Négation et (re)construction identitaire positive : quelques paradoxes rushdiens
p. 233-250
Résumé
Dans ses fictions comme dans ses non-fictions, Rushdie est hanté par deux concepts appelés à l’être après la fatwa, unbelonging et disorientation qui sont au cœur de sa problématique sur la question de l’identité postmoderne/postcoloniale.
J’étudierai la construction d’une revendication identitaire rushdienne positive à la lumière du concept développé dans Step Across This Line que je considère, avec Imaginary Homelands, comme l’œuvre d’un philosophe humaniste. Retravaillant le traditionnel concept de la Frontière, Rushdie se fait le chantre de la transgression de toutes les frontières : physiques, littéraires, culturelles, linguistiques ou philosophiques.
À partir d’une étude linguistique, stylistique et pragmatique, je montrerai que la construction d’identité passe par le recours paradoxal à la négation transfigurée en valeur positive. Ainsi, malgré une dénotation négative construite linguistiquement par la présence du suffixe négativant -less dans frontierless, Rushdie met en place une connotation positive en raison de la requalification de la notion de Frontier. Les formes de la négation paradoxale rushdienne seront envisagées dans leur aspect tant onomasiologique que sémasiologique.
Texte intégral
Attraper les droits de l'homme par la peaudes mots qui servent à les dire, pour protester contre l'universalisme droit-de-l'hommiste : jus, homo, humanus, alienus, êthos, philos, phonê, logos - mots en langage (notes de la dernière éditrice Barbara Cassin, in Desanti, La Peau des mots - Réflexions sur la question éthique - Conversations avec Dominique-Antoine Grisoni, 2004, 7.)
INTRODUCTION
1Dans ses fictions comme dans ses non-fictions, Rushdie est hanté par deux concepts appelés à l'être après la fatwa, unbelonging et disorientation.
2J'étudierai la construction d'une revendication identitaire positive à la lumière du concept développé dans Step Across This Line que je considère, avec Imaginary Homelands, comme l'œuvre d'un philosophe héritier des Lumières. Retravaillant le traditionnel concept de la Frontière, Rushdie se fait le chantre de la transgression de toutes les frontières : physiques, littéraires, culturelles, linguistiques ou philosophiques.
3À partir d'une étude de ses textes politiques, je montrerai comment sa reconstruction d'identité passe par le recours paradoxal à la négation, transfigurée en valeur positive. Ainsi, malgré une dénotation négative construite linguistiquement par la présence du suffixe négativant -less dans frontierless, Rushdie met en place une connotation positive en raison de la requalification de la notion de Frontière. De la même manière, les concepts de disorientation et de unbelonging, dans les essais comme dans le roman The Ground Beneath Her Feet présentent la particularité d'être dénotés par des noms à connotation négative liée à leur préfixation négativante en dis- et en un-. Chez Rushdie, l'affirmation de soi semble bien souvent passer par la forclusion2 et le déni, ou son refus. L'homme des divided selves (Rushdie, 1992 [-1991]) aime à manier les paradoxes. Ainsi, par leur pouvoir perfonmatif (Butler, 2004 [-1997]) et par le biais de la capacité interpellative et contre-interpellative de tout texte (Lecercle, 1999 et 2004 et Lecercle & Shusterman, 2002), ses écrits peuvent être considérés comme une forme de manifeste de revendication identitaire pour l'auteur lui-même comme pour ses lecteurs qui, comme lui, se sentent écartelés entre tradition et modernité, pétris des contradictions que les différents passages de frontières, réels ou symboliques, ne laissent pas de mettre en place.
1. QUELQUES ÉLÉMENTS D'ANALYSE CONJONCTURELLE : CONTEXTUALISATION ET DÉMARCHE INTERPRÉTATIVE
1.1. Conjoncture historique
4Dans son « Avertissement » au lecteur de Moyens sans fins – notes sur la politique (2002 [-1995], 7), Agamben déclare :
[1] Si la politique semble aujourd'hui traversée par une éclipse persistante, où elle apparaît en position subalterne par rapport à la religion, à l'économie et même au droit, c'est parce que, dans la mesure même où elle perdait conscience de son propre rang ontologique, elle a négligé de se confronter aux transformations qui ont vidé progressivement de l'intérieur ses catégories et ses concepts.
