Conclusion
p. 365-375
Texte intégral
« […] the fundamental desire serialization seems to address is that of unlimited storytelling1. »
1« Raconter des histoires sans fin », tel serait l’objet de la série télévisée et de la sérialité plus généralement. Mais comment la fin peut-elle disparaître dans un récit alors que le récit se définit par son inscription dans le temps : une ouverture, un déroulement et une clôture ? Qu’il s’agisse d’un récit, d’une « histoire » ou d’une série, le fait même de pouvoir les qualifier en tant que tel implique des bornes, un intervalle2, et dans cet espace, une série d’événements qui vont plus ou moins former un tout dont la cohérence n’est pas forcément chronologique ni logique. Or, la série comporte une particularité : elle repose sur une tension indépassable entre le tout et le fragment, une fragmentation qui fait partie de sa structure et de sa dynamique, même si la « promesse d’une fin » reste omniprésente en filigrane. On l’a vu, dans les séries à narration complexe, le fil chronologique d’un récit traditionnellement ancré dans une temporalité newtonienne, c’est-à-dire linéaire, n’est plus la norme. Cela n’a rien de nouveau si l’on se souvient que le xviiie siècle fut, avec Sterne en particulier, pionnier en la matière. Pourtant, le phénomène sériel se singularise par plusieurs spécificités, entre autres il introduit une remise en question de la fin, qui, comme en fiction post-cataclysmique, semble éternellement repoussée. Refus d’interrompre l’histoire ? Besoin d’un récit sans clôture ? Le principe interruptif de la fin ne semble plus opérer comme si la série refusait de s’ancrer dans la temporalité : unlimited, sans bornes temporelles, ni origine, ni fin, un flux narratif qui donnerait l’illusion d’annihiler le temps.
« Comme le dit Jean-François Hamel, “chaque culture se dote d’un mode d’être au temps qui lui est propre, c’est-à-dire d’un régime d’historicité, au sein duquel s’articulent de manière chaque fois unique les catégories du passé, du présent et du futur”. Or, le régime qui nous est propre surdétermine le rôle du présent, mais d’un présent essentiellement anxiogène. […] le régime contemporain d’historicité fait du présent son objet de prédilection, pour ne pas dire l’objet de son obsession de tous les instants. Un trait de ce régime apparaît en effet dans la tendance, voire l’urgence, de notre présent à s’historiciser lui-même et à s’inscrire dans un récit où il occupe le centre de la scène. C’est ce que Hartog nomme le présentisme3. »
2La forme sérielle serait symptomatique de notre rapport au temps. Elle attesterait de notre entrée dans un nouveau régime d’historicité en nous inscrivant dans une forme de présentisme (et la télévision est souvent associée à l’immédiateté), un temps présent qui n’est pas homogène pourtant exacerbé, ce dont rend compte le « Is it now », dont nous avons vu qu’il était récurrent dans les séries mettant en scène des figures du posthumain. Si le présent demeure « un temps incertain »4, il n’a jamais été aussi omniprésent et le présentisme serait la manifestation de cette exacerbation. On retrouve peut-être alors le temps du délai problématisé par Anders, un temps suspendu, un temps de l’attente mais qui refuse de s’inscrire dans une temporalité. Sans passé, sans futur, un temps qui ne relève plus du cyclique ni du linéaire, qui s’inscrit dans le quotidien5. On peut en effet opposer le présentisme (et son absence de fin) à deux autres perceptions de la temporalité : l’une, traditionnelle et cyclique, qui s’accompagne d’un retour du sacré et/ou du religieux (on l’a vu dans plusieurs exemples), l’autre, moderne et linéaire, qui faisait de la fin son principe interruptif6.
3La série s’inscrit parfaitement dans cette réflexion sur le présentisme. Par sa forme même, elle relève d’un temps suspendu, du fait de sa structure épisodique. Le temps court de l’épisode induit une suspension qui fait inlassablement retour et qui nous est rappelée en début et fin de chaque épisode. Le previously on et le to be continued (ou next on…) impliquent bien la promesse d’un éternel retour mais actent également le fait que le temps a été suspendu, qu’un intervalle a eu lieu. Cette progression spécifique à la forme sérielle s’inscrit paradoxalement dans la cyclicité. Ce qui précède et ce qui suit, ce qui encadre le temps de l’épisode est ainsi surdéterminé, et pas uniquement par les rappels de ce qui a eu lieu et les annonces sur ce qui va suivre.
