Chapitre 9. Évolutions de la pratique médicale et enjeux pour la formation
p. 145-154
Texte intégral
1Loin de vouloir se substituer à une synthèse de la sociologie médicale, ce chapitre présente l’évolution de la pratique médicale et son lien avec la société pour mieux comprendre les récentes évolutions des formations des professionnels de santé et celles à encourager. La démarche médicale ne peut se limiter à une démarche mécaniste d’un professionnel de santé sur un patient standardisé. Si la médecine actuelle se veut puissante par la diversité des approches thérapeutiques développées pour soigner des pathologies toujours plus complexes, elle ne peut se passer de l’association d’un très grand nombre de disciplines pour construire des stratégies de plus en plus sophistiquées. Le recours à toutes ces disciplines ou champs scientifiques conduit à une segmentation des savoirs, caractéristique de la démarche scientifique qui isole, divise et sépare pour faciliter la compréhension. Les professionnels de santé doivent donc développer les compétences nécessaires pour relier les savoirs et en extraire du sens pour leurs pratiques. Il s’agit d’accepter une diversité de points de vue, de se laisser déstabiliser pour mieux intégrer un ensemble de savoirs dans la pratique. Cette posture intellectuelle ouverte à la transversalité ne peut s’improviser et il appartient à nos systèmes de formation, initiale et continue, de préparer les professionnels à cette réflexion.
2Dans ce chapitre, nous présentons donc dans un premier temps l’évolution de la démarche médicale qui mène à une approche transversale de la santé pour mieux comprendre ensuite les enjeux pour la formation en matière d’interprofessionnalité.
La démarche médicale
3La démarche médicale s’envisage en fonction de la perception que l’on se fait de la santé, laquelle s’inscrit dans un ensemble de représentations du monde et de la société1. Depuis l’Antiquité, la médecine s’est construite en réponse à un besoin : soigner un corps vivant humain, une personne malade, souffrante, impliquée dans un ensemble de relations.
4Si l’on s’intéresse à l’histoire de la médecine, la fonction première est celle de la rencontre entre deux êtres reliés par leur commune humanité. Il s’agit d’une médecine soignante caractérisée par une impuissance thérapeutique. Dans son anthropologie structurale, Claude Lévi-Strauss2 décrit l’efficacité symbolique en étudiant la magie. Il met en évidence la communauté de sens qui se construit entre les thérapeutes et les membres des sociétés : la présence active solidaire permet de porter secours ; on reconnaît le mal qui affecte l’autre, c’est-à-dire qu’on s’affilie à un univers culturel donné.
5Avec l’évolution des connaissances dans les sciences du vivant, la médecine devient de plus en plus puissante et peut donner des réponses à bien des maux. L’enjeu est véritablement vital : le corps habité peut être expliqué, investigué et traité. La persistance des médecines dites « traditionnelles » et leur résurgence sous différents aspects dans les sociétés occidentales témoignent de la nécessité de faire coexister des éléments de l’evidence based medecine avec des interprétations de la maladie aussi diverses que les cultures sont nombreuses. La manière d’aborder les thérapeutiques et les soins est donc nécessairement individualisée et justifie une approche multifactorielle et systémique.
6Aussi individualisée soit la réponse, l’anticipation de la demande et la médecine prédictive sont maintenant des axes privilégiés de la pratique médicale. Bien au-delà des critères biologiques qui permettaient de repérer la maladie et des critères psychologiques et sociaux introduits par la définition de la santé par l’Organisation mondiale de la santé, il n’est plus question de malades mais de malades potentiels en devenir. Il s’agit maintenant d’aller au-delà des déterminants de santé et de penser « capital santé », promotion de la santé, prévention et éducation à la santé.
7La santé passe du « silence des organes » à un ensemble de capacités à préserver. Le corps deviendrait une formidable machine, un objet à entretenir pour en faire bon usage le plus longtemps possible. L’usage est celui de notre société de consommation nécessitant de produire en toute circonstance. Le recours à la médecine se voit donc progressivement étendu par la société.
8Il y a les maladies à traiter mais aussi l’identification de « poisons sociaux » (alcoolisme et tabagisme, notamment), dont l’éviction permet de faire gagner des années de vie. L’alimentation est revue au prisme de la santé, les services de santé au travail voient leurs prérogatives étendues. Il s’agit de vivre une existence sereine, sans maladie et durant laquelle tout aura été fait pour préserver une bonne santé.
