Introduction
p. 9-37
Texte intégral
1L’origine de cet ouvrage vient d’un constat que tout amateur de fiction peut faire : les séries télévisées sont devenues omniprésentes dans le paysage culturel contemporain. On les regarde, on en parle, on échange à leur sujet et même si cette omniprésence peut agacer, elles représentent une expression spécifique de la culture populaire. La forme sérielle n’est cependant pas nouvelle et, d’une certaine manière, les séries TV n’ont rien inventé. On peut en effet les considérer comme les héritières des formes sérielles du xixe siècle qui, déjà, fidélisaient leur lectorat par la répétition et la variation, et que l’on stigmatisa rapidement en les reléguant à l’expression d’une « basse culture ». Mais déjà à l’époque, ces romans feuilleton et autres « fictions à la chaîne »1 étaient avidement consommés par un lectorat qui attendait avec impatience la prochaine livraison d’un Strand Magazine, par exemple, dans lequel ils allaient retrouver une aventure de Sherlock Holmes. Le paysage médiatique a cependant évolué et le public n’avait alors pas la possibilité d’accéder à la culture participative2 contemporaine et aux réseaux sociaux qui permettent échanges, analyses, et diverses formes d’engagement culturel allant de la création (par exemple les sites dédiés aux échanges sur une série spécifique ou les fanfictions) à la protestation (tous les cas de séries qui avaient été annulées et pour lesquelles les fans ont obtenu des suites).
2Autre point de convergence qui peut frapper : les personnages qui peuplent ces fictions sont en grande partie les mêmes. Du détective au savant fou en passant par le vampire, du récit policier au fantastique en passant par la SF, genres et figures s’inscrivent dans la récurrence. Sauf que, bien entendu, l’époque n’est plus la même et la révolution industrielle du xixe siècle a laissé place à celle des biotechnologies et de la culture de l’écran dans une société occidentale hyperconnectée. Autre constante : ces fictions sérielles cristallisent un certain nombre d’interrogations sur les devenirs de l’humain. La révolution darwinienne interrogeait les origines de l’humain tandis que les découvertes scientifiques contemporaines ont ouvert des perspectives sur une évolution de l’espèce humaine vers un « post » de l’humain.
3Ce livre est un essai sur les représentations du posthumain dans les séries TV post 2000. Posthumains en série, donc, propose une analyse de la mise en fiction de figures et figurations d’un devenir de l’humain qui sert à déclencher une réflexion sur la définition d’une identité et/ou d’un sujet lorsque le corps et/ou l’esprit ont été transformés par des technologies qui impliquent un devenir autre de l’individu et de l’environnement. Ancrées dans la culture populaire contemporaine, les séries TV support de cette analyse sont des séries de science-fiction et des séries mettant en scène des détectives. En effet, les devenirs posthumains de l’espèce se déploient plus spécifiquement dans des fictions dont les diégèses anticipent le futur et la détection est toujours liée à une réflexion sur l’identité.
4Lorsque l’on parle de détectives dans la fiction, on pense souvent à Sherlock Holmes ou à Hercule Poirot. Un public plus contemporain proposerait peut-être d’emblée des noms différents, et sans doute des noms associés à des séries télévisées. Si l’on consulte Sens Critique qui propose une liste intitulée « Les meilleurs enquêteurs du petit écran »3, on voit arriver en tête True Detective, puis Sherlock, Monk, Law and Order, et Dr House4. Mais un enquêteur n’est pas forcément un détective et les mots « enquêteur », « détective » ou « policier » montrent que depuis son émergence au xixe siècle, la figure de l’herméneute n’est plus cantonnée à Sherlock Holmes ou à Hercule Poirot. House n’est d’ailleurs absolument pas un détective même s’il s’inscrit dans la filiation directe de Sherlock Holmes, mais pour d’autres raisons5.
5La figure du détective s’inscrit certes dans la modernité mais trouve des origines mythiques dans le personnage d’Œdipe6, dans la Bible ou encore chez Voltaire et Alexandre Dumas7. Le détective est un herméneute8, il déchiffre avant d’interpréter, se mêle donc de donner sens, de retrouver une signification. Il se penche sur les signes et les traces pour les réinsérer dans une chaîne d’événements qui vont « logiquement »9 mener à identifier un coupable. Ce processus d’identification vers lequel tend la diégèse est le premier aspect qui fait de la détection une affaire d’identité.
6Le détective est certes un décodeur ou un déchiffreur mais il est aussi producteur de sens, instigateur d’un retour à une représentation de la réalité qui serait redevenue cohérente et unifiée là où elle était énigmatique et fragmentée. L’aboutissement de l’enquête vise à restaurer une forme d’ordre dans la réalité fictive. Pour autant, le détective, lui, n’est pas forcément une figure de l’ordre, il est même souvent duel, et parfois inquiétant. Nous verrons que cette dualité du personnage le place également au cœur de la réflexion sur l’identité que l’on retrouve dans le genre policier10. La fin d’une enquête correspond aussi à la clôture du texte, qui ne peut paradoxalement s’effectuer que par une dynamique diégétique inverse, c’est-à-dire un retour vers l’origine d’une forme de désordre, concrétisé par un cadavre, une disparition, un manquement à la loi plus ou moins grave.
Le récit impossible
Le récit policier dit classique s’appuyait sur une structure narrative double et paradoxale qu’Uri Eisenzweig (Eisenzweig Uri, Le Récit impossible, Paris, Bourgois, 1986) qualifia de narration impossible. En effet, le récit de l’enquête menée par le détective est une reconstruction à rebours d’un récit occulté, celui du crime. La structure narrative du récit policier (quel que soit le support, textuel ou filmique) repose sur un paradoxe temporel, deux récits qui devraient se compléter et se rejoindre mais s’inscrivent sur des flèches du temps qui pointent dans des sens opposés. Le récit du crime implique que l’on remonte à rebours des événements jusqu’à leur origine. Le récit de l’enquête vise la clôture narrative et la fin. Face à ce récit impossible, le lecteur est confronté à une instance narrative qui sert généralement de repoussoir à un détective qui trouvera forcément la solution du mystère et/ou le coupable du crime. Il a ainsi l’illusion (fictive, selon les termes de Denis Mellier) qu’il pourra parvenir à la solution avant que l’enquêteur ne l’expose dans son microrécit final. Le récepteur devient donc un sémiologue qui reproduit en abyme la démarche herméneutique du détective. Il part en quête de signes et d’indices qui pourraient faire sens dans le texte. Avec des fictions audiovisuelles, cette « sémiotique » de la lecture devient un enjeu de l’adaptation ou du récit policier en images.
7 Le détective dont le portrait paradoxal commence à s’esquisser est une figure qui se cristallise au cours du xixe siècle pour des raisons contextuelles et culturelles spécifiques. Nous avons mentionné des origines mythiques, mais aussi antérieures au xixe, cependant il demeure que l’émergence de ce personnage est directement liée au contexte des révolutions industrielles et des mutations sociétales qui les accompagnent11. L’industrialisation massive et les changements qu’elle entraîne sont indissociables d’un contexte de révolution scientifique et de « progrès » de la science. C’est au xixe que va émerger une autre figure, celle du scientifique, et il va de soi que la révolution industrielle n’aurait pu avoir lieu sans les innovations technologiques qui l’accompagnent. Ceux que l’on n’appelle pas encore « scientifiques » introduisent grâce à leurs recherches dans différents secteurs, technologiques, certes, mais aussi dans les sciences du vivant, des innovations et des théories nouvelles qui vont contribuer à libérer définitivement la connaissance de toute entrave idéologique12.