4On pourrait en effet mentionner le tissu bien plus complexe d’éléments qui gravitent autour d’une série ou même d’un épisode : les teasers, les séquences pré- ou post-génériques, qui peuvent parfois aller jusqu’à proposer un récit second dont le rapport avec l’épisode (voire la saison) peut n’apparaître que dans un second temps, si tant est qu’il apparaisse. On pense par exemple aux images prégénériques de l’épisode 1 de la saison 2 de Breaking Bad qui est l’un des exemples les plus connus et les plus réussis de flashforward sur l’ensemble d’une saison. Ces images constituent une énigme à déchiffrer pour le récepteur. La piscine filmée en noir et blanc dans laquelle flotte un ours en peluche partiellement carbonisé prendra cependant sens au terme de la saison. Dans Mindhunter, on croise un autre phénomène du même ordre, avec les images prégénériques récurrentes d’un inconnu, à Park City, Kansas. Ces scènes d’environ trente secondes ne font pas clairement sens au terme de la saison 1, même si le récepteur aura compris que l’inconnu en question présente bien des points communs avec les tueurs en série qui sont centraux dans la série (et la saison 2 le confirme). Au niveau de l’épisode, on a aussi cité Flashforward et l’image presque subliminale qui apparaît dans le générique de chaque épisode.
5Les séries à narration complexe illustreraient donc une esthétique de la fragmentation qui peut être rapprochée d’un présentisme qui se caractérise par l’émiettement, le ponctuel et l’équivoque7. Le paradoxe de la forme sérielle serait alors de jouer à la fois de cet émiettement mais aussi de l’angoisse qu’il génère. On a évoqué Leftovers où l’angoisse de la disparition et de la fissuration est omniprésente. Pourtant, la forme sérielle tend à partiellement la compenser. La série promet en effet un retour, une répétition, même si cette dernière n’induit pas forcément une progression. Il en va ainsi des épisodes autonomes8 (stand alone), qui ont d’autres fonctions que celle de la progression diégétique, comme on l’a vu avec les épisodes transmédiatiques de Fringe. Ces épisodes peuvent aller jusqu’à suspendre la progression narrative pour, parfois, ne plus problématiser que le rapport au temps que propose la sérialité. L’un des exemples les plus réussis de suspension du temps est l’épisode 10 de la saison 3 de Breaking Bad « Fly ».
« Fly », S03E10.

6Cet épisode devenu culte est pourtant le résultat de contraintes budgétaires9 mais il esthétise magistralement la suspension du temps par interruption de la progression linéaire. L’épisode devient autonome, un fragment isolé : il n’alimente plus le continuum narratif. Cette suspension du temps n’est pas la seule possibilité pour illustrer le présentisme qui caractérise la culture contemporaine et son imaginaire. Comme le remarque Monica Michlin :
« […] more daring series like Damages have attempted to transgress seriality by playing on repetition as change, and on reviewing as re-interpretation10. »
7Paradoxalement, la répétition peut introduire des variations, des différences, et ces fluctuations changent la nature de ce qui est répété. Les nombreux exemples de simulations et/ou de boucles temporelles que nous avons repérés dans les séries en sont l’illustration. Parfois c’est d’ailleurs la répétition elle-même qui est à l’origine de dysfonctionnements, à l’image de Dollhouse où le retour du souvenir va, comme dans Westworld, introduire une rupture. Le souvenir (c’est-à-dire le passé) vient alors interrompre l’éternelle reproduction d’un présent toujours identique à lui-même. Se met dès lors en place une mise en abyme de la sérialité et de la fiction dans la série, et cette dimension métafictionnelle fait partie de l’imaginaire contemporain.
