Chapitre trois. Corps biotechnologiques
p. 153-206
Texte intégral
« Dans un monde techno-scientifique […], comprendre les mécanismes qui lient profondément technologie, science et politique constitue le premier pas crucial à une résistance aux systèmes de domination imposés par des entités gouvernementales et corporatives1. »
1Introduire une distinction entre le corps et l’esprit lorsque l’on aborde les entités hybrides qui peuplent les séries télé de SF peut paraître discutable, ne serait-ce que du fait que ces mêmes entités conjuguent souvent une augmentation du corps et de l’esprit. L’exemple des androïdes est sans doute le plus révélateur de cette double augmentation, à l’image de Dorian dans Almost Human ou de l’androïde (qui n’a pas de nom, comme la créature de Victor Frankenstein) de Dark Matter. Pourtant cette dichotomie corps/ esprit remonte à Descartes et l’approche cartésienne de l’homme ne peut être ignorée tant elle a façonné notre conception et notre représentation de l’être humain. Plus précisément, ce dualisme cartésien a aussi contribué à instaurer une tension et une hiérarchie, le corps étant relégué à un statut inférieur à celui d’un esprit tout puissant et devenu le trait qui distingue l’humain des autres espèces dans l’ordre des choses ou l’échelle de la nature.
2Le dualisme est peut-être aussi une caractéristique des cultures occidentales, en tout cas, il reste omniprésent dans les binarismes aujourd’hui dénoncés par la philosophie féministe, et qui s’inscrivent dans le sillage des mouvements de revendication pour l’égalité des droits et l’émancipation des catégories sociales, raciales et sexuelles dont l’origine remonte aux années 1960.
Uncanny valley
La notion de uncanny valley a été proposée par M. Mori. Voir Masahiro Mori (Translated by MacDorman, K.F. & Kageki, Norri), « The Uncanny Valley », IEEE Robotics and Automation, 2012, 19 (2) : 98 – 100. À l’origine de ce concept, nous avons un roboticien qui s’est intéressé à l’effet produit par les robots. Comme dans de nombreux cas (l’IA en particulier), l’anthropomorphisation du robot le rend en apparence proche de l’humain. S’opère alors une projection anthropomorphique par laquelle l’humain atténue la différence entre identité et altérité (ici organique versus mécanique). Cette projection anthropomorphique est particulièrement aisée dans le cas des androïdes qui reproduisent fidèlement l’apparence humaine. Or, selon Mori, la projection anthropomorphique de l’humain sur l’être artificiellement conçu « à son image » peut s’inverser si le degré de proximité entre humain et non-humain est trop marqué. Trop de réalisme, trop de ressemblance entre le robot et l’humain déclenchent alors le rejet et un sentiment d’inquiétante étrangeté (uncanny). Il est intéressant de souligner d’emblée le recours au terme uncanny qui est la traduction du concept freudien d’inquiétante étrangeté, un aspect central dans la création de l’effet fantastique. La traduction française : « vallée de l’étrange » ou « vallée dérangeante » ne rend pas compte du terme uncanny qui souligne un processus de « défamiliarisation », une proximité entre le familier et l’étranger, qui atteste de l’hybridité possible entre les deux genres que sont le fantastique et la science-fiction.
3Sans surprise, la question du corps est centrale dans les séries télé contemporaines, en particulier celles qui introduisent des entités dont le corps est biotechnologique. Mais qu’entend-on par « corps biotech » ? On pourrait dire que le corps peut être purement et simplement produit par la technologie, comme dans les cas de Portia dans Dark Matter, un être entièrement créé par la science, ou de Dorian, l’androïde dans Almost Human. Le corps peut hybrider du mécanique et de l’organique à l’image du cyborg, ou relever entièrement du mécanique comme dans le cas des robots. Robots et cyborgs seront moins centraux pour nous car leur altérité est en quelque sorte affichée du fait de sa visibilité. Les « droides », en revanche, sont, comme l’indique l’étymologie, à l’image de l’homme et rejouent donc à la fois la question de la création (et donc de la transgression faustienne qui consiste à s’arroger cette prérogative divine) et le mythe de Pygmalion.
4Ce que l’on voit et qui déclenche le phénomène de reconnaissance est en effet crucial. D’abord parce que nous traitons d’images, ensuite, parce que l’humain procède par reconnaissance de ce qui lui est familier et relève du même. Ainsi, la notion de uncanny valley est-elle particulièrement pertinente car elle tente de nommer ce qui déclenche le sentiment d’étrangeté, la distinction entre le même et l’autre, us and them, dans le face-à-face entre l’humain et ses dérivés anthropoïdes. Car il finit toujours par y avoir confrontation, et bien entendu confusion, entre le même et l’autre. Même s’il est courant de considérer que la culture populaire et la SF sont manichéennes et/ou technophobes, nous pensons au contraire que dans les séries mettant en scène des entités posthumaines, les représentations d’êtres pourvus d’un corps biotechnologique sont bien moins monolithiques qu’on pourrait le penser. En fait la question du corps est centrale et elle traverse toute la cyberculture, ce qui n’a rien d’étonnant car, le corps renvoie par métonymie au monde :
« Penser le corps est une autre façon de penser le monde et le lien social : un trouble introduit dans la configuration du corps est un trouble introduit dans la cohérence du monde2. »
5On peut illustrer les enjeux de cette confrontation entre identité et altérité en prenant l’exemple du terme « androïde » dont le sens étymologique a été mentionné et qui, pour autant, est aussi devenu synonyme du contraire, soit « machinique » comme si la langue même (ou les énonciateurs) résistait à cette proximité entre l’organique et le synthétique. Ainsi dans Dark Matter, le cas de l’androïde est-il particulièrement pertinent car elle est sans arrêt renvoyée à son statut de machine (« It’s just a machine ») qui, justement, pose question dans la série. Plus généralement, l’androïde constitue souvent un miroir qui renvoie à l’humain une image plus ou moins déformée et plus ou moins flatteuse de lui-même. Créé à l’image de ce dernier, l’anthropoïde déclenche à la fois l’angoisse d’une création « non naturelle » et celle de l’indistinction entre identité et altérité. Finalement, et ce depuis L’Ève future de Villiers, l’être artificiel s’incarne dans un corps qui dérange parce qu’il expose une proximité problématique avec le corps humain, à la fois familier (à l’image de) et étranger, ce qui nous rapproche de l’inquiétante étrangeté du fantastique et souligne à nouveau la proximité du fantastique avec la SF en termes d’effet déclenché chez le récepteur.
6Il n’est peut-être pas si étonnant de constater que l’anthropoïde devient souvent l’incarnation d’un sujet qui résiste et s’engage dans un combat pour l’émancipation. La dimension politique de ce combat reprend d’ailleurs les enjeux des discriminations relatives à la classe sociale, à l’origine ethnique et à l’identité sexuelle, class, race and gender, telles que les études culturelles les mettent en exergue depuis plusieurs années. Au-delà des questions de classe, de race et de genre, ce serait à nouveau la définition de l’humain qui serait interrogée par ces créatures. En effet, outre les enjeux politiques centraux liés à la production et à la gestion des corps (le biopouvoir), les anthropoïdes posent aussi la question d’un possible « devenir humain » de l’artificiel (et non plus la question d’un devenir de l’humain), ou du moins celle d’une proximité problématique entre le même (organique) et l’autre (synthétique).
7Ce « devenir humain » de l’être artificiel peut être traité de différentes façons : il donne parfois lieu à la représentation d’un danger qui pèserait sur l’humanité dès lors menacée par une prise de pouvoir du mécanique et de l’artificiel. Ce type de fiction est bien entendu relativement manichéenne et souvent technophobe, à l’image de Falling Skies3, par exemple. D’autres séries reprennent cette thématique mais l’abordent différemment. Par exemple, The Event4 introduit des aliens en tout point semblables à « nous » (ou presque puisque moins de 1 % de leur ADN diffère de celui des humains). Enfin, les séries mettent aussi en scène des êtres pourvus d’un corps biotechnologique mais dont le « devenir humain » est interrogé par la question du sentiment et de l’affect. Qui est le plus humain de Zoe5, robot doué de sentience, ou de Dorian, androïde également doué de sentience ? La sentience, l’empathie, la capacité à ressentir des émotions, sont en effet systématiquement les ressorts d’un « devenir humain » de l’être artificiel, ancrant ainsi du côté du corps le curseur de l’humain. À nouveau, la distinction entre corps et esprit prévaut car si la sentience joue un rôle clé et rappelle la centralité du corps, l’esprit reste omniprésent : l’une des jauges qui permettent de déterminer l’humain est souvent la mémoire et le souvenir (donc l’inscription dans une conscience du temps).
8De quelle manière les technologies contemporaines transforment-elles le corps ? Le corps posthumain se décline en diverses entités puisque le spectre des déclinaisons du machinique est large, et va du robot à l’intelligence artificielle. On perçoit immédiatement à l’évocation de ce spectre des possibles que le robot privilégie un corps uniquement mécanique tandis que l’IA implique souvent une dématérialisation, une absence de corporéité. Pour aborder ces questions, nous allons d’abord nous pencher sur un cas spécifique, celui de Zoe Graystone, dans le prequel de Battlestar Galactica. En effet, l’intérêt de ce personnage est sa déclinaison littérale en trois entités distinctes : un être humain, un robot, et un avatar si bien que se met en place une sorte d’indécidabilité du statut corporel du personnage posthumain. Ensuite, nous reviendrons sur des exemples de détectives du futur qui, eux aussi, s’inscrivent dans un rapport au corps qui est indissociable de la techne et d’une augmentation. C’est à nouveau la dimension temporelle qui pose question car l’image change de statut dans ces fictions, et ce changement a une incidence sur le personnage du détective et sur la représentation du corps collectif en général.
9La cyberculture se distingue par un désintérêt du corps. On pourrait même observer une tendance à la dématérialisation, à la décorporéisation, au sens où l’interface entre réel et virtuel tend à disparaître dans de nombreuses séries. Pour autant, émerge par ailleurs une dimension politique lorsque le corps devient le lieu de résistance d’un sujet qui s’engage dans un combat collectif. C’était déjà le cas dans Blade Runner de Ridley Scott et nombreuses sont les fictions qui ont depuis repris cette inversion entre us and them qui fait des êtres artificiels des opprimés en quête d’émancipation. Dans Dark Matter, par exemple, les androïdes s’organisent en Front de libération6 et reproduisent exactement les mêmes schémas d’opposition entre identité et altérité que les humains.
10L’être artificiel sert ainsi souvent de miroir (plus ou moins déformant) des comportements humains, mais son rôle se limite-t-il à celui de reflet ? Ou bien l’entité posthumaine permet-elle d’introduire une autre dynamique, une autre approche de l’altérité ? Dans les deux exemples de fictions dans lesquelles les créatures artificielles s’émancipent, soit Dark Matter et Westworld, on note que c’est la dimension collective qui est mise en exergue et, à chaque fois, la série aborde parallèlement le rôle du créateur (qui est aussi une figuration du savant fou) dans ce processus d’émancipation : Ford orchestre la rébellion dans Westworld et le Dr Irena Shaw crée une androïde à son image et la conçoit en lui conférant sciemment la capacité à la réaction émotionnelle. Dans Caprica également, créateur et créature entrent dans un rapport complexe, d’autant plus que la relation père-fille vient s’y ajouter. La relation père/fille peut être lue en filigrane des rapports entre Dolores et Ford dans Westworld, même si dans Caprica, Zoe est, elle, bel et bien la fille biologique de Daniel Graystone. Avec Dark Matter, c’est au contraire une relation de couple qui unit Portia et le Dr Shaw.
Caprica : « The dynamic, fluid nature of reality »7 ou le corps face à l’écran
11Comme le fait remarquer Jean-François Chassay, le plus ancien des grands récits est sans doute celui de la création d’un être artificiel8. En effet, l’association entre corps et technologie relève d’une dichotomie entre naturel et artificiel qui pose généralement le corps comme le fruit d’une construction naturelle à laquelle on oppose un corps-automate, un corps robotique et mécanique qui se distingue souvent du premier par sa réduction à une machine qui, par définition (on est tenté de dire par nature), ne peut être douée de sensations et de sentiments.
12La série Caprica qui raconte la genèse de Battlestar Galactica (Sky One, 2004-2009) permet d’aborder trois axes de réflexion : le corps biotechnologique, le type d’environnement créé par le numérique et l’interface écranique. La question de la nature de la réalité et celle de la définition du sujet y sont présentées comme indissociables l’une de l’autre. Cette série est en quelque sorte une excuse à un objectif plus vaste : montrer que la citation de Hayles rend compte d’un phénomène global qui touche l’imaginaire dans son ensemble. La nature et le caractère « saisissable » de la réalité sont en effet centraux dans la réflexion contemporaine que mettent en avant textes, films ou séries.
Ce bon vieux robot
13Les origines du mot « robot » et son association à la pièce R.U.R que l’écrivain tchèque Karel Capek écrit en 1920 sont bien connues. On oublie en revanche parfois l’étymologie du mot qui vient également du tchèque et signifie asservi ou serf9. Dès l’émergence du terme, le robot est un esclave, du « bétail », pour reprendre le terme de Thierry Hoquet10. L’homme reproduit le schéma de domination qui le subordonnait aux Dieux dans la mythologie, les Dieux créent l’homme et lui imposent l’assujettissement, il devient un être inférieur et mortel. On pense à Héphaïstos, première figure de créateur d’un être artificiel technique. Depuis la pièce de Capek, le ou les robots suivent inévitablement la voie de l’émancipation et se rebellent tôt ou tard contre leurs maîtres. Qu’il s’agisse des hommes aidés par Prométhée dans la mythologie, des robots de la pièce R.U.R, des robots d’Asimov, ou des cylons de Caprica (puis de Battlestar Galactica), le robot s’émancipe et pose de façon récurrente la question de l’accession au statut de sujet autonome. Pourtant, les robots n’acquièrent pas toujours les mêmes facultés et il nous faut distinguer entre trois stades successifs inscrivant généralement le robot dans un processus évolutif, ce qui alimente le parallèle entre hommes et robots :
La machine intelligente est la première étape et le fait qu’elle puisse être douée d’intelligence, même artificielle, conduit à la possible émergence d’une conscience politique.
La capacité à ressentir des émotions et à avoir des sentiments, qui (dans la scène de Caprica que nous allons analyser, saison 1 épisode 5, 23 : 28-27 : 16) est présentée comme indiscutable. Elle est liée au fait que les êtres humains ressentent les émotions du robot et à la réaction du robot à la fin de l’extrait.
La question (épineuse, s’il en est) d’une âme, question qui sera abordée dans un deuxième temps avec la série Intelligence. Indiquons aussi dès à présent que les séries et films mettant en scène des êtres augmentés ont tendance à introduire une réflexion à visée souvent essentialiste sur le sacré11.
14Les robots acquièrent souvent une capacité d’analyse, une forme d’intelligence ou d’esprit (a mind) qui va leur permettre d’appréhender leur statut d’asservis et les conduire vers la voie de l’émancipation, illustrant ainsi les remarques de Jean-Jacques Lecercle sur le caractère progressiste du mythe de Prométhée12. C’est donc l’histoire (ou le grand récit) de l’homme dans son acception prométhéenne qui est ainsi reproduite13 par les êtres artificiels, en ce sens ils sont bien des miroirs de l’être humain.
15Le second point évoqué, la sentience, est un attribut qui conduit à une réflexion complexe, d’une part parce que la sentience (ou vécu phénoménal, c’est-à-dire la capacité à avoir des expériences subjectives) est considérée comme la propriété minimale de la conscience, d’autre part, parce qu’un être doué de sentience est un être vis-à-vis duquel nous aurons une responsabilité éthique14. L’asservissement d’un robot réduit à une machine automatisée peut ne pas poser de cas de conscience (nous n’avons pas de cas de conscience politique ou éthique face à un mixeur Moulinex, ou pour reprendre les mots de Dominique Lecourt, « un lave-vaisselle restera toujours un lave-vaisselle »)15, mais dès lors que ladite machine est capable de ressentir, le rapport au robot change sensiblement car ce dernier peut faire l’expérience de la douleur ou du manque de respect. Cette dimension est récurrente dans les fictions contemporaines, et, plus spécifiquement, visuelles et elle est centrale dans Westworld, par exemple, ce qui s’explique sans doute par la mise en abyme du récepteur que figurent les hôtes du Parc. Nous reviendrons sur cette scène clé, mais le passage de l’épisode 9 où Logan éventre Dolores pour exposer ses entrailles mécaniques à Billy est particulièrement saisissant tant la violence à l’œuvre est double : violence physique et morale puisqu’au viol symbolique et à la torture s’ajoute la honte conjuguée à la douleur.
16Mais revenons à des créatures plus mécaniques que les androïdes de Westworld, et à la présentation que fait le Dr Graystone, figure de savant fou de la série Caprica, d’une nouvelle génération de robots, les cylons, que l’on connaît mieux par la série Battlestar Galactica. Dans le spin off qu’est Caprica, les cylons ne sont encore que des êtres de métal, ils n’ont pas l’apparence des humains, et ce point est fondamental. En effet, Caprica est une genèse de Battlestar Galactica qui propose une histoire de la création des cylons, dans un premier temps à apparence robotique, puis à apparence humaine. Pour faire court et donner les éléments nécessaires à la compréhension de la scène analysée, le robot capable de sentience est la création de Zoe Graystone, fille du savant, qui a mis au point un code informatique permettant de créer un avatar « parfait ». L’original de Zoe meurt, et l’avatar reste piégé dans le monde virtuel. Cet avatar intègre ensuite une carte mémoire située dans la machine robotique introduite dans la séquence que nous allons évoquer. Zoe Graystone est devenue deux instances après son décès : un avatar qui ne peut exister que dans le monde virtuel, et un robot dans lequel le programme de l’avatar a été intégré. Précisons que dans la scène qui nous intéresse, seul le spectateur voit les plans où apparaît l’avatar. Les administrateurs de Graystone Industries ne voient que le robot.
17Daniel Graystone est le fondateur de Graystone Industries et l’inventeur du holoband, un système qui permet à un être humain de faire l’expérience de la réalité virtuelle par l’intermédiaire d’un avatar. Dans la scène analysée, Graystone présente un nouvel artéfact qui, selon lui, va représenter une révolution technologique et commerciale, le robot capable de ressentir des émotions.
18L’arrivée de Graystone et du robot est présentée du point de vue des récepteurs, le Board of directors mais, bien entendu, ce sont les spectatrices et spectateurs qui sont ainsi replacés dans une posture d’observation de la scène. La mise en abyme sert un autre objectif : l’élargissement du spectre de la réception, et, partant, la transformation de l’individu spectateur en une entité globale, collective et universelle, amenée dans la scène qui suit à une réflexion éthique sur ce nouveau type d’entité qu’est le robot doué de sensations.
19Le robot est d’abord perçu par le bruit de son pas (23 : 34). Le récepteur est toujours dans une position scopique qui est celle des administrateurs à ce moment-là de l’extrait. Ensuite, le robot U 87 apparaît sous la forme d’une ombre projetée (23 : 43-23 : 47) et le regard du public quitte le point de vue subjectif des administrateurs pour suivre la caméra dans sa plongée sur l’entrée de Graystone et du robot. On notera d’emblée la dissociation entre le robot et son créateur, soulignée par le décalage entre les deux foulées, celle de l’homme, celle du robot, puis par le fait que l’ombre suit Graystone, et, enfin, par une nouvelle modification de la prise de vue qui passe derrière le corps robotique (23 : 52) en légère contre-plongée de derrière les jambes du robot, ce qui implique que nous avons changé de point de vue pour une perspective plus large.
20Graystone souligne clairement la gradation entre thinking et feeling, la pensée et les émotions, lorsqu’il déclare : « Au-delà de l’intelligence artificielle, voici la sentience artificielle » (25 : 27).
21Notons aussi l’appel à l’empathie des spectateurs : c’est bien par la capacité des administrateurs à ressentir que le robot est un être doué de sensation (« Do you sense it ? » 25 : 22) que la sentience dudit robot est attestée. Ce premier appel à l’empathie reste néanmoins performatif.
Caprica : saison 1, épisode 5, 24 : 37.

