Pérou 1980 : réflexions sur la consultation nationale
p. 173-188
Texte intégral
1Une photographie, reproduite dans Amanta du 12 juin dernier et reprise dans diverses publications, a été l'occasion pour les limeños — une occasion bien rare dans le Pérou ruiné que les militaires rendent aux civils — de rire franchement. On y voit le général Hoyos, chef du Haut État Major des Forces Armées péruviennes et, à ce titre une des plus importantes personnalités de l'ex-régime militaire, conversant aimablement avec le nouveau Président de la République, démocratiquement élu en mai dernier, Fernando Belaúnde Terry. Si le sourire de ce dernier paraît quelque peu crispé sur le cliché, c'est que dans la nuit du 3 octobre 1968, c'est précisément le même Hoyos, alors simple colonel, que le général séditieux Velasco Alvarado avait dépêché au Palais du Gouvernement pour se saisir manu militari du même Belaúnde, déjà démocratiquement élu Président de la République1. Aujourd'hui, le Président réélu avec un pourcentage de voix frisant le plébiscite2 a dû discuter avec les militaires, parmi lesquels Hoyos et le général Morales Bermúdez qui avait été son ministre avant de présider aux destinées de la Junte, de l'attribution, dans son nouveau gouvernement, de quelques postes à des officiers “acceptables” pour les deux parties. Ces palabres délicates et le cliché qui fixe une réconciliation un peu forcée3 sont éminemment symboliques mais les commentateurs ne s'accordent pas nécessairement sur le contenu de ce symbole. Pour les uns, Belaúnde contraint de deviser courtoisement avec celui-là même qui l'avait “cueilli” un petit matin en pyjama, c'est l'image de la toute puissance militaire et une forme d'avertissement à l’Arquitecto4 qui devra marcher droit s'il ne veut pas faire face, un autre petit matin, à un autre jeune colonel. Pour les autres, Hoyos, obligé de reconnaître comme Président l'homme que le “Plan Inca” l'avait chargé de balayer, c'est l'image de la constance populaire et de la revanche démocratique, c'est en quelque sorte une gifle magistrale administrée par l'électorat à ceux qui n'auraient jamais dû quitter leurs casernes.
2Pour mettre un peu de clarté dans tout cela, revenons en arrière. En juin 1963, Belaunde5 est élu à la Présidence de la République avec l'appui de la Démocratie Chrétienne et le soutien officieux du Parti Communiste pro-soviétique. Il recueille alors 36,26 % des suffrages, devançant l'APRA qui n'obtient que 34,35 % et dépassant la barre des 33 % nécessaires à l'élection au premier tour. A cette époque, il apparaît comme le candidat du centre gauche, le seul démocrate véritable face à la droite la plus conservatrice regroupée derrière l'UNO (parti du général Odría) et aux compromissions permanentes des “révolutionnaires” apristes, tandis que l'extrême gauche reste électoralement faible ou non participationniste. Belaunde promet aux universitaires et aux intellectuels d'élever le budget de l'éducation nationale à 25 % du budget de l'État (il le fera), de multiplier les Maisons de la Culture et de garantir toutes les libertés d'expression et de création ; il promet aux serranos qui traversent une période particulièrement difficile (l'essor démographique est tel que les communautés ne peuvent plus vivre sur leurs terres et se heurtent à la toute puissance des grands domaines) une réforme agraire qui leur fasse justice6. Il promet aussi de reprendre à l'International Petroleum Company (filiale de Standard Oil) les exorbitantes concessions qui lui ont été faites dans le passé et d'en terminer avec la spoliation du sous-sol national. A tous Belaunde promet de lancer en “cent jours” — c'est son principal slogan électoral — de profondes réformes destinées à moderniser le pays et à tendre vers une plus grande justice sociale. Comme l'écrit justement l'éditorialiste de la revue Amauta :
“No sólo canas y arrugas diferencian a los belaundistas del 80 de los del 63. Hace dos décadas, Acción Popular significó una esperanza de renovación para los sectores medios, el campesinado y las fuerzas progresistas. Enarbolando las banderas de la recuperación del petróleo y la reforma agraria acompanadas de un proyecto de industrialización, suscitó entusiasmo y fervor”7.
3Au-delà de son programme immédiat, Belaunde tranche alors, c'est évident, sur la classe politique usée qui l'entoure, et il suscite une ferveur inattendue dans deux secteurs bien distincts de l'opinion : les milieux intellectuels et artistiques, et la paysannerie indigène et métisse de la sierra, au point qu'on parlera d'un charisme exceptionnel. Si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que le dit charisme n'est autre que la construction intelligente et délibérée d'un nouveau profil politique, d'un nouveau discours qui donne aux électeurs le sentiment (l'illusion ?) que “tout va changer”. Et tout d'abord, Belaunde est le premier homme politique qui connaisse à fond son pays. Il le parcourt méthodiquement, le plus souvent à cheval dans la sierra, s'arrête dans les plus petits villages et adopte une tactique originale : celle de prononcer ses discours les plus importants dans les plus humbles agglomérations. Il tirera de cette expérience deux livres de chroniques et de projets, La conquista del Perú por los peruanos et Pueblo por pueblo8 où, pour la première fois, la grande majorité silencieuse des ruraux appararaît désignée par un politicien comme le ferment progressiste de la nation. Symboliquement, c'est dans le petit village quechua de Chincheros (Cuzco) que Belaúnde prononce une de ses plus célèbres allocutions fondant son entreprise politique sur la tradition indigène de l'action populaire collective :
“Mucho de lo grande que tenemos se lo debemos a la acción popular. Por acción popular llegaron a Sacsahuaman los inmensos monolitos de su triple muralla. Por acción popular surgió une ciudad misteriosa y poética en la cumbre de la montaña y se elevaron catedrales sobre los cimientos de los templos paganos (...). La nueva fuerza cívica que se ha opuesto gallardamente a la triple alianza de la consigna, del rezago politico del pasado y de un gobiemo arbitrario y despótico, tiene también la honrosa característica de su origen netamente democrático. Por eso la llamamos y la llamaremos siempre ACCION POPULAR”9.
