Chapitre six. Le talent révélé
p. 269-298
Texte intégral
1La mise en scène du travail productif n’est qu’en apparence contradictoire avec la nature spectaculaire de numéros qui semblent prôner le divertissement ainsi que le bonheur de chanter et danser : Richard Dyer a montré que loin d’être un simple genre d’évasion (escapist), le musical proposait dans sa forme même des réponses aux contradictions bien réelles de l’économie capitaliste. L’entertainment « offre l’image de “quelque chose de meilleur” qui nous permet de nous échapper, ou de quelque chose que nous désirons profondément mais que nos vies quotidiennes ne nous fournissent pas. Alternatives, espoirs, souhaits – il s’agit là de l’étoffe de l’utopie, le sentiment que les choses pourraient aller mieux »1. Pour être efficace, explique Dyer, la « sensibilité utopiste » (utopian sensibility) qui se manifeste dans les musicals à travers différentes catégories (en produisant des images et des effets d’énergie, d’abondance, d’intensité et de communauté) « doit partir des expériences réelles du public »2.
2De fait, les séries backstage s’inscrivent bien dans la continuité de l’esthétique réaliste que Dyer voit à l’œuvre dans des films comme Gold Diggers of 1933, produits à l’époque de la Grande Dépression. Les séries d’aujourd’hui mettent l’accent, dans les numéros spectaculaires comme dans les segments narratifs, dans l’articulation même entre scène et backstage, sur des dimensions de la question du travail inédites dans le genre musical (comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent) – mais aussi sur des aspects plus attendus : les coulisses sont par définition le lieu de tous les drames secrets, de toutes les souffrances et toutes les ambitions déçues, et à ce titre la véritable face cachée de la scène. Les séries sont donc très souvent renvoyées à une dimension mélodramatique qui semble largement définir l’essence du genre du backstage et de ses mises en scène spectaculaires.
3Le genre (ou « mode », je reviendrai sur cette distinction) mélodramatique souligne surtout certaines ambivalences idéologiques du cycle qui débute avec Glee en 2009. Le mélodrame marque-t-il en réalité la dette des fictions musicales contemporaines à l’égard de la forme du soap opera ? Ou bien permet-il d’articuler de véritables numéros mélodramatiques, qui tentent de prendre en charge des contradictions culturelles et idéologiques ?
Soap ou mélodrame ?
De nouveaux soap operas de prime time ?
4Comment imaginer que les fictions backstage puissent se caractériser par un certain réalisme, en particulier dans leur peinture de l’univers du travail dans les secteurs de l’entertainement et, au-delà, dans leur évocation des évolutions récentes des modes d’organisation sociale et économique, alors que les récits backstage de ces séries sont souvent blâmés, par les critiques comme par les fans, pour leur manque de vraisemblance et leurs stéréotypes ? Plusieurs de ces séries n’ont-elles pas été assimilées à de véritables soap operas, un genre rarement loué pour son réalisme, dans le choix des sujets comme dans la structure des intrigues ?
5L’analogie, mentionnée pour la plupart des productions du corpus (le rapprochement avec le soap opera est noté par les critiques de Pose et de Flesh and Bone, par exemple), est insistante dans les discours portant sur Nashville et Empire, comparés à des soap operas par leurs créateurs, leurs producteurs et aussi leurs fans3. Les critiques de Nashville relèvent avec amusement, surtout à partir de la troisième saison les nombreux coups du sort, hasards et coïncidences émaillant l’intrigue4; les producteurs et les diffuseurs, dans la même période, s’en inquiètent : lors du changement de diffuseur, au début de la saison 5, les nouveaux showrunners, Marshall Herskovitz et Ed Zwick, déclarent vouloir estomper cette tonalité soap opératique pour en revenir aux « aspects dramatiques de [la] vie intérieure »5 des personnages. La formule d’Empire procède à une sorte de « retournement du stigmate » : le co-créateur de la série, Lee Daniels, manque rarement de citer et de vanter les sources d’inspiration déterminantes que furent, pour lui, Dallas, Falcon Crest et Dynasty6. Alors que les deux séries, comme je l’ai montré dans le chapitre précédent, œuvrent chacune à sa façon pour exposer des mécanismes productifs et économiques cruciaux grâce à la nouvelle formule du backstage, le soap opera met pourtant en jeu des logiques, narratives et idéologiques, qui rabattent systématiquement sur l’intime et sur les spécificités individuelles ou familiales des rouages de nature socio-économique. Deux logiques génériques contradictoires semblent à l’œuvre, celle du backstage contemporain entrant en concurrence avec celle du soap, convoqué pour euphémiser ou occulter le réalisme des dispositifs mis au jour. Au début d’Empire, par exemple, Lucious Lyon (Terrence Howard), se sachant malade, rassemble ses trois fils et leur annonce qu’il choisira bientôt l’un d’entre eux pour lui succéder à la tête de la maison de disque qu’il a fondée avec Cookie (Taraji P. Henson), son ex-épouse qui, à peine sortie de prison, a bien l’intention de récupérer son dû. Le caractère shakespearien du drame est explicite (dans le pilote, l’un des trois fils compare la situation de la famille à celle de King Lear), et la rivalité familiale vient presque totalement recouvrir la concurrence professionnelle exacerbée que le feuilleton dévoile par ailleurs.
6En dépit de similitudes narratives et thématiques avec les soaps de prime time des années 1980, la filiation entre les séries backstage et les soap operas en général est pourtant rien moins qu’assurée : même si plusieurs critiques (en particulier Jane Feuer7) ont tenté d’expliquer que les séries contemporaines devaient beaucoup à la formule générique du soap, Jason Mittell a montré de façon déterminante que les modes spécifiques de narration des séries contemporaines « dérivent moins des soap operas américains que d’autres formes de sérialité telles que les comics, les serials cinématographiques classiques et les feuilletons littéraires du xixe siècle »8. Surtout, explique Mittell, le genre du soap opera met en œuvre des stratégies de production et de diffusion bien spécifiques, ainsi que des modes de narration et des techniques de jeu d’acteur qui n’ont pas leur équivalent dans les séries contemporaines. Il rappelle que les spectateurs des soaps prennent généralement moins plaisir aux rebondissements d’une intrigue complexe qu’aux formes de répétition et de redondance qui sont le propre du genre : en vertu d’une « narration paradigmatique »9, chaque série d’événements est racontée et déclinée à de multiples reprises (les personnages prennent connaissance successivement d’une information, réagissent à ces nouvelles données, et surtout commentent l’événement en question avec leurs connaissances). Ces fictions produites sans interruption toute l’année et diffusées cinq jours par semaine suscitent des pratiques de réception spécifiques, et ont ainsi su faire de la redondance un élément clé de leur formule narrative. Parce que les premières saisons de Nashville et Empire comptent, respectivement, 21 et 12 épisodes, et que les narrations évitent, précisément, la narration paradigmatique du soap et ses effets de répétition tautologique, ces feuilletons ne peuvent donc guère se comparer ni avec les cadences de production et de diffusion des soaps, ni avec leurs structures narratives bien particulières.
