Chapitre un. Devenirs de l’humain et détectives du futur

p. 39-99


Texte intégral

1La perspective synchronique mentionnée en introduction ne doit pas empêcher de prendre en compte les spécificités de chaque période. Des aspects récurrents sont certes repérables mais le xixe n’est pas le xxe siècle et les crises épistémologiques qui caractérisent chacune de ces fins de siècle ont leurs traits saillants propres. Il demeure que, dans ce type de contexte, les figures mythiques incarnant un compromis temporaire entre deux ordres1 font retour et permettent de donner un contour symbolique à des questionnements relatifs à la définition de l’humain.

2Nous nous plaçons dans une optique qui réfute toute définition unilatérale de l’humain, en particulier celles qui se fonderaient sur une essence ou une nature de l’humain. C’est d’ailleurs en des temps de résurgence d’une pensée dogmatique et essentialiste (en particulier sur les questions de genre) que l’imaginaire à l’œuvre dans la fiction tend à souligner la nature transitoire de la période dans laquelle nous nous trouvons. Ce type de backlash ne se produit d’ailleurs peut-être pas par hasard à des périodes de remise en question de l’identité humaine. L’incertitude ontologique n’est certainement pas la position que privilégient les dogmatiques de tous bords, bien au contraire. Aussi, dans les périodes de transition, on voit à la fois apparaître une véritable dynamique de questionnement et, dans le même temps, des attitudes conservatrices, voire réactionnaires. Les nouvelles technologies et les biotechnologies agitent les esprits, ou l’on s’en sert pour les agiter. Il nous suffit d’évoquer l’intelligence artificielle pour nous en assurer. Une publicité pour un smartphone ne peut se passer de la mentionner, les chaînes de divers médias lui consacrent articles et numéros spéciaux2 et elle est à la une dès que possible. Il faudra sans doute interroger cette systématique et ce qu’elle révèle de l’imaginaire collectif. Ce n’est pour autant pas étonnant car, d’une certaine façon, l’IA (et la perspective de la singularité)3 semble remettre en cause ce par quoi l’Homo sapiens se définit avant tout dans la tradition philosophique : l’esprit et la capacité à penser. Ajoutons que l’Homo sapiens se pense également supérieur du fait même de cette capacité. La seconde moitié du xixe a été saisie par un vertige temporel et ontologique. Le versant ontologique avait trait à une remise en question de l’image d’un corps originaire. Pour les contemporains du xxie siècle, que nous descendions du singe ne pose plus question. En revanche, qu’une intelligence (étymologiquement, sapiens renvoie à l’intelligence) puisse ne pas être humaine mais artificielle remet en question la suprématie de l’humain, tout autant que la théorie de l’évolution le faisait fin xixe.

3Pour autant, cette question n’est pas nouvelle et le test de Turing proposait déjà d’évaluer la dimension « humaine » d’une machine. C’est d’ailleurs après cette période que Philip K. Dick écrit le roman (Do Androids Dream of Electric Sheep ?, 1968) dans lequel le test en question devient le test de Voight-Kampff qui identifie les êtres artificiels en fonction de leur capacité à l’empathie. Nous sommes dans la période charnière de l’après-Seconde Guerre mondiale qui a introduit la possibilité d’une mort globale de l’humanité. C’est aussi à cette époque qu’ont lieu les Conférences de Macy4 où sont posées les bases de la cybernétique :

« Dans ce cadre institutionnel et intellectuel, Norbert Wiener définit la cybernétique qui ouvre la voie à une nouvelle définition de l’humain, devenu partie prenante d’un système généralisé reposant sur les processus de communication et le fonctionnement de l’information5. »

4L’ordinateur personnel apparaît dans les années 1970 et lance la révolution du numérique. Si Wiener soulignait un changement de paradigme, les débuts du numérique ne laissaient pas présager un développement de l’ampleur que l’on peut constater aujourd’hui6. Surtout, les ordinateurs étaient alors perçus en tant qu’outil collectif, et non comme une sorte d’extension de l’individu. La nouvelle définition de l’humain s’opère donc dans un contexte où la fin possible de l’humanité s’est matérialisée par l’intermédiaire de la découverte des camps de la Shoah et les images de l’utilisation de la bombe A au Japon.

L’intelligence artificielle
En réalité, la perspective de la singularité n’est absolument pas d’actualité, même si elle est évoquée régulièrement par les idéologues du transhumanisme. Par ailleurs, le terme même d’intelligence artificielle est discutable. Gérard Klein parle de la nécessité de « dégonfler des mythes irrationnels et irraisonnés que propagent souvent complaisamment les médias en s’appuyant sur les déclarations apocalyptiques de personnalités dont l’autorité scientifique n’a parfois rien à voir avec l’IA ». Il précise : « Déjà, le terme d’intelligence artificielle me pose problème. Il est introduit en 1955 par les chercheurs américains John McCarthy et Marvin Minsky lors d’une demande de subvention à la fondation Rockfeller. […] les deux promoteurs de l’IA cherchaient à frapper les esprits de leurs financiers et ils y réussirent en introduisant sciemment une confusion entre intelligence naturelle et intelligence artificielle. » Libération/ France Inter, « Voyage au cœur de l’IA », op. cit., p. 5. On peut remarquer que l’IA est désormais utilisée assez systématiquement dans des contextes promotionnels où elle permet de souligner l’attrait commercial d’objets technologiques que l’on cherche à valoriser par cette association. Elle pose à nouveau et dans le contexte contemporain de la culture de l’écran la possibilité d’un dépassement de l’esprit humain par le non-humain (la machine), et on retrouve ainsi la transgression des frontières entre organique et mécanique, animé et inanimé, identité et altérité. Elle déclenche donc fascination et répulsion, réactive le mythe de la créature qui s’émancipe de son créateur et fait entrer en ligne de compte la possibilité d’un esprit surpuissant et hypermnésique, perspective qui est sans doute encore plus inquiétante que celle d’un corps augmenté. Son omniprésence dans la publicité pour tout type d’objet connecté peut être rapprochée du chaînon manquant (une sorte de créature hybride entre le singe et l’homme) que Gillian Beer identifie au xixe siècle et qui fut une pure création de l’imaginaire collectif visant à partiellement compenser la rupture ontologique et temporelle introduite par la révolution darwinienne. Tampon symbolique entre l’origine simiesque et l’homme dit civilisé, le chaînon manquant permettait de contenir l’angoisse associée à l’animalité primitive et archaïque. L’IA participerait d’un chaînon manquant à la période contemporaine.

5La révolution du numérique s’accompagne de progrès dans le secteur de la médecine, et en particulier dans les domaines liés à la génétique. Reproduction de cellules, clonage, procréation assistée, nanotechnologies font resurgir un imaginaire de la science qui s’appuie sur le bricolage de l’humain et la fabrique du vivant. Là encore, les questionnements sous-jacents à ces progrès de la science interrogent la définition de l’humain, en particulier un humain qui serait augmenté (voire créé) par la technologie. Dans la lignée de Victor Frankenstein7, la représentation de la science s’incarne à nouveau dans la figure mythique du savant fou8. Si Mary Shelley fut pionnière dans ce domaine (le roman date du début du xixe), la fin du xixe siècle se distinguait aussi par cette omniprésence du personnage qui, du Dr Jekyll au Dr Moreau9, hante la fiction victorienne. Par ailleurs, ces fictions textuelles de la fin du xixe reprennent la structure narrative du récit policier, en particulier The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde et Dracula, ce qui les inscrit à leur tour dans une dialectique narrative de tension entre récit du crime et récit de l’enquête mais aussi dans une tension entre origine et fin du point de vue temporel et symbolique. Qu’en est-il à la période contemporaine ? Savants fous, science folle et détectives du futur se retrouvent-ils dans la danse cosmique de Hayles ?

Archétype du détective
Les séries ne sont pas en reste et sont sans doute une xcellent révélateur de l’imaginaire de la science à la période contemporaine. C’est bien entendu dans les séries de science-fiction que les détectives du futur trouvent toute leur place, et le personnage de Josephus Miller dans le space opera The Expanse (Dennis Quaid, Laurence Mark, Gary Fleder, Syfy, 2015-en production, 4 saisons) en est l’illustration. Miller est d’ailleurs orphelin, né sur la Ceinture (The Belt). Dans The Expanse, la Terre et Mars se partagent richesse et pouvoir. La ceinture regroupe à la fois les ressources exploitées pour les puissants et des habitants qui sont réduits à une condition de sous-prolétariat exploité, voire esclavagisé. Ce détective renvoie à la fois à une quête identitaire individuelle et collective. Il illustre l’archétype du détective à la recherche de son identité propre, mais il renvoie aussi à un peuple opprimé, un peuple à qui l’on a aussi confisqué son identité, ou du moins, son autonomie. On constate ici un tressage entre parcours individuel et dimension collective qui va resurgir dans l’étude des personnages d’herméneutes. Josephus Miller « meurt » à la fin de la saison 2 mais il réapparaît dans les saisons 3 et 4, d’abord sous forme d’image visuelle qui ne communique qu’avec Jim Holden puis il s’incarne dans un corps de métal à la fin de la saison 4.

6La fiction s’est emparée d’un nouveau contexte culturel spécifique et elle permet de re-présenter les tensions qui animent les interrogations sur l’identité humaine et ses devenirs posthumains. Précisons que, comme à la fin du xixe siècle, ce n’est pas l’apanage de la fiction dite populaire. La fiction en général est traversée par ce courant et il suffit de mentionner des auteurs tels David Mitchell, Jeanette Winterson ou Kazuo Ishiguro pour s’en convaincre (et la liste s’allongerait si l’on mentionnait les auteurs américains). Les figures de la détection et/ou de la science folle sont partout.

Le Sherlock du XXIe siècle

7Comment ne pas commencer par Sherlock pour parler de l’évolution de la figure du détective du xixe au xxie ? Il s’est en effet adapté d’une fin de siècle à l’autre et a migré d’un média textuel à la série télévisée, ce qui entraîne divers questionnements allant de l’adaptation du contexte au passage du texte à l’image, sans oublier le personnage même, le détective Sherlock Holmes devenu Sherlock.

8L’incipit du premier épisode de la série Sherlock10 de la BBC nous permet d’emblée de caractériser le type d’adaptation à l’œuvre11. Il nous projette sans crier gare dans des scènes de guerre, de type documentaire, caractérisées par le port de la caméra à l’épaule et une prise de vue subjective.

BBC Sherlock, S01E01.

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9L’authenticité est ainsi garantie. Les scènes qui suivent révèlent, par montage alterné entre dormeur agité et scène de combat, qu’il s’agit d’un cauchemar où le réalisme documentaire nie implicitement la nature irréelle du rêve. En l’espace de 1 minute 33, l’incipit nous présente un conflit, un ancien soldat qui boite, son blog – qui révèle aussi son nom – et la psychiatre qui le suit. Il renvoie immédiatement le lecteur de Doyle aux premières pages de A Study in Scarlet, où Watson décrit son retour d’Afghanistan et son arrivée à Londres suite à une blessure à l’épaule, puis sa rencontre avec Stamford qui va conduire à la colocation du 221b Baker Street. D’une guerre d’Afghanistan à l’autre, la transposition à l’œuvre est bien entendu avant tout contextuelle et temporelle. De même, le souci du détail qui va caractériser cette adaptation apparaît immédiatement. Stamford et Watson ne déjeunent plus ensemble au Criterion de Londres, mais ils boivent un café dans un gobelet en carton de vente à emporter du Criterion. On retiendra le blog de Watson qui bien que présenté pour ses vertus thérapeutiques, introduit immédiatement la dimension narrative et la sémiotique propre à la lecture mais la réinscrit dans le contexte de la culture de l’écran.

10Les trois critères de l’adaptation avancés par Hutcheon12 sont ainsi omniprésents dès le départ : transposition (d’une fin de siècle à l’autre), intertextualité soulignée (avec les nouvelles de Doyle)13, mais aussi appropriation par une propension à la création qui s’inscrit précisément, pour reprendre les termes de Marie-Claire Ropars-Wuilleumier14, dans ces « lacunes » ou « inquiétudes de soi » que l’adaptation tend à rendre visibles.

11Le personnage de Sherlock Holmes fait aussi l’objet d’une transposition contextuelle, de références interfictionnelles et d’un processus d’appropriation par création. Pour ces trois grands traits fondateurs du processus d’adaptation, on peut prendre un exemple : la référence à la technologie passait chez Doyle par le nom de Babbage (inventeur de la machine à calculer) alors que Moffat et Gatiss ancrent Sherlock dans les réseaux hypermédiatiques du numérique qui redéfinissent l’humain en l’insérant dans le réseau informationnel qu’évoquait Wiener :

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« Information est un nom pour désigner le contenu de ce qui est échangé avec le monde extérieur à mesure que nous nous y adaptons et que nous lui appliquons les résultats de notre adaptation. Le processus consistant à recevoir et à utiliser l’information est le processus que nous suivons pour nous adapter aux contingences du milieu ambiant et vivre efficacement dans ce milieu. […] Vivre efficacement, c’est vivre avec une information adéquate. Ainsi, la communication et la régulation concernent l’essence de la vie intérieure de l’Homme, même si elles concernent sa vie en société (http://www.ultramuros.ca/documents/Wiener-Theo-de-la-communication.pdf)15. »

12On se souvient en effet que Watson compare Holmes à une machine à calculer. « You’re really an automaton, a calculating machine […] there is something positively inhuman in you at times. »16 Au-delà de la remarque, n’oublions pas les faits que nous rappelle Gwenhaël Ponnau dans son ouvrage sur la folie dans la littérature fantastique, et l’impact des recherches sur le cerveau au tournant du xixe au xxe siècle17. Trace symptomatique de ces dernières, la comparaison de Holmes à une machine le réduit à la matière, un signifiant qui témoigne d’une fin du xixe siècle où c’est d’abord le corps qui est l’enjeu d’une crise de la représentation. Il va de soi que les débuts de la recherche en neurologie et en psychiatrie attestent d’une évolution vers des orientations de recherche qui vont ensuite se pencher sur l’esprit.

13Dans la série BBC, Moffat et Gatiss ont avant tout privilégié la révolution de l’information qu’entraînent l’informatique et le numérique, en particulier le développement de nouveaux réseaux d’information. Sherlock y fait allusion dans « The Blind Banker » lorsqu’il déclare « The world is run on codes and ciphers, John […] It’s all computer generated, electronic code, electronic cypher methods. » Sherlock n’est donc plus « une machine à calculer » mais un « disque dur », lorsqu’il oublie le numéro de chambre du Major Sholto, il explique qu’il a été obligé d’effacer des données (« delete some things », « The Sign of Three », 1 : 13 : 07). Un autre personnage, Charles Augustus Magnussen, n’a plus besoin de chambre forte car il possède « an excellent memory ». Signe concret du jeu sur la polysémie du mot « mémoire », Magnussen « voit » des fiches de renseignements personnels et confidentiels défiler sur l’écran de son champ de vision, lorsqu’il regarde quelqu’un… avec ou sans lunettes. Il est en outre le seul autre personnage de la série à posséder un palais mental (« a mind palace »). Si Sherlock est toujours « inhumain », ce ne sont plus les mêmes repères technologiques qui permettent d’attester cette inhumanité. Cette dernière pourrait désormais être symbolisée par la métaphore du cerveau-ordinateur et si Sherlock est à plusieurs reprises qualifié de « highly functioning socio-path », c’est avant tout le « highly-functioning » qui le lie au numérique et l’apparente à un sujet digital18.

14Les références interfictionnelles sont légion dans la série. Au-delà des citations qui s’appuient sur un jeu homophonique, le jeu avec l’hypotexte prend un tour particulier lorsqu’au début de « A Scandal in Belgravia », nous rencontrons un écho à une pratique, cette fois métaréférentielle, de Doyle qui consiste à faire allusion en début de nouvelle à des titres d’enquêtes que sont censés avoir menées les deux personnages mais qui ne figurent pas dans les récits publiés dans le Strand Magazine19. Moffat et Gatiss prouvent d’emblée leur inventivité et leur capacité à la transposition puisque ces allusions hypotextuelles renvoient aussi dans la série de la BBC à un « effet de fiction », c’est-à-dire à des nouvelles qui n’ont pas été mises en scène ou produites mais écrites par Watson… sur son blog. « The Speckled Band » devient « The Speckled Blond » ou « The Greek Interpreter » devient « The Geek Interpreter », mais la mise en abyme de la fiction par la fiction s’opère au détriment de l’illusion de réalité dans l’original car ces nouvelles existent bien « narrativement » dans le canon, elles font même partie des nouvelles les plus connues et elles sont ici renvoyées au statut d’effet de fiction qu’avaient les nouvelles que mentionne Watson sans jamais les écrire. Or, gardons en mémoire que ces nouvelles « fictives » dans le canon ont été la matrice de nombreux pastiches et autres ré-écritures qui contribuèrent à l’autonomie de la figure mythique et à sa plasticité.