4Belaúnde n'est pas un idéologue et il confie le soin de donner un contenu théorique à ses propositions (“El Perù como Doctrina” ou “Cooperación Popular”) à un universitaire, philosophe de formation, Francisco Miró Quesada, dont il fera son premier Ministre d'Éducation. Celui-ci fonde les grands principes d'action du nouveau parti Action Populaire sur le thème de la “révolution humaniste” qui doit s'opérer au Pérou. Le point de départ en est le dualisme scandaleux de la société nationale, un dualisme séculaire qui n'a pas avancé d'un pouce depuis les célèbres diatribes de González Prada10. Miró Quesada rappelle :
“Nuestro país en realidad no era uno solo, sino dos países. Todo lo que nos habían dicho sobre el Perú sólo era válido para una pequena porción de nuestra Patria. Lo demás se perdía en la bruma de lo desconocido”11.
5La relégation du monde indigène, qui se traduit aussi bien par l'exiguïté des parcelles, le sous-emploi et la malnutrition que par la non-reconnaissance des cultures autochtones, crée une situation intolérable qui s'oppose à la formation de la nationalité et laisse présager des affrontements sanglants. Action Populaire se présente avant tout comme une doctrine conciliatrice élaborée par des hommes de bonne volonté soucieux de canaliser vers des voies pacifiques la légitime pression des déshérités.
“Nuestra realidad era un desgarramiento y su solución era una sola : la reconciliación. Mientras el Peru no fuera capaz de unificarse, mientras no fuera capaz de sobrepasar la ruptura entre el minúsculo grupo de privilegiados y la mayoría explotada, mientras no fuera capaz de reconocer al hombre en el indio, séria incapaz de ser si mismo y de contener la presión estructural que comenzaba ya a sofocarlo”12.
6Ce souci de rééquilibrage d'inspiration centriste, qui propose prudemment aux privilégiés d'abandonner un certain nombre de préjugés et d'avantages acquis pour éviter que la pression des masses ne débouche sur une révolution sanglante, s'incarne dans l'habile image-slogan, cent fois répétée, de Belaúnde comme “puente sobre el abismo”.
7Action Populaire propose aux électeurs de l'aider à forger une nation réconciliée selon deux axes complémentaires. Le premier est la reconnaissance d'un prestigieux fonds commun, complètement rejeté par les tenants d'un hispanisme vieillot, et qui pourtant fournit encore d'utiles leçons de développement : le passé incaïque. Les grandes données du fonctionnement de l'Empire, le mode de répartition de la nourriture et du travail, l'organisation planificatrice et prévisionnelle, doivent être reconnues comme des objectifs fondamentaux. Selon le principal idéologue d'Action Populaire :
“El principio fundamental del Perù como Doctrina, la ideología creada por Fernando Belaúnde Terry, es que el Perú histórico debe ser la fuente de inspiración de nuestra acción política”13.
8Parmi les nombreuses leçons à tirer de l'expérience traditionnelle, Action Populaire met en avant la répartition des terres cultivables en fonction des justes nécessités de ceux qui les travaillent, le développement intensif des voies de communications, la généralisation des grandes faenas collectives, la planification de l'économie, l'exploitation intelligente de la première richesse du pays, aujourd'hui sousutilisée : les bras.
9Il ne s'agit pas pour autant de tendre vers une société d'inspiration indigéniste qui, si l'on suit jusqu'au bout certains de ses postulats, pourrait tourner rapidement au collectivisme. Les idéologues d'Action Populaire n'oublient pas qu'une voie parallèle mais beaucoup plus rigoureuse et radicale a été tracée quarante ans plus tôt par Mariátegui. Aussi, tout en rendant fréquemment hommage à l'“Amauta” pour sa sagacité sur certains points, ils font appel à une deuxième notion, réconciliatrice et lénifiante, le métissage. La nation humaniste qu'ils proposent d'édifier, tout en étant historiquement fondée sur le passé incaïque, doit être une société qui recueille les apports de toutes ses composantes et qui oppose aux diverses intolérances un effort d'intégration. “El concepto de mestizaje es de gran importancia”, répète Miró Quesada14, et le mot “métis” pris dans des acceptions très diverses qualifie à peu près toutes les propositions formulées par l'Architecte et ses lieutenants. Non seulement le nouveau gouvernement se propose de promouvoir une culture “métisse”, mais il s'efforce de propager des techniques “métisses”, c'est-à-dire mariant le savoir-faire technologique occidental aux traditions artisanales locales ; enfin, il prône une économie “métisse”, qui allie la pratique planificatrice incaïque aux méthodes statistiques modernes et qui doit reposer sur la recherche d'un équilibre nouveau entre la pauvreté des ressources financières et la richesse en potentiel humain. Au-delà du flou des expressions, Action Populaire est le premier grand parti non-marxiste à dire crûment que le Pérou est un pays sous-développé et qu'il doit renoncer à copier la coûteuse technologie occidentale pour choisir des modèles basés sur l'abondance et la qualité de la main-d'œuvre15.