D. Graystone.

Plans alternés entre le robot et Zoe.

22Qu’en est-il, à ce stade, des spectatrices et spectateurs de l’épisode qui, eux, sont séparés de la scène par l’écran ? Outre la mise en abyme, c’est aussi par l’alternance entre corps robotique et avatar à apparence humaine que nous sommes manipulés et, à notre tour, incités à l’anthropomorphisation.
23Lorsque Daniel Graystone déclare que nous ne sommes pas face à une machine mais à un être vivant (« There is a being inside that machine. Something alive and vital, and special » 25 : 28-25 : 38), au lieu de voir le robot, nous voyons Zoe Graystone, c’est-à-dire un être à notre image et non une machine, et ce même si la question des différentes versions, images et/ou avatars de Zoe est complexe. Ce d’autant plus qu’elle est la fille du créateur, ce qui nous renvoie à la problématique de la filiation, centrale depuis Frankenstein à toute réflexion sur la création artificielle. Ce qui importe ici, c’est bien que nous devons « voir » un être qui n’est plus un robot pour que l’émergence d’une responsabilité éthique soit possible dans la seconde partie de la scène.
24La suite de l’extrait peut être divisée en deux sous-parties. Dans la première, Graystone liste les avantages que présentent ces nouveaux esclaves : « Ce cylon deviendra un travailleur infatigable qui n’aura pas besoin de salaire. Il ne prendra pas de retraite et ne sera pas malade. Il n’aura pas de droits, pas de revendications et ne se plaindra pas. »16 (25 : 28-25 : 38). Alors qu’ils viennent d’être présentés comme des êtres capables de sentience, les cylons sont donc immédiatement assimilés à du bétail soumis aux besoins d’une économie capitaliste où les droits des travailleurs sont des entraves à la production et au profit. La possibilité de l’émergence d’une conscience politique (la première étape évoquée plus haut) est donc d’emblée niée. Dans la seconde partie, Graystone illustre la toute-puissance du créateur sur la créature en lui demandant de s’automutiler. En dépit de sa capacité à ressentir des émotions, mais également la douleur, U 87 s’arrache un bras sous le regard choqué des administrateurs (les gros plans attestent de ce qu’ils ont acté leur responsabilité éthique vis-à-vis du robot), et dans une scène où l’alternance entre la machine et l’humain cède le pas à des plans récurrents sur le personnage de Zoe dont le visage traduit la même réprobation.
Mutilation et gros plans sur la réaction des administrateurs.


25La scène de mutilation va parachever le processus qui fait du robot un être doué de sensations et d’émotions. Cette scène débute par l’ordre donné, puis nous avons un gros plan sur le visage de Zoe, avant de revoir le robot qu’est U 87 pour les administrateurs. La mutilation s’opère après un dernier gros plan sur le bras (de chair) de Zoe, ensuite la scène exclut les versions « humaines » de Zoe et nous ne voyons plus que le robot. Pour autant, le gros plan sur le bras est l’image qui nous reste à l’esprit lorsque le robot se démembre et la trace de son humanité est concrétisée dans la séquence par les jets de liquide noirâtres qui figurent le sang artificiel jaillissant du membre arraché. Les spectatrices et spectateurs font immédiatement la transposition métonymique car la première partie de l’extrait a posé leur responsabilité éthique vis-à-vis d’une créature douée de sentience. Enfin, le geste final de la machine qui jette son bras au centre de la table et de l’attention des administrateurs parachève le changement de statut du robot. Il s’agit là d’un geste culturel de mépris et de provocation qui signe l’accession du robot à un au-delà de sa nature purement mécanique.
Avatars et instances de la personnalité
26Le personnage de Zoe Graystone est central dans cette scène où la machine intelligente devient une machine sensible et cette construction passe à l’écran par l’alternance entre deux images de Zoe : Zoe robot-cylon qui correspond à une réalité diégétique, et une Zoe à l’apparence tout à fait humaine qui est, pourtant, une impossibilité puisque le personnage décède violemment dès l’épisode 1 de la série lors d’un attentat à la bombe. La Zoe que nous voyons à l’écran en alternance avec le robot n’existe pas, elle n’est qu’une image qui a pour fonction de littéralement « montrer » au récepteur que dans le robot se trouve un être qui n’est pas une machine. Cependant, cette manipulation par l’image est beaucoup plus complexe dans la série et elle est symptomatique de la définition proposée par B. Gervais d’une image permettant une intervention sur le monde. De ce fait, il est nécessaire que nous nous arrêtions sur les différentes instances du sujet Zoe Graystone.
27Dans la diégèse, Zoe crée avant son décès un nouveau type d’avatar, image virtuelle parfaite qui va introduire la réflexion sur la construction de l’identité du sujet en l’articulant à la fois à la nature du corps (humain, robotique, virtuel, réel ou fantasmé) et à celle de l’environnement (connecté ou non). Le premier personnage à introduire l’équivalence entre l’original et la réplique17 est le père de Zoe. Il présente l’avatar comme une « copie parfaite »18 et reprend l’assimilation du cerveau à un ordinateur lorsqu’il déclare à son ami que le cerveau n’est qu’une base de données et un processeur : « Do you know what your brain is, Joseph ? It’s a database and a processor, that’s all. Information and a way to use it » (58 : 51).
28Pour lui, l’avatar devient plus qu’une image au sens d’une réplique, il est une instance à part entière et non une simple simulation : l’image a d’ores et déjà changé de statut. La question de l’accession de l’avatar au statut de sujet occupe l’ensemble de la série et c’est ensuite par l’avatar de Zoe Graystone que se cristallise cette dimension. Daniel Graystone parvient à extraire l’avatar de sa fille du monde virtuel pour ensuite le transférer sur une carte mémoire qu’il a mise dans le robot. Zoe devient, à ce stade, trois instances différentes, la trace de la Zoe originale (en tant qu’elle est sa copie parfaite), l’avatar, et le programme de l’avatar dans le corps mécanique du robot. La confusion entre ces trois entités est alimentée par le personnage lui-même qui déclare dans le second épisode à Lacy, sa meilleure amie et sa confidente, « It’s confusing. I’m Zoe, and the avatar, and the robot. »19 L’indistinction entre les trois entités est visuellement renforcée par les scènes qui privilégient l’alternance à l’écran : nous voyons tour à tour le robot et l’image d’une Zoe en chair et en os. L’image du personnage à l’écran renvoie en effet à la fois à la Zoe originale et à l’avatar mais l’objectif est ici de montrer que Lacy « voit » au-delà de l’apparence robotique, elle perçoit l’entité Zoe non robotique, et qu’en abyme, les spectatrices et spectateurs aussi.
29Le corps robotique est ainsi restreint à une coquille habitée par un avatar, donc un corps virtuel, mais un avatar dont l’existence est légitimée (ou faut-il dire autolégitimée) par l’image. Qu’en est-il alors du statut de ce corps issu des technologies du numérique et qui, à ce stade de la série, ne peut exister que dans l’univers connecté du virtuel car il reste une « simple » image ? Mais cette image est-elle si simple ? Notons que si l’avatar est une image (et la série incite à s’interroger sur le statut de cette dernière), il serait une « image opératoire » qui, comme on l’a déjà vu avec le palais mental de Sherlock, permet une « intervention sur le monde »20.
30En fait, ce qui importe ici, c’est peut-être avant tout qu’on a le sentiment dans Caprica que la disparition de l’original est nécessaire à l’accession de l’avatar ou de l’image au statut de sujet. En effet, les deux avatars concernés, ceux de Zoe Graystone et de Tamara Adama, sont des copies dont l’original est décédé et elles vont toutes les deux permettre d’introduire une réflexion sur la définition d’un sujet numérique. Cette dimension est d’ailleurs d’emblée placée sous le signe du paradoxe car les deux avatars autonomes dans le monde virtuel deviennent des deadwalkers, oxymore qui rappelle les undead de Stoker. Les corps virtuels autonomes répondent donc ici aux caractéristiques suivantes :
« En tant que figure, le corps virtuel est une forme, mais une forme qui n’apparaît que sur la base d’une absence. Comme tout signe, en fait, cette forme tient lieu d’un objet, désigné comme son référent, dont elle actualise l’absence en tant que telle, tout en donnant l’illusion de sa présence (Gervais, 2007a : 11 et suiv.). Mais cette présence est toute symbolique et, par conséquent, paradoxale. C’est la présence absence. Le corps est présent comme figure, mais absent comme corps réel21. »
31Leur corps naturel d’origine, leur corps réel, n’est plus, mais leur corps et leur esprit technologiques acquièrent une forme de matérialité par la figuration dans le monde virtuel (VWorld). Elles trouvent en effet refuge dans un jeu où chaque avatar/joueur n’a qu’une seule existence virtuelle. Tout avatar qui se fait virtuellement tuer dans ce jeu ne peut y revenir, il en disparaît définitivement. Contrairement aux autres avatars, Zoe et Tamara sont devenues immortelles dans le monde virtuel, leur existence y est contrainte mais éternelle, et cette spécificité des deux avatars se matérialise par et dans le corps, un corps virtuel, lui-même devenu paradoxalement indestructible même s’il est encore capable de ressentir. Le statut qu’acquièrent ces deux avatars nous intéresse tout particulièrement car elles deviennent des êtres supérieurs dans ce monde virtuel.
« Et si, en plus, le corps image virtualisé est animé, l’effet de présence est encore plus fort. Le corps image virtualisé est un corps dont on oublie d’emblée la nature représentationnelle ; c’est un corps qui favorise l’illusion de présence. La tendance est de surdéterminer ce corps image virtualisé et d’en faire le véritable Corps Virtuel du cyberespace22. »
32Le corps technologique autonome dans un environnement connecté apparaît donc supérieur à l’original du monde réel, en particulier du fait de son immortalité et de sa capacité à modifier l’espace/l’environnement virtuel et à créer de nouveaux espaces présentés comme des espaces-refuges où le monde réel ne peut les atteindre. Ainsi l’avatar de Zoe Graystone contrôle les programmes du jeu et des univers depuis le monde virtuel et prive son père, qui en est le créateur, de toute possibilité d’agir sur ce dernier alors qu’il se trouve, lui, dans la réalité diégétique. L’avatar commence alors à acquérir le statut de sujet parce qu’elle a trouvé la possibilité d’agir sur le monde virtuel par le même intermédiaire que celui qui permet d’agir sur le virtuel à partir du réel : signe que l’avatar de Zoe dans le monde virtuel et son père dans la réalité sont sur un pied d’égalité, Zoe et Daniel utilisent la main23 pour modifier le monde et l’espace virtuels, celle que l’on fait courir sur un clavier ou glisser sur un écran. Bien évidemment, nous retrouvons là une métonymie traditionnelle de la création divine immortalisée par Michel Ange dans la chapelle Sixtine, et de fait, Zoe Graystone devient une figure divine dans les derniers épisodes et elle détruit le monde virtuel en déclarant sans ambages, « I am God ».
La main du créateur.