5C'est un violent retour du politique qui a mis Salman Rushdie dans la position de victime, transformant le romancier néo-baroque spécialiste du foisonnement langagier en inlassable défenseur des Droits de l'Homme et en philosophe tentant de conceptualiser le monde en mutation, contraint en cela à une certaine forme d'abrasement de son style spécifique, mais sans renoncer totalement au plaisir du jeu sur le langage. Quand Rushdie discourt et philosophe, il continue à faire bégayer le langage selon un principe cher à Deleuze et amplement repris par Lecercle, même si le bégaiement est moins flamboyant que dans ses fictions.
6Dans son recueil de non fiction écrit au fil des « années d'exil », Rushdie s'affirme en héritier des Lumières citant Diderot et Voltaire, doté d'une filiation intime avec les traditions indiennes et musulmanes pour mieux prendre ses distances avec tous les dogmes et reconquérir sa liberté physique et intellectuelle. Dans la conférence éponyme, Rushdie élabore un nouveau concept de frontière adapté à l'internationalisation des échanges non seulement économiques, mais également humains, car le XXème siècle a été un siècle d'exil massif, de guerres, de génocides et de retour au fanatisme tant religieux que politique (Rushdie, 2002 et Agamben, 2002). Mais comme Rushdie est un écrivain talentueux, ses textes politiques sont porteurs d'un style, au sens deleuzien du terme3, qui n'a rien à envier à son œuvre littéraire, même si la langue de ses essais, outil au service de sa pensée, est plus concise que sa fiction.
7C'est la raison pour laquelle j'envisage d'analyser comment Rushdie, philosophe de la postmodernité postcoloniale (Hutcheon, 1989, 2002), bénéficie de son habileté langagière d'écrivain pour la mettre au service, non plus de seuls jeux de langage fictionnels, mais d'une volonté de penser le politique par le biais d'une utopie de paix (eirene) dans une période où règne le conflit (agôn). Rushdie, victime de l'agôn de la fatwa, se fait ici théoricien d'une eirene « post-utopique ».
8J'étudierai donc comment il pense le monde dans sa conjoncture postmoderne/postcoloniale (Lyotard, 1979 ; Hutcheon, 1989 ; Loomba, 1998 ; Talib, 20024) en faisant appel aux deux concepts d'unbelonging et de disorientation. La particularité de ces deux noms de concepts tient au fait que leur composition lexicogénétique négative trouve sous la plume de Rushdie un sémantisme positif, ce qui semble paradoxal. On notera au passage que si disorientation est parfaitement attesté, Rushdie lui donne un sens fort différent de ce que la doxa entend habituellement. Quant à unbelonging, il s'agit non seulement d'une création de concept, mais vraisemblablement d'une création lexicale postcoloniale dont je ne sais dire à ce jour si la paternité en revient à Rushdie ou non. Mais on ne peut que remarquer que le terme a fleuri dans le cadre des études postcoloniales, comme en atteste le titre d'un colloque organisé par Sheila Collingwood-Whittick à Grenoble en juin 2004 : The pain of unbelonging.
1.2. Démarche interprétative
9J'utilise une approche de « linguistique encyclopédique » qui intègre l'analyse linguistique, pragmatique et stylistique des textes politiques de Rushdie pour montrer comment le recours à un lexique ou à des tournures grammaticales habituellement frappés du sceau de la négation, tant du point de vue formel que sémantique, contribue à la création paradoxale d'une « utopie positive » dont la première brique est la reconstruction d'identité positive d'un écrivain pris dans les contradictions (et les dangers) de son art et dans les rets de la façon dont l'auteur et ses livres sont perçus. Cette construction positive n'est pas nouvelle et avait déjà commencé à être élaborée à propos des divided selves dans Imaginary Homelands (Rushdie, 1991). Par ailleurs, on en trouve déjà des traces dans le premier chapitre de The Satanic Verses (donc avant la fatwa) :
More than halfway, many would have argued, for Gibreel had spent the greater part of his unique career incarnating, with absolute conviction, the countless deities of the subcontinent in the popular genre movies known as ‘theologicals’. It was part of the magic of his persona that he succeeded in crossing religious boundaries without giving offence. (Rushdie, 1998 [-1988], 16)
10Ici, tout comme dans l'extrait suivant, le concept de transgression de frontières comme valeur positive est déjà en germe, sans pour autant être étiqueté du terme de frontierlessness que l'on retrouvera ensuite dans les Messages from the Plague years (Rushdie, 2002) :
But the orphan knew better. He knew that his father had finally run hard enough and long enough to wear down the frontiers between the worlds, he had run clear out of his skin and into the arms of his wife, to whom he had proved, once and for all, the superiority of his love. Some migrants are happy to depart. (Rushdie, 1998 [-1988], 19).
