Regards sur les relations franco-irlandaises : études des représentations de l’Irlande à travers un quotidien français : Le Temps (1912-1942)

Rémy Serpolay

p. 163-179


Texte intégral

1La question irlandaise a souvent fait l’objet d’attentions particulières de la part des revues et des journaux français. Depuis 1845 au moins, une mémoire nationale sensible aux événements d’Irlande s’est développée de manière continue dans l’opinion française, bâtie autour de sentiments communs (une certaine anglophobie chronique par exemple) ou d’idéaux partagés comme l’idéal républicain1. Le dépouillement de la presse quotidienne française entre 1912 et 1942 révèle la présence de dynamiques temporelles et spatiales qui définissent un imaginaire français de l’Irlande extrêmement riche et vivant. La multiplicité des représentations témoigne d’un vif intérêt pour l’évolution politique de cette île. Il devient tentant, dès lors, d’interpréter cette attention surprenante, eu égard à la place insignifiante de l’île sur la scène internationale entre 1912 et 1942, comme l’expression d’une tradition d’amitié pérenne franco-irlandaise solidement ancrée dans les mentalités françaises. Une étude qualitative du discours du Temps relatif à l’Irlande met en relief les dangers d’un tel raccourci.

2Le dépouillement exhaustif de la presse quotidienne nationale et régionale dévoile, qu’entre 1912 et 1942, les représentations françaises des événements d’Irlande se teintent d’agacements, de reproches ou de franches condamnations qui soulignent les vicissitudes des rapports franco-irlandais durant cette période. Bien réelles sur le moment, ces manifestations passagères ou chroniques, n’ont cependant pas réussi à s’implanter de manière durable dans la mémoire et l’inconscient collectifs français. Par leurs apparitions sporadiques, elles remettent en question la représentation monolithique de rapports franco-irlandais par trop idylliques et interrogent la nature même du sentiment d’amitié français envers la nation irlandaise.

3Cette étude, loin de s’inscrire dans un cadre iconoclaste qui renierait l’étroitesse spécifique des relations franco-irlandaises caractérisées par une vitalité, une originalité et une tradition exceptionnelles que personne ne songerait à contester, se propose d’analyser au plus près les motivations profondes de la sympathie française à l’égard de l’Irlande ainsi que les résistances auxquelles elles se sont confrontées. Les représentations néfastes au développement du sentiment d’amitié français pour l’Irlande ont fait l’objet de processus d’occultation, voire d’exclusion au sein de notre mémoire collective. Leur genèse, pourtant, livre de précieux renseignements quant à l’élaboration de l’imaginaire français rattaché à l’Irlande.

4Pour illustrer et limiter notre propos, nous nous sommes cantonnés à l’étude des représentations véhiculées par le journal Le Temps2. L’intérêt particulier porté par ce quotidien aux actualités internationales ainsi que le sérieux de ses articles expliquent en partie ce choix. Des cinq journaux étudiés, Le Temps est celui qui offre le plus important et le plus continu flux informatif vis-à-vis de l’Irlande. Les représentations du Temps des événements irlandais ne sauraient synthétiser la variété des sentiments développés par l’opinion publique française à l’égard de l’Irlande entre 1912 et 1942. Tout au plus, les représentations du Temps constituent-elles un courant de cette opinion publique relative aux événements irlandais.

5Toutefois, Le Temps exprime une tendance particulière de l’opinion française. D’une part, son discours est interprété comme l’expression de la position officielle française - même si, dans le cas de l’Irlande, ce point de vue est largement discutable ; d’autre part, contrairement aux autres courants d’opinion qui s’expriment dans d’autres titres de presse, ce discours évite les écueils de l’engagement partisan ou de l’indifférence réductrice.

6Deuxièmement, Le Temps se distingue par une originalité essentielle : sa perception des événements irlandais de 1920 à 1936 est l’enjeu d’un conflit tripartite au sein même du journal entre, le correspondant permanent londonien - Robert L. Cru -, proche des conservateurs britanniques, le correspondant irlandais - Yves-Marie Goblet -, proche de la mouvance républicaine irlandaise et la rédaction parisienne, très liée aux milieux diplomatiques français. Cette situation confère aux représentations de la question irlandaise offertes par Le Temps une dynamique unique qui reflète toutes les ambiguïtés de l’opinion française vis-à-vis de ce problème.

7Enfin, rien ne serait plus faux que d’imaginer ces représentations de l’Irlande figées. Elles évoluent dans le temps sous la pression de changements internes au journal3, ou sous l’influence de filtres extérieurs (événements irlandais ou français, contexte international, modes littéraires ou touristiques, évolution des mentalités...). Ainsi, si certaines représentations de l’Irlande ou des Irlandais semblent immuables (pays déchiré par les passions politiques, Irlandais bagarreurs et rêveurs par exemple), elles se teintent de nuances subtiles ; d’autres subissent des évolutions radicales telle l’image d’Eamon De Valera, successivement diabolisée - celle du terroriste hors-la-loi - puis institutionnalisée - celle de l’homme politique, chef de l’opposition puis de gouvernement.