9La maladie n’en devient alors que plus injuste et d’autant moins compréhensible que le comportement de la personne qui souffre aura été exemplaire. La pandémie de Covid-19 a donné de nombreux exemples de mise en place de mesures de précaution pour prévenir des comportements estimés à risque alors même que les connaissances étant en cours de stabilisation. Il y a donc un délicat équilibre qui se cherche entre les connaissances scientifiques mobilisables en médecine, la pratique médicale et l’acceptabilité sociale d’une prescription médicale. Une médecine déconnectée de la société n’aurait aucun sens et une portée bien réduite.
La transversalité en santé
10Cette rapide présentation de l’évolution de la pratique médicale et des liens avec la société laisse apparaître la notion de transversalité prise comme outil pour faire dialoguer les approches de la maladie et de la santé. Dans l’éthique de la discussion, Jürgen Habermas précise que les approches transversales sont nécessaires lorsque l’on se trouve confronté
à une situation ou une spécialité, si performante soit-elle, qui ne permet pas de résoudre à elle seule le problème donné mais qu’ensemble nous pouvons mettre en commun et trouver des solutions afin de résoudre ou de faire évoluer le problème posé.3
11Cette transversalité n’est pour autant pas naturelle, elle nécessite une mise en commun, un espace de réflexion qui permette la rencontre de subjectivités de professionnels spécialisés pour élaborer ensemble et dans une situation donnée, des solutions nouvelles. C’est donc une démarche qui ne peut être qu’intentionnelle, impulsée par une volonté collective, alimentée par la demande sociale. Il s’agit de relier autrement ce qui peut apparaître comme figé dans un ordre donné. Une approche transversale de la prise en soin, de la médecine, c’est donc travailler sur la « reliance4 » des faits, des choses, phénomènes liés à un besoin de santé.
12L’approche scientifique occidentale issue des travaux de Descartes isole, divise, sépare pour favoriser la compréhension du monde qui nous entoure. C’est une étape incontournable de la démarche scientifique mais elle n’est pas suffisante. Il est nécessaire ensuite de relier ce qui a été isolé, séparé et disjoint. Par cette nécessaire synthèse et cette lecture croisée, la transversalité fait appel aux conceptions de la pensée complexe introduite par Edgar Morin. Elle nécessite inévitablement une éthique de la responsabilité individuelle et collective afin d’accepter le point de vue de l’autre et de le conjuguer à sa propre approche sans s’imposer par la force sinon celle de l’épreuve de la réalité. Il y a donc une capacité d’écoute de l’autre à développer, d’apprentissage de la discussion pour être en capacité d’identifier des réponses qui n’auraient pu être formulées individuellement.
13Penser la transversalité en santé, c’est donc adopter une posture intellectuelle critique, réflexive et dialectique.
Diversité, coordination et régulation
14La médecine s’exerce en réponse à une demande. Il y a la demande des malades qui s’est progressivement affirmée avec leur changement de statut d’indigents, fauteurs-pêcheurs qui récoltaient le mal qu’ils avaient semé, au statut actuel d’usagers et patients experts aux années de vie utiles à préserver. Il y a ensuite la dynamique professionnelle médicale souhaitant se libérer du statut de « valet de la société » corvéable en toutes circonstances à véritable profession scientifique autonome gardant le monopole de l’exercice de sa discipline : la médecine. On identifie le même mécanisme pour tous les auxiliaires médicaux dans le champ… du soin, distinction faite par les professionnels entre médecine et soin alors même que les deux approches sont indissociables. C’est ainsi que de multiples liens se tissent entre la société et les professionnels de santé : liens subis, rêvés ou construits, ils sont à réinventer autant dans les universités qui forment les futurs professionnels que dans la pratique où l’université prend de plus en plus sa place pour le développement et l’actualisation des connaissances.
15L’offre de soin se structure aussi en réponse aux innovations technologiques et aux demandes sociales. La médecine actuelle ne peut faire l’économie de se réinventer pour mieux accompagner les maladies chroniques et les polypathologies, mais elle se doit aussi de développer une offre de services destinée à faciliter l’observance et l’adoption par les patients de comportements conditionnant la réussite de la prise en charge de leur pathologie (le « disease management » ).