8La réflexivité, on l’a vu, est centrale dans les séries à narration complexe et elle s’y déploie lorsque la fiction propose une exploration (et une formalisation) des possibles narratifs. On a souligné de nombreuses variations sur la mise en abyme de la création de mondes possibles qui inscrivent dans le tissu diégétique le passage d’un seuil de la narration et montrent aux spectatrices et spectateurs les rouages mêmes de la machine fictionnelle qui les fait entrer en fiction. Anne Besson souligne d’ailleurs que cette entrée en fiction (comme on entre en scène) est démultipliée en fiction sérielle « avec sa succession régulière et rapide d’épisodes nombreux qui contribuent sans doute à l’intensification de la “présence” de la “réalité parallèle” de l’univers fictif »11.
9La sérialité accentue donc le processus d’immersion dans la fiction, mais en quoi les séries mettant en scène des détectives du futur et des posthumains sont-elles différentes des feuilletons du xixe siècle où l’exploration fictionnelle proposait une confrontation avec l’origine plutôt qu’avec la fin ? Dans les récits policiers traditionnels, le passé faisait retour et déclenchait une rupture dans le présent, mais le principe interruptif de la fin réintroduisait une forme de cohérence. Que se passe-t-il quand c’est le futur qui influe sur le présent ? Quand l’exploration concerne les devenirs de l’humain et non ses origines ? Les détectives traditionnels de la fin du xixe, dont la méthode relevait du paradigme indiciaire de Ginzburg, devaient affronter le passé. Pourtant, ils permettaient aussi de réintroduire une cohérence (même temporaire) en s’inscrivant dans un récit qui proposait une clôture. Ce processus narratif reposait bien sur une structure paradoxale qui en soulignait peut-être la précarité, mais l’illusion logique (et performative) permettait d’atteindre une fin. Cette fin, cette solution donnée à l’énigme, était une interruption vectrice de cohérence (et de retour à l’ordre), et ce malgré la structure impossible sur laquelle reposait le récit.
10Les séries contemporaines (en particulier lorsqu’elles proposent des représentations du posthumain) seraient représentatives du changement de régime d’historicité :
« La principale modification est le fait que dans le régime contemporain d’historicité, la fin n’apparaît plus comme un principe de cohérence, mais comme une manifestation du chaos ou du désordre. La fin n’y est plus une conclusion, mais une interruption ; elle n’ouvre plus à une transcendance, mais à une répétition stérile. De linéaire, l’imaginaire de la fin devient interruptif, et l’arc entier qui nous fait tendre du passé vers l’avenir en transitant par le présent se disloque, le présent occupant l’espace entier de la conscience12. »
11La forme sérielle relèverait du présentisme parce qu’elle permet de ne jamais terminer, de toujours repousser la fin. Là encore, il nous faut distinguer entre niveau narratif et métanarratif. Les mondes fictifs des séries à narration complexe mettent souvent en scène une dislocation de la continuité temporelle suite à la disparition du libre arbitre et à l’annihilation du principe de causalité. Le déroulement du temps qui nous fait passer chronologiquement du passé au présent puis au futur n’opère plus lorsque les personnages prennent conscience du fait qu’il n’y a plus de possibles, que tout était prévu et que, par conséquent, rien n’a jamais commencé. Si le futur n’est plus un possible qui s’actualise en fonction des choix opérés, s’il est écrit d’avance, plus aucune trajectoire ne peut se déployer. Mondes et personnages fictifs sont figés par un déterminisme où le déroulement temporel n’a plus lieu d’être13. On l’a vu dans Westworld et Flashforward, mais on pourrait aussi mentionner la série britannique Paradox, où la question du libre arbitre, de la possibilité réelle d’opérer des choix, est remise en cause. Le futur est-il déterminé d’avance ou est-il possible de le changer ? Le sujet a-t-il une incidence sur son histoire propre et, partant, sur l’Histoire ? Dans les séries étudiées, s’extraire du déterminisme passe par une entrée en fiction. Les personnages doivent franchir le seuil de la narrativité et littéralement prendre le contrôle de leur histoire propre. « Everybody’s got a story »14, déclarait Janice dans Flashforward, « we needed a story », dit Laurie dans Leftovers. Un récit, une histoire, une biographie qui peuvent alors déclencher une possible réappropriation de soi : « We are the authors of our stories, now »15, conclut Dolores à la fin de la saison 2 de Westworld. Le récit comme « besoin vital » nécessaire pour reprendre le contrôle de soi, d’une réalité propre (« Is this now », demande Bernard à Dolores dans ce même épisode). À l’insistance sur le présent et sur une histoire en train de s’écrire dans la fiction correspondent le présentisme et la forme sérielle dans la culture populaire et l’imaginaire contemporain.
