L’impossible construction de l’altérité de la prostituée dans le théâtre anglais de la Renaissance
p. 59-77
Résumé
Grâce à la définition négative mise en place par les porte-parole du discours dominant dans les pièces anglaises de la Renaissance, la prostituée est constituée comme différente en termes d’espace, de religion, de statut social et de non-appartenance au genre humain. Si les pièces participent parfois à la construction de cette altérité et se font le relais du discours dominant, des auteurs comme Ben Jonson et Thomas Middleton prennent leurs distances d’avec ce discours et le parodient, voire le dénoncent dans leurs comédies urbaines, genre florissant au tournant des seizième et dix-septième siècles qui s’attache à tourner en dérision la sottise de la société urbaine mercantile. La prostituée constitue un symbole commode des relations humaines dans cette société. Jonson et Middleton mettent en avant l’hypocrisie de la construction de l’altérité de la prostituée, et ils posent son identité avec l’épouse, représentant la norme respectable. La définition de la prostituée est mise à mal et toutes les catégories de femmes sont englobées sous le terme générique de « whore ».
Texte intégral
1On observe dans les pièces de théâtre anglaises de la Renaissance une insistance de la part des membres du discours dominant (à savoir les hommes protestants détenteurs de l’autorité et représentants de l’ordre et de la norme sociale) à construire la prostituée comme Autre. Grâce à la définition négative, la prostituée est constituée comme différente des représentants du discours dominant en termes d’espace, de religion, de statut social et de non appartenance au genre humain. Ces constatations constitueront le point de départ de notre réflexion, à travers des pièces du tournant des seizième et dix-septième siècles, période où l’identité du discours dominant est particulièrement instable en raison du déclin de l’aristocratie et de la montée en puissance de la bourgeoisie.
2Si les pièces se font parfois le relais de la voix des membres du discours dominant, les auteurs prennent aussi leurs distances d’avec ce discours et s’en moquent, le parodient, voire le dénoncent. Nous observerons ce que font notamment Ben Jonson et Thomas Middleton de l’altérité de la prostituée dans leurs comédies urbaines, genre florissant au tournant des seizième et dix-septième siècles, qui s’attache à tourner en dérision la sottise et la cupidité de la société urbaine mercantile qui prend son essor. La prostituée trouve tout naturellement sa place dans ce genre, puisque non seulement sa présence permet nombre de plaisanteries égrillardes, mais elle constitue aussi un symbole commode des relations humaines telles que les pratique cette société pour qui tout se vend et tout s’achète. Jonson et Middleton mettent en avant l’hypocrisie et l’impossibilité de la construction de l’altérité de la prostituée, et ils posent son identité avec les femmes représentant la norme respectable, à savoir l’épouse et la vierge.
3De manière paradoxale, l’Autre est indispensable au discours dominant. Sans pôle négatif, le pôle positif et légitime du discours dominant ne pourrait pas exister. A la Renaissance, les femmes sont catégorisées selon les pôles antithétiques d’Eve et de Marie. On peut voir ce binôme comme une tactique patriarcale pour contrôler les femmes. La chasteté étant la graine de toutes les vertus chez une femme, les personnages féminins s’organisent selon les deux pôles de cet axe. La prostituée est Eve réincarnée et possède ses défauts de manière amplifiée. Elle est dans cette perspective l’incarnation même du mal.
4Les détenteurs du discours dominant construisent la prostituée comme Autre grâce à la définition négative, et ce, dans un double but : la rendre définissable, et donc contrôlable, et montrer que le discours dominant n’a rien à voir avec elle, qu’elle appartient à un autre monde. La mise à l’écart de la prostituée concerne tout d’abord l’espace géographique. La prostitution est constamment associée à l’espace suburbain. La souteneuse Ursula se définit elle-même comme « a plain plump soft wench ο’ the suburbs » dans Bartholomew Fair de Ben Jonson (1614) (II, ν, 77-78)1. Elle fait allusion un peu plus loin aux prostituées qui peuplent le « purleius » (IV, iv, 199), terme renvoyant à nouveau aux banlieues. A l’époque, toutes les activités marginales se partagent l’espace suburbain ou « Libertés ». Les lieux de distraction comme les arènes ou les maisons de jeux constituent pour les prostituées indépendantes des endroits rêvés pour dénicher des clients. L’ouverture des théâtres à la fin du XVIe siècle attira des milliers de personnes supplémentaires. Tous ces lieux étaient vus comme le rendez-vous des criminels et des parasites en tous genres. Les banlieues ont connu un premier essor remarquable dans la première moitié du XVIe siècle. La fin du siècle connaît une seconde croissance significative des banlieues, avec un net développement des loisirs sur les rives du fleuve2. On observe de manière récurrente dans l’histoire de Londres le désir de tenir la prostitution à l’extérieur de la cité. Ainsi, en 1393, une loi interdit aux prostituées de pénétrer dans l’enceinte de la ville. A cela s’ajoute un autre type de loi, celles réglementant de manière stricte les vêtements des prostituées, ce qui permettait de les identifier, de les punir et de les renvoyer immédiatement à l’extérieur si elles osaient s’aventurer dans la ville.
5Un inconvénient majeur de ces quartiers pour les contemporains de Shakespeare est que les immigrants peuvent s’y introduire sans qu’on les remarque. On trouve notamment beaucoup de Hollandais et d’Autrichiens3. Comme le souligne L. C. Knights, le théâtre élisabéthain et jacobéen cultive le sens de la communauté, ce qui prend souvent la forme de remarques dépréciatives sur les étrangers et les pays étrangers, doublées d’une emphase sur les vices étrangers4. Identifier les prostituées comme étrangères, comme non anglaises, est un moyen de les tenir à l’écart. Tout ce qui est en rapport avec elles est vu comme d’origine étrangère. C’est le cas de la syphilis, désignée comme le « mal français ».