16Le développement, avec le progrès médical et technique, de nouvelles modalités de soin (interventions moins invasives et plus courtes autorisant un retour rapide à domicile, nouveaux traitements pouvant être dispensés en ville, etc.) permet de revoir l’orchestration des interventions chirurgicales ou des soins lourds en ambulatoire et en hôpital de jour. Cette évolution des prises en charge ne peut s’envisager qu’en renforçant les liens entre l’hôpital, la médecine de ville et les services de soins à domicile. En plus de l’intervention médicale, c’est tout l’environnement du patient qu’il faut étudier afin d’accompagner sa prise en charge en intégrant toutes les variables individuelles impactées par sa maladie. Cette évolution majeure demande de revoir l’approche des parcours de soin et les interfaces entre médecine hospitalière, médecine de ville et services d’aides à la personne.
17Les transitions démographique et épidémiologique transforment considérablement notre approche des soins et de la santé. La réponse médicale ne peut donc se contenter d’une logique curative en période aigüe. La médecine ne vient plus seulement répondre à une rupture, elle accompagne au quotidien une personne dans ses « capabilités ».
18Il ne s’agit donc plus de coordonner des prises en charge au sein d’un établissement mais de proposer un ensemble de prestations de soins articulées dans un projet d’accompagnement individualisé. Ces prestations peuvent être hospitalières, ambulatoires ou être confiées à des dispositifs d’aide et d’accompagnement, ou encore être liées à des services de réadaptation fonctionnelle, afin que la personne puisse maintenir ses activités.
19C’est une dynamique de réseau qui doit se mettre en place avec le sujet, nécessitant de la coordination, un croisement des approches de la personne à l’aide d’une diversité d’experts médicaux, soignants, médico-sociaux et de pairs-aidants potentiels.
20Cela ne va pas sans conséquences en termes de régulation : les professionnels participant aux soins et à la santé sont attachés à des institutions propres, la régulation de ces professions est opérée par d’autres spécialistes des champs sanitaire, social ou médico-social. Le lien entre ces spécialistes, de part et d’autre, n’est pas toujours évident et les approches transversales ne sont pas encore cultivées par tous les régulateurs dans les territoires. Ce sont aux acteurs au quotidien d’identifier les ressources mobilisables.
21Le progrès médical et technique offre certes des perspectives de réponse aux tensions qui se font jour, via par exemple le développement de la télémédecine et, plus généralement, via la mise à disposition d’outils performants permettant de rénover les conditions d’intervention des professionnels et de potentialiser les coopérations. Les ruptures de parcours de soins sont encore courantes et peu considérées dans les mesures de régulation faute de production et d’analyses probantes de données de suivi en territoire.
22De nombreux outils de coordination ont été proposés, se superposant les uns les autres sans que les professionnels puissent toujours s’en saisir, faute de compétences pour agir dans ces dispositifs à adapter aux réalités des territoires.
23C’est donc véritablement de nouveaux métiers qui pourront apparaître pour cultiver les approches transversales de la santé et des soins, pour associer de nouveaux professionnels à la prise en soins (gestion de systèmes d’informations, appui à la coordination) et s’intégrer dans des organisations temporaires répondant aux innovations en continu dans le champ de la santé et aux besoins de santé émergents.
Les enjeux pour la formation
Quelles compétences pour les soignants ?
24Les évolutions décrites ci-dessus permettent de mesurer l’écart entre la formation actuelle des professionnels de santé et la réalité de l’activité de soins et de santé, qui n’est plus seulement orientée vers le soin curatif. L’approche intégrée de la personne en demande de soins n’est plus contestable et demande une diversité de professionnels sanitaires, médico-sociaux et sociaux.
25Notre système éducatif a encouragé pendant longtemps la spécialisation précoce dans un but affiché de fabriquer rapidement des futurs professionnels aux compétences adaptées au marché du travail. Aujourd’hui, ce sont davantage les « soft skills » que l’on entend développer : ces compétences qui ne sont pas simplement de l’application directe de connaissances mais bien une capacité à comprendre et à s’adapter à l’environnement dans lequel le professionnel agit. Des compétences que Louis Pasteur, Claude Bernard et Sigmund Freud avaient très probablement développées dans leurs parcours antérieurs à ceux que l’on connaît5.