15Le jeu métaréférentiel opère à plusieurs niveaux d’interaction entre fiction et réalité et se joue des pratiques qui étaient déjà présentes dans l’original. Ce jeu s’adresse en premier lieu aux spectatrices et spectateurs que la série maintient en contact constant avec la référence tout en s’appliquant à divers types de décalages : décalage citationnel comme dans « The game is on » et non plus « The game is afoot »20, condensation citationnelle comme lorsque Watson traite Holmes de « machine »21, ou expansion citationnelle lorsque dans « A Scandal in Belgravia », Holmes et Adler sont présentés l’un à l’autre in abstentia via des clichés photographiques alors que dans la nouvelle « A Scandal in Bohemia », tout ce que Holmes gardera de Irène Adler est une unique photo. Avec Moffat et Gatiss, son unique memento est son camera phone.

16Ce repérage succinct montre à loisir qu’adaptation est réellement synonyme de création dans cette nouvelle version de Sherlock. Cependant, la pratique de la distanciation par la référence contribue à mettre en lumière ces « inquiétudes de soi » qui vont s’avérer être à la fois à l’origine de l’accession du détective au statut de figure mythique mais aussi permettre un réel travail sur le transfert problématique d’une sémiotique du texte à une sémiotique de l’image.

« I prefer to do my own editing » (S02E02 : 6 : 30)

17L’opposition entre deux régimes sémiotiques distincts et spécifiques a souvent été l’argument avancé à la fois pour déprécier l’image en tant que médium, mais aussi pour la réduire et la cantonner à une position subalterne où l’adaptation se pense en termes de pur modèle et pâle réplique. Il reste que le récit policier présente un cas d’étude particulièrement pertinent puisque le processus narratif fonde la dynamique du récit. On se souvient en effet du rôle crucial du narrateur qui, dans ce récit impossible, doit à la fois ménager l’intérêt du lecteur en lui donnant l’illusion qu’il pourra parvenir à la solution avant le détective, et garder sa fonction première qui consiste à ériger le détective en figure de la toute-puissance sémiotique.

18La question de la transposition en images de cette construction narrative très particulière est d’autant plus intéressante qu’elle revient à poser la différence entre ces deux régimes sémiotiques spécifiques. Comment s’affranchir du modèle de la lecture alors que le détective est avant tout un herméneute du signe ? Que faire du rôle d’un lecteur qui, dans le récit policier, devient le double réflexif du sémioticien de la diégèse ? Comment réintroduire cette réflexivité qui, pour le dire avec les mots de Denis Mellier, permet « d’envisag[er] comme un authentique sujet de la fiction le fait de substituer à la question de l’énigme du signifié celle du pouvoir énigmatique du signifiant ? »22

Le leurre narratif du roman policier
L’analyse des signes, traces et détails est en effet le fondement de la méthode du détective-herméneute depuis Dupin. Carlo Ginzburg a fait de cette facette un paradigme qu’il associe à la fin de xixe siècle, et au début du xxe dans un article fondateur intitulé « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’énigme ». On parle désormais du paradigme indiciaire pour renvoyer à l’idée que toute trace peut faire sens, devenir signe vecteur de signification. Le récit policier repose sur une dynamique de la révélation qui implique forcément le retour du sens associé à celui de l’ordre. Cependant, à cet objectif de révélation, il faut ajouter une dimension narrative spécifique, qui, elle aussi, remonte à Poe : le leurre narratif du récit policier consiste à donner à la voix narrative une double fonction contradictoire. Posée par Poe, cette dualité de l’instance de narration acquiert en complexité avec les récits holmésiens. Chez Poe, le narrateur était réduit à sa fonction, au point qu’il n’a pas de nom. Doyle développe le personnage du narrateur et il demeure que Watson est notre accès narratif aux pensées du détective. Cependant, ce n’est là qu’illusion car l’esprit de Holmes doit rester inaccessible sans quoi il n’y a plus ni plaisir ni moteur au texte.

19Kamilla Elliott rappelle l’importance de l’hybridité texte/image dès les débuts du cinéma, et la centralité de l’illustration dans les magazines périodiques du xixe siècle. L’exemple de Doyle est typique : les illustrations de Sidney Paget contribuèrent à façonner la représentation collective de Sherlock Holmes. Paget est ainsi à l’origine du couvre-chef du célèbre détective, tout comme l’acteur de théâtre William Gillette lui donnera la pipe recourbée qui deviendra le second signe iconique associé au personnage.

20Moffat et Gatiss ont en fait recours à l’intermédialité pour réintroduire l’écriture, sous sa forme alphabétique, dans l’image.

21Au lieu d’avoir deux temps distincts comme dans les nouvelles qui présentent d’abord la phase d’observation du détective, phase au cours de laquelle le lecteur est dans la même posture d’extériorité que le narrateur, puis la phase où Holmes décrit rétrospectivement les étapes de son raisonnement à un Watson médusé, les réalisateurs de la série BBC proposent une superposition de mots à l’écran qui permettent aux spectatrices et spectateurs, uniquement, de suivre « en direct » le fil du raisonnement. Cette technique récurrente apparaît dès la première scène de crime de « A Study in Pink ».

22L’intégralité de la séquence montre en outre les ressources sémiotiques propres à l’image. En effet, le rôle de la bande-son, les faux raccords, les gros plans, travelling avant, panoramiques, accélérés et autres jeux graphiques sur les apparitions/disparitions de mots et de lettres23 sont autant de signes donnés à décoder au « lecteur » pour accéder au raisonnement du détective-herméneute par l’image.

23Les mondes diégétiques de Poe et de Doyle étaient des modèles de la suprématie du signe et du « modèle séculaire de la lecture »24 au point de faire du texte la métonymie du monde, comme en témoignent la présence de textes cryptés et autres cryptogrammes25, vecteurs d’un processus duel d’occultation et de dévoilement, repris dans le second épisode de la saison 1, « The Blind Banker » qui renvoie à « The Dancing Men » ou à « The Musgrave Ritual »26.

Texte/image (S03E01).

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S01E01, 24 : 13-25 : 33, 1,1.

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24Lettres matérialisées dans l’image par la superposition, messages codés qui transforment le monde en texte-monde, le modèle de la lecture et l’omniprésence des signes linguistiques et discursifs sont évidents et témoignent d’une intermédialité effective. Mais qu’en est-il du signe symbolique ?27 Sherlock est en effet devenu au fil du temps une icône à laquelle on associe certains marqueurs symboliques de la figure : la pipe et le chapeau en sont deux exemples. La pipe fait l’objet d’une transposition contextuelle où « a three pipe problem »28 devient « a three nicotin patch problem » (S01E01), mais le chapeau fait l’objet d’un traitement particulier qui permet d’introduire la réflexion sur l’image que propose la série.

25Le célèbre deerstalker ne figure pas dans le texte canonique, et on a vu que l’accessoire est inventé par Sidney Paget. Or, ce n’est pas un hasard si cet attribut unique, et devenu métonymie nécessaire et suffisante du grand détective, apparaît au détour du début de l’épisode 1 de la saison 2 « A Scandal in Belgravia », alors que Holmes et Watson quittent un théâtre et cherchent à se protéger des feux médiatiques. La métaphore théâtrale, introduite dans l’épisode 3 de la saison 1 au sujet de Moriarty (« The curtain rises », 15 : 54) devient ainsi le fil rouge d’une saison 2 où théâtralité et mise en scène permettent une réflexion sur l’image et sa circulation dans les médias, les réseaux sociaux et autres espaces numériques. Le chapeau sert donc d’une part la continuité temporelle et historique entre texte canonique et adaptation, mais il permet aussi implicitement de pointer à la fois la part de création à l’œuvre dans le processus et le rôle crucial joué par l’image dans la constitution de la dimension mythique du personnage. Même si notre nouveau Sherlock s’offusque du ridicule de cet attribut en déclarant « This is not my hat »29, c’est bien un métadiscours sur l’image, la représentation et le visuel qui est introduit dans la saison 2.

Sherlock, S02E03.

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« Just, don’t be dead » (S02E03, 1 : 26 : 55)

26Comme déjà signalé, l’adaptation du texte à l’écran peut permettre de révéler certaines « lacunes », d’exposer une « inquiétude de soi » qui resterait latente dans l’original. Le Sherlock de Doyle était sans conteste un personnage inquiétant car bien qu’acteur principal d’un rétablissement de l’ordre, le texte original en fait une figure de l’altérité30. Double du criminel, personnage janusien, le détective se constitue également en énigme centrale de l’œuvre de Doyle par l’intermédiaire d’un processus narratif qui ne permet jamais l’accès à ses pensées.

27Là encore, Moffat et Gatiss pratiquent la distanciation par la référence pour souligner l’aura inquiétante du personnage et en faire un aspect crucial de leur adaptation. Là où la singularité du détective de Doyle était soulignée par le processus narratif, celle du Sherlock de la BBC est clairement exprimée par des personnages secondaires tels Anderson ou Donovan, et elle redevient donc discursive, par exemple lorsqu’ils le qualifient de psychopathe. Par ailleurs, le comportement décalé de Sherlock par rapport aux normes sociales est souligné à l’envi par Watson, par exemple au début de l’épisode 3 de la saison 2 où Watson décode pour Holmes les signes socioculturels que le détective s’avère totalement incapable de déceler31. On retrouve donc bien la part d’altérité qui était déjà associée au personnage chez Doyle, mais cette dernière est mise à distance par une rhétorique de l’excès comme dans l’exemple de la figure ci-contre.

28Watson reste bien un filtre, non plus narratif comme dans le texte de Doyle, il devient sémioticien des codes et usages sociaux et médiatiques. La mise en abyme du lecteur-sémioticien s’opère ainsi toujours par Watson mais par un Watson désormais capable de saisir les signes « linguistique[s], discursif[s] [et] symbolique[s] »32.

29Il dénonce une autre facette de Holmes également liée à l’image de soi, sa propension à se mettre en scène33 : « You being all mysterious with your cheekbones, and turning your collar up so you look cool » (« The Hounds of Baskerville », 31 : 57). C’est bien le « jeu » du personnage et l’image de soi ainsi produite qui sont implicitement pointés. Cette fonction du « blogueur préféré » de Holmes va en s’accentuant dans la saison 2 qui suit l’ascension d’un Sherlock que Watson qualifie de « phénomène internet », dont la notoriété n’a cessé de grandir via les médias (« You’re this far from famous »)34 et qui risque de succomber aux mirages de l’image simulacre.

« Brilliant ! Yes ! Four serial suicides and now a note. Oh, it’s Christmas. » (S01E01, 16 : 01).

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De Sherlock Holmes à Sherlock
Les grandes figures mythiques sont souvent associées à des objets iconiques. Le cinéma a contribué à cristalliser cette association entre un personnage et un ou plusieurs objets. Le savant fou va de pair avec des éprouvettes et de vieux grimoires qui apparaissaient déjà dans les descriptions du laboratoire de Jekyll chez Stevenson. Le vampire est indissociable des ténèbres (et donc de la couleur noire) et du sang (rouge) et comme il incarne le mal, plusieurs symboles religieux permettent de l’éloigner. La série de la BBC joue de cette facette en introduisant dans la série de multiples clins d’œil à l’iconographie holmésienne, qu’elle remonte aux illustrations originales de Paget ou aux ajouts de Gillette. La figure mythique est ainsi mise en danger, dans la fiction, par l’essence même de ce qui la constitue en dehors de la fiction, une dimension mythique fondée sur des objets iconiques (la pipe, le chapeau) et une mise en scène de soi où le jeu (au sens théâtral) renvoie au Sherlock Holmes original qui vit en théâtre, à l’accession du personnage au mythe, et à l’impensable d’un hyperréel devenu simulacre de la réalité.

30Le fil rouge de la saison 2 est en effet le soupçon du visuel illustré par le contrôle de l’information, des images, et des réseaux. Ce sont les nouveaux outils du pouvoir, et les adaptations des deux principaux ennemis de Sherlock Holmes chez Doyle, Irène Adler et James Moriarty, l’illustrent parfaitement. Ainsi dans le troisième épisode de la saison 2, « The Reichenbach Fall », Moriarty devient acteur, metteur en scène et dramaturge de la réalité fictive qu’il construit pour détruire l’image de Holmes. Nous voyons alors poindre une dimension métaréflexive sans doute plus complexe qu’elle n’y paraît. De même, Adler représente, ou incarne littéralement, le leurre du signe dans la performance qu’elle met en scène lors de sa première rencontre avec un Holmes lui-même déguisé en prêtre. Adler se présente à lui totalement nue, révélant une totale absence de signe à décoder pour Sherlock, et devenant, de fait, une incarnation du sujet désémiotisé, une aporie sémiotique, ce qui permet à Gatiss et Moffat de souligner à nouveau leur jeu réflexif avec l’image.

L’aporie sémiotique (S02E01).

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31Les spécificités d’une construction narrative qui repose sur une instance donnant à la fois l’illusion au lecteur de pouvoir battre le détective sur le terrain de l’herméneutique, et bloquant, de fait, la possibilité même d’accéder aux raisonnements méta-abductifs du détective ont été transposées dans une episteme où le signe et l’image ont remplacé la lettre et la lecture. Moffat et Gatiss revendiquent d’emblée la surdétermination du signe à l’écran35 en pratiquant la superposition de mots sur l’image, ou en ayant recours au classique gros plan, comme dans « The Blind Banker » avec le guide de Londres.

32Plus subtilement, la dimension mythique du personnage est également re/déconstruite dans ce transfert d’un médium à l’autre. L’importance de l’image et du cadrage est soulignée dans les quatre saisons qui pratiquent de façon compulsive un surcadrage qui induit une mise en abyme de l’encadrement, principalement de Holmes, et, ce, dès le générique. Filmé de dos devant un cadre (fenêtre et miroir étant les accessoires les plus récurrents), reflet pris dans la lentille d’une loupe, encadrements de face ou de profil, prises de vue qui isolent le sujet dans un cadre lui-même enchâssé dans l’image, les variations sur cette dynamique du cadrage/surcadrage avec pour sujet de focalisation le détective sont multiples36.

33Elles soulignent à la fois les modalités de l’élaboration de la dimension mythique de la figure qui s’est en effet constituée en grande partie d’abord par l’illustration puis par l’adaptation cinématographique, mais elles montrent également que notre episteme est marquée par une culture de l’image qui tend à devenir notre outil exclusif d’appréhension du monde, et là résiderait la nouvelle « inquiétude ».

34On pourrait aussi y voir la transposition d’un autre aspect qui relevait de la construction narrative dans les récits originaux de Doyle. En effet, le récit traditionnel doylien se conclut sur une ekphrasis sémiotique, souvent soulignée par le mini-récit de clôture où Holmes révèle à son public ébahi la solution de l’énigme. Le texte de Doyle avait donc déjà recours à des arrêts sur image, technique protocinémato-graphique s’il en est, dans deux situations spécifiques du récit : lors de la révélation finale opérée par le chef d’orchestre Holmes, mais aussi pour mettre en exergue les traits contorsionnés d’un criminel, à l’instar de la description du visage du coupable dans A Study in Scarlet37.

La solution est dans le texte qui apparaît à l’écran (S01E02).

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Encadrements et surcadrages.

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35Dans les deux cas, l’encadrement s’opérait (dans l’original) à des moments symptomatiques d’une « inquiétude » : soit par gros plan sur le criminel qui renvoie à l’animalité originelle tant redoutée, soit dans l’explication finale censée combler l’angoisse déclenchée par la confrontation avec l’altérité. On a aussi vu que cette tension est à l’origine de l’accession du personnage au statut de figure mythique. Notons cet encadrement terrifiant du visage figé d’un criminel dans un contexte de crise épistémologique post-théorie de l’évolution où l’on s’interroge sur un atavisme en matière de criminalité, où Lombroso compare crânes de criminels et crânes de singe, où Bertillon met au point l’anthropométrie, où le besoin de se représenter l’homme originel n’a d’égal que la répulsion qu’il déclenche comme le donnent à voir les multiples caricatures de l’époque38.