10Si on décrypte ce discours, dont nous ne pouvons donner ici que les très grandes lignes, on constate que le projet belaundista est un projet d'inspiration centriste qui recueille intelligemment un certain nombre de “poussées” socio-politiques : la pression exercée par les ruraux à court de terres ; l'exigence générale du développement des infra-structures ; la revendication de plus en plus violente des masses sur le plan de l'emploi ; l'aspiration d'une fraction de la bourgeoisie nationale à une politique de planification et de concertation sociale évitant les crises16 ; la pression de divers secteurs commerciaux en faveur du développement du marché national ; l'aspiration unanime à un accès plus démocratique aux lieux d'éducation et de culture ; enfin la vieille tendance régionaliste qui trouve un écho dans le projet “décentralisateur” de Belaúnde. On ne saurait néanmoins s'en tenir à ces considérations si on veut réellement appréhender ce qu'a pu être l'ampleur du mouvement suscité par l'Architecte dans les années 6017. Jusque-là, les consultations électorales traditionnelles n'agitaient que le petit monde de la capitale et se réduisaient trop souvent en province à des scrutins frauduleux organisés par des caciques sans envergure : rien qui justifie un grand intérêt dans la population. Avec les campagnes de Belaûnde, tout change : son emblème, la “lampa” du paysan des Andes, touche les travailleurs, qui y voient un hommage rendu à une activité souvent méprisée18 ; les intellectuels sont sensibles à la priorité — inconcevable si l'on songe aux régimes précédents — accordée à l'éducation et à la création ; la majeure partie de la population, d'origine indigène ou métisse, apprécie l'effort qui est fait pour réhabiliter le prestige des racines autochtones, dans un pays où le mot “indio” n'a jamais cessé d'être, dans le langage courant, une insulte méprisante. Les promesses sont vagues, leur financement incertain, mais indéniablement, le pays “bouge”.
11L'idylle sera d'assez courte durée. Belaúnde élu prend quelques décisions symboliques : l'élection au suffrage universel des maires des grandes villes19, la désignation à mainlevée, en “cabildo abierto”, des autorités de village20 ; en août 1963, il lance l'expérience intéressante de “Cooperación Popular”, un programme original de développement des infra-structures régionales, qui est mis en chantier selon une nouvelle formule : l'État fournit les techniciens et les capitaux nécessaires à l'achat du matériel, tandis que les municipalités volontaires s'occupent de trouver sur place la main-d'œuvre gratuite ; cette formule d'association avec l'État, sur l'initiative municipale, permettra à de nombreux villages de s'équiper de routes, de canalisations, de barrages, d'écoles, de groupes électrogènes, etc., sans qu'il leur en coûte autre chose que leur propre travail21. Mais les grandes réalisations promises, la réforme agraire, la négociation avec IPC, stagnent lamentablement.
12La raison en est simple : le pays est ingouvernable car ce n'est pas la même majorité qui exerce son pouvoir au Congrès et dans les instances de l'Exécutif. Belaúnde, qui forme son gouvernement avec des militants d'Action Populaire, des démocrates chrétiens et divers libéraux sans appartenance partisane, se trouve face à un contre-pouvoir conservateur, né de la coalition solide que forment à la Chambre des Députés comme au Sénat les apristes et les partisans du général Odría. Belaundistas et démocrates chrétiens ont 20 sénateurs et 26 députés. De son côté, l'ensemble APRA-UNO peut compter sur 25 sénateurs et 108 députés, et donc bloquer toutes les propositions de loi de l'Exécutif, refuser de voter son budget, et contraindre par la motion de censure un ministre à démissionner22. Sur un plan strictement constitutionnel, la situation est sans issue, et Belaûnde, au terme d'une guérilla parlementaire qui ne pouvait s'éterniser au-delà de quelques mois, se résigne progressivement, à partir de 1964, à capituler. Désormais, toute décision nécessitant l'accord du Congrès est examinée préalablement par des commissions parlementaires ou des organismes de conciliation informels, et n'est soumise au vote que lorsque l'accord a été trouvé avec APRA-UNO. Paradoxalement, l'homme “nouveau” démocratiquement élu par la partie gauche de l'électorat, se voit contraint d'appliquer une politique parfaitement rétrograde ; le projet initial de réforme agraire, élaboré par le représentant de l'aile gauche d'Action Populaire, Edgardo Seoane, est patiemment rogné par les parlementaires jusqu'à l'inexistence ; quant au budget de la culture, qui avait permis la première année d'intéressantes réalisations, il est amputé de 20 % en 1966 et manipulé en fonction de considérations fort peu culturelles23.