Des mélodrames de famille
7Si les intrigues des séries musicales rappellent celles de Dynasty et Dallas – des séries bien éloignées des soap operas de journée, en dépit de l’étiquette générique trompeuse de « soap operas de prime time » – c’est plutôt parce que ces productions sont toutes des incarnations des « mélodrames de famille » désormais fréquents à la télévision. Nashville et Empire sont ainsi sans conteste des mélodrames car les deux séries s’efforcent de tracer des oppositions nettes entre le bien et le mal, en caricaturant parfois les uns et les autres, mais en tentant la plupart du temps de profiter du temps long de la série pour affiner leurs portraits des victimes et de leurs oppresseurs. Et Nashville, surtout, est un mélodrame de famille car la série brosse sur plusieurs saisons à la fois une fresque de la vie de musiciens dans la capitale de la country, et un tableau convaincant de la vie de famille des principaux personnages. Les deux séries, ensuite, actualisent les motifs les plus emblématiques du « mode de l’excès »10 qui distinguerait le mélodrame. L’excès caractérise en effet des intrigues peu avares en coups du sort et reconnaissances, en hasards et découvertes fortuites, et dont le traitement fait voisiner pathos, sentimentalité et violence, articulés à l’aide de dynamiques bien spécifiques de mise en scène. Comme l’indique Thomas Elsaesser à propos des mélodrames de famille hollywoodiens des années 1950, le genre du mélodrame vise, comme le signale l’étymologie, à « introduire le mélos dans le drame »11 ; autrement dit le mélodrame est « une forme particulière de mise en scène dramatique », fondée sur des « composantes d’un système de ponctuation, qui donnent une couleur expressive et un contraste chromatique à la ligne narrative, en orchestrant les hauts et les bas émotionnels de l’intrigue »12. Dans la première saison d’Empire, par exemple, trois personnages (Cookie, Lucious, leur fils Jamal) se rappellent à plusieurs reprises le même souvenir dramatique et violent : enfant, Jamal Lyon revêt les escarpins et le foulard de sa mère mais son père, furieux d’un acte qu’il interprète comme un indice du caractère efféminé de l’enfant, le dépose dans une poubelle devant la maison. Des bribes de ce souvenir traumatique sont disséminées dans le premier épisode (S01E01) : dans un premier temps, un flash-back met l’accent sur l’excès sonore (les vociférations de Lucious, les cris de l’enfant et de la mère) au moment de l’incident. En fin d’épisode, un montage parallèle rapproche une performance chantée de Jamal adulte et le flash-back dramatique. L’excès sonore du passé est tout d’abord masqué par l’excès émotionnel de la chanson, dont les paroles sont un commentaire transparent de la scène (« I give you all of me / But it still ain’t enough to make you happy / […] I just want you to look at me /And see that I can be worth your love »). En bout de course, un effet de brouillage vient mêler dans la bande sonore passé et présent, musique de Jamal, cris de l’enfant et des parents. Le caractère mélodramatique tient ici autant à un pathos modulé en fonction de ponctuations essentiellement sonores, qu’à une péripétie dramatique dont la vérité a bouleversé de nombreux spectateurs (sur ce point, voir chapitre 3).
Nashville et Empire, deux séries musicales féministes
Ce n’est certainement pas un hasard si les deux mélodrames musicaux que sont Nashville et Empire sont aussi deux séries féministes : au cinéma, les mélodrames ont souvent mis les personnages féminins au centre de la fiction, tout en s’adressant de façon privilégiée aux spectatrices. Créée par Callie Khouri (scénariste de Thelma et Louise) et produite par Dee Johnson (The Good Wife), Nashville met sur le devant de la scène des chanteuses de country qui évoluent dans un milieu professionnel extrêmement compétitif, à une époque où le secteur de la musique connaît de profonds changements. Tout en proposant des personnages masculins complexes (Will Lexington, le jeune chanteur de country torturé par sa sexualité, Deacon Claybourne, le guitariste chevronné amoureux d’une star de la country), Nashville s’intéresse à un ensemble de personnages féminins qui sont confrontés à des dilemmes familiaux et professionnels, et qui ne cessent d’évoluer afin de continuer à exercer leur activité. Au début de la série, Rayna James n’est guère préparée au moindre changement, mais le succès d’une chanteuse plus jeune l’amène à effectuer des choix personnels et professionnels, sans renoncer à son exigence musicale. Sans faire de Juliette Barnes, sa rivale, une simple arriviste, Khouri offre, au fil des six saisons de Nashville, le portrait nuancé d’une jeune chanteuse qui, plus encore que Rayna, doit faire face à des bouleversements personnels et ne cesse de se transformer et de progresser, en particulier professionnellement et musicalement. La série, enfin, impressionne par sa capacité, rare sur un network, à mettre en scène une galerie de personnages féminins de tous âges, sans se contenter de mettre en lumière les personnages de femmes d’une vingtaine d’années : les personnages de femmes adultes (Rayna James elle-même) mais aussi les enfants et les adolescentes (les filles de Rayna, dans les deux dernières saisons) sont les personnages les plus mémorables de Nashville.
Créée par Danny Strong et Lee Daniels (Precious), Empire a au cours de ses six saisons retenu l’attention des publics et des critiques grâce à un personnage extraordinaire : Cookie Lyon, qui après 17 ans derrière les barreaux est bien décidée à retrouver sa place à la tête de la maison de disque familiale. Si l’héroïne et l’actrice qui l’interprète, Taraji P. Henson, ont pu être critiquées en raison des stéréotypes que le comportement de Cookie peut évoquer, l’énergie, l’humour et le courage de cette femme active et moderne ont assuré un immense succès à la série. Sans se limiter à cette figure de proue, Empire propose aussi, surtout dans les dernières saisons, plusieurs portraits sophistiqués de professionnelles qui tentent de se faire une place dans les secteurs de la production (Becky, Porsha, Giselle…) et de l’interprétation (Tiana).
8Cet aspect mélodramatique n’est pas propre au cycle de séries musicales contemporaines : les musicals backstage classiques attirent déjà l’attention sur le mélodrame des coulisses, en soulignant, chez Busby Berkeley notamment, le sordide des conditions de vie des girls et du personnel des théâtres, la face peu reluisante de coulisses qui sont un véritable envers de la scène. Ces mélodrames « réalistes » peuvent, à l’aide de saisissants effets de contraste, dévoiler le contexte social et politique de la Grande Dépression (Gold Diggers of 1933 s’ouvre ainsi sur les paroles bien optimistes de « We’re in the Money » et se clôt sur le pathos de « Remember My Forgotten Man »), mais aussi, de façon plus attendue, révéler un pathétique plus intimiste (Rick Altman juge même que le musical à ses débuts était presque « pleurnichard »13). Dans les fictions backstage, qui continuent la tradition du mélodrame (musical) « de coulisses », abondent les adultères, les identités cachées et soudain découvertes, ainsi que les révélations de toutes sortes ; dans plusieurs séries, surtout, l’intensité dramatique permet de mettre au premier plan des problématiques socio-culturelles (de classe, genre, sexualité ou race) abordées sans manichéisme. Dans Nashville, par exemple, le point de vue est essentiellement féminin et nous suivons les destins de trois femmes articulés à la façon d’un woman’s film : Rayna, la star de la country qui peine à maintenir son statut, Juliette la jeune chanteuse ambitieuse qui menace de détrôner Rayna, et enfin Scarlett, une jeune femme dont les talents de chanteuse sont peu à peu découverts.
Les numéros mélodramatiques du backstage
9La nature même de la narration des séries impose cependant de redéfinir la catégorie générique en prenant en compte les mécanismes de sérialité et de répétition, qui influencent la conception comme la perception des effets mélodramatiques. Pour Linda Williams, c’est l’« horizontalité » des séries contemporaines (l’expansion de leur durée, d’épisode en épisode) qui « impose de repenser la nature même de l’espace et du temps mélodramatiques » de productions qu’elle qualifie de « mega-melodramas »14. Sans se limiter à une reprise des motifs les plus stéréotypés du genre, les séries engagent de façon répétée le mélange de pathos et d’action qui est la marque même du mode mélodramatique, qui se caractérise ainsi :
Une histoire qui génère de la compassion pour un héros qui est aussi une victime et qui conduit à un climax permettant au public, et d’ordinaire aux autres personnages, de reconnaître la valeur morale de ce personnage. Ce climax révélant la valeur morale de la victime peut se manifester dans l’une ou l’autre des deux directions suivantes : soit il peut consister en un paroxysme de pathos (comme dans les variantes du woman’s film ou du mélodrame de famille), soit il peut se saisir de ce paroxysme et le canaliser dans les variantes, plus viriles et davantage centrées sur l’action, que sont les sauvetages, les courses-poursuites et les combats (comme dans le western et tous les genres d’action)15. »
Cristalliser les temporalités
10On trouve parfois de tels paroxysmes de pathos et/ou d’action dans les segments narratifs, mais ces séquences sont isolées et ne spécifient pas vraiment la formule des séries musicales. En réalité, ce sont plutôt les numéros musicaux qui parviennent parfois à canaliser le spectacle et l’action propres aux genres masculins et le pathos qui caractérise davantage les woman’s films ; ces attractions figent momentanément le cours du récit en un climax spectaculaire permettant aux spectateurs, ainsi qu’au public diégétique, de reconnaître les qualités particulières d’un performer ou de certains personnages, ou encore de découvrir une vérité cachée.