36Il est alors possible d’avancer qu’à cet encadrement du visage des criminels correspond, plutôt en clôture de récit, le mini-récit conclusif qui apporte solution et résolution au mystère exposé en début de texte, et rassemble les fragments épars en une image cohérente de la réalité. Dans les deux cas, les techniques de l’encadrement et de l’enchâssement narratifs exposent et tentent en même temps de palier l’inquiétude contextuelle relative à la représentation de l’origine de l’être humain.

37Avec Sherlock, cette récurrence du motif de l’encadrement ne change pas mais elle sert une autre visée. Elle contribue à la fois à rappeler que le modèle visuel prévaut dans la nouvelle culture de l’écran, que la place de l’humain dans ce nouveau cadre n’est pas encore stabilisée, et que cette nouvelle sémiotique est effectivement davantage liée à l’espace qu’au temps39.

38Les interrogations sur les origines de l’espèce ne sont en effet plus guère d’actualité de nos jours. En revanche, les devenirs de l’humain dans une société biotechnologique et écranique sont au cœur de la réflexion contemporaine sur le posthumain et les subjectivités numériques. Aussi, la série propose-t-elle également une réflexion sur le pouvoir des images et des médias, sur l’image et les simulacres de réalité qu’elle peut construire, et mène ainsi le spectateur vers des questionnements relatifs à la porosité entre deux espaces, l’espace de la réalité et l’espace de la fiction40.

Omniprésence de l’écran.

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39Le nouveau Sherlock est sans surprise un détective connecté qui a sans arrêt recours à la toile et autres réseaux numériques, sociaux ou non. La mise en abyme des écrans est évidente dans la série, et ils deviennent le symbole d’une nouvelle culture de l’écran qui est ainsi mise en image. Là encore, toute la spécificité du médium est convoquée par Moffat et Gatiss et ils vont bien plus loin qu’une simple mise en abyme. On peut en effet s’arrêter sur deux exemples, celui de la course-poursuite du taxi dans « A Study in Pink » et celui du palais mental (« mind palace »).

40« A Study in Pink » reprend la course-poursuite dans Londres qui, dans le canon, se déroule dans The Sign of Four. Dans cet exemple (S01E01, 52 : 00-54 : 03), c’est l’esprit de Sherlock qui devient une sorte de GPS avec écran permettant de suivre le parcours (pour Sherlock et en abyme pour le spectateur). L’intérêt de cet extrait est de montrer que ce sont les images mentales du détective qui sont transposées en images numériques. On trouve une seconde course-poursuite fonctionnant sur la même assimilation de l’esprit du détective à un navigateur GPS dans « The Empty Hearse ». Nous entrons alors de plain-pied dans ce que Bertrand Gervais appelle une « image opératoire, une image qui permet d’intervenir sur le monde […] le monde réel, tangible », ce qui modifie le statut de l’image41.

L’image opératoire
L’image est souvent définie comme un support passif. Elle est vue par un récepteur, elle peut produire un effet pour diverses raisons mais l’image n’agit pas, ou ne permet pas d’agir directement sur le monde qui l’entoure. On peut alors parler d’image spectacle. En culture de l’écran et en environnement hypermédiatique, le statut de l’image change et elle peut permettre une action sur le monde. Bertrand Gervais analyse cette dimension en s’appuyant, entre autres, sur le film Minority Report. Il définit ce nouveau type d’images et parle d’une « image opératoire » : « Son rapport au monde et aux objets […] n’est plus iconique ni indiciel, il est devenu performatif. L’image ne témoigne plus d’une présence […], mais elle agit sur cette présence et entreprend de la modifier. En culture de l’écran, l’image permet une intervention sur le monde. » Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », version en ligne, art. cit., p. 12. http://oic.uqam.ca/fr/print/56656.

41Ce que Holmes appelle son « mind palace »42 est un second exemple de la recontextualisation et du transfert opéré d’une episteme post-darwinienne à notre culture de l’écran. L’une des caractéristiques de cette culture de l’écran est la hantise du « morcellement du sensible » à laquelle répondrait une « logique des flux » qui s’inscrit dans la matérialisation d’une fluidité. Cette interactivité de l’interface écranique vise à faire disparaître cette dernière en tant que dispositif et à lui donner le statut de « processus de connaissance » :

« [Cette image] devenue processus de connaissance […] on la regarde, on la manipule, on s’en sert pour connaître et se reconnaître, et son régime sémiotique singulier impose sa logique associative et relationnelle43. »

42À la manière d’Anderton dans Minority Report44 lorsqu’il devient un chef d’orchestre de l’image sur fond de 8e symphonie de Schubert, Holmes manipule des images, non plus produites par des precogs mais stockées dans son palais mental.

43La logique est bien associative et relationnelle, et l’image manipulée s’inscrit dans une visée performative d’intervention sur le monde. L’interface écranique en tant que dispositif disparaît également puisque l’écran intérieur de ce palais mental se fond avec le dispositif de l’écran qui sépare spectatrices et spectateurs de l’univers fictif de la diégèse. Holmes regarde l’écran de son palais mental dans une position symétrique et en miroir de celle du récepteur (sauf qu’il s’agit là encore d’une illusion car cela impliquerait que les mots apparaissent à l’écran de gauche à droite). Le « mind palace » peut être lu comme une transposition à l’écran de l’ekphrasis sémiotique qui apportait clôture au processus narratif mis en place par Doyle. La subtilité de la transposition réside dans l’adaptation à la fois au médium spécifique qu’est l’image et au contexte de la culture de l’écran. Images et mots deviennent des opérateurs analogues qui participent à une intervention sur le monde fictif renvoyant à son tour, par disparition de l’interface (ce que voit Holmes est ce que nous voyons), à une correspondance entre les deux côtés de l’écran et à une porosité entre personnage et spectateur, fiction et réalité. Chef d’orchestre, maître du jeu, Holmes devient aussi manipulateur d’images mobiles, « I prefer to do my own editing », déclare-t-il d’ailleurs à Kitty, la journaliste manipulée par Moriarty dans « The Reichenbach Fall ».

Sémiotique de l’image
Le récit policier traditionnel repose sur une sémiotique de la lecture. C’est logique puisque le détective est alors une figure du déchiffrement qui va permettre de reconstruire ordre et signification. De plus, on a une correspondance entre le détective-sémiologue et un lecteur-sémiologue (qui avait été établie par Poe et Doyle) qui s’appuie sur une mise en abyme de la lecture et du processus herméneutique. Tout repose donc à l’origine sur la lettre, le texte, et la lecture. Or, le passage d’une fiction textuelle à une fiction visuelle change fondamentalement cette donne. Dans la série Sherlock de la BBC, Moffat et Gatiss n’ont pas cherché à garder ce principe et ils ont joué du processus d’adaptation à ce niveau-là également. Ils assument pleinement la dimension visuelle et les questions qu’elle peut poser (voir Mellier, art. cit.) et substituent toutes les déclinaisons d’une sémiotique du texte en la transposant et en l’adaptant à une sémiotique de l’image. Dans « The Blind Banker », les indices deviennent visuels. À la fin de la saison 2, Holmes orchestre sa propre mort et le « montage » de ce que Watson, synecdoque du récepteur, va voir et croire. Au début de la saison 3, la série propose plusieurs scénarii fictifs qui pourraient expliquer le faux suicide de Sherlock. Assumer la sémiotique de l’image a d’ailleurs eu les mêmes effets que la sémiotique du texte à l’époque de Doyle. Les récepteurs (des textes de Doyle, des épisodes de Moffat et Gatiss) se prennent au jeu et y participent. Le jeu peut, dans un second temps, s’étendre en dehors de la fiction.

Le palais mental.

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« We believe in Sherlock »45

44Sherlock Holmes est devenu une figure mythique car il représentait un compromis permettant de résoudre temporairement une tension résultant d’une crise ontologique déclenchée par l’effet iconoclaste qu’eut la théorie de l’évolution sur les représentations iconiques de l’humain. L’obsession de la trace et du signe était alors directement liée à une perte de sens et de direction du texte-monde. Moffat et Gatiss ont su transposer ce contexte à celui de l’ère post-cybernétique, celle de l’homme augmenté par les biotechnologies et les technologies du numérique, celle de la théorie de l’information où le texte-monde a muté en un monde de l’image.

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45Le jeu avec l’image se déploie dès lors dans plusieurs directions. Jeu avec le texte d’origine, bien sûr, mais aussi jeu avec des effets de fiction spécifiques à l’original qui ont contribué à l’élaboration de la figure mythique en lui conférant une autonomie dans la fiction. Cela dit, le jeu devient plus subtil lorsqu’il relève d’une pratique de la distanciation par la référence. Ainsi, Holmes, esprit encyclopédique, herméneute du texte-monde capable de rétablir du sens, devient Sherlock, dont l’esprit est un disque dur46, qui manipule les images tel un nouveau démiurge ; il évoque (sans l’être) une subjectivité numérique et fait presque disparaître l’interface écranique. Il transforme donc les images en processus de connaissance inscrit dans une fluidité maximale, typique de la culture de l’écran47. Proche de la figure d’une subjectivité numérique en grande partie déshumanisée, le détective démontre sa capacité d’adaptation à un nouveau contexte de crise épistémologique et sa propension à cristalliser les tensions ontologiques propres à une episteme où la rhétorique de l’image et les simulacres du visuel sont les nouveaux vecteurs d’une « inquiétude de soi ».

46Plus intéressant encore pour l’étude de la dimension mythique du personnage : le renouvellement du phénomène de contamination de la réalité par la fiction. Comme lors de ce que l’on nomme le « grand hiatus », c’est-à-dire les dix années au cours desquelles Holmes est « mort » avant de faire son retour en 1903 dans « The Empty House », l’année qui a séparé la diffusion de « The Reichenbach Fall » de celle de « The Empty Hearse » a été l’occasion d’une créativité étonnante dans les communautés de fans sur internet. « We believe in Sherlock », « Tumblr » et consorts se sont littéralement emparés de la matière fictive, et les scénarii sur la mise en scène du suicide de Sherlock ont proliféré sur la toile. À l’ère de l’interactivité numérique, dans une société écranique où les interfaces tendent à disparaître, les créateurs de Sherlock ont immédiatement adapté ce phénomène dans « The Empty Hearse », transformant ainsi la fiction en écho du réel et donnant un tour de vis supplémentaire à la porosité entre fiction et réel, et à l’aura mystérieuse de ce nouveau manipulateur d’images puisqu’aucun des scénarii présentés dans la fiction n’est validé… par la fiction. Si Sherlock n’est pas à proprement parler un détective du futur (car le monde diégétique dans lequel il évolue est similaire au nôtre) il n’en demeure pas moins qu’il a effectué le saut temporel du xixe au xxie siècle, qu’il symbolise toujours des tensions entre ordre ancien et ordre nouveau, et des questionnements relatifs à l’identité humaine ou aux devenirs de l’humain dans une société hyperconnectée où la distinction entre virtuel et réel peut devenir problématique.

47Seconde piste qui contribue dès lors à renouveler le potentiel mythique du personnage : la piste du sujet numérique et de la culture de l’écran réactivée à la fin de la saison 3. Si les trois premières saisons semblent finalement transformer en leurre la société de l’information, et le contrôle des individus et du système par ces mêmes réseaux, le dernier épisode de la saison 3 se clôt sur le retour d’un Moriarty-hacker contrôlant les réseaux de communication et apparaissant sur tous les écrans d’Angleterre simultanément, puis, après le générique final, s’adressant directement aux spectatrices et spectateurs sur le mode de la « vanity card »48.

48Par ailleurs, de la fin du xixe siècle à l’aube du xxie, la réflexion sur l’identité demeure grâce à la représentation d’un Sherlock dont certains traits évoquent le sujet numérique, l’homme augmenté par les nouvelles technologies. Certes, Sherlock n’est pas un Robocop ou un Terminator, mais il demeure que la technique de juxtaposition de mots à l’écran, l’utilisation systématique de faux raccords dans les scènes d’observation de personnages ou de scènes de crime, et les accélérations du débit de parole dans les analyses et déductions du détective nous orientent vers l’homme augmenté. Ce « nouvel homme nouveau », pour reprendre le mot de Robitaille49, s’inscrit aussi pleinement dans la culture de l’écran. De fait, dans son palais mental, Holmes devient l’archétype d’un nouveau rapport à la technique et aux environnements connectés.

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49Les images montrant un Holmes manipulateur d’images évoquent immédiatement un autre personnage pris dans une intrigue policière qui se referme, tel un piège, sur le détective, à savoir Anderton dans Minority Report de Spielberg (basé sur la nouvelle de Philip K. Dick de 1956). On notera en particulier le même phénomène de disparition de l’écran (devenu transparent) et le recours à la main, qui transforment les deux détectives en interface entre le virtuel et le réel. Cette mainmise sur le virtuel et cette capacité à devenir une interface qui occupe un espace de l’entre-deux sont typiques de la culture de l’écran.

50Le passage du Sherlock Holmes de Doyle au Sherlock de la BBC représente un saut d’une crise épistémologique à l’autre, et une métamorphose : d’une enquête sur un texte-monde, où la métaphore du livre donne l’illusion d’une lisibilité de ce dernier, on passe à une enquête sur un monde-réseau, où domine une culture de l’écran qui permet d’introduire une réflexion sur l’image, l’illusion et le simulacre, mais aussi sur la fiction et les abymes qu’elle introduit et qu’elle nourrit par sa réflexivité. Ainsi, dans l’exemple du palais mental, comme dans deux autres scènes où Holmes est devant un écran, situées respectivement dans « The Hounds » et dans « The Great Game », ce sont les spectatrices et spectateurs qui occupent une position spectrale, celle de l’œil de la caméra, située de l’autre côté de l’écran dématérialisé que regarde Sherlock. Notre regard de spectatrice ou spectateur se situe à l’intérieur même de l’ordinateur, en miroir de l’enquêteur. L’écran se rematérialise alors, sa présence est à nouveau surdéterminée, mais uniquement pour le récepteur, ainsi pris dans une posture réflexive, où il est à son tour un être augmenté, un produit du numérique, littéralement « dans » l’ordinateur.

Détectives du futur et variations sur la figure de l’herméneute

51Sherlock est un exemple central car il s’inscrit dans une dynamique d’adaptation et de variation, soit les termes mêmes qu’utilisa Darwin pour définir les processus à l’œuvre dans l’évolution des espèces. Et Linda Hutcheon ne dit pas autre chose lorsqu’elle établit un parallèle entre adaptation filmique et théorie de l’évolution, à la suite de Stam50, et en s’appuyant sur le livre de Dawkins, The Selfish Gene, qui écrit : « La transmission culturelle est analogue à la transmission génétique en ce que, bien que fondamentalement conservatrice, elle peut générer une forme d’évolution. »51 La mue du détective victorien en détective hyperconnecté était donc, en quelque sorte, déjà inscrite dans l’ADN de Sherlock. Pour autant, les nouvelles aventures de Sherlock ne se situent pas dans le futur et il n’est pas exactement un posthumain.

Des détectives plus complexes

52Pour évoquer plus directement les détectives du futur, nous partons d’exemples concrets pris dans des séries post-2000 : Fringe, Dark Angel, Dollhouse, Continuum et Orphan Black, Dark Matter52 et The Expanse, entre autres. De la figure du détective amateur hors du commun que fut Sherlock Holmes, nous passons à diverses déclinaisons de la figure qui vont du simple détective (Orphan Black) aux agents du FBI ou autres corps spécifiques (Fringe, Continuum, Dollhouse), en passant par des figures d’herméneutes qui ne sont pas forcément rattachées à des corps de police ou de surveillance. Nous serons donc également amenés à envisager des déclinaisons de la figure, et plus spécifiquement une extension propre à la société hyperconnectée qui caractérise la culture de l’écran : le personnage du hacker.