6La prostituée est donc stigmatisée de manière récurrente comme étrangère. Pour frapper la prostituée d’ostracisme, les auteurs ont largement recours aux habitants de l’Irlande et du Pays de Galles, ces Autres pourtant si proches, vus comme rustres et sauvages. Pour les Anglais, les Irlandais doivent absolument être établis comme différents, afin notamment de légitimer la domination anglaise sur l’Irlande. Ses habitants sont décrits comme dissimulateurs et fourbes. Whit, le proxénète de Bartholomew Fair, est irlandais, et parle avec un accent outré qui donne lieu à bon nombre de plaisanteries scatologiques ; c’est par exemple dans ces termes qu’il demande à Leatherhead d’amener une chaise à Mistress Overdo : « help a very sick lady, here, to a chair, to shit in. [...] shit down, sweet heart, shit down » (V, iv, 24-32). Les Gallois ont une fonction équivalente aux Irlandais. La courtisane amenée par Sir Walter pour épouser Tim dans A Chaste Maid in Cheapside de Thomas Middleton (c. 1611-13) n’est jamais nommée. Quand elle est désignée comme étant la nièce galloise de Walter, le public comprend immédiatement ce qu’elle fait pour gagner sa vie, puisque les Anglais voient les Gallois comme un peuple pratiquant l’adultère et la fornication.
7L’étrangeté des Autres dépasse bien souvent les frontières des Iles Britanniques. Il existe un lien axiomatique entre différence et distance : plus l’Autre vient de loin, plus il est différent. On trouve sur la scène anglaise à la fois des étrangers dans leur propre pays et des étrangers en Angleterre, mais leur fonction est la même. Marquer un comportement corrompu comme étranger permet de localiser le mal ailleurs et de détourner l’attention des problèmes locaux et de leurs éventuels responsables. Les accents étrangers sont très appréciés du public en raison de leur potentiel comique ; mais les dramaturges y ont également recours pour manipuler le public contre le locuteur. Les relations sexuelles entre personnages de différentes nations constituent une source quasi intarissable d’inspiration pour les auteurs. Les relations amoureuses et les mariages mixtes sont en revanche vus comme totalement impossibles, à part dans les pièces historiques (et l’issue de ce genre d’union est en général négative). De telles relations amènent le désastre. On pense ici immédiatement à Othello de Shakespeare (1604). En écrivant à propos d’endroits comme Malte ou Venise, les dramaturges pouvaient examiner de manière délocalisée les rencontres et les conflits entre les cultures. L’attention portée aux Autres « exotisés » constitue en partie la mise en scène de marques de différence qui affirmeraient par négation l’identité nationale britannique émergente. Cependant, ces marques exercent aussi une fascination particulière, menaçant à la fois la centralité et la stabilité de cette identité. Le pays des Autres est construit à travers la lentille de la curiosité voyeuse à travers laquelle écrivains et public explorent ce qui est interdit dans leur propre culture. La description de ces pays offre un mélange instable de peur, de haine et de passion.
8Les deux principaux pays européens convoqués en rapport avec la prostitution sont la Hollande et l’Italie. Les immigrants hollandais jouaient un rôle essentiel dans la prostitution. Les Hollandais étaient réputés pour être d’excellents hommes d’affaires, et leurs maisons closes étaient très bien gérées et souvent luxueuses. Ils résidaient essentiellement à Shoreditch et Whitechapel. Des milliers de prostituées prirent le nom hollandais « Petronella », qui était une marque de mode et d’expertise5. On pense ici immédiatement à Franceschina, l’héroïne de The Dutch Courtesan de John Marston (1605). Freevill l’appelle « Dutch Tanakin » (I, i, 150)6, qui correspond au diminutif d’Anna, nom générique pour les femmes hollandaises et allemandes. Les auteurs ont fréquemment recours au vocabulaire topographique de la Hollande pour signifier l’incontinence, phénomène favorisé par le nom même de « Pays Bas ».
9L’Italie est encore plus présente que la Hollande sur la scène anglaise. Le public est très demandeur d’histoires « italiennes », surtout si elles prétendent être fondées sur des faits réels. Ces histoires sont répétées, multipliées et brodées pour satisfaire une demande incessante. Les prostituées vénitiennes en particulier sont réputées dans toute l’Europe. Cependant, l’Italie des dramaturges anglais diffère énormément de celle des géographes : il s’agit dans les tragédies d’un décor fantasmé de drames, de passions, de politique machiavélique et de vengeance. Les comédies romantiques de Shakespeare, elles, présentent l’Italie comme un lieu de légèreté et d’abondance propice aux intrigues amoureuses. L’Italie en général et Venise en particulier sont construites comme de fascinantes contradictions dans le système de représentation anglais.
10L’étrangeté de la prostituée peut dépasser les frontières de l’Europe, et elle n’en semble que plus menaçante. La Liberté de Southwark est d’ailleurs souvent désignée par les mots « Straits » et « Bermudas », renvoyant à des terres lointaines chargées de fantasmes. Quand la prostituée n’est plus européenne, elle n’est plus chrétienne, ce qui la rend doublement Autre (voire triplement, lorsqu’en plus elle est d’une autre couleur de peau).
