L’Italie et la France face à quelques apports alimentaires en provenance du Nouveau Monde
p. 229-246
Texte intégral
1Après les voyages d’exploration qui suivirent la découverte du continent américain, un nombre conséquent d’espèces botaniques jusqu’alors inconnues en Europe furent importées, comme la pomme de terre, le maïs, la tomate, le cacao, mais aussi le piment et certaines variétés de courges et de haricots, sans oublier la vanille, l’ananas et bien d’autres encore. Leur intégration au système alimentaire fut déterminée par une pluralité de facteurs et se réalisa selon des rythmes très variables. Dans ce qui suit, nous nous intéresserons au processus d’assimilation de quelques-uns des produits originaires du Nouveau Monde qui eurent un impact significatif sur les habitudes alimentaires italiennes et françaises1. Ensuite, nous nous demanderons si les modalités de l’adoption furent identiques des deux côtés des Alpes car, loin de dépendre seulement des ressources naturelles ou des circuits de production et de commercialisation, « la sélection qu’opèrent les hommes et les femmes dans les nourritures théoriquement disponibles répond à des normes culturelles2 ». Nous nous concentrerons d’abord sur le piment et le chocolat, deux produits qui entrèrent dans les pratiques alimentaires avec une relative facilité, pour examiner ensuite l’intégration de deux « plantes de civilisation3 » comme le maïs et la pomme de terre ainsi que celle de la tomate, espèces qui, malgré leurs nombreux atouts, ne s’imposèrent réellement qu’à l’aube de l’époque contemporaine.
L’épice du pauvre et la boisson du riche : le piment et le chocolat
2Lors du premier voyage de Colomb dans le golfe des Antilles, les Européens découvrirent des baies que les Amérindiens consommaient massivement. C’était le piment, « la principale sauce et toute l’épicerie des Indes4 » selon le missionnaire jésuite José de Acosta. Rapidement adopté par la société chrétienne du Nouveau Monde, le piment fut importé en Europe dès 1493 et, en quelques décennies, devint une présence usuelle dans les potagers, notamment en Espagne et en Italie5. Son prix accessible et le fait qu’il pouvait être cultivé aisément dans les jardins en firent une épice populaire.
3Caractérisé par une analogie gustative forte avec le poivre, le piment fut perçu tout naturellement comme un succédané de cette épice. La comparaison se justifiait aussi au niveau des fonctions culinaires, grâce à la commune valeur condimentaire de ces deux denrées. Au xvie siècle, Castore Durante affirme que le piment entre dans tous les assaisonnements parce qu’il a meilleur goût que le poivre commun6 et indique des emplois culinaires qui seront largement confirmés aux siècles suivants7. Le piment était aussi souvent utilisé pour aromatiser le vinaigre, pratique déjà attestée au milieu du xvie siècle8 et qui paraît bien enracinée en Italie aussi bien qu’en France. Un siècle plus tard, Nicolas Lémery confirme que « les Vinaigriers en mettent dans leur vinaigre pour le rendre fort9 » et signale aussi l’habitude de confire les baies de piment dans du sucre10. Côté italien, on retrouve cette épice dans Il Panunto toscano (1705) de Francesco Gaudenzio qui évoque un vinaigre aromatisé11 ainsi que dans le Cocho bergamasco alla casalenga12 qui fournit une recette de piment permettant de remplacer les câpres dans l’assaisonnement des mets13. Si ces deux livres de cuisine « moyenne » – c’est-à-dire ni d’élite, ni de survie – proposent du piment, cela laisse supposer que, à l’aube du xviiie siècle, sa consommation devait être déjà bien établie, même en dehors des régions les plus méditerranéennes de la péninsule. Se présentant essentiellement sous forme de baies séchées, de vinaigre aromatisé ou tout simplement en tant que saveur, le piment est intégré dans la cuisine avec des fonctions d’exhausteur de goût. Cette valeur condimentaire se manifeste particulièrement dans l’association du piment avec les viandes en daube ou bouillies ainsi que dans la prolifération de sauces destinées à relever la saveur des mets14.
4Le piment fut assimilé plutôt rapidement en Italie, tout particulièrement dans l’alimentation paysanne, surtout méditerranéenne, où il se fit une place parmi les herbes aromatiques traditionnelles. En revanche, il rencontra en France moins de faveur. Guillaume Gueroult, qui traduisit en français l’œuvre de Fuchs, nous dit qu’au milieu du xvie siècle le piment « n’était pas encore congneu par toute la France, sinon des bons iardiniers15 » et, deux siècles plus tard, le Lyonnais Combles affirme qu’« on en fait très peu d’usage en France pour la vie, et qu’on le cultive plutôt pour la décoration des jardins et le plaisir des yeux, que pour l’utilité16 ». Le moindre succès du piment en France s’explique par des raisons climatiques – du moins en Europe occidentale, cette plante ayant connu une plus grande fortune dans les régions méditerranéennes – mais surtout par le fait que la cuisine française du Grand Siècle délaissait progressivement les épices exotiques et tout particulièrement le poivre17 pour s’orienter vers les aromates du terroir, comme la ciboule, l’échalote, l’ail, le persil et la truffe noire. Alors que le goût italien restait encore très lié aux canons de la cuisine de la Renaissance et de l’époque baroque, pour qui les aromates orientaux étaient le nec plus ultra du raffinement, les signes avant-coureurs d’une révolution gastronomique qui prônait des saveurs plus naturelles et qui allait s’imposer sous le nom de « nouvelle cuisine » commencèrent à se manifester dans la France du milieu du xviie siècle. Dans ce contexte, on comprend bien que l’ajout d’une épice supplémentaire n’était pas ressenti comme une priorité.
5Malgré cela, la clé de voûte de l’assimilation du piment reste son statut d’épice bon marché, plus ou moins attrayante selon les pays. Appelé aussi de manière significative « poivre d’Inde », le piment assouvissait l’envie de saveurs épicées, privilège réservé aux élites jusqu’au xvie siècle18. En mettant la cuisine épicée à la portée des classes populaires, la diffusion de cette plante constitua l’un des aboutissements les plus marqués du processus de démocratisation des épices entraîné par les grandes découvertes géographiques19.
6Si le piment pénètre dans l’alimentation populaire qui s’en sert pour imiter la cuisine des élites, le chocolat, quant à lui, se situe sur le terrain de la gastronomie et s’impose à l’époque moderne comme une véritable mode auprès de l’aristocratie20. Les Européens virent les graines de cacao pour la première fois probablement en juillet 1502 dans le golfe du Honduras21, mais ce sera essentiellement à l’occasion de la conquête du Mexique (1519- 1521) qu’ils commenceront à connaître réellement l’ancêtre de notre chocolat, un breuvage écumeux et épicé très prisé par les Mayas et les Aztèques. Cette boisson entra rapidement dans les mœurs de la société coloniale issue de la conquête et notamment au sein des congrégations religieuses qui en furent les principaux vecteurs d’introduction en Europe occidentale22. Vers la fin du xvie siècle, le chocolat fut adopté avec passion et suscita au siècle suivant un véritable engouement. Le succès fut d’abord limité à l’Espagne, qui conservait jalousement le monopole du commerce du cacao, mais au fil des décennies le chocolat s’imposa un peu partout en Europe en tant que nouvelle valeur sociale23. La tasse de chocolat prise au goûter devint ainsi une habitude auprès des aristocrates, notamment auprès des dames.