8L’étude quantitative du flux informatif du Temps4 consacré à l’Irlande permet de cerner plusieurs facteurs (répartition géographique des sources d’information, répartition thématique du flux,...) qui conditionnent l’imaginaire irlandais proposé par ce quotidien. L’étude qualitative permet de dresser une typologie sommaire des représentations concernant la question irlandaise en distinguant celles qui ont alimenté la tradition d’amitié franco-irlandaise et celles qui l’ont desservie. Une genèse de l’imaginaire du Temps relatif à l’Irlande se dessine ; les motivations profondes qui ont induit les choix rédactionnels opérés par le journal se précisent et révèlent la nature de la mobilisation du quotidien autour de la question irlandaise.

DES REPRÉSENTATIONS SOUS INFLUENCES

9Les représentations irlandaises du Temps entre 1912 et 1942 sont conditionnées par différents facteurs. L’influence de stéréotypes antérieurs constitue le premier d’entre eux.

L’héritage d’imaginaires anciens

10L’imaginaire qui nous intéresse s’inscrit dans un temps historique. Il se construit sur une mémoire collective constituée de souvenirs anciens, d’échanges d’influences réciproques (la rechristianisation de l’Europe barbare par les moines missionnaires irlandais) qui se sont déposés en strates successives au cours des siècles. Cette conscience d’un passé commun se cristallise autour d’événements historiques précis (la bataille de Fontenoy, les tentatives de débarquement de la France révolutionnaire en Irlande au 18ème siècle...). Elle relève aussi de l’action de mouvements souterrains plus difficilement décelables. D’ordre affectif, ils agissent sur le long terme et s’exercent dans le domaine des mentalités. Citons pour exemple ce mystérieux sentiment d’appartenir à une même race celte, qui, plus qu’un lien d’amitié, établit une véritable parenté entre Français et Irlandais. Ces différents souvenirs et héritages sont évoqués à plusieurs reprises dans les colonnes du Temps. Ils s’enracinent dans un contexte irlandophile qui, quoique modeste, a commencé à s’implanter dans l’opinion publique française depuis 1881 pour se développer dès le début du siècle à travers l’édition et les revues.

11L’étude des ouvrages français d’érudition relatifs à l’Irlande publiés entre 1900 et 1914 illustre la vigueur du sentiment irlandophile en France au début de la période qui nous intéresse. Sur trente-six œuvres recensées5, vingt-quatre expriment des sentiments positifs d’intensité variable envers l’île, allant du simple intérêt artistique ou littéraire à l’engagement partisan auprès des républicains irlandais. Un seul ouvrage s’oppose à ce concert de louanges6 ; onze autres se contentent de traiter leur sujet sous un angle strictement savant. Sans vouloir accorder une importance démesurée à cette production littéraire, force est de reconnaître que l’Irlande, en 1912, est avant tout un pays pour lequel une partie de l’opinion publique française ressent une inclination profonde.

L’influence de l’environnement rédactionnel

12Les valeurs intrinsèques au Temps exercent également une influence profonde sur la constitution de ses représentations irlandaises. Les liens du Temps avec le milieu des affaires et de la finance ainsi que sa sensibilité affichée de centre droit pèsent considérablement sur la ligne rédactionnelle irlandaise du quotidien. Partisan du respect de la loi et de l’ordre établi, Le Temps adopte systématiquement un profil favorable aux gouvernements en place en Irlande, qu’ils soient britanniques jusqu’en décembre 1921, proches du Cumanna nGdaehael de 1922 à 1932 ou du Fianna Fail de 1932 à 1942. Inversement, le journal développe une hostilité déclarée vis-à-vis des mouvements centrifuges qui contestent l’autorité en place. Cette tendance est accentuée par une phobie de la subversion que l’on peut interpréter comme une conséquence de l’anticommunisme viscéral développé par le quotidien après 1919.

13Ainsi, le mouvement unioniste des années 1912-1914, les luttes armées des nationalistes irlandais en 1916 puis de 1919 à 1921, des républicains durant la guerre civile ou, plus tard, de l’I.R.A (1934, 1939) font l’objet de sévères critiques. Les républicains irlandais se trouvent affublés durablement de représentations à caractère très fortement négatif, tandis que les unionistes nord-irlandais rétablissent progressivement leur image de marque sous l’emprise de deux principaux facteurs : leur loyalisme à l’égard de la cause alliée durant les deux guerres mondiales et l’établissement d’un gouvernement autonome et légitime à partir de décembre 1920. Mais cette attitude bienveillante à l’égard des unionistes nord-irlandais demeure fragile et soumise à des turbulences dès lors que leur attitude gêne la politique irlandaise du gouvernement britannique comme lors du règlement du problème frontalier de 1923 à 1925 ou qu’elle renoue avec les violences sectaires.

14Ce choix rédactionnel place cependant le journal dans des situations parfois difficiles. Ainsi, par exemple, la politique de représailles adoptée par les autorités britanniques en Irlande durant la Guerre d’Indépendance oblige Le Temps à opter pour une attitude plus critique vis-à-vis du gouvernement de Londres. Le quotidien se trouve dans l’impossibilité de cautionner cette violence institutionnelle, qui remet en question l’ordre et le respect de la loi, alors même qu’il s’insurge contre les attentats "sinn-feiners".