8Tandis que le chemin de fer relève d’une technologie qui apporte vitesse et potentiellement une dynamique de progrès (potentiellement, car une telle association se discute), les sciences, que l’on appellera ensuite sciences naturelles, s’inscrivent, elles, dans une double dynamique qui va dans un sens inverse. L’archéologie, la paléontologie ou la géologie induisent un mouvement d’exploration des profondeurs, des strates plus ou moins enfouies qui vont faire remonter à la lumière les vestiges du passé, souvent également associés à des civilisations disparues. Les théories de l’évolution vont compléter ce mouvement d’un retour vers les origines et le complexifier en ajoutant à la dimension spatiale de l’exploration des strates souterraines, celle, temporelle, des origines des espèces, un retour vers un passé immémorial qui ouvre des abîmes vertigineux pour l’époque. Huxley et Darwin ne se contentent en effet pas d’introduire une perspective passée totalement inédite13, ils avancent aussi l’idée que certaines étapes dans l’évolution des espèces pourraient n’avoir laissé aucune trace. Au vertige temporel que constitue la découverte d’un passé que l’on n’appelle pas encore préhistorique s’ajoute alors un vertige ontologique et épistémologique. Des pans entiers de certaines phases de l’évolution n’auraient laissé aucune empreinte ; des espèces auraient disparu sans que nous en sachions quoi que ce soit : ce vide, cette béance, sont créateurs d’angoisse, peut-être encore davantage que la théorie de l’évolution que l’on va rapidement nommer la monkey theory14. L’origine simiesque de l’espèce humaine remet en effet en question la représentation dogmatique de l’homme15, héritée de la tradition chrétienne et sur laquelle l’être humain s’était construit sa propre image. Cette image est indissociable d’une structure sociétale et politique fondée sur la compartimentation catégorielle et un binarisme marqué : homme/ femme, occident/orient, classes sociales supérieures et inférieures, blanc/ couleur, pour ne citer que les principales.
La figure du savant fou
La figure du savant fou est omniprésente dans les dernières décennies du xixe siècle, avec des personnages archétypiques tels le Dr Moreau (H. G. Wells, 1896), le Dr Jekyll (Stevenson, 1886) ou encore le Dr Van Helsing (Stoker, 1897) mais contrairement à la figure mythique du détective, celle du savant fou est déjà présente dans la littérature romantique avec le Dr Frankenstein (Mary Shelley, 1818/1831), et elle s’inscrit par ailleurs dans les illage de l’apprenti sorcier et de l’alchimiste. Les récits qui mettent en scène des savants fous à la fin du xixe ont aussi pour particularité de proposer des récits construits sur le modèle du récit policier, avec un enquêteur (ou du moins une figure de l’herméneute si l’on pense à Utterson dans le roman de Stevenson) et une structure narrative qui dissocie récit du crime et récit de l’enquête.
9Les sciences naturelles ouvrent des pans entiers d’un passé oublié et archaïque et peu de temps après, la théorie de l’évolution identifie un ancêtre originaire et simiesque de l’espèce humaine qui ne correspond pas du tout à la représentation rassurante que le sujet avait de lui-même. Il est alors nécessaire de partir en quête d’une représentation de l’identité qui ne ferait plus scandale et ne serait pas inadmissible. Si le roman policier repose sur une affaire d’identité, c’est qu’il s’agit bien toujours d’expulser la créature déviante (synonyme d’altérité) pour rétablir l’ordre et l’identité. La figure du détective relèverait donc d’un mode de compensation, d’un compromis temporaire (pour reprendre la définition de J. J. Lecercle)16 entre deux ordres, un ancien, un nouveau, dans une période de mutation des représentations de l’origine, ou plutôt des origines (l’humain n’est pas la seule espèce concernée par l’évolution).
10À l’origine du crime, le détective identifie un criminel : il établit une identité, il la pose et la fige (ce qui permet aussi au récepteur de la contempler car cette origine inadmissible fascine) : le coupable, c’est lui, et lui, à l’époque, est aussi souvent associé à l’animal et au primitif. Mais dans le même temps, la fiction policière vise, comme toute narration, la clôture, souvent synonyme de retour à l’ordre établi. Le paradoxe sur lequel repose la structure narrative du récit policier a ceci de particulier qu’il rend compte d’une double dynamique de fascination/répulsion, un désir trouble, sans doute parce que vécu comme transgressif, de contempler une origine animale de l’homme qui s’accompagne du refus d’accepter une image qui s’inscrit en faux par rapport à l’image de l’homme occidental (et bien entendu blanc) dit civilisé de l’époque.
11C’est peut-être aussi cette dialectique fascination/répulsion qui pourrait expliquer le fait que le récit de détection de la seconde moitié du xixe siècle relève de la forme sérielle. En effet, Sherlock Holmes, Dupin ou Poirot ont beau résoudre les énigmes de tous ordres, il n’en demeure pas moins que ces récits ont besoin de nouveaux « cas », de nouvelles affaires d’identité ou de disparition pour exister. La forme sérielle serait le symptôme d’une crise qui semble ne pas se résoudre aussi facilement que la fiction le fait à l’échelle d’un récit. Chaque histoire se conclut sur l’identification d’un coupable et une forme de retour à l’ordre, mais chaque nouveau récit ou épisode des aventures d’un détective ou d’un autre réitère le constat d’une réalité qui ne fait plus sens, un retour du même qui indiquerait que la menace n’est pas aussi superficielle qu’elle pourrait le paraître. C’est en effet de définition de l’identité humaine qu’il est après tout question, car l’identification et l’expulsion du criminel au terme du récit sont censées permettre une refondation du même, soit de l’identité. Victime émissaire expulsée pour que la communauté se redéfinisse, si l’on suit les théories de René Girard17, le criminel ne semble pas facile à gommer de la réalité et l’altérité qu’il incarne est propice à la résurgence.
12La forme sérielle, dans sa dimension de roman-feuilleton ou de publication de récits courts sur le modèle de la formule18, fait donc également partie du phénomène. Le désordre resurgit et le détective revient toujours résoudre une nouvelle affaire ; le support médiatique favorise lui aussi la récurrence, ce qui s’explique, entre autres, par l’explosion de la presse périodique au cours du xixe siècle. Plus accessible, mieux distribuée, moins onéreuse, divertissante, liée à la montée en puissance d’une nouvelle classe sociale issue de la révolution industrielle, la presse périodique va contribuer au développement de la forme sérielle tandis que, dans le même temps, elle commence à faire l’objet d’une stigmatisation. C’est en effet à cette époque que l’on voit apparaître les premières critiques surplombantes qui dissocient le roman-feuilleton de LA littérature19. L’opposition désormais trop bien connue entre littérature populaire et grande littérature est ainsi instituée et, déjà à l’époque, la question économique devient centrale puisque la presse périodique et le roman-feuilleton sont immédiatement associés à une « littérature industrielle »20.
13La presse périodique est le support privilégié de la forme sérielle, et elle est perçue comme un média « de masse » qui se distingue d’une littérature plus « noble », les termes usités témoignant bien ici d’une hiérarchisation entre mineur et majeur21. On peut encore analyser ce format comme le symptôme d’une compulsion de répétition dans laquelle la sérialité trouve son épanouissement. La série permet en effet le retour du même avec quelques variations, même si nous verrons que, selon G. Soulez, la forme sérielle est sans doute plus complexe22. Elle satisfait donc un désir compulsif de confrontation avec une origine inassimilable mais elle permet aussi de tenir cette dernière à distance par l’illusion de la représentation.
La remise en question de l’identité humaine à la fin du XIXe siècle
Si l’on résume, on a donc une figure d’herméneute qui remonte par un raisonnement d’effet vers la cause jusqu’aux origines d’un événement, tout en s’inscrivant dans un récit visant une clôture synonyme d’identification et d’expulsion. L’humain dont la définition et la représentation paraissaient acquises n’a peut-être plus les contours bien définis qu’on avait voulu lui prêter dans la tradition chrétienne. Son identité est remise en cause : l’image dogmatique d’Adam et Ève traditionnellement illustrée dans les représentations artistiques par un homme et une femme en tout point semblables à l’homme dit moderne est remise en cause. Le contexte de crise épistémologique liée aux révolutions scientifiques et technologiques déclenche une remise en question de l’identité humaine et le récit policier expose par sa structure paradoxale le mélange de fascination et de répulsion que cette redéfinition de l’humain entraîne. Les progrès scientifiques et technologiques donnent aussi naissance à une nouvelle figure sociale, celle du scientifique, qui, en fiction, devient la figure du savant fou. L’imaginaire scientifique qui se déploie dans la fiction durant les dernières décennies du xixe siècle reprend tous ces aspects. On voit alors apparaître des théories plus ou moins fondées scientifiquement, à l’image de la théorie de la dégénérescence de Nordau ou celle de la mort du soleil. Dans ce climat culturel complexe, les récits de fin du monde sont également omniprésents dans l’imaginaire collectif.