26Les softs skills sont indispensables à tous les soignants et les compétences en coordination inter-organisationnelles incontournables dans le champ de la santé. Ces dernières regroupent les compétences liées à l’appropriation des innovations techniques et organisationnelles, à la mise en place de système d’information performants et adaptables aux évolutions techniques et organisationnelles.
27Tout cela nécessite d’apporter aux futurs professionnels de santé les outils nécessaires pour prendre en compte la complexité des attentes de la société à leur égard : il leur faut sortir des murs « sanitaires », cesser de segmenter les secteurs des soins et de la santé, le sanitaire, le social et médico-social. Il convient donc de familiariser nos futurs professionnels de santé à l’exercice de leurs socialités.
28Le médecin comme tous les professionnels de santé aux actes réservés est responsable de son savoir-faire mais aussi des éléments qui mènent à la décision de son usage, le tout dans un contexte. La médecine ne peut donc pas être résumée à un savoir-faire, c’est aussi un savoir-juger qui s’applique autant à la situation clinique à laquelle il faut faire face qu’à l’ensemble de la pratique en contexte. Il convient d’associer des éléments de construction du jugement et donc de développer les facultés critiques qui permettent une réflexion personnelle, rigoureuse et partageable avec une équipe.
29Cette culture épistémologique, prise comme un savoir-conscience de l’histoire de la médecine en lien avec une société, permettrait de contenir des pulsions dans l’usage déraisonnable des techniques si séduisantes par les réponses magiques qu’elles peuvent véhiculer. Pour reprendre l’exemple de notre trio Louis Pasteur-Claude Bernard-Sigmund Freud permettant d’associer à la fois le volet expérimental, empirique et clinique aux dimensions biologique, physiologique et psychique de la médecine, il est urgent de penser un système de formation qui promeuve une approche articulée de ces dimensions et reconnaisse la part que peuvent tenir les différentes spécialités, qui ne seront jamais assez nombreuses pour comprendre tous les mécanismes à l’œuvre dans le réel.
Spécialisation médicale
30Les études médicales sont un exemple de déclinaison de la spécialisation précoce. Dès le début du parcours de formation médicale, l’étude approfondie et l’apprentissage détaillé d’un ensemble de données physico-biologiques laissent peu de place à l’étude des outils conceptuels pour penser le savoir médical au sein d’un champ disciplinaire et son usage au sein d’un métier6. La médecine devient vite une technique « au sens où elle est mise en application de différents savoirs scientifiques ». Cette technique n’est cependant pas déconnectée de la réflexion sur son application, comme dans d’autres secteurs : l’ingénieur en bâtiment se concentre sur la solidité du bâtiment, les plans reviennent à l’architecte et la situation du bâtiment est étudiée par un urbaniste.
31La spécialisation voire l’hyperspécialisation sont le reflet d’une division toujours plus poussée du travail (qui accentue mécaniquement les besoins de coopération), favorisée en l’espèce par le rôle majeur des CHU dans la formation. C’est la marque d’une tension entre plusieurs compétences nécessaires au bon exercice de la médecine : la détention de savoirs théoriques et pratiques toujours plus pointus rendus nécessaires par la sophistication des stratégies thérapeutiques et des techniques versus une compétence holistique (prise en charge globale du patient, y compris dans son environnement propre, capacité à manager des interventions diversifiées).
32Cette tendance à la spécialisation pose un certain nombre de problèmes : elle accroît mécaniquement les lacunes potentielles le long de la chaîne de prise en charge, elle augmente la polarisation des territoires, elle pose question en termes de rémunération (que doit-on rémunérer plus favorablement, de la maîtrise de l’acte technique ou de la compétence clinique, voire de la fonction de coordination ?).
33Elle est à la fois inéluctable (le sens de l’histoire) et peut être contrebalancée, précisément en diversifiant les compétences valorisées (au-delà du débat technique/clinique, les compétences managériales, gestionnaires, relationnelles…). Elle peut être gérée, en organisant une gradation des interventions (en particulier dans leur dimension territoriale) et un continuum de compétences soignantes.
34Il en va de la capacité à assurer une prise en charge plus proche des parcours des patients, dans le cadre d’une transition épidémiologique qui accroît les tensions et les risques de désajustements.