11La stratégie la plus courante de ces numéros mélodramatiques passe par une narrativisation des performances, tout particulièrement en fin d’épisode ou de saison, qui vise fréquemment à condenser plusieurs temporalités. C’est le cas à la fin du second épisode de Nashville, par exemple, lorsque Deacon invite Rayna à le rejoindre sur scène pour chanter un duo au Bluebird Cafe (S01E02). L’invitation est doublement surprenante : Rayna et Deacon se sont violemment disputés, plus tôt dans l’épisode, et le guitariste entretient une relation avec Juliette, la jeune rivale de Rayna, également présente au Bluebird Cafe ce soir-là. Leur duo, « No One Will Ever Love You », est une révélation pour le public diégétique, tant le présent de la performance rappelle le passé de la relation amoureuse (les deux chantent alternativement « I know why you’re lonely / It’s time you knew it too »), et annonce un futur proche (Deacon et Rayna vont-ils se réconcilier, dans le prochain épisode ?) ainsi qu’un avenir plus lointain (« No one will ever love you like I do / […] I’m all you’ ll ever need »), puisque la chanson anticipe les retrouvailles du couple, à la fin de la première saison.
Fig. 61. Premier numéro mélodramatique de Rayna (Connie Britton) et Deacon (Charles Esten) dans Nashville, S01E02.

12Cette synthèse des époques n’est pas portée uniquement par les paroles de la chanson, et une mise en scène spécifique permet de formuler « les problèmes du mélodrame comme des problèmes de style et d’articulation »16, pour reprendre la formulation de Thomas Elsaesser. En début de séquence, la performance est pleinement située dans le contexte du café (plans poitrine des chanteurs ; profondeur de champ prenant en compte la présence des autres musiciens comme la réaction des spectateurs diégétiques), mais en cours d’interprétation la répétition lancinante du refrain suscite un changement brutal : le système de call and response a pour équivalent visuel des champs-contrechamps des performers en gros plan sur fond noir, et une annulation de la profondeur de champ qui vient décontextualiser le dialogue entre les deux musiciens (fig. 61).
13Les courtes séquences de ce type font office de véritables précipités narratifs, et ce en raison de la forme même de morceaux musicaux qui, comme les « chansons-cristal » analysées par Phil Powrie, signalent un « croisement critique dans la narration », offrent une « collision de temporalités » et, « tout comme l’image-cristal, joue[nt] avec la temporalité, ou plus précisément met[tent] du jeu dans la temporalité »17. Mais les numéros mélodramatiques que j’identifie ici offrent la particularité d’articuler ce heurt des temporalités dans une visée explicitement mélodramatique, tant il s’agit toujours de révéler une vérité jusqu’alors non formulée, en négociant l’horizontalité du temps sériel et la profondeur du temps mélodramatique18.
14Une seconde tactique, explicitement narrative, consiste à répéter une chanson (ou un numéro chanté et dansé, comme dans Smash) dont les spectateurs peuvent suivre l’élaboration et l’évolution au fil des épisodes. Dans Treme, par exemple, la chanson « This City », interprétée et enregistrée par Annie Tee dans divers contextes (épisodes S03E09 et S04E02, en particulier), condense à chaque fois plusieurs époques : le temps long de la création du titre (c’est dès le dernier épisode de la première saison que l’on entend le morceau pour la première fois, puisqu’Annie contribue à son écriture) ; le passé récent de la musicienne (la chanson rappelle la mort dramatique du compositeur, comme le perfectionnement de la technique de la jeune femme) ; le passé et le futur de la ville, enfin, la chanson devenant dans la série l’emblème de la résilience de La Nouvelle-Orléans (« This city won’t wash away / This city won’t ever drown... »).
Un genre du corps
15Toutes les séries backstage, sans exception, ont recours à une troisième tactique, qui consiste à agréger, souvent en fin d’épisode, plusieurs arcs narratifs dont quelques plans emblématiques sont unis en tirant parti de la capacité de certaines chansons à dépasser les particularités de lignes narratives singulières, à prendre en charge une synthèse narrative et à anticiper les évolutions à venir. Comme l’explique Michel Chion, « la forme musicale la plus brève – telle qu’une chanson avec couplet et refrain – […] peut intervenir, dans les films, comme ces petites boules de verre rondes qu’on tient dans la main au milieu d’une grande pièce et qui la reflètent toute, mais qui refléteraient n’importe quoi où on les transporterait »19. Mais ce type de numéro mélodramatique diffère-t-il vraiment des configurations qui sont monnaie courante dans toutes les séries dramatiques, lesquelles se plaisent précisément, comme je l’ai montré (voir chapitre 4 notamment), à réserver aux fins d’épisodes les chansons soigneusement sélectionnées par les music supervisors de façon à pouvoir offrir d’efficaces et souvent mémorables synthèses narratives ? En d’autres termes, les numéros mélodramatiques des séries backstage sont-ils une simple illustration de l’utilisation des chansons à des fins de récapitulation et d’annonce, une pratique courante dans la plupart des séries contemporaines, musicales ou non ?
16Contrairement à la chanson utilisée en fin d’épisode de série non musicale, le numéro mélodramatique backstage offre autant un pivot et une synthèse qu’une certaine déstabilisation narrative : il correspond pleinement à un « moment musical » (musical moment), c’est-à-dire « un point particulier de perturbation […] qui est particulièrement remarquable pour sa capacité à perturber le texte en raison de son aspect inattendu ou, par moments, démesuré »20. Ce sont autant les implications narratives du numéro musical qui signalent la mélodramatisation que la mise en scène d’une attraction spectaculaire puissante, qui a valeur de choc visuel et auditif. Ces numéros mélodramatiques, qui visent à étonner les spectateurs par la manipulation soudaine des règles d’une formule sérielle, et par le franchissement récurrent, dans ces séquences, de la limite entre musique diégétique (les plans de performance musicale) et non diégétique (les segments narratifs qui sont récapitulés), sont le pendant dans le cycle backstage et pour les séries du « mode spectaculaire » des « effets spéciaux narratifs » que Jason Mittell identifie pour les séries du mode de la « complexité narrative »21.
17Le choc est souvent produit par la « corporéité » de la performance, notamment de chansons : Richard Dyer rappelle le plaisir très physique impliqué par le fait de produire mais aussi d’écouter une chanson, la possibilité qu’a la voix chantée de « dissoudre les limites entre soi et autrui et emmener les gens dans un domaine autre que celui de l’expérience, individuelle et fragmentée, que nous avons du temps et de l’espace dans la réalité ordinaire »22. Dans les séquences de fin d’épisode, le passage de la musique diégétique à des utilisations non diégétiques de la même chanson permet précisément cela, en reliant étroitement la mise au premier plan de la performance musicale à des enjeux narratifs qui trouvent là un élément unificateur, en facilitant l’empathie pour des personnages, et enfin en creusant l’intériorité psychologique des interprètes. Dans Nashville, les performances chantées les plus significatives sont l’occasion, en fin d’épisode, de rassembler plusieurs lignes narratives éparses, mais la mélodramatisation des performances tient beaucoup à l’aspect très incarné des numéros. Toutes les interprétations de la jeune Scarlett (Clare Bowen) – par exemple lorsqu’elle chante avec son partenaire Gunnar (Sam Palladio), en fin du tout premier épisode, « If IDidn’t Know Better » – ont ainsi la capacité de retenir l’attention des auditeurs. Le « choc » ressenti par les spectateurs diégétiques est partagé par les spectateurs de la série (les performances de Clare Bowen sont, avec celles de Lennon et Maisy Stella et de Hayden Panettiere, les plus commentées par les internautes sur le site YouTube officiel de la série, « ABCMusic Lounge ») comme par les publics des spectacles live auxquels ont participé les acteurs de la série aux États-Unis et au Royaume Uni (la comédienne a évoqué, dans plusieurs entretiens, l’accueil enthousiaste que lui ont réservé les fans). Après un épisode au programme narratif chargé, « If IDidn’t Know Better » met l’accent sur la sensualité de l’interprétation et sur l’idiosyncrasie des voix des chanteurs23, deux aspects analysés par les internautes qui prennent le temps d’en détailler les effets souvent physiques (ils expliquent souvent ne pouvoir s’arrêter d’écouter la chanson ; être devenus « accros » à la série en raison de ce titre ; ressentir frissons et chair de poule en l’écoutant)24. Dans cette longue séquence, c’est autant la voix singulière de l’interprète qui est mise en évidence (le micro justifie l’intimité, la proximité de la voix, les bruits de souffle et de respiration) que la présence des corps (la valeur des plans va, pour Scarlett, jusqu’au très gros plan ; la très faible profondeur de champ comme le soin apporté aux éclairages colorés soulignent la corporéité du moment) (fig. 62 à 66).