13Peu à peu, les forces qui avaient soutenu Belaúnde passent à l'opposition : le P. C., la Démocratie Chrétienne24, ainsi qu'une bonne partie des militants les plus libéraux d'Action Populaire. Dans un climat de déception générale, aggravé par les effets de la forte dévaluation (-44 %) du sol effectuée le 1er septembre 1967, l'Armée commence à envisager une de ses interventions coutumières destinées à mettre fin à “l'anarchie” du pouvoir civil25. Le détonateur en sera l'affaire IPC et le “mystère de la page onze”, qui s'ajoutent à une série de scandales (contrebande et trafic de devises) compromettant gravement certains membres du gouvernement et du Congrès. Résumons l'affaire : depuis quelques années, l'État péruvien réclamait à la firme IPC le paiement de dettes accumulées (le gouvernement du général Velasco les évaluera peu après à 690 millions de dollars). Le Président, qui avait promis de régler le problème dans les “cent jours” suivant son accession au pouvoir, se heurte à l'intransigeance du trust, efficacement soutenu par Washington. Après diverses péripéties, le 12 août 1968, Belaúnde signe, en présence des Présidents des deux Chambres, l'“Acta de Talara” qui consacre l'annulation des dettes d'IPC en échange de la restitution au Pérou des gisements de Brea et Pariñas. IPC garde néanmoins l'exclusivité du raffinage et de la distribution du pétrole péruvien, et obtient de surcroît une concession d'un million d'hectares en zone amazonienne. Le 10 septembre, un haut fonctionnaire révèle à la télévision que le contrat signé en août comportait une onzième page qui a disparu26. C.est un immense scandale, et on peut dire, qu'au cours des derniers jours du mois de septembre, le régime se décompose complètement. Le 3 octobre 1968, l'Armée s'empare du pouvoir sans rencontrer aucune résistance, et envoie Belaunde en exil, Le premier geste de Velasco sera de faire occuper militairement la zone pétrolière et d'exproprier IPC, geste qui lui rallie momentanément une partie de la gauche, très déçue de l'expérience qui s'achève27.
14Tel est donc l'homme qui, après une parenthèse de douze ans de junte militaire — d'abord “progressiste”, puis à partir d'août 1975 marquée par le limogeage de tous les officiers libéraux — vient d'être brillamment réélu, à la stupéfaction de la quasi-totalité des commentateurs. Il faut préciser qu'un premier scrutin avait pu fausser les pronostics : en juin 1978, les militaires avaient fait procéder à l'élection d'une Assemblée Constituante qui avait élaboré une nouvelle constitution promulguée en 1979. Or, dès 1977, Belaúnde avait fait savoir qu'il demanderait à Action Populaire de ne pas participer à ces élections, considérant qu'il n'y avait pas lieu de procéder à des manipulations constitutionnelles sous la surveillance des forces armées28. Cette abstention devait infléchir considérablement le scrutin de 1978 où l'APRA avait dépassé 35 % des suffrages et où le total des voix de la gauche avait atteint le chiffre record de 29,4 %. On avait conclu trop hâtivement que l'abstention d'Action Populaire servait à masquer la baisse de son audience et que Beláunde était un homme perdu par les scandales de sa première présidence.
15Contre toute attente29, le scrutin du 18 mai dernier, auquel participaient pour la première fois les analphabètes, le donne grand vainqueur, tandis que les partis concurrents voient leurs résultats considérablement amoindris. Le PPC30 passe de 23,8 % à 11 % (-12,7 %), l'APRA de 35,3 % à 27,5 % (-7,8 %), et l'ensemble de la gauche de 29,4 % à 14,7 % (-14,3 %), scores bien éclipsés par les 43,6 % de Beláunde. Non seulement le retour est triomphal mais il s'opère dans de bien meilleures conditions que précédemment. En effet, Action Populaire doit avoir 90 à 95 députés (sur 180) et 25 à 30 sénateurs, soit, avec l'appoint des quelques élus du PPC auquel Belâunde a confié deux portefeuilles dans son premier gouvernement, une confortable majorité excluant les tractations et les compromissions avec l'APRA dont tous les Péruviens ont gardé le goût amer.
16Ces résultats, véritable “terremoto cívico” pour reprendre un mot de Caretas, appellent un certain nombre de remarques. La première, confirmée par l'alliance qui vient de se conclure avec le PPC, est que la deuxième expérience Belâunde se situe nettement plus à droite que la précédente. Cette évolution était sensible dès les débuts de la campagne électorale, et tous les journalistes avaient noté que le candidat avait “mis la sourdine” sur certains de ses slogans d'antan (indigénisme, coopération populaire, problèmes agraires, etc.), susceptibles d'irriter les militaires ou d'effaroucher l'électorat. La gauche n'a eu aucun mal, dans ces conditions, à mettre en évidence le propos fondamental d'un Beláunde “démasqué” : représenter les intérêts d'une bourgeoisie desarrollista désireuse de se défaire à présent de la fâcheuse image antidémocratique de la dictature militaire. Elle en a profité pour mettre l'accent sur les liens indéniables de l'Architecte et de son équipe (le Premier Ministre Ulloa, en particulier) avec les États-Unis et les grands organismes financiers internationaux31. Il n'est pas sûr, toutefois, qu'au cours de la campagne cette tactique ait été la meilleure, après la terrible crise économique que le Pérou a connue entre 1977 et 1979 et dont il subit encore les effets. Dans un pays où 50 % de la population souffre de malnutrition chronique et où le problème de l'emploi est véritablement tragique, “l'ami de Carter et de Rockefeller”, pour reprendre les expressions couramment employées à gauche, s'est trouvé paré du prestige de ses riches protecteurs ; ses promesses économiques et le fameux “million d'emplois” ont, de ce fait, acquis, qu'on le veuille ou non, une crédibilité bien supérieure à toutes les autres. Avec son image de politicien expérimenté qui a l'appui de Washington et la confiance du Fonds Monétaire International, Belaúnde a sans doute incarné aux yeux de l'électorat
“la alternativa tecnocrática mâs realista, democrática y moderada, para sacar el país de la crisis económica y social”32.