15L’influence du Ministère des Affaires Etrangères conditionne également l’imaginaire irlandais du Temps. Excepté pour la période 1922-1932 durant laquelle, à travers la "Lettre irlandaise" d’Yves-Marie Goblet, Le Temps affiche sa sympathie pour le jeune État Libre irlandais, la ligne rédactionnelle du journal colle à la politique irlandaise du Quai d’Orsay. Elle est guidée par le constant souci de ménager la susceptibilité britannique et de préserver l’alliance franco-anglaise, même si, parfois, le quotidien profite de la question irlandaise pour manifester quelques sautes d’humeur à l’égard de divergences entre la France et la Grande-Bretagne au sujet du règlement de certains problèmes internationaux7.

16Là aussi, cette attitude place le journal dans des situations contradictoires dans lesquelles il se retrouve coincé entre un soutien obligé au partenaire britannique et la tradition d’amitié franco-irlandaise. Les exemples offerts par la couverture de la Guerre d’Indépendance de 1919 à 1921 ou de la crise anglo-irlandaise de 1932 à 1938 sont, à cet égard, très parlants.

17Dans le premier cas, le journal, qui affiche une sympathie déguisée pour l’indépendance irlandaise, s’inquiète des complications que cette guerre ajoute à la vie politique britannique déjà bien perturbée et de son impact sur la politique internationale de la Grande-Bretagne. Pour Le Temps, le désintérêt du gouvernement britannique pour le règlement des problèmes territoriaux continentaux s’explique par sa préoccupation à régler la question irlandaise.

18Lors de la crise anglo-irlandaise de 1932-1938, les représentations du Temps se divisent en deux tendances. À travers ses éditoriaux, la rédaction parisienne soutient l’argumentation britannique, tandis que son correspondant dublinois défend avec force la politique entreprise par le jeune gouvernement Fianna Fail d’Eamon De Valera. L’ambiguïté du journal se traduit ici par une répartition des rôles, dont la véritable raison demeure secrète. Cette position ménage en fait les deux gouvernements antagonistes.

L’influence des sources d’information

19L’étude de la répartition géographique des sources d’information (cf. graphique n° l) conduit à un premier constat : la perception des événements d’Irlande proposée par Le Temps est très largement dépendante des sources britanniques.

20Les nouvelles télégraphiées, téléphonées ou écrites ("Lettre d’Angleterre") par le correspondant permanent du journal à Londres regroupent les comptes-rendus directs des débats parlementaires relatifs à la question d’Irlande ou des renseignements de première main obtenus auprès des milieux officiels et parlementaires britanniques, d’informateurs occasionnels ou du personnel de l’ambassade de France ; des informations de seconde main collectées dans la presse britannique (londonienne surtout) ou auprès des agences de presse ; dans de rares cas, des témoignages directs. Il est significatif en tout cas qu’aucun déplacement en Irlande n’ait été entrepris par le correspondant permanent du journal à Londres entre 1912 et 1939. Les sources irlandaises proviennent parfois du bureau de presse de Dublin, de la lecture de la presse irlandaise mais surtout de la "Lettre irlandaise" rédigée par le correspondant du journal à Dublin8.

21L’acheminement de l’information se fait par des réseaux internes au journal (cf. graphique n° 2), principalement sous forme de dépêches ou de brèves provenant de l’antenne londonienne. La perception des événements d’Irlande se fait donc à travers le filtre britannique9, particulièrement efficace lorsque s’y ajoute le poids de la censure des autorités militaires anglaises en 1914-1918 ou irlandaises de 1922 à 1923.

22L’utilisation de la presse londonienne plutôt qu’irlandaise renforce ce filtre, d’autant plus fortement que Le Temps affiche une nette préférence pour les analyses ou nouvelles rapportées par la presse conservatrice très fréquemment critique à l’égard de la question irlandaise Times, Morning Post, Daily Mail, pour ne nommer que les titres les plus couramment cités.

23La "Lettre d’Irlande ou Lettre irlandaise" envoyée de Dublin par le correspondant du Temps offre le seul éclairage direct sur le déroulement des affaires irlandaises. Elle est toutefois largement dépendante des événements et teintée d’une forte sympathie pour la cause nationaliste, nuisant ainsi à sa stricte objectivité.

24Enfin, le choix, pour la couverture de la question irlandaise, d’un journalisme d’information plutôt que d’opinion ou d’investigation - donc la préférence du Temps pour les dépêches et les brèves plutôt que pour les enquêtes et les articles de fond10 explique bien souvent le recours à de nombreux stéréotypes britanniques. Deux d’entre eux reviennent dans les articles du correspondant londonien et parfois dans les éditoriaux conçus par la rédaction parisienne du Temps - le fameux "Bulletin du Jour" : la propension des Irlandais - au sens large du terme, c’est-à-dire unionistes et nationalistes confondus - à faire leur propre malheur et l’inassouvissement de leur appétit revendicatif.

25Le premier de ces clichés s’appuie sur un postulat simple selon lequel les Irlandais seraient incapables de juguler leurs passions. Il permet également de dégager le gouvernement anglais de toute responsabilité dans les événements irlandais et d’opposer à l’irrationalité irlandaise la bonne volonté britannique.