53Dans les séries télé, et à l’image de ceux qui les ont précédés dans le temps, les détectives sont certes des figures de l’ordre mais ils renvoient aussi souvent à la marge, voire à la marginalité. Cette dualité ordre/désordre potentielle est, comme on l’a vu, un héritage direct de Sherlock Holmes. On sait en effet que bien qu’il prône une approche rationnelle de la réalité ancrée dans le positivisme, il est par ailleurs une figure de l’esthétisme fin de siècle qui s’inscrit dans le sillage du génie romantique53. Adepte de certaines solutions à 7 %, violoniste virtuose, Holmes pratique la détection comme l’un des beaux-arts et il a une perception esthétique de la réalité. Entre le détective amateur et les figures de la détection contemporaine, le roman noir et le roman d’espionnage ont laissé leur empreinte et les détectives qui apparaissent dans les séries télé ne sont plus des amateurs, sauf s’ils sont consultants de la Police officielle, souvent le FBI.

54Les détectives du futur ont pour point commun d’être des marginaux ou bien de le devenir au cours des épisodes de la série, généralement parce qu’ils ont accepté de faire un pas hors des sentiers battus de « l’inaltérable légalité quotidienne », pour reprendre une partie de la définition du fantastique par Caillois54. Ainsi dans Dollhouse, Paul Ballard, agent du FBI, sera totalement discrédité car personne ne le croit lorsqu’il affirme qu’une société utilise des êtres humains dont elle loue les services après leur avoir vidé le cerveau55 et éradiqué toute personnalité propre pour les remplacer par ce que désire le client : une prostituée, un mari exemplaire, un garde du corps, un braqueur de banque ou tout autre rôle. De même, l’agent Carlos dans Continuum est mis à l’écart dès lors qu’il comprend et admet que sa nouvelle partenaire, l’agent Cameron, vient du futur et a accès à des technologies impossibles à concevoir au xxie siècle. On peut enfin souligner que Miller56 dans The Expanse et le Lieutenant Karl Varik (dit Six dans la série) de Dark Matter sont écartés respectivement de l’Agence de sécurité Star Helix et de la Police intergalactique (GA, pour Galactic Authorities).

55Le cas le plus pertinent est sans doute celui d’Olivia Dunham de Fringe puisqu’elle est à la fois agent du FBI, qu’elle fait partie d’un corps d’élite qui ne traite que les fringe cases, les affaires hors-norme, littéralement à la marge, et renouvelle ainsi les XFiles57 des années 90. Cependant, il ne s’agit plus dans Fringe de prouver l’existence de ces cas puisqu’une section spéciale y est dévolue. De plus, Olivia Dunham a ceci de spécifique qu’elle est elle-même a fringe case, le fruit des expérimentations sur l’humain menées par Walter Bishop, le savant fou de la série, dans les années 1970-1980. En enquêtant sur des affaires hors normes, Olivia Dunham va rapidement partir en quête de sa propre histoire, pour découvrir ses origines.

56La dualité du détective, posée par Doyle avec Sherlock Holmes, se retrouve donc chez les détectives du futur, mais elle évolue chez certains personnages qui deviennent des figures doubles endossant plusieurs rôles archétypiques du roman policier (on se souvient que la typologie du roman policier est relativement simple : détective, victime, coupable)58. Olivia Dunham dans Fringe en est un exemple puisqu’elle est à la fois enquêtrice et victime. Sarah dans Orphan Black est un second exemple. En usurpant l’identité de Beth, elle devient enquêtrice et apprend que celle dont elle a volé l’identité avait découvert qu’elles étaient des clones. Ici encore, la figure du détective est duelle puisque comme avec le personnage d’Œdipe, l’herméneute se découvre victime59.

Enquêter sur ses origines
La figure du détective qui se retrouve à enquêter sur ses propres origines réapparaît dans la série Dark Matter, où le personnage de Two (et les membres de son équipage) a perdu tous ses souvenirs et va graduellement comprendre qu’elle a été conçue par la technologie. Au contraire d’Olivia, elle n’est cependant pas une enquêtrice à proprement parler même si son équipage se transforme en « flics intergalactiques » (S02E11).

57La troisième entité de la typologie du roman policier, le coupable, est généralement associée à la science, et au savant fou. Dans Orphan Black et Dark Angel, nous avons deux exemples de personnages qui représentent les dangers des biotechnologies sur un mode très manichéen. Dans Orphan Black, il s’agit d’un neurologue, le Dr Aldous Leekie, qui évoque très directement le transhumanisme. Il est la figure de proue du mouvement Néolution qui promeut l’amélioration de l’espèce par les biotechnologies, il pratique un discours élitiste et eugéniste, et il représente par ailleurs les dangers du progrès scientifique contrôlé par des intérêts financiers. L’institut Dyad qu’il dirige a non seulement produit clandestinement des clones mais le corps de ces derniers est breveté par ladite multinationale60. Dans Dark Angel, les scientifiques sont deux médecins (Dr Leedacker/ saison 1 et Dr Elizabeth Renfro, dite Madame X/saison 2) qui sont impliqués dans la création d’êtres transgéniques conçus pour devenir des soldats redoutables et quasi indestructibles. Comme dans Orphan Black, saisons 2 à 5, avec la création des clones masculins du projet Castor, la science est assujettie aux intérêts militaires qui se doublent d’intérêts financiers. Ces exemples sont typiques d’une mutation, spécifique à la figure du savant fou, qui s’opère après la Seconde Guerre mondiale. Ce n’est plus un personnage incarnant l’hubris et le désir de toute puissance qui est dénoncé, mais une science contrôlée et financée par des intérêts politiques et économiques61. Dark Matter insiste sur cette facette spécifique puisque dans cet univers futur, des conglomérats tels Dwarf Stars Technologies et Ferrous Corp allient recherches en biotechnologies et contrôle militaire. Ce monde diégétique est en fait défini par les tensions qui opposent ces diverses multinationales qui sont également intergalactiques. La recherche et les innovations scientifiques sont mises au service du plus offrant, même quand ce dernier est une force extragalactique inconnue comme à la fin de la saison 3. La science produit alors des corps synthétiques qui servent d’habitacle aux extraterrestres.

58À l’inverse des figures de scientifiques qui incarnent le mal dans une vision très manichéenne (donc relativement simpliste), à l’image d’Alexander Ross à la tête de Dwarf Stars Technologies, les savants fous de Fringe et Continuum sont de loin plus complexes car ils ne sont pas de simples figurations de la science folle. Ils sont en fait eux-mêmes doubles, et mis en abyme dans la représentation diégétique par le parallèle entre deux temporalités. Walter Bishop s’est livré à des expérimentations sur le vivant plus qu’éthiquement discutables dans les années 1970-1980 et il travaillait alors pour le gouvernement américain. Après 17 années passées dans un asile, c’est un être totalement différent qui réintègre son laboratoire d’Harvard lors des premiers épisodes de la saison 1. Alec Sadler, le savant fou de Continuum, est présent dans les deux temps diégétiques avec lesquels joue la série, 2077 et 2012. En 2077, il est une figure de la science associée à un pouvoir totalitaire et hégémonique tandis qu’en 2012, c’est une figure naïve qui en est aux balbutiements scientifiques des recherches sur lesquelles il va construire un empire.

59De la fin xixe au début du xxie siècle, le détective reste marqué du sceau de la dualité. Figure de l’ordre collectif par son appartenance à divers corps policiers, il demeure également une figure de la déviance individuelle, une figure souvent duelle, qui renvoie à la fois à l’enquêteur et à la victime, et induit une réflexion sur l’origine et l’identité, la sienne propre étant souvent l’enjeu de la quête/enquête. Orphan Black, Dark Angel ou Fringe sont bien avant tout des « affaires d’identité », pour reprendre le titre de la nouvelle de Doyle. La science est bien entendu représentée dans les fictions mettant en scène les détectives du futur car elle est souvent à l’origine de la dimension dystopique et/ou post-cataclysmique des séries. Elle incarne alors le coupable de la typologie du récit policier, et, comme dans le policier où coupable et enquêteur renvoient l’un à l’autre, les liens entre détective du futur et science sont souvent complexes, comme le montrera le focus sur Fringe et celle du personnage de Josephus Miller dans The Expanse.

Détectives et hackeurs

60Le détective et/ou l’herméneute du futur atteste aussi parfois d’une évolution de la figure spécifique au numérique et à la culture de l’écran. Ainsi, dans de nombreuses séries, l’herméneute est un cybercriminel ou un hacker et ce dernier, en particulier, est l’héritier du détective. Le hacker s’inscrit dans cette filiation car il code ou décode, au sens propre du codage informatique mais aussi au sens figuré du déchiffrement de l’énigme. Il est la nouvelle figure de l’exploration (du ou des réseaux), de l’interprétation (des codes, soit proche du décryptage), et, comme le détective est une figure de la dualité, il est souvent lié à la transgression ou aux marges. Le hacker peut renvoyer au criminel dans la typologie du récit policier et les effets de miroir entre détective et criminel se retrouvent entre détective du futur et hacker. La figure du cybercriminel illustre également la tension entre risques politiques et sociaux inhérents au pouvoir technologique, d’une part, et révolte ou résistance à un pouvoir hégémonique, d’autre part. Trois exemples principaux de la figure vont émailler cette analyse : Moriarty dans la série Sherlock, Logan de Dark Angel, et Five de Dark Matter. Nous ferons également allusion à Mr. Robot, même si une analyse plus précise de cette série clôt le chapitre 4, et à Nomi dans Sense8, série qui fait l’objet du dernier focus du chapitre 5.

61Dans Dark Angel, le personnage de Logan est, à l’extrême inverse, très clairement un hacker-justicier qui tente par le recours au piratage de diffuser un message alternatif à l’information distillée par la propagande gouvernementale. On pourrait dire que le personnage de Five dans Dark Matter se situe à mi-chemin entre Logan et Moriarty car elle reste une figure de la transgression. En effet, elle fait partie de l’équipage du Raza regroupant les criminels les plus recherchés dans la galaxie. Cependant, le groupe devient aussi emblématique de la résistance politique au contrôle des conglomérats qui font la pluie et le beau temps de ce monde futur.

Sherlock et les hackers
Dans Sherlock, la figure du hacker présentant un danger pour l’ordre et la loi n’est pas incarnée par le détective mais plutôt par le criminel, Moriarty, en particulier dans le dernier épisode de la saison 2, intitulé « The Reichenbach Fall » (qui renvoie à la nouvelle « The Final Problem » de Doyle). Cependant, le contrôle de l’information n’est pas la prérogative de Moriarty, et la dualité entre Sherlock et son double négatif a été très judicieusement déplacée dans l’univers du virtuel et du réseautage par Moffat et Gatiss. Avec le Sherlock de la BBC, la dualité du personnage du hacker se cristallise dans l’effet miroir entre enquêteur et criminel, phénomène de dédoublement qui s’opère entre Moriarty-cybercriminel et Sherlock-justicier aux multiples pouvoirs, tous deux plus ou moins hackers, tous deux à la marge. Cet effet de doppelganger était déjà présent dans les nouvelles de Doyle.

62Commençons par nous arrêter sur les trois personnages qui viennent d’être évoqués et privilégions le plus manichéen d’entre eux, Logan. Ce personnage pratique la détection, dans le cadre de sa relation avec Max, puisqu’il va enquêter sur ses origines. Mais, c’est avant tout un détective justicier régnant sur les derniers vestiges de liberté d’expression que la diégèse de Dark Angel propose. Dans le monde post-cataclysmique que met en scène la série, Logan Cale est en effet un journaliste, vilain petit canard d’une famille très riche au service du pouvoir en place. Il se présente comme le dernier bastion de la liberté de parole et dénonce régulièrement les manipulations et autres magouilles du pouvoir politique en place. Son statut de hacker est résumé dans les flashs d’information qu’il fait passer sur les ondes hertziennes en les piratant.

63Logan cache son identité derrière une expression : Eyes Only, traduite en français par « le veilleur », une traduction qui gomme l’ultra-confidentialité. Cette référence est pourtant une allusion ironique à une société de surveillance et de contrôle et elle constitue un bel exemple de détournement. De fait, la référence à Big Brother est ici explicite si ce n’est que l’écran de surveillance de 1984 d’Orwell est transformé en son contraire, une fenêtre qui ouvre encore sur un espace de liberté dans un monde dystopique au pouvoir politique corrompu.

« Eyes only ».

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64Logan se sert aussi régulièrement de ses connaissances en informatique pour pirater des lieux et systèmes protégés. Il s’apparente alors à un personnage qui devient récurrent dans les séries télé de ces dernières années, l’informaticien-hacker au service d’une équipe d’enquêteurs spéciaux. On peut penser à Tosh dans la série BBC Torchwood, à Mayko Tran dans la série canadienne Regenesis62, à Astrid Farnsworth dans Fringe, ou à Harold Finch et Root dans Person of Interest. Ces personnages sont tous amenés à pirater des réseaux officiels et gouvernementaux, généralement ceux de la CIA, de la NASA ou de l’armée. Non seulement ils y parviennent généralement mais l’acte de piratage est présenté comme un impératif inévitable et visant le bien de l’humanité. L’implicite de ces séries est dès lors que les nouvelles technologies mises au service de l’état mènent à des situations de monopole et de contrôle des individus ou du collectif démocratiquement discutables. Le hacker incarne une rébellion politiquement justifiée, il se transforme en justicier de la démocratie qui s’oppose au contrôle des êtres par de nouvelles technologies toujours au service d’un pouvoir dominé par les enjeux de l’économie de marché63. La symbolique du labyrinthe se cristallise et le réseau devient un symbole de contrôle panoptique.

65Pour revenir au cas Logan, il est par ailleurs emblématique d’une tendance commune à ce type de personnage. Le hacker-justicier est en effet souvent un être chez qui apparaît une disparité entre corps et esprit. La capacité à maîtriser réseaux et systèmes de l’univers du virtuel semble alors symptomatique et synonymique d’une tentation du pur esprit qui s’accompagne fréquemment d’un handicap physique ou du moins d’une réduction du corps ou des capacités corporelles. De ce point de vue, Logan est quasiment stéréotypique puisqu’il perd l’usage de ses jambes dès le début de la saison 1, passe la majeure partie de cette dernière dans un fauteuil roulant et ne retrouve l’usage de ses jambes (et sa virilité) que grâce à un exosquelette qui l’apparente alors au cyborg. Cette prothèse technologique le rapproche ainsi de la mutante qu’est Max, la jeune femme génétiquement modifiée, qui, elle, renvoie à une autre caractéristique typique des fictions du posthumain64, celle des mutations monstrueuses et éthiquement discutables rendues possibles par les biotechnologies.

66Le cas de Moriarty dans Sherlock nous fournit un contre-exemple de ce que nous venons d’avancer. En effet, nulle volonté de résistance à un pouvoir hégémonique et corrompu dans le Londres contemporain que nous propose la série. Moriarty est un criminel qui se sert de toutes les ressources à sa disposition pour pratiquer ses activités professionnelles illicites. Dans ce second cas, le hacker est réduit à la figure du cybercriminel qui met en échec tous les réseaux de contrôle que la société peut mettre en place pour protéger des intérêts avant tout économiques. La séquence la plus emblématique de cette dimension est sans doute celle du vol des bijoux de la couronne.

67Cet épisode souligne que l’arme principale du hacker est le contrôle du réseau. Tout comme Doyle faisait déjà de Moriarty et de Holmes des araignées veillant au centre de leur toile, réactives au moindre frémissement parcourant l’un de ces fils, le Moriarty du xxie siècle n’utilise plus le télégramme et les petites annonces mais il contrôle toujours les réseaux de communications qui maillent la métropole.

68La série Sherlock propose une approche spécifique du piratage. En effet, la menace associée au cybercriminel Moriarty est un leurre, une tentation à laquelle le cyberdétective (si tant est que l’on puisse réellement qualifier Sherlock de cyberdétective) ne résiste pas. Ainsi le code censé permettre de pirater les lieux les plus protégés de la capitale londonienne est une fausse piste qui occulte le véritable enjeu, et déplace l’opposition entre virtuel et réel vers une opposition bien plus traditionnelle entre fiction-simulacre et réalité que nous avons déjà évoquée. Moriarty est un hacker d’image : il manipule l’image de Sherlock par un processus de fictionnalisation qu’il orchestre tel un hacker du réel (ici, la réalité diégétique). Ce processus de fictionnalisation de la réalité diégétique apparaît dans un premier temps dans l’épisode par l’entremise de références récurrentes au conte de fées (saison 2, épisode 3, 45 : 00-47 : 15).