11Dans Step across This Line, Rushdie continue à penser le monde, le politique et la littérature, mais le concept principal de ce livre se résume dans l'injonction paradoxale de son titre. L'injonction est paradoxale car, c'est bien connu, si l'on obéit à une injonction de transgression, celle-ci se dissout immédiatement.
12Adepte de la résolution du paradoxe par le paradoxe prônée par Watzlawick (1975), comme en témoigne le recours récurrent à la métaphore photographique :
[2] It could just be I found a way of stepping outside the picture5. (Rushdie, 2000 : 360)
13Rushdie se libère, conceptualise - ce qui, selon Deleuze est le travail du philosophe - et met à son tour son lecteur dans une position de double-bind ou double contrainte comparable - toutes proportions gardées - à celle dans laquelle il avait été mis par la fatwa.
14Pour sortir du double-bind dans lequel le lecteur, enjoint à transgresser, se retrouve captif, je me propose d'objectiver le fonctionnement du texte rushdien par une analyse linguistique encyclopédique. Mais tout d'abord, il me faut expliciter ma démarche.
2. QU'EST-CE QUE LA LINGUISTIQUE ENCYCLOPÉDIQUE ?
2.1. Une approche interdisciplinaire
15Face à la relative impuissance des disciplines traditionnelles à rendre compte d'un texte dans sa globalité, la « linguistique encyclopédique » que je prône comme méthode interprétative tire son origine de courants très divers dans le domaine des « sciences humaines » que je ne me lasse pas de préférer appeler « humanités ». Elle est une émanation des linguistiques de l'énonciation (Benveniste, Guillaume, Culioli, etc.). Elle s'inspire aussi de la pragmatique anglo-saxonne (Grice, Austin et Searle), sans négliger la psychologie (Watzlawick et Bateson dans le cadre de « l'école de Palo Alto ») ni oublier, selon les textes à analyser, l'analyse de discours (Kerbrat-Orecchioni), la sociologie (Bourdieu), l'anthropologie (La Cecla), l'ethnologie (Urbain) et la philosophie (Deleuze, Agamben, Lyotard)6. Mais elle provient aussi et surtout de la mise en pratique et d'une appropriation personnelle de l'interprétation pragmatique de textes littéraires et de la philosophie marxiste du langage, tous deux développés par Lecercle (1999 et 2004 et dans Lecercle & Shusterman, 2002, chap. 3).
16C'est une pratique linguistique qui consiste à envisager un texte, un ouvrage, voire une œuvre, dans son intégralité et non des énoncés collectés au hasard sans une réelle connaissance du contexte encyclopédique d'apparition et de réception du texte7. C'est dire que les théories de la réception font aussi partie de ma problématique. Mais, bien évidemment, c'est le texte et le langage (en tant qu'il s'inscrit dans le texte et crée celui-ci) qui sont au cœur de l'interprétation. Comme le suggère, sans pour autant le développer explicitement, le modèle ALTER de Lecercle, le but n'est donc pas d'imposer une interprétation fermée, mais de proposer une interprétation en pratiquant une analyse qui, comme le modèle dont elle est issue, permet une variété d'analyses possibles au gré du changement des conjonctures et des encyclopédies. Par encyclopédie, il faut entendre la somme des savoirs et croyances d'une société donnée en un temps historique donnée, en fonction d'un contexte social et politique. La méthode se veut donc proposition, non imposition.
2.2. Une méthode interprétative
17On ne peut analyser des textes importants, littéraires ou non, d'un point de vue qui ne soit que strictement linguistique sans risquer une déperdition contextuelle, pas plus qu'on ne peut les analyser sans s'intéresser à la manière dont la pensée se met à l'œuvre dans l'inscription en discours par le biais du langage. Je pense ici en particulier aux travaux pionniers de l'historienne Régine Robin (1973) alliant linguistique et histoire.
18Cette description de la méthode utilisée n'est pas vaine en ce qu'elle s'inspire également de la philosophie rushdienne développée dans Step across this Line : une interprétation étayée ne peut s'appuyer que sur la variété et le renouvellement que procure le franchissement des frontières qui nous assignent à résidence. J'étudierai ainsi la problématique rushdienne à l'aide de l'application pratique d'une théorisation qui prend en compte la notion de frontière requalifiée par Rushdie : la frontière qu'il ne faut en aucun cas hésiter à franchir ici : celle des disciplines. Mais il me faut auparavant rendre à Lecercle ce qui est à Lecercle : histoire, langage et philosophie ne peuvent être dissociés.