7Cependant, la diffusion de cette denrée venue d’outre-Atlantique ne se fit pas sans heurts et le chocolat se retrouva au cœur de virulents débats. Il fut abordé par le biais du discours médical, car avant d’être un aliment, il était un remède. Les médecins discutaient de ses vertus thérapeutiques aussi bien que de sa caractérisation galénique afin de l’intégrer aux théories pharmacologiques et diététiques en vigueur. En outre, la forte valeur nutritionnelle du chocolat déclencha une controverse au sein de l’Église. D’un côté, les jésuites, qui avaient largement contribué à faire connaître la nouvelle drogue, affirmaient que prendre du chocolat pendant les périodes maigres était légitime, pourvu qu’on en consomme sous forme liquide, ce qui ne rompait pas le jeûne. De l’autre, leurs adversaires rétorquaient que la nature du chocolat était contraire à l’esprit du jeûne et déploraient qu’on invoque des raisons médicales et religieuses pour légitimer ce qui, à leurs yeux, n’était qu’un péché de gourmandise. Une autre raison de la méfiance nourrie envers le chocolat était sa réputation sulfureuse que l’on retrouve déjà dans les témoignages des premiers voyageurs au Nouveau Monde24. Cette boisson supposée exciter les passions troublait l’imaginaire européen et dérangeait profondément la morale chrétienne. « Le chocolate est une potion voluptueuse, un cordial dangereux, qui éveille l’esprit, qui échauffe le corps, & qui attendrit les cœurs25 », répétait-on dans les milieux ecclésiastiques, ce qui ne l’empêcha nullement de devenir un signe distinctif du raffinement aux xviie et xviiie siècles, après que la recette eut été adaptée au goût européen.
8Les Amérindiens fabriquaient leur chocolat à partir d’une pâte de graines de cacao qu’ils délayaient dans de l’eau et à laquelle ils ajoutaient des épices, parfois du maïs et des fruits et même des champignons hallucinogènes26. Les Européens remplacèrent les ingrédients désagréables à leur palais par d’autres plus en accord avec leurs canons gustatifs. Ils ajoutèrent du sucre et d’autres drogues comme la vanille, les clous de girofle et l’ambre. Certains – affirme Colmenero de Ledesma – y mettent du « poivre noir & de Tavasco27 », d’autres préfèrent y ajouter du piment. La recette était très variable, mais l’une des plus répandues dans la bonne société espagnole et qui par la suite se diffusa partout en Europe prévoyait
sept cens Cacao, une livre et demye de sucre blanc, deux onces de Canelle, quatorze grains de poivre de Mexique appellé Chilé ou Pimiento, demye once de cloux de girofle, trois petites gousses de Campeche ou en son lieu le poids de deux reales d’anis, aussi gros qu’une noisette d’Achiote qui soit suffisant pour lui donner couleur ; quelques uns y adjoustent des Amandes, des Noisettes, & de l’eaue (sic) de fleurs d’Oranges.28
9Le dominicain Jean-Baptiste Labat décrivit le chocolat qu’il vit faire en Espagne et en Italie :
Pour faire cent livres de chocolat du plus fin et du meilleur, on prend quarante livres de pate de cacao […], on y mele soixante livres de sucre bien blanc, bien sec, bien pilé, deux livres de canelle, quatre onces de gerofle, & dix-huit onces de vanille pilées ensemble avec la quantité de musque & d’essence d’ambre que l’on juge à propos.29
10Loin d’être standardisée, la recette du chocolat s’adaptait aux différents goûts nationaux. Nicolas Lémery observait par exemple que
la plûpart des descriptions du Chocolat y demandent du poivre d’Inde & du Gingembre ; mais ces ingrediens trop acres ne sont guéres du gout des François, ils conviennent mieux à celui des Espagnols, des Allemans, des Hollandois.30
11Au fil des décennies, la composition du chocolat évolua considérablement jusqu’à parvenir, entre le xviie et le xviiie siècle, à une simplification du goût qui, pour Piero Camporesi, reflète la transition entre le baroque et l’époque des Lumières31.
12L’Italie fut l’un des pays qui accueillit le plus rapidement la nouvelle boisson : on sait qu’en 1595 elle était déjà connue à Venise et à Florence – on attribue traditionnellement au voyageur florentin Francesco Carletti le mérite d’avoir fait connaître le chocolat à la cour du grand-duc de Toscane32 – et, à l’orée du xviiesiècle, à Naples33. En 1606, le chocolat fut introduit aux Pays-Bas, sous domination espagnole, alors qu’en France, à la même époque, seuls les moines et les marranes chassés d’Espagne le connaissaient34. Il fallut attendre 1615, année du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, qui était d’origine espagnole, pour que, dit-on, l’usage du chocolat commence à se répandre à la cour, mais ce sera surtout sous le règne de Louis XIV que la mode du chocolat s’affirmera, à tel point qu’à la fin du xviiesiècle « être admis au chocolat » signifiait avoir le privilège d’assister au déjeuner du monarque35.
13Produit à statut social élevé, associé à l’euphorie et à l’évasion36, le chocolat fut intégré dans les mœurs gastronomiques et non dans les pratiques culinaires. Au xviiiesiècle, il accomplit avec le café et le thé la « révolution » des boissons exotiques qui, grâce à leur pouvoir légèrement excitant et à leur fonction de distinction sociale, prirent une place de première importance à côté des boissons alcoolisées traditionnelles et eurent un impact immense sur les habitudes mondaines des classes aisées. De ce point de vue, les boissons coloniales ont joué auprès des élites un rôle similaire à celui des épices médiévales – exotisme, dépenses ostentatoires et vertus thérapeutiques – enrichies d’une dimension sociale très marquée37. Leur succès a d’ailleurs été mis en relation avec le retrait des épices dans la cuisine et l’imaginaire européens38. Le délaissement de ces denrées étant déjà plus ou moins avancé selon les régions car les élites choisissaient d’autres produits pouvant les distinguer des classes subalternes.
14Pour ce qui est des modalités d’assimilation en France et en Italie, elles furent à peu près identiques, bien que la préférence pour le chocolat par rapport aux autres boissons exotiques semble avoir été moins nette en France, où le café concurrençait sérieusement la boisson américaine ; en Italie, le goût plus marqué pour le chocolat s’explique aussi en vertu de l’influence espagnole.