69Poser (et ainsi piéger) le détective par l’entremise de la fiction n’est en fait pas une idée nouvelle puisque la critique a déjà démontré que les enquêtes de Sherlock Holmes dans l’œuvre de Doyle, et le processus logico-déductif qui caractérise le raisonnement du célèbre détective, peuvent être analysés comme des fictions que le texte impose au réel représenté65. Ici encore, Moriarty prendrait donc Sherlock à son propre piège. Dans les enquêtes écrites par Doyle, Sherlock Holmes impose une image restaurée et rassurante de la réalité par le langage66 dans le microrécit de clôture. La fiction se justifie ainsi par elle-même sur le mode d’une ekphrasis sémiotique, et le réel n’est plus une valeur considérée dans l’équation. Dans la version BBC, Moriarty se sert du simulacre sur lequel repose la dynamique du récit policier pour transformer à son tour le détective en simulacre, en manipulateur du réel qui a créé de toutes pièces une fiction, celle du cybercriminel Moriarty. Ce processus de fictionnalisation permet de réintroduire le brouillage entre détective et criminel en le déplaçant vers un questionnement relatif à l’identité. Dans la scène finale de « The Reichenbach Fall », la dimension janusienne détective/criminel est ainsi clairement soulignée par la récurrence du questionnement sur l’identité puisque Moriarty et Sherlock se déclarent être l’autre (« I am you »/ « You are me »)67. Créateur d’une fiction qui vise à pirater l’image de Holmes, Moriarty meurt et pousse Holmes au « suicide ». Le piratage par la fiction a donc opéré et conduit à un anéantissement du réel. La vie n’est plus qu’une donnée dont on peut disposer pour maquiller des apparences, créer un simulacre du réel. La série Sherlock introduit un aspect qui pose vraiment question – et que la série ne vise pas à résoudre d’ailleurs – puisqu’elle propose en fait une réflexion sur les pouvoirs respectifs du virtuel et de la fiction. Le virtuel est présenté comme un outil, une prothèse qui augmente l’individu qu’il soit détective ou criminel, mais nous reviendrons sur le virtuel dans un chapitre ultérieur.

Saison 2, épisode 3, 6 : 37-9 : 21.

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Réalité et fiction
La série Sherlock joue de la porosité entre fiction et réalité dans la diégèse, en particulier dans l’épisode 1 de la saison 3. Au terme de la saison 2, Moriarty a vaincu Sherlock en créant une fiction. Le détective répond à ce leurre fictionnel en créant à son tour une autre fiction, celle de sa mort. Or, cette fiction de la mort du détective renvoie à la disparition de Sherlock Holmes dans les nouvelles de Doyle, mise en scène dans « The Final Problem », et qui donna lieu (dans le réel) à de très nombreuses protestations (au point que Doyle fut obligé de « ressusciter » son détective. Le jeu proposé dans la série devient très intéressant lorsque l’on constate au début de la saison 3 que les créateurs du Sherlock de la BBC ont réintégré dans leur diégèse l’activité (bien réelle) des fans de la série qui avaient proposé des scénarii pour expliquer ce faux suicide du personnage. Ils imaginent donc un groupe de personnages dans la fiction qui s’est livré au même type d’élaboration de scénarii visant à expliquer la non-disparition du détective. Ce point est d’autant plus pertinent lorsque l’on se souvient que du vivant de Conan Doyle, cette contamination entre fiction et réel était déjà l’une des caractéristiques de la production sérielle de Doyle. Le 221BBaker Street recevait alors (et continua à recevoir d’ailleurs) des lettres demandant l’aide de Sherlock Holmes comme si l’adresse fictive et le détective existaient réellement.

70Notre troisième cas, celui de Five dans Dark Matter, reprend des traits déjà évoqués chez Logan. Elle est orpheline68, et on apprend dans la saison 1 qu’elle faisait partie d’un groupe de gamins des rues dont la survie était assurée par de petits larcins. Elle ne découvre son passé que progressivement, et incarne également la quête d’identité que l’on retrouve chez les personnages herméneutes et autres détectives du futur. Dès le départ, elle est associée à la débrouillardise et révèle des aptitudes pour tout ce qui touche à l’électronique et à la technologie. Par ailleurs, dans l’équipage du Raza, caractérisé par une aptitude certaine aux diverses techniques de combat et donc doté de corps musclés et athlétiques, elle se singularise. Elle est une jeune fille de 16 ans à qui ses co-équipières et co-équipiers rappellent à loisir qu’elle n’a pas leur force et leur résistance physique (elle est régulièrement rappelée à son statut de kid). Elle se situe donc bien dans une représentation du hacker inscrite dans l’opposition entre corps et esprit, un corps aux capacités réduites par rapport aux prouesses informatiques réalisées, mais un corps qui lui permet à plusieurs reprises de se cacher dans des réseaux de tuyaux et autres espaces confinés et ainsi de sauver la mise au Raza.

71Autre spécificité qui confirme la proximité de Five avec le numérique, elle est l’un des personnages le plus proche de l’androïde69, elle la seconde souvent aux commandes du vaisseau (en particulier saison 3), instrumentalise le double de l’androïde (S02E03) et le système central du vaisseau spatial n’a pas de secret pour elle. Elle se connecte d’ailleurs à ce dernier par un lien neuronal (neural link), qui témoigne de l’hybridation numérique/organique à l’œuvre. Elle aura ainsi accès aux souvenirs occultés des autres personnages qui sont stockés dans l’ordinateur central du vaisseau. C’est aussi Five qui, dans la saison 3, parvient à restaurer la « conscience numérique » de Sarah, à la télécharger dans un espace virtuel du vaisseau (S03E03) et donc à lui redonner une vie « virtuelle », en tant que programme informatique (« alive as a computer program ») et la capacité à créer son propre environnement virtuel. Five est donc un cas spécifique au sens où elle incarne une relation fluide et constructive entre numérique et organique. Elle est vecteur de cohésion et d’un rapport harmonieux entre êtres humains et entités liées au numérique et/ou à la technologie.

Five dans Dark Matter.

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72La récurrence du hacker dans les séries télé montre que le personnage occupe une place de choix en fiction de l’imaginaire et qu’il est souvent lié à une démarche herméneutique. Il reste une figure de la navigation, au double sens que ce terme a acquis (le pirate s’inscrit dans le sillage de ses ancêtres des xviie et xviiie siècles, mais le hacker navigue dans des espaces virtuels). Il est associé au flux, à la circulation rapide sur les réseaux, et comporte un potentiel transgressif mais il peut tout aussi bien s’apparenter à une figure de la résistance. En ce sens, on peut remarquer la proximité du hacker avec des personnages de justicier ou de rebelle qui, d’une façon ou d’une autre, se distancient de l’autorité en place. Si l’influence du récit d’aventures est indéniablement présente en filigrane dans cette proximité entre hacking, détection et justice, c’est que le hacker descend du pirate, mais c’est sans doute également que la dimension politique et économique spécifique au personnage doit, pour le plaisir du texte ou de la série, être quelque peu compensée par une dynamique plus ludique70.

Le hacker : nouvelle figure mythique ?
Le hacker s’inscrit dans la filiation du pirate et le personnage renvoie à la navigation et au genre du récit d’aventure. On peut lui associer l’élément liquide, la fluidité et donc le flux. Il n’est alors pas étonnant que le pirate du passé se réincarne en pirate dans notre monde contemporain et que les mers et les océans laissent place aux espaces du virtuel et des réseaux. On retrouve aussi la dimension transgressive du hors-la-loi dans cette filiation. L’exemple le plus intéressant de ce type de personnage en fiction sérielle est celui d’Elliot dans Mr. Robot, qui fait l’objet d’un Focus. Le hacker sait s’orienter dans un réseau, trope que l’on peut aussi faire remonter à la mythologie tout comme la démarche herméneutique. Il est associé à une dynamique d’exploration et introduit souvent une réflexion sur l’identité, individuelle et/ou collective, indissociable de la démarche herméneutique. La persistance de schèmes mythiques et l’omniprésence du personnage du hacker dans la littérature et les arts visuels contemporains pourraient conduire à interroger la dimension mythique du personnage. Le hacker est-il une nouvelle figure mythique spécifique à l’ère du numérique qui serait l’équivalent des questionnements que déclenche le cyborg depuis la révolution cybernétique ?

73Si les détectives du futur permettent d’explorer des devenirs possibles de l’humain, c’est souvent avec des personnages qui sont des figures d’herméneutes, pouvant aller du justicier au véritable détective en passant par plusieurs déclinaisons et variations. C’est finalement peu étonnant puisque l’herméneute incarne le déchiffrement, le décodage, l’interprétation, des dynamiques que nous pourrions résumer par la notion d’exploration et de dévoilement. La démarche des détectives du futur a été privilégiée jusqu’à présent, mais il nous reste à explorer les mondes fictifs que nous présentent ces diégèses futuristes. Si la notion de « post » s’applique à l’humain et peut conduire à une remise en question de l’identité humaine, l’après concerne aussi le monde représenté, un monde futur lui-même en métamorphose, ou bien un monde dans lequel une forme de rupture s’est déjà opérée.

74Le postcataclysme est souvent (mais pas nécessairement) le corollaire du posthumain et les détectives et autres herméneutes du futur évoluent dans des mondes menacés, voire déjà partiellement détruits. Il nous faut donc faire un détour par ces univers diégétiques. Nous allons voir que les diégèses postcataclysmiques impliquent également un rapport spécifique au temps et à l’H/histoire71, d’autant plus si l’on prend aussi en considération la dimension extradiégétique inhérente à la SF72 lorsqu’elle propose une anamorphose renvoyant au monde des spectatrices et spectateurs.

Focus : le cas Fringe

75Fringe est sans doute l’un des exemples les plus accomplis de séries hybridant récit policier et de science-fiction, où, pour évoquer les figures mythiques associées aux genres, détectives et savants fous. Au fil de ses cinq saisons, mais surtout dans les premières, elle a élaboré une mythologie73 qui nous conduit dans des univers parallèles, nous fait voyager dans le temps et, plus généralement, reprend tous les motifs de l’inexpliqué. Le générique annonce d’ailleurs cette exploration systématique des tropes de l’imaginaire scientifique : de la pyrokinésie (S01E19) à la téléportation (S01E10) en passant par les nanotechnologies, sans oublier une galerie de monstres et autres mutations liés aux biotechnologies. La série s’appuie en outre sur la formule « une enquête par épisode », tout en développant au fil des saisons un arc narratif macroscopique qui repose à la fois sur les fondements de la physique quantique et des univers multiples, mais aussi sur un schème récurrent de la science-fiction : la menace d’une invasion extraterrestre. Enfin, la cinquième saison acquiert également une forme d’autonomie par rapport aux saisons qui la précèdent : elle constitue une entité distincte du fait d’une diégèse qui nous entraîne dans un monde futur et dystopique, qui est aussi une possibilité future du monde.

Générique de Fringe.

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76La science est au cœur de Fringe et de sa division spéciale composée d’un savant (fou ?) et d’une enquêtrice du FBI, d’une vache et du fi ls quelque peu asocial (et spécialisé dans l’arnaque) dudit savant. Ce personnage de savant fou est l’un des plus aboutis des séries de la décennie 2000-2010, entre autres parce qu’il est ancré dans la dualité dès la première saison et que cette dimension est filée tout au long de la série. La plupart des enquêtes de la Fringe Division (plus spécifiquement de la saison 1 à 4) s’avèrent liées aux travaux que Walter Bishop mena à l’Université Harvard avec William Bell entre 1970 et 1985. Deux temporalités diégétiques s’articulent ainsi dès le départ : elles introduisent une continuité entre, d’une part, la guerre froide et son manichéisme politique74 et, d’autre part, les dangers contemporains que le pouvoir démesuré et les prérogatives de multinationales privées telles que Massive Dynamics75 peuvent déclencher. Les travaux de Walter Bishop, dans ces années de guerre froide, renvoient systématiquement à une recherche scientifique qui ne s’embarrasse pas de considérations éthiques, que ce soit dans ses pratiques d’expérimentation sur des enfants de trois ans, ou dans son recours à toutes sortes de produits psychotropes, sans compter le programme gouvernemental de création de soldats « augmentés ».

77La série présente la particularité de construire un monde fictif qui va graduellement se resserrer autour des trois personnages principaux : ces derniers constituent l’origine mais également le moteur de l’ensemble de la diégèse. Par ailleurs, les protagonistes sont au fondement à la fois de l’arc narratif macroscopique, mais aussi de la mythologie sérielle qui s’élabore au fil des saisons, une mythologie qui n’est pas sans rappeler celle des autres séries créées par J. J. Abrams (ou auxquelles il a participé). D’Alias (J. J. Abrams, ABC, 2001-2006) à LOST (J. J. Abrams, Damon Lindelof et Jeffrey Lieber, ABC, 2004-2010), on remarque une dynamique commune dans l’élaboration d’un substrat mythique spécifique qui nourrit la forme sérielle, lui confère une assise, et assure des possibles narratifs et fictionnels qui s’inscrivent dans les analyses théoriques de Marie-Laure Ryan76 et la « logique des possibles (mondains) » d’Alain Boillat77.

78Le pilote commence in medias res dans un avion, ce qui ne peut manquer de faire penser à LOST, d’autant que cet avion (le vol 627 et non plus 815) va s’écraser dès les premières minutes de l’épisode. Ce n’est cependant pas la dynamique de l’aventure et de la robinsonnade qui s’enclenche ensuite, mais une esthétique claustrophobe de l’enfermement, de la contamination et de l’horreur. La première scène de crime de la série propose ainsi un avion rempli de cadavres en décomposition et ayant été exposés à une substance non identifiée. On note d’ailleurs que la possibilité d’une menace terroriste est immédiatement écartée (« Who says it’s terrorism ? », déclare Olivia lors de la découverte de l’intérieur de l’avion). Sans surprise non plus, l’héroïne apparaît dès le départ sous les traits d’une jeune recrue du FBI décidée à prouver à ses supérieurs hiérarchiques masculins qu’elle est à la hauteur de la situation78.

La dynamique de Fringe
En pilote assez classique, le premier épisode de la série pose à la fois la formule de l’enquête scientifique, qui va se répéter d’épisode en épisode, et amorce la constitution de l’équipe de détectives récurrente dans les cinq saisons. Les enquêtes sont directement liées à la recherche scientifique représentée par un savant fou, Walter Bishop, qui incarne la folie et l’amnésie, et une multinationale, Massive Dynamics, spécialisée en biotechnologie et dirigée par le mystérieux William Bell, qui n’apparaît qu’au terme de l’épisode « There’s More Than One of Everything » (S01E20). On découvre alors un monde parallèle (soit la possibilité d’autres mondes) dans lequel les tours du World Trade Center sont intactes. Les première et deuxième saisons de Fringe maintiennent par ailleurs systématiquement le suspense sur William Bell, Nina Sharp et le rôle qu’ils jouent réellement dans les événements de plus en plus inquiétants qui se produisent. Ces événements en viennent à cristalliser la menace qui pèse sur l’ensemble de l’univers diégétique, du fait de la transgression du seuil entre les deux univers parallèles dont Walter Bishop porte la responsabilité. On note aussi que Broyles (qui est à la tête de la Fringe Division) reste en partie ambigu lors des deux premières saisons et semble partager avec Nina Sharp des informations auxquelles les autres personnages n’ont pas forcément accès. Se construit ainsi progressivement une aura de mystère qui participe d’une dichotomie entre initiés et non-initiés, accès partiel ou non à la connaissance, où les personnages principaux découvrent progressivement et en même temps que la spectature un certain nombre de principes qui vont s’avérer définitoires et structurants du monde fictionnel de plus en plus complexe construit par la série. Cette initiation progressive, outre le suspense qu’elle contribue à maintenir, participe également à l’élaboration d’une mythologie qui s’inscrit dans la même complexité.