12Au niveau métanarratif, la forme sérielle suspend aussi le temps par la répétition. Dans les fictions policières de la fin xixe, on a souligné le retour à l’ordre qui faisait office de principe interruptif et rétablissait une cohérence, pour autant, le crime resurgissait récit après récit. Cette compulsion de répétition n’était cependant repérable qu’au niveau métanarratif. Ce que recherchaient les lectrices et lecteurs était cette confrontation scandaleuse avec une origine à la fois repoussante et fascinante : l’animal, le primitif, l’archaïque. De nos jours, c’est une confrontation avec les devenirs posthumains et la société écranique qui est proposée dans les séries mettant en scène les détectives du futur. Mais, comme toujours en culture populaire, la confrontation est opérée au niveau symbolique. Les questions posées ne renvoient pas qu’à la perception du temps (« Is it now ? »), car les séries mettant en scène des figures du posthumain interrogent aussi la nature de la réalité qui nous entoure (« Is it real ? ») et proposent une dimension ontologique (« Is it me ? »).
La fiction selon Rancière
« Il y a, ensuite, à l’intérieur de ce cadre, les stratégies des artistes qui se proposent de changer les repères de ce qui est visible et énonçable, de faire voir ce qui n’était pas vu, de faire voir autrement ce qui était trop aisément vu, de mettre en rapport ce qui ne l’était pas, dans le but de produire des ruptures dans le tissu sensible des perceptions et dans la dynamique des affects. C’est là le travail de la fiction. La fiction n’est pas la création d’un monde imaginaire opposé au monde réel. Elle est le travail qui opère des dissensus, qui change les modes de présentation sensible et les formes d’énonciation en changeant les cadres, les échelles ou les rythmes, en construisant des rapports nouveaux entre l’apparence et la réalité, le singulier et le commun, le visible et la signification. Ce travail change les coordonnées du représentable ; il change notre perception des événements sensibles, notre manière de les rapporter à des sujets, la façon dont notre monde est peuplé d’événements et de figures » (Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, Galilée, 2008, p. 72-73).
13La confrontation avec le devenir (qui implique les dimensions temporelle, ontologique et épistémologique) prend souvent la forme du passage d’un seuil, comme pour les personnages, mais ce seuil est celui de l’entrée en fiction, de l’immersion dans un monde possible qui problématise les devenirs biotechnologiques de l’espèce humaine dans un univers hypermédiatique (ou sa fin lorsqu’il s’agit de fiction cataclysmique ou post-apocalyptique). Cependant, tandis que la fiction sérielle du xixe proposait une fin (même temporaire et transitoire), dans notre culture populaire contemporaine, la fin est éternellement suspendue. L’interruption n’opère plus : to be continued. Cet aspect est renforcé par la facture science fictionnelle des séries étudiées. Fondé sur le principe du futur antérieur et de l’anamorphose, le genre repose sur un effet de réfraction entre futur diégétique et présent du récepteur qui met à nouveau en regard contenu diégétique et métadiégèse. Le rapport au temps est donc fondamental et spécifique dans les séries mettant en scène posthumains et détectives du futur.
14La résurgence de la forme sérielle serait le signe d’un changement de régime d’historicité. Son refus d’en finir, ce principe interruptif qui n’opère plus, en serait la preuve. D’où aussi l’esthétique du fragment repérée car le fragment est autonome ; il échappe à la cohérence d’une temporalité, soit-elle cyclique ou linéaire. Il ne cherche pas à se réinscrire dans un tout, il ne s’inscrit pas dans une temporalité, il est tout au plus la trace de son absence. La série, fondée sur la répétition16, permet d’occuper tout l’espace du présent. Elle refuse l’interruption, ou du moins, elle la refuse à ses récepteurs qui s’immergent ainsi dans l’intervalle de suspension fictionnelle proposé.