26Le second stéréotype tend à valider les revendications irlandaises aussi bien unionistes (1912-1914, 1922-1925) que nationalistes (Home Rule en 1912-1914, indépendance à partir de 1919, refus des derniers liens anglo-irlandais après 1932) du sceau de l’intransigeance la plus totale et la plus égoïste face aux largesses et concessions répétées des autorités britanniques.

27Toutefois, des perceptions propres au Temps apparaissent dans certains articles de fond ou éditoriaux, liées à des centres d’intérêt contemporains, qui expriment parfois des espoirs (celui par exemple que le règlement du problème irlandais puisse valider les principes fondateurs de la Société des Nations11), mais le plus souvent des craintes, celle de voir l’allié britannique déstabilisé par la question irlandaise et donc la force de l’Entente diminuée d’autant, par exemple.

ÉVOLUTION ET THEMATIQUE DU FLUX INFORMATIF IRLANDAIS DU TEMPS (1912-1942)

L’évolution quantitative du flux informatif

28L’évolution quantitative du flux informatif irlandais du Temps s’inscrit dans une continuité qui ne laisse aucun grand événement de l’histoire de l’île de côté (cf graphique n° 3). Elle met en évidence des périodes de mobilisation et d’autres de silence. Ces dernières trouvent toute leur place dans l’analyse de l’imaginaire irlandais du Temps : outre qu’elles soulignent les non-dits, elles peuvent parfois cacher une courte mobilisation extrêmement riche en représentations spécifiques12. Pour la période 1912-1942, sept périodes de mobilisation (dont deux principales) se détachent très nettement :

  • en 1914 autour de la crise politique engendrée par la question de l’autonomie irlandaise

  • en 1916 autour du soulèvement républicain de Pâques 1916 à Dublin

  • en 1918 autour du refus irlandais de la conscription obligatoire

  • en 1920-1922 autour de la guerre d’indépendance et de la guerre civile

  • en 1927 autour des élections irlandaises et des changements politiques induits par la retour de la violence politique (assassinat du ministre de la Justice)

  • en 1932-1933 autour de la crise anglo-irlandaise provoquée par l’arrivée au pouvoir du parti républicain d’Eamon De Valera

  • en 1937-1939 autour du règlement de la crise anglo-irlandaise et de la campagne de l’I.R.A. en Grande-Bretagne.

29Parallèlement, plusieurs zones de désintérêt apparaissent : 1915 ; 1917 ; 1919 ; 1923-1931 - excepté l’année 1927 - ; 1934-1936 ; 1940.

La Thématique du flux informatif

30Pour la période 1912-1942, la thématique du flux informatif met en relief quatre centres d’intérêt (cf. graphique n ° 4). L’Irlande est perçue comme un pays à la vie politique mouvementée (36 % du flux), ponctuée par des violences chroniques (21,9 %) et centrée autour de la question de l’autonomie irlandaise (13,8 %) et des conséquences de son règlement (11,5 %).

31L’étude de la thématique développée par Le Temps privilégie incontestablement les intérêts britanniques13. Les thèmes afférents à ceux-ci représentent 63,9 % du flux informatif. Inversement, les thèmes rattachées à la perception des intérêts spécifiquement irlandais ne concernent que 36,1 % du flux.

32Il ressort ainsi que si les événements d’Irlande sont évoqués par Le Temps, c’est avant tout pour s’intéresser aux difficultés de la Grande-Bretagne et non pour aborder vraiment les problèmes des Irlandais. Le thème lié à l’évolution de la société irlandaise ne représente du reste que 5,7 % du flux informatif, tandis que celui rendant compte de la politique extérieure irlandaise (hors relations anglo-irlandaises) ne couvre que 5,2 % du même flux.

33Par contre, Le Temps consacre une large place à l’étude de la vie politique intérieure irlandaise (18 %). Mais, ce thème qui semble faire exception, s’intéresse en fait de très près aux conséquences du débat politique irlandais (en particulier du débat constitutionnel) sur les traités anglo-irlandais (Traité de Londres de décembre 1921, Traité tripartite de décembre 1925, Accord anglo-irlandais d’avril 1938). Indirectement, ce thème est étroitement lié aux répercussions de la question d’Irlande sur la vie politique britannique.

34Toutefois, la couverture attentive du débat constitutionnel s’interprète aussi comme une marque de solidarité de la part du Temps, dans la plus pure tradition jacobine, envers un régime politique qui s’oriente de plus en plus vers l’instauration d’une République. Par conséquent, l’ambiguïté du Temps face au problème irlandais s’exprime aussi dans le domaine politique. L’attitude du journal oscille entre réserve et encouragement à l’égard de la politique irlandaise illustrant, plus qu’un choix rédactionnel, un courant de pensée de l’opinion française de l’entre-deux-guerres vis-à-vis de la question irlandaise.

LE TEMPS ET L’IRLANDE : SYMPATHIE OU MÉFIANCE ?