79À partir de ce moment, chaque épisode propose une enquête spécifique sur un phénomène inexpliqué et apparemment inexplicable (un fringe event)79, mais en lien avec la science, ce qui nous situe entre The X-Files80 et Supernatural81, même si l’ineffable est davantage lié à la science et aux progrès technologiques qu’au fantastique et à son bestiaire82. La dimension science-fictionnelle passe aussi par l’existence d’univers parallèles (saisons 2 et 3) et par le monde dystopique et post-cataclysmique des observateurs (saison 5). Précisons que les observateurs apparaissent dès la saison 1, ce sont des personnages chauves, munis d’engins de mesure et/ou de carnets de notes indéchiffrables qui apparaissent souvent sur les lieux des fringe events. Par ailleurs, ces explorations d’univers et de réalités alternatives se doublent de voyages dans le temps, ce qui provoque parfois la ré-écriture de certaines trames temporelles et narratives, et ce de diverses manières. Par exemple, au terme de la première saison, les tours jumelles du World Trade Center sont toujours debout dans l’univers alternatif : l’histoire s’est donc déroulée différemment dans cet univers-là. Autre possibilité dans ces variations : le récit peut être modifié par l’intervention des personnages, on pense à la saison 4 qui est une ré-écriture du scénario des saisons précédentes sans l’un des personnages principaux ; ou aux observateurs qui ont changé le cours du temps dans la saison 2 et compensent cette « erreur » en sauvant Walter et le Peter du monde alternatif comme le montre l’analepse de l’épisode « Peter » (S02E16). Une autre modification possible consiste en une catastrophe qui introduit une dimension post-cataclysmique et une société dystopique orwellienne contrôlée par les observateurs, comme dans la saison 5. Ce travail sur les déclinaisons possibles du monde se met généralement en place à l’échelle d’une saison, mais on notera un cas spécifique : l’épisode « The Day We Died » (S03E22), où Peter se retrouve en 2026, dans une version possible du futur où il fait partie de la résistance et assiste à la mort d’Olivia. On constate d’emblée que l’arc macroscopique qui se déploie sur l’ensemble des cinq saisons est complexifié par ces variations sur les possibles de la fiction.

80Fringe est résolument ancrée dans la dynamique narrative de l’enquête (aussi bien dans sa dimension épisodique que dans l’arc macroscopique des cinq saisons, et sur le mode de la synecdoque, dans la cinquième saison plus spécifiquement). Cependant, la logique de l’enquête fait graduellement évoluer spectatrices et spectateurs d’une rhétorique du surgissement de l’inexplicable dans « l’inaltérable légalité quotidienne »83 (rhétorique propre au fantastique) vers un univers post-cataclysmique et dystopique relevant strictement de la science-fiction. Les détectives de l’étrange84 deviennent ainsi des détectives du futur. Nous allons nous arrêter sur les saisons 1, 2 et 3, car ces dernières permettent d’analyser la construction progressive d’une « défamiliarisation cognitive » qui conduit au novum de la fin de la deuxième saison, l’accès à l’univers parallèle, et le passage du fantastique au genre science-fictionnel.

81La formule de l’enquête persiste au fil des saisons et se répète d’épisode en épisode. Cependant, l’expression the pattern apparaît dès le pilote85. Ce motif du « schéma » constitue dans un premier temps un fil conducteur entre les différents fringe events, mais il introduit ensuite la possibilité d’un faire sens qui annihilerait l’inassimilable lié à chaque fringe event pour le réinscrire dans un autre possible fictif. Ce schéma devient ainsi un vecteur de signification. Les fragments épars vont s’inscrire dans un cadre signifiant, qui est d’ailleurs concrètement représenté par la récurrence de fenêtres, portails et autres écrans, autant de variations sur le motif de l’ekphrasis qui mettent aussi en abyme la posture de récepteur. Le motif du schéma va par exemple s’avérer central pour comprendre ce que manigancent ZFT et Jones (les « méchants » de la saison 1), et finalement accéder à l’un des lieux clés de la série, Reiden Lake, où Walter créa pour la première fois la « fenêtre » qu’il utilisa pour passer de son monde au monde alternatif d’où il ramènera Peter86. Le schéma (pattern) est un motif structurant qui contribue au passage du fantastique (chaque fringe event et l’enquête à laquelle il donne lieu restent isolés dans la structure de l’épisode) à la science-fiction (l’existence de l’univers alternatif et la menace du cataclysme qui mène à un univers dystopique). Le schéma construit donc métonymiquement l’univers alternatif. La détection mène à la SF.

Défamiliarisation
On se souvient que, dans sa définition de la science-fiction, Suvin reprend à Brecht son concept d’effet de défamiliarisation (Verfremdungseffekt), dont la définition est : « A representation which estranges is one which allows us to recognize its subject, but at the same time makes it seem unfamiliar/Une représentation qui nous défamiliarise implique à la fois une reconnaissance du sujet qui nous paraîtra étranger dans le même temps (nous traduisons) » (Suvin). Or, cette définition pourrait parfaitement s’appliquer au fantastique, en particulier dans son approche freudienne via l’inquiétante étrangeté (unheimlich). La défamiliarisation est, de fait, une notion problématique (et c’est sans doute aussi ce qui fait son intérêt) tant elle s’applique au fantastique tout aussi bien qu’à la science-fiction.

82Dans Fringe, la tension entre familier et étranger, reconnaissance et mise à distance, est bien omniprésente, et devient centrale dès l’introduction des doppelgangers, le couple Walter/Walternate dans la saison 2, mais aussi celui constitué d’Olivia et de Fauxlivia, les deux personnages étant qui plus est joués par les mêmes acteurs. Cette perspective duelle s’étend rapidement à l’ensemble de l’univers fictif puisque ce dernier est littéralement dédoublé87. Pourtant, la spectatrice et le spectateur acceptent cette dualité, car elle est justifiée par la science. Cette dimension causale contribue à nouveau à nous faire basculer du côté de la science-fiction. On constate cependant à nouveau que Fringe explore bien les frontières sous toutes leurs formes y compris génériques, et ce de sa diégèse à ses signes paratextuels (les images du générique et les couleurs utilisées ont été beaucoup commentées), son titre (le terme fringe pointe d’emblée vers la liminalité) étant repris dans les expressions fringe Science et fringe event.

83Dernière spécificité de cette série, la cinquième saison constitue une entité autonome qui s’apparente à une anthologie par son arc narratif spécifique et indépendant. Les détectives sont bien « dans le futur », la saison est structurée par une dynamique de la quête/enquête (voire du jeu de piste ou de la chasse au trésor), mais elle est à réinscrire dans le cadre générique de la science-fiction puisqu’elle se déroule dans un univers futur dystopique. Enfin, la question du temps y devient centrale puisque la saison 5 se termine par un reboot temporel qui clôt et justifie la saison 5 mais aussi l’ensemble de la série.

84La science est souvent le vecteur qui va transformer un simple agent du FBI en détective du futur. Dans les séries du corpus, l’état futur du monde est souvent la résultante de découvertes scientifiques qui modifient l’être et le monde. Les détectives du futur cohabitent alors avec des savants fous, et c’est le cas dans Fringe :

« Peter : Let me ask you something. My father, not my favorite. He is without a doubt the most self-absorbed, twisted, abusive, brilliant, myopic son-of-a-bitch on the planet. So he was a chemist. That much I already know. He worked out of a basement lab in Harvard, doing research for a toothpaste company.
Olivia : He worked out of Harvard, but not on toothpaste. He was a part of a classified US Army experimental program called Kelvin Genetics. They gave him the resources to do whatever work he wanted. Which was primarily in an area called “fringe science”.
Peter : When you say “fringe science”, you mean pseudo-science.
Olivia : I suppose. Things like mind control, teleportation, astral projection. Invisibility, genetic mutation, re-animation, fertility…
Peter : Whoa, excuse me for a second. Re-animation, really ? So you’re telling me… what ? My father was
Dr Frankenstein ? (S01E01). »

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85Ce dialogue pose immédiatement le personnage du savant fou dans la filiation du Dr Frankenstein et introduit cette référence intertextuelle sur le mode ludique du cliché. Pourtant ce clin d’œil au père de tous les savants fous va s’avérer central. En effet, la figure est développée d’une façon spécifique. Les saisons 1 et 2 reposent sur le motif de la dualité et en proposent une déclinaison. D’une part une duplication temporelle : les années de Walter Bishop à Harvard dans l’après-guerre froide (l’accès à cette période passe quasi systématiquement par l’ekphrasis et la mise en abyme) et le temps contemporain de la diégèse, lorsque Walter réintègre son ancien laboratoire d’Harvard sous la tutelle d’Olivia Dunham et du FBI. D’autre part, la présence de deux espaces-temps constitués des réalités parallèles des univers qui risquent de s’annihiler l’une l’autre. Les saisons 2 et 3 jouent de cette dualité, par exemple en alternant les épisodes qui se déroulent dans l’univers premier et ceux qui se déroulent dans l’univers alternatif. Les génériques sont alors spécifiques et adoptent une couleur différente (rouge ou bleu) en fonction de l’univers dans lequel se déroule l’épisode. Enfin, nous avons aussi deux visions de la science introduites par ces « deux Walters », qui sont, dans un premier temps, opposés. Dans le monde de Walternate, ce n’est pas William Bell qui a fondé la multinationale Massive Dynamics mais Walter Bishop qui est devenu secretary of Defense, l’homme clé du gouvernement. Le Walter de la saison 1 incarne dès lors le savant fou isolé, incompris, qui s’engage progressivement dans un processus de repentance, tandis que Walternate renvoie à une vision de la science devenue motrice de nos sociétés contemporaines, « une » science qui devient également une entité désincarnée s’inscrivant dans l’évolution de la figure du savant fou vers le motif de la science folle, telle qu’Elaine Després l’a montrée dans son ouvrage88.

86En fait, la série associe avant tout le progrès scientifique et technologique à la transgression des frontières, en particulier la tentation de s’arroger les prérogatives du divin. On retrouve certes le motif de l’hubris et la culpabilité individuelle du savant ayant outrepassé les limites de l’humain, mais le Walter Bishop qu’Olivia libère de l’asile d’aliénés engage par ailleurs un processus de retour sur soi, une véritable crise existentielle, qui n’est pas la première, puisque les conséquences de sa transgression l’avaient déjà conduit à se faire retirer certaines parties de son cerveau. Le Walter des premières saisons est donc tour à tour l’esprit brillant qu’il était par le passé, mais aussi un véritable enfant qui ne peut se passer de ses sucreries (même au milieu des cadavres les plus abjects), qui ne peut quitter son laboratoire sans déclencher une catastrophe et qui tente d’oublier son absence d’éthique en recourant à divers psychotropes (de la Black Betty au Black Blotter), qu’il confectionne aussi parfois sur ses paillasses. Malgré le vernis burlesque de la plupart de ces scènes, lors de ce que Walter appelle le pastry attack de l’épisode « There’s More Than One of Everything » (S01E20), Olivia le met néanmoins face à ses responsabilités en l’accusant d’avoir détruit la vie des enfants qu’il utilisa comme cobayes vivants dans les années 1970. L’hubris associée au personnage du savant fou migre en fait de Walter Bishop à William Bell, en particulier dans la saison 4 avec la création démiurgique d’un monde89, rêve qui fut celui de Walter, et que William Bell ne parviendra pas à réaliser.

Walter dans l’épisode « Peter » (S02E16).

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87La cinquième saison introduit une variation spécifique en approfondissant le traitement du rôle de l’image. Toutefois, les effets de miroir et de réfractions n’étaient pas absents des premières saisons, à l’instar de l’épisode « Jacksonville » (S02E15), où un immeuble est « entre » les deux mondes. On pense cependant en particulier à l’épisode « Peter » (S02E16) qui nous ramène dans le passé à l’époque où Walter ouvre la fenêtre qui lui permet d’abord d’observer l’autre monde. La fenêtre sera remplacée par un cadre qui permet le passage entre les deux mondes.

88La saison 5 approfondit davantage la dimension réflexive de la série. Toute la dynamique de la quête/enquête repose en effet sur des images de cassettes VHS (enregistrées dans le passé de la diégèse) où Walter apparaît et donne à chaque fois un élément ou un indice qui indique la marche à suivre pour rassembler des pièces (d’un puzzle) qui permettront de sauver le monde de son envahisseur et de la dystopie qui cause sa perte à moyen terme. La dualité du savant fou est réinvestie pour mettre en scène deux Walter, le second ayant totalement oublié le plan que le premier a mis en place90. Le Walter de 2015 (date passée de l’invasion par les observateurs) apparaît donc littéralement dans un écran en 2036 et l’ekphrasis pointe immédiatement la mise en abyme. La dimension scopique de cette série ne fait alors que se confirmer puisque ce Walter s’adresse aussi directement au spectateur.

Walter Bishop dans la cinquième saison.

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89Comme le rappelle Anne Besson, Marie-Laure Ryan fut l’une des pionnières dans l’exploration de la théorie des mondes possibles dans l’univers de la fiction. Besson évoque alors un fictionalist turn, et Fringe est l’une des séries qui illustre ce tournant91. Besson prend d’ailleurs (entre autres) l’exemple de la sérialité « avec sa succession régulière et rapide d’épisodes nombreux qui contribuent sans doute à l’intensification de la “présence” de la “réalité parallèle” de l’univers fictif »92. Dans le cas de Fringe, cet aspect est démultiplié et mis en abyme puisque chaque saison propose une déclinaison de l’intensification de cette « présence » de la fiction qui passe par la création et l’immersion dans un univers parallèle (qui est aussi une fiction dans la fiction), par la ré-écriture d’une fiction alternative93 (another time line à distinguer de the alternate universe), par la co-existence des deux univers dans la saison 4 et, enfin, par la création d’un univers dystopique qui, au lieu de proposer une prolifération de mondes parallèles, introduit la création d’un monde futur.

90On peut s’interroger sur une telle dynamique, d’autant que le terme est précisément celui qu’utilise Ryan lorsqu’elle évoque une « esthétique de la prolifération » qu’elle décline en typologie. Elle en propose trois types : « prolifération ontologique : un texte, une histoire, plusieurs mondes ; prolifération narrative : un texte, un monde, plusieurs histoires ; prolifération médiatique : un monde, plusieurs textes (une ou plusieurs histoires) »94. Fringe s’inscrit tour à tour dans ces trois déclinaisons. Les saisons 1 et 2 relèvent de la prolifération ontologique : malgré quelques variations, l’histoire est sensiblement la même dans les deux mondes parallèles95 même si la saison 1 se clôt sur la rupture ontologique que représente le fait que les twin towers soient encore debout dans l’univers alternatif. La prolifération narrative apparaît dans la saison 4 qui propose une ligne temporelle dans laquelle l’un des personnages principaux (Peter Bishop) n’a jamais existé. L’histoire, au sens de la diégèse cette fois, a été écrite sans lui. Un épisode isolé de la troisième saison propose aussi une déclinaison possible d’un monde futur situé en 2026 (« The Day We Died », S03E22), où Peter se retrouve alors qu’il est connecté à la Machine. D’une certaine façon, la saison 5 pourrait aussi s’inscrire dans cette dynamique puisqu’elle se déroule dans un futur alternatif et dystopique situé en 2036, et qu’elle nous donne à voir momentanément un futur encore plus éloigné dans le temps, soit en 2609. En outre, elle propose un reset temporel qui permet de « ré-écrire » la diégèse sans l’invasion des observateurs en 201596.

Fringe et les épisodes singuliers
Fringe pratique l’inclusion d’épisodes singuliers : soit ils relèvent d’une variation générique spécifique avec l’exemple de l’épisode « Brown Betty » (S02E19) qui reprend les tropes du roman noir et de la comédie musicale. Ils peuvent aussi s’inscrire dans une déclinaison temporelle qui introduit une variation des mondes possibles : ainsi, l’épisode « Letters of Transit » (S02E19) est un prequel de la dernière saison qui ne peut prendre sens qu’une fois visionnée la saison 5. On peut aussi mentionner « The Way We Died » (S03E22) qui est une déclinaison possible d’un futur dystopique et post-cataclysmique tel que la cinquième saison va ensuite le développer. Le grand intérêt de cette cinquième saison (qui n’a pas toujours été reçue favorablement) est de revisiter la dynamique récit policier/ science-fiction au sein d’une seule saison qui devient alors elle aussi singulière. La formule de l’enquête à chaque épisode s’étend désormais à la saison entière sur le mode de la quête herméneutique, et le monde dystopique et post-cataclysmique pose l’univers science-fictionnel en préalable à la dynamique herméneutique. Dans les premières saisons, nous avions exactement l’inverse, au sens où la dynamique herméneutique était contenue par chaque épisode et l’univers science-fictionnel se construisait sur un arc macroscopique.