11L’étrangeté de la prostituée se situe donc également au niveau de la religion. Ceci va avec la tendance accrue à la Renaissance à catégoriser les choses comme chrétiennes ou antichrétiennes. Quand il fallait montrer des actes horribles sur scène, ou une personne d’une méchanceté monstrueuse, l’arrière-plan de vice était rendu évident par le choix de nationalités spécifiquement antichrétiennes. Dans The Dutch Courtesan, le mot « publican » (I, i, 87) est employé comme synonyme de « prostituée », et dans The Second Part of King Henry IV de Shakespeare (1598), Doll est désignée comme « pagan » (II, ii, 118)7. La figure de la prostituée permet en outre d’attaquer l’Eglise catholique pour renforcer la légitimité du dogme protestant. Le clergé catholique est régulièrement critiqué pour ses mœurs débauchées ; la religion catholique était couramment considérée comme vénale et salace. Les couvents étaient connus pour leur débauche sexuelle. On trouve régulièrement de telles allusions dans nos pièces8.
12Il convient de s’attarder quelques instants sur la question des Juifs, puisque les prostituées et leur milieu sont désignés de manière récurrente comme appartenant à cette communauté. L’antisémitisme est très courant à la Renaissance, et il est davantage fondé sur des raisons théologiques que sur des arguments racialistes. Les Juifs partagent avec les prostituées la fonction de bouc émissaire. Ce sont des « habitants des frontières » : le fait qu’ils soient légèrement différents tout en ayant de nombreux points communs avec le discours dominant les rend d’autant plus dérangeants9. La femme juive fascine, mais elle est également perçue comme une menace. Beaucoup d’histoires circulent à la Renaissance sur de belles Juives aimées de chrétiens. Déjà à l’époque romaine, beaucoup de prostituées étaient juives. C’étaient des esclaves ramenées par les Romains de leurs guerres en Palestine10. Pioratto appelle Bellafront « sweet Jew » dans The First Part of The Honest Whore de Thomas Dekker (1604) (II, i, 224)11. Cependant, il n’y a pas de Juif anglais sur la scène élisabéthaine. Ces personnages évoluent dans des cadres étrangers comme la Turquie, Venise ou Malte. Tout devient alors possible. La figure du Juif est avant tout un procédé rhétorique puissant pour un public chrétien, l’incarnation de tout ce qu’il déteste et craint, tout ce qui apparaît comme irréductiblement différent.
13La mise à l’écart de la prostituée s’effectue aussi en termes de statut social. Ceci s’observe notamment à travers la récurrence quasi obsessionnelle de l’adjectif « common » dans nos pièces, à la polysémie intéressante. Aucune de nos œuvres ne manque d’accoler cet adjectif à plusieurs reprises au nom de « prostituée »12. Cet adjectif renvoie à la Renaissance à tous les citoyens sans titre, c’est-à-dire leur immense majorité. Dans The Second Part of The Honest Whore, Matheo appelle Bellafront « common harlot » (IV, i, 181). Quelques lignes plus haut, Bellafront se désigne elle-même comme une « common whore » (149), appellation à laquelle elle attache le mot « shame ». L’adjectif « common » était violemment rejeté par la prostituée dans la première partie de la pièce. Avec sa nouvelle humilité d’épouse d’un mari tyrannique, la jeune femme semble avoir accepté cette caractéristique d’être commune, sans aucune distinction. Cet adjectif renferme une multiplicité de colorations. On perçoit aisément le mépris dans la bouche de ceux qui l’emploient. « Common » semble à lui seul désigner la bassesse, l’aspect vil et méprisable. Mais ce mot renvoie avant tout à la définition même d’une prostituée, à savoir le fait qu’elle n’est pas la femme d’un seul homme. Ainsi, la périphrase de Malheureux pour désigner une prostituée dans The Dutch Courtesan est « a creature of public use » (II, i, 84). Cet aspect est encore plus clair à propos du personnage dont le patronyme est précisément « Common », à savoir la prostituée de The Alchemist de Jonson (1610). Dès la première scène, Dol se définit elle-même auprès de Face et Subtle comme « your republic » (I, i, 110)13. L’origine de ce mot, « res publica », signifie « la chose commune », et tout au long de la scène, Dol fait référence de manière insistante à leur entreprise commune en mettant l’accent sur l’idée de communauté et d’égalité14. Elle fait allusion à leur entente comme « the common work » (I, i, 157). Face et Subtle considèrent vraiment Dol comme l’élément fédérateur qu’ils ont en commun15. Mais le nom de Dol fait aussi allusion à ses origines modestes. Malgré l’insistance sur l’aspect commun de Dol, elle n’en est pas moins une figure unique et fascinante pour les hommes qui l’approchent.