14D’un point de vue synchronique, on peut remarquer que le contexte culturel contemporain présente un certain nombre de caractéristiques communes avec celui de la seconde moitié du xixe siècle. À la révolution darwinienne succède la révolution du numérique et des biotechnologies et un contexte de crise épistémologique et ontologique. À nouveau, c’est la définition de l’identité humaine qui est au cœur de ces changements et mutations directement liés aux découvertes en biotechnologies et à la révolution du numérique. Ce n’est plus l’origine de l’espèce humaine qui est en jeu mais bien plutôt son devenir et sa survie, un devenir à nouveau lié aux progrès scientifiques et technologiques et une survie qui s’inscrit dans la perspective plus vaste et plus réelle23 d’une fin du monde. L’imaginaire de la science qui nourrit la fiction se peuple d’hommes augmentés, de cyborgs, clones et autres robots mais aussi d’univers virtuels, d’écrans, d’interfaçages avec les réseaux, d’intelligences artificielles plus ou moins dématérialisées. Nous sommes entrés dans l’ère de la société écranique24, de la culture de l’écran et du posthumain25. Ces imaginaires du futur s’inscrivent par ailleurs souvent dans une perspective cataclysmique, en particulier lorsque l’orientation de la fiction est relativement technophobe.
15Cet imaginaire se déploie dans la littérature et les arts visuels, et plus spécifiquement dans les séries télévisées, que l’on peut considérer comme le nouveau support de la fiction populaire contemporaine26. Dans ces fictions anamorphiques (pour reprendre le terme de Sarah Hatchuel), les nouveaux détectives du futur sont toujours en quête d’une définition de l’humain, mais au lieu de nous ramener vers un passé archaïque et primitif, les séries télé nous proposent de découvrir les futurs possibles de l’espèce humaine et les devenirs de l’humain qu’ils entraînent. L’anamorphose résulte de ce que la fiction renvoie à l’état présent du monde du récepteur, et projette des devenirs potentiels et souvent inquiétants, voire totalement dystopiques ou post-cataclysmiques. À l ’origine de l’espèce humaine si prégnante au xixe, on substitue ainsi (et on postule dans le même temps) une fin future de l’humain tel que nous le connaissons, qui peut s’accompagner d’une fin du monde.
16 Les nouveaux détectives deviennent ainsi des détectives du futur et les genres narratifs tendent à s’hybrider, en particulier le genre policier et la science-fiction. Est-ce bien étonnant si l’on souligne que l’anamorphose va de pair avec l’une des définitions possibles de la SF, celle que Darko Suvin fait reposer sur la défamiliarisation cognitive ?27 L’anamorphose implique en effet un double regard ou la perception simultanée de deux espaces28. Elle induit aussi un déplacement de point de vue pour le spectateur qui va décaler son regard et voir une autre image dans le même cadre. On peut donc en effet parler de « défamiliarisation » dans un sens proche de celui que Freud donne à ce que l’on appelle en anglais uncanny ou unheimlich en allemand, des termes qui renvoient à une concomitance du familier et de l’étranger dans un même espace. La SF a une particularité : ce processus de défamiliarisation résulte d’une dynamique de cognition. C’est par la connaissance même que la défamiliarisation s’opère, du fait de la difficulté à faire exactement correspondre le cadre de la réalité mimétique de notre univers et le cadre de la réalité fictive qui nous est proposé. Les deux cadres sont très proches et peuvent être liés l’un à l’autre par cette démarche cognitive qui fait que le récepteur reconnaît suffisamment d’éléments rationnels et qui font sens dans son episteme pour que le sentiment double de reconnaissance et d’estrangement puisse opérer.
17On peut alors s’interroger sur la différence entre fantastique29 et SF, qui peut s’avérer ténue, et ce d’autant plus que nous avons associé défamiliarisation et uncanny. Dans certaines séries, on pourrait même dire que les deux genres co-existent ou se relaient l’un l’autre30. Ainsi dans Fringe31, l’univers proposé relève, dans un premier temps, du fantastique jusqu’à ce que la théorie des multivers prenne le relais, et qu’elle soit considérée comme scientifiquement prouvée dans l’univers fictif de la série. Elle devient alors un novum (pour continuer avec la terminologie suvinienne) que le récepteur accepte d’autant plus facilement que la physique quantique a déjà posé cette possibilité. La proximité entre SF et fantastique se retrouve dans l’épisode « San Junipero » de la série Black Mirror.
18La perspective synchronique nous permet, certes, d’établir des ponts et passages entre deux fins de siècles qui portent l’empreinte d’une remise en question de la définition de l’être humain, mais elle nous permet aussi d’en mesurer les différences. Le contexte culturel a changé avec la nouvelle révolution (bio) technologique tout comme l’imaginaire de la science que propose la fiction populaire32. Les symboles et les traits qui définissent cet imaginaire contemporain ont fait l’objet d’études sur lesquelles cet ouvrage s’appuie. Trois approches de l’imaginaire contemporain ont plus spécifiquement nourri les analyses proposées. Tout d’abord, celle de Pierre Musso, pour qui les symboles définitoires d’une culture spécifique sont créés à partir de la technologie dominante d’une époque. Ensuite, la « danse cosmique » de Katherine Hayles qui propose aussi un changement de paradigme issu d’un principe similaire dans lequel ce qui retient notre attention réside dans la dimension réflexive à l’œuvre. Enfin, sur les caractéristiques de la culture de l’écran contemporaine, sur le rapport à l’image (central dans nos analyses) et au temps, les quatre traits posés par Bertrand Gervais pour définir le contemporain nous serviront également de fil rouge.
Novum et SF
On trouve le terme novum dans la terminologie utilisée par Darko Suvin dans sa définition de la science-fiction en 1972 que l’on peut traduire comme suit : « un genre littéraire dont les conditions nécessaires et suffisantes sont la présence et l’interaction de la défamiliarisation et de la cognition, et dont le principal procédé formel est un cadre imaginaire alternatif et distinct de l’environnement empirique de l’auteur. » (Darko Suvin, cité par John Clute et Peter Nicholls, Encyclopedia of Science Fiction, Londres : Orbit/Little, Brown and Company, p. 311-314). Dans cet article, les auteurs soulignent les trois termes clés de la définition qui sont à l’origine de nombreux débats : novum, cognition et défamiliarisation. En effet, le novum ne suffit pas à caractériser le genre car il pourrait potentiellement permettre d’en définir d’autres, comme la fantasy. Suvin associe donc étroitement le novum à une interaction entre cognition et défamiliarisation. Toujours selon Clute et Nicholls, le processus cognitif induit une appréhension rationnelle du monde tandis qu’ils rapprochent la défamiliarisation du Verfremdungseffekt de Bertolt Brecht. Il s’agit de créer un effet double : le récepteur doit à la fois reconnaître et se sentir étranger dans le monde fictif qui est proposé. Cette tension entre le familier et l’étranger, mais surtout, la concomitance des deux effets permet de souligner la proximité entre fantastique et SF. On se souvient en effet de la définition de la SF par la notion de unheimlich qui repose sur la même tension. La définition de Suvin est devenue canonique et elle continue à être débattue. Les études de Parrinder (Learning from Other Worlds, Duke UP, 1999) et de St Gelais (L’empire du pseudo. Modernités de la science-fiction, Nota Bene, 1999) en attestent. La définition du genre par le rapport qu’il entretient avec la temporalité permet d’introduire sa dimension réflexive. Posée comme « futur antérieur », la SF est à la fois prospective mais elle renvoie toujours à un état présent du monde à partir duquel l’extrapolation et/ou l’anticipation est opérée. D’où la notion d’anamorphose que je propose pour qualifier le rapport que nous entretenons avec ces mondes fictifs où la (bio) technologie est par ailleurs souvent le champ dans lequel l’innovation (ou le novum) est repérable. L’anamorphose implique deux visions dont la perception n’est pas possible simultanément mais successivement. Le tableau contient deux images mais le récepteur ne peut en prendre conscience que si sa position (littéralement son point de vue) change. Dans le célèbre exemple de Holbein (Les Ambassadeurs), la perception des deux images construit du sens : l’humain est éphémère. En SF, le récepteur perçoit une représentation future d’un monde possible, mais cette extrapolation ne peut se construire qu’en lien étroit avec le réel et ne relève de la SF que si la réalité fictive repose sur une approche rationnelle du monde. Les devenirs de l’humain et de son environnement que propose la SF sont une représentation fictive mais le récepteur est incité à percevoir la critique (souvent sociopolitique) du réel qui la sous-tend. Les possibles de ces mondes futurs et fictifs ne peuvent se construire qu’à partir des potentiels de son présent.