Renaître au corps
33Le corps virtuel acquiert une autonomie, ainsi qu’une capacité à agir et à partiellement contrôler la réalité, cependant, il reste une image, et ce malgré la dynamique très forte d’anthropomorphisation à laquelle sont soumis ces avatars spécifiques de Caprica. Nous aurions pu espérer que la série poursuive sa réflexion implicite sur la possibilité de voir émerger un sujet autonome et indépendant dans le virtuel. Malheureusement, la dernière partie de Caprica verse dans un retour au sacré qui déçoit mais reste caractéristique des séries qui mettent en scène des figures et figurations du posthumain.
34On assiste à une fin assez traditionnelle où l’avatar « renaît » dans le monde de la réalité et cette renaissance est littéralement figurée par la sortie d’un bain à l’eau blanchâtre d’une Zoe nue, symbole d’une sorte d’enfant divin originaire. Cette scène évoque immédiatement les precogs de Minority Report (Spielberg, 2002), le film, et non la nouvelle, puisque dans cette dernière, les precogs ne sont pas des êtres à moitié immergés dans un liquide blanchâtre mais des idiots difformes attachés en position assise sur des chaises qui se font face24.
35Dans le film de Spielberg, en revanche, l’adaptation permet un véritable approfondissement d’un aspect qui n’est qu’effleuré dans le texte de Dick, à savoir, à nouveau, la responsabilité éthique vis-à-vis de ces créatures au sujet desquelles Anderton déclare au début du film : « It’s better if you don’t think of them as human. »25
36Dans Minority Report, les precogs flottent dans un liquide blanc que Wally appelle du « lait » ; dans Caprica, la Zoe Graystone virtuelle retrouve un corps organique à la fin de la saison dans une scène où elle émerge d’un bain blanchâtre. On observe une symbolique similaire dans Matrix lorsque Neo découvre la pouponnière de la matrice et fait l’expérience de la naissance au monde (non virtuel), dans une scène qui ne donne pas dans la subtilité symbolique et reprend exactement les caractéristiques (en pire) de la scène de l’extraction d’Agatha de son bassin de lait à l’Institut du Précrime26. Nous sommes donc dans les trois cas en présence de ce que Gaïd Girard souligne lorsqu’elle se demande si l’on « peut penser une humanité sans processus de venue au monde inscrit dans le temps, en un mot sans naissance et sans enfance »27. Si notre seconde étape dans le processus d’évolution du robot, celle de la sentience, passe par le regard et la construction d’une image réflexive (l’anthropomorphisation du robot ne peut s’effectuer qu’« à notre image »), le sujet ne semble finalement pas pouvoir accéder à une identité humaine si ce n’est par la réinscription dans un processus de venue au monde qui met en exergue la matérialité du corps, une réinscription dans la corporéité. Sommes-nous alors face à une contradiction ? S’agit-il de poser la matérialité du corps comme préalable ? Cet ancrage dans le corporel vise-t-il à dénoncer l’illusion des images, et plus particulièrement l’illusion de ce que Bertrand Gervais appelle, à la suite de Serge Tisseron28, les objets-images.
« […] les dispositifs de réalité virtuelle [font] disparaître la présence de l’écran, afin de faire croire au spectateur que la distance présente entre lui et ce qui est représenté s’est estompée. Il n’y a plus représentation, mais présence ou, plus précisément, illusion de présence29. »
Les precogs de Minority Report.

37Grégory Chatonsky rappelle que dans les années 80-90, d’aucuns pensaient que « la réalité virtuelle allait effacer purement et simplement les limites ontologiques entre le réel et la fiction »30. Claviers, écrans tactiles, écrans dépourvus de profondeur et de cadre (comme c’est le cas dans les scènes de détection à l’institut du précrime), holobands qui se placent sur les yeux et qui déclenchent le passage du monde réel au monde virtuel, tous les dispositifs de passage attestent d’une fluidité maximale entre réel et virtuel, et de l’omniprésence des écrans dans la période contemporaine. On reviendra sur le virtuel au chapitre suivant, mais cette fluidité est aussi la caractéristique de fictions plus récentes.
38Pour autant, pouvons-nous avancer que l’évolution d’un écran-spectacle à un écran-interactif devenu processus de connaissance induit également un processus d’autoconnaissance qui transformerait à son tour les contours du sujet ? Le cas de Maeve déjà évoqué dans Westworld saison 1 lors de la scène de confrontation avec l’interface numérique qu’est la tablette où s’affichent les données relatives à sa programmation revient à l’esprit. Le personnage y est en fait confronté à la nature numérique de son identité : le morcellement du sensible est symbolisé par le fractionnement des paroles qu’elle énonce et, en miroir, les bulles, elles aussi fractionnées, sur l’écran. Par ailleurs, l’écran révèle aussi des bulles de commentaire (conflict, improvisation), attestant du contrôle dont elle fait l’objet. Maeve n’est qu’une marionnette que l’on fait agir et parler.
39La question de l’émergence d’un sujet numérique autonome est récurrente dans les séries mettant en scène le posthumain. Si Caprica n’aboutit pas à cette réflexion potentielle et propose un retour au corps organique qui nie l’illusion d’un sujet-image, nous verrons avec les IA que les cartes sont redistribuées.
Saison 1 épisode 6.

Vers une repolitisation des corps biotechs
40Les détectives du futur et le posthumain sont associés par des pratiques culturelles et linguistiques liées aux figures mythiques de la détection et de la science. Pour le dire autrement, les figures du posthumain sont souvent des dérivations des archétypes de la détection et de la science folle. Sherlock Holmes et Victor Frankenstein sont deux de ces figures archétypales. Ces deux noms, Sherlock et Frankenstein, sont déclencheurs de signes et significations qui fascinent par leur résurgence compulsive dans les séries télé contemporaines mêlant policier et science-fiction. On remarque que dans les deux cas, une partie du patronyme d’une grande figure littéraire est devenue un terme générique. « Sherlock » désigne, sur un mode relativement ironique, une tendance à « jouer au détective », voire à « faire le malin ». « Frankenstein » peut faire référence soit à une dérive narcissique agrémentée d’un sentiment de supériorité, ou bien, et ce phénomène d’accrétion n’est pas nouveau, devient un synonyme de « monstre ». Nous reviendrons sur cette pratique qui témoigne d’une complète assimilation culturelle d’un certain nombre de tropes inhérents aux figures mythiques du détective et du savant fou mais qui atteste aussi de la prégnance des deux figures dans la nouvelle culture sérielle.
41Intelligence et Almost Human mettent en scène un devenir biotechnologique de l’humain impliquant une hybridation homme/machine. Intelligence propose un agent spécial à qui l’on a implanté une puce dans le cerveau et qui est en permanence connecté à tous les réseaux numériques. Lorsque l’on visionne le générique, on remarque d’emblée qu’outre le dualisme organique/ numérique qui ne mène pas à des réflexions plus profondes que la réaffirmation de la dimension humaine et d’un nécessaire contrôle des technologies par l’humain, cette série met en scène un personnage ayant la capacité de créer un rendu virtuel en 3D (virtual rendering) de scènes, qui peuvent aussi être des scènes de crime, auxquelles il a accès numériquement. Le rapport à la temporalité et à l’espace induits (en particulier pour le récepteur), et la sémiotique de l’image à l’œuvre sont des points que nous proposons de développer.
42Almost Human, dont le producteur est J. J. Abrams, travaille plus en profondeur l’hybridation homme/machine. En effet, la série aborde ce binarisme des deux points de vue, tout d’abord en introduisant un androïde doté d’une « âme synthétique » et doué de sentience mais qui fut retiré du marché car « émotionnellement instable »31. En regard de cet androïde trop humain, pour reprendre le titre de Michaud32, dont le « devenir humain » est en jeu, la série propose un flic « dur à cuire », rebelle et insubordonné, qui s’apparente à un cyborg puisqu’il a une jambe artificielle. Dans Almost Human, cyborg et androïde font équipe et leur association nous place d’emblée dans la perspective d’un possible dépassement des binarismes théorisé par Haraway.
Affiches des deux séries.

43Les deux séries ont donc en commun l’interaction homme/machine, organique/artificielle, mais aussi un horizon d’attente : dans le cas d’Intelligence, il s’agit de la singularité, moment où l’intelligence artificielle dépasserait les capacités de l’humain et deviendrait une menace qui pourrait aller jusqu’à une prise de contrôle ; dans le cas de Almost Human, nous sommes dans un monde où le technologique a dépassé l’humain en termes de fiabilité33. On notera d’ailleurs que les episteme futuristes de ces séries nous placent dans une dichotomie menant à une inévitable lutte de pouvoir, et à la dimension politique qui nous occupe. Pourtant, d’un point de vue ontogénétique, le personnage de Gabriel, comme ceux de Kennex et Dorian, sont d’emblée inscrits dans la résistance, un décalage systématique qui les singularise et les démarque d’une perspective phylogénétique prenant en compte le devenir de l’espèce.
Sherlock et Frankenstein
44Almost Human et Intelligence sont des séries policières et futuristes : elles mettent la technologie au service de l’enquête. Les nouveaux Sherlock de 2048 ou du « USCyber Command » vivent dans des univers diégétiques où le progrès technologique sert davantage le monde du crime que celui de la police. Cependant, Gabriel Vaughn comme John Kennex, sont également associés à la technologie qui les entoure, voire les définit. Soulignons néanmoins la différence qui suit : la dualité entre humain et non-humain s’inscrit dans la complémentarité avec Almost Human, où le détective et son androïde forment un binôme complémentaire en matière de détection, de raisonnements déductifs et d’investigation. Au contraire, dans Intelligence, le personnage de Gabriel Vaughn est singularisé par l’augmentation technologique que la puce confère à ses capacités d’enquêteur.
45Dans les deux séries, on pourrait cependant dire que l’enquête et les capacités surhumaines d’un détective tout puissant et hégémonique34 (« à la Sherlock ») ne sont plus la dynamique des arcs narratifs. Almost Human évite de tomber dans une opposition facile entre androïde surhumain et humains esclaves du tout technologique, et c’est sans doute l’un des intérêts de cette série, qui sait par ailleurs manier l’humour avec bonheur. Aussi, la traditionnelle association entre détective et machine qui remonte à Doyle, et fait du détective une entité rationnelle et logique, souvent assimilée à l’ordre en place et à son maintien, apparaît dans Almost Human, mais elle est clairement ancrée du côté des MX, la seconde génération d’androïdes qui sont définis dans la série par les termes suivants : « logic-based and rule-oriented », « no free will » et « designed to feel nothing »35. Notons, au passage, qu’ils sont majoritairement blancs, et pourvus de traits assez similaires. À cette approche du monde reposant sur la logique, l’obéissance et l’ordre, s’oppose le couple John Kennex/Dorian qui s’inscrit dans l’hybridation et une complexité qui va à l’encontre des binarismes.
46L’assimilation entre personnages d’enquêteur et la figure de fiction qu’est Sherlock est devenue si classique qu’elle est passée dans la langue comme en témoigne l’expression « No shit, Sherlock », dont on trouve même la définition36. Si cette expression n’est pas spécifiquement utilisée dans la série Almost Human, on retrouve les mêmes connotations péjoratives lorsqu’un MX s’entend répondre à son analyse d’un cas d’homicide : « Yeah, I get it Sherlock ! ». L’intertexte avec Doyle et la mise à distance de ce dernier sont aussi évidents dans l’échange suivant37 :
« Rudy : Parfois l’absence d’un élément est essentielle. John : Ouais, j’ai lu ça dans Le Manuel de la détection. (E13, 19 : 54) »
47Le détective est très souvent représenté en esprit supérieur, régi par une logique associée à la raison et souvent dénué d’émotions et de sentiments. Cette représentation, qui trouve également son origine dans le texte de Doyle38, a fréquemment été reprise et développée, mais elle s’est récemment réaffirmée avec l’adaptation de Moffat et Gatiss qui font de Sherlock un sociopathe plaquant sur le monde sa froide logique analytique. Dans Almost Human, ce sont des androïdes (les MX) qui endossent ce rôle et ils sont ainsi encore davantage « déshumanisés ». On a vu que Watson accusait Holmes d’inhumanité en le comparant à une machine à calculer. Cette machine est devenue le machinique en général, les androïdes en particulier, et le Sherlock de la BBC incarne cette déshumanisation par un débit de parole accéléré, et le recours aux faux raccords lors des scènes d’observation et d’analyses dont la performativité est ainsi sous-entendue. On pourrait rapprocher cette tendance de la scène où un MX propose une hypothèse de reconstitution du crime (voir épisode 8). Pour ce qui est d’Intelligence, on retrouve le parallèle avec Sherlock dans les commentaires de l’Internet Movie Database qui présentent le personnage de Gabriel Vaughn comme un croisement de l’Homme qui valait 3 milliards et de Sherlock39.
48La référence à Frankenstein apparaît explicitement dans les deux séries, et elle renvoie à chaque fois, comme il se doit, au créateur d’un sujet différent qui va être l’enjeu d’une réflexion sur l’altérité et la définition de l’humain. Dans Almost Human, le Dr Nigel Vaughn, inventeur de l’âme « synthétique » et créateur de la série des DRN (également des androïdes), apparaît dans l’épisode 09. Comme dans Intelligence, le créateur est une figure paternelle ; à la différence d’Intelligence, cependant, le créateur des DRN s’avérera être un traître. La véritable figure de savant fou de Almost Human est Rudy Lom.
Rudy Lom.