15Si le fragment ne s’inscrit pas dans une temporalité, c’est qu’il est la trace de son absence : atemporel. La répétition permet d’occuper pleinement l’espace de ce présentisme :
« La fin ne s’y ouvre plus sur aucune transcendance permettant de rétablir l’ordre. Au contraire, cette fin se retourne sur elle-même, créant un pli dont on ne peut s’extraire ou alors dont on est toujours déjà exclu. Les événements sont alors ou bien pris dans des cycles autogénérés qui se déploient tels des rubans de Möbius, et où la répétition s’impose comme unique principe de progression ; ou bien projetés au-delà du temps, dans un temps après le temps, sans aucune possibilité de retour ou de rénovation. En fait, la contrepartie du présentisme, à l’œuvre dans l’imaginaire de la fin contemporain, c’est l’atemporalité17. »
16La sérialité relève d’un mode paradoxal, tendu entre une fragmentation qui en est le fondement et un retour constant de la narration. La série repose sur le fragment, mais ce dernier cherche éternellement à se réinscrire dans un ensemble toujours repoussé par l’effacement du principe interruptif. On comprend alors aussi pourquoi la forme sérielle est à ce point omniprésente en culture populaire contemporaine. Elle s’inscrit parfaitement dans la définition du contemporain au sens où par son esthétique du fragment, elle relève de l’intervalle :
« […] être contemporain implique donc une conception du temps abordée du point de vue de sa durée plutôt que de son passage, de l’intervalle plutôt que de la ligne18. »
17Partie intégrante de la culture populaire contemporaine, la forme sérielle permet d’en repérer certaines caractéristiques formelles. En tant que forme refusant le principe interruptif, elle participe à la fois de la répétition définitoire de la culture populaire et de l’intervalle qui fonde le contemporain. Umberto Eco fut l’un des pionniers dans cette réflexion et il a montré que répétition n’était pas synonyme de reproduction du même19. La série ne répète pas, elle propose, selon Eco, la variation à l’infini :
« La variation à l’infini a toutes les caractéristiques de la répétition et ne relève que très peu de l’innovation. Mais c’est la dimension infinie du processus qui donne un sens nouveau au procédé de la variation. Ce qui doit être apprécié […] c’est qu’une série de variations possible s’inscrit potentiellement dans l’infinité20. »
18Les détectives du futur et les posthumains de la fiction sérielle sont symptomatiques de l’imaginaire contemporain au sens où ils représentent une (re)médiation, une interface avec des questionnements ontologiques et épistémologiques actuels et contemporains. Là encore, Eco soulignait également l’importance du contexte culturel dans lequel une forme sérielle se déploie21. Le contexte spécifique dans lequel la forme sérielle est redevenue l’une des formes dominantes d’expression de l’imaginaire contemporain est un contexte d’évolution technologique. Or, pour Musso, la technique dominante d’une époque reconstruit à chaque fois une nouvelle image de la nature et de l’humain (« Is it me ? »), mais nous pourrions aussi ajouter de son environnement (« Is it real ? »). Les posthumains permettraient alors de problématiser le rapport au technologique, le rapport au temps, l’identité humaine et la nature de la réalité qui nous entoure. Ils deviennent une interface au sens de Galloway, soit un « seuil actif », un œil-interface qui implique une esthétique réflexive. Le récepteur est ainsi amené à contempler ses devenirs potentiels mais dans un cadre double car à la fois générique (la SF) et formel (l’écran). Science-fiction et écran deviennent les interfaces déclencheurs d’un phénomène d’anamorphose où ce qui est projeté (un futur potentiel) renvoie à ce qui est, à la multiplicité de notre présent et au présentisme qui fonde l’imaginaire contemporain.
Notes de bas de page
1 Michlin M., « More, more, more… », art. cit.
2 Voir Hélène Machinal, « Le rapport paradoxal au temps en fiction sérielle : intervalle et séries télévisées », https://www.youtube.com/watch?v=rCfiqO6ELBQ (à paraître).