91La prolifération médiatique n’est pas absente de la série et émaille même régulièrement les saisons. Pour une série de la première décennie des années 2000, Fringe est particulièrement novatrice en ce domaine. Cela n’a rien d’étonnant cependant si l’on se souvient de la remarque de Marie-Laure Ryan : « Pour qu’un monde satisfasse à ce besoin de découvrir, il faut qu’il s’étende à travers toujours plus de textes et toujours plus de médias. »97 C’est également ce que souligne Anne Besson lorsqu’elle évoque la « démarche de repeuplement, par le spéculaire, la reprise ludique, le trans- et le méta-, d’une réalité orpheline de ses autres mondes (métaphysiques, idéologiques) ; les produits aussi de l’âge d’internet, qui confère une autre dimension à la concrétisation des imaginaires en monde comme à la coexistence en chacun des possibles »98.

« The Boy Must Live » (S05E11).

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92Pour ce qui est de la transmédiation, Alain Boillat en donne quelques exemples dans Fringe et nous rencontrons effectivement des fragments d’épisodes, voire des épisodes entiers, qui reposent sur cette migration d’un média à un autre. Les deux épisodes 19 des saisons 2 et 3 s’inscrivent ainsi dans la transmédialité (voire la transfictionnalité99 pour « Black Betty » (S02E19) par l’intertexte avec The Maltese Falcon) ou l’hybridation médiatique. C’est surtout dans « Lysergic Acid Diethylamide » (mieux connu sous l’acronyme LSD, S03E19) que la transmédialité est singulière puisque les personnages eux-mêmes verbalisent le fait qu’ils en ont conscience et « passent » littéralement un seuil (le champ/contrechamp souligne la transition), d’un univers filmique à un univers de bande dessinée. Lourdement lestés en psychotropes, Walter et Peter explorent l’inconscient d’Olivia, réinscrit dans la transmédialité.

93Sur un mode quelque peu différent, la prolifération transmédiatique apparaît également dans l’épisode « The Recordist » (S05E03) avec les comic books racontant les exploits des agents de la division Fringe.

94Enfin, une brève séquence de la saison 5 (S05E09) propose une vignette inspirée du Monty Python’s Flying Circus100, à nouveau posée comme le fruit des perceptions d’un Walter sous acide comme l’indique le titre « Black Blotter » qui renvoie aussi indirectement à « Lysergic Acid Diethylamide » (S03E19).

95Ces procédés liés à la transfictionnalité et à la transmédialité peuvent conduire à une conscience plus aiguë de la fictionnalité du monde représenté dans la/les diégèses. Ce que Boillat appelle « l’exploitation des possibles »101, ici génériques, esthétiques, stylistiques et temporels, pourrait souligner pour les spectatrices et les spectateurs la facticité de ces « logiques mondaines »102. Or, les théoriciens des mondes narratifs103 ont toujours rappelé que la « “mondialité” d’une représentation dépend de son pouvoir d’immersion »104, liant d’emblée la création d’un monde et le processus d’immersion dans celui-ci. Dans Fringe, loin de renforcer la distance nécessairement introduite par une dimension réflexive, la mise en abyme et l’ekphrasis accentuent ce « pouvoir d’immersion » de la série qui passe très souvent par un dispositif (qui met indirectement en abyme l’écran – quel qu’il soit – du récepteur). Divers dispositifs permettent ainsi de franchir les seuils séparant des mondes fictionnels, mais aussi des mondes conditionnés par une autre logique générique, stylistique, narrative, médiatique (au sens des différents médias, ou de différents formats et factures esthétiques). La mise en abyme peut en outre servir à étoffer le monde fictionnel, à l’instar des épisodes « Peter » (S02E16) et « Subject 13 » (S03E15), qui nous permettent d’accéder à des événements qui se sont déroulés avant le pilote.

« Lysergic Acid Diethylamide » (S03E19, 18 : 07-18 : 40).

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« The Recordist » (S05E03).

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96On pourrait revenir sur le format sériel et le pouvoir d’immersion spécifique d’une série comme Fringe en avançant que cette dernière postule également une assimilation du format sériel à « une machine à monde » comme le propose Alain Boillat dans le titre de son ouvrage. Là encore, au sujet de Fringe, le critique évoque une « mécanique narrative » qui renvoie bien à l’omniprésence des machines et autres dispositifs dans la diégèse, mais également au fait que le passage d’un monde possible à un autre (ou d’une ligne temporelle à une autre dans un même monde) s’opère quasi systématiquement par des appareillages et autres machines. Les deux exemples les plus évidents sont bien entendu le dispositif qui permet à Walter d’accéder au monde second et d’y enlever Peter105, mais on peut aussi mentionner la machine qui crée la rupture ontologique à la suite de laquelle Peter est gommé de la ligne temporelle originelle du monde premier, ou, pour finir, la machine que Donald/September et Walter ont conçue avant la saison 5 et qui permet le reset temporel final. Fringe (comme LOST, d’ailleurs) serait symptomatique de ce tournant dans la fiction sérielle (l’émergence des séries à narration complexe)106 des années 2000-2010 et du regain d’attractivité des mondes possibles.

97Rappelons qu’Anne Besson avançait aussi que « [l]es œuvres qui aujourd’hui se revendiquent ou doivent être décrites comme monde choisissent de jouer sur l’éloignement et non sur la proximité, sur le vertige de l’altérité et non sur le reflet »107. Mais, tout dépend de l’orientation générique de l’œuvre : « altérité » et « éloignement » sont des termes qui nous conduisent davantage vers la science-fiction que vers le fantastique (au contraire de « proximité » et « reflet »). Et c’est bien la logique narrative, esthétique et fictionnelle de la science-fiction qui domine finalement dans Fringe. Besson nuance par ailleurs ses propos lorsqu’elle ajoute :

« Elles s’affirment simultanément comme fictions, dans un régime généralisé du “méta” […] et comme mondes possibles, dans un sens en général beaucoup plus concret que celui de la seule bifurcation des hypothèses108. »

98Fringe est une série particulièrement riche, qui illustre à la fois l’hybridation générique que l’on retrouve dans de nombreuses fictions populaires contemporaines et la complexifie encore davantage dans la saison 5. Les détectives enquêtent sur des phénomènes étranges qui sont réinscrits dans un schéma d’ensemble (the pattern) grâce auquel le glissement du fantastique à la SF peut être opéré. Ils deviennent alors des détectives du futur à part entière, et ils explorent des espaces et des temps alternatifs (parallèles, futurs, alternatifs, entre autres). Leurs explorations sont liées à des métamorphoses du monde déclenchées par des expériences et/ou des découvertes scientifiques menées par un savant fou. Ce personnage est mis en perspective par une temporalité double qui met également en perspective un imaginaire de la science qui s’inscrit de même dans une double temporalité. La série permet ainsi de pointer l’évolution de cet imaginaire scientifique et le glissement de l’hubris du savant fou à une science folle, car assujettie aux pouvoirs économiques, industriels et militaires.

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99Série à narration complexe du fait des explorations spatio-temporelles qu’elle propose, Fringe se pose aussi en machine à explorer les formats et autres médiums, une machine autoréflexive et métaréflexive qui place au cœur de son propos le pouvoir qu’a la fiction109 de créer des mondes. La dimension sérielle est fondamentale, car elle contribue activement à créer l’adhésion110 du récepteur. Cette dernière passe par une immersion récurrente qui s’inscrit cependant systématiquement dans la variation des possibles, mais aussi par un « ravissement » qui n’a certes pas la dimension dramatique de The Leftovers, mais s’opère en pleine conscience du pouvoir de création de la fiction et de la machine à créer des mondes que la forme sérielle favorise. Avec Fringe, la série s’affirme en tant que machine à produire et à décliner des mondes qui renvoient au nôtre et à tous les autres possibles que l’imagination peut produire111 dans l’infini de ses variations.

Notes de bas de page

1  Selon la définition proposée par J.-J. Lecercle : « une solution imaginaire à une contradiction réelle, un opérateur logique pour concilier deux propositions qui se contredisent et forment une “double contrainte” collective ». Voir Lecercle J.-J., Frankenstein, mythe et philosophie, op. cit. et « Dracula : une crise de sorcellerie », art. cit.

2  Libération/France Inter, « Voyage au cœur de l’IA », Hors série, Déc 2017-Fév 2018.

3  Singularité au sens de l’invention d’une intelligence artificielle qui, à terme, rendrait l’humain obsolète.

4  « Pour Cary Wolfe, grand spécialiste du sujet, les modifications épistémologiques qui conduiront aux réflexions contemporaines sur le posthumain naissent au moment des célèbres conférences de Macy, entre 1946 et 1963, qui ont réuni nombre d’intellectuels et d’intellectuelles de différentes disciplines à la recherche d’une science générale de fonctionnement de l’esprit. » Tremblay-Cléroux Marie-Ève et Chassay Jean-François (dir.), Les Frontières de l’humain et le posthumain, Montréal, Université du Québec à Montréal, coll. « Cahiers Figura », vol. 37, 2014, introduction, p. 9-10.

5  Ibid., p. 10.

6  « Watson, le patron d’IBM, affirmait que cinq ou six de ses machines suffiraient au besoin de calcul du monde entier pour longtemps […] », Klein Gérard, Libération/France Inter, « Voyage au cœur de l’IA », op. cit., p. 6.

7  Mary Shelley, Frankenstein, 1818/31. Ce roman est d’ailleurs souvent considéré comme fondateur de la SF.

8  Voir Le Savant fou, Machinal H. (éd.), Rennes, PU de Rennes, 2013, 348 p. et Després E., Pourquoi les savants fous veulent-ils détruire le monde ?, Montréal, Le Quartanier, Erres Essais, avril 2016, 392 p.

9  Stevenson Robert Louis, The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde, (1886), Wells H.G., The Island of Dr Moreau (1896). Il s’agit là des deux figures de savant fou les plus connues des dernières décennies du xixe mais ce ne sont bien entendu pas les seules. Les récits de Machen, MR James, Conan Doyle et bien d’autres pourraient aussi être cités.

10  Sherlock, Mark Gatiss, Steven Moffat, BBC, 2010-en production, 4 saisons.

11  Sur l’incipit, on pourra aussi consulter Naugrette Jean-Pierre, « Sherlock (BBC 2010) : Un nouveau limier pour le xxe siècle ? », Études Anglaises 64.4, 2011, p. 402-414. Voir aussi sur la série Gelly Christophe, « The Hound of the Baskervilles Revisited : Adaptation in Context », Arthur Conan Doyle, OScholars special issue, edited by Sarah E. Maier, http://oscholars-oscholars.com/special-issues/doyle/et Machinal H., Menegaldo G., Naugrette J.P., Sherlock Holmes, un nouveau limier pour le xxie siècle, du Strand Magazine au Sherlock de la BBC, Rennes, PU de Rennes, 2016.

12  Hutcheon Linda, ATheory of Adaptation, London & NY, Routledge, 2013.

13  Christophe Gelly a déjà souligné la distance ironique des références à l’hypotexte : Gelly C., « The Hound of the Baskervilles Revisited : Adaptation in Context », op. cit.

14  Ropars-Wuilleumier Marie-Claire, Écraniques. Le film du texte, Lille, Presses universitaires de Lille, 1990, p. 163.

15  « Information is a name for the content of what is exchanged with the outer world as we adjust to it, and make our adjustement felt upon it. The process of receiving and of using information is the process of our adjusting to the contingencies of the outer environment, and of our living effectively within that environment. […] To live effectively is to live with adequate information. Thus, communication and control belong to the essence of man’s inner life, even as they belong to his life in society. », Wiener Norbert, The Human Use of Human Beings (1954), Da Capo Press, 1988 et Wiener Norbert, Cybernétique et société : l’usage humain des êtres humains, Paris, édition synoptique, trad. de P.-Y. Mistoulon, 10/18, 1962 [1954], p. 45-47.

16  Dans la nouvelle de Doyle, The Sign of Four.

17  Ponnau Gwenhaël, La Folie dans la littérature fantastique, Paris, Presses universitaires de France, 1997.

18  Voir http://www.labex-arts-h2h.fr/fr/le-sujet-digital-57.html.

19  Voir le début de saison 3, épisode 2. Dans les nouvelles, cette pratique a aussi conduit à de nombreux apocryphes puisque ce « réservoir » de titres d’aventures a conduit des auteurs à les écrire.

20  « The Adventure of the Abbey Grange ». On notera également la tendance à l’autodérision qui caractérise cette nouvelle adaptation lorsque dans l’épisode 2 de la saison 3, Holmes et Watson enterrent la vie de garçon de ce dernier et se retrouvent à enquêter alors qu’ils sont pour le moins saouls. On voit alors Holmes péniblement essayer de se souvenir de cette phrase emblématique.

21  « You really are an automaton, a calculating machine », I cried. The Sign of Four.

22  Mellier D., « L’impossibilité filmiquede l’énigmepolicière », art. cit., p. 15.

23  Voir par exemple l’analyse des vêtements de l’envoyé de Buckingham Palace dans « A Scandal in Belgravia ».

24  L’expression vient de Mellier D., « L’impossibilité filmique de l’énigme policière », art. cit., p. 13.

25  Les cryptogrammes sont présents dès les origines : par exemple, chez Poe avec « The Gold Bug », comme chez Doyle avec « The Dancing Men » et « The Five Orange Pips ».

26  Voir Machinal H., Conan Doyle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 43-46.

27  On peut rappeler ici que « […] le modèle hérité de Lessing servit à établir que le roman est par essence conceptuel, linguistique, discursif, symbolique, autrement dit lié au temps, alors que le film est perceptif, visuel, représentationnel, littéral, bref, lié à l’espace », Jeannelle Jean-Louis, « Rouvrir le débat sur l’adaptation : Kamilla Elliott et les rapports entre le roman et le cinéma », http://www.fabula.org/lodel/acta/document.php?id=5632 (consulté le 15/01/15).

28  Conan Doyle A. « The Red-Headed League ».

29  Voir aussi le début de l’épisode 3 de la saison 2 (3 : 23-3 : 55) et l’échange sur le chapeau qui se termine par : « I mean, this isn’t a deerstalker now. It’s a Sherlock Holmes hat. »

30  Voir Machinal H., Conan Doyle, op. cit., p. 129-155 et Crignon Hélène, « L’énigme Sherlock Holmes », La Licorne, no 64, http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/sommaire.php?id=2900.

31  Cet aspect était totalement absent du texte de Doyle où Holmes est même présenté comme capable de faire preuve de beaucoup de psychologie et d’attention à l’autre lors de ses échanges relatifs à l’enquête avec un client, un suspect ou un témoin.

32  Jeannelle J.-L. op. cit.

33  « He does love to be dramatic », déclarait déjà Mycroft dans « AStudy in Pink » (37 : 02).

34  Voir saison 2, épisode 3, tout le début de l’épisode, http://www.planetclaire.org/quotes/sherlock/series-two/the-reichenbach-fall/(23/02/15).

35  Mellier D., op. cit.

36  On peut évoquer ici le rapprochement que propose Esquenazi entre séries et variations. Nous aurions ainsi au fil des épisodes et des saisons des variations, ou une série de portraits encadrés du détective. Esquenazi Jean-Pierre, op. cit., p. 27.

37  « On his rigid face there stood an expression of horror, and as it seemed to me, of hatred, such as I have never seen upon human features. This malignant and terrible contortion, combined with the low forehead, blunt nose, and prognathous jaw gave the dead man a singularly simious and ape-like appearance, which was increased by his writhing, unnatural posture. I have seen death in many forms, but never has it appeared to me in a more fearsome aspect than in that dark grimy apartment, which looked out upon one of the main arteries of suburban London. » Doyle, A Study in Scarlet, chap. 3, https://sherlock-holm.es/stories/pdf/a4/1-sided/stud.pdf (consulté le 15/03/15).

38  Machinal H., « Le singe et l’ange : le corps de l’origine dans la littérature de la fin du 19e siècle », dans Talairach Laurence & Mandressi R. (éds.), Savoir médical et représentation du corps humain (xvii-xixe siècles), Revue en ligne Épistemo-critique www.epistemocritique.org.

39  Voir Jeannelle J.-L., op. cit. On pourrait en effet montrer plus en détail que le texte de Doyle correspond bien à une organisation narrative qui se déploie d’abord dans le temps tandis que les adaptations à l’écran (grand ou petit) ont davantage recours à l’espace. Cela dit, ce point mériterait plus ample développement si l’on évoque l’épisode 2 de la saison 3, qui joue sur les flashbacks pour construire à la fois le récit du crime et celui de l’enquête.