15Comme nous l’avons vu, piment et chocolat entrent dans les pratiques européennes selon des modalités qui leur sont propres – le premier en passant par l’alimentation des classes populaires, qui essayaient ainsi d’imiter les nobles, et le second par la gastronomie et les pratiques sociales réservées aux élites. Le point commun entre ces deux denrées réside dans le fait qu’elles ne furent pas assimilées grâce à leur valeur alimentaire : le piment fut adopté en vertu de sa fonction condimentaire et le chocolat en vertu de sa fonction voluptuaire. Au sein du système alimentaire, ils occupent donc une place marginale, ce qui a facilité leur absorption. L’intégration fut bien plus complexe pour le maïs et la pomme de terre, susceptibles de mettre en danger des équilibres vitaux, ainsi que pour la tomate, dépourvue de toute caractéristique pouvant en faire une alternative alimentaire intéressante.
Le maïs, la pomme de terre et la tomate : trois histoires différentes d’une même assimilation difficile
16Importé en Espagne dès 1493, le maïs gagna rapidement tout le bassin méditerranéen39 et, en particulier, l’Italie, liée à l’Espagne par des relations intenses. Toutefois, en dépit de quelques acquisitions précoces, comme par exemple la Vénétie, la culture du maïs en Europe resta marginale pendant tout le xvie siècle.
17Classée par les milieux savants aussi bien que par l’expérience de l’homme du commun parmi les céréales, le maïs entra en concurrence avec les menus grains et les remplaça progressivement. Cela entraîna un appauvrissement du régime alimentaire des populations rurales qui explique l’attitude ambiguë des paysans envers la nouvelle culture : ils étaient favorables au maïs tant qu’il n’était qu’une culture intermittente, à laquelle on réservait des bouts de terre ingrate et qui permettait d’augmenter la quantité de nourriture disponible sans rien changer au système alimentaire. Mais, lorsque les propriétaires voulurent en faire une culture à part entière, les paysans s’y opposèrent car ils s’aperçurent que le maïs s’apprêtait à devenir la base de leur alimentation. Une fois le maïs devenu leur unique nourriture, des épidémies meurtrières de pellagre se déclenchèrent.
18En temps normal, la fonction principale de la céréale américaine était de nourrir les animaux. En 1662, Bartolomeo Stefani en parle comme d’un aliment à chapons40 et Antonio Latini, à la fin du siècle, proposait d’utiliser la farine de maïs pour nourrir les jeunes poules41. Combles signalait qu’au xviiie siècle on s’en servait dans les provinces de France pour engraisser la volaille, les cochons et les chevaux42. Quant aux hommes, poussés par la nécessité, ils étaient contraints d’en consommer pendant les conjonctures économiques négatives. Le maïs constituait en effet un aliment destiné aux indigents et une culture de substitution dans le sillage des céréales inférieures qui nourrissaient les pauvres d’Europe depuis des siècles. En 1767, l’agronome frioulan Antonio Zanon voyait, non sans emphase, dans le maïs un cadeau que la Divine Providence faisait aux pauvres en période de disette43 et, environ un siècle et demi avant lui, un autre agronome, Giovanni Battista Barpo, fut l’un des premiers à faire l’éloge de cette plante alimentaire, profitable selon lui à toutes les classes sociales, même si c’était pour des raisons différentes44.
19Quant à l’adoption du maïs d’un point de vue géographique, elle varia beaucoup d’une région à l’autre, mais, en règle générale, elle semble avancer plus lentement en France qu’en Italie au point que, dans la seconde moitié du xviiie siècle, cette plante était encore une culture relativement récente45. En tant qu’aliment, le maïs se diffusa essentiellement sous forme de polenta, mets qui s’insérait dans la tradition des bouillies de céréales consommées en Europe depuis la préhistoire46 et qui fut pendant longtemps l’aliment de base des populations agricoles de l’Italie du Centre et du Nord47. Nourriture rustique et populaire, la polenta pouvait convenir aux palais les plus délicats avec l’ajout de fromage, de sucre, d’épices et surtout de beurre, véritable élément qui marquait la séparation entre les riches et les pauvres48. Ainsi ennoblie, elle atteignit la haute cuisine et quelques versions riches de polenta furent même consignées dans les livres de recettes49.
20En France, la situation était bien différente. Les mentions de plats de maïs sont presque absentes de la littérature culinaire. Les couches populaires – du moins celles de la partie méridionale du pays – consommaient bien cette céréale, mais la haute cuisine était imperméable à cette nourriture rustique. La polenta resta ainsi reléguée dans la cuisine régionale et, lorsque le maïs est nommé dans les livres de recettes du xviiie siècle, c’est essentiellement en tant que produit de l’office50 car, même si on pouvait en faire un plat délicat, il gardait un statut social modeste. La perméabilité majeure de la cuisine italienne aux pratiques populaires et régionales par rapport à la cuisine française, où la frontière entre les modèles de cuisine « haute » et « basse » est plus rigide, permit donc au maïs d’entrer plus facilement dans les pratiques alimentaires de la péninsule, au point qu’encore aujourd’hui la polenta est l’un des mets festifs par excellence dans le Nord du pays. En raison des événements historiques, la cuisine italienne est restée plus liée au territoire et, aujourd’hui comme hier, le régionalisme est l’un de ses traits distinctifs.
21Un autre aliment à connotation rustique est la pomme de terre. Originaire du Pérou, elle fut rapportée en Espagne pendant la seconde moitié du xvie siècle. Sa diffusion, en Italie comme en France et plus généralement en Europe, reste partielle jusqu’au xviiie siècle. Son intégration au sein des paradigmes agraires et alimentaires fut entravée par de nombreux obstacles. Tréories scientifiques et préjugés populaires s’allièrent contre cette racine et, sans nier le poids des difficultés écologiques et techniques, on peut affirmer que l’aversion pour la pomme de terre fut de nature essentiellement culturelle : fruit de la terre et plante de la famille des solanacées, elle déstabilisait aussi bien les hommes de sciences que le peuple. Tout comme le maïs, la pomme de terre était, du point de vue agraire, une culture de substitution et, du point de vue alimentaire, une nourriture supplétive destinée aux classes populaires51, qui la consommaient par nécessité pendant les périodes de famine. Ce n’est qu’au xviiie siècle qu’on commença à la considérer comme une alternative alimentaire intéressante, grâce surtout à la campagne de propagande orchestrée par les pouvoirs publics et les intellectuels. Les arguments mis en avant pour vanter ses mérites sont essentiellement identiques des deux côtés des Alpes : c’est une culture simple et productive et les tubercules sont des aliments nourrissants, susceptibles de résoudre les problèmes de malnutrition affligeant les classes défavorisées. À la fin du xviiie siècle, l’avancée de cette culture dans les campagnes françaises semble être conséquente, notamment dans le Nord du pays. L’Italie a quelques décennies de retard : il faudra attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que cette culture devienne réellement intensive52.