19La symbolique de l’imaginaire évolue et elle s’élabore à partir des innovations technologiques du moment. Ainsi, la figure de l’arbre qui prévalait à l’époque de Darwin pour décrire l’évolution laisse place à de nouveaux symboles associés au numérique, et en particulier le motif du réseau. Cette évolution de la symbolique a été analysée (et critiquée) par Pierre Musso33, et elle est importante car elle induit une transformation des symboles et de la symbolique à l’œuvre dans l’imaginaire. Si l’image de l’arbre renvoyait à la stabilité, à la verticalité et à une dynamique ascensionnelle, celle du réseau, en revanche, est synonyme de flux permanents, d’horizontalité, et d’une dynamique de la profondeur. Ainsi, la technologie dominante d’une époque s’imprime dans la symbolique de l’imaginaire. Si le train fut le symbole de l’association et de la circulation, le réseau introduit une nouvelle dynamique temporelle car il est toujours potentiellement ouvert. Il permet de continuer à penser un ensemble, une totalité, que Musso associe à l’image du corps (l’anthropocentrisme n’en finit pas de nous rattraper).
20L’horizontalité du réseau évoque une structure spatiale complexe et introduit une ambivalence prégnante dans la fiction spéculative contemporaine. Le réseau trouve en effet des déclinaisons dans l’imaginaire et nous oriente soit vers le contrôle (il permet de surveiller et de punir, pour reprendre Foucault) soit vers la circulation et la distributivité (il devient un agent de la libre circulation et de l’échange). C’est alors souvent la dimension politique qui prévaut. En effet, lorsque le réseau est synonyme de contrôle et de surveillance, c’est généralement qu’il est associé à un monde dystopique et orwellien où l’être humain (et/ou artificiel) est pris dans un système panoptique qui lui échappe34. Le réseau de contrôle peut acquérir une dimension spatiale avec, par exemple, le labyrinthe de Westworld35, ou le réseau de tunnels souterrains, également de type labyrinthique, de Stranger Things36 saison 2. Le système de contrôle peut aussi reposer sur les données virtuelles qui circulent en permanence sur les réseaux, à l’image de l’IA Samaritan de Person of Interest37. La surveillance généralisée du monde fictif de The Handmaid’s Tale38 repose sur The Eyes, et la dimension panoptique est à nouveau implicite. Au contrôle est souvent associée l’image surplombante et déshumanisante de la fabrique du vivant. Dans Matrix39, Helix40, ou Dark Matter41, l’être humain devient une entité négligeable qui s’insère dans un système de production du vivant, nouvelle illustration du biopouvoir42. Cette symbolique remonte en réalité à l’un des romans fondateurs de la SF, Brave New World de Huxley qui en constitue l’image matrice.
21Lorsque le réseau relève au contraire de la libre circulation et de l’échange, il devient le vecteur d’un accès illimité à des données qui peuvent permettre une collaboration entre deux économies, celle du biologique et celle du numérique, qui sont généralement opposées car elles renvoient à la dichotomie homme/machine. Ainsi, les humains augmentés de Intelligence43 et Jake 2.044 ou l’IA Northen Light dans Person of Interest mettent l’accès au réseau au service de la collectivité. Le hacker45 Elliot de Mr. Robot46 ou le personnage de Five dans Dark Matter illustre en outre la dualité de cet accès au réseau et son inscription dans des dynamiques et des visées opposées. Le hacker incarne une forme de résistance sur un mode co-participatif au contrôle et à la domination des réseaux par les grands lobbys commerciaux et financiers, qu’il s’agisse du conglomérat E.Corp dans Mr. Robot ou de Ferrous Corp et de Mikkey Combine dans Dark Matter.
22Se fondant sur Lévi-Strauss et sa définition du symbole qui postule une association étroite entre culture et symbole47, Eco a défini l’homme comme un animal ayant recours au symbole et à la symbolique. Dans la lignée de Gilbert Durand48 et de Cassirer49, on peut ainsi associer un contexte culturel donné à une ou des symboliques spécifiques. Si le réseau est effectivement l’un des nouveaux symboles de l’imaginaire contemporain, ce dernier résulte du développement d’une nouvelle technologie, celle du numérique, associée à l’informatique.
23 Les économies du numérique et du biologique participent cependant de deux espaces-temps qui ne sont pas compatibles sans le processus d’accès et de médiation que représente l’interface. Elle permet au récepteur d’accéder au numérique et relève de ce que Serroy et Lipovetsky ont appelé l’écran global50, l’écran n’étant qu’une des interfaces à prendre en compte. Si nous avons là un exemple de rupture dans le système symbolique avec un xixe dont l’imaginaire se déployait par la symbolique verticale de l’arbre, à la période contemporaine, une certaine continuité est aussi repérable car le réseau n’est pas sans rappeler une autre image également utilisée par Darwin, celle de la toile, reprise dans les récits de Doyle mettant en scène Sherlock Holmes51. La toile, le web, ou plus précisément le World Wide Web, renvoie désormais à un système hypertexte public fonctionnant sur internet. Ce « système », et le terme est important car il induit déjà l’idée de réseau, nécessite le recours à des interfaces de divers types, que Galloway ne réduit pas à des objets. Il qualifie l’interface de processus induisant une médiation52, il souligne qu’elle est un effet53 et non un objet. L’ordinateur n’est pas un objet, ou un créateur d’objets, c’est un processus ou un seuil actif de médiation entre deux états (« The computer is not an object, or a creator of objects, it is a process or active threshold mediating between two states »).
24Une autre chercheuse tient des propos qui se rapprochent de ceux de Pierre Musso en évoquant elle aussi un changement de paradigme induit par les évolutions techno-scientifiques. Dans The Cosmic Web, Scientific Field Models and Literary Strategies, Katherine Hayles associe la révolution épistémologique de la fin du xxe siècle à ce qu’elle nomme des « modèles », ou des métaphores, là où nous serions tentés de parler de symbolique :
« The essence of the change is implicit in the heuristic models adopted to explain it. Characteristic metaphors are a “cosmic dance”, a “network of events”, and an “energy field”. A dance, a network, a field – the phrases imply a reality that has no detachable parts, indeed no enduring, unchanging parts at all. Composed not of particles but of “events”, it is in constant motion, rendered dynamic by interactions that are simultaneously affecting each other. As the “dance” metaphor implies, its harmonious, rhythmic patterns of motion include the observer as an integral participant. Its distinguishing characteristics, then, are its fluid, dynamic nature, the inclusion of the observer, the absence of detachable parts, and the mutuality of component interactions54. »
25Les caractéristiques qu’Hayles souligne et oppose au modèle newtonien du temps linéaire sont : une dynamique de la fluidité, l’inclusion de l’observateur, la non-fragmentation et l’interaction mutuelle entre les composants.
26Les réflexions de Katherine Hayles sont d’autant plus pertinentes que l’auteure a aussi travaillé sur le posthumain55. En outre, l’inclusion de l’observateur (qui peut se traduire en contexte hypermédiatique par l’inclusion du récepteur) et l’interaction mutuelle entre les composants évoquent les remarques de Galloway sur l’interface et l’ordinateur. Dans l’analyse du posthumain en fiction sérielle, ce trait est lié à la réflexivité omniprésente dans les séries télé à narration complexe56, en particulier lorsqu’elles relèvent de la science-fiction. Avec Hayles et Galloway, on peut voir à nouveau émerger l’opposition entre deux économies, celle du numérique et celle du biologique. La première se distingue par la fluidité, la rapidité, la perfection, des capacités de stockage très étendues et une hypermnésie, autant de traits qui la dissocient radicalement de l’économie du biologique. Enfin, si l’on garde à l’esprit la notion de « seuil actif » chez Galloway, l’interface (quelle qu’elle soit mais nous avons ici à l’esprit l’écran) induit un échange, une médiation (ou « interaction mutuelle ») entre des composants envisagés comme un tout non fragmenté.
27Pour Bertrand Gervais57, la culture de l’écran se définit par quatre traits principaux qu’il faut détailler. Les quatre traits : folie du voir, soif de réalité, morcellement du sensible et logique des flux sont récurrents dans les fictions contemporaines qui traitent de notre rapport à la technique et aux environnements connectés. Les quatre traits définitoires de la culture de l’écran selon Bertrand Gervais sont : folie du voir, soif de réalité, morcellement du sensible et logique des flux.