35La perception de l’Irlande par le journal s’appuie sur trois types de représentations. L’un regroupe des stéréotypes largement élogieux à l’égard de l’île. Mais, curieusement, ceux-ci sont assez peu nombreux et ont bien du mal à contrecarrer l’action de multiples représentations à connotation négative. Entre ces deux catégories, se situent des ensembles d’images dont les composantes naviguent entre les deux précédentes catégories.

Les représentations positives

36La représentation positive la plus courante concerne la perception du peuple irlandais, toutes tendances confondues. Par nature, ce peuple est pacifique et porté à la jouissance des douceurs de la vie. La gaieté, l’humour, le sens de l’hospitalité l’habitent, ainsi qu’une certaine utopie du monde que renforcent une propension innée à la mélancolie et à la rêverie.

37Aux yeux du Temps, par conséquent, ce peuple souffre plus que toute autre nation, dès lors qu’il se trouve au centre d’un conflit. C’est envers ces gens du peuple, otages des violences extrémistes de tous bords, que le journal éprouve une sincère commisération teintée souvent de pitié.

38Deuxièmement, l’Irlande est considérée par Le Temps comme un modèle politique. Modèle pour la capacité du pays à faire évoluer son système politique, modèle également pour le contenu avant-gardiste de ses projets constitutionnels : réduction du rôle du Sénat, introduction du suffrage universel et de la représentation proportionnelle, octroi du droit de vote aux femmes. Modèle de droiture, de dévouement et de foi politique des hommes politiques irlandais montrés en exemple au monde politique français, corrompu et traversé par les scandales.

39Troisièmement, la référence faite par les nationalistes irlandais à l’un des principes fondateurs de la Société des Nations14 fait vibrer dans les colonnes du journal la vieille corde de la solidarité de la France révolutionnaire. Pour Le Temps, l’un des enjeux du règlement de la question irlandaise réside dans la validation des principes défendus par la Société des Nations. En ce sens, le règlement du problème irlandais contribue, pour le quotidien, à établir l’acte de baptême de la Société des Nations. Les excellents échos que les discours d’Eamon De Valera - pour lequel Le Temps n’éprouve cependant guère de sympathie - rencontrent dans les pages du journal en 1932 illustrent ces propos.

40Enfin, l’Irlande est considérée comme la “nation-Sœur” avec laquelle la France partage non seulement les mêmes racines celtes, mais aussi le même idéal de liberté, voire les mêmes types de problèmes territoriaux. L’Irlande est ce parent capable de générosité, de loyauté, de compréhension, de complicité même et d’admiration envers la France affaiblie, souffrante ou maltraitée. Toutes ces images gratifiantes, cependant, ont bien du mal à dissiper dans les pages du journal un lourd sentiment de méfiance à l’égard de l’Irlande et des Irlandais

Les stéréotypes négatifs

41La méfiance du Temps à l’égard de l’Irlande s’enracine à partir d’une représentation simple basée sur des faits tristement concrets, la réalité d’un pays instable en proie à des accès de violences chroniques.

42Pour Le Temps, soucieux du respect de la loi et de l’ordre, le déchaînement de passions meurtrières est inacceptable et incompréhensible. Cette violence chronique est d’autant plus insupportable qu’elle nuit aux intérêts d’un allié indispensable à la France - la Grande-Bretagne - et parfois même aux intérêts nationaux. Les attitudes des unionistes nord-irlandais ou des nationalistes irlandais justifient cette méfiance. La révolte de l’Ulster en 1914, le soulèvement de Pâques 1916, la Guerre d’Indépendance, la Guerre Civile, renvoient l’image d’une Irlande rebelle et prompte à la sédition.

43Pire encore, l’Irlande se rend coupable de collusion avec l’ennemi juré du moment : l’Allemagne. Le soulèvement de 1916 jette l’opprobre de la trahison sur l’île et confirme les soupçons portés dès 1914. Ce thème du complot allemand en Irlande constitue la représentation la plus nuisible à l’amitié franco-irlandaise. La plus marquante, elle s’inscrit durablement dans l’inconscient collectif français.

44Cette représentation apparaît de manière récurrente dans les colonnes du journal avec un pouvoir fantasmatique étonnant. La construction du complexe hydro-électrique sur le Shannon par une entreprise allemande en constitue un exemple caricatural, ainsi que les suspicions qui entourent l’adoption du statut de neutralité par les Irlandais en 1939. Le refus irlandais de la conscription obligatoire en 1918, puis en 1939 et 1942, ainsi que la déclaration de neutralité irlandaise sont non seulement interprétées par le journal comme de graves entorses à la tradition de solidarité franco-irlandaise, mais alimentent également le soupçon de collusion avec l’ennemi allemand.

45L’Irlande représente également un danger pour l’Entente franco-britannique dont elle diminue indirectement la force en compliquant la situation intérieure et extérieure du Royaume-Uni. Aux yeux du journal, la question irlandaise non seulement affaiblit la Grande-Bretagne par les crises politiques qu’elle déclenche au sein du Parlement britannique, par son coût, par le gaspillage d’énergie réalisé par le gouvernement anglais pour la résoudre, mais elle détourne également la Grande-Bretagne de ses obligations internationales dues à son rôle de grande puissance. D’autre part, le problème irlandais accroît la tension des rapports anglo-américains et, d’une manière générale, nuit à l’image de marque de la Grande-Bretagne dans le monde.