49Avec Intelligence, on observe le glissement classique dans l’utilisation du terme « Frankenstein », glissement du savant fou à la créature monstrueuse et incontrôlable. Dans l’épisode 7 qui met en scène une attaque ciblée contre tous les chercheurs qui travaillent sur les interactions entre biologique et numérique (ou l’humain augmenté en général), le personnage de Bryce Tyler évoque un futur où la technologie et l’organique définiraient l’humain et il déclare : « Frankenstein’s monster will walk among us. »40 Cependant, lorsque Gabriel l’interroge et révèle à cet adepte du transhumanisme ce qu’il est vraiment, il conclut : « Meet Frankenstein » (22 : 31) et se rend ainsi coupable de l’habituelle assimilation entre créateur et créature.
50À la simple résurgence des figures mythiques de détective et savant fou que l’on observe dans les séries depuis les années 2000, s’ajoute désormais une assimilation culturelle telle qu’un simple mot, « Sherlock » ou « Frankenstein », est déclencheur de tout un imaginaire.
Images performatives et culture de l’écran
51Avec ces deux séries, nous sommes résolument dans une réflexion philosophique et politique sur la définition de l’humain, d’une part, et sur celle de l’humanité, d’autre part. Dans les deux cas, on peut aussi observer une episteme définie par des marqueurs contextuels qui attestent de l’émergence d’un monde dans lequel la culture de l’écran est omniprésente. Ainsi, les personnages sont littéralement définis par des images passées et traumatiques. Les deux enquêteurs revivent de façon obsessionnelle un souvenir traumatique fondateur, une scène récurrente, à laquelle nous avons accès par l’image. Kennex voit régulièrement un recollectionist, pratique médicale illégale qui consiste à stimuler et favoriser le retour d’images occultées. Kennex cherche en fait à reconstituer la scène de l’embuscade où ses hommes ont été tués, morts dont il se sent responsable car sa compagne apparaît dans la scène et l’aurait donc trahi. De même, Gabriel est obsédé par un attentat terroriste à Mumbai auquel son épouse, agent infiltré de la CIA, a participé.
Amelia lors de l’attentat terroriste.

52La puce informatique qui se trouve dans le cerveau de Gabriel Vaughn lui permet de créer des rendus virtuels en 3D de toute scène dont on peut lui fournir des images, quelle qu’en soit la source. L’individu est donc, dans les deux séries, défini par un traumatisme originel et Kennex comme Gabriel sont les deux personnages d’enquêteurs par lesquels la réflexion sur l’identité s’opère. Le personnage du détective permet ainsi l’élargissement de la perspective et le glissement de l’individuel au collectif. Il introduit une réflexion sur l’humain, un humain qui, dans les deux cas, est déterminé par une scène (en l’occurrence un souvenir) dont le pouvoir performatif est premier et primordial.
53Contrairement à ce que nous avons vu avec Anderton qui, dans Minority Report, accède à une réalité par des images qu’il manipule et qui deviennent ainsi processus de connaissance, dans Almost Human, la scène « primitive » ne change pas, c’est simplement Kennex qui n’arrive pas à la reconstituer totalement. Elle n’est plus performative mais informative uniquement. Le cas d’Intelligence est sensiblement différent puisque la scène est fixe et que c’est le personnage qui peut se mouvoir sur cette scène imaginaire et virtuelle. Les rendus virtuels vont par ailleurs être déclencheurs d’action dans la réalité représentée.

Minority Report et Intelligence
Autre point de rencontre entre Minority Report et Intelligence, lorsque, dans l’épisode 9, Gabriel perd toute sa « mémoire », il est littéralement assailli par une masse affolante d’informations auxquelles la puce lui donne accès car il a oublié comment réguler ce flux incessant. Le Dr Cassidy lui rappelle comment procéder en reprenant l’analogie avec un orchestre dans lequel il s’agirait d’isoler un violon, métaphore musicale qui évoque Anderton manipulant les images des precogs tel un chef d’orchestre sur fond de 8e symphonie de Schubert dans Minority Report.
54Les rendus que Gabriel Vaughn peut créer grâce à sa puce sont l’un des intérêts principaux de la série. Il s’agit de scènes fixes en trois dimensions que Gabriel peut reconstituer s’il a accès à suffisamment de données numériques. On pourrait parler d’arrêt sur scène plus que d’arrêt sur image puisqu’il peut se déplacer dans cet espace figé et en analyser les acteurs.
55Le recours à ces rendus virtuels dans l’enquête est particulièrement intéressant si l’on se souvient que la sémiotique à l’œuvre dans une fiction policière dépend du médium utilisé41. Il y aurait une aporie de la sémiotique de la lecture propre au récit policier lorsque ce dernier est transféré à l’écran. Cependant, si l’on garde à l’esprit les attributs de la culture de l’écran contemporaine, nous sommes également confrontés à une forme de disparition de l’interface écranique et à un changement de rapport à l’espace virtuel ainsi qu’à l’image qui le rend perceptible aux spectatrices et spectateurs. Dans le récit policier, on a mentionné plusieurs fois l’existence d’une tension entre deux récits, le récit du crime et celui de l’enquête. La scène du crime est le but narratif ultime du récit policier et s’opère traditionnellement en clôture. Avec les rendus virtuels de scènes de crime, comme avec les mots surimposés à l’écran dans Sherlock, le récepteur a accès à l’analyse de la scène du crime au moment où elle se déroule dans la diégèse, tandis que les personnages diégétiques en sont privés. Spectatrices et spectateurs ont le privilège d’un accès à un hors temps et à un hors-espace, une ellipse narrative et spatiale, qui n’est partagée qu’avec le détective. Comme dans Sherlock, il s’agit de donner accès à des éléments de l’analyse de la scène du crime qui étaient précédemment occultés par le processus narratif même. D’objet de connaissance, le rendu virtuel transforme l’image en espace de la connaissance auquel seuls spectatrices et spectateurs ont accès.
Intelligence : les rendus virtuels en 3D.

