, de Madrid, enseñó el camino a los ejércitos cristianos".
48 Pour l'élaboration d'une mythologie nationale dans l'historiographie libérale voir les travaux, entre autres, de José Alvarez Junco et particulièrement son article "La nación en duda", in Juan Pan-Montojo (coord.), Más se perdió en Cuba, Madrid, Alianza Editorial, 1998, pp. 405-475.
49 "Por supuesto, las pruebas que corroboraban esta interpretación del carácter patrio eran Numancia y Sagunto ("¡ejemplo horrible que demuestra la fiereza indomable de los hijos de este suelo !"), repetidas en tiempos recientes en la Zaragoza o Gerona sitiadas por los franceses", remarque José Alvarez Junco quant à l'historiographie libérale, article cité, pp. 408-409.
50 "Las Cortes de Cádiz, que, faltando a las leyes seculares de España, habían formado una Constitución que encerraba las ideas revolucionarias de Francia".
51 "Los principios revolucionarios y anticatólicos que había producido la tremenda Revolución francesa".
52 "¡Oh dichosos tiempos en que se guardaban los tesoros y se hablaba y obraba con aquella nobleza ! ¡Dios quiera que vuelvan !".
53 Carolyn P. Boyd, op. cit., p. XII.
54 Ibid., p. 225.
55 Le copyright de cette édition, sans date, est de 1934. La maquette de 1934 est inchangée, en dehors des deux modifications signalées ainsi que de la disparition, par manque de place, de la lecture "La paz"... mais il est vrai que dans un contexte de guerre, cette lecture n'avait plus de raison d'être. Publiée à Saint-Sébastien, le récit des événements s'arrêtant en 1936, cette édition est, on peut le supposer, de cette même année ou de 1937. Un exemplaire de cette édition est conservé à la bibliothèque de l'UNED de Madrid.
Auteur
Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, C.I.R.E.M.I.A.
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