Fig. 62 à 66. Lumières colorées, gros plans : l’alchimie sur scène entre Scarlett (Clare Bowen) et Gunnar (Sam Palladio) dans Nashville (S01E01).

18La formule spécifique des séries « de coulisses » ne se caractérise ni par l’alternance de segments narratifs et de moments musicaux (les séries non musicales construisent d’importantes séquences autour de chansons, et les séries musicales non backstage sont fondées sur cette alternance), ni par la narrativisation de numéros mélodramatiques (le procédé est courant dans les séries non musicales). Leur spécificité est plutôt d’élaborer par moments des interprétations spectaculaires qui sont l’équivalent, dans le cycle, des « spectacles narratifs » des séries non musicales, et dont la mélodramatisation tient à l’aspect physique des performances, à une présence et une érotisation des corps lors des numéros (cet aspect est ainsi évoqué par plusieurs internautes pour la chanson de Nashville déjà commentée25). Le backstage télévisuel peut ainsi être assimilé à un « genre du corps »26 qui vise à organiser des chocs/moments attractionnels lors desquels le spectacle des corps offre un paroxysme de pathos destiné à saisir viscéralement les spectateurs – et aussi, nous le verrons, à leur permettre d’évaluer la « valeur » des personnages.
19À la fin du sixième épisode de Bunheads, une performance dansée de la jeune Sasha constitue un « moment musical » saisissant, non sans lien avec une péripétie de l’épisode qui s’achève (l’adolescente subit de plein fouet la mésentente de ses parents, et sa danse est une réaction à ce qu’elle vient d’apprendre). Mais c’est finalement plutôt la présence intense de la danseuse comme sa performance rageuse qui retiennent l’attention des critiques comme des fans. La vidéo de cette danse (la plus discutée de la série, sur Internet) suscite des commentaires sur le corps de la danseuse (des spectatrices averties corrigent les avis de celles qui jugent que le physique de l’interprète est le signe d’une « anorexie »), et surtout sur son interprétation. Certaines internautes commentent des détails de la posture (« ses épaules sont trop en arrière. Pas une posture correcte pour la danse classique »27), quand d’autres préfèrent s’attacher à l’expressivité de l’interprète lors de ce plan séquence de plus de deux minutes (« ce n’est pas la technique qui rend cette danse extraordinaire, c’est la violence. Chaque fois que possible, les yeux de Sasha ne quittent pas la caméra même pour une fraction de seconde »28). Plusieurs journalistes relèvent l’étrangeté de la chorégraphie de Marguerite Derricks et de cette performance « rageuse » (angry) et très physique29, typique du genre du corps qu’est le backstage télévisuel (fig. 67).
Fig. 67. Bunheads (E06) : Sasha (Julia Goldani Telles) et deux danseuses dans « Istanbul (Not Constantinople) ».

Dynamiques raciales : le mélodrame en noir ou blanc
Occultation des enjeux raciaux
20La « corporéité » des numéros mélodramatiques des séries backstage ne se limite pas à une extrême présence des corps dans certaines séquences musicales : les performances, en mode mélodramatique, offrent la possibilité d’une mise au premier plan des identités, notamment en termes de genre, de classe, de sexualité, et également de race, un point véritablement crucial dans les séries produites après 2009. Plusieurs fictions (Glee, Nashville, Pose, Star...) semblent en effet pleinement en phase avec la promesse d’une Amérique postraciale – c’est-à-dire une nation qui serait désormais « aveugle » à la dimension raciale, enfin dépassée –, explicitement formulée par Barack Obama dès son discours de 2004 à la Convention nationale démocrate : « il n’y a pas une Amérique noire, une Amérique blanche, une Amérique latino et une Amérique asiatique ; il y a les États-Unis d’Amérique »30.
21Cette question est posée dans des termes presque identiques dans la première saison de Glee, en particulier dans l’épisode 7. Misant sur le mécontentement des lycéens des minorités, notamment raciales (en début d’épisode, Mercedes Jones, qui est noire, demande en vain à Will Schuester de modifier ses habituels choix musicaux, et d’« essayer quelque chose d’un peu plus... noir »), la rivale de Will, Sue Sylvester, provoque un schisme au sein de la chorale. Elle rassemble les membres des minorités et leur permet, du moins en apparence, d’affirmer leur identité en leur proposant d’interpréter « Hate On Me », un morceau de R & B : accompagnée par un trio de cuivres opportunément convié par Sue, Mercedes peut chanter d’une voix puissante, tandis que son camarade Mike fait une démonstration de hip-hop. L’expérience est de courte durée : les frondeurs se rendent vite compte que Sue instrumentalise leur « frustration » pour prendre l’avantage sur son rival. C’est donc Mercedes elle-même qui décide de mettre fin à la sécession : « Je n’aime pas cette histoire de minorités. Je suis une jeune femme noire forte et fière, mais je suis bien plus que cela. Je m’en vais ! » À la fin de l’épisode, Will peut tirer la leçon pour toute la chorale réunie :
« Tu as eu raison, indique-t-il à Sue, de pointer du doigt leur appartenance à des minorités. Car vous êtes tous des minorités. Vous êtes dans le Glee Club. […] Et cela n’a pas d’importance que Rachel soit juive, ou que Finn soit... – incapable de différencier ma droite de ma gauche ! –... ou que Santana soit latina31. »
22Alors que le début de l’épisode était centré sur les problématiques raciales, en raison de la protestation de Mercedes suivie de son interprétation d’un titre de R & B, Will tire profit de la fin de la fronde pour dépasser les oppositions et surmonter la polarisation raciale. Selon lui, la simple appartenance à la chorale fait de chacun de ses membres le représentant d’une minorité, même la plus improbable, ce qui a pour effet d’escamoter la spécificité de la question raciale. Plutôt que de faire valoir des revendications, il est préférable de se serrer les coudes au sein de la chorale et de donner le meilleur de soi-même, une conception tout à fait conforme à la vision politique défendue durant la présidence démocrate qui débute en 2009. Comme l’expliquera le président Obama aux étudiants noirs de l’université de Morehouse en 2013 :
Nous n’avons pas le temps de nous trouver des excuses – non pas que les legs amers de l’esclavage et de la ségrégation se soient évanouis, ce n’est pas le cas […]. Mais dans un monde hyper-connecté, hypercompétitif, avec un milliard de jeunes Chinois, Indiens et Brésiliens qui entrent sur le marché du travail en même temps que vous, personne ne vous donnera ce que vous n’avez pas gagné32. »
23Dans un dernier tour de vis, l’épisode se clôt par un numéro musical mélodramatique où chacun chante en soutien à une camarade enceinte dont la grossesse secrète – signe de son statut de « victime », sinon de son appartenance à une « minorité » –, est rendue publique par Sue. Si le Glee Club permet bien d’effacer les différences pour pouvoir chanter ensemble, la question raciale y est finalement à la fois occultée et instrumentalisée, lors d’une performance qui affirme la solidarité de tous envers une jeune femme blanche (fig. 68 et 69).