19En ce qui concerne l'analyse du langage, je me place dans une optique à la fois onomasiologique et sémasiologique dans la mesure où je considère non seulement les formes linguistiques du point de vue de la grammaire et du lexique, mais aussi leurs valeurs et les notions qu'elles véhiculent.
3. TRACES LINGUISTIQUES DE NÉGATION : VECTEUR DE FORCLUSION OU DE CONSTRUCTION POSITIVE ?
3.1. De la négation comme constat négatif à la construction positive par la négation
20Après avoir traité d'« une grammaire de la forclusion », à partir des écrits de Freud, Lacan, mais aussi des grammairiens Damourette et Pichon, Solal Rabinovitch, dans le chapitre sur « Les négations constitutives du sujet », explicite ainsi la distinction entre Bejahung et Verneinung :
[3] En distinguant le jugement d'attribution et le jugement d'existence, Freud fait entendre que la Bejahung ne comporte pas encore l'existence, alors que la Verneinung qui comporte le symbole de la négation présuppose l'existence de ce qu'elle nie pour pouvoir le nier. Négation grammaticale qui ne s'exerce que dans la parole — et dans l'écriture —, elle ouvre par là même l'accès au conscient du contenu du refoulé ; elle propose au savoir le « je ne sais pas » fondamental du sujet, ici du sujet de l'énonciation ; sa forme négativée, index du trou de l'énonciation, permet à ce qui ne se sait pas et à ce qui ne se dit pas de s'introduire dans le dire. Elle est accès au savoir qui ne se sait pas, elle rend pensable (conscient) ce qui ne l'était pas. (Rabinovitch, 2000 :40-41)
21Pour sa part, Rushdie, écrivant en anglais, manie la négation grammaticale et lexicale de deux manières distinctes.
22D'une part pour exprimer des notions à valeur négative, ce qui est naturel. Mais, d'autre part, il profite aussi du jeu sur le langage pour rendre pensable ce qui ne l'était pas et transforme ainsi son expérience négative (qui est de l'ordre de laphusei) en une forme de pensée utopique (qui est de l'ordre de la thesei), sinon positive, du moins optimiste, pour lutter contre une forme de nihilisme qui pourrait le guetter. Le retournement de la négation deviendra donc une manière de « positiver », comme on dit dans la grande distribution.
23Après 1989, qu'il parle ou se taise, Rushdie se trouve lié par une injonction paradoxale selon laquelle, quoi qu'il fasse, il perd son autonomie, prérogative normalement indiscutable du créateur artistique.
24Dans la deuxième section du recueil, Messages from the Plague Years, le nom plague à connotation négative ne fait pas référence qu'à la situation périlleuse de l'homme, mais aussi à la condition d'écrivain empêché de pratiquer son art, en quelque sorte annihilé :
[4] The fatwa of Imam Khomeini bent the world out of shape. Ancient blood-lusts were unleashed. armed with state-of-the-art modern technology. Battles we thought no longer needed to be fought — battles against such concepts as " blasphemy " and " heresy ", which throughout human history have been the storm troopers of bigotry — were reenacted in our streets. Many people who should have known better defended the real and threatened violence and blamed its victims. Even now, in Britain, there is a powerful lobby that regularly denigrates my character. It is hard for me to be my own advocate in this matter, hard for me to insist on my own value. When I do, I am accused of arrogance and ingratitude. But when I don't fight my corner, my case is swiftly forgotten. Quite a double-bind (Rushdie, 2002,213-214)
25Dans un premier temps, au début de ce texte de 1992 où Rushdie fait le point sur sa situation, les termes négatifs, qu'ils soient lexicaux comme blood-lusts, unleashed, blasphemy, heresy, the storm troopers of bigotry, threatened, violence, blamed, victims, denigrates, hard, arrogance et ingratitude mais aussi armed et powerful lobby8, ou les phrases négativées par la portée de no longer dans l'expression : Battles we thought no longer needed to be fought, ou par don't dans : when I don't fight my corner, conservent à la fois leurs dénotations et leurs connotations négatives.
26Puis l'assertion positive when I do est alliée à un lexique à connotation negative accused, arrogance, ingratitude. Par la suite, l'assertion négative when I don't fight my corner apparaît en collocation avec un lexique à sémantisme négatif swiftly forgotten. Quels que soient ici les marqueurs grammaticaux de polarité, le sémantisme reste négatif au moment du constat.