22En règle générale, l’un des facteurs qui retarda l’adoption de la pomme de terre fut l’insistance avec laquelle on essaya de la réduire en pain, bien qu’elle contienne une quantité de gluten insuffisante pour une panification correcte. « C’est du pain qu’il faut donner au peuple53 », pouvait-on lire dans un opuscule publié à Besançon en 1818, affirmation valable aussi bien pour la France que pour l’Italie. Braudel a observé que les résistances les plus violentes à la pomme de terre ont surgi là où elle était proposée comme concurrente du pain54. En règle générale, les habitants des pays céréaliers ont beaucoup renâclé à devenir des mangeurs de pommes de terre55, alors que là où l’on affectionnait la bouillie et le gruau, comme dans le Nord et le Centre de l’Europe, ce tubercule prit progressivement la place des bouillies traditionnelles sans que la structure de l’alimentation s’en trouve modifiée.
23Malgré son statut pénalisant et contrairement au maïs qui resta essentiellement cantonné à la cuisine populaire, la gastronomie s’intéressa à la pomme de terre à la fin du xviiie siècle. Jadis méprisé, ce tubercule devint ainsi très en vogue. « Pour être à la mode, je vais parler des pommes de terre56 », nous dit le célèbre cuisinier Vincenzo Corrado. Son Trattato delle patate per uso di cibo (1798) constitue en quelque sorte l’équivalent italien de l’opuscule que Madame Mérigot57 avait consacré aux pommes de terre et qui avait été édité trois ans auparavant. Corrado insiste sur l’importance de la pomme de terre pour l’alimentation humaine, propose 55 préparations à base de ce tubercule et 26 sauces différentes pour les accompagner. Le succès de la pomme de terre s’inscrit dans la mode de l’alimentation végétale, dont l’objectif est celui d’apprêter herbes et légumes pour en faire des préparations culinaires dignes de figurer sur les meilleures tables. Au-delà du phénomène de mode, c’est au xixe siècle que l’on découvre toutes les potentialités de cet aliment qui, en s’imposant comme l’accompagnement idéal des viandes et des poissons, deviendra, avec la tomate, l’un des emblèmes de la cuisine bourgeoise et de ses valeurs d’économie et de modération.
24La place que la cuisine italienne réserva à la pomme de terre fut plus limitée que celle qu’on lui réserva en France et dans de nombreux autres pays d’Europe. En effet, partout où elle se diffusa, ce fut avec une fonction de mets qui « cale » bien et rapidement58. Or, pour les Italiens, notamment ceux des régions du Centre et du Sud, cette fonction était assurée de façon relativement satisfaisante par toute sorte de pâtes fraîches et sèches. Dans un tel régime, la pomme de terre était une alternative guère intéressante. La situation était bien plus propice dans la France septentrionale, où ce tubercule s’imposa comme un véritable mets identitaire. Néanmoins, au cours du xixe siècle, quelques plats à base de pomme de terre entrèrent de plein droit dans la tradition gastronomique italienne ; c’est le cas des gnocchi, plat d’origine aristocratique très apprécié depuis le Moyen Âge59 dans lequel la pomme de terre remplace lentement la farine ou le pain râpé60.
25Tout comme le maïs, la pomme de terre rencontra donc des obstacles importants à sa diffusion. Ces deux plantes alimentaires ne furent réellement intégrées dans l’alimentation que vers la fin de l’époque moderne, environ trois siècles après avoir été importées pour la première fois, mais l’espèce qui rencontra les résistances les plus tenaces est sans doute la tomate61. Arrivée en Espagne entre 1519 et 1544, elle fut rapidement introduite en Italie, puis dans les autres pays d’Europe. Le premier foyer de diffusion fut le royaume de Naples, alors sous domination espagnole ; de là, elle se propagea dans le reste de la péninsule, en particulier dans les régions centro-méridionales, et vers le Moyen Orient62. La diffusion de la tomate fut donc plutôt rapide, mais, tout au long des xvie et xviie siècles, cette espèce fut cultivée à une échelle réduite. Plusieurs facteurs en limitèrent la diffusion. Même dans les régions où les conditions écologiques étaient adaptées, cette culture restait sporadique puisqu’elle n’avait aucune caractéristique pouvant favoriser son adoption alimentaire auprès des classes populaires et encore moins auprès des élites. Sur le plan alimentaire, son statut hybride, entre le fruit et le légume, accentua les difficultés pour la classer dans une catégorie culinaire précise. Dépourvue d’un réel pouvoir rassasiant, elle ne constituait pas un aliment complémentaire digne d’intérêt, ce qui représentait un handicap très grave à une époque où la survie dépendait d’équilibres alimentaires précaires. Contrairement au maïs, par exemple, qui prit la place des céréales secondaires et au piment qui put compter sur sa proximité avec le poivre, la tomate ne pouvait remplacer aucun produit en particulier. De plus, cette solanacée était apparentée sur les plans botanique et culinaire à un légume faiblement apprécié comme l’était l’aubergine, sans compter que les ressemblances avec des plantes vénéneuses – la mandragore in primis – inquiétaient les savants ainsi que les hommes du commun. Le destin de la tomate changea radicalement à l’époque contemporaine. Sa caractérisation nutritionnelle fragile et sa neutralité culinaire qui, durant presque trois siècles, en avaient entravé l’adoption à une large échelle en firent un ingrédient universel, signe que l’amélioration des conditions économiques et sociales affranchissait progressivement l’Occident des famines et des contraintes de la subsistance63.
26À cause de sa faible caractérisation organoleptique, la tomate fut finalement considérée comme une épice atypique, à fonction essentiellement condimentaire. Son assimilation, tout comme celle du piment, s’inscrivit donc dans le schéma des condiments, censés accompagner les plats principaux64. Comme ce fut le cas pour le piment, le rôle marginal de la tomate en favorisa l’introduction car son ajout n’entraîna pas de bouleversements majeurs de la structure alimentaire. En dépit de son statut pénalisant, la tomate n’était pas, au xvie siècle déjà, totalement exclue de la consommation, en particulier dans l’Italie du Centre et du Sud. Bien que plutôt sceptique vis-à-vis du Pomo d’oro, Costanzo Felici signale dans sa Lettera sulle insalate (1572) que les gens assoiffés de nouveautés en consommaient65. Mais pour que la tomate entre réellement dans la littérature gastronomique, il fallut attendre la fin du xviie siècle. La première mention est le fait d’Antonio Latini. Son Scalco alla moderna atteste du rôle croissant de la tomate dans la cuisine italienne car il ne se limite pas à signaler l’usage décoratif traditionnel qu’on en faisait, mais il suggère deux versions de sauce tomate à l’espagnole66, ce qui confirme la provenance ibérique de la recette. Quelques années plus tard, Il Panunto toscano du jésuite Francesco Gaudenzio proposait une recette semblable à celle de Latini avec l’ajout d’aubergines et de courgettes67. Les références à la tomate contenues dans ces deux traités codifient des usages sans doute déjà relativement courants dans l’Italie du Centre et du Sud à la fin du xviie siècle. En outre, le témoignage du cuisinier toscan se révèle fort précieux car il montre que la façon de percevoir la tomate était en train d’évoluer. Si Gaudenzio l’utilisait pour nourrir les malades de son couvent, on peut supposer que sa réputation d’aliment malsain s’estompait68. De manière plus générale, Il Panunto toscano a le mérite de montrer qu’à son époque la tomate n’était pas inconnue des cuisines « moyennes », comme celle d’un couvent de Toscane, même si cela ne doit pas nous conduire à surévaluer sa présence dans l’alimentation. Après les mentions de Latini et de Gaudenzio, la tomate disparaît des textes culinaires pour ne refaire son apparition que dans la seconde moitié du xviiie siècle. Cette longue absence peut s’expliquer par le fait que la cuisine italienne consignée dans les ouvrages de gastronomie imitait servilement le modèle français, lequel n’avait pas encore intégré la tomate69. Pour que la cuisine italienne retrouve un souffle d’originalité, il faudra attendre la fin du siècle, époque à laquelle les cuisiniers se tournent davantage vers les ressources du terroir et se réapproprient aliments, techniques et traditions plus méditerranéens70. C’est à ce moment précis que la tomate refait son apparition. Celui qui inaugura la tendance fut Vincenzo Corrado, dont la gastronomie témoigne, d’une part, d’une plus grande fidélité à la tradition et, d’autre part, de la tentative de réaliser une assimilation raisonnée des pratiques étrangères. Ce cuisinier affirme que les condiments à base de tomate s’adaptent à tout type de mets71 car c’est surtout en sauce que cet aliment révèle ses potentialités. Désormais intégrée aux pratiques culinaires de la péninsule, la tomate s’apprêtait ainsi à devenir l’élément véritablement révolutionnaire de la cuisine italienne du xixe siècle72.