17Certes, parmi les 43,6 % d'électeurs qui l'ont porté à la présidence, il est raisonnable de penser qu'un bon nombre de citoyens n'ont pas voté avec allégresse, mais pour ce qu'il a été convenu d'appeler au cours de la campagne un “mal menor” expression bien significative. D'ailleurs, ainsi que l'a très justement noté Marka à plusieurs reprises, aucune des grandes manifestations d'enthousiasme qui, en divers points du territoire, avaient salué son avènement en 1963 (avec des résultats pourtant inférieurs à ceux de 1980), ne s'est reproduite aujourd'hui. Reste, pour cet électorat, l'espoir mesuré qu'une politique prudente éloigne le cauchemar militaire, et que le resserrement des liens avec les États-Unis apporte au moins capitaux, entreprises et emplois, en attendant une occasion plus favorable pour le “grand soir”.
18Une deuxième remarque s'impose : face au mythe technocratique, la gauche péruvienne n'a pas su éveiller la confiance de l'électorat. Son score de 1978 a pu être élevé parce qu'il s'agissait d'élire une constituante, scrutin qui n'impliquait pas de choix décisif pour la vie économique et sociale de la nation. Après deux tentatives infructueuses de regroupements (ARI et FUI), elle s'est redécomposée en groupes réduits dont l'obsession semble avoir été de s'éliminer réciproquement et non de prendre des sièges à la droite33. Quant au PC prosoviétique, il a eu l'invraisemblable idée de soutenir la candidature d'un général — progressiste, certes —, commettant ainsi une incroyable maladresse politique dans un pays écœuré de vivre depuis douze ans sous la botte34. Cependant, au-delà des divisions et des subdivisions, peu engageantes pour les citoyens, c'est sans doute la faiblesse du projet économique présenté par l'ensemble des partis de gauche qui a éloigné d'eux bon nombre d'électeurs, unanimement préoccupés non de mieux vivre mais d'abord de survivre. Qu'il s'agisse de la carence absolue, en la matière, des trotskystes et des maoïstes, qui ne cherchaient nullement à présenter une alternative réelle, ou du caractère incertain des propositions des autres groupes, aucun électeur ne pouvait, à notre avis, penser sérieusement qu'un Président issu de la gauche — en admettant que les militaires l'acceptent – saurait faire face à la difficile situation du pays35. Cette carence a été lourde de conséquences, et il faut espérer que les différents leaders sauront méditer sur le recul de leurs organisations. Une leçon se dégage du dernier scrutin : dans un pays en crise, où les masses populaires vivent au seuil de la plus intolérable misère, il ne suffit pas de répéter quelques formules révolutionnaires ou de compter sur le charisme de tel ou tel dirigeant “historique” (l'échec d'Hugo Blanco et du PRT en témoigne) ; il faut comprendre que les électeurs ne peuvent s'offrir le luxe d'alternatives radicales ou socialisantes mal préparées et mal maîtrisées. Les chiffres montrent qu'un grand nombre de personnes qui avaient voté à gauche en 1978 se sont reportées sur Belaunde au moment du choix décisif de 1980 ; nul doute que celles-là et bien d'autres encore devraient être gagnées ou regagnées par la gauche, si celle-ci formulait des propositions cohérentes et travaillait sur l'hypothèse plus crédible d'une période transitoire de transformations progressives.
19Depuis le mois de juin, le Pérou est entré dans une phase d'expectative angoissée. Trois inconnues retiennent l'attention générale. La première est la situation économique qui paraît être une des clés de la future stabilité du régime. L'inflation pour 1980 devrait être contenue, grâce au blocage de certains prix, à environ 60 %, mais le dérapage est possible à tout instant. Aussi Ulloa a-t-il reaffirme que son objectif prioritaire resterait la lutte contre l'inflation. On ne voit pas très bien comment cet objectif, appuyé par le FMI, dont une mission s'est rendue auprès de Belaúnde aussitôt après l'élection, va s'articuler avec la réanimation de l'économie nationale, la création d'un million d'emplois et les gros investissements de culture et de santé promis par l'Architecte. Il est vrai que la hausse des prix du pétrole (le Pérou exporte 35 % de sa production) devrait apporter, de l'avis général, une bouffée d'oxygène au pays pendant deux ou trois ans au moins ; il est souhaitable, mais peu probable, que ce soit suffisant pour ne pas augmenter un endettement vertigineux.
20La deuxième inconnue est celle des réactions du monde syndical et politique dans les mois qui vont suivre, et, au-delà des états-majors, la combativité qui apparaîtra ou non chez les travailleurs. Le retour à la démocratie peut aussi bien favoriser de puissants mouvements syndicaux ou des explosions spontanées de revendications que déboucher sur un certain calme social, que Belaúnde ne manquera pas de demander aux masses populaires. D'ores et déjà, sur le front syndical, des clivages semblent s'opérer, les uns prônant l'accroissement de la pression sociale pour infléchir la politique du nouveau gouvernement et veiller à ce que les engagements électoraux soient tenus, les autres souhaitant laisser à un régime encore fragile un minimum de sursis. Comme le dit très bien Caretas, l'opposition se trouve devant
“la endiablada labor de oponerse a un gobierno sin traerse abajo, en tal empeño, al régimen democrático”36.