27Pour avancer dans ma tentative de définir la négation dans une approche transdisciplinaire, je reviendrai sur Rabinovitch et l'analyse du français :
[5] La négation grammaticale a deux morceaux : ne... pas. C'est au second morceau de la négation, celui qui suit le « ne » discordantiel, ce ne pourtant suffisamment niant en lui-même pour ne pas nécessiter une relève, que Damourette et Pichon donnent le nom de forclusif : « Ne (ne discordantiel) jamais (jamais forclusif) avoir... fait, vécu, existé, etc. La force d'une telle négation qui frappe le moment ultérieur détruit le moment antérieur dont il dépendait étroitement. Si nommer une chose la fait exister, le mode de négation « forclusif » qui relève de la première négation phrastique, la discordantielle, détruit la chose au moment même où il la fait exister ; mais il la détruit à la fois dans l'avenir et dans le passé ; il dit le désir qu'une chose n'ait jamais existé. Il est en vérité trace d'une non-existence. (Rabinovitch, 2000,20)
28Le type de négation que nous venons d'étudier semble être du domaine du forclusif. Il n'y a pour l'instant par de paradoxe inscrit dans le langage utilisé. Toujours selon Rabinovitch :
[6] Que l'affirmation primordiale n'aille pas sans négation, cela implique qu'il existe une négation préalable à la Verneinung. (Rabinovitch, 2000, 28)
29La reconstruction positive de l'homme, de l'écrivain et de l'essayiste ne s'effectue pas encore par une requalification de la négation en valeur positive, comme cela se fera beaucoup plus clairement dans la conférence en deux parties « Step across This Line » à la fin du livre où, malgré le recours aux marqueurs de négation, Rushdie s'échappera de la forclusion par une pirouette langagière fort habile dans laquelle le suffixe -less... is more avec le choix des termes frontierless et frontierlessness.
30Mais le processus allant vers cette finalité est engagé dès le paragraphe suivant du même texte. Pour commencer, Rushdie manie l'injonction en recourant à l'impératif négatif Do not adjust your minds pour regagner une image positive en interpellant son lecteur :
[7] As we used to say in the sixties, there is a fault in reality. Do not adjust your minds. (Rushdie, 2002,214)
31Cette interpellation du lecteur trouve ici sa trace matérielle dans le langage sous la forme d'une négation grammaticale dont le but pragmatique est, vous l'avez deviné, de parvenir à la reconstruction positive de l'identité de l'écrivain. Comme toute interpellation, celleci devrait appeler une contre-interpellation du lecteur. Or, curieusement ici, l'interpellation, par la force de l'impératif qui est du domaine de l'ordre, amène Rushdie à enjoindre ses lecteurs à lui obéir. Le prix à payer de la libération de l'Auteur empêché tentant de se « désempêcher » semble être une perte d'autonomie temporaire du lecteur : contrairement au slogan, positif et contre-interpellatif (Lénine commenté par Lecercle, 2004), tout mot d'ordre négatif fonctionne comme une interdiction. Or toute interdiction est un ordre sans appel. La question qui se posera alors sera de comprendre comment une interpellation injonctive peut ne pas mener à la « mort (symbolique, certes) du lecteur », mais à son assignation à une place prédéterminée par l'auteur de l'injonction (Lecercle, 2004 et Rinzler [d] à paraître), ce qui, normalement, devrait bloquer toute contreinterpellation de la part du récepteur de l'injonction. Ceci tient au fait que l'injonction s'adresse à une Représentation de Lecteur Idéal (RepR Idéal)9 qu'en a l'auteur, à savoir, un lecteur en sympathie potentielle avec lui, susceptible de répondre à son interpellation, aussi catégorique soit-elle, par une contre-interpellation qui devrait l'amener naturellement, non à l'identification ou à l'accès à l'altérité de l'auteur comme le décrit Lecercle (2002) au sujet de la littérature, mais au sentiment de sympathie envers l'auteur. Bien évidemment, ce sentiment qui est de l'ordre de l'affect, fait partie de l'intention de l'auteur (Int A). Je fais référence ici au concept de sympathie développé par Deleuze & Parnet dans Dialogues (1996)10.