56Cet accès « en direct » aux processus cognitifs du détective (par une sémiotique spécifique à l’image) transforme les rapports dialogiques entre spectature et enquêteur. Le prisme narratif qui bloquait l’accès à l’esprit du détective disparaît. Du coup, l’absence d’interface entre monde diégétique de la fiction et réalité du récepteur accentue la proximité avec le détective. Par ailleurs, et contrairement au mode choisi par les producteurs de la série Sherlock, cette proximité est renforcée par un détail d’importance. À l’inverse de Sherlock, personnage froid et rationnel qui débite les éléments observés sur la scène de crime en accéléré, sur un ton monocorde et distant, visant à renforcer leur caractère d’évidence42, lorsque Gabriel Vaughn reconstruit une scène en 3D, il utilise à la fois les données numériques auxquelles les divers réseaux lui donnent accès mais il a également recours à l’imagination, à une part d’extrapolation, et donc à une forme de créativité (ce qui rappelle Holmes et Dupin chez Doyle et Poe). Cette dualité entre big data, d’une part, et création, d’autre part, est bien entendu ramenée dans la série à la dualité homme/machine. Le Dr Cassidy, neurochirurgien inventeur de la puce implantée dans le cerveau de Gabriel, explique en outre que ces rendus virtuels ne faisaient pas partie du programme Clockwork au départ, et qu’il s’agit d’une sorte d’effet secondaire non anticipé produit par la puce43. Les deux points qui retiennent cependant notre attention, sont, premièrement, que l’humain augmenté est présenté comme une hybridation entre l’organique et le technologique qui peut être vectrice d’un processus de création et, deuxièmement, que nous voyons resurgir la dialectique raison/imagination qui était également fondatrice de la dualité du détective herméneute déchiffrant le texte-monde.
57Dans ces rendus virtuels, l’image permet donc l’accès à la connaissance et devient ressort de l’action : « All the intel I have access to, I can see it », résume ainsi Gabriel. Par ailleurs, cette dualité permet également de réaffirmer la part d’autonomie créative propre à l’humain et, à terme, l’irréductibilité de l’homme à la machine. Ainsi le cyborg de Intelligence explique encore : « The chip processes it like a computer, but my brain metabolises it like, well, like a brain. […] the render is generated by me ; part fact, part imagination. »44 L’horizon épistémique de cette série n’est, de fait, ni technophile ni technophobe, il vise à réaffirmer la nécessaire prépondérance de l’humain dans un esprit numériquement augmenté. Ainsi la « synthèse biologique entre l’humain et le technologique »45 ne peut s’opérer que dans un rapport de complémentarité souligné par la structure chiasmique de la réplique suivante : « That chip doesn’t make you less than human. It makes you more than human. »46
58Cette dernière citation est d’ailleurs une réponse aux paroles de l’un des personnages qui rappelle l’intertextualité de cette série qui reprend le titre The Clockwork Man, roman de Edwin D. Ogle (1923). Chez Ogle, l’homme augmenté par la technologie a une destinée tragique car il perd sa part d’humanité. L’hypotexte est d’ailleurs directement mentionné dans la série, comme pour mieux marquer la différence : « Il se rend compte qu’il n’est plus humain, qu’il n’est qu’une machine et que, du coup, il sera toujours marginalisé, toujours ostracisé, et que sa solitude sera toujours terrible et tragique. »47 Tour à tour traité de monstre48, taxé d’inhumanité, assimilé à Frankenstein ou à un cyborg qu’il faudrait mettre en cage (S01E12, 14 : 32), Gabriel Vaughn ne représente pas l’idéal d’une singularité technologique49 telle que John von Neumann ou Ray Kurzweil ont pu l’envisager, mais une hybridation collaborative entre technologique et organique où le pouvoir performatif de l’image sur le monde est réaffirmé et le libre arbitre de l’humain demeure50.
Devenirs et résistance de l’humain
59Dans Intelligence, mutation de l’individu et devenir de l’espèce restent distincts car seuls les individus possédant un gène spécifique peuvent bénéficier de l’augmentation technologique. Clockwork est un programme unique, et l’agent augmenté reste singulier. Le monde représenté de Almost Human est de ce point de vue différent au sens où l’univers diégétique de la série construit une réflexion sur l’humain en filant le parallèle entre androïde et humain. Dans ce monde de 2048, chaque policier est associé à un androïde, les « maisons intelligentes » sont équipées de majordomes holographiques, les robots sont partout et particulièrement dans l’industrie du sexe (voir S01E02), le clonage est interdit, et l’on peut se payer un chrome si l’on a les moyens d’acheter un enfant génétiquement conçu pour viser la perfection.
60C’est plus spécifiquement le rapport humain/androïde qui est central dans Almost Human, comme l’indique le titre qui peut s’entendre dans deux sens, est-ce l’androïde qui est proche de l’humain ou l’humain qui n’est plus tout à fait humain ? Nous sommes en effet dans un monde où la série des androïdes baptisés DRN est dotée d’une « âme synthétique » spécifique qui vise à les rendre « aussi humains que possible »51. Dorian est l’un de ces DRN qui avait été « mis hors service » après qu’a été mis en place le Luger Test – qui évoque le « Voight-Kampff empathy test » de Dick – que l’on a fait passer aux DRN pour déterminer s’ils étaient « émotionnellement instables » et inaptes à gérer « les enjeux émotionnels du travail de policier »52. Dorian reprend donc du service avec John Kennex, un marginal insubordonné qui ne supporte pas les nouveaux androïdes qui ont remplacé la série des DRN, les MX. On oscille entre deux pôles : celui des MX, qui incarne le respect mécanique des règles, l’absence de libre arbitre et l’obéissance aveugle à la hiérarchie tandis que l’autre extrême, et c’est là une originalité de la série, n’est pas l’autre série d’androïdes, mais John Kennex, un humain qui n’accepte pas une prothèse dont Dorian lui rappelle qu’elle fait aussi de lui un « synthétique »53, et un humain réfractaire à l’ordre établi qui, toujours selon Dorian, « arbore son insubordination telle une vertu »54. Entre ces deux extrêmes se trouve le DRN Dorian, qui va devenir rapidement la jauge à partir de laquelle la part d’humanité des divers personnages est évaluée. Cette série présente un premier intérêt qui consiste à poser un androïde en norme de référence pour l’humain. Par ailleurs, elle propose aussi un couple humain/androïde, avec un androïde qui est plus proche de l’humain que son partenaire, ce dernier ayant tendance à être déshumanisé, trait souligné par ses difficultés dans les rapports humains et hiérarchiques (voir par exemple les épisodes 2 et 5 sur les rapports de Kennex avec les enfants et les chats).
61Kennex adopte de prime abord une attitude supérieure et humiliante vis-à-vis de Dorian. Des termes tels que « a synthetic » ou « a piece of silicon and fibre »55 montrent que le détective réduit son partenaire à la matière qui le compose, et lorsqu’il n’est pas réifié, Dorian est qualifié de fou (« one of the crazy ones »). Pourtant, dès le premier épisode, la singularité de Dorian va être soulignée par contraste avec les MX. Lorsque Kennex souligne sa différence et lance « You’re not like me », Dorian répond immédiatement en soulignant la sienne : « And I’m not like them. » Cette singularité se résume au fait qu’il a été conçu pour ressentir des émotions. Pourtant, Dorian ajoute dans la même scène qu’il est différent des humains, car il n’a pas été enfanté et n’a pas eu d’enfance (« I wasn’t born, nor grew in a womb or had a childhood »). Comme l’ont montré Gaïd Girard et Thierry Hoquet, c’est à nouveau par la naissance et l’enfance que la distinction entre être artificiel ou naturel s’opère56.
Identité humaine et souvenir
Thierry Hoquet et Gaïd Girard ont montré que la distinction entre l’humain et le non-humain est opérée par l’inscription dans une filiation (la naissance et l’enfance) qui se concrétise souvent dans la fiction par le motif du souvenir. Ce point n’est pas nouveau ou spécifique à la période contemporaine et le cas des « faux » souvenirs de Rachel dans Blade Runner ou la scène de la « mort » de HAL dans 2001 de Kubrick en attestent. Dans Almost Human, cette définition de l’humain (ou de l’humanité, d’ailleurs) par la présence d’une histoire individuelle constituée de souvenirs réapparaît. Plus précisément, c’est l’idée que les images définissent l’humain qui est omniprésente dans la série, mais les images sont aussi associées à la mémoire, au souvenir, et à une persistance de l’humain qui s’inscrirait dans la trace visuelle. Cet aspect apparaît dès l’épisode 2, « The best proof of existence is if one is remembered after they’re gone », 15 : 08, puis dans la scène finale de 25 : 23 à 40 : 05. On retrouve la même idée dans l’épisode 6 qui met en scène un double de Dorian dont l’humanité est clairement associée à un souvenir : « […] that look was the most human connexion I ever had » (39 : 18) qui lui sera laissé par Dorian à la fin de l’épisode. La définition de l’humain par le souvenir et les images est bien entendu un aspect central de Westworld où on a vu que Ford implante des « rêveries » dans ses créatures artificielles.
62La question complexe de l’âme est utilisée pour introduire la distinction homme/machine. Définie après Descartes comme « l’espace invisible, l’ailleurs indéterminé et immatériel qui préside le corps »57, l’âme est présentée dans la série comme l’essence de l’humain : « the soul, who we are… DNA, it’s the data but the soul, that’s the story, that is the essence of life. I wanted to create life »58, déclare ainsi Nigel Vaughn, le créateur de cette âme artificielle. À cette vision traditionnelle, pour ne pas dire essentialiste, « d’un sujet porteur d’une intériorité cachée qui serait le mobile de ses actes »59, la série oppose la question de la définition de l’humain en l’introduisant par deux autres biais. D’abord par ce trait compulsif déjà mentionné, la récurrence d’images fondatrices et performatives de l’humain, ensuite par une réflexion sur le corps, mais un corps envisagé dans sa « multiplicité, c’est-à-dire un nouvel agencement qui n’est pas équivalent et qui ne correspond pas à la somme de ses parties »60. Le couple Dorian/Kennex devient un couple « rhizomorphe » fondé sur « les principes de connexion et d’hétérogénéité »61 que la série aborde par le comique.
63La question de l’humain est donc en fait systématiquement inscrite dans un refus implicite des binarismes, refus qui déclencherait l’émergence d’autre chose, ce qu’Andoka appelle « un nouvel agencement » qui ne correspond pas à la somme de ses parties, et dont nous allons voir qu’il peut être lié à la fois à la danse cosmique de Hayles et à « l’autre inappropriée » de Haraway62.
64Mais revenons d’abord à l’image puisque l’humanité de Dorian comme celle de Kennex sont abordées par le motif de l’image en mouvement, un flux d’images qui déclenche une autoréflexivité, une réflexion qui met en regard l’humain et l’androïde dans un face-à-face où le produire ne se distingue plus du produit. On découvre en effet au fil des épisodes que Dorian a des « souvenirs » de petite enfance, des images présentées comme une impossibilité puisqu’un androïde ne peut, par définition, pas avoir d’enfance.
65Ces images impossibles auraient été implantées clandestinement63 dans son processeur central64 ; elles sont clairement associées à l’humain (« organic human memories ») et, dès lors, inscrites dans une relation d’exclusion qui réaffirme une impossible complémentarité ou binarité entre organique et machinique. Les termes utilisés pour les qualifier sont par exemple « shadow files » ou « foreign image matrix » (c’est nous qui soulignons). Le Dorian-objet de production se trouve ainsi pris dans un rapport de production où les images d’enfance non explicables qui lui sont associées lui confèrent une autre dimension, un autre modèle de production qui peut être rapproché des analyses de Foucault sur le biopouvoir : « […] le pouvoir n’est plus une unité globale de domination, mais bien un processus de production »65. Cette nouvelle dynamique du biopouvoir est devenue omniprésente dans les séries, en particulier dans Dark Matter où le corps augmenté par les nanotechnologies de Portia est la propriété de Dwarf Star Technologies, dans Altered Carbon66 où la production des corps est centrale, et dans Orphan Black où les clones sont brevetés.
Les souvenirs de Dorian.

66Si l’on suit les analyses de Deleuze et Guattari sur les machines désirantes, il n’est plus étonnant de rencontrer dans cette série une dénonciation des conséquences sociales que cette hiérarchisation de la production des corps entraîne67. Les différents types d’androïdes ne sont pas les seuls corps produits artificiellement dans cette episteme. Les chromes sont un autre exemple de corps parfaits produits par la science. Ils constituent clairement une élite sociale distincte du reste de la population68 qui fait dire à Kennex : « The technology, in this case chromes, is driving a wedge between people, making it us versus them » (S01E12, 11 : 25). Pour le dire avec les mots de Braidotti :
« Le corps – matière corporelle par excellence – qui selon Foucault était pris dans un réseau de situations stratégiques complexes, est redéfini par les théories contemporaines des biosciences et des techniques de l’information. Le corps est plus que jamais le lieu d’innombrables contradictions et paradoxes : entité zoologique, banques de données génétiques, élément socialisé, morceau de chair signifiante contenant toute la généalogie personnelle. […] Le trait distinctif de la postmodernité tardive est le déplacement des catégories différenciées à l’intérieur même du sujet et de sa corporalité, qui n’est plus ni naturelle, ni culturelle mais prise plutôt dans un entre-deux dynamique, complexe et épuisant69. »
67Ainsi les deux sujets de cette série, Dorian et Kennex, sont bel et bien pris dans cet « entre-deux dynamique » qui dépasse les dichotomies et confirme les analyses de Braidotti lorsqu’elle avance que « [D]’Althusser à Deleuze, l’accent est mis sur l’immanence du sujet dans sa radicale matérialité »70. Cette matérialité première du sujet est en effet clairement mise en exergue dans la série par le traitement du couple Dorian/Kennex sur le mode comique du corps-objet. Cette vision mécanique et mécaniste du corps est récurrente, par exemple lorsque Kennex tente de se servir de Dorian pour faire chauffer son café71, lorsqu’il réduit le MX qu’il éjecte de sa voiture dès le premier épisode à un grille-pain défectueux (« defective toaster ») ou lorsque les deux personnages discutent des mérites de l’huile d’olive pour éliminer les grincements des membres artificiels72. On ajoutera que la charge homoérotique de plusieurs de ces dialogues est évidente.
68Le comique devient en fait le vecteur et le mode d’expression d’un dépassement des binarismes que Braidotti décrit dans son article sur les sujets nomades lorsqu’elle écrit que « les marges émergent comme plateformes qui expriment de nouvelles formes de subjectivité et n’aspirent à rien de plus qu’à une nette et robuste position de subjectivité »73. Ainsi, Dorian est physiquement différent des MX, et cette différence est sexuée. Lorsqu’il dénonce l’injustice sociale qui consiste à le cantonner aux quartiers des MX, la série montre la différence anatomique entre MX et DRN. Les MX sont dépourvus d’organes sexuels et évoquent les poupées Ken de la série Barbies tandis que dans la scène qui suit, Kennex se voit obligé de constater de visu que les DRN ont été dotés d’organes artificiels qui les apparentent distinctement à l’humain organique, et c’est clairement sur le mode du sarcasme au détriment de l’humain que ce parallèle est fait. La question du désir, et peut-être celle des machines désirantes, prennent le pas sur la dimension politique et la production de « rapports de force » typique du biopouvoir. Même si Dorian énonce qu’il n’est pas humain (« I know I’m not human ») à la toute fin du dernier épisode, cette déclaration ne sonne pas comme un renoncement mais comme un constat sans conséquence en regard de la relation qui s’est forgée entre ces deux sujets qui n’aspirent peut-être en effet qu’à revendiquer « une nette et robuste position de subjectivité » et une multiplicité qui repose sur le principe rhizomorphe de L’Anti-Œdipe, le principe « de connexion et d’hétérogénéité »74. Ce qu’a réellement produit la série est bien plus la construction d’une relation entre un androïde trop humain et un humain prothétique qui fait conclure à un Dorian ravi de renvoyer des questions de sentiment et d’affect à son partenaire ronchon après la scène où il tue un MX : « You like me. It’s Ok John, I like you too. »75
69Intelligence est une série qui invite à une analyse de l’hybridation homme/technologies du numérique et qui présente avant tout un intérêt esthétique et une réflexion sur les media qui augmentent notre capacité à « faire monde », pour reprendre les termes de Merleau-Ponty. Almost Human met en revanche en avant la différence, et surtout les différences qui distinguent les corps, pour mieux la dépasser et inscrire ses personnages dans une complémentarité hétérogène mais créatrice au sens où elle produit une véritable réflexion à la fois sur la nature de notre rapport à l’autre, sur la validité d’une définition de l’humain par la différence, et, trait plus novateur, une réflexion qui va bien plus loin et pointe la possibilité d’affirmer et de revendiquer une subjectivité en échappant aux binarismes sclérosants qui ont prévalu de Descartes à la fin du xxe siècle.
Du corps à l’identité sexuelle
70À notre tour de dépasser les binarismes dans cette analyse puisque, comme indiqué, l’opposition binaire corps/esprit s’avère de plus en plus précaire dans les fictions sérielles de notre corpus, et c’est peut-être précisément là l’intérêt du binaire : dans une certaine mesure, ne nous appelle-t-il pas à le dépasser ? Les réflexions qui suivent vont d’ailleurs montrer que les êtres augmentés des séries télé contemporaines ne permettent pas forcément de définir une ligne de démarcation nette entre corps et esprit : « the line is blurred », comme le déclare un personnage secondaire de Altered Carbon76. En revanche, à l’opposition humain versus post-humain correspond souvent une dichotomie sexuée entre masculin et féminin. La question du genre, au sens de gender, est ainsi sous-jacente dans les fictions sérielles mettant en scène des posthumains et des détectives du futur. Même si c’est cette dualité entre les sexes qui va être approfondie, les questions de races et de classes sont également sous-jacentes dans de nombreuses séries du corpus, la réduction de la femme machinique à un sous-prolétariat étant monnaie courante, comme dans la saison 1 de Dark Matter, avec l’épisode 7 qui joue sur les stéréotypes genrés. L’équipage du vaisseau spatial découvre en effet une seconde androïde, Wendy, qui revêt ironiquement toutes les caractéristiques de la femme-objet, allant de l’objet sexuel à la réduction de la femme aux performances culinaires. On note d’ailleurs que les anthropoïdes sont souvent des femmes blanches (et ce depuis L’Ève future ou Metropolis), à l’image de Rachel dans Blade Runner, de l’androïde de Dark Matter ou de l’IA féminisée de Person of Interest77. Maeve de Westworld est une androïde de couleur comme Dorian, mais cela reste, pour le moment, relativement rare.
71Elaine Després78 a déjà montré qu’une entité machinique et/ou artificielle était souvent l’occasion d’introduire l’opposition entre le féminin et le masculin. En s’appuyant sur l’œuvre de Jean-François Peyret, elle développe l’idée que l’opposition homme/machine est tout aussi artificielle et construite que celle qui fait du féminin et du masculin des antagonismes. « Une machine qui pense abolirait les sexes », écrit par exemple Peyret dans Faust, une histoire naturelle79. Ces remarques peuvent être transposées aux corps biotechs qui peuplent les séries hybridant SF et détection.
Dark Matter et son androïde : résistance et genre
72Par exemple, l’androïde de Dark Matter va obtenir dans la saison 2 un upgrade qui lui donne toute l’apparence et le comportement d’une femme humaine. La métamorphose du personnage est vraiment remarquable. La gestuelle mécanique qui l’apparentait à une machine asexuée disparaît au profit d’un comportement sexué dont la dimension archétypique80 est soulignée avec humour lorsqu’elle rétorque à Boone (le plus stéréotypé des personnages masculins) : « Would it kill you to give a girl a compliment » tout en lui mettant une main aux fesses ! Au-delà de ces clichés, elle quitte aussi le vaisseau spatial et contribue activement aux aventures de l’équipage, ce qui fait d’elle un corps agissant et performant.
73La pensée féministe met l’accent sur l’importance du corps, avec Judith Butler, mais aussi avec Elizabeth Grosz et son ouvrage Volatile Bodies : towards a Corporeal Feminism81. E. Grosz opère le passage de l’histoire des idées à l’histoire des corps :
« Grosz s’inspire de l’histoire des corps de Foucault pour avancer que c’est une erreur d’imaginer que la culture occidentale relève de l’histoire des idées ; nous devrions aussi considérer la façon dont les différentes pratiques du corps – de l’emprisonnement, la punition, les technologies médicales, l’architecture à la sexualité – organisent les relations et le pouvoir des corps82. »