281 – La « folie du voir […] surdétermine notre passage d’une culture du livre à une culture de l’écran ». De fait, l’exemple de la série Person of Interest est symptomatique de la prolifération des dispositifs numériques de contrôle opérant par détournement, traitement et visualisation de données continuellement échangées par des dispositifs textuels, audio ou visuels entre les individus. La société écranique peut très facilement dériver vers un contrôle panoptique des individus. On pense aussi à Westworld saison 2, où les androïdes sont sauvegardés sur des supports numériques, contrôlés par des tablettes, par opposition à la bibliothèque appelée the forge, où les données concernant les invités-humains du parc sont matérialisées sous la forme de livres papier.
Le panoptique
Le panoptique est un modèle architectural imaginé au xviiie siècle par le philosophe Jeremy Betham et qui fut utilisé pour construire des prisons dans lesquelles il était possible pour les gardiens d’observer les prisonniers à tout moment sans que ces derniers puissent savoir s’ils étaient surveillés. La dimension scopique du modèle panoptique ne fonctionne que dans un seul sens qui confère un contrôle exclusif aux gardiens. Michel Foucault fait de ce modèle architectural l’archétype d’une société de surveillance et de contrôle des individus dans Surveiller et punir (1975). Ce principe de surveillance et de contrôle généralisé se retrouve dans de nombreuses fictions dystopiques, qu’elles relèvent de la SF ou pas. Ce modèle architectural est devenu synonymique de société de la surveillance et le roman d’Orwell est généralement la référence la plus citée en la matière.
292 – Une « soif de réalité […] ou attention surdéterminée au présent et à ses manifestations » qui témoignerait d’un rapport angoissé à une période contemporaine vécue comme instable. Nous reviendrons sur cette instabilité du rapport au présent dans la conclusion mais soulignons qu’il est central dans une société écranique. Ici encore, Minority Report58 ou la série Flashforward59 mérite qu’on s’arrête sur le rapport au présent que déclenche la possibilité d’accéder à des images du futur. Ce ne sont d’ailleurs pas les deux seuls exemples de séries qui proposent de telles incursions dans le futur diégétique, on pourrait mentionner Fringe, Heroes, les feuilletages temporels de LOST, ou, plus ponctuellement, le voyage dans le temps de l’épisode 4 de la saison 3 de Dark Matter. Cet aspect sera également abordé dans la perspective narratologique de la construction impossible du récit policier et du rapport au temps qu’il induit. Inversement, nous reviendrons sur ce même rapport au présent lorsqu’il s’inscrit dans un possible retour vers le passé comme c’est le cas dans de nombreuses séries, de Torchwood (saisons 1 et 2) à Stitchers, Timeless, Frequency, Life on Mars ou Heroes60. Le rapport au temps est par ailleurs indissociable de la science-fiction, aussi bien dans les diégèses que d’un point de vue réflexif. Fondés sur le principe du futur antérieur, les futurs et les mondes possibles projetés dans la fiction sont à la fois des prolepses et des analepses.
303 – Un « morcellement du sensible » qui serait le reflet d’un fractionnement des identités individuelles et collectives. Par ailleurs, ce morcellement du sensible peut aussi être lié à notre rapport à l’espace ou, plutôt, aux nouveaux modes de rapport à l’espace qu’induisent la culture de l’écran et le rapport aux espaces numériques. C’est une dimension esthétique qui apparaît alors, et elle est en lien avec l’espace et le temps. Ce n’est guère étonnant puisque ce troisième trait renvoie à Jacques Rancière et au « partage du sensible ». L’esthétique même de la sérialité repose sur le morcellement et en fait l’un de ses ressorts esthétiques. Il est alors d’autant plus intéressant que Gervais évoque Rancière en filigrane puisque l’une des spécificités de Rancière qui rejoint notre approche des séries télévisées est son ancrage dans la politique et les liens très serrés qu’il tisse entre esthétique et politique :
« Il y a donc, à la base de la politique une “esthétique”, à entendre en un sens kantien, éventuellement revisité par Foucault : un découpage des temps et des espaces, du visible et de l’invisible, de la parole et du bruit qui définit à la fois le lieu et l’enjeu de la politique comme forme d’expérience. La politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire, sur les propriétés des espaces et les possibles du temps61. »
314 – Une « logique des flux » qui induit un nouveau mode de construction des identités. En effet, les deux derniers traits peuvent être mis en relation et sont centraux pour appréhender les questions relatives à l’identité, qu’elle soit humaine ou non-humaine. Ils permettent de souligner que notre rapport à la technologie contemporaine, et en particulier les technologies du numérique, pose, tout autant que les biotechnologies, les fondements d’une réflexion sur la possibilité d’une évolution de l’identité humaine vers une identité posthumaine. Au « morcellement du sensible » répondrait ainsi une « logique des flux », la mise en exergue d’une fluidité, d’une interactivité de l’interface écranique qui vise à faire disparaître cette dernière en tant que dispositif, et à lui conférer le statut de « processus de connaissance ». La logique de cette nouvelle modalité de l’image est en effet « associative et relationnelle », elle peut permettre de tisser du lien, avec autrui, ou avec soi-même. On peut alors à nouveau introduire une perspective politique, qu’il s’agisse de l’élaboration d’un lien collectif ou de l’émergence d’une subjectivité dans un corps qui, a priori, est posé en tant qu’entité matérielle (et mécanique) qui n’aurait pas accès à une élaboration subjective et à une évolution vers le statut de sujet.
32La pensée du réseau chez Musso, la danse cosmique de Hayles et les traits définitoires de la culture de l’écran chez Gervais vont baliser l’enquête sur les détectives du futur dans les séries contemporaines. La logique associative et relationnelle des nouvelles modalités de l’image induit par ailleurs une dimension politique et une (nouvelle ?) vision du collectif. De fait, la culture de l’écran est tour à tour louée ou décriée, elle est associée à une surveillance orwellienne et/ou panoptique ou devient vectrice d’émancipation et de résistance62. Elle est prise entre des tendances technophobiques ou technophiliques selon qu’on évoque les « techno-prophètes » ou les « biocatastrophistes », pour reprendre les termes de Dominique Lecourt63. Des positionnements aussi clivés attestent du fait qu’il ne s’agit pas là que des technologies du numérique. Les technoprophètes que désigne Dominique Lecourt renvoient à l’idéologie transhumaniste qui prône l’augmentation de l’humain par les nouvelles technologies. La révolution du numérique est en fait indissociable de celle des biotechnologies : elles ont rendu possible la perspective d’une augmentation du corps biologique par la technique ; un devenir biotechnologique. Il n’y a dès lors qu’un pas à franchir pour imaginer un être humain qui serait en partie augmenté par la technologie ou totalement produit par cette dernière. Cyborgs, androïdes, robots et clones deviennent ainsi à la fois des possibles du devenir de l’humain mais aussi le miroir troublant de la dualité entre le même et l’autre, entre une économie du biologique et une économie du numérique. D’une origine simiesque inassimilable, on passe à un devenir (bio) technologique qui remet tout autant en question la définition de l’humain, mais cette fois-ci dans un contexte posthumain.
33 Cette « fabrique du vivant »64 associée au « post » de l’humain fascine et/ou effraie, selon le même type de dialectique que celle qui confronta le monde du xixe siècle à son origine simiesque. Elle implique aussi un questionnement sur l’identité humaine, aussi bien au niveau individuel que collectif, et, contrairement au xixe siècle et à sa dominante ontogénétique, c’est davantage le devenir du collectif, et une perspective phylogénétique65 qui dominent désormais. L’enjeu politique réapparaît et semble d’autant plus important que l’assimilation de la fiction populaire à un mode mineur tend également à la vider de ce substrat.
34La question politique est centrale dans les fictions du poshumain. On a parfois tenté de réduire le détective (en particulier celui du xixe) à une figure de retour à l’ordre66, mais le personnage a toujours été duel, et donc potentiellement inquiétant. Une telle réduction est par ailleurs contestable ne serait-ce qu’en soulignant la compulsion de répétition à l’œuvre dans la forme sérielle. Si le détective est une figure de retour à l’ordre uniquement, pourquoi cette résurgence compulsive du désordre récit après récit ? On pourrait argumenter qu’il s’agit là justement de conforter un retour à l’ordre sur un mode qui serait également compulsif, ou qui satisferait le plaisir conventionnel et sadique de la contemplation d’un coupable puni. La question est en réalité complexe et sans doute les deux approches sont-elles recevables. Il demeure que la question et les enjeux politiques sont davantage omniprésents dans la fiction populaire contemporaine, peut-être parce que, comme le motif du réseau en attestait déjà, l’imaginaire de la science contemporain oscille entre la visée utopique d’un réseau communautaire, participatif et collectif et la vision dystopique d’un réseau synonyme de surveillance et de contrôle hégémonique.