40  Ainsi, dans la première capture d’écran, le regard spectatoriel porté sur Sherlock est situé à « l’intérieur » de l’ordinateur (et donc de l’écran). En effet, le personnage regarde un écran et nous regarde. Est-ce alors le spectateur qui devient l’œil de la caméra ?

41  Les références à l’essai de Bertrand Gervais renvoient parfois à la version en ligne, d’autres fois à la publication en volume car les textes en sont légèrement différents. Lorsque la version en ligne est citée, nous le précisons. Voir Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », version en ligne, art. cit., p. 12. http://oic.uqam.ca/fr/print/56656 (19/03/15).

42  Voir en particulier « The Hounds of Baskerville », 1 : 11 : 24-1 : 11 : 26.

43  Gervais B., « Est-ce maintenant ?… », version en ligne, art. cit., p. 10.

44  Minority Report, Spielberg, 2002.

45  Voir le site : http://webelieveinsherlock.tumblr.com/ (26/02/18).

46  Voir par exemple : « The Sign of Three », 1 : 13 : 07. SH : « Oh, you meant ‘spectacularly ignorant’ in a nice way ! Look, it doesn’t matter to me who’s Prime Minister, or who’s sleeping with who… . Dr W : [muttering] Or that the earth goes around the sun. SH : Oh God, that again ! It’s not important ! Dr W : Not important ? It’s primary school stuff ! How can you not know that ? SH : Well, if I ever did, I’ve deleted it. Dr W : ‘Deleted it’ ? SH : Listen : [pointing to his head] This is my hard-drive, and it only makes sense to put things in there that are useful. Really useful. Ordinary people fill their heads with all kinds of rubbish, and that makes it hard to get at the stuff that matters ! Do you see ? ».

47  Voir aussi saison 3, épisode 1, 45 : 55-46 : 34 pour des aspects similaires sur la dichotomie entre morcellement du sensible et logique des flux.

48  L’épisode Christmas Special et la saison 4 nous ont révélé qu’il s’agissait là encore d’un simulacre. Cette facette est par ailleurs développée dans l’épisode 3 de la saison 4, « The Final Problem » qui s’inscrit dans une perspective transmédiale par l’évocation du jeu vidéo.

49  Robitaille Antoine, Le Nouvel homme nouveau, Montréal, Boréal, 2007.

50  « He [Stam] is also attracted to the metaphor of adaptation as hybrid forms, as ‘meeting places of different species’ » (Stam Robert, Literature and Film : a Guide to the Theory and Practice of Adaptation, Blackwell, 2005, p. 2), dans Hutcheon L., A Theory of Adaptation, op. cit., p. 30.

51  « Cultural transmission is analogous to genetic transmission in that, although basically conservative, it can give rise to a form of evolution », Dawkins Richard, The Selfish Gene, Oxford, OUP, 1976/1989, p. 189.

52  Fringe, J.J. Abrams, Fox, 2008-2013, 5 saisons, Dark Angel, James Cameron et Charles H. Eglee, Fox, 200-2002, 2 saisons, Dollhouse, Jos Whedon, Fox, 2009-2010, 2 saisons, Continuum, Simon Barry, Showcase, 2012-2015, 4 saisons, Orphan Black, Graeme Manson et John Fawcett, Space, 2013-2017, 5 saisons.

53  Voir Machinal H., « Créatures et créateurs : fondements ontologiques et épistémologiques de la figure mythique de Sherlock Holmes », art. cit.

54  Caillois R., Cohérences aventureuses, « Au cœur du fantastique », op. cit.

55  On retrouve ici l’un des enjeux du transhumanisme, à savoir la possibilité de télécharger l’esprit sur un ordinateur ou un support numérique quel qu’il soit. La fiction a déjà mis en scène ce fantasme dans Greg Egan, Permutation City, par exemple, ou, avant lui, A.C. Clarke, The City and the Stars.

56  Le cas de Miller a été complexifié par les dernières saisons de la série qui le remet en scène après sa « mort » sur Vénus, sans que l’on puisse réellement déterminer son statut. Voir en particulier S03E10. En revanche dans les derniers épisodes de la saison 3, il guide James Holden dans son exploration et reste une figure de détective.

57  XFiles, Chris Carter, Fox, 1993-2002.

58  Les jeux sur cette typologie ont existé dès les premiers récits policiers avec, parmi les plus connus, Agatha Christie, The Murder of Roger Ackroyd (1926).

59  On peut noter que les détectives qui se découvrent victimes sont assez courants dans les séries télé contemporaines en particulier lorsque ces dernières mettent en scène des clones. Voir Orphan Black, mais aussi côté fiction textuelle, When We Were Orphans de K. Ishiguro. Voir aussi à ce sujet Hoquet Thierry, « Cyborg, Mutant, Robot, etc. Essai de typologie des presque-humains », dans Després E. et Machinal H., Posthumains, op. cit., p. 99-117.

60  Orphan Black, Saison 1, épisode 10, 40 : 51-41 : 22 : « Our bodies, our biology, everything we are, everything we become belongs to them […] They patented us. »

61  Voir Després E., Pourquoi les savants fous veulent-ils détruire le monde ?, op. cit.

62  Regenesis, créée par Christina Jennings, The Movie Network, 2004- 2008, 4 saisons.

63  Cet aspect rappelle qu’à l’origine du terme cyborg et des recherches en biotechnologie, il y eut les travaux de Clynes et Kline qui s’inscrivaient dans la dynamique de conquête de l’espace qui caractérise la politique américaine de la guerre froide. Voir Hoquet Thierry, Cyborg Philosophie, Paris, Seuil, 2011, p. 38-40.

64  Voir Després E. et Machinal H., Posthumains, op. cit., introduction.

65  Voir Mellier D., « L’énigmatique contemporaine du récit policier », dans Dramaxes (sous la direction de Luc Ruiz & Denis Mellier), « Signes », Fontenay-aux-Roses, ÉNS Éditions, 1995. Machinal H., « Créatures et créateurs : fondements ontologiques et épistémologiques de la fi gure mythique de Sherlock Holmes » dans Liard Véronique (éd.), Crimes et sociétés, op. cit.

66  Crignon H., « L’énigme Sherlock Holmes », L’énigme, La Licorne no 64, op. cit.

67  L’ensemble de la scène est importante : voir saison 2 épisode 3, 1 : 15-10-1 : 17 : 22.

68  Même si elle apprend dans la saison 3 qu’elle a une sœur encore en vie.

69  À la réplique récurrente « She’s just a kid » correspond tout aussi souvent la remarque « It’s just a machine » au sujet de l’androïde, remarque qui, pour Five, comme pour l’androïde, n’est répétée que pour être mieux déconstruite puisque Five est bien plus qu’une simple gamine (c’est souvent grâce à ses compétences que l’équipage se sort de situations compliquées) et l’androïde fait l’objet d’une réflexion spécifique filée sur les quatre saisons sur laquelle nous reviendrons.

70  De ce point de vue, le « retour » de Moriarty dans le dernier épisode de la saison 4 de Sherlock est pertinent puisque cet épisode est construit sur le principe du jeu.

71  Voir Chassay Jean-François, Dérives de la fin : sciences, corps et villes, Montréal, Le Quartanier, 2008.

72  On pourrait discuter des questions génériques relatives aux distinctions entre SF, fiction spéculative, dystopie, dystopie critique, fictions postcataclysmiques mais ce n’est pas l’objet de cette analyse.

73  Voir Esquenazi J.P., Mythologie des séries télévisées, Paris, Le cavalier bleu, 2009.

74  Voir, par exemple, l’épisode « Power Hungry » (S01E05) et la remarque de Walter : « I’m sure it had something to do with the comies, as it always did back then » (S01E05, 13 : 14).

75  Cet aspect est évoqué dès l’épisode « Pilot » : « How do we protect people when corporations have higher security clearance than we do ? » (S01E01, 1 : 17 : 46). Le pouvoir de Massive Dynamics sur le gouvernement est évoqué de façon récurrente au fil de la première saison, par exemple, l’épisode « The Same Old Story » (S01E02, 44 : 57).

76  Voir Besson Anne, Bazin Laurent et Prince Nathalie, Mondes fictionnels, mondes numériques, mondes possibles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. En particulier l’introduction d’Anne Besson (p. 9-20) et le chapitre « mondialité, médialité » de Marie-Laure Ryan (p. 21-41).

77  Voir Boillat Alain, Cinéma, machine à monde, Chêne-Bourg (GE), Georg éditeur, 2014, en particulier, p. 169-185 qui portent sur LOST et Fringe.

78  Ce schéma digne du Bildungsroman est fréquent dans les séries où l’enquêtrice principale est une femme. On pense déjà à Alias, mais aussi, plus récemment à The Black List (Jon Bokenkamp, NBC, 2013-en production, 6 saisons) ou à Quantico (Joshua Safran et Mark Gordon, ABC, 2015-2018, 3 saisons).

79  Nous reprenons le terme anglais fringe ici, car il n’y a pas d’équivalent français pour indiquer cette liminalité qui caractérise l’événement.

80  The X-Files, Chris Carter, Fox, 1993-2002, 11 saisons, reprise en 2016-en production.

81  Supernatural, Eric Kripke, The WB (saison 1) et The CW, 2005-présent.

82  Esquenazi écrit, par exemple, sur The X-Files : « Chris Carter [le scénariste] […] ne fait aucune concession pour convaincre plus facilement le réseau […]. Les dirigeants de Fox voudraient que chaque épisode possède une clôture claire : il décide au contraire de laisser chaque épisode dans l’indécision. […] De plus, la série réussit à édifier une “mythologie” en s’attachant aux grandes théories conspirationnistes qui sévissent un peu partout et particulièrement aux États-Unis : le gouvernement en accord avec des extraterrestres, s’apprêterait à réduire la race humaine à l’état d’esclavage. » Esquenazi J.-P., Mythologie des séries télévisées, op. cit., p. 29.

83  Nous reprenons à nouveau la définition du fantastique proposée par Caillois R., Cohérences aventureuses, op. cit.

84  Voir, entre autres, Picot J.-P. et Guillaud L. (éd.), Les Détectives de l’étrange, Paris, Le Manuscrit éditions, 2007.

85  Boillat souligne également cette spécificité de Fringe (par rapport à LOST) : « Dans Fringe, la logique mondaine est exploitée plus consciemment et plus consciencieusement que dans LOST, subsumant dès la première saison la pluralité des lignes narratives en un tout. » (Boillat A., Cinéma…, op. cit., p. 175). La notion de pattern fait aussi penser à la citation de Hayles et à sa toile cosmique (cosmic web).

86  Le même motif réapparaît dans la deuxième saison avec le pont par lequel Walternate (le double de Walter) pénètre dans le monde premier, et dont « l’apparition » est liée à un schéma géométrique entre trois balises. Plus généralement, les schémas (en particulier géométriques) sont récurrents et souvent nécessaires pour le passage d’une « réalité » à une autre, comme on le voit aussi dans l’épisode « Through the Looking Glass and What Walter Found There » (S05E06, dont le titre renvoie à Alice Through the Looking Glass) où l’on accède à l’univers de poche (pocket universe) où Walter a caché des pièces de son plan.

87  On retrouve les univers parallèles dans Counterpart, Justin Marks, Starz, 2017-en production, 2 saisons.

88  Voir Després E., Pourquoi les savants fous veulent-ils détruire le monde ?, op. cit.

89  On note que la création d’un monde possible se matérialise également dans la diégèse comme une possibilité qui résulterait de l’impulsion d’un personnage (au niveau intra- et homodiégétiques donc) alors que les possibles fictionnels sont également déployés au niveau de la texture/structure même de l’univers fictif que la série construit.

90  La question de la mémoire est également centrale dans Fringe, et on voit repris ici le schéma des premières saisons dans lesquelles le Walter Bishop nouvellement sorti de St. Claire’s ne se souvient pas de toutes les expériences qu’il a menées dans le passé avec William Bell.

91  Dans la critique sérielle, on peut aussi évoquer l’approche de Sarah Hatchuel sur les plis hypothétiques de la fiction. Par ailleurs, Alain Boillat prend l’exemple de Fringe dans son ouvrage qui traite des mondes possibles en arts visuels. Voir Boillat A., Cinéma…, op. cit.

92  Besson A. et al., Mondes fictionnels…, op. cit., p. 17.

93  La quatrième saison propose ainsi une réalité alternative qui est une variante de la réalité fictive de la première saison. La dimension auto-référentielle s’ajoute ainsi au métaréférentielle.

94  Ryan M.-L., « Mondialité, médialité », dans Besson A. et al., Mondes fictionnels…, op. cit., p. 28.

95  On verra que cette dualité est également présente dans Dark Matter et dans Westworld saison 2.

96  Là encore, nous resterons au seuil de la représentation de cette ligne temporelle réinitialisée puisque nous n’en verrons que les images de la famille de Peter et Olivia sans l’invasion des observateurs (« An Enemy of Fate » [S05E13]) et quelques images, annoncées par Walter dans une VHS qu’il avait laissée dans l’ambre à l’intention de Peter et qu’il regardera finalement avec lui avant son sacrifice final. Cette VHS propose en fait une prolepse de l’ultime scène de la cinquième saison où Peter reçoit la tulipe blanche qui concrétise le sacrifice d’un Walter devenu une « anomalie » en 2015 version 2.0, car il est à l’origine de la réinitialisation temporelle.

97  Ryan M.-L., in Besson A. et al., Mondes fictionnels…, op. cit., p. 28.

98  Besson A., Introduction, dans Mondes fictionnels…, op. cit., p. 11.

99  Il est impossible de parler de tous les aspects sur les cinq saisons d’une série aussi riche que Fringe. Notons cependant que la question de la transfictionnalité est aussi une piste à explorer dans cette série, avec des cas d’études assez subtils tels que l’impact de la reprise de l’acteur emblématique de Star Trek pour incarner W. Bell, et les effets produits par les épisodes où la conscience de ce dernier se trouve un corps d’accueil en la personne d’Olivia. Boillat évoque ce passage selon les termes suivants : « William Bell s’étant emparé de son enveloppe charnelle, elle parle de façon “synchrone” avec la voix de Nimoy, créant une étrangeté qui relève d’un phénomène de déliaison comme on en trouve dans les films horrifiques présentant une situation d’exorcisme » (Boillat A., Cinéma… op. cit., p. 184).

100  Le clin d’œil intertextuel et transmédiatique est assumé : voir https://www.youtube.com/watch?v=FNbeBU7lvTM et www.imdb.com/ title/tt2411940/ (consulté le 03/05/2017).

101  Boillat A., Cinéma…, op. cit., p. 182.

102  Ibid., p. 175.

103  N’oublions pas qu’Umberto Eco abordait déjà ces questions dans Les limites de l’interprétation en 1992. (Eco Umberto, Les limites de l’interprétation, Paris, Grasset, LdP, ch. III.4 « Petits mondes », p. 211-233).

104  Ryan M.-L., dans Besson et al., Mondes fictionnels…, op. cit., p. 26.

105  On retrouve ces dispositifs lorsque Jones essaie d’ouvrir une « fenêtre » (S01E20), puis lors de la venue de Walternate dans le monde premier (S02E19).

106  Voir Mittell Jason, Complex TV : The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York, NY University Press, 2015.

107  Besson A., Introduction, dans Besson A. et al., Mondes fictionnels…, op. cit., p. 11.

108  Ibid.

109  « La mise en équivalence, récurrente, de la fiction et de la création, de l’œuvre et du monde, s’avère ainsi mise au service d’une auto-apologie des pouvoirs de la fiction. », Besson A., Introduction, dans Besson A. et al., Mondes fictionnels…, ibid., p. 12.

110  Nous reprenons une citation que rappelle Besson : « […] plutôt que “suspension de l’incrédulité”, il y aurait là “création active de créance” [“we actively create belief”] chez le récepteur, qui prend part à son immersion en s’efforçant de “renforcer plutôt que de mettre en question la réalité de l’expérience” », ibid., p. 17.

111  Nous avons ici à l’esprit l’une des variations comiques qui relève cependant d’une potentielle représentation du posthumain, celle que propose l’épisode « Os » (S03E16), lorsque l’esprit de Bell « occupe » le corps d’Olivia.


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