27Alors qu’elle poursuivait son avancée en Italie, de l’autre côté des Alpes sa diffusion restait limitée. En écrivant que « les Italiens mangent [ce] fruit en salade avec du sel, du poivre & de l’huile, comme on mange ici le Concombre73 », Nicolas Lémery confirmait un usage bien plus italien que français. La tomate n’était certes pas inconnue en France, mais elle était cultivée et consommée essentiellement dans le Midi. Dans les régions au nord de la Loire, elle ne s’était pas encore imposée, à cause du climat, bien sûr, mais surtout à cause de la persistance d’anciens préjugés sur sa toxicité présumée. Quoi qu’il en soit, la littérature gastronomique l’ignorait : absente des textes fondateurs de la grande cuisine française du xviiie siècle, la tomate fit une apparition discrète dans les livres de recettes au xixe et presque exclusivement sous forme de sauce. Le premier professionnel de cuisine à codifier la sauce tomate fut sans doute André Viard en 180674.
28Comme nous avons pu le constater, la tomate, qui était moins perçue comme un aliment à part entière que comme un assaisonnement, entra dans la cuisine essentiellement comme ingrédient pour les sauces, associée à l’ail, aux oignons et au persil75, une modalité de préparation qui s’inscrit pleinement dans la continuité de la tradition alimentaire européenne qui, depuis l’Antiquité, prévoyait la consommation de sauces en accompagnement des viandes et des poissons76.
29L’assimilation des apports alimentaires en provenance du Nouveau Monde dans les systèmes alimentaires européens fut conditionnée par de nombreux facteurs différents : aux aspects d’ordre technique et culinaire se superposèrent les sphères du désir et du goût ainsi que des considérations portant sur l’évaluation des effets potentiels que l’aliment pouvait avoir sur la santé. À tout cela, il faut encore ajouter les raisons liées à la faim : nous avons vu que l’histoire du maïs et de la pomme de terre témoignent d’une coïncidence marquée entre les périodes de crises de subsistance et l’introduction de cultures nouvelles.
30Au niveau chronologique ainsi qu’au plan des modalités d’adoption, chaque produit suivit un parcours qui lui est propre. Bien que le modèle d’intégration soit très variable, il est néanmoins possible de dégager les tendances générales du phénomène assimilatoire. Tout d’abord, il faut souligner que l’intégration des apports colombiens se déroula dans le cadre d’une consolidation de tendances déjà bien définies, au niveau agraire aussi bien qu’au niveau alimentaire. Dans ce contexte, on peut dire que l’acceptation fut plus aisée lorsqu’il fut possible de traiter un produit nouveau de façon traditionnelle77, comme dans le cas du piment, utilisé comme succédané du poivre. Un autre facteur qui conditionne fortement l’assimilation est la place de l’aliment au sein du régime alimentaire : remplacer un aliment central est dangereux car cela risque de compromettre l’équilibre de tout le système ; à cet égard, les réticences envers le maïs et la pomme de terre sont particulièrement instructives. À l’inverse, les aliments qui ne portent pas atteinte aux équilibres vitaux se trouvent favorisés. Un produit comme le chocolat n’était nullement indispensable à la survie des élites de l’époque moderne, mais il était associé au luxe et à la mondanité, ce qui explique son énorme succès.
31Pour ce qui est du cadre géographique de l’assimilation, nous avons relevé quelques différences entre l’Italie et la France. En qualité de substitut populaire du poivre, le piment trouva un terrain plus favorable dans la cuisine italienne, encore très marquée par l’emploi massif des épices orientales, alors qu’en France leur délaissement était déjà bien entamé. C’était l’une des tendances majeures de la nouvelle cuisine française qui, à la fin du xviie siècle, allait s’imposer comme le modèle gastronomique de référence. Quant à la haute cuisine italienne, issue de la société courtoise, elle connut son apogée pendant le Cinquecento, mais au siècle suivant elle perdit son élan innovant, signe du caractère subalterne de la péninsule sur le plan politique comme d’un repli régionaliste qui deviendra, à long terme, l’un de ses traits distinctifs78. C’est d’ailleurs grâce à ce régionalisme que la cuisine italienne et, par ricochet, la littérature culinaire et gastronomique qui la véhiculait, englobèrent plus facilement des produits issus des traditions locales, ce qui permit à des aliments à connotation rustique et populaire, comme par exemple la tomate et le maïs, de figurer sur les bonnes tables.
32L’influence espagnole joua aussi un rôle déterminant dans l’adoption des apports colombiens en Italie. Associée par des liens politiques et culturels très étroits à l’Espagne – porte par laquelle les nouvelles denrées gagnèrent l’Europe –, l’Italie connut plus rapidement que d’autres pays les nouveautés d’outre-Atlantique. C’est en vertu de l’influence espagnole unie à la prédilection traditionnelle des Italiens pour le goût sucré que le chocolat s’imposa en Italie comme la boisson exotique favorite. Quant à la pomme de terre, la France l’adopta plus rapidement que l’Italie, grâce à des conditions climatiques plus adaptées, en particulier dans le Nord, et à un esprit réformiste plus marqué.
Notes de bas de page
1 Pour un discours plus approfondi sur le phénomène d’assimilation des apports du continent américain dans l’aire franco-italienne, nous nous permettons de renvoyer à Galli Marika, La conquête alimentaire du Nouveau Monde. Pratiques et représentations franco-italiennes de nouveaux produits du xvie au xviiie siècle, Paris, L’Harmattan, coll. « Questions alimentaires et gastronomiques », 2016.
2 Laurioux Bruno, Manger au Moyen Âge, Paris, Hachette, 2002, p. 101.
3 Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme. xve-xviiie siècle. 1. Les structures du quotidien, Paris, Le Livre de Poche, 1993, p. 112.