3 Gervais B., L’Imaginaire de la fin, op. cit., p. 214.
4 Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », op. cit., p. 23-27. Gervais reprend en effet les caractéristiques du présent comme « non catégorie » car fondé sur : « une logique de l’émiettement (Robin, 2003), du ponctuel (Maffesoli, 2004), voire de l’équivoque (Zawadsky, 2008) », Ibid.
5 La pandémie a retardé la publication de cet ouvrage mais a aussi inauguré une réflexion sur la perception du temps. À ce sujet, voir le dossier « Pandémies » de la revue Pop en Stock et Hélène Machinal, « “This is now”, quand le virus de la fiction (r) attrape la réalité », http://popenstock.ca/dossier/article/%C2%ABthis-now%C2%BB-quand-le-virus-de-la-fiction-rattrape-la-r%C3%A9alit%C3%A9.
6 « De l’opposition traditionnelle entre fin cyclique et fin linéaire, qui permettait de distinguer un imaginaire traditionnel, fondé sur le religieux, et un imaginaire de la fin moderne, essentiellement profane, nous sommes passés à une opposition entre la fin comme principe de cohérence et la fin comme simple interruption, jeu des contingences. Cette dernière est représentative de l’imaginaire contemporain. » Gervais B., L’Imaginaire de la fin, op. cit., p. 215.
7 Voir à nouveau Gervais, art. cit.
8 Voir l’article d’Elaine Després, « Les épisodes autonomes : écarts formels et narratifs dans X-Files et Buffy the Vampire Slayer », art. cit.
9 Voir Hanne I., « L’épisode de la mouche », Libération, 29 septembre 2013, www.liberation.fr (28/08/18).
10 Michlin M., « More, more, more… », art. cit.
11 Besson A. et al., op. cit., p. 17.
12 Gervais B., L’Imaginaire de la fin, op. cit., p. 215.
13 On pourrait aussi mentionner la trilogie Matrix et Snowpiercer, deux films qui illustrent cette suspension du temps due au fait que tout était déjà déterminé avant même que les personnages ne se mêlent d’avoir un impact sur le futur. La dystopie repose en effet souvent sur ce principe qui tue d’emblée toute dynamique d’émancipation. La question qui demeure est relative au format puisque les deux exemples pris sont des long-métrages et non des séries. Ils ne s’inscrivent pas dans la répétition sérielle.
14 S01E02, 38 : 07.
15 Westworld, S02E10.
16 Et n’oublions pas que dès l’article d’Umberto Eco, la répétition sérielle est associée à l’innovation. On a aussi mentionné l’approche de Guillaume Soulez.
17 Gervais B., L’Imaginaire de la fin, op. cit., p. 215.
18 Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », op. cit., p. 19.
19 En ce sens, il s’inscrit bien entendu aussi dans le sillage de Walter Benjamin : « The products of mass media were equated with the products of industry insofar as they produced in series, and the ‘serial’ production was considered as alien to the artistic intention. » Eco U., « Innovation and Repetition : entre esthétique moderne et postmoderne », art. cit., p. 162.
20 « Variability to infinity has all the characteristics of repetition and very little of innovation. But it is the ‘infinity’ of the process that gives a new sense to the device of variation. What must be enjoyed […] is the fact that a series of possible variations is potentially infinite. », Eco U., « Television and Aesthetics », dans Goldblatt David, Brown Lee B., Patridge Stephanie (éds.), Aesthetics, AReader in Philosophy of the Arts, London & NY, Routledge, 1997, p. 74.
21 « The problem is that there is not, on the one hand, an aesthetics of ‘high’ art (original and not serial), and on the other a pure sociology of the serial. Rather, there is an aesthetics of serial forms that requires an historical and anthropological study of the ways in which, at different times and in different places, the dialectic between repetition and innovation has been instantiated. » Eco U., « Innovation and Repetition », art. cit., p. 175.
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La sérialité à l’écran
Comprendre les séries anglophones
Anne Crémieux et Ariane Hudelet (dir.)
2020