Fig. 68. De l’interprétation « noire »...

Fig. 69. … au mélodrame « blanc » (Glee, S01E07).

24Dans un premier temps, la problématique raciale, après avoir été rappelée, est évincée en prenant prétexte d’un refus de la victimisation, et en faveur d’une politique de performances racialement neutres, uniquement fondées sur les mérites et les efforts des uns et des autres. Dans un second temps, le numéro musical mélodramatique permet de définitivement occulter les membres des minorités, et d’en appeler, par un véritable tour de passe-passe, à une victimisation de personnages blancs. Alors que la première performance (« Hate On Me », le titre de R & B) place au premier plan la question des identités raciales des interprètes, la seconde chanson (la reprise par toute la chorale de « Keep Holding On », d’Avril Lavigne) évince cette question et se contente de transformer la performance en simple commentaire ou écho de questions traitées dans le récit (la détresse de la jeune femme enceinte). Ces numéros sont ainsi l’un des mécanismes – avec aussi la présentation de certaines interprètes (blanches) en véritables divas (voir chapitre 2) – permettant l’instauration d’un « racisme sans racistes »33 : si Mercedes n’obtient pas plus de solos, ce n’est pas en raison de sa couleur de peau mais parce qu’elle n’a pas la voix « adéquate » pour certains répertoires (sa voix semble finalement uniquement convenir pour chanter des reprises d’artistes africains-américains)34, et aussi parce qu’elle est « paresseuse » (un reproche formulé par Will, qui reprend là un stéréotype raciste – S03E03), contrairement à ses rivales blanches. Il s’agit donc, contre toute évidence, de nier les mécanismes structurels d’oppression des minorités raciales (alors que les numéros mélodramatiques « blancs » et le stéréotype de la diva blanche sont précisément des formes de ce racisme structurel), pour rabattre les inégalités sur la seule responsabilité individuelle, en refusant de les expliquer en termes racistes. De telles conceptions ne sont pas sans faire écho, dans les années 2010, à l’insistance renouvelée, dans le discours du parti démocrate tout particulièrement, sur les notions d’effort personnel et de responsabilité individuelle en matière de questions raciales. Comme l’expliquait en 2005 le futur président Obama, « rien n’est plus facile que d’attribuer ses échecs à ses origines raciales ou à la pauvreté. Ce qui est plus difficile, mais au fond plus enrichissant, c’est de reconnaître que, même si on ne choisit pas le monde dans lequel on naît, on a malgré tout la responsabilité d’en faire quelque chose »35.
25Au début d’un épisode consacré à une compétition régionale à laquelle participent les jeunes chanteurs (S01E13), Mercedes va même se rebeller contre la domination de Rachel, qu’elle estime infondée : elle a travaillé autant que sa rivale, explique-t-elle, et a donc mérité de chanter un solo. Pour preuve, elle interprète puissamment « And I Am Telling You I’m Not Going », une torch song de Dreamgirls qui emporte l’adhésion de ses camarades. Pourtant, par une véritable pirouette narrative (l’équipe adverse a plagié le répertoire de la chorale, et Mercedes ne peut donc pas chanter le titre qu’elle a préparé), c’est finalement Rachel qui chantera un solo lors de la compétition. Mercedes maîtrise en effet uniquement le morceau de Dreamgirls, alors que Rachel connaît parfaitement un vaste répertoire, car elle a davantage travaillé que sa rivale... Son interprétation inspirée de « Don’t Rain On My Parade » devant un large public est mélodramatique car elle suscite l’enthousiasme d’une salle entière et les larmes de Will Schuester ; cette performance aura aussi des conséquences narratives (la reconnaissance du statut de « star » de Rachel ; la victoire du groupe) que n’atteignent jamais les interprétations de la jeune chanteuse noire.
26Ces mécanismes, qui entrent en résonance avec le contexte culturel et politique des années 2010, ne sont pas propres à Glee. Dans Nashville, une performance mélodramatique vient pareillement détourner des enjeux raciaux pour affirmer le statut de victime d’une chanteuse blanche. Le début de la cinquième saison est pourtant marqué par plusieurs péripéties qui semblent affirmer la pertinence, dans la série, des dynamiques raciales : on suit l’évolution de la romance entre la jeune Maddie, qui est blanche, et Clay, un jeune chanteur noir, tandis que Juliette Barnes (une chanteuse blanche de country) se prend d’affection pour les chanteurs noirs d’une chorale de gospel, et souhaite après cette rencontre changer de répertoire musical. Mais lorsque les choristes apprennent sa décision de produire un album gospel, ils soulignent le risque d’appropriation culturelle et lui demandent, avec un certain esprit d’à-propos : « Cette musique ne fait pas partie de ton environnement culturel ; elle ne revêt pour toi aucune signification spécifique. Tu sais qu’il s’agit d’une musique noire, n’est-ce pas ? »36 Quelques épisodes plus tard (S05E13), la longue interprétation de « On My Way » par Juliette et les chanteurs de gospel met fin à la polémique et à un arc narratif de treize épisodes. Cette chanson marque d’une part une véritable renaissance spirituelle et personnelle pour Juliette, et permet d’autre part, par la référence à la musique noire et l’omniprésence des symboles religieux (le décor tout en vitraux de la salle de concert), de souligner la sincérité et l’authenticité de la chanteuse. Comme dans l’épisode de Glee, la question raciale est finalement minimisée au profit d’une performance mélodramatique centrée sur une interprète blanche et, dans le cas de Nashville, c’est la culture africaine-américaine qui est instrumentalisée dans ce but spécifique (fig. 70).
Fig. 70. Country + Gospel dans Nashville.

Mélodrames noirs
27Les enjeux raciaux sont posés différemment dans les séries dont la distribution est majoritairement composée d’acteurs noirs et dont les performances portent l’accent sur des traditions musicales africaines-américaines (Treme, The Get Down, Empire...). Empire, en particulier, tire parti de la référence à la forme du soap opera pour procéder à une suraffirmation des stéréotypes, notamment raciaux, et produire une vision critique inédite de la famille africaine-américaine, à rebours des représentations offertes par des séries antérieures comme The Cosby Show. Cookie Lyon, un des personnages féminins les plus populaires de la télévision américaine (Joshua K. Wright rappelle que #CookieMonsters a plus d’un million de followers sur Instagram et plus de 4 millions sur Twitter, pendant la période de diffusion de la série37), est certes fondé sur des stéréotypes raciaux – la femme noire « insolente », « en colère », brutale et peu policée (sassy et angry black woman) – souvent utilisés à des fins comiques de rupture de ton. Mais le personnage se caractérise aussi par une puissance, une autonomie et des valeurs d’empowerment que d’autres personnages féminins noirs de la série promeuvent également, et met au premier plan des questions sociales et politiques (en particulier l’hyperincarcération des femmes noires, souvent passées sous silence lorsque l’on évoque dans les médias américains l’incarcération de masse des Africains-Américains). Les problèmes et difficultés qui se posent à la famille Lyon (emprisonnement, brutalités policières, santé mentale, couples mixtes...) sont discutés de façon individuelle et aussi de manière globale, la série suscitant de nombreux débats dans les médias américains. Ces questionnements nourrissent le développement d’arcs narratifs mélodramatiques, et permettent de relier récit et performances musicales. Ainsi, à la suite de la surprise que constitue l’arrestation de son mari à la fin de la première saison, Cookie se livre à une impressionnante performance actorale (S02E01) : elle est déposée sur une scène de Central Park dans une cage et revêtue d’un costume de gorille, qu’elle enlève pour se livrer à un poignant plaidoyer contre l’incarcération de masse, pour laisser ensuite la place à une performance chantée de son fils Jamal.