35Les détectives du futur vont être le fil rouge de cet essai sur les représentations du posthumain dans les séries TV contemporaines. Le corpus englobe les séries télévisées de science-fiction67 des années 2000 à nos jours, en particulier, donc, celles qui mettent en scène des figures de détective et/ ou d’herméneutes. Chaque chapitre traite d’une dimension et se clôt par un focus sur une série spécifique qui est alors analysée plus en détail car elle est emblématique de l’aspect décliné dans le chapitre.
36Dans un premier chapitre, nous nous proposons de lancer l’enquête sur la figure mythique du détective et de prendre également en compte ses variations et déclinaisons dans les représentations du posthumain. En effet, si nous commencerons ce premier chapitre avec la figure tutélaire de Sherlock Holmes et sa reprise dans la série BBC de Moffat et Gatiss, nous verrons aussi que le détective se décline en justicier ou en hacker. Toutes ces figures d’herméneutes reprennent des interrogations sur l’identité (individuelle mais aussi collective). L’identité n’est cependant plus uniquement enfouie dans les strates du passé, elle est désormais collective et participe de devenirs de l’humain associés au posthumain.
37Comme nous l’avons déjà indiqué, le « post » de l’humain induit une réflexion sur l’identité humaine et ces devenirs s’inscrivent souvent dans une réflexion sur le futur de la planète ; il nous faudra dès lors aborder la dimension post-cataclysmique de certaines de ces séries dans un second chapitre. Le chapitre 2 s’attache au rapport au temps et au statut du signe qui en découle. La fin du monde est-elle représentable ou est-ce la disparition du sens qui est mise en image ? Si l’indice devient vestige et le temps est suspendu, le détective du futur deviendrait une impossibilité en soi : plus de support sur lequel détecter, plus d’exploration des devenirs de l’humain ou de la planète.
38La redéfinition de l’humain dans le cadre du posthumain implique aussi un rapport complexe au concept philosophique de l’Homme. Ainsi, la traditionnelle opposition cartésienne entre corps et esprit se complexifie à l’ère de l’intelligence artificielle et des robots doués de sentience. Cependant, nous repartirons de cette dichotomie pour montrer, dans le chapitre 3, à quel point elle est désormais dépassée par une approche du corps qui est indissociable à la fois de la notion de réseau, et de celle de corpus (Nancy).
39Quelle (nouvelle ?) politique des corps les détectives du futur promeuvent-ils ? La recherche sur le posthumain est en effet ancrée dans la philosophie féministe (Hoquet, Braidotti) et la pensée intersectionnelle (race, class, gender). Une nouvelle approche de l’identité sexuelle accompagne-t-elle cette approche du corps vécu comme vecteur d’agency ? D’une âme qui présidait au corps chez Descartes, le corps est devenu un facteur d’empowerment, le pouvoir c’est ce que peut faire le corps, « what a body can do »68, d’où la dimension politique.
40Inversement, nous verrons dans le chapitre 4 que de nombreuses séries de SF représentent l’émergence d’une subjectivité numérique. Ce n’est plus seulement le corps qui se métamorphose par augmentation et/ou hybridation avec la technologie, c’est aussi le possible accès à la conscience d’une entité non organique qui fait retour dans les séries de SF mettant en scène des détectives du futur. Là encore, la problématique n’est pas nouvelle et Philip K. Dick l’avait déjà introduite dans Do Androids Dream of Electric Sheep?69 avant que l’adaptation Blade Runner70 ne reprenne cette question de l’accès à la conscience d’un corps artificiel. Quels sont les attributs qui permettent de distinguer entre une conscience abritée par un corps organique et une conscience qui émergerait dans un corps « autre » ? Quelle conscience peut acquérir l’IA créée par Finch dans Person of Interest ou les androïdes de Almost Human71, Westworld ou Dark Matter ? Comment ces questionnements s’intègrent-ils dans un horizon politique de dépassement des binarismes ?
Le corps et ses enjeux
Le corps est au cœur du roman policier : le corps de la victime, ce reste que l’on examine et qui est souvent la première métonymie du support à déchiffrer, du vestige porteur de traces. Il est le point de départ du raisonnement à rebours qui va permettre de reconstituer le récit du crime en remontant vers l’origine. Si les détectives posthumains ne rendent plus compte d’une confrontation problématique avec les origines de l’espèce, à quoi sont-ils confrontés dans le futur ? On peut en effet se demander de quel type de compromis la figure mythique rend compte dans ce nouveau cadre, si l’on précise que Jean-Jacques Lecercle définit la figure mythique comme symbole d’une contradiction entre ordre ancien et ordre nouveau : « une solution imaginaire à une contradiction réelle, un opérateur logique pour concilier deux propositions qui se contredisent et forment une “double contrainte” collective ». D’une confrontation avec l’origine, nous passons en effet à des représentations du devenir de l’humain en lien avec le posthumain. Quels impacts les corps augmentés par la technologie (celui du détective ou ceux qui peuplent les diégèses) ont-ils sur les contours de la figure mythique ?
41Le chapitre 5 de cette étude abordera les questions liées à l’esthétique, à la réception et aux interactions entre le spectateur et les fictions télévisées du posthumain. En effet, la forme sérielle joue de la continuité et de la fragmentation, de la répétition et de la variation, de divers régimes de temporalité et niveaux de fictionnalisation, ce qui nous conduit vers des réflexions esthétiques. On se souvient que dans sa « toile cosmique », Hayles souligne l’inclusion du récepteur (soit la réflexivité) et l’interaction mutuelle entre les éléments. Avec le détective du xixe siècle, le lecteur était amené à se transformer en sémiologue à l’affût de tout signe et/ou indice pouvant lui permettre de déchiffrer l’énigme avant l’herméneute. Le paradigme de l’indice posé par Carlo Ginzburg72 proposait une lecture du détail dont le modèle est sémiotique et induit une trajectoire linéaire (même si prise dans une dialectique contradictoire) de résolution et de clôture. L’esthétique est-elle similaire lorsque l’on passe du texte à l’image dans une fiction policière, soit d’une sémiotique de la lecture à une sémiotique de la spectature ?73 La dimension réflexive reprend-elle les mêmes enjeux ? Qu’en est-il de cette narration paradoxale et présentée comme impossible lorsque l’enquête mène vers les devenirs de l’humain ? La dimension anamorphique de la SF implique-t-elle un jeu de réfraction différent entre des mondes diégétiques possibles74 et le monde de la réalité des spectatrices et spectateurs ?
42Des détectives du xixe qui remontaient vers l’origine pour refonder un présent menacé par la résurgence de l’altérité originelle, nous sommes passés au posthumain en série et à ses détectives du futur qui projettent une représentation des devenirs de l’humain qui ne tenterait plus de refonder le présent mais affirmerait la nature problématique de ce dernier par anamorphose. Le détective du futur serait en fait emblématique de notre rapport au présent, mais il demeure une figure qui problématise notre rapport au temps et à la temporalité. La forme sérielle induit en outre un rapport particulier au présent puisqu’elle s’inscrit aussi dans ce qui va venir, à la fois dans l’émergence et dans la récurrence, une répétition toujours encore à suivre, qui peut renvoyer à un présent désajusté et disjoint. Pourquoi donc la forme sérielle est-elle devenue le mode dominant, qu’il s’agisse des cycles et séries de la littérature jeunesse, des séries télévisées ou des franchises cinématographiques ? Dans le monde contemporain de la culture de l’écran, quels sont les traits distinctifs qui permettraient de délimiter les contours de notre contexte culturel ? Que nous dit ce mode soi-disant mineur de notre rapport au contemporain et des représentations symboliques qui le problématisent ?
43Hayles évoquait la fluidité, l’interaction entre les composants, et l’absence de fragmentation dans son changement de paradigme, nous verrons que si des théoriciens du contemporain comme Bertrand Gervais, Alexander Galloway ou Zygmunt Bauman reprennent l’image de la fluidité et de la circulation des flux, d’autres traits distinctifs comme le morcellement du sensible ou la soif de réalité indiquent que la période contemporaine se caractérise par un imaginaire plus complexe construit sur des lignes de force mais aussi peut-être des lignes de fuite, preuve de la complexité de notre rapport au devenir, et de la multiplicité du présent.