74Cette approche est éminemment politique. Il s’agit d’analyser des rapports de pouvoir établis entre des catégories sociales, raciales et/ou sexuelles. C’est aussi dans cette lignée que s’inscrivent Thierry Hoquet ou Rosi Braidotti, qui, eux, s’appuient davantage sur les effets induits par le technologique et son impact sur une politique des corps. À partir de Haraway et de ses écrits sur les cyborgs et les monstres, ils reprennent le principe d’un pouvoir performatif (et Judith Butler est ainsi indirectement évoquée) des corps (« what a body can do »). Haraway écrit :
« SF […] is an especially apt sign under which to conduct an inquiry into the artefactual as a reproductive technology that might issue in something other than the sacred image of the same, something inappropriate, unfitting, or so, maybe, innapropriated83. »
75L’artéfact technologique de l’humain que serait l’être artificiel ne servirait plus simplement une opposition entre identité et altérité en valorisant « l’image sacrée du même », une identité sacralisée par la nature organique (et donc implicitement naturelle par opposition à l’artificiel) et associée à une essence de l’humain. On a vu avec Florence Andoka qu’un écart était introduit par un principe apparemment contradictoire de « complémentarité et d’hétérogénéité » qui peut s’entendre et se lire en écho de l’interaction mutuelle entre les composants de la danse cosmique de Hayles.
76C’est précisément par l’artificiel que l’altérité serait dès lors posée, indépendamment des traditionnelles dichotomies entre organique et naturel ou synthétique et artificiel. Sorte d’électrons libres, ces corps « inappropriés »84 ne rentrent plus ni dans les cadres ni dans le hors cadre (unfitting) et ils échapperaient peut-être ainsi aux relations de pouvoir et d’autorité établies sur la catégorisation et la segmentation sociale, raciale ou genrée. Au lieu d’être un simple reflet dans le miroir, comme évoqué en introduction de cette partie, reflet qui alimente la contemplation narcissique du même pris dans une spirale centripète d’éternel retour à une identité normée, le corps biotech introduit le trouble, l’indistinction, une inquiétante familiarité dont l’expression uncanny valley tente de rendre compte. Cette transgression des frontières (ou faut-il parler de dépassement puisque Haraway utilise le terme interpénétration qui évoque plus une interaction réciproque) est d’ailleurs la facette qui, pour Haraway, caractérise plus largement la SF :
« Science fiction is generically concerned with the interpenetration of boundaries between problematic selves and unexpected others and with the exploration of possible worlds in a context structured by transnational technoscience85. »
De la vallée de l’étrange au monstre
77La théorie de la vallée de l’étrange (uncanny valley)86 a déjà été mentionnée.
« Mori développait l’idée que plus un artéfact possédait de traits anthropomorphiques, plus l’interaction avec l’humain était facile, mais qu’un trop grand degré de réalisme déclenchait un sentiment d’inquiétante étrangeté (il fait référence à Freud) qui pouvait grandir jusqu’au quasi-rejet. Il observait aussi que l’apparence du mouvement humain, même sur un artéfact non humanoïde pouvait déclencher un pic d’adhésion87. »
78Gaïd Girard s’appuie sur un numéro de la revue Gradhiva consacré à cette vallée de l’étrange88 et elle souligne que la projection anthropomorphique de l’humain sur l’être artificiellement conçu à son image peut s’inverser si le degré de proximité entre humain et non-humain est trop marqué. Dans Westworld saison 1, les scènes de la mouche89 qui se pose sur la joue de Dolores sans provoquer aucune réaction de sa part (et qui sont vécues en boucle par la jeune femme) permettent d’étudier cette question de la projection que l’humain (ici les téléspectateurs) opère sur l’être artificiel. Lorsque Dolores chasse enfin cette mouche que tout humain chasserait sans même y réfléchir, elle acquiert un degré rassurant de proximité avec l’humain en atteignant ce pic d’adhésion par le mouvement.
79En revanche, la scène où Logan éventre Dolores et expose ses entrailles mécaniques déclenche un sentiment de malaise, voire de répulsion proche de l’horreur, mais nous allons voir que cette scène est plus complexe.
Dolores, la scène de la mouche.

Dark Matter : l’androïde saisons 2 et 3.

Dolores, saison 1.

80La question du mouvement humain est également intéressante dans le cas de l’androïde de Dark Matter. Le mouvement et la gestuelle (et bien entendu le jeu de l’actrice) deviennent centraux. D’un être aux mouvements mécaniques et relativement saccadés, on a vu qu’elle devenait une femme dont la gestuelle est fluide et harmonieuse.
81On a également souligné qu’elle changeait de statut corporel et devenait un corps actant, empowered, un corps performant et engagé dans la protection et les intérêts de l’équipage.
82Toujours à propos de la vallée de l’étrange dans le film Westworld, Gaïd Girard ajoute :
« Une relation réussie entre robot et humain ménage des espaces de projection pour les spectateurs et en retour, le robot éclaire les traits communs à la machine et à l’homme nécessaires à cette réussite, sans pour autant effacer l’écart entre l’un et l’autre. Cet équilibre construit sur des projections subjectives reste éminemment fragile et risque à chaque instant de verser dans la vallée de l’étrange, voire la répulsion, ce dont le cadre du parc de loisirs est censé protéger les clients et les spectateurs90. »
83Le sentiment de répulsion, voire d’horreur, apparaît dans cette scène mentionnée de Westworld où le spectateur, qui a déjà effectué une projection anthropomorphique sur le personnage de Dolores, se retrouve confronté à une pulsion scopique qui confine à l’horreur car elle inverse la valeur du regard, provoque l’effroi et transforme l’androïde en monstre. Comment la valeur du regard spectatoriel s’est-elle inversée ? En effet, le récepteur sait que Dolores est un être artificiel et donc en partie machinique. Il a d’ailleurs d’autres occasions d’être visuellement confronté à la mécanique intérieure de l’anthropoïde.
S01E09 : les entrailles mécaniques de Dolores.

84Ce qui change dans la scène d’éventrement de l’épisode 9 (saison 1), c’est que Logan demande à Billy de regarder91 (« you have to look ») un acte de torture et de voir ces entrailles non-organiques. Le regard de Billy est d’ailleurs figuré à l’écran comme en témoigne la première capture d’écran ci-dessus qui relève quasiment d’une prise en caméra subjective (on distingue Billy partiellement de dos à gauche).
85Cette séquence est particulièrement difficile à soutenir, peut-être parce qu’elle déclenche précisément cet effet d’uncanny valley. En effet, lorsque Logan plante le couteau dans le bas ventre de Dolores, nous nous identifions aux signes qui attestent d’une souffrance ressentie, et nous sommes par ailleurs placés dans une posture de voyeur similaire à celle qui est imposée à Billy. Cependant, lorsque les entrailles mécaniques sont exposées, le réalisme l’emporterait sur les processus de projection anthropomorphiques par lesquels nous avions assimilé Dolores à un être identique à nous. Plus de masque, d’artifice et de surface occultant la nature mécanique de l’androïde, cette dernière est même surexposée.
Regard et monstre
Isabelle Boof-Vermesse aborde la question de la valeur du regard en lien avec la construction d’une dimension monstrueuse dans son étude de Invisible Monsters Remix de C. Palahniuk. Elle écrit : « Promenant sa figure d’écorchée, l’héroïne de Invisible Monsters est doublement visible même si tous se détournent avec horreur devant elle : elle met à nu l’innommable organique qui nous constitue et elle transgresse la norme sociale en agressant la perception. Pour Pierre Ancet, le monstrueux révèle à l’extérieur la dimension intérieure et cachée de la chair – il dévoile l’aléatoire qui menace notre corps, en un danger supérieur encore à celui de la mort, qui au moins ne contrevient pas à l’ordre. Organique exacerbé, il s’inscrit dans la profondeur, celle des replis de la chair, et le temps, celui de la mortalité, par opposition à la surface intangible de l’image. Dans une culture vouée à la beauté standardisée qui se veut éternelle, le monstrueux devient obscène, mais sa force d’information est donc d’autant plus grande. » (Boof-Vermesse, art. cit., p. 151)
86Dans cette scène de viol, l’intériorité cachée de la chair évoquée par Ancet est bien exposée, monstrée, cependant, ce n’est pas la finitude de l’humain promis à la mort qui est par ailleurs révélée, mais davantage le contraire, sa mécanique, sa nature (profonde) d’automate non humain. L’intimité organique de Dolores est bien mise à nu et elle souligne précisément ce qu’elle n’est pas aux yeux du récepteur : sa nature mécanique.
87Les corps biotechnologiques, le corps-machine, permettent un face-à-face entre l’humain et le post-humain. Les deux entités peuvent être distinctes mais la tension entre biologique et technologique se joue au sein d’un être humain modifié et/ou augmenté par la technologie. Dans tous les cas, c’est la question de l’identité humaine qui est introduite par cette confrontation entre le même et l’autre, entre identité et altérité.
88C’est aussi le mythe de la création qui réapparaît dans les séries en question. L’humain est confronté à un être créé à son image et le rôle de l’image acquiert presque plus d’importance que la transgression à l’œuvre dans le processus créatif. L’image est aussi vectrice d’un processus de cognition. Ce processus concerne à la fois l’humain biologique et la créature biotechnologique. En abyme, ce sont aussi les spectatrices et spectateurs qui sont confrontés à des corps qui fondent les enjeux éthiques et politiques à l’œuvre dans ces séries. La réflexivité entre, d’une part, le binôme humain/ posthumain incarné par les personnages et, d’autre part, les interactions entre le récepteur (qui relève de l’humain) et les images qui rendent compte d’un contexte diégétique (qui s’inscrit dans le posthumain), montre que ces effets de miroir jouent à plusieurs niveaux.
89L’accès à la conscience de soi, aux sentiments, à l’empathie (et les désirs d’émancipation qui s’ensuivent) incite à une réflexion sur ce qui constituerait une « nature » de l’humain. La portée essentialiste de ce type de réflexion est souvent niée par le fait même que ce soit les créatures artificielles qui l’engagent. La machine (ou le détective surhumain) devient alors le miroir de l’humain et réfracte des interrogations sur la nature de l’être lorsqu’il est devenu post-humain.
90Ces corps biotechs permettent aussi d’introduire une réflexion politique sur l’émancipation de corps transformés en objet de production. L’assujettissement du corps est une thématique récurrente de ces fictions sérielles et le corps devient un enjeu de pouvoir : pouvoir de l’actant (« what a body can do »), pouvoir de la réfraction entre le même et l’autre, et pouvoir de l’image (au sens de reflet de soi et au sens du médium). Le corps prend alors une autre dimension et il introduit la possibilité d’un dépassement des oppositions intersectionnelles.
Focus : Orphan Black, de l’anthropoïde au clone

91Orphan Black propose une autre variation sur les corps biotechnologiques, cette fois à l’autre bout du spectre si l’on considère le robot comme un être entièrement mécanique et l’androïde comme une mécanique à apparence humaine. Le clone n’a en effet rien de mécanique, c’est la biogénétique (on parle aussi d’ingénierie génétique) qui est convoquée. L’expression « fabrique du vivant » prend alors tout son sens et décrit parfaitement cette autre extrémité du spectre des variations possibles dans la production d’êtres artificiels. La fabrique de clones renvoie directement à Victor Frankenstein et à la création du monstre à partir de morceaux de cadavre, même si l’ADN et les cellules ont remplacé les body snatchers et les anatomistes. La dynamique de la pièce détachée et du bricolage humain, voire du recyclage, est identique et elle renvoie par inversion à une hantise de la perte de l’intégrité corporelle qui traverse un très grand nombre de séries. On peut penser au patchwork monster de Altered Carbon ou au traitement de la corporéité dans Fringe, dont un grand nombre d’épisodes commencent par une enquête qui part d’un corps horriblement mutilé ou dont l’intégrité a été remise en cause.
92La hantise d’un corps fabriqué atteint une forme de paroxysme avec le clonage car ce procédé induit un imaginaire du double parfait et donc impossible à distinguer de l’original. Le principe de la suture, qui pose et expose la monstruosité de la créature de Frankenstein, disparaît. Le monstre ne se voit plus, ne se reconnaît plus et devient d’autant plus effrayant qu’il ne se distingue pas de l’humain. Ce que gomme le clone, c’est aussi la distinction entre le même et l’autre. Il est une forme d’altérité d’autant plus terrifiante qu’elle ne se distingue plus de l’identité. Le clone rentre en outre particulièrement bien dans la catégorie de bétail proposée par Thierry Hoquet dans sa typologie des presque humains et il fait d’ailleurs souvent l’objet d’abattages qui rappellent le traitement industriel des animaux d’élevage92. Dans plusieurs séries de SF, le clone devient une enveloppe jetable dont on se sert comme d’un bien de consommation, en général pour ne pas se déplacer. Proche de l’hologramme, il relève alors de la réplique mais une réplique du corps. L’hologramme est une image de soi, tandis que le clone relève d’une inscription dans la réalité qui est plus tangible, car matérielle. Dans Orphan Black, l’assimilation des clones à du bétail que l’on élève pour un traitement industriel est développée avec les Castors qui s’inscrivent dans la réplique à l’identique et ce d’autant plus qu’ils sont des clones-soldats.
Les clones Castors.