4 Acosta José de, Histoire naturelle et morale des Indes occidentales, éd. par J. Rémy-Zéphir, Paris, Payot, 1979, p. 190.
5 Le médecin sévillan Monardes (1493 ?-1588) signale à ce propos que « le Poivre qui nous est envoyé des Indes […] est une plante excellente et cogneuë par toute l’Espagne car il n’y a iardin auquel on ne seme ceste sorte de plante, à cause de la beauté du fruict » (Monardes Nicolás, Histoire des simples medicamens, Lyon, Iean Pillehotte, 1619, p. 134). À peu près à la même époque, Mattioli précise qu’en Italie le piment est « ormai fatto per tutto volgare » (Mattioli Pierandrea, IDiscorsi, Venetia, Valgrisi, 1558, Secondo Libro, p. 608).
6 Durante Castore, Herbario novo, Venetia, Sella, 1602, p. 344.
7 « Si pestano le sue guaine insieme col seme, & s’incorporano con pasta, & se ne fa pan biscotto […], & i pezzeti, di queste guaine fatte bollire nel brodo sono condimento eccellentissimo. » (Ibid.) Trad. : « On écrase ses baies avec ses graines, on les mélange à la pâte et on en fait du pain biscuit […], et les morceaux des baies que l’on fait bouillir dans du bouillon sont un condiment excellent. » Cette citation ainsi que les suivantes ont été traduites de l’italien par nos soins.
8 Le naturaliste vénitien Pietro Antonio Michiel affirme, par exemple, qu’on met le piment dans le vinaigre pour en augmenter la puissance : « Questa pianta […] ponesi nel aceto per acrescerli il fortume. » (Michiel Pietro Antonio, I cinque libri di piante, éd. par E. De Toni, Venezia, Carlo Ferrari, 1940, Libro rosso I, p. 370.)
9 Lémery Nicolas, Dictionnaire ou Traité universel des drogues simples, Amsterdam, Aux dépens de la compagnie, 1716, p. 113.
10 Ibid.
11 Gaudenzio Francesco, Il Panunto toscano, éd. par G. Gianni, Sala Bolognese, Forni Editore, 1990, p. 172.
12 Rédigé à la fin du xviie-début du xviiie siècle par un cuisinier bergamasque anonyme, ce « réceptaire » constitue un bon exemple de cuisine lombarde d’inspiration bourgeoise et populaire.
13 « Modo di far cappare domestiche. Prendi fiori di cedro […], fiori di nasturzi […] ; peveroni assai piccioli. Fa tutto ben impassire all’ombra, di puoi mettili nel vin biancho garbo per otto giorni ; e per altri otto giorni rinova detto vino ; e di più, in vece di vino, mettili nell’aceto e servali all’uso delle carpionature e delle conze. » ([Anonyme], Il cocho bergamasco alla casalenga, manuscrit de la Biblioteca civica Angelo Mai de Bergame [MMB 85], éd. par R. Galati, P. Ferrari et C. Sugliani, Bergamo, Italia Nostra, 1979, p. 29.) Trad. : « Façon de préparer les câpres domestiques. Prends des fleurs de cédrat […], des fleurs de capucine […] et des piments très petits. Laisse-les macérer à l’ombre et ensuite mets-les dans du vin blanc acide pendant huit jours. Renouvelle l’opération pendant huit jours supplémentaires. Au lieu de les mettre dans du vin, tu peux aussi les mettre dans du vinaigre et les servir ensuite comme les sauces. »
14 Gaudenzio signale, en effet, que les morceaux de piment séché sont utilisés dans les plats en daube, les ragoûts, les plats en sauce, etc. : « <Essi> s’adoprano nello stufato, spezzatello, guazzetti e simili. » (Gaudenzio F., Il Panunto toscano, op. cit., p. 171.)
15 Fuchs Leonhart, L’histoire des plantes… Nouvellement traduict en francoys par Guillaume Gueroult, Paris, Pierre Haultin, 1549 [1re éd. 1542], p. 417.
16 Combles, L’École du jardin potager… Cinquième Édition, vol. II, Paris, Delalain, 1802 [1re éd. 1749], p. 361.
17 Bruno Laurioux rappelle que le poivre était l’épice la plus utilisée dans l’alimentation de masse. Cette démocratisation fut à la base de la perte de prestige dont il fit l’objet à partir du xive siècle (Laurioux B., Manger au Moyen Âge, op. cit., p. 36).
18 Montanari Massimo, Il cibo come cultura, Roma/Bari, Laterza, 2007, p. 151.
19 Mattioli rappelle justement à ce propos que « Le navigazioni fatte à i tempi nostri da i Portughesi per l’oceano Atlantico […], & dopo loro da gli Spagnoli all’Indienuove […] hanno ripiena tutta l’Europa di Pepe, & altri aromati eccellentissimi. » (Mattioli P., I Discorsi, op. cit., Secondo Libro, p. 605.) Trad. : « Les navigations entreprises à notre époque par les Portugais dans l’océan Atlantique […] et, après eux, par les Espagnols aux Indes nouvelles […] ont empli l’Europe entière de poivre et d’autres épices excellentes. »
20 Pour l’histoire de l’adoption du chocolat, nous renvoyons à Norton Marcy, Sacred Gifts, Profane Pleasures : A History of Tobacco and Chocolate in the Atlantic World, Ithaca, Cornell University Press, 2008.
21 Colombo Fernando, Historie… Nuovamente di lingua Spagnuola tradotte nell’Italiana dal S. Alfonso Ulloa, Venetia, Francesco de’ Franceschi Sanese, 1571, fo 200ro.
22 Bernard Bruno, « Est-il moral de boire du chocolat ? », dans Bernard Bruno et Bologne Jean-Claude (dir.), Chocolat. De la boisson élitaire au bâton populaire. xvie-xxe siècle, Bruxelles, CGER, 1996, p. 83.
23 Autour de 1630-1640, le médecin andalou Colmenero de Ledesma signalait que « le nombre de ceux qui boivent auiourd’huy du Chocolate est si grand, que non seulement ce breuvage est fort usité aux Indes où il a pris son origine, mais aussi en Espagne, en Italie & en Flandres, & particulierement en la Cour du Roy d’Espagne » (Colmenero de Ledesma Antonio, Du chocolate… traduit d’Espagnol en François sur l’impression faite à Madrid l’an 1631… par René Moreau, Paris, Sebastien Cramoisy, 1643, p. 1).
24 Bernal Díaz del Castillo fait référence par exemple aux « vertus aphrodisiaques » attribuées au chocolat (Diaz del Castillo Bernal, Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne, vol. II, Paris, François Maspero, 1980 [1re éd. 1632], p. 87).
25 Hecquet Philippe, Traité des dispenses du carême, Paris, François Fournier, 1709, p. 545.
26 Huetz de Lemps Alain, « Boissons coloniales et essor du sucre », dans Flandrin Jean-Louis et Montanari Massimo (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 631.