32Rushdie poursuit ainsi son interpellation :
[8] What has been done to The Satanic Verses, its author, publishers, translators and booksellers, is a crime against freedom. The novel is not the crime; the author is not the criminal. (Rushdie, 2002,214)
33Malgré la polarité positive de la structure verbale What has been done, la connotation est déjà négative en raison de la dénotation et de la connotation négative du terme crime, d'autant plus que celui-ci est en proximité avec le terme à connotation positive freedom. La polarité négative de l'énoncé comportant la négation du marqueur d'identification BE sous la forme is not, par deux fois, marque le renversement qui s'effectue par le biais d'un jeu de langage entre positif et négatif entre le lexique et la grammaire et permet d'amorcer, par la matérialité du langage, la (re) construction positive de son auteur. Notre encyclopédie d'occidentaux amoureux de la littérature nous fait classer les noms novel et author dans la catégorie positive. La négation par BE à la forme négative interdit l'identification de ces termes positifs aux autres termes négatifs de l'équation crime et criminal. L'assertion négative d'une non équivalence participe de la construction positive de la littérature et de l'écrivain en refusant l'assimilation à la valeur négative qui fait partie de l'encyclopédie des tenants de la fatwa ou de l'idéologie dominante selon laquelle la victime aurait toujours une part de responsabilité ou d'agentivité relative dans le mauvais sort qui lui échoit.
3.2. Négation constitutive du sujet : les concepts rushdiens « unbelonging », « disorientation » et « frontierlessness »
34Je citerai encore Rabinovitch pour montrer comment le recours à diverses formes de négation permet d'élaborer une théorie « positive » constitutive du sujet, théorie qui concerne aussi bien son auteur, à savoir Rushdie (A Rush), que sa représentation de lecteur idéal (RepR Ideal)11 et l'on constatera que, comme par enchantement, le concept de frontière refait surface :
[9] En somme, c'est une affaire de frontières ; en s'y interrompant, mémoire et écritures font et défont l'histoire. C'est aux frontières entre une époque et une autre, entre un temps etun autre, que s'exerce telle ou telle négation. Elle censure, interdit, exile ; elle bloque le passage ; la négation, en donnant une forme falsifiée et déformée aux représentations - aux signifiants - à qui elle refuse le passage, prouve en même temps leur existence qu'elle rend insubmersible. Seules seront lisibles les déformations produites par cet empêchement ; la lecture des déformations livrera le contenu empêché par le chemin même qu'aura emprunté l'écriture de sa déformation. Dans le texte obtenu in fine, on pourra lire que tel signifiant n'y sera jamais ou que tel autre est complètement déformé, ou encore que le reste des autres a été traduit puis réécrit. (Rabinovitch, 2000, 44)
35Ainsi, si la doxa peut être schématisée par , l'anti-doxa rushdienne correspond, pour sa part, au schéma inversé :
Si la formule peut sembler banale, ce qui ne l'est pas, c'est le fait que Rushdie la mette en mots, la fasse vivre dans la langue, dans la mise en discours de sa revendication identitaire.
36C'est à cette réécriture de la négation que Rushdie s'est attaché dans ses essais.
CONCLUSION
37Cet article visait à montrer que les textes de résistance sont des textes de réflexion qui, loin de n'être que de simples textes de circonstance guidés par une conjoncture, deviennent — par la force de leur performativité textuelle (Butler, [1997], 2004 et Salih & Butler, 2004) et des circonstances de leur création — des textes politiques et philosophiques. Le cas de Rushdie n'est pas isolé. L'adversité met l'écrivain brimé, censuré ou menacé dans la position de devoir défendre à la fois son art et sa personne, le rendant ainsi, par nécessité, un écrivain engagé. La même problématique pourrait être attribuée à Arundhati Roy, critiquée pour n'être pas restée à sa place de romancière en militant contre les grands barrages. Sa réponse cinglante, dans Shall we leave it to the Experts?12 correspond au même double-bind que celui qui contraignait Rushdie :
[10] It has been some years now since my first, and so far only, novel, The God of Small Things, was published. In the early days, I used to be described—introduced—as the author of an almost freakishly'successful'(if I may use so vulgar a term) first book. Nowadays I'm introduced as something of a freak myself. I am, apparently, what is known in twenty-first century vernacular as a'writer-activist'. (Like a sofa-bed)
38Et l'on remarquera ici le jeu sur le langage avec la comparaison vénale entre un sujet qui pourrait être noble, a writer-activist, mais qui ne l'est pas pour Roy, comme le sous-entend la comparaison like a sofa-bed qui tend à minorer toute sorte de grandiloquence dans le concept d'écrivain engagé13.