Le clone
Le clone est une figure qui apparaît de plus en plus dans les fictions du posthumain. Il s’inscrit dans l’imaginaire du double, mais un double bien spécifique qui ne présente aucun signe permettant de distinguer la copie de l’original. Il relève de la copie parfaite qui induit une indistinction entre le même et l’autre, qui revêt un fort caractère d’étrangeté, surtout dans des sociétés contemporaines fondées sur l’individualisme et l’unicité de chaque être humain. Le clone est en fait souvent réduit à la reproduction mécanique et technologique de l’être, et plus spécifiquement de son corps. C’est la raison pour laquelle Thierry Hoquet le fait entrer dans la catégorie de bétail dans sa typologie des presque’humains. Dans de nombreuses fictions, il sert d’enveloppe temporaire et jetable qui peut permettre de se déplacer, de préserver le corps de l’original dans des situations de danger. Il tient aussi lieu de réservoir d’organes qui pourront pallier les déficiences de l’humain, comme dans le roman d’Ishiguro, Never Let me Go.
93La série met donc en scène des clones féminins et masculins et c’est le versant féminin qui est le plus riche et le plus développé avec les Ledas. Il est aussi important de rappeler que la série s’appuie sur une réelle connaissance des avancées médicales et scientifiques dans le domaine de l’ingénierie génétique puisqu’une scientifique, Cosima Herter, a conseillé les créateurs qui lui rendent hommage en baptisant la clone scientifique de la série de son prénom. Plus de créature suturée telle que Boris Karloff en a laissé l’empreinte dans l’inconscient culturel collectif, mais quatre jeunes femmes : Sarah, Cosima, Alison et Helena, quatre clones ledas parmi les 274 dont la saison 5 posera l’existence.
94Orphan Black introduit immédiatement un aspect fondamental : il n’y a pas d’original ni de copies dans cette série. Dans le roman Never Let Me Go d’Ishiguro, par exemple, les clones sont créés pour servir de réservoir à pièces détachées mais restent des copies d’un original. Au contraire, Sarah n’est pas la matrice à partir de laquelle on aurait produit des répliques identiques, et cette spécificité est soulignée par le fait que, outre ses sœurs clones, Sarah se découvre rapidement une sœur jumelle. Il n’y a donc pas de matrice ou de clone « souche » parmi cette fratrie de sœurs-clones, au contraire, la première de la lignée n’est pas unique : elle est réinscrite dans le double, le doppelgänger, qui empêche de faire une distinction entre le même et l’autre, le modèle et sa copie, même si elle est physiquement fondamentalement différente d’Helena. Par ailleurs, ces deux clones jumeaux ont eu une enfance et une éducation extrêmement différentes et ces éléments culturels ont déterminé leur parcours. Aussi, il n’y a pas d’original ni, du coup, d’aura de cet original si l’on reprend les termes de Benjamin sur la reproduction industrielle. Comme le souligne Elaine Després :
« La représentation des jumeaux ou des clones en fiction s’éloigne souvent des principes scientifiques à la base du clonage et du développement humain, pour offrir une nouvelle occurrence de la figure du double ou pour réfléchir aux limites éthiques de l’humanité. Comme l’écrit Thierry Hoquet, les clones fictionnels sont généralement réduits à n’être que du “Bétail” pour les humains qui les ont engendrés, ou le double d’un “original”. Mais la série Orphan Black reformule la question du clonage : les clones n’y sont que des jumeaux créés in vitro pour tenter d’isoler un gène (celui de l’immortalité) et l’occasion d’étudier leur développement psychosocial93. »
95Les personnages illustrent la multiplicité résultant de la diversité culturelle dans laquelle l’être humain a grandi. En effet, en tant que clones, Sarah et ses doubles ont chacune leurs caractéristiques propres. Cette facette est plus spécifiquement mise en exergue par les diverses identités sexuelles présentes et assumées dans la série, de l’identité hétérosexuelle de Sarah, à l’homosexualité de Cosima sans oublier Tony, le clone transgenre. Au-delà des clones elles-mêmes, Felix, le frère adoptif de Sarah, qui est aussi homosexuel, est un personnage haut en couleur qui incarne cette ouverture assumée de la série à la diversité des identités sexuelles.
96Incidemment, la série nie d’emblée la perspective essentialiste d’une nature humaine ancrée dans l’inné. Elle montre que la culture (et non une quelconque nature) est déterminante. L’acquis (les acquis culturels et sociaux) façonne l’individu et, dans une certaine mesure le détermine, mais la série indique aussi que l’on peut partiellement échapper à ces déterminismes sociaux, à l’image d’Alison qui correspond au stéréotype de la femme au foyer des banlieues de la classe moyenne américaine94 et qui, pourtant, finira par héberger son antithèse, Helena, clone ukrainienne et tueuse en série, certes devenue mère, néanmoins aux antipodes de la famille d’Alison Hendrix. Alison, comme Nancy Botwin dans Weeds, se retrouve aussi mêlée à des trafics de drogue rocambolesques, et elle est responsable (en tout cas par non-assistance à personne en danger) de la mort de l’une de ses voisines qui était aussi sa meilleure amie. Le cadavre du docteur Leekie est enterré dans son garage et cela donne d’ailleurs lieu à plusieurs épisodes cocasses au fil des saisons, dont la scène de l’épisode 3 de la saison 5 où Alison produit la tête coupée de Leekie devant une Rachel estomaquée95.
Felix peignant nu.


97De même que certains épisodes de Black Mirror ou de Mr. Robot, Orphan Black n’est pas mis en scène dans un environnement science-fictionnel, pourtant, la série propose bien une réalité représentée non mimétique de la nôtre, au sens où, outre le fait que le clonage humain n’est pas légal, il n’est pas encore scientifiquement réalisable96. Au contraire, dans la série, même si le projet Leda (les clones féminins) a été lancé dans l’illégalité par le gouvernement Thatcher à la fin des années 70, c’est l’institut Dyad qui poursuit les recherches aux USA à la période contemporaine. Le projet Castor (les clones masculins) est, lui, diligenté par l’armée américaine, même si ce point reste relativement flou.
98La série relève de l’anticipation scientifique mais elle reprend aussi le motif de la quête herméneutique d’un personnage à la recherche de son identité et de son origine, que nous avons déjà évoqué. On a par ailleurs vu que Sarah usurpait l’identité de Beth qui, elle, était un véritable détective et enquêtait (à titre privé) sur ses propres origines avant son suicide. Une fois cette identité établie, Sarah fonde le Clone Club et la série s’oriente davantage vers son versant science-fictionnel qui devient la toile de fond de la lutte des clones pour assurer leurs libertés individuelle et collective (elles sont la propriété de Dyad) mais aussi leur survie. Les clones sont en effet affectés de « défauts » qui mettent leurs vies en danger. Les Ledas sont porteuses d’une maladie auto-immune incurable et les Castors d’une maladie neurologique dégénérative. On retrouve ici le biopouvoir au sens où nous sommes dans un cadre de production du vivant et de contrôle des êtres créés.

99Cette dimension politique est renforcée par le fait que c’est l’industrie privée qui contrôle cette fabrique du vivant avec deux versants, d’une part l’Institut Dyad, qui renvoie au contrôle économique et à une science au service des intérêts financiers, et, d’autre part, Neolution, qui permet d’évoquer l’idéologie du transhumanisme et l’imaginaire collectif qui le sous-tend, soit l’augmentation du vivant qui va, pour certains de ses idéologues, jusqu’au rêve immémoriel d’immortalité97. C’est en effet le gène de l’immortalité que les scientifiques de Dyad comme du projet Castor cherchent à isoler. La série se réinscrit par ailleurs dans la veine sociopolitique de la science-fiction telle qu’elle apparaît dès les origines du genre avec H. G. Wells. On se souvient qu’il contribue à introduire au xixe la distinction entre une fiction spéculative divertissante mais très peu engagée politiquement (à la Jules Verne), alors que Wells est l’instigateur d’une SF qui pose certains enjeux sociopolitiques. Le Dr Moreau de Wells pratiquait déjà une forme de fabrique du vivant sur son île qui est clairement l’intertexte de la saison 5 de Orphan Black. Une sorte de chronologie de la SF est ainsi introduite avec la saison 5 puisque l’île y est centrale mais, dans le même temps, cette dernière saison reprend aussi des thématiques beaucoup plus contemporaines comme celle de la surveillance avec l’œil artificiel98 de Rachel qui permet au savant fou de la transformer en caméra de surveillance à distance. L’île de Moreau et ses créatures mi-hommes mi-bêtes servent de toile de fond à un univers orwellien qui repose sur une société de la surveillance et du contrôle de l’individu.
100Orphan Black est par ailleurs une série dont la thématique même permet d’introduire une réflexion sur la répétition et sur la différence. La série, au sens de la série de clones, met en fait en abyme sa propre dimension sérielle par l’intermédiaire du personnage principal dont le rôle est tenu par l’actrice Tatiana Maslany, qui assure aussi tous les autres rôles de clones féminins. Il s’agit donc également d’une performance d’actrice, et d’une mise en abyme du jeu d’acteur qui s’apparente à ce que propose Dollhouse. La performance au sens de Butler, avec la référence au théâtre (points sur lesquels nous reviendrons), est aussi associée à l’actrice (et au personnage). Cette dernière est mise en exergue dans la mise en scène que Felix orchestre dans l’épisode 8 de la saison 5 lors du happening ou de la performance qu’il met en place dans l’exposition de ses œuvres. Il présente ses peintures des différents clones, accompagnées d’une performance de chaque « original » dont les spécificités sont soulignées par un Felix devenu showman, ou showrunner. Les clones redeviennent alors des « modèles », au sens de modèle ayant posé pour le peintre, mais aussi au sens où chacune est un modèle unique dont la singularité est encadrée par l’œuvre d’art. Ces saynètes mettent en abyme la performance d’actrice de Tatiana Maslany mais aussi la notion même de série (dans les arts en général et spécifiquement en peinture ici) et de sérialité.
Saison 5 épisode 8 : l’exposition de Felix.