35Les évolutions technologiques sont ici à la fois problèmes (en ce qu’elles abondent en permanence le processus de spécialisation) et solutions (notamment en ce qu’elles fournissent un certain nombre de ressources techniques ou organisationnelles pour une meilleure gradation des soins, une communication plus fluide entre les professionnels).
36Les « coups partis » (en matière de régulation démographique passée des professions) pèsent et pèseront bien entendu sur cette division du travail et sur les risques de désajustements territoriaux (juxtaposition de situations de pénurie et d’excès d’offre, déficiences de l’efficacité allocative, les plus qualifiés rechignant à laisser les actes à ceux qui le sont moins mais dont les compétences paraissent adaptées).
37L’évaluation systémique des besoins en compétences et en emplois à moyen terme dans les territoires et en établissements est indispensable afin de faciliter les évolutions à conduire pour que notre système de santé devienne plus résilient. Pouvons-nous prendre le risque d’attendre des crises sanitaires pour retravailler nos organisations et leurs adaptations ?
38À court terme, divers freins affectent le développement des possibilités d’exercice partagé au sein des territoires et la mobilité professionnelle et géographique. À moyen terme, il convient de définir au sein des territoires des cibles d’évolution des emplois et des compétences des professionnels en lien avec les stratégies d’offre et de renforcement des articulations avec les soins de ville et médico-sociaux des établissements dans les territoires.
L’interprofessionnalité
39C’est une thématique en vogue dans le champ de la santé et de la formation en santé. Elle recoupe toute une gamme d’aspirations : satisfaire le besoin de dialogue, de coordination voire de coopération entre les acteurs professionnels, se départir de la vision hiérarchique des professions, revoir les fonctionnements traditionnels dans un cadre d’organisation plus collectif, voire assurer plus de fongibilité entre les activités des professionnels et renforcer par-là l’efficacité allocative, pallier les déséquilibres sur le territoire en améliorant les conditions d’exercice, etc.
40D’un certain point de vue, la thématique de l’interprofessionnalité prend la succession de celle des délégations de tâches, qui a eu peu d’effets concrets sur la division du travail professionnel. L’interprofessionnalité est a priori plus consensuelle. Elle est aussi plus floue. Cette catégorie n’est pas située dans un corpus juridique précis et déjà constitué.
41Elle pose un certain nombre de questions, dans le champ de la formation et en termes de pratique :
Faut-il, pour bâtir de l’interprofessionnalité, former ensemble des étudiants des différentes filières ? Faut-il un tronc commun de connaissances acquises ? Ne vaut-il pas mieux raisonner en termes de compétences ? Comment construire cette interprofessionnalité ? Sur les bancs de l’université ou à la faveur des stages ? Quel apport du numérique en la matière ?
L’interprofessionnalité signifie-t-elle la nécessité d’organiser des parcours, des passerelles entre les professions ? À quel moment de la carrière organiser ces passerelles (formation initiale, formation continue, validation des acquis de l’expérience) ? Quand on raisonne sur les acquis, le fait-on en termes de connaissances (au risque d’imposer un retour à la case départ) ou sur les compétences (avec quelles garanties ?)
Quels sont les modèles d’organisation de l’interprofessionnalité sur le terrain (logique de filière, de réseau, de lieu fixe, de prolongement de l’hôpital…) ? Quelles modalités de prescription dans une logique interprofessionnelle ? Quels modes de financement ? Est-ce une alternative au conventionnement de certaines professions (qui ne se conçoivent que dans une logique interprofessionnelle mais se rêvent financées à l’acte…) ?
En termes d’attractivité, quelles sont les formes d’organisation qui se révèlent les plus performantes ?
L’élaboration et le déploiement d’éléments communs de formation
42Les professionnels de santé médicaux et paramédicaux ont à mettre en œuvre des compétences communes de base dans leurs pratiques professionnelles, par exemple établir des relations de qualité avec les patients, les orienter au sein du système sanitaire, mobiliser des ressources professionnelles, gérer les dossiers des patients et travailler en équipe ou en partenariat.
43Dans ces conditions, la mise en œuvre d’enseignements communs à plusieurs formations apparaît souhaitable. La consolidation d’une culture interprofessionnelle est un axe de progrès que l’ensemble des professionnels en formation ou en activité mettent volontiers en exergue.