21Enfin, la troisième inconnue, sous-jacente à tout ce qui précède, est bien évidemment l'attitude des militaires. Tout au long du processus qui s'est déroulé sous leur houlette depuis 1978, ils sont restés omniprésents, ponctuant chacune des étapes du retour à la démocratie de “petites phrases” lourdes de menaces. Nombreux étaient d'ailleurs les observateurs convaincus qu'à un moment ou à un autre le retour à un régime démocratique serait stoppé sous quelque prétexte. Il est probable que le vote massif des électeurs en faveur d'une solution conservatrice, rassurante à tous égards et bien vue de l'étranger, a ôté à l'Armée tout argument facile lui permettant de revenir sur le devant de la scène. Elle ne peut ignorer d'ailleurs qu'elle est complètement discréditée aux yeux de l'opinion — la campagne électorale a été très révélatrice à cet égard — et la majorité des officiers paraît résignée à rentrer dans le rang. Mais une autre fraction, attachée à ses privilèges, est susceptible de créer quelques provocations déstabilisatrices qui lui permettrait de revenir “sauver” le pays. Entre la menace militaire et le désir de revanche des apristes, les sarcasmes de la gauche et le ralliement sans enthousiasme de ses propres électeurs, le danger inflationniste et les exigences légitimes des masses, la marge de manoeuvre du Président réélu est bien mince.
Notes de bas de page
1 Cet épisode en particulier et tout l'historique du coup d'état militaire sont relatés en détail par Augusto Zimmermann Zavala, alors chef de rédaction de El Comercio et pro-vélasquiste, dans El Plan Inca : Objetivo Revolución Peruana, Lima, ed. del Diario Oficial El Peruano, s. d.
2 Les résultats les plus généralement retenus des élections du 18 mai dernier lui donnent 43,6 % des suffrages, dans une consultation où quinze candidats étaient en lice. Au moment où nous écrivons, les résultats officiels n'ont pas encore été communiqués, et les pourcentages donnés par la presse peuvent varier légèrement d'une publication à l'autre. Les résultats sont rendus très compliqués par le fait que les Péruviens ont voté en même temps pour élire le Président de la République et pour élire députés et sénateurs. Or, un certain nombre d'électeurs ont émis des votes politiquement différents dans les deux cas. Ainsi, par exemple, la gauche a fait un score d'environ 18 % pour la partie législative et 14 % pour l'élection présidentielle, différence sur laquelle nous reviendrons. Les commentateurs retiennent tantôt l'un tantôt l'autre de ces pourcentages suivant les nécessités de leur démonstration. Les chiffres que nous citerons dans cet article doivent donc être considérés comme provisoires et indicatifs. De toutes façons, tout le monde est d'accord sur les grandes tendances qui se dégagent du scrutin.
3 La plupart des militaires, et en particulier le general Hoyos, ne dissimulaient pas, ces derniers temps, leur nette préférence pour une victoire de l'APRA, qui leur aurait évité l'humiliant triomphe de leur victime de 1968. Ironie de l'histoire : pour une fois que l'APRA obtient le consensus de l'Armée, son “ennemi héréditaire”, ce sont les électeurs qui font faux bond !
4 Depuis qu'il a été Doyen de la Faculté Nationale d'architecture, le surnom de “El Arquitecto” a été donné à Belaunde par ses amis, et il est couramment employé par la presse.
5 Deux mots sur sa personne : Né le 3 octobre 1912, Belaúnde est le neveu du célèbre Víctor Andrés. Son père avait été ministre sous la présidence démocratique de Bustamante (renversé en 1948 par le général Odría). Fernando Belaúnde se présente pour la première fois aux présidentielles en 1956 contre Manuel Prado, qui le bat en dépit d'un score prometteur (34,58 %). Il fonde peu après son parti Acción Popular, et connaîtra la prison en 1959. Aux élections présidentielles de 1962, Haya (APRA) précède légèrement Belaunde, et avec l'appoint des voix de la droite, rassemblées derrière le général Odria, il doit nécessairement être désigné comme Président par le Congrès, aucun candidat n'ayant atteint la barre constitutionnelle de 33 % au premier tour. Pour éviter que l'APRA n'accède au pouvoir, l'Armée intervient et impose un intermède d'un an de junte militaire avant d'organiser de nouvelles présidentielles en 1963. Signalons au passage qu'aujourd'hui, la barre constitutionnelle pour l'élection du Président au premier tour a été relevée à 36 %.
6 La campagne et l'élection de Belaúnde coïncident avec le grand mouvement d'invasion de terres qui affecte la sierra en 1963-1964. Loin d'être antigouvernementales au départ, ces invasions pacifiques sont souvent fondées sur la conviction que le nouveau Président les entérinera (cf. à ce sujet le reportage de Hugo Neira inclus dans Los Andes. Tierra ο Muerte, Madrid, éd. ZYX, 1968, pp. 190 et suiv.). On note que Belaúnde recueille 40 % des suffrages à Ayacucho, 44 % à Junin, et 65 % à Cuzco.
7 Amauta, 23. V. 1980, p. 2.
8 La conquista del Perú por los peruanos, Lima, ed. Tawantinsuyu, 1959. Pueblo por pueblo, Lima, ed. Tawantinsuyu, 1960.
9 Discours du 7. VII. 1956, reprod. in La conquista del Perú por los peruanos, op. cit., p. 13.
10 F. Miró Quesada, Acción Popular. Manual ideológico, Lima, ed. Acción Popular, s. d. (1967 ?), pp. 165 et suiv.
11 F. Miró Quesada, La ideologia de Acción Popular, discours prononcé en juillet 1963 devant les invités étrangers à la prise de pouvoir officielle de Belaúnde, publ. en livret s. ind. de date ni d'édition, p. 8.