Vers les détectives du futur
Le détective d’antan identifiait des indices, ceux-ci devenaient des signes qui se réinscrivaient dans une chaîne de signification et reconstruisaient du sens. L’équivalence signe/sens était une évidence, tout signe était un sens en devenir. L’enquête permettait d’aboutir in fine à une reconstruction cohérente de la réalité souvent synonyme de retour à l’ordre, même transitoire. À quelques rares exceptions près, Sherlock Holmes et Hercule Poirot résolvent toujours les enquêtes. Les détectives du futur sont eux confrontés à des vestiges, des fragments, et à des traces parcellaires. Cette fragmentation induit une esthétique spécifique qui a une incidence sur la narration, les figures et le médium. Dans les fictions du posthumain, le détective devient une figure kaléidoscopique (à l’image de la mosaïque qu’il tente de reconstituer) emblématique de la culture de l’écran, qui révèle les multiples réfractions et extrapolations que l’imaginaire de la science produit dans la fiction et ce qu’elles disent des modes d’appréhension de l’être et de la réalité qui nous sont contemporains.
Notes de bas de page
1 Nous renvoyons ici à l’ouvrage de Matthieu Letourneux qui ne se limite pas à la question de la sérialité et des formes d’expressions sérielles. Voir M. Letourneux, Fictions à la chaîne, Paris, Seuil, 2017.
2 La notion de culture participative est étudiée par Henry Jenkins, entre autres.
3 https://www.senscritique.com/liste/Les_meilleurs_enqueteurs_du_petit_ecran_Liste_participative/841511 (consulté le 05/02/18).
4 Respectivement : True Detective, série créée et écrite par Nic Pizzolatto et réalisée par Cary Fukunaga, HBO, 2014-en production, 3 saisons ; Sherlock, Moffat et Gatiss, BBC, 2010-2017, 4 saisons ; Monk, Andy Brechman, USA Network, 2002-2009, 8 saisons, Law & Order, Dick Wolf, NBC, 1990-2010, 20 saisons, Dr House, David Shore, Fox, 2004- 2012, 8 saisons.
5 Doyle s’inspire en effet de l’un de ses professeurs de la faculté de médecine d’Édimbourg pour créer Holmes, et plus spécifiquement de la capacité d’analyse et de déduction de ce dernier dans l’établissement d’un diagnostic. Le professeur Bell était ainsi capable d’établir un diagnostic par simple lecture des signes qu’il repérait sur une personne.
6 Felman Shoshana, « De Sophocle à Japrisot (via Freud), ou pourquoi le roman policier », Littérature 49, 1983, p. 23-42. Consultable sur Persée, www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1983_num_49_1_2183.
7 Pour une généalogie des personnages d’herméneutes, voir l’article de Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », 1980, consultable en ligne : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-le-debat-1980-6-p-3.htm.
8 « Appelons herméneutique l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens. » Foucault Michel, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 44.
9 Rappelons d’emblée à quel point cette « logique » est une illusion en renvoyant à l’analyse de Denis Mellier, « L’illusion logique du récit policier », Philosophies du roman policier, ENS éditions, Fontenay-aux-Roses, 1995, p. 77-99.
10 Voir l’ouvrage de Jaeck Nathalie, Les Aventures de Sherlock Holmes, une affaire d’identité, Bordeaux, PU de Bordeaux, 2008.
11 Deux approches du récit policier co-existent, la première, historique, n’admet pas de parler de roman policier avant l’invention officielle d’un corps de police, la seconde, culturelle, trouve dans la démarche herméneutique du détective des schèmes qui renvoient à des mythes et récits antérieurs.
12 N’oublions pas qu’à l’époque, les enseignants des plus grandes universités sont des prêtres et que les chercheurs qui se penchent sur les sciences du vivant se nomment des « natural theologians ». T.H. Huxley fut l’instigateur du X-Club fondé en 1864 et regroupant ceux qui allaient ensuite se dénommer des « scientifiques ». « The X-Club : A Social Network of Science in Late-Victorian England », in Mac Leod Roy, The ‘Creed of Science’ in Victorian England, Aldershot, Varorium, 2000, p. 305-21.
13 Rappelons qu’à l’époque, les datations de l’origine de la Terre se chiffraient en quelques milliers d’années !
14 L’ouvrage de Gillian Beer, Open Fields, retrace de façon très claire les bouleversements épistémologiques que la théorie de l’évolution introduit. Beer Gillian, Open Fields, Oxford, OUP, 1999.
15 L’homme, et, bien entendu, la femme, même si cette dernière a de toute façon à l’époque un statut inférieur sur l’échelle des êtres.
16 Lecercle Jean-Jacques, Frankenstein, mythe et philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 1998 et « Dracula : une crise de sorcellerie », dans Menegaldo Gilles et Sipière Dominique (dir.), Dracula, Stoker-Coppola, Paris, Ellipses, 2005.
17 Girard René, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.
18 Nous reviendrons sur cet aspect, mais signalons que la forme sérielle distingue souvent entre deux grandes tendances : la répétition d’une formule qui est reprise à chaque épisode et/ou le feuilleton, soit une intrigue qui s’étend sur plusieurs épisodes/récits. L’un n’est pas exclusif de l’autre.
19 Aubry Danielle, Du roman-feuilleton à la série télévisuelle. Pour une rhétorique du genre et de la sérialité, Berne, Peter Lang, 2006, 244 p. Voir également St Beuve, « De la littérature industrielle », Revue des Deux Mondes, tome 19, p. 675-691.
20 Voir le pamphlet de Sainte Beuve : http://www.revuedesdeuxmondes.fr/article-revue/de-la-litterature-industrielle-2/ (consulté le 05/02/18) Umberto Eco reprend cette facette dans son article « Innovation and Repetition : Between Modern and Post-Modern Aesthetics », Daedalus, vol. 114, no 4, « The Moving Image » (Fall, 1985), p. 161-184, p. 161 : « The pleasurable repetition of an already known pattern was considered, by modern theories of art, typical of Crafts – not of Art – and of industry […] The products of mass media were equated with the products of industry insofar as they were produced in series, and the ‘serial’ production was considered as alien to the artistic invention. »
21 Voir aussi Eco U., « Innovation and Repetition », art. cit., sur cette opposition entre mineur et majeur.
22 L’article de Guillaume Soulez repart d’ailleurs de celui d’Umberto Eco. Soulez Guillaume, « La double répétition : Structure et matrice des séries télévisées ». Mise au Point, Cahiers de l’AFECCAV, Association française des enseignants et chercheurs en cinéma et audiovisuel, 2011, 3 <hal-01389614> (consulté le 05/02/18).
23 Nul doute que les théories pseudo-scientifiques sur la disparition du soleil ou la dégénérescence à la fin du xixe étaient à l’époque considérées comme fondées, mais l’état de la science contemporaine et la diffusion du savoir scientifique sur des questions telles que, par exemple, le réchauffement climatique (entre autres) contribuent sans aucun doute à la reprise dans la fiction d’univers diégétiques où un cataclysme détruit tout ou presque de la planète.
24 [Avec] « l’état écranique généralisé rendu possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, […] voici le temps de l’écran-monde, du tout-écran, contemporain du réseau des réseaux, mais aussi des écrans de surveillance, des écrans d’information, des écrans ludiques, des écrans d’ambiance. L’art (art numérique), la musique (vidéo-clip), le jeu (jeu vidéo), la publicité, la conversation, la photographie, le savoir, plus rien n’échappe tout à fait aux filets numérisés de la nouvelle écranocratie. » Lipovetsky Gilles, Serroy Jean, L’Écran global : culture-médias et cinéma à l’ âge hypermoderne. Paris, Éd. Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2007, p. 23. Voir http://questionsdecommunication.revues.org/1395 pour le texte intégral en PDF (18/05/18).
25 Voir Després Elaine et Machinal Hélène, Posthumains, frontières, évolutions, hybridités, Rennes, PUR, 2014.
26 Le parallèle entre la fiction sérielle de la fin xixe et celle de la période contemporaine n’est pas nouveau et a été analysé par Jean-Pierre Esquenazi, Les Séries télévisées, l’avenir du cinéma ?, Paris, A. Colin, 2010. Voir aussi Aubry D., op. cit., et Soulez G., art. cit.