44Autant il est compliqué d’envisager le déversement de l’ensemble des formations existantes en santé dans une formation commune, autant il apparaît judicieux et praticable7 de mettre en place des modules de formation commune, au cours du premier cycle, à l’ensemble des professions de santé (médicales et paramédicales) mais aussi aux professionnels se destinant au management dans le domaine de la santé8. Droit, économie et sociologie de la santé, santé publique et épidémiologie, statistiques, seraient utilement dispensés à tous, sous une même enseigne, qui ne soit pas forcément celle de la faculté de médecine9.
45Si l’initiation à la recherche peut être considérée comme un enseignement à partager entre professionnels en formation, d’autres sujets comme la connaissance du système de santé, la morphologie des professions, la déontologie et l’éthique, ou encore les pratiques et techniques relationnelles, qui traitent de questions auxquelles ont à faire face l’ensemble des professionnels de santé, pourraient aussi faire l’objet d’enseignements à développer et/ou à réaliser en commun.
46Compte tenu de la nécessité de faire mieux coopérer les professionnels médicaux et paramédicaux, il apparaît donc utile de brasser davantage les étudiants. La formation en amphithéâtre offre des opportunités de rencontre mais c’est également – et peut-être surtout – le cas des formations pratiques.
47Dans ce chapitre, nous avons pu détailler la complexité de la pratique médicale dans sociétés occidentales entre evidence based medecine et représentations sociales de la maladie. Les questions de santé sont présentes dans toutes les sphères de l’existence. Les professionnels de santé voient leurs prérogatives de plus en plus étendues et en inter relations plus ou moins forcées avec de nombreux acteurs de l’accompagnement des parcours de vie de tous les citoyens. Cette extension progressive nécessite de revoir l’approche de la formation et de l’exercice des professions de santé en transversalité. Il s’agit donc de développer des compétences transversales à tous les professionnels en lien avec la prise en soin. Cela nécessite une réflexion sur les métiers et leur institutionnalisation.
Notes de bas de page
1 Draperi Catherine (2010), La médecine réfléchie au miroir des sciences humaines. Paris : Ellipses, p. 91
2 Lévi-Strauss Claude (2014 éd. or. 1958), Anthropologie structurale 1. Paris : Place des Éditeurs.
3 Habermas Jürgen (1992 éd. or. 1970), De l’éthique de la discussion. Paris : Flammarion, coll. « Champs », cité p. 49 dans Canouï Pierre (2012), « Transversalité, multidisciplinarité, interdisciplinarité à l’hôpital », dans Canouï Pierre, Golse Bernard, Séguret Sylvie (dir.), La pédopsychiatrie de liaison. Paris : Érès, p. 4752.
4 Bol de Bal Marcel (2003), « Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques ». Sociétés ; 80 (2) : 99-131.
5 Si l’on prend le parcours de ces trois personnages qui ont contribué à la consolidation de notre médecine contemporaine (Louis Pasteur, Claude Bernard et Sigmund Freud), on peut voir que leurs aspirations les conduisaient vers l’expression artistique : Pasteur à seize ans se passionnait pour les arts plastiques, Bernard écrit sa première tragédie à vingt ans et Freud se passionnait pour la physiologie animale. Cf. Lambrichs Louise (2013), La vérité médicale. Claude Bernard, Louis Pasteur, Sigmund Freud : légendes et réalités de notre médecine. Paris : Fayard, coll. « Pluriel ».
6 Mouillie Jean-Marc, Lefève Céline, Visier Laurent (2007), Manuel pour les études médicales. Paris : Les Belles Lettres, p. 448
7 En tant que besoin, en desserrant le carcan réglementaire : c’est un des objectifs des expérimentations rendues possibles par la loi du 24 juillet 2019.
8 Directeurs d’hôpitaux ou d’établissements médico-sociaux, cadres de la Sécurité sociale… : ceux-ci sont recrutés par concours au niveau de la licence, quelle qu’elle soit ; il conviendrait donc d’imaginer de renforcer la compétence santé aux concours pour inciter fortement à suivre les enseignements en question.
9 De ce point de vue aussi, l’intégration dans une université pluridisciplinaire sera particulièrement utile.
Auteurs
MCF Sciences de gestion, management de la santé, Université de Caen Normandie.
Économie, ancien coordonnateur de la Grande Conférence de la Santé, secrétaire général du HCERES, ancien secrétaire général du HCAAM.
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