14Du fait de son étrangeté et de sa perte de statut social, la prostituée en vient vite à perdre son humanité. Elle est souvent vue comme un objet ou un animal, ce qui est facilité par le fait que ce qu’elle a à vendre est sa propre personne. Il s’agit de faire de la prostituée une non-personne en la désignant avec des mots dénotant le non-humain. Les souteneurs utilisent les techniques des commerçants sur les marchés16. Ainsi, la scène ii de l’acte IV de Pericles de Shakespeare (c. 1607-1608) s’ouvre sur une allusion au marché. Les souteneurs veulent s’y rendre pour trouver des clients ; ils ont perdu de l’argent lors du marché précédent parce qu’ils étaient « too wenchless » (5) et « out of creatures » (7). Il leur faut acheter de « fresh whores » (10). En lisant ces lignes, on a l’impression d’un épicier parlant de son stock. D’ailleurs, le mot « stuff » désigne les prostituées quelques lignes plus loin (18). La réification de la prostituée s’opère surtout par le biais du vêtement, avec lequel elle entretient une relation métonymique. Quand elles ne sont pas réifiées, les prostituées perdent leur humanité en étant assimilées à des animaux. Presque tout le règne animal est représenté, mais les images les plus courantes sont celles des oiseaux, en raison de leur côté bruyant et instable, des chevaux (permettant les connotations sexuelles avec le verbe « ride »), des animaux aquatiques, à cause de leur aspect fuyant et sexualisé, et des chats, liés de tous temps à la féminité, mais aussi aux forces maléfiques. En outre, les prostituées sont souvent assimilées à de la viande, et les souteneurs à des commerçants. Il n’est donc pas surprenant que les descriptions de leur activité prennent souvent des allures de marché aux bestiaux ou de foire.
15La perte d’humanité de la prostituée peut s’effectuer en la rangeant du côté des suppôts de Satan. Une femme menaçante comme la prostituée ne peut qu’être placée du côté des forces obscures, et cette assimilation a en outre l’avantage de déculpabiliser les hommes qui succombent au pouvoir des prostituées. Ils ne peuvent être considérés comme responsables de leurs actes, puisqu’ils ont été ensorcelés par ces créatures démoniaques. Il n’est donc pas surprenant de retrouver l’image de la sirène17 dans nos pièces. Le crime des prostituées (régulièrement définies comme non protestantes) peut s’aggraver si elles sont accusées d’athéisme, car la frontière séparant l’athéisme du satanisme est des plus minces. L’athéisme constitue à la Renaissance une des marques caractéristiques de l’altérité, et la lubricité féminine est souvent associée à l’irréligion. Dans les pièces, les prostituées sont souvent décrites comme des créatures sans âme, ce qui, à nouveau, leur enlève leur humanité18. Ainsi, dans The White Devil de Webster, lorsque le cardinal n’emploie pas le terme « creature » pour faire référence à Vittoria (comme dans III, ii, 57 et 119)19, il utilise une expression qui fait d’elle sans ambiguïté une émissaire de Satan : « A woman of a most prodigious spirit » (58), expression que l’on peut rapprocher de « woman of foul soul », que l’on trouve dans The Dutch Courtesan (IV, i, 287). La pièce lève en outre l’ambiguïté qui peut peser sur le terme « creature », puisque Franceschina est désignée comme « a creature, made of blood and hell » (V, i, 83).
16Une connexion s’est toujours opérée entre la prostituée et la sorcière dans l’esprit populaire, surtout en ce qui concerne les vieilles prostituées et souteneuses. Cette connexion se fait à la fois à travers l’anormalité, essentiellement physique, et la sexualité débridée et déviante. Ces images sont d’autant plus présentes que la première moitié du XVIIème siècle marque l’apogée de la chasse aux sorcières. Dans nos pièces, les prostituées sont désignées de manière récurrente comme des sorcières. Bien sûr, c’est le discours de leurs détracteurs qui fait de ces femmes des sorcières20. On ne les voit jamais se livrer à un quelconque acte qui pourrait s’apparenter à de la magie noire.
17Le malaise lié à la prostituée vient entre autres du fait qu’elle est une « habitante des frontières » qui ne correspond à aucune définition précise, puisque pour reprendre le paradigme du duc dans Measure for Measure de Shakespeare (1604), une femme qui n’est ni vierge, ni épouse, ni veuve n’est rien (V, i, 171-180). 11 faut donc en faire une entité stable. La prostituée constitue un vecteur de cohésion sociale dans la société patriarcale. Cependant, la construction de l’altérité de la prostituée s’avère impossible car les catégories de comportement féminin sont des plus instables et les frontières, aussi bien géographiques que sociales, poreuses.
18A regarder de plus près les prostituées de la Renaissance, on se rend compte que la porosité est la notion qui domine. Tout au long du Moyen Age et durant la Renaissance, les autorités municipales de Londres ont passé des lois qui avaient pour but d’empêcher que les prostituées ne pénètrent dans l’enceinte de la ville et de confiner les activités de prostitution aux espaces suburbains. Mais la récurrence de ce genre d’édits indique leur inefficacité. Les volontés d’éradication totale du commerce de la chair eurent l’effet inverse et les prostituées voyant leur activité interdite se disséminaient à l’intérieur des murs. En outre, même si le contrôle de la prostitution était meilleur en ville qu’en banlieue, il y avait dans la cité des sanctuaires où les prostituées ont toujours été exemptes d’arrestation, grâce aux franchises ecclésiastiques ou laïques qui rendaient ces zones indépendantes de la justice royale. Les accusations répétées envers les banlieues comme siège du vice de la prostitution ne peuvent que sembler teintées d’hypocrisie, et les auteurs de comédies urbaines comme Jonson et Middleton ne s’y trompent pas quand ils situent l’action de leurs pièces dans un contexte londonien.