39Mais, on le sait, quoique désagréable, la contrainte peut être source de renouvellement, d'engagement politique et de création littéraire, comme en témoignent ces extraits de The Ground beneath Her Feet :
Disorientation is loss of the East. Ask any navigator: the east is what you sail by. Lose the east and you lose your bearings, your certainties, your knowledge of what is and what may be, perhaps even your life. Where was that star you followed to that manger? That's right. The east orients. That's the official version. The language says so, and you should never argue with the language.
But let's just suppose. What if the whole deal-orientation, knowing where you are, and so on-what if it's all a scam? What if all of it-home, kinship, the whole enchilada-is just the biggest, most truly global, and centuries-oldest piece of brainwashing? Suppose that it's only when you dare to let go that your real life begins? When you're whirling free of the mother ship, when you cut your ropes, slip your chain, step off the map, go absent without leave, scram, vamoose, whatever: suppose that it's then, and only then, that you're actually free to act! To lead the life nobody tells you how to live, or when, or why. In which nobody orders you to go forth and die for them, or for god, or comes to get you because you broke one of the rules, or because you're one of those people who are, for reasons which unfortunately you can't be given, simply not allowed. Suppose you've got to go through the feeling of being lost, into the chaos and beyond; you've got to accept the loneliness, the wild panic of losing your moorings, the vertiginous terror of the horizon spinning round and round like the edge of a coin tossed in the air. You won't do iL Most of you won't do it. The world's head laundry is pretty good at washing brains: Don't jump off that cliff don't walk through that door don't step into that waterfall don't take that chance don't step across that line don't ruffle my sensitivities I'm warning you don't make me mad you're doing it you're making me mad. You won't have a chance you haven't got a prayer you're finished you're history you're less than nothing, you're dead to me, dead to your whole family your nation your race, everything you ought to love more than life and listen to like your master's voice and follow blindly and bow down before and worship and obey; you're dead, you hear me, forget about it, you stupid bastard, I don't even know your name. (Rushdie, 1999, 181-182)
40La quantité de formes grammaticales négatives et de mots lexicaux à connotation négative dans ce passage du roman contemporain de la rédaction des essais étudiés ici est impressionnante et dans cette longue tirade où la ponctuation est volontairement transgressive, la doxa négative est confirmée. La négation véhicule un sémantisme négatif. En revanche, la suite est une amorce de l'anti-doxa rushdienne développée dans les essais de 2002 :
But just imagine you did it. You stepped off the edge of the earth, or through the fatal waterfall, and there it was: the magic valley at the end of the universe, the blessed kingdom of the air. Great music everywhere. You breathe the music, in and out, it's your element now. It feels better than “belonging” in your lungs. Vina was the first one of us to do it. Ormus jumped second, and I, as usual, brought up the rear. And we can argue all night about why, did we jump or were we pushed, but you can't deny we all did it We three kings of Disorient were. And I'm the only one who lived to tell the tale. (Rushdie, 1999, 182)
41Dès lors, le roman annonce l'anti-doxa rushdienne dans laquelle disorientation, unbelonging et frontierlessness, en dépit de leur lexicogénèse privative, sont porteurs des valeurs philosophiques rushdiennes positives.
42Ainsi, en rushdienne postmoderne et transgressive traversée par les concepts unbelonging et disorientation, j'ai proposé par le biais de l'analyse du langage de Rushdie, une tentative de modèle analytique qui, quoique baptisé quelque peu pompeusement « linguistique encyclopédique », est une manière, pour l'interprète, écartelé (e) entre la diversité des disciplines, de franchir certaines frontières et, ce faisant, de s'effacer derrière l'interprétation de la matérialité du langage qui nous constitue en sujets.