28Au début de la saison 3, plusieurs péripéties et moments musicaux sont traités dans une tonalité explicitement mélodramatique, en faisant systématiquement le lien entre les problèmes personnels, familiaux, et des enjeux généraux et systémiques. Une chanson de Jamal (« Need Freedom ») donne lieu à un paroxysme de pathos lorsque le jeune homme perd ses moyens en raison d’un souvenir traumatisant et doit être remplacé sur scène (S03E01). La chanson, interprétée à deux reprises dans l’épisode, fait allusion à l’incarcération de l’un des personnages féminins, tout en évoquant explicitement, dans les paroles, les brutalités policières à l’encontre des Noirs et les morts de Trayvon Martin, Eric Garner, et d’autres Africains-Américains tués par des policiers blancs, tandis que le slogan Black Lives Matter apparaît derrière l’interprète. Le morceau anticipe les péripéties de l’épisode suivant, dans lequel l’un des membres de la famille sera lui-même victime de violences policières en rentrant chez lui.
29Avec de telles séquences musicales, Empire produit un discours profondément ambivalent, qui consiste d’une part à insister, comme le veut le discours libéral majoritaire dans les années 2010, sur l’effort individuel et la responsabilité personnelle (les Lyon sont des entrepreneurs qui comptent avant tout sur leur labeur acharné pour réussir), et d’autre part à pointer les discriminations et le racisme systémique dont les Africains-Américains continuent à faire les frais, dans l’Amérique d’Obama puis de Trump. Cette position presque contradictoire n’est d’ailleurs pas sans faire écho aux tensions qui traversent plusieurs discours politiques ainsi que religieux ; on peut notamment songer aux positions de la « théologie de la libération noire » dans laquelle se place le révérend Jeremiah Wright, dont l’influence sur Obama fut profonde : ce courant religieux mêle en effet « discours de la fierté raciale hérité du black power, critique des discriminations, des inégalités et du militarisme héritée du mouvement des droits civiques […] et condamnations profondément moralisatrices des manquements personnels et du péché individuel »38.
La concurrence (mélodramatique) des talents
Révélation du talent
30Le mélodrame permet ainsi de prendre à bras le corps des problématiques raciales, même si les solutions proposées dans des séries comme Nashville et Empire sont extrêmement ambivalentes, voire incohérentes. Or les travaux récents sur le mélodrame montrent qu’il faut finalement moins s’attacher à l’excès (de pathos, d’émotion, de violence...) qui caractérise parfois le genre, qu’à l’objectif visé par le mode mélodramatique : aborder des problèmes de société contemporains, et faire face à des réalités présentées comme profondément injustes en tentant de proposer des ébauches de solution39.
31Cet aspect n’est propre ni au cinéma ni à la télévision, ni même à notre époque. Après la Révolution française, explique Ben Singer, le nouvel ordre capitaliste a réorganisé la société moderne en orchestrant le choc des intérêts individuels, et dans ce contexte, le mélodrame « propose la dramatisation d’un monde dans lequel la compétition, conduite jusqu’à un point d’hostilité sociale, prévaut en tant que conséquence du principe de “chacun pour soi” (ou, plus exactement, de “chacun contre tous”), qui est la base de la modernité capitaliste »40. Dans un tel environnement de compétition généralisée, le mélodrame a précisément pour fonction d’exposer l’« atomisation de la société »41 et l’antagonisme généralisé, mais aussi d’établir des hiérarchies morales, d’identifier et de désigner clairement des valeurs devenues difficilement discernables. En donnant une forme à ces incertitudes propres aux sociétés modernes, le mélodrame tend à souligner la dureté des conditions de vie des plus faibles, mais aussi à les rassurer en rappelant qu’un ordre puissant, quoique caché, œuvre en sous-main pour corriger les injustices. Plus spécifiquement encore, le mélodrame naît au moment précis où, en Europe comme aux États-Unis, « sur les ruines de la société d’ordre, la pensée des Lumières justifie les inégalités sur la base d’une hiérarchie des talents et des vertus »42. Pour autant, les historiens de la période ont souligné la labilité d’une notion de talent qui se prête alors à de multiples controverses et disputes, car si le talent était devenu la justification d’inégalités acceptables et légitimes dans un monde qui consacrait désormais la valeur du mérite, sa définition demeurait incertaine, certains jugeant qu’il était l’expression de dons naturels, quand d’autres voyaient plutôt dans les différences de talent le résultat de l’éducation43. Se pose donc dès lors la question de l’identification du talent et aussi celle de son évaluation, de sa mesure – mais nous avons déjà vu, dans le chapitre précédent, que les concours et autres compétitions (autant de procédures, dans une économie néolibérale, de mesure du talent) ne permettent jamais une évaluation entièrement exempte de tout soupçon...
32Le mode mélodramatique n’est aucunement incompatible avec le réalisme dont font preuve les séries musicales à propos des mécanismes concurrentiels régulant les activités professionnelles dans les mondes de l’entertainment, bien au contraire. La prolifération des procédures d’évaluation a tendance à rendre de plus en plus problématique une quelconque objectivation de l’appréciation du talent des artistes, de même qu’une véritable définition de la qualité réellement recherchée, testée, récompensée et célébrée. Dans un tel contexte, c’est bien la mélodramatisation d’un numéro musical qui parvient à révéler la valeur de certains performers, et aussi à cerner cette qualité mystérieuse et si difficile à déchiffrer qu’est le talent. Dans ces numéros qui sont aussi des climax de pathos intervenant généralement lors de fins (de saisons, d’épisodes, d’arcs narratifs), le mode mélodramatique permet tout d’abord de reconnaître que le talent n’est pas un simple don : c’est une qualité qui doit être entretenue par le travail, les efforts et la volonté, et ce en dépit des épreuves (on retrouve là le mantra du néolibéralisme américain des années 2010). J’ai déjà montré (voir chapitre 1) comment certaines performances de danse (dans Step Up : High Water et Pose, notamment) sont reconnues avec enthousiasme par des spectateurs qui récompensent la ténacité de victimes prêtes à tous les sacrifices pour pouvoir danser et se produire en public. Finalement, même si c’est en apparence une aptitude unique qui est présentée et validée, l’attraction mélodramatique reconnaît toujours un ensemble de qualités et de propriétés, de dons et d’efforts, dont la proportion respective n’est pas objectivable et ne saurait faire l’objet d’une formule.
33À l’issue du long dernier ball de la première saison de Pose (S01E8), après que de nombreuses performances de voguing ont été présentées aux jurés, le trophée le plus prestigieux, celui de « mother of the year », est enfin attribué. Le commentateur, presque en larmes, énonce en décernant le prix les multiples qualités dont a su faire preuve la lauréate, Blanca Evangelista : « la lauréate nous a appris qu’une house est davantage encore qu’un foyer. C’est une famille. Et chaque famille a besoin d’une mère qui sait s’affirmer et qui sait prendre soin de ses enfants, qui est loyale et est une source d’inspiration [...] »44. Le vocabulaire employé, typiquement mélodramatique, montre bien qu’il est difficile de rapporter à une qualité unique un talent dont les contours ne peuvent être cernés qu’à l’aide d’une énumération et d’un long discours, et aussi que le mode mélodramatique s’efforce toujours de revenir à un espace d’innocence (le foyer et la famille, dans Pose) : le mérite d’un individu va nécessairement de pair, dans les séries « de coulisses » comme dans la version du Rêve américain promue dans les années 2010, avec l’appui solide d’une communauté, unie au moment de la révélation en mode mélodramatique du talent de l’un de ses membres (fig. 71).
Fig. 71. Pétales, confetti, caméra en plongée : Blanca (Mj Rodriguez) est élue Mother of the year (Pose, S01E08).

Occultation de la concurrence ?