27 Suvin Darko, Metamorphoses Of Science Fiction, New Haven, Yale University Press, 1979.
28 Jeanette Winterson propose dans Art Objects une approche de la fiction qui évoque cette perception simultanée de deux types de réalité : « to create an imaginative reality sufficiently at odds with our daily reality to startle us out of it », Winterson Jeanette, Art Objects, London, Vintage, 1995, p. 188.
29 On peut rappeler la définition de Caillois du phénomène ou de l’effet fantastique « irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable légalité quotidienne », Caillois Roger, Cohérences aventureuses, « Au cœur du fantastique », Paris, Gallimard, 1965, p. 174.
30 On pense aussi à LOST.
31 Fringe, J. J. Abrams, Fox, 2008-2013, 5 saisons.
32 Précisons que si le corpus de cet ouvrage est constitué de séries télévisées hybridant SF et policier, il pourra être question de romans, mais surtout de films tant certains d’entre eux (souvent d’ailleurs adaptés de romans) sont centraux dans les représentations du posthumain.
33 Musso Pierre, Critique des réseaux, Paris, PUF, 2003, et Réseaux et société, Paris, PUF, 2003.
34 Voir Lefait Sébastien, Surveillance on Screen, Rowman & Littlefield, Scarecrow Press, 2013.
35 On en trouve une illustration dans Westworld (Nolan, HBO, 2016-en production, 3 saisons).
36 Stranger Things, Matt Duffer, Ross Duffer, Netflix, 2016-en production, 3 saisons.
37 Person of Interest, Nolan, CBS, 2011-2016, 5 saisons.
38 The Handmaid’s Tale, Bruce Miller, Hulu, 2017-en production, 3 saisons.
39 Matrix, A. & L. Wachowski, 1999.
40 Helix, Cameron Porsandeh, Sony Pictures Television, 2014-2015, 2 saisons.
41 Dark Matter, Joseph Mallozzi et Paul Mullie, Space, 2015-2017, 3 saisons.
42 Voir Foucault Michel, La Volonté de savoir (1976) et le cours public au Collège de France (Leçon du 17 mars, « Il faut défendre la société », 1997). Voir aussi l’article « biopolitique » de l’Encyclopédie Universalis.
43 Intelligence, Steizman, CBS, 2014, 1 saison.
44 Jake 2.0, Silvio Horta, CBS, 2003-2004, 1 saison.
45 Nous utilisons le terme de hacker (qui est d’ailleurs dans le Larousse) car la traduction française n’a pas les mêmes connotations et renvoie à une autre tradition, celle des pirates. Voir par exemple Freyheit Matthieu, « The Fame Monster ! : Revers et fortune du pirate, du xixe siècle à nos jours, des mers à la toile », Thèse soutenue en 2013, http://www.theses.fr/2013MULH5211.
46 Mr. Robot, Sam Esmail, NBC, 2015-2020, 4 saisons.
47 « […] toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion […] » Lévi-Strauss Claude, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », Sociologie et anthropologie [1950], Paris, PUF, 2003, p. xix.
48 Durand Gilbert, Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas, 1969.
49 Cassirer Ernst, La Philosophie des formes symboliques, 2. La Pensée mythique, Paris, Éditions de Minuit, 1972 (1953).
50 Serroy J. & Lipovetsky G., L’Écran global, culture-médias et cinéma à l’ âge hypermoderne, op. cit.
51 Holmes évoquant Moriarty : « He sits motionless, like a spider in the center of its web, but that web has a thousand radiations, and he knows well every quiver of each of them. He does little himself. He only plans. », Arthur Conan Doyle, « The Final Problem ». Watson, cette fois à propos de Holmes : « He loved to lie in the very centre of five millions of people, with his filaments stretching out and running through them, responsive to every little rumour or suspicion of unsolved crime. », AC Doyle, « The Cardboard Box ».
52 « The computer is not an object, or a creator of objects, it is a process or active threshold mediating between two states. », Galloway A., The Interface Effect, http://art.yale.edu/file_columns/0000/1404/galloway_alexander_r_-_the_interface_effect.pdf, p. 23.
53 « The interface is this state of ‘being on the boundary’. It is that moment where one significant material is understood as distinct from another significant material. In other words, an interface is not a thing, an interface is always an effect. It is always a process or a translation. » L’interface est cet état qui consiste à « être sur la frontière ». Cela correspond au moment où un matériau signifiant se distingue intelligiblement d’un autre matériau signifiant. En d’autres termes, une interface n’est pas une chose, une interface est un effet. C’est toujours un processus ou une translation (nous traduisons), ibid., p. 33.
54 Hayles Katherine, The Cosmic Web, NY & London, Cornell Univ. Press, 1984, p. 15.
55 Hayles K., How We Became Posthuman : Virtual Bodies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago, London, the University of Chicago press, 1999.
56 Mittell Jason, « Narrative Complexity », The Velvet Light Trap 58.1, 2006, p. 29-40, en ligne : https://0-muse-jhu-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/article/204769(22/02/18).
57 Voir Gervais Bertrand, « Est-ce maintenant ?/Is it now ? Réflexions sur le contemporain et la culture de l’écran », dans Gervais Bertrand et al., Soif de réalité, Montréal, Nota Bene, 2018, p. 17-46.
58 Ce film est emblématique de la culture de l’écran et il est l’un des exemples retenus par B. Gervais dans son analyse du contemporain. Il existe également une série mais elle ne présente pas grand intérêt.
59 Ici encore, cette série, malheureusement incomplète, est tirée d’une œuvre littéraire : Robert J. Sawyer, Flashforward, 1999.
60 Torchwood, créée par Russell T. Davies, avec John Barrowman et Eve Myle, BBC, 2006-2011, 5 saisons. Voir aussi en fiction textuelle Seth Patrick, Reviver, 2013. Stitchers, Jeffrey Alan Schechter, ABC, 2015- 2017, 3 saisons. Timeless, Eric Kripke, Shawn Ryan, NBC, 2016-2018, 2 saisons ; Frequency, Jeremy Carver, The CW, 2016-2017, 1 saison ; Life on Mars (versions britannique et américaine), T. Jordan & M. Graham, BBC, 2006-2007, 2 saisons ; M. Graham & TJordan, ABC, 2008-2009, 1 saison ; Heroes, Tim Kring, NBC, 2006-2010, 4 saisons.
61 Rancière Jacques, « Le partage du sensible : Interview. » (Multitude, 2007), Mediapart, 15 septembre 2015, https://blogs.mediapart.fr/segesta3756/blog/150915/ jacques-ranciere-le-partage-du-sensible-interview-multitude-2007 (19/07/18).
62 Des séries telles que Person of Interest ou Mr. Robot jouent de cette tension.
63 Lecourt Dominique, Humain, post-humain, Paris, PUF, Histoire et société, 2003.
64 Gros François, La Civilisation du gène, Paris, Hachette, 1989 et L’Ingénierie du vivant, Paris, O. Jacob, 1990.
65 Voir Machinal Hélène, « Créatures et créateurs : fondements ontologiques et épistémologiques de la figure mythique de Sherlock Holmes », Véronique Liard (éd.), Histoires de crimes et société, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2011, p. 229-237.
66 Voir par exemple Carey John, The Intellectuals and the Masses, London, Faber, 1992.
67 Pour des analyses des séries de SF contemporaines, voir Favard Florent, Le Récit dans les séries de science-fiction, Paris, A. Colin, 2018 et Aux frontières du futur : Mythologie des séries de science-fiction, Paris, Éditions Vendémiaire, 2017.
68 Colebrook Claire, Gender, Basingstoke & N.Y, Palgrave Macmillan, 2004, p. 219. Nous reviendrons sur cet aspect dans le chapitre 3.
69 DickPhilipK.,DoAndroidsDreamofElectricSheep ?, NY, Doubleday, 1968.
70 Blade Runner, Ridley Scott, 1982.
71 Almost Human, Wyman, Fox, 2013-2014, 1 saison.
72 Ginzburg Carlo, « Signe, trace, piste, racines d’un paradigme de l’énigme », art. cit.
73 Voir Mellier Denis, « L’impossibilité filmique de l’énigme policière », dans Menegaldo G. & Sipière D. (éds.), Les récits policiers au cinéma, La Licorne, Hors série – Colloque VIII, Poitiers, 1999, p. 9-24.
74 On pense ici aux théories de la fiction et des mondes possibles développées par M-L Ryan et Anne Besson.
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La sérialité à l’écran
Comprendre les séries anglophones
Anne Crémieux et Ariane Hudelet (dir.)
2020