46Enfin, entre 1932 et 1938, l’Irlande rejoint l’Allemagne sur le banc des nations parjures. Le Temps, comme une grande partie de l’opinion française de l’entre-deux-guerres, très sensible au règlement de la question des Réparations allemandes, établit un parallèle très net entre la suspension par le gouvernement irlandais du versement des annuités foncières à la Grande-Bretagne et le refus allemand de s’acquitter de sa dette financière à l’égard de la France15.

47Toutes ces représentations élaborent, par surimpressions successives, un portrait très négatif des Irlandais. Sur les traits de caractère, déjà inquiétants, des gens du peuple ou de leurs responsables politiques - la passion, l’irrationalité, l’imprévisibilité de leurs actions -, se greffent les travers communs aux différents extrémistes irlandais - l’intransigeance, la violence, la sauvagerie, la lâcheté. Le soulèvement de Pâques 1916 donne l’occasion au Temps de définir l’archétype du traître de guerre accompli en la personne de Sir Roger Casement16. A partir de 1922, les représentations attachées au personnage d’Eamon De Valera sont empreintes de connotations très fortement négatives : elles expriment, de la part du journal, une profonde aversion envers une Irlande révolutionnaire, puis, à partir de mars 1932, irrespectueuse d’accords dûment signés.

48L’image dominante de l’Irlande renvoyée par Le Temps, entre 1912 et 1942, reste celle d’une nation déstabilisatrice de l’ordre établi, d’une île rebelle, source de tracas perpétuels pour l’allié britannique. Aux yeux du Temps, la question irlandaise, conjuguée avec la situation intérieure britannique explique en partie le manque d’intérêt porté par la Grande-Bretagne au règlement des grands problèmes internationaux pour lesquels la France souhaiterait le soutien de son alliée d’outre-Manche.

CONCLUSION

49Au final, la représentation des événements irlandais par Le Temps est caractérisée, entre 1912 et 1942, par une grande prudence qui remet en cause le stéréotype d’une amitié franco-irlandaise sans faille. Cette attitude revêt plusieurs significations. Elle traduit une mauvaise connaissance de la réalité irlandaise, perçue à travers le filtre interprétatif britannique. Elle tient aussi au statut quasi-institutionnel du journal qui oblige ce dernier au respect d’une certaine neutralité de ton.

50Elle traduit l’inculcation récente d’un sentiment de méfiance vis à vis de l’Irlande et des Irlandais dans l’inconscient collectif français. Ce sentiment apparaît dès mars 1914 avec la menace brandie par les unionistes nord-irlandais d’une alliance avec l’Allemagne. Il se développe, à l’instigation et pour les besoins de la propagande de guerre alliée, avec le soulèvement de Pâques 1916. Dès lors, il resurgit périodiquement et s’exprime de manière particulièrement forte en 1932 lors de l’arrivée au pouvoir d’Eamon De Valera ou lors de l’adoption du statut de neutralité en septembre 1939. Cette défiance du Temps à l’égard de l’Irlande repose sur trois appréhensions principales. L’Irlande est perçue comme une source d’affaiblissement pour l’allié britannique, comme un allié potentiel de l’Allemagne, ainsi que comme un pays peu respectueux de ses engagements internationaux (en l’occurrence le Traité de Londres de décembre 1921 et de l’accord financier anglo-irlandais de 1923).

51Enfin, cette prudence du Temps révèle l’ambiguïté de l’opinion française à l’égard de l’Irlande, partagée entre son amitié intéressée envers la Grande-Bretagne et sa fraternelle sympathie vis-à-vis de l’Irlande, expression à la fois d’un prosélytisme révolutionnaire hérité de 1789 ainsi que d’une appartenance ancestrale à une communauté de race celte.

52Cette ambiguïté s’exprime de manière originale. Alors que les informations délivrées par l’antenne londonienne et la rédaction parisienne, qui correspondent à la position officielle du Temps, ménagent la susceptibilité britannique, les points de vue du correspondant en poste à Dublin développent une position officieuse plutôt favorable aux nationalistes irlandais. Ponctuellement, même, quelques éditoriaux reconnaissent la dimension nationaliste du problème irlandais17.

53La couverture des événements irlandais révèle incontestablement un effort de compréhension de la part du journal, même si elle est ponctuée de pointes d’agacements - devant l’incapacité des extrémistes des deux bords à s’entendre sur un règlement - ou d’irritation face à une situation jugée stupide - comme lors de la reprise de la guerre civile en juin 1922. Plusieurs représentations de la question irlandaise proposées par Le Temps font l’objet de réajustements successifs.

54Mais cette réflexion reste limitée par les valeurs défendues par le quotidien. Le conservatisme politique du Temps - surtout après 1932 -, l’anticommunisme primaire du journal nuisent à l’intelligibilité du conflit et amènent parfois à de véritables contresens. Le désintérêt total pour l’aspect social de la question irlandaise - alors que sa dimension économique est abordée - prive les lecteurs du quotidien d’un élément d’analyse important. Enfin, l’anticléricalisme du Temps occulte la dimension identitaire de la référence religieuse du conflit. Le journal passe entre autre à côté de l’emprise des Églises irlandaises sur le domaine social et politique.