27 Colmenero de Ledesma A., Du chocolate…, op. cit., p. 15.
28 Ibid., p. 16.
29 Labat Jean-Baptiste, Nouveau voyage aux isles de l’Amérique, t. VI, Paris, Guillaume Cavelier, 1722, p. 61.
30 Lémery N., Dictionnaire…, op. cit., p. 145.
31 Camporesi Piero, Le goût du chocolat, Paris, Grasset, 1992, p. 185.
32 Franklin Alfred, La vie privée d’autrefois. Le café, le thé & le chocolat, Paris, Plon, 1893, p. 161.
33 Huetz de Lemps A., « Boissons coloniales… », art. cit., p. 632.
34 Peeters Alice, « Boire le chocolat », Terrain, 13, 1989, http://terrain.revues.org//document2959.html
35 Franklin A., La vie privée d’autrefois…, op. cit., p. 171.
36 Montanari Massimo, La fame e l’abbondanza, Roma/Bari, Laterza, 2003, p. 153.
37 Quellier Florent, La table des Français. Une histoire culturelle (xve-début xixe siècle), Rennes, PUR, 2007, p. 66.
38 Braudel F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme…, op. cit., p. 251.
39 Sur la diffusion du maïs en Méditerranée, cf. Hémardinquer Jean-Jacques, « Les débuts du maïs en Méditerranée », dans Mélanges en l’honneur de Fernand Braudel, Histoire économique du monde méditerranéen. 1450-1650, Toulouse, Privat, 1973, p. 227-233.
40 Stefani Bartolomeo, L’arte di ben cucinar…, Mantova, Osanna, 1662 [réimpression anastatique : Sala Bolognese, Forni Editore, 2001, p. 36].
41 Latini Antonio, Lo scalco alla moderna, Napoli, Parrino e Mutii, 1692 [réimpression anastatique : vol. I, Lodi, Biblioteca Culinaria, 1993, p. 184].
42 Combles, L’École du jardin potager…, op. cit., vol. I, p. 268-269.
43 Zanon Antonio, Della coltivazione e dell’uso delle patate e d’altre piante commestibili, Venezia, Modesto Fenzo, 1767, p. 70-71.
44 « Il povero con simil biada sostenta agiatamante se stesso e la sua famigliola, il mediocre accresce le sue forze e il grande empie la borsa di scudi e molti hanno osservato […] che doppo introdotta questa biada, gli huomini vengono di maggiore procerità, più bianchi, sani, gagliardi, allegri. » (Barpo Giovanni Battista, Le delitie, & i frutti dell’agricoltura, e della villa, Venetia, Sarzina, 1634 [1re éd. 1633], p. 245.) Trad. : « Avec une telle culture, le pauvre subvient aisément à ses besoins et à ceux de sa famille, quelqu’un d’un peu moins modeste augmente ses forces et le riche remplit sa bourse de deniers, en outre beaucoup de personnes ont observé […] qu’après l’introduction de cette culture les hommes sont devenus plus grands, plus blancs, plus sains, plus gaillards et plus joyeux. »
45 Combles nous informe que « cette plante appartient plus à la pleine campagne qu’aux jardins ; cependant, comme on l’apprête depuis peu, et qu’on la présente sur les tables, on lui donne rang parmi les plantes potagères » (Combles, L’École du jardin potager…, op. cit., vol. I, p. 265).
46 Messedaglia Luigi, « A proposito di grano saraceno e di polenta. Note manzoniane », dans Id., Per la storia dell’agricoltura e dell’alimentazione, Piacenza, Federazione dei Consorzi Agrari, 1932, p. 321.
47 Artusi Pellegrino, La scienza in cucina e l’arte di mangiar bene, éd. par P. Camporesi, Torino, Einaudi, 1991, p. 227, note 1.
48 Camporesi Piero, La terra e la luna, Milano, Garzanti, 1995, p. 194.
49 Par exemple, le Libro contenente la maniera di cucinare codifie avec précision cette version « riche » de la Polenta di formentone ([Anonyme], Libro contenente la maniera di cucinare…, manuscrit de la seconde moitié du xviiie siècle, dans L’arte della cucina in Italia. Libri di ricette e trattati sulla civiltà della tavola dal XIV al XIX secolo, éd. par E. Faccioli, Torino, Einaudi, 1987, p. 728).
50 Marin par exemple signale que le « bled de Turquie » peut se confire dans du vinaigre et qu’on le mange comme les cornichons (Marin François, Suite des Dons de Comus, éd. par S. Serventi, Les Dons de Comus, vol. II, Orthez, Éditions Manucius, 2001 [1re éd. 1742], p. 460).
51 Cette idée est très clairement exprimée dans l’Encyclopédie, où l’on peut lire que la pomme de terre est une racine qui « ne sauroit être comptée parmi les alimens agréables ; mais elle fournit un aliment abondant & assez salutaire aux hommes, qui ne demandent qu’à se substenter » (Diderot Denis, D’Alembert et Jean Le Rond, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, vol. XIII, Paris, Briasson/David/ Le Breton/Durand, 1765, p. 4).
52 La campagne de propagande de la fin du xviiie siècle eut des effets positifs seulement pendant les périodes de disette : une fois la menace de la faim éloignée, les paysans délaissaient les pommes de terre et revenaient à leur alimentation usuelle. À l’occasion de la famine des années 1816-1817, les pouvoirs publics intensifient à nouveau la propagande, mais il faudra attendre encore au moins cinquante ans pour que la pomme de terre entre dans les habitudes alimentaires (Gentilcore David, « Changement climatique, famine et réforme de l’agriculture : la culture de la pomme de terre à Pistoia », dans de Ferrière le Vayer Marc et Williot Williot (dir.), La pomme de Terre de la Renaissance au xxie siècle, actes du colloque international de Tours, 18-20 novembre 2008, Rennes/ Tours, PUR/PUFR, 2011, p. 71).
53 Avis au peuple sur les très grands avantages de la pomme de terre, et sur la diversité de ses produits, applicables à la nourriture de l’homme, Besançon, Imprimerie de Chalandre, s.d. [1818], p. 5.
54 Braudel F., Les structures du quotidien, op. cit., p. 185.
55 Flandrin Jean-Louis, « Les temps modernes », dans Flandrin J.-L. et Montanari M. (dir.), Histoire de l’alimentation, op. cit., p. 557.
56 « Per andare a seconda della moda, vengo a parlare delle patate. » (Corrado Vincenzo, « Trattato delle patate ad uso di cibo », dans Id., Del cibo pitagorico ovvero erbaceo, Roma, Donzelli Editore, 2001, p. 115.)
57 [Madame Mérigot], La cuisinière républicaine, Paris, Mérigot jeune, 1795. Ce petit livre attribué à Madame Mérigot, une femme ordinaire qui affiche son souci d’économie, mais qui n’est sans doute que fiction (Ferrières Madeleine, Nourritures canailles, Paris, Seuil, 2007, p. 390-391), est l’un des ouvrages les plus emblématiques de l’entrée de la pomme de terre dans la cuisine. En reprenant tous les thèmes de la littérature de propagande de l’époque précédente, il livre un éloge passionné de cet aliment.