19Cette porosité concerne également les barrières sociales. Les puissants ne sont pas forcément les victimes du commerce de la chair ; ils en sont aussi les instigateurs, principalement pour des raisons financières, et ils rejoignent par là les proxénètes qu’ils méprisent. Par exemple, la municipalité tirait des avantages financiers de la prostitution, et la haute noblesse n’était pas non plus exclue de ce trafic. L’Eglise aussi participait activement à la diffusion du vice, tout en le dénonçant depuis la chaire21. Cette remarque est particulièrement pertinente en ce qui concerne l’évêque de Winchester, qui avait depuis l’époque normande la responsabilité des propriétés de la rive sud, et qui continua de tirer de substantiels bénéfices de ces propriétés jusque tard dans la Renaissance. Jonson et Middleton notamment excellent à montrer que ceux qui dénoncent le péché avec le plus de véhémence sont souvent ceux dont la conduite est la plus répréhensible. On pense par exemple au puritain Zeal-of-the-Land Busy dans Bartholomew Fair.
20Si la prostitution est omniprésente, c’est aussi parce qu’elle constitue un aspect inévitable de la vie en communauté. Etant donné le peu de professions ouvertes aux femmes, une femme non mariée avait très peu de choix pour assurer sa subsistance. Une femme seule n’avait pratiquement aucun autre moyen pour vivre, et si elle était pauvre, ses chances de trouver un mari diminuaient d’autant plus. De plus, la prostitution apparaît comme indispensable. Elle est vue comme une soupape de sécurité empêchant que d’autres débordements comme le viol, le pillage ou le meurtre ne soient commis. On trouve dans nombre de pamphlets et sermons le lieu commun de Thomas d’Aquin, qui compare la prostitution aux lieux d’aisance d’un palais : si on les supprime, la demeure est envahie par l’ordure22. La maison close a donc une fonction médiatrice. Nous rejoignons ici la théorie de Foucault selon laquelle la sexualité peut s’avérer l’instrument du pouvoir23. Dans cette perspective, la prostitution et les maisons closes n’apparaissent pas comme les symptômes d’une société marquée par le relâchement moral, mais au contraire, comme la manifestation et la garantie d’un monde aux codes moraux stricts. C’est tout le problème de la notion de subversion : les éléments qui en apparence remettent en question les formes politiques dominantes le font-ils vraiment, ou au contraire les renforcent-ils ?
21L’ambiguïté est en outre renforcée par le brouillage des catégories de comportement féminin. En dépit de ce qu’annoncent les listes de personnages au début des pièces, la distinction entre prostituée et épouse est bien moins facile à établir qu’il n’y paraît. L’attitude des autres personnages envers les personnages féminins et les choix de mise en scène des dramaturges brouillent les catégories tenues pour évidentes. L’épouse et la prostituée forment ensemble un chiasme ; si l’une et l’autre semblent à première vue bien séparées et antithétiques, on observe souvent un renversement des termes de l’antithèse, et on voit que la prostituée se comporte en épouse et l’épouse en prostituée, ou bien que la société en général et les hommes en particulier traitent et considèrent l’épouse comme une prostituée et inversement. Ce chiasme permet aux dramaturges de faire part aux spectateurs de la vision qu’ils ont de leur société, et amène le public à remettre en question ses valeurs, qui semblent s’inverser totalement.
22La prostituée semble parfois se conduire en épouse. Elle n’est pas forcément une créature cupide totalement dénuée de sentiment humain. Elle est même souvent bien plus humaine que les galants et les bourgeois qui l’entourent. La question fondamentale qui se pose est la suivante : une prostituée peut-elle être amoureuse ? Les dramaturges fournissent une réponse ambiguë à cette question. Par exemple, Franceschina, l’héroïne de The Dutch Courtesan, est à première vue une prostituée diabolique, mais elle semble également déchirée par les tourments imposés par le sentiment amoureux. Elle voudrait qu’on la considère comme une personne capable de donner et de recevoir de l’amour. Cependant, les hommes autour d’elle ont tout intérêt à la confiner dans le rôle d’une créature dénuée de tout sentiment, car cela la différencie de l’épouse et préserve l’hermétisme des catégories. Si l’on accepte le fait que Franceschina est amoureuse, son machiavélisme prend une tout autre coloration. On peut même être amené à considérer son vice comme une conséquence de son amour bafoué. Il ne semble pas erroné d’affirmer qu’elle est désespérée parce que Freevill l’abandonne pour se marier, et que son désir de vengeance destructrice naît de sa déception. Elle emploie plusieurs fois le mot « love » à propos de Freevill (II, i, 215, 231-32, 258)24. Cependant, son enthousiasme semble parfois trop débordant pour être sincère. En outre, ses phrases sont constamment à double sens, et le public ne peut jamais savoir si elle feint ou non. Ce flottement dans le personnage de Franceschina parcourt toute la pièce.
23Les catégories se brouillent d’autant plus que la prostituée devient parfois bel et bien épouse. Par le mariage, il s’agit de la réintégrer dans la communauté sous une forme socialement acceptable. Le mariage de la prostituée répond en outre aux conventions du genre comique. En effet, la comédie peut avoir la fonction conservatrice d’introduire des éléments potentiellement perturbateurs dans le but de les représenter comme harmonieusement assimilés dans l’ordre social existant à la fin. Une des tendances de la comédie consiste à inclure les personnages « bloquants » dans la société qui émerge à la fin de la pièce. Ces personnages sont la plupart du temps intégrés par la conversion25. Dans le genre de la comédie urbaine, le passage de la prostituée de la tromperie au mariage et à l’acceptation sociale va avec la tendance du genre à représenter une communauté unifiée et stable comme le but à atteindre. Le mariage de la prostituée appartient à la liesse finale de mise dans ce théâtre, et en général, les maris se résignent à prendre ces femmes pour épouses, notamment pour la raison qui revient de manière récurrente selon laquelle on peut davantage se fier au vice réformé qu’à la vertu tentée. La fin des comédies urbaines correspond souvent au schéma suivant : le héros futé gagne la jeune femme vertueuse, et la prostituée, si elle a de la chance, obtient un homme plus ou moins viril, souvent rebut de la société. Ce mariage a plusieurs fonctions principales : il constitue un moyen comique de punir les jeunes imbéciles ou les vieillards lubriques et cupides que la prostituée a dupés, et il permet à la jeune femme de s’élever socialement.