34Un point, cependant, interroge : en court-circuitant les processus d’audition et de compétition, la reconnaissance du talent en mode mélodramatique ne s’apparente-t-elle pas à un tour de passe-passe permettant en réalité de perpétuer des mécanismes de concurrence et d’oppression qui sont certes mis en lumière par le mode mélodramatique (on ne manque jamais de souligner la souffrance des victimes du système), mais aussi quelque peu euphémisés lors d’un climax mélodramatique qui ne les remet pas en question ? Et la possibilité d’une soupape de régulation venant compenser les insuffisances et la cruauté du mécanisme concurrentiel ne permet-elle pas de continuer à alimenter le système de compétition, et à accroître les inégalités générées par les processus de distribution des rémunérations sur la seule base d’une cotation des talents ?
35Il est vrai qu’en affirmant que le talent d’un individu est lié à sa capacité à se distinguer de ses concurrents dans un contexte de compétition, mais aussi à des valeurs morales identifiées lors d’un climax mélodramatique, les séries musicales soulignent la nature éthique de la notion de talent, qui ne peut être rapportée au seul domaine économique. Dans le même temps, en rappelant que le talent désigne aussi une morale de l’effort et du travail, le mode mélodramatique reprend le discours néolibéral des années 2010 et s’apparente à un mécanisme de perpétuation de la concurrence et du « marché des talents » dans les mondes de l’entertainment.
36À la fin de la première saison de Pose, une long « défi » lancé par la House of Evangelista à la House of Ferocity doit permettre d’enfin départager les deux maisons rivales. Durant les sept premiers épisodes de la série, nous avons pu suivre les difficultés extrêmes et aussi les immenses efforts consentis par Blanca Evangelista (la « mère » de la House of Evangelista) pour rassembler autour d’elle quelques « enfants », des jeunes gens qui, plus que d’autres, ont déjà dû faire face à de nombreuses épreuves. Blanca ne dispose ni de l’expérience ni des moyens financiers qui abondent dans la House of Ferocity, à qui la consécration semble promise. Pourtant, au terme du défi, c’est bien la House of Evangelista qui est couronnée. La démonstration de voguing des uns et des autres est peu montrée : le découpage ne permet ni de stabiliser un point de vue unique, ni de préserver l’intégrité d’une quelconque performance. Enfin, le montage particulièrement heurté masque l’aspect hésitant de plusieurs interprétations45. Les membres de la House of Evangelista remportent donc d’un cheveu leur défi parce que le numéro est mené en mode mélodramatique et que l’épisode reconnaît moins la technicité des performers que la valeur morale des membres de la maison. Les « enfants » de la House of Ferocity sont des villains qui ne songent qu’à humilier les plus faibles, alors que les membres de la House of Evangelista sont prêtes à accueillir toutes « les âmes perdues ». Satisfaisante d’un point de vue mélodramatique, la victoire des opprimées de la House of Evangelista a pourtant tout d’un système de défense contre la réalité concurrentielle, particulièrement âpre dans le monde des balls. Dans Paris Is Burning, le film documentaire qui est une source d’inspiration de Pose, l’un des participants explique qu’un ball n’est pas une compétition, mais une véritable « guerre », ce qui est bien rappelé dans My House, la série documentaire sur le monde des balls contemporains. Capables d’effectuer sans effort apparent de spectaculaires performances de voguing, certains participants ne parviennent pourtant jamais à la consécration : sans les consolations offertes par les numéros mélodramatiques, rien ne vient tempérer la dureté de la concurrence.
37Les séries « de coulisses » sont donc aussi des mélodrames « de coulisses », dans lesquels les oppositions nettes entre les victimes et les méchants, le bien et le mal sont souvent tracées au cours des séquences musicales, lorsque le chant ou la danse nous permettent d’accéder à une compréhension des uns et des autres plus fine, plus directe et plus intense que pendant les séquences narratives. Le mode mélodramatique, ensuite, se signale dans le genre backstage par des mises en scène spectaculaires, des effets de choc et de surprise lors de moments musicaux qui cristallisent et précipitent parfois les temporalités, et se distinguent toujours par une extrême présence des corps. Le mode mélodramatique est surtout emblématique des tiraillements idéologiques du cycle de séries musicales contemporaines, voire de ses contradictions, jamais plus apparentes que lorsque les épisodes mettent au premier plan les dynamiques raciales. Les mécanismes mélodramatiques tendent alors souvent à occulter ou instrumentaliser les problématiques de race, même si certaines séries (Empire, notamment, Star, aussi) parviennent, dans les numéros mélodramatiques, à s’intéresser aux trajectoires des individus mais aussi à formuler des questionnements plus généraux. En contribuant enfin à définir ce qu’est le talent, et aussi à désigner les individus talentueux, le mode mélodramatique, en dépit de son ambition proprement méritocratique, perpétue à sa façon le prestige des rituels compétitifs et spectaculaires des mondes de l’entertainment, dans les séries musicales « de coulisses ».
Notes de bas de page
1 Richard Dyer, « Entertainment and Utopia » [1992], in Steven Cohan (dir.), Hollywood Musicals : the Film Reader, Londres et New York, Routledge, 2002, p. 19-29, citation p. 20 ; « [entertainment] offers the image of “something better” to escape into, or something we want deeply that our day-to-day lives don’t provide. Alternatives, hopes, wishes – these are the stuff of utopia, the sense that things could be better ».
2 Ibid., p. 26 ; « has to take off from the real experiences of the audience ».
3 Joshua K. Wright, Empire and Black Images in Popular Culture, Jefferson (NC), McFarland, 2018, p. 17.
4 Emily Yahr, « Nashville Premiere Recap : A Soap Opera on so Many levels », The Washington Post, 25 septembre 2014.
5 Andrea Morabito, « Nashville Ditches the Soap Opera Antics in Move to CMT », New York Post, 14 décembre 2016. « the drama of their inner lives ».
6 Dave Itzkoff, « King Lear in a Hip-Hop Realm », The New York Times, 28 décembre 2014.
7 Jane Feuer, « HBO and the Concept of Quality TV », in Janet McCabe et Kim Akass (dir.), Quality TV : Contemporary American Television and Beyond, Londres, I.B. Tauris, 2007 ; « la série dramatique “de qualité” [de HBO] fut toujours […] une façon spécifique de rehausser la structure narrative du soap opera » (« [HBO] quality drama was always […] a peculiar elevation of soap opera narrative structure »). Cité par Jason Mittell, Complex TV : The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York et Londres, NYU Press, 2015, p. 236.
8 Ibid. ; « derive less from American soap operas than from other serial modes such as comics, classic film serials, and 19th-century serial literature ».
9 Voir Robert C. Allen, Speaking of Soap Operas, Chapel Hill (NC), University of North Carolina Press, 1985.
10 Peter Brooks, The Melodramatic Imagination : Balzac, Henry James, Melodrama, and the Mode of Excess, 1re éd. 1976, New Haven (CT) et Londres, Yale University Press, 1995.
11 Thomas Elsaesser, « Tales of Sound and Fury : Observations on the Family Melodrama », 1re éd. 1972, in Christine Gledhill, Home Is Where the Heart Is : Studies in Melodrama and the Woman’s Film, Londres, BFI, 1987, p. 43-69. Citation p. 50 ; « putting melos into drama ».
12 Ibid., respectivement p. 51 et 50 ; « a particular form of dramatic mise en scène » ; « constituents of a system of punctuation, giving expressive colour and chromatic contrast to the story-line, by orchestrating the emotional ups and downs of the intrigue ».
13 Rick Altman, The American Film Musical, Bloomington (IN), Indiana University Press, 1987, p. 210.
14 Linda Williams, « Mega-Melodrama ! Vertical and Horizontal Suspensions of the “Classical” », Modern Drama, vol. 55, no 4, 2012, p. 523-543. Citation p. 523 ; « we need to rethink the very nature of the melodramatic space and time ».
15 Linda Williams, « Melodrama Revised », in Nick Browne (dir.), Refiguring American Film Genres : Theory and History, Berkeley, Los Angeles et Londres, University of California Press, 1998, p. 42-88. Citation p. 58 ; « a story that generates sympathy for a hero who is also a victim and that leads to a climax that permits the audience, and usually other characters, to recognize that character’s moral value. This climax revealing the moral good of the victim can tend in one of two directions : either it can consist of a paroxysm of pathos (as in the woman’s film or family melodrama variants) or it can take that paroxysm and channel it into the more virile and action-centered variants of rescue, chase, and fight (as in the western and all the action genres) ».