58 Massimo Montanari parle à ce propos de « cibo da riempimento » (Montanari M., La fame e l’abbondanza, op. cit., p. 175).
59 Capatti Alberto et Montanari Massimo, La cucina italiana. Storia di una cultura, Roma/ Bari, Laterza, 2002, p. 51.
60 La recette définitive des gnocchi est codifiée par Corrado (Corrado V., « Trattato delle patate… », art. cit., p. 134) et consacrée par Artusi (Artusi P., La scienza in cucina…, op. cit., p. 126).
61 Pour plus de détails sur l’histoire de la tomate, on pourra se référer aux travaux de David Gentilcore et, notamment, à son ouvrage Pomodoro ! A History of the Tomato in Italy, New York, Columbia University Press, 2010.
62 Grewe Rudolph, « Tre arrival of the tomato in Spain and Italy : early recipes », The Journal of Gastronomy, vol. 3, n. 2, 1987, p. 78.
63 Ibid., p. 245.
64 Sentieri Maurizio et Zazzu Guido N., I semi dell’Eldorado, Bari, Dedalo, 1992, p. 184.
65 « Pomo d’oro, cosí detto vulgarmente dal suo intenso colore, overo pomo del Perù, quale o è giallo intenso overo è rosso gagliardamente – e questo o è tondo equalmente overo è distinto in fette como il melone – ancora lui da ghiotti et avidi de cose nove è desiderato […], ma al mio gusto è piú presto bello che buono. » (Felici Costanzo, Del’insalata e piante che in qualunque modo vengono per cibo dell’homo [1572], dans L’arte della cucina in Italia…, op. cit., p. 480.) Trad. : « Pomme d’or, ainsi appelée pour sa couleur intense, ou bien pomme du Pérou, elle peut être d’un jaune intense ou d’un rouge vif. Elle peut être parfaitement ronde ou présenter des tranches comme le melon. Les gourmands et les personnes assoiffées de nouveautés l’apprécient […], mais à mon avis elle est plus belle que bonne. »
66 « Salsa di Pomadoro alla Spagnuola. Piglierai una mezza dozzena di Pomadoro, che sieno mature ; le porrai sopra le brage, à brustolare, e dopò che saranno abbruscate, gli leverai la scorza diligentemente, e le triterai minutamente con il Coltello, e v’aggiungerai Cipolle tritate minute, à discretione, Peparolo pure tritato minuto, Serpollo, ò Piperna in poca quantità, e mescolando ogni cosa insieme, l’accommoderai con un pò di Sale, Oglio, & Aceto, che sarà una Salsa molto gustosa, per bollito, ò per altro. » (Latini A., Lo scalco alla moderna, op. cit., vol. I, p. 444.) Trad. : « Sauce de tomates à l’espagnole. Tu prendras une demi-douzaine de tomates bien mûres, tu les mettras cuire sur des braises. Lorsqu’elles seront cuites, tu ôteras leurs peau avec soin et tu les hacheras finement à l’aide d’un couteau. Tu y mélangeras autant d’oignons que tu voudras, des poivrons finement hachés, ainsi qu’un petit peu de thym ou de thym sauvage. En y ajoutant un peu de sel, d’huile et de vinaigre, tu obtiendras une sauce très savoureuse qui conviendra aux viandes bouillies et à d’autres mets. »« Piglierai due Poma d’oro, & un pezzetto di Cipolla, ogni cosa tritata minuta, con un poco di Peparolo pur trito, e di Piperna simile, col suo Sale, & Oglio ; mescolerai ogni cosa insieme, e te ne potrai servire […] tanto in giorno di magro, quanto di grasso. » (Ibid., vol. II, p. 162.) Trad. : « Tu prendras deux tomates et un petit bout d’oignon, le tout haché menu, avec un peu de piment et de thym sauvage, eux aussi finement hachés, du sel et de l’huile. Tu mélangeras le tout et tu pourras t’en servir […] autant pour les jours maigres que pour les jours gras. »
67 « modo di cuocere li pomi d’oro. Questi frutti sono quasi simili alle mele, si coltivano nei giardini e si cuociono nel modo seguente : piglia li detti pomi, tagliali in pezzetti mettili in tegame con olio, pepe, sale, aglio trito e mentuccia di campagna. Li farai soffriggere col rivoltarli spesso e se ci vorrai aggiungere un poco di molignane tenere e cocuzze lunghe ci faranno bene. » (Gaudenzio F., Il Panunto toscano, op. cit., p. 164.) Trad. : « façon de cuire les tomates. Ces fruits ressemblent beaucoup aux pommes, ils sont cultivés dans les jardins et on les cuit de la façon suivante : prends ces pommes, hache-les en petits morceaux, mets-les dans une poêle avec de l’huile, du poivre, du sel, de l’ail écrasé et de la menthe sauvage. Tu les feras revenir dans une poêle en les remuant souvent. Si tu veux y ajouter quelques aubergines et quelques courgettes, ce sera bien aussi. »
68 Gaudenzio clôt son ouvrage par un chapitre consacré au Modo d’apparecchiare alcune vivande per uso dell’infermi (ibid., p. 193-205).
69 Cf. Vallisneri Federica, « Pomodoro fresco e pomodoro in conserva », Appunti di gastronomia, 32, 2000, p. 119-134.
70 Ibid., p. 122.
71 « Varie gustossime vivande si posson fare di pomidoro, ed infinite conditure col sugo loro si prestano alle carni, ai pesci, all’uova, alle paste, ed all’erbe. » (Corrado V., Del cibo pitagorico ovvero erbaceo, op. cit., p. 76.) Trad. : « Avec la tomate on peut préparer un grand nombre de mets très savoureux et les très nombreuses sauces qu’on peut faire avec leur jus sont adaptées aux viandes, aux poissons, aux œufs, aux pâtes et aux légumes. »
72 Camporesi P., La terra e la luna, op. cit., p. 234.
73 Lémery Nicolas, Dictionnaire, ou Traité universel des drogues simples, Paris, Laurent d’Houry, 1714, p. 506.
74 Viard propose la « Sauce tomate française » (Viard André, Le cuisinier impérial, Paris, Barba, 1806, p. 57) en accompagnement de quelques plats de viande, comme par exemple la « Côte de bœuf », le « Filet de bœuf », la « Queue de bœuf », la « Langue » et les « Pieds de mouton », les « Cervelles de veau », le « Kari de tendons de veau » (ibid., p. 97, 107, 93, 167, 193, 123, 141).
75 Grewe R., « Tre arrival of the tomato… », art. cit., p. 76.
76 Montanari M., Il cibo come cultura, op. cit., p. 150.
77 Massimo Montanari parle à ce propos de la pratique de la substitution (ibid., p. 143-152).
78 Capatti A. et Montanari M., La cucina italiana…, op. cit., p. 29.
Auteur
ISTA EA 4011, université de Franche-Comté, Besançon
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