Bibliographie
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BIBLIOGRAPHIE
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Notes de bas de page
2 Le concept de forclusion a été développé par Lacan à partir des travaux de Freud sur la Verwerfung. Pour plus de détails, voir notamment Judith Butler (tr. fr. 2004, 270, chap. 4, note de l'auteur n ° 17) : « « Forclusion » est le mot introduit par Lacan pour traduire le terme de Freud « Verwerfung ». En anglais, « Verwerfung » est généralement traduit par repudiation [répudiation] ou rejection [rejet]. Dans leur vocabulaire de la psychanalyse, Jean Laplanche et J. -B. Pontalis définissent la forclusion comme le rejet primordial hors de l'univers symbolique du sujet. Cette définition repose cependant sur une conception spécifique de l'« extérieur », proche de la notion d'« extérieur constitutif » telle que l'utilise J. Derrida. Cet « extérieur » est la limite ou l'extériorité qui définit un univers symbolique donné : s'il y était introduit, il en détruirait l'intégrité et la cohérence. En d'autres termes, ce qui est placé au dehors ou répudié de l'univers symbolique en question est précisément ce qui lie cet univers et lui donne son unité en étant exclu. Jean Laplanche et J. -P. [sic] Pontalis soutiennent que ce qui est forclos doit être distingué de ce qui est refoulé (repressed en anglais). Ce qui est forclos η'est pas intégré à l'inconscient du sujet ; l'objet de la forclusion ne peut être rappelé ni porté à la conscience. Il n'appartient pas au domaine de la névrose, mais à celui de la psychose ; son entrée dans l'univers symbolique fait peser le risque de la psychose, son exclusion garantissant la cohérence symbolique. Freud fait référence à la « Verwerfung » à propos de la peur de la castration, à la fois dans Les psychonévroses de défense (1894) et dans L'homme aux loups. Tandis que Freud tente parfois de définir une forme de refoulement propre à la psychose, Lacan introduit le terme de « forclusion » pour spécifier cette forme de refoulement. »
3 Le style d'un écrivain, selon Deleuze, se reconnaît à ce qu'il fait « bégayer » la langue. L'origine du concept vient d'une phrase de Proust : « L’écrivain crée dans sa langue une langue étrangère ». La formule de Marcel Proust, reprise par Gilles Deleuze et exploitée par Lecercle s'applique parfaitement aux écrits de fiction de Rushdie, mais n''est pas inutile pour envisager ses essais et écrits politiques.
4 Je n''entrerai pas ici dans les détails de la controverse concernant la distinction entre les notions exprimées par les adjectifs postmoderne et postcolonial, ou les liens qui les unissent. Je signalerai seulement que cette dernière hypothèse a ma faveur.
5 Cette métaphore était déjà présente chez Philip Roth chez qui il est question de step (ping) out of the frame.
6 La liste des auteurs cités est volontairement limitée dans le cadre de cet article. Je serai amenée par la suite à élargir l'éventail des sources indispensables au développement d'une linguistique encyclopédique rigoureuse et documentée.
7 Le lecteur expérimenté verra poindre une critique sous-jacente d'une certaine pratique de la linguistique de corpus assistée par ordinateur. J'ai déjà traité cette question dans ma thèse et lors du colloque RAO 2002 (Rinzler, [c] à paraître) dans une communication où je dénonçais le caractère « anencyclopédique » d'un certain type de travail de linguistique de corpus portant sur des énoncés non recueillis personnellement par le chercheur et dont le contexte, inconnu, ne permet pas une analyse fiable et une interprétation prenant en compte tous les paramètres nécessaires à une analyse linguistique de qualité.
8 La connotation négative de ces derniers termes pourrait fait l'objet d'une discussion.
9 Voir Lecercle (1999 et 2002) dont j'ai changé la représentation typographique dans mes derniers articles.
10 On notera au sujet de l'injonction que le titre même de l'ouvrage est une injonction faite au lecteur (Rinzler [h] à paraître).
11 J'adapte ici les paramètres du modèle ALTER de Lecercle (1999).
12 Voir la conférence The Ladies Have Feelings, So... Shall we leave it to the Experts ? publiée dans Power Politics (Roy, 2001, 1-33) (L'écrivain militant, dans la traduction française, 175-201). La version cite ici est celle du texte Shall We Leave It to the Experts ?, consultable sur le site www.outlookindia.com (liens consultés le 8 juillet 2004 et encore actif au 6 octobre 2004) à l'adresse : http://www.outlookindia.com/full.asp? fodname = 20020114 & fhame = Arundhati + Roy + % 28F % 29 & sid = l.
13 Le titre de la traduction française dont cet essai est extrait est « L'écrivainmilitant » avec un trait d'union.
Auteur
Est Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre. Linguiste de formation, elle a travaillé sur le passif avant de s’orienter vers la pragmatique, la stylistique, la théorie littéraire et la philosophie du langage. Elle s’intéresse actuellement à la question des jeux de langage dans les textes de fiction et de non-fiction ainsi qu’au genre du manifeste de revendication identitaire, en particulier dans le corpus post-colonial (Mudrooroo, Rushdie, Solanas, Saro-Wiwa). Son travail actuel vise à l’élaboration d’une théorie de la non-fiction. Elle s’intéresse à l’aspect politique du langage et défend le concept de linguistique engagée.
Simone.rinzler@wanadoo.fr
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