55Finalement, si la couverture de la question irlandaise par Le Temps, peut être interprétée comme le prolongement d’un sentiment ancien d’amitié ne serait-ce que par l’importance du volume informatif consacré au sujet, elle marque aussi une rupture dans l’évolution de l’imaginaire français rattaché à l’Irlande. Les représentations de l’île offertes par le journal s’établissent le plus souvent à travers le filtre britannique, en fonction des intérêts anglais ou français18. Il est très rarement fait état des intérêts irlandais et de la lutte de l’île pour la conquête de son indépendance. Parfois même, une franche hostilité se manifeste à l’égard de toute ou partie de l’Irlande comme lors de la Première Guerre mondiale ou lors de l’arrivée des républicains nationalistes irlandais du Fianna Fail au pouvoir en février 1932.

56L’étude des représentations du Temps à l’égard de l’Irlande, entre 1912 et 1942, montre incontestablement que les sentiments du journal pour cette île fluctuent considérablement non seulement au grès des événements irlandais mais aussi des contextes nationaux et internationaux. La richesse des perceptions contradictoires qui anime l’Imaginaire français rattaché à l’île met en relief l’importance de son enracinement dans les mentalités françaises ainsi que la complexité croissante des relations franco-irlandaises et du sentiment d’amitié qui l’anime.

Annexe

ANNEXE

REPARTITION THEMATIQUE DU FLUX INFORMATIF DU TEMPS, RELATIF À LA QUESTION IRLANDAISE (1912-1942)

Vie politique (36 %) :

• politique intérieure (18 %) : thèmes “vie politique” + “problèmes constitutionnels”

• politique extérieure (5,2 %) : thèmes “relations bi-latérales” + “neutralité irlandaise” + “guerre d’Espagne” + “guerre d’Ethiopie” + “relations franco-irlandaises”

• problèmes anglo-irlandais (8 %) : thèmes “relations angloirlandaises” + “question du serment d’allégeance” + “question des annuités foncières” + “guerre économique”

• problème nord-irlandais, aspects politiques (4,8 %) : thèmes “relations Nord-Sud” + “problème frontalier” + “réaction irlandaise au stationnement de troupes américaines en Irlande du Nord”

Violences irlandaises (21,9 %) :

thèmes “violences” + “guerre civile” + “grèves de la faim républicaines”

Autonomie irlandaise (15,1 %) :

thèmes “Home rule” + “Curragh”

Règlement de la question irlandaise (11,5 %) :

thème “Paix”

Attitude de L’Irlande dans les deux conflits mondiaux (8,7 %) :

thèmes “guerres mondiales” + “complots allemands” + “soulèvements” + “réarmement”

Vision de la société irlandaise (5,9 %) :

thèmes “vie sociale” + “vie religieuse” + “vie économique” + “vie culturelle”

Divers (0,5 %)

Représentations de l’Irlande par Le Temps (0,4 %) :

thèmes “cartes” + “stéréotypes du Temps / Irlande”

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Graphique 1 : Répartition géographique des sources d’information du flux informatif du Temps relatif à l’Irlande (1912-1942)
[Sources : Le Temps, collection janvier 1912-novembre 1942 : dépouillement exhaustif]

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Graphique 2 : Répartition des sources d’informations selon la nature de leur réseau (Le Temps, 1912-1942)
[Sources : Le Temps, collection janvier 1912-novembre 1942 : dépouillement exhaustif]

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Graphique 3 : Evolution générale du flux informatif et du nombre d’unités rédactionnelles consacrées à l’Irlande (Le Temps, 1912-1942)
[Sources : Le Temps, collection janvier 1912-novembre 1942 : dépouillement exhaustif]

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Graphique 4 : Répartition thématique du flux informatif relatif à l’Irlande (Le Temps, 1912-1942)
[Sources : Le Temps, collection janvier 1912-novembre 1942 : dépouillement exhaustif]

Notes de bas de page

1 Les représentations françaises des événements irlandais entre 1845 et 1923 ont été étudiées avec soin dans les thèses de CM Buckley, "La Question irlandaise vue par la presse parisienne depuis 1845 jusqu'en 1850", Paris, Sorbonne, 1967 ; JL Le Bihan, "Recherches sur l'interprétation de la question d'Irlande par les revues parisiennes de 1871 à 1914", Paris, E.H.E.S.S., 1978 ; Β Ducruet, "La France et la question d'Irlande 1914-1923, étude des archives diplomatiques", Lille III, 1983.

2 Le corpus de notre analyse d'ensemble inclut deux autres journaux nationaux (La Croix, Le Petit Parisien) et deux quotidiens régionaux (La Montagne, Ouest-Eclair).