12 Id., ibid., p. 8.
13 F. Miró Quesada, ibid., p. 9.
14 Id., Acción Popular. Manual ideológico, op. cit., p. 53, thème repris dans toute la 2e partie du livre, pp. 13-76.
15 Sur ce thème, qui est une des originalités du livre, cf ibid.., pp. 40-76.
16 On ne s'étonnera pas de voir une autre fraction s'élever avec une extrême violence contre les intentions planificatrices, immédiatement qualifiées de “communistes”, de Belaúnde. On peut voir le reflet contrasté de ces deux tendances à travers le combat que se livrent les deux grands organes de la presse dite bourgeoise : le journal des Miró Quesada, El Comercio, actif belaundista, et le journal de Beltrán, La Prensa, farouchement opposé à ce gouvernement “marxiste”.
17 Il est frappant de constater que très peu de commentateurs ont sérieusement étudié la première présidence Belaûnde et l'enthousiasme qu'il avait su éveiller. Il a été le candidat de la gauche et du centre unis, et, exception faite des intellectuels apristes, on peut affirmer que presque toute l'intelligentsia péruvienne (en commençant par les deux grands noms de la littérature de l'époque, Ciro Alegria et José Maria Arguedas) a voté pour lui en 1963. La suite a été si décevante, et ses électeurs se sont sentis si floués, qu'il y a eu une sorte d'amnésie générale : on a essayé d'oublier cet épisode, pourtant si révélateur, de la vie nationale. Mais l'électorat est toujours sensible aux notoriétés acquises, et il paraît évident que la première présidence, malgré ses erreurs et son impuissance, explique en grande partie la deuxième.
18 Belaúnde présente aujourd'hui encore son emblème en ces termes, où l'on retrouve les trois thèmes fondamentaux de son discours : le métissage, la terre et l'emploi : “Escogimos la lampa, porque es una herramienta en cierta manera intermedia. No es la azada arcaica ο primitiva, es una herramienta intermedia que simboliza el movimiento de la tierra. El desarrollo del Perú requiere mover tierras. Mover tierra en corte y rellenos en los caminos ; mover la tierra en la apertura de canales ; mover la tierra en la construcción de cimientos para las nuevas édificaciones ; mover tierras en las nuevas colonizaciones, en los represamientos, en la desviación de los ríos (..). Por eso hemos escogido una herramienta para simbolizar que nuestra mayor preocupación es EL TRA-BAJO”, F. Belaùnde Terry, déclaration reprod. in Comando 80, mars 1980, p. 2.
19 Le régime précédent, dans le souci de maintenir une forte autorite centrale, les nommait directement. Le retour à la démocratie municipale avait été un des grands thèmes “décentralisateurs” de la campagne de l'Architecte.
20 C'est un geste d'une certaine portée vis-à-vis des communautés indigènes : pour la première fois, le pouvoir central tente de remédier au conflit classique entre les autorités traditionnelles, élues selon ce mode coutumier, qui jouissent d'un grand prestige local mais ne sont pas reconnues par l'administration, et les personeros désignés par le sous-préfet, seuls habilités à parler au nom des comuneros mais que ceux-ci n'ont pas choisis. Cette décision est très typique du “charme” belaundista : elle ne coûte rien à l'État, ne modifie pas profondément la situation des communautés, mais elle montre une indéniable sensibilité aux problèmes indigènes. La grande presse, et en particulier El Comercic font de pittoresques reportages sur ces cabildos ; l'opposition parle de mascarade antidémocratique.
21 Le petit livre Qué es Cooperacion Popular, Lima, ed. del Ministerio de Fomento, s. d. (très probablement 1966) fait état de la mobilisation de 600.000 volontaires ayant fourni gratuitement 12 millions de “jomadas-hombre” et économisé chaque année à l'État plus de 100 millions de soles. Il faut faire la part de la propagande, mais les reportages réalisés dans la grande presse montrent bien l'enthousiasme soulevé par cette entreprise et l'émulation créée par l'attribution des prix “Lampas de oro” aux villages les plus actifs. Les commentateurs s'accordent à reconnaître que c'est la partie la plus positive de la présidence de Belaúnde : dans la sierra, de très grands progrès techniques ont pu être réalisés avec un financement minime.
22 Une des principales victimes de la coalition APRA-UNO est Francisco Miró Quesada, constamment harcelé à la Chambre. Le motif de sa chute est tout à fait révélateur ; considérant que l'Université péruvienne ne peut continuer éternellement à bannir l'enseignement du marxisme et à se tenir à l'écart de toute doctrine jugée subversive, il crée les “Seminarios ideológicos”, lieux de débats au niveau des Facultés d'où aucune idéologie ne serait exclue ; cette décision, bien timide aux yeux d'un observateur étranger, déclenche immédiatement une violente campagne de l'APRA qui l'accuse d'être un propagateur du communisme international, et le censure le 3 octobre 1964.
23 Les apristes profiteront, en effet, de leur domination à la Chambre pour attribuer de fortes subventions aux établissements universitaires dont ils ont le contrôle ou pour en créer de nouveaux ; c'est à cette époque que l'Université Federico Villarreal (Lima), par exemple, grossit démesurément. La même politique est d'ailleurs appliquée en dehors du secteur culturel : les municipalités bien-pensantes sont substantiellement récompensées, etc. La victoire d'Action Populaire de 1963 débouche en fin de compte sur... l'âge d'or de l'aprisme.
24 C'est précisément en 1966 que l'aile droite de la Démocratie Chrétienne, solidaire de la majorité parlementaire, fait scission et devient le “Partido Popular Cristiano” (PPC).
25 Officiellement, les militaires reconnaissent que, sur l'ordre de Velasco Alvarado, un plan précis de prise du pouvoir a commencé à s'échafauder en avril 1968. En réalité, il semble bien que des contacts et des réunions de concertation aient commencé à avoir lieu plusieurs mois auparavant.