24En dehors de la figure de la prostituée mariée, une autre figure brouille les catégories pour se rapprocher de l’épouse : la courtisane. On observe chez les dramaturges jacobéens une tendance à élever le statut social de leurs prostituées pour les adapter aux genres de la tragédie et de la tragi-comédie, dont les personnages sont en général d’extraction noble. On aboutit ainsi au portrait de femmes qui se conduisent en prostituées alors qu’elles n’en sont pas à proprement parler. De plus en plus, la prostituée populaire fait place à la dame lubrique qui hante la cour. On peut distinguer deux types principaux de courtisanes : la maîtresse entretenue d’un seul homme, avec qui elle a une relation inscrite dans la durée, et la femme aux mœurs dissolues gravitant autour des cercles de pouvoir, et vivant grâce à son réseau de relations. Il s’agit d’une forme de prostitution non professionnalisée, mais d’autant plus dangereuse aux yeux des représentants du discours dominant qu’elle touche les couches supérieures de la société. En cas de naissance d’enfants illégitimes, la courtisane devient une menace pour l’ordre établi en raison de l’importance de la légitimité des héritiers pour la transmission des titres et du capital.
25Si la prostituée peut adopter des comportements caractéristiques de l’épouse, l’inverse est également vrai. Ainsi, la femme adultère se rapproche de manière troublante de la courtisane, puisqu’elle entretient une relation illégitime avec un homme autre que son mari sur une période plus ou moins longue. La femme adultère pose un réel problème en ce qui concerne la légitimité des héritiers et la transmission des titres et des biens. Ces personnages se font de plus en plus nombreux au cours de la période, et leur traitement est en général tragique.
26L’exception notable est constituée par le genre de la comédie urbaine, où l’on voit les bourgeoises tromper leur mari. Quand les épouses londoniennes préservent leur vertu dans ce genre, c’est par hasard, ou pour des raisons intéressées et calculées. Ces femmes orientent leur vie vers la recherche du plaisir. N’ayant pas d’éducation, elles sont crédules et vulnérables aux avances des galants. Elles sont subversives dans le sens où leur matérialisme et leur hypocrisie viennent perturber l’ordre « normal » (c’est-à-dire désiré par les membres du discours dominant) des choses, et leur infidélité et/ou leur autorité excessive se posent en menace pour le mariage. Les bourgeoises cupides des comédies urbaines sont toutes adultères en puissance, car leur matérialisme sans borne les fait passer outre toute barrière morale. Mais leur adultère n’est pas représenté directement sur scène ; il est suggéré et reste occasionnel. On pense par exemple aux bourgeoises de Bartholomew Fair, que leur visite à la foire transforme en prostituées. Les choses sont toutes différentes en ce qui concerne le cas extrême de Mistress Allwit dans A Chaste Maid in Cheapside, qui fait de l’adultère un véritable mode de vie qui fait vivre toute sa famille.
27Si la femme adultère est très présente dans les comédies jacobéennes à travers les bourgeoises de la ville, c’est surtout la tragédie jacobéenne qui est marquée par ce personnage. L’attitude la plus stricte, que l’on trouve notamment dans les pièces destinées au répertoire public (qui reflètent en général la morale conventionnelle), voit dans la plupart des cas la mort comme la seule réponse possible au péché d’adultère. Ces pièces sont essentiellement des mélodrames didactiques, que l’on peut qualifier de tragédies homilétiques. Il y est montré que Dieu punit tous les péchés, et que la providence, qui protège l’innocence, dénonce la culpabilité. C’est le cas de The First and Second Parts of King Edward IV de Thomas Heywood (1600), qui se situe à la toute fin de la période élisabéthaine. Jane Shore est une citoyenne, et Heywood fait de son adultère une tragédie domestique.
28Mais dans le genre tragique, ce sont bien plus des femmes de cour que l’on trouve dans le rôle de la femme adultère. Ces personnages ont divers degrés d’importance et de complexité. Il peut s’agir de personnages secondaires assez simples, voire simplistes, dont la fonction principale est de symboliser le vice et la corruption qui règnent à la cour. C’est le cas de la duchesse dans The Revenger’s Tragedy de Cyril Tourneur (1607), dont la fonction symbolique tient aussi au genre de la tragédie de la vengeance auquel appartient la pièce. Quand ces personnages passent au premier plan, ils tendent à gagner en complexité ; on pense à Vittoria dans The White Devil de Webster et à Bianca dans Women Beware Women de Middleton (c. 1622). Avec Vittoria, Webster livre au public un personnage particulièrement problématique qui le laisse dans l’incertitude. La jeune femme provoque chez le spectateur des sentiments mêlés d’attraction et de répulsion, d’admiration et de dégoût. Quoi qu’il en soit, elle ne laisse pas indifférent et représente l’un des personnages féminins les plus puissants de la scène jacobéenne. Quant à Bianca, bien qu’elle soit une meurtrière et une femme adultère, elle possède néanmoins une honnêteté et une intégrité dans sa perception des gens et des événements, qui contrastent avec la corruption qui l’entoure et qui la rendent sympathique pour le public.