3 Ainsi, la reprise en main du Temps en décembre 1931 par un consortium regroupant le Comité des Forges, celui des Houillères, le comte de Fels et diverses sociétés d'assurances - déjà annoncée par des prises de participation dans le capital du journal dès 1927 -, marque un durcissement sensible du discours du quotidien à l'égard du nouveau gouvernement Fianna Fail. Au niveau du traitement de l'information relative à l'Irlande, cette réorganisation de la direction et de la rédaction du journal se traduit par un espacement progressif de la "Lettre irlandaise" rédigée par le collaborateur dublinois du Temps, Yves-Marie Goblet, très sensible aux thèses des nouveaux dirigeants irlandais.

4 Cette étude est basée sur un dépouillement exhaustif du Temps entre janvier 1912 et novembre 1942.

5 Catalogue général de la Bibliothèque Nationale (1894-1925) et Catalogues généraux de la Librairie Française, Paris, Jordell, 1900-1915

6 Et encore s'agit-il probablement d'un livre commandé par les services britanniques : R. C. Escouflaire, La démagogie irlandaise (1906-1909), Paris, A. Pectone, 1909

7 À plusieurs reprises, Le Temps utilise la question irlandaise pour reprocher au gouvernement britannique son obstination à vouloir diviser les territoires de Haute-Silésie, alors que celui-ci se montre plus réticent pour reconsidérer la frontière nord-irlandaise.

8 Yves-Marie Goblet de septembre 1920 à 1936, puis Roger Chauvire de 1939 à 1940.

9 Il est relativement symptomatique qu'entre 1912 et septembre 1920, Le Temps n'ait pas jugé utile d'envoyer ses journalistes enquêter en Irlande. Seule la Guerre d'Indépendance justifie l'installation d'un correspondant à Dublin et la publication d'un reportage en quatre volets de Ludovic Nadeau ("Impressions d'Irlande", Le Temps, 22 et 29 mars 1921 ; 24 avril 1921 ; 1er juin 1921)

10 La répartition des unités rédactionnelles par types d'article donne les résultats suivant par ordre décroissant :
nouvelles : 64 %
brèves : 24 %
articles de fond : 2,8 %
éditoriaux : 2,4 %
divers : 1,5 % (publicités gouvernementales ou touristiques : 0,6 % ; reportages et interviews : 0,4 % ; Chroniques historiques, littéraires ou militaires : 0,2 % ; notices biographiques : 0,1 % ; revues de presse : 0,1 % ; courriers des lecteurs : 0,1)
Toutefois, des évolutions sensibles se font sentir selon les années. Les années 1914, 1932-1933, 1938, 1942 octroient une place plus large aux éditoriaux (le record appartenant à l'année 1914 avec 16 éditoriaux), tandis que les années 1916, 1920-1921, 1923, 1939, font la part belle au journalisme d'investigation.

11 Principalement le droit des petites nations à se gouverner par elles-mêmes.
Par exemple, l'éditorial du Temps daté du 12 août 1919, "Le problème irlandais", conclut ainsi : Simples spectateurs d'événements qui se produisent en Irlande, nous formulons des vœux pour que cette longue lutte qui dure depuis sept siècles et demi, se termine enfin par le triomphe d'un esprit nouveau, de l'esprit qui doit inspirer la Société des Nations."Un autre éditorial," Paix irlandaise et Paix mondiale ", publié le 3 novembre 1921, s'interroge ainsi : "s'il devenait impossible d'arranger pacifiquement les affaires de l'Irlande, pays de cinq millions d'âmes où toute la population aspire au repos, comment croirait-on que les hommes de notre temps seront capables de régler à l'amiable les affaires de la Chine et l'équilibre des forces navales dans l'Univers ? Qui ne peut pas le moins, ne peut pas le plus."

12 Par exemple, la couverture, sur plusieurs jours, de la visite d'une députation irlandaise à Paris en mars 1915, reçue par les plus hautes autorités de la République et de l'Église, met en relief un parallèle extrêmement intéressant entre la question de l'Alsace-Lorraine et le problème nord-irlandais (Le Temps, 1, 2 et 3 mars 1915).

13 Cf. répartition thématique du flux informatif en annexe

14 Celui du droit des petites nations à se gouverner par elles-mêmes, principe exprimé pour la première fois par le président américain Wilson en mai 1917 et repris dans sa déclaration du 4 juillet 1918 sur les "quatre buts de guerre" des Alliés.

15 L'éditorial du 12 juin 1932, intitulé "La Grande-Bretagne et l'Irlande", conclut ainsi : "La position du gouvernement de Londres est solide dans cette affaire [le problème du versement des annuités]. Le cabinet britannique a pour lui la bonne volonté dont il n'a cessé de faire preuve jusqu'ici à l'égard de l'Irlande ; il a surtout pour lui la loyale interprétation du traité de 1921, et le fait que le respect des contrats et la sincère exécution des accords conclu de bonne foi sont des conditions primordiales de toute politique. C'est un principe qui vaut pour tous les accords entre nations civilisées."

16 "Le Traître", Le Temps, 29 avril 1916,1.

17 Par exemple l'éditorial en date du 12 août 1919, intitulé "Le problème d'Irlande".

18 Les représentations françaises de l'Irlande traduisent très souvent des craintes par rapport aux conséquences de la question irlandaises en Grande-Bretagne. Ou bien elles sont exploitées pour alimenter les arguments français lors de contentieux avec la Grande-Bretagne.


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