26 Apparemment, cette page fixait le prix auquel IPC s'engageait à acheter le brut qui serait désormais produit par l'entreprise nationale “Empresa Petrolera Fiscal”. Comme elle ne réapparut jamais, des versions très diverses de son contenu ont pu circuler. Pour les uns, le prix fixé était trop évidemment avantageux pour IPC et la page fut subtilisée pour que le public ne se rende pas compte de l’entreguismo du pouvoir ; pour les autres, le prix fixé avantageait l'entreprise nationale et la page a disparu sur demande d'IPC. Cette ténébreuse affaire n'a jamais été tirée au clair ; Belaúnde a émis encore récemment des démentis aussi embarrassés que les précédents.
27 Un autre geste destiné à frapper l'opinion est l'expulsion de la non moins célèbre Cerro de Pasco, dont les méfaits ont été dénoncés dans le cycle romanesque de Manuel Scorza. En fait, après ces gestes symboliques, d'importantes concessions seront faites par la Junte à divers trusts étrangers, dans le domaine du cuivre et du pétrole. Le seul résultat complet dont elle puisse se targuer est la liquidation du féodalisme agraire, ainsi que le souligne Carlos Malpica dans son étude sur les groupes de pouvoir (Los dueños del Peru, 6a ed. actualizada, Lima, ed. Peisa, 1974, pp. 4-7).
28 Cf. en particulier ses prises de position dans une interview donnée à Equis, 14. XII. 1977, p. 26.
29 Nous transcrivons ici l'atmosphère de surprise générale qui a été celle du Pérou après le 18 mai, cela ne signifie pas que nous la partagions. Il était évident que les résultats de 1978 n'étaient pas indicatifs pour 1980, et, étant donné les circonstances (transition après la dictature et mauvaise conjoncture économique), l'élection ne pouvait se jouer qu'au centre. A notre avis, la seule inconnue était de savoir si la campagne “à gauche” de Villanueva permettrait à l'APRA d'enrayer son déclin ; rappelons qu'elle avait obtenu 45 % des suffrages en 1945, 42,87 % en 1956, 34,35 % en 1963 (cf Tableau des partis politiques en Amérique Latine, Paris, Armand Colin, 1969, p. 292). Le faible score (27,5 %) qu'elle vient d'obtenir, aggravé de l'opposition ouverte des deux dauphins Townsend et Villanueva, laisse présager une perte croissante d'influence, même dans les bastions traditionnels du Nord.
30 Le PPC, fortement soutenu, semble-t-il, sur le plan financier par la Démocratie Chrétienne allemande, a définitivement remplacé l'UNO comme grand parti de la droite la plus conservatrice. “Aparece como el intento más coherente de representación de los sectores empresariales”, signale la revue QuéHacer (n ° 3, mars 1980, p. 9). Étant donné l'âge de Belâunde, on considère généralement que l'actuel chef du PPC, ancien maire de Lima, Luis Bedoya, se prépare sérieusement pour les présidentielles suivantes.
31 Citons à titre d'exemple ce commentaire au lendemain de l'élection : “Manuel Ulloa, el hombre de Rockefeller que en 1968 intentara manejar el desgastado gobierno belaundista, vuelve ahora al primer piano como Senador, Primer Ministro y hombre-clave en la política económica de Belaúnde. Tecnócratas de la Welles Fargo y del Banco Mundial, funcionarios del FMI ο del BID, economistas auto-exilados durante el docenio militar, regresan a manejar el gobierno de Belaúnde en consonancia con los intereses de los grandes monopolios”, Henry Pease Garcia, QuéHacer, n ° 5, juin 1980, p. 6. On trouve des commentaires voisins dans El Diario de Marka etc.
32 Supplément Dominical de El Comercio, 26. V. 1980, p. 22. Π faut rappeler que la dette extérieure du Pérou s'élève à près de dix milliards de dollars ; son règlement absorbe chaque année l'équivalent de 40 % de la valeur des exportations du pays.
33 Dans de nombreux cas, la présentation de deux candidats rivaux de la gauche, là où, unie, elle aurait pu être majoritaire, a permis de faire passer un candidat de droite ; des exemples dans Amauta, 23. V. 1980, p. 8.
34 L'association “Unidad de Izquierda” qui regroupe le PC et le PSR (Partido Socialista Revolucionario) du Général Rodriguez Figueroa a obtenu 2,77 % des suffrages, seulement. Le chiffre est difficile à apprécier faute de références comparables : en 1963, le PC n'avait pas été autorisé à présenter un candidat à la présidence et il avait appelé ses électeurs potentiels à se reporter sur Belaúnde. On admet en général que son audience est supérieure à un pourcentage aussi bas et que pour ne pas voter Leonidas Rodriguez une partie de son électorat pourrait bien s'être une nouvelle fois ralliée à l'Architecte.
35 Cette carence a été habilement utilisée par la droite qui n'a pas hésité à solliciter des votes “résignés” ainsi Action Populaire a mis l'accent sur le thème “Belaunde, el voto que no se pierde”, qui s'adresse indirectement aux hésitants voire même à d'autres familles politiques. Π serait tout a fait intéressant de cerner par des sondages la proportion de votes belaundistas qui sont de ce type. Une petite indication – à creuser – est fournie par l'écart des voix entre le scrutin législatif et le scrutin présidentiel.
36 Caretas, 7. VII. 1980, p. 23.
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