29Il nous reste à observer une dernière catégorie de femme. En effet, si la femme adultère commet une faute avérée, ce n’est en revanche pas le cas de l’épouse légitime qui ne commet pas d’adultère et dont le statut se rapproche pourtant de la prostituée. La place problématique des relations sexuelles dans le mariage n’est pas étrangère à l’ambiguïté du statut de l’épouse. Si les porte-parole du discours dominant semblent vouloir établir une distinction absolue entre l’épouse chaste et la prostituée vers qui l’homme dirige tout ce que ses pulsions ont de répréhensible, les choses sont loin d’être aussi simples, notamment avec le changement de la conception du mariage que l’on observe à la Renaissance. Le consentement mutuel et la bonne entente, y compris du point de vue sexuel, sont mis en avant, et la mise en valeur de la virginité absolue et perpétuelle telle qu’on la trouve dans la pensée catholique est rejetée. Ceci se reflète dans le théâtre à travers la conception romantique du mariage que l’on trouve dans les pièces des théâtres publics, conception dans laquelle se mêlent la nouvelle idée du mariage, l’influence de la tradition antérieure de l’amour courtois, et les réflexions néoplatoniciennes sur l’amour très répandues à la Renaissance. Ces différentes influences font de l’épouse un être sexué et sexuel, ce qui rend plus problématique sa distinction d’avec la prostituée.
30Mais si la prostituée et l’épouse se confondent parfois, c’est aussi parce que l’on observe une complémentarité, voire une inversion des rôles, entre la prostituée professionnelle et les personnages féminins « respectables » que l’on traite en prostituées. Epouses et filles sont souvent engagées dans des relations de prostitution plus symboliques, desquelles elles apparaissent encore plus victimes que les prostituées professionnelles. La prostituée n’est jamais le seul personnage féminin d’une pièce. Elle a même parfois un rôle très mineur. Et pourtant, même quand la fille de joie a quitté l’espace scénique, elle reste présente à travers ces schémas symboliques. Dans ce cas, c’est la société qui la condamne qui est jugée par les dramaturges, bien plus que la prostituée elle-même, et la prostituée n’est bien souvent que la partie visible de l’iceberg, un indice de la corruption de son environnement prétendument respectable. Le renversement des rôles entre l’épouse et la prostituée est principalement dû au poids du système patriarcal et à l’importance de l’aspect financier dans les relations humaines en général et dans les relations entre les sexes en particulier. Ce sont souvent précisément les épouses des représentants de l’ordre et de l’autorité qui sont assimilées à des prostituées. Cette tendance se retrouve essentiellement dans le répertoire privé, et tout particulièrement dans le genre de la comédie urbaine. Jonson et Middleton notamment insistent sur le fait que les représentants du discours dominant assignent souvent l’étiquette de prostituée au personnage de manière hâtive. A travers la prostituée-bouc émissaire, c’est le fonctionnement de toute une société qui est jugé. Les comédies urbaines poussent à l’outrance le brouillage des rôles entre épouse et prostituée. L’accent est mis sur les avantages matériels que présentent les mariages de convenance. Les dramaturges se servent du mariage pour dénoncer une société cupide et individualiste. Dans cette perspective mercantile, la prostituée n’est pas forcément celle que l’on croit, et les rôles s’inversent entre femme « respectable » et prostituée professionnelle. De la même manière, fds prodigue et souteneur se confondent de plus en plus dans la comédie jacobéenne. Ce n’est pas le mariage en tant qu’institution qu’attaquent Jonson et Middleton, mais le mariage tel qu’une certaine société, la société mercantile, le pratique. Les champs sémantiques du commerce et du mariage s’entremêlent tellement dans leurs pièces qu’il devient presque difficile de faire la différence entre l’état conjugal et la prostitution. Dans la société cupide des comédies urbaines, l’insulte de « prostituée » est dirigée contre les femmes les plus vertueuses. Les héroïnes de théâtre, même les plus chastes, sont constamment traitées de catins, de « whore ». On se rend compte que le terme « whore » n’a finalement pas de définition fixe ; il en vient à désigner les femmes allant contre l’intérêt de celui qui profère cette injure, et donc le plus souvent, celles qui refusent de se conduire en prostituées, desservant par là les projets financiers des hommes. Dans cette perspective, la femme qualifiée de « prostituée » est précisément celle qui n’en est pas une, si ce n’est qu’elle partage une caractéristique fondamentale avec la travailleuse de la chair, à savoir une certaine insoumission au désir masculin. La différence entre épouse et prostituée est donc uniquement établie par les critères mis en place par les hommes à travers leur comportement. Si bien que la prostituée apparaît avant tout comme l’indice des vices cachés de la ville. Elle attire l’attention du public sur les tares de membres de la communauté socialement respectables. La seule valeur que semblent approuver Jonson et Middleton est l’intelligence. Dans leurs pièces, l’esprit créatif remplace les standards courants de la moralité. L’attraction exercée par notre personnage réside principalement dans le fait que malgré ses agissements criminels, il est souvent doté d’une intelligence incisive.