Notes de bas de page
1 « In a techno-scientific world […] understanding how the technological and the scientific are deeply intertwined with the political is the crucial first step in resisting systems of domination imposed by hegemonic governmental and corporate entities. », Olson Gary A., « Writing, Literacy & Technology : Towards a Cyborg Writing », dans Olson Gary & Hirsh Elizabeth, Women Writing Culture, Albany New York, State University of New York, 1995, p. 46.
2 Le Breton David, « Vers la fin du corps : cyberculture et identité », Revue internationale de philosophie, 2002/4 (no 222), p. 491-509, p. 492.
3 Falling Skies, R. Rodat, TNT, 2011-2015, 5 saisons.
4 The Event, N. Wauters, NBC, 2010-2011, 1 saison.
5 Zoe, personnage central de Caprica, R. Aubuchon, Syfy, 2010, 1 saison.
6 Voir Dark Matter, Saison 03, épisode 4.
7 Hayles K., The Cosmic Web, introduction, op. cit., p. 17.
8 Chassay Jean-François, Imaginer la science, Montréal, Liber, 2003, p. 81.
9 Voir Lecourt Dominique, L’Âge de la peur, Bayard, 2009, p. 135.
10 Hoquet T., « Cyborgs, mutants, robots, etc. Essai de typologie des presque-humains » dans Després E. et Machinal H., PostHumains, op. cit.
11 Cette question est abordée dans la série Caprica par les « Soldiers of the One » et les différentes branches du monothéisme qui s’affrontent. La découverte de Zoe les intéresse car ils souhaitent prouver que leur dieu donne bien la vie éternelle en créant un Paradis virtuel où seraient « réincarnés » les avatars des croyants décédés. Clarisse Willow, figure de prophétesse cédant à son hubris, décrit le code informatique inventé par Zoe ainsi : « to turn code into a soul » et le programme devient « a resurrection program » (Caprica, Saison 1, épisode 10, 29 : 35-29 : 41).
12 Lecercle J.-J., Frankenstein, mythe et philosophie, op. cit.
13 En littérature contemporaine, on peut mentionner sur ce thème l’excellent roman de Ken McLeod, The Night Sessions (2012).
14 C’est tout l’enjeu de Blade Runner qui est reproduit dans Caprica avec les différents avatars qui apparaissent dans la série (en particulier ceux d’Amanda Graystone et de Tamara Adams). L’intertexte avec Blade Runner est évident pour les avatars mais ne s’applique pas aux robots. Le fait que Zoe Graystone soit justement déclinée en trois entités subjectives (humain, robot et avatar) est l’une des subtilités de cette série. Voir aussi sur la question de la sentience : Després. E., « La sentience des androïdes : de Star Trek à Westworld », in Chassay, J-F. & Boof-Vermesse, I. (dir.), L’Âge des postmachines, Presses universitaires de l’Université de Montréal, 2020, p. 73-92.
15 Lecourt D., L’Âge de la peur, op. cit., p. 138.
16 « This cylon will become a tireless worker who won’t need to be paid. It won’t retire or get sick. It won’t have rights, or objections or complaints. »
17 Notons que cette réflexion est souvent abordée dans les œuvres de fiction mettant en scène des clones. La série la plus emblématique de cette thématique est Orphan Black.
18 Pilot, 58 : 41 à 59 : 50.
19 S01E02, 37 : 29.
20 Gervais B., « Est-ce maintenant ?/Is it now ?… » (version en ligne), op. cit., p. 12.
21 Gervais Bertrand et Desjardins Mariève, « Le spectacle du corps à l’ère d’Internet. Entre virtualité et banalité », Protée, vol. 37, no 1, 2009, p. 9-23. http://0-www-erudit-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue/pr/2009/v37/n1/001233ar.html#no8,§17.
22 Ibid., note 8. Les deux avatars ont par exemple la possibilité de créer des mondes virtuels supplémentaires et indépendants. Zoe Graystone parvient même à modifier le programme de « l’intérieur » de la réalité virtuelle ; empêchant ainsi son père (qui est dans le monde réel) d’avoir la possibilité de modifier le programme. Elle prend donc le contrôle de l’univers virtuel depuis ce dernier. On pense également ici à Maeve dans Westworld qui prend également le contrôle de son processeur central dans les deux premières saisons.
23 « Il [le corps virtuel] peut être soumis à toutes les transformations, à tout ce que l’imagination, aidée par un ensemble de dispositifs et de logiciels informatiques, peut produire. Le corps virtuel est ainsi une figure stabilisée temporairement sous la forme d’une image numérique. Une image que l’on peut non seulement contempler, mais surtout manipuler, transformer avec ses mains et les logiciels qui en prennent le relais. Ce qui caractérise le règne de l’objet-image, nous dit Tisseron, c’est que la relation aux contenus des images ne peut plus être envisagée sans prendre en compte la relation physique et psychique que le sujet entretient avec son support. Cette approche implique de renoncer au paradigme habituellement retenu pour parler des images, celui du miroir. L’image n’est pas un miroir, ou plutôt, elle est un miroir que l’on transforme avec les mains », Ibid. http://0-www-erudit-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue/pr/2009/v37/n1/001233ar.html#no8, §18.
24 Dick Philip K., « Minority Report » (1956), London, Gollanz, 2002, p. 3.
25 Dans le même ordre d’idée, les precogs sont désignés par le pronom neutre lorsqu’Anderton va dérober le rapport minoritaire de Jerry. Ibid., p. 23 : « With eyes glazed and blank, it contemplated a world that did not yet exist, blind to the physical reality that lay around it. »
26 On observe aussi cette symbolique dans le générique de Ghost in the Shell (Mamoru Oshii, 1995) qui montre la création de la cyborg-héroïne du récit. Cette dernière entretient par ailleurs un rapport spécifique à l’eau et à l’océan.
27 Girard Gaïd, « Les enfances de l’homme artificiel », dans Archibald S. (éd.), L’invention du réel : J. G. Ballard, Otrante 31-32 (hiver 2012), p. 235-248.
28 Tisseron Serge, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Aubier, 1999.
29 Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », op. cit. p. 32-33.
30 Voir http://chatonsky.net/flots-2/ (11/01/19).
31 Saison 1, épisode 6, 19 : 45.
32 Michaud Yves, Humain, inhumain, trop humain, Paris, Climats, 2002.
33 Voir par exemple le générique, mais aussi l’épisode 8, « You have more faith in the tec finding you than in me stopping it » S01E08, 27 : 23.
34 On se rappellera que dans le récit policier dit traditionnel, le détective impose sa vision et son interprétation du monde par l’illusion logique au terme de l’enquête. Voir Mellier D., « L’illusion logique du récit policier », art. cit. et Machinal H., « Créatures et créateurs : fondements ontologiques et épistémologiques de la figure mythique de Sherlock Holmes », art. cit.
35 Saison 1, épisode 1.
36 « no shit (“an expression of amazement”) + Sherlock (“a fictional detective who makes ingenious deductions”). An expression of amazement followed by comparing the interlocutor to the detective Sherlock Holmes, as if they have just made a great deduction. This expression is, however, used sarcastically, to point out that the interlocutor merely stated the obvious. », http://en.wiktionary.org/wiki/no_shit, _Sherlock (06/04/18). On retrouve l’expression dans de nombreuses séries, tout récemment encore dans Stranger Things saison 3.
37 Il s’agit de la nouvelle « Silver Blaze » qui est connue pour ce trope de l’absence révélatrice.
38 « You’re really an automaton, a calculating machine […] there is something positively inhuman in you at times », The Sign of Four.
39 « Six Million Dollar Man for the Information Age », 7 January 2014. Author : Jason Daniel Baker from Toronto, Canada : « Steve Austin meets Sherlock Holmes in a secret agent character (portrayed by Josh Holloway) and his adventures which capture the excitement of the very best of episodic television during its years before the medium became dominated by ‘reality show’ piffle. », http://www.imdb.com/title/tt2693776/combined (06/04/15).
40 S01E06, 21 : 47.
41 Mellier D., « L’impossibilité filmique de l’énigme policière », art. cit.
42 On retrouve ici d’ailleurs la part d’illusion logique propre au récit policier (Ibid., p. 95).
43 On va retrouver cet aléa du technologique dans la série Westworld où les « rêveries » implantées dans les androïdes ont des conséquences non anticipées.
44 « La puce agit comme un processeur informatique, mais mon cerveau métabolise l’information comme, et bien, comme un cerveau […] c’est moi qui génère le rendu ; moitié faits, moitié imagination », S01E01, 29 : 58.
45 C’est la définition du transhumanisme que donne Bryce Tyler, dans son échange avec Gabriel Vaughn, S01E07, 20 : 40.
46 « Cette puce ne diminue pas ton humanité, elle l’augmente », S01E13, 39 : 31. On peut aussi citer : « The chip will always exceed your human abilities, we can never let it exceed your humanity. » (S01E10, 3 : 42).
47 « […] he realises that he is no longer human, that he is only a machine and therefore will always be marginalised, will always be ostracised, and will always be terribly and tragically alone », S01E13, 35 : 15-35 : 35.
48 « freak », S01E07, 24 : 33.
49 La notion est convoquée par Bryce Tyler, transhumaniste convaincu, dans S01E07, 23 : 15.
50 Voir S01E07, 39 : 45 où la différence entre l’homme et la machine est ramenée à la capacité humaine à prendre des décisions. Cette rhétorique du choix et du libre arbitre réapparaît (de façon peut-être un peu systématique) dans Westworld saison 2.
51 S01E01, 17 : 14.
52 S01E13, 05 : 37.
53 Le dernier épisode de la saison 1 se termine sur une scène pour le moins ambiguë du fait du sous-texte homoérotique implicite : Dorian offre à Kennex une nouvelle prothèse obtenue par l’intermédiaire de Rudy.
54 S01E03 puis S01E01, 31 : 40.
55 S01E01, 19 : 48.
56 Girard G., « Les enfances de l’homme artificiel », art. cit. et Hoquet T., « Cyborg, mutant, robot, etc. Essai de typologie des presque-humains », art. cit.
57 Il s’agit là des termes utilisés par l’auteur de l’article. Voir Andoka Florence, « Machine désirante et subjectivité dans L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari », Philosophique, 15 : 2012, p. 85-94, http://philosophique.revues.org/659 (15/04/18).
58 S01E09, 20 : 10.
59 Andoka F., « Machine désirante et subjectivité dans L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari », art. cit.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Cet aspect est développé dans les pages qui suivent.
63 Ce point évoque également Dark Matter où l’on retrouve le motif de l’être artificiel créé à rebours de la norme. L’androïde pense en effet qu’elle a un défaut de fabrication jusqu’à ce qu’il soit révélé qu’elle a été sciemment et artificiellement conçue pour ressentir des émotions. On peut aussi citer Blade Runner.
64 Voir S01E11 (3 : 10, puis 40 : 00 à 42).
65 Andoka F., « Machine désirante et subjectivité dans L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari », art. cit.
66 Altered Carbon, Laeta Kalogridis, Netflix, 2018-en production, 2 saisons.
67 Ici encore, dans Altered Carbon, l’accès à un nouveau corps dépend des moyens financiers dont on dispose dans une société entièrement régulée par les grands conglomérats qui ont mis en place une domination mondiale et particulièrement élitiste.
68 Voir l’épisode 10 qui se déroule à la « Mendel Academy », une école pour les chromes ou l’épisode 11 où apparaît le « Electus Club », un club réservé aux chromes.
69 Braidotti Rosi, « Les sujets nomades féministes comme figure des multitudes », CAIRN, http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/article_p.php?ID_ARTICLE=MULT_012_0027, 27-38, 14 pages (19/04/17).
70 Ibid.
71 Voir S01E03, 4 : 32.
72 Voir S01E01, 35 : 35.
73 Braidotti R., « Les sujets nomades féministes comme figure des multitudes », art. cit.
74 Deleuze Gilles et Guattari Félix, Rhizome, Paris, Minuit, 1976, p. 18.
75 S01E08, 10 : 24.
76 Le personnage de Dimi fait allusion à l’immortalité acquise par transfert de l’esprit (stocké sur une pile stack dont l’origine est extraterrestre) dans un autre corps (sleeve).
77 Une exception notable serait l’IA appelée Poe dans Altered Carbon.
78 Després E., « De l’ourson électrique à la pomme de Blanche-Neige : Alan Turing et la question du genre », dans Boof-Vermesse I., Freyheit M., Machinal H. (éds.), Hybridités posthumaines, op. cit., p. 197-214.
79 Peyret J.-F., Faust, une histoire naturelle, Google Books, p. 95.
80 Elle va se comporter en dur à cuire lors du combat qu’elle déclenche dans un bar (S02E05), en personnage de western (S03E01), mais aussi en femme fatale (S03E05).
81 Grosz Elizabeth, Volatile Bodies : towards a Corporeal Feminism, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1994, consultable en ligne : http://thecomposingrooms.com/research/ reading/2014/Grosz-Psychoanalysis-and-Psychical-Topographies-from-Volitile-Bodies-Toward-a-Corporeal-F.pdf (22/03/18).
82 « Grosz draws upon Foucault’s history of bodies to argue that we should not just imagine Western culture as a history of ideas ; we should also consider the ways in which different bodily pratices – everything from imprisonment, punishment, medical technologies, architecture and sexuality – organise relations and the powers of bodies. Power is not, then, an idea, power is what a body can do », Colebrook Claire, Gender, op. cit., p. 219.
83 Haraway Donna, The Promises of Monsters : a Regenerative Politics for Innapropriate/d Others, dans Grossberg Lawrence, Nelson Cary, Treichler Paula A. (éds.), Cultural Studies, New York, Routledge, 1992, p. 295-337. Consultable en ligne : http://www.zbi.ee/~kalevi/monsters.html (22/03/18).
84 Haraway joue sur l’adjectif et le participe. Les corps sont inappropriés au sens d’inadaptés, mais ils sont aussi innapropriated, inappropriables.
85 Haraway D., The Promises of Monsters…, op. cit.
86 La traduction ne rend pas justice à l’ambiguïté du terme uncanny en anglais. Comme pour l’inquiétante étrangeté (traduction de l’essai de Freud), l’étrange ne traduit pas l’entre-deux de unheimlich ou uncanny.
87 Girard G., « Dans “la vallée de l’étrange” : des robots et des hommes, dans trois films de SF américains des années 70 (THX 3811, Westworld, Futureworld) », dans Boof-Vermesse I. & Chassay J.-F. (éds.), Mutations 2 : homme/machine, Otrante 43, printemps 2018, (151-163), p. 151-152.
88 Gradhiva no 15, Paris, musée du Quai Branly, 2012.
89 Voir aussi pour cette série l’article de Delphine Lemonnier « Posthumain et réception, de The Tempest à Westworld », Machinal Hélène & Michlin Monica (éds.), Posthumains en série, TVSeries no 14, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/tvseries/2757.
90 Girard G., « Dans la vallée de l’étrange… », art. cit., p. 158.
91 Voir aussi Boof-Vermesse I., « Entre pharmakos et pharmakon : le monstre et le retour du réel dans Invisible Monsters Remix de C. Palahniuk », dans Chassay Jean-François, Machinal Hélène et Marrache-Gouraud Myriam (éds.), Signatures du monstre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
92 On pense par exemple ici à l’épisode 8 de la saison 1 de Altered Carbon où Kristin Ortega tue tous les clones de Rei, les abattant les uns après les autres. Le clone est de même utilisé pour envoyer un autre que soi-même dans un endroit potentiellement dangereux par les membres de l’équipage de Dark Matter, il devient donc dans cette série un simple moyen de transport. Voici la description qu’en donne Joe Mallozzi : « So each station has its transfer-transit room, kind of like a Starbucks. And you go in and you basically choose your destination. You get into a pod, and your body is scanned. And the information is essentially sent via subspace to a receiver station wherever you want to end up, say on the other side of the universe, instantaneously. And once the information is relayed over, that information is used to create a clone. And basically it’s a clone built with your physical specifications and essentially a template of your mind is downloaded into this clone. And the clone lasts 24-48 hours. It’s biodegradable and has this ticking clock. But the clone is able to go out and experience whatever you would experience. It has your thoughts. It has your memories. And before the allotted time you do your travels, you go on vacation, you go on business. And then at the end of your travels, you go back to this receiver pod and the memories you’ve made are conveyed back via subspace to your original body. », https://www.space.com/29617-dark-matter-show-creator-interview.html (04/04/18).
93 Després E., « Maisons et génomes : l’espace des luttes identitaires dans Orphan Black », dans Després Elaine & Machinal Hélène (éds.), L’imaginaire en séries I, Revue Otrante no 42, Paris, Kimé, automne 2017, p. 173.
94 Déjà admirablement traitée sur ce même mode de l’humour dans Weeds. Weeds, Kohan, Showtime, 2005-2012, 8 saisons.
95 Question : « Well, it’s interesting because Alison can be a mess sometimes, but when she needs to step up, the woman can step up. We see that with her bringing Dr Leekie’s head to Rachel, right ? » FAWCETT : « Yeah, absolutely. It was important to us through this journey that at the end of it she does something awesome, and has a kind of victory moment, and that was really critical to the storytelling, that it culminates in a dangerous meeting with Rachel where she throws down Leekie’s head and basically threatens her. », Interview du créateur à lire sur : http://ew.com/tv/2017/06/24/orphan-blackbeneath-her-heart/ (29/03/18).
96 Voir Vorsky Georges, « The Real Science Behind Orphan Black »,https://io9.gizmodo.com/the-real-life-science-behind-orphanblack-1694765437 (29/03/18) et aussi le site : https://sites.google.com/a/depauw.edu/orphan-black/science-behind-the-show(29/03/18).
97 On retrouve la quête de la vie éternelle dans de nombreuses séries du corpus, à l’instar de Altered Carbon, qui recycle plusieurs de ces aspects, entre autres la quasi-immortalité acquise grâce à la technologie du THD (« Transport Humain Digitalisé ») conjuguée au retour du sacré qui apparaît à la fois par les schèmes mythiques construits autour de Quell Falconer, l’instigatrice de l’insurrection, et par le statut des maths, les nouvelles divinités du Protectorat.
98 L’œil est un motif lié à la métaréflexivité sur lequel nous revenons dans la dernière partie de cet ouvrage.
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La sérialité à l’écran
Comprendre les séries anglophones
Anne Crémieux et Ariane Hudelet (dir.)
2020