16 Thomas Elsaesser, « Tales of Sound and Fury : Observations on the Family Melodrama », op. cit., p. 50 ; « the problems of melodrama as problems of style and articulation ».
17 Phil Powrie, « La “chanson-cristal” », in Renaud Lagabrielle et Timo Obergöker (dir.), La Chanson dans le film français et francophone depuis la Nouvelle Vague, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2016, p. 65-84. Première citation p. 76, les deux suivantes p. 67.
18 Pour Williams, « le présent est toujours en mouvement et dans deux directions en même temps : vers un futur auquel nous assistons parce que l’on peut nous demander d’agir, et vers un passé dont nous nous souvenons ». Linda Williams, « Mega-Melodrama ! », op. cit., p. 533 ; « The present is always in motion and in two directions at once : toward a future to which we attend because we may be required to act and toward a past which we remember. »
19 Michel Chion, Le Son au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Essais », 1992, p. 132-133.
20 Ian Conrich et Estella Tincknell (dir.), Film’s Musical Moments, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2006, p. 1-2 ; « a particular point of disruption [...] which is most notable for its potential to disturb the text through its unexpectedness or at times excessiveness ».
21 Jason Mittell, Complex TV, op. cit., p. 41-54.
22 Richard Dyer, In the Space of a Song : The Uses of Song in Film, Londres et New York, Routledge, 2012, p. 3 ; « dissolve the boundaries between the self and others and take people into a realm of reality other than the separate and sequential experience of time and space in ordinary reality ».
23 « L’association des voix de Sam et de Clare est véritablement divine, et quel accord parfait entre eux ! » (« Sam’s and Clare’s voices together are a match made in heaven, and omg that chemistry between them ! », Anne-Lee Johannesson) ; « J’adore la voix de Sam, c’est une voix de rêve » (« Sam sounds like a dream, love his voice », Jay Hudspeth) ; « Sa voix à lui est vraiment incroyable ! Et elle a une voix si tremblante, la plus douce qu’il soit possible d’entendre » (His voice is truly insane ! And she has the sweetest, trembling voice ever... », Rose Mikkelsen). « If IDidn’t Know Better (Nashville) », YouTube, mis en ligne le 2 octobre 2012. URL : https://urlz.fr/aj56. Page consultée le 5 février 2019.
24 « Je jure que j’ai eu la chair de poule la première fois que je l’ai écoutée ! » (« I swear I got goosebumps the first time I heard this ! », Ana Pavic) ; « je n’ai pas été à ce point émue par une chanson depuis très longtemps » (« I haven’t been this moved by a song in a really long time », Ashley Gilliam) ; « la voix de Clare est si obsédante (frissons) ; je ne peux pas m’arrêter de l’écouter » (« Clare’s voice is so haunting (chills) ; I can’t stop listening », OfficialStaciClark) ; « cette scène est ce qui m’a accroché à cette série ! Elle me donne des frissons ! » (« This scene is what hooked me to this show ! Gives me the chills », Adoggunc).
25 « Elle est si sensuelle, si hot et sexy dans ce clip ! Je ne peux le (ou la) chasser de mon esprit ! » (« She is so sultry, hot and sexy in that video ! Man I can’t get it or her out of my mind ! », JaimeMcDaniel). Plusieurs internautes exposent des arguments analogues.
26 Je cite ici un article fameux de Linda Williams sans reprendre à mon compte son argumentation (sa conception des « genres du corps » [body genres] est très spécifique et correspond peu au phénomène que j’évoque ici). Williams évoque toutefois dans les genres qu’elle analyse « le spectacle d’un corps aux prises avec une intense sensation ou émotion ». Linda Williams, « Film Bodies : Gender, Genre, and Excess », Film Quarterly, vol. 44, no 4, été 1991, p. 2-13. Citation p. 4 ; « the spectacle of a body caught in the grip of intense sensation or emotion ».
27 « Sasha dances to Istanbul (Not Constantinople) on Bunheads », YouTube, vidéo postée le 27 juillet 2012. URL : https://urlz.fr/dH1M. Page consultée le 3 mars 2019. Post de Veramentegina : « Her shoulders are pushed back too far. Not a correct posture for ballet. »
28 Post de TheGogobooty, ibid. « It’s not the technique that makes this dance amazing it’s the fierceness. Where ever possible Sasha’s eyes don’t leave the camera for even a split second. »
29 Emily Nussbaum, « Dance Dance Revolution », The New Yorker, 20 août 2012 ; « Trois ballerines adolescentes regardaient droit dans l’œil de la caméra – les paupières lourdement maquillées […] – puis commencèrent à se tortiller, à enchaîner les stomps et les arrêts » (« Three teen ballerinas stared straight into the camera – eyelids smudged […] – then began to wriggle and stomp and pose »).
30 Barack Obama, « The Audacity of Hope », discours du 27 juillet 2004, cité in Thomas J. Sugrue, Le Poids du passé : Barack Obama et la question raciale, Paris, Farenheit, 2012, p. 57.
31 « I don’t like this minority business. I may be a strong, proud black woman, but I’m a lot more than that. I’m out » ; « You were right to shine the spotlight on the fact that those kids are minorities. Because you’re all minorities. You are in the Glee club. [...] So it doesn’t matter that Rachel is Jewish, or that Finn is... – unable to tell my rights from my left ! – … Or that Santana is latina... » (Glee, S01E07).
32 Cité par Sylvie Laurent, La Couleur du marché : racisme et néolibéralisme aux États-Unis, Paris, Seuil, 2016, p. 167.
33 Eduardo Bonilla-Silva, Racism Without Racists : Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America, Lanham (MD), Rowman & Littlefield, 2018 [2003].
34 Rachel E. Dubrofsky, « Jewishness, Whiteness, and Blackness on Glee : Singing to the Tune of Postracism », Communication, Culture & Critique, vol. 6, no 1, mars 2013, p. 82-102, p. 91.
35 Propos de Barack Obama en 2005, cités par Thomas J. Sugrue, Le Poids du passé : Barack Obama et la question raciale, op. cit.
36 « It has no context for you […], no meaning that sets it apart. […] You know this is black music, right ? » (Nashville, S05E08).
37 Voir Joshua K. Wright, Empire and Black Images in Popular Culture, op. cit., p. 83. Pour une comparaison avec The Cosby Show, voir p. 33-49.
38 Thomas J. Sugrue, Le Poids du passé : Barack Obama et la question raciale, op. cit., p. 90.
39 Linda Williams, On The Wire, Durham (NC) et Londres, Duke University Press, 2014, p. 107-136.
40 Ben Singer, Melodrama and Modernity : Early Sensational Cinema and Its Contexts, New York, Columbia University Press, 2001, p. 139 ; « dramatizes a world in which competition, advanced to the point of social hostility, prevails as a consequence of the “every-man-forhimself” (or, more accurately, “every-man-against-all-others”) basis of capitalist modernity ».
41 Ibid., p. 144. « social atomization ».
42 Antoine Lilti, « Faut-il du talent pour être célèbre ? Les langages de la reconnaissance au xviiie siècle », in Pierre-Michel Menger (dir.), Le Talent en débat, Paris, PUF, 2018, p. 101-134. Citation p. 117. C’est nous qui soulignons.
43 Ibid.
44 « The recipient has taught us that a house is more than a home. It is family. And every family needs a mother who is affirming, caring, loyal, and inspiring [...]. » (Pose, SO1E08).
45 La plupart des comédiens (à l’exception de Jason Rodriguez, qui interprète l’un des membres de la House of Evangelista) ne sont d’ailleurs pas des professionnels du voguing.
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La sérialité à l’écran
Comprendre les séries anglophones
Anne Crémieux et Ariane Hudelet (dir.)
2020