31A priori incarnation stéréotypée, voire simpliste, du vice, la prostituée dissimule en fait un jeu très complexe de concepts qui la dépassent largement. Aucun personnage féminin sur la scène anglaise de la Renaissance ne semble échapper aux thématiques liées à la prostituée. Notre personnage se révèle en quelque sorte le double de toute femme sur scène, parfois à peine dissimulé, parfois au contraire profondément enfoui, mais toujours présent. Le discours dominant s’efforce de contrôler la prostituée car elle représente des forces potentiellement anarchiques constamment sur le point de déborder. De cette volonté de contrôle ressort l’hypocrisie du discours dominant, dénoncée par des auteurs comme Jonson et Middleton. Cette hypocrisie permet également de prendre conscience de l’idée de porosité des frontières. La prostituée ne peut être envisagée isolément ; les ambiguïtés de l’épouse la rapprochent de notre personnage. Ces ambiguïtés révèlent la nécessité de réfléchir autour de la notion de “whore”, terme dont l’interprétation apparemment simple dissimule une troublante polysémie selon laquelle toutes les femmes seraient des prostituées — ou la prostituée n’en serait précisément pas une.
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Notes de bas de page
1 Ben Jonson, Bartholomew Fair, ed. Ε. A. Horsman, The Revels Plays, Manchester Manchester University Press, 1960.
2 E. J. Burford, Bawds and Lodgings. A History of the London Bankside Brothels c., 100-1675, London, Peter Owen, 1976, p. 74.
3 John Stow, A Survey of London Vol. II, ed. Charles Lethbridge Kingsford, Oxford, Clarendon Press, 1908, p. 367-368.
4 L. C. Knights, Drama and Society in the Age of Jonson, Londres, Chatto & Windus, 1937, p. 247.
5 Burford, op. cit., p. 78, 142 et 145-146
6 John Marston, The Dutch Courtesan, in Wood, Harvey, éd., The Plays of John Marston vol. II, Londres, Oliver & Boyd, 1938, p. 67-137.
7 G. Blakemore Evans, et J. M. Tobin, eds., The Riverside Shakespeare, Seconde édition, Boston, Houghton Mifflin, 1997.
8 Voir par exemple The White Devil de John Webster (1612) (V, i, 121-22), in The White Devil, ed. Elizabeth M. Brennan, The New Mermaids, Londres, Ernest Benn, 1966, et A Chaste Maid in Cheapside (III, i, 2-5) in Thomas Middleton, A Chaste Maid in Cheapside, ed. Alan Brissenden, The New Mermaids, Londres Ernest Benn 1968.
9 Gordon W. Allport, The Nature of Prejudice, New York, Doubleday Anchor 1958, p. 249-251.
10 Ε. J. Burford, Bawds and Lodgings, op. cit., p. 14, 38 et 70.
11 « Jew » est à nouveau employé dans ce sens par Bellafront (V, ii, 390), in Thomas Dekker, The Honest Whore. In Two Parts, in Ernest Rhys, ed., Thomas Dekker, Mermaid Series, Londres, Ernest Benn, 1949, p. 89-286.
12 Voir The First Part of The Honest Whore (« common hackney » (II, i, 262)) ; la réplique d’Ursula : « must I find a common pot for every punk i’ your purleius ? » (Bartholomew Fair IV, iv, 198-99) ; l’expression du duc « common strumpet » dans The Second Part of The Honest Whore (1630) (IV, ii, 80) ; la périphrase de Malheureux pour désigner une maison close, « Common house of lascivious entertainment » dans The Dutch Courtesan (I, i, 63) et l’expression « common bosom of a money Creature » qu’il emploie (I, i, 98) ainsi que « a common love » (I, ii, 142 et V, i, 79) pour renvoyer à ses sentiments envers Franceschina.
13 Ben Jonson, The Alchemist, ed. Douglas Brown, The New Mermaids, Londres, Ernest Benn, 1966.
14 Voir I, i, 133-36.
15 Voir III, ii, 18-19.
16 Voir par exemple Bartholomew Fair (V, iv, 52-54).
17 Voir Bartholomew Fair III, iii, 42-44, A Chaste Maid in Cheapside IV, ii, 67-69 et The Dutch Courtesan I, ii, 113.
18 Voir par exemple The First Part of The Honest Whore (II, i, 376).
19 Ce terme est ambigu, puisqu’il désigne à la fois l’être humain, créé par Dieu, mais aussi, de manière plus péjorative (comme c’est le cas ici), un être d’un ordre mal défini.
20 Voir The White Devil I, ii, 226 et 239, et III, ii, 102-104.
21 On pense par exemple à l’évêque de Winchester, qui avait depuis l’normande la responsabilité des propriétés de la rive sud, et qui continua de tirer de substantiels bénéfices de ces propriétés jusque tard dans la Renaissance.
22 Wallace Shugg, « Prostitution in Shakespeare’s London », Shakespeare Studies 10 (1977), p. 291-313, p. 292.
23 Pour les théories de Foucault directement dans l’axe de notre étude, nous renvoyons le lecteur à son Histoire de la sexualité. I. La Volonté de savoir, et plus particulièrement les chapitres II « L’hypothèse répressive » et IV « Le dispositif de la sexualité » (Paris, Gallimard, 1995), et au troisième tome Le Souci de soi, particulièrement le chapitre III « Soi et les autres » (Paris, Gallimard, 1984).
24 Il convient de rappeler ici qu’il faut être très prudent avec l’usage de ce terme, dont le sens a bien changé depuis la Renaissance. La notion d’amour telle que la conçoivent les Romantiques n’existe pas à l’époque, et le mot désigne bien plus une pulsion qui s’empare de la raison, affection qu’il convient donc de fuir.
25 Voir Northrop Frye, Anatomy of Criticism, Londres, Penguin, 1957, p. 165-66.
Auteur
Centre des Études Supérieures de la Renaissance
Université François-Rabelais de Tours
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