Chapitre quatre. Synergies : les coulisses industrielles et juridiques du backstage
p. 171-232
Texte intégral
1Le succès commercial des bandes originales de séries télévisées ne date pas de Glee et de ses dizaines de titres présents dans les hit-parades du magazine Billboard (voir Annexes C, D et E) : dans les décennies passées, plusieurs collaborations entre sociétés de production de télévision et maisons de disque furent particulièrement fructueuses pour les deux parties, et au-delà du cas spécifique de la télévision les industries du divertissement ont multiplié, notamment depuis les années 1980, les actions visant à faire simultanément la promotion de leurs produits. Dans cette décennie, c’est bien l’apparition de la chaîne MTV qui permet la mise en place de « synergies » (un terme alors fréquemment utilisé par des professionnels du secteur comme le music supervisor Danny Goldberg1), c’est-à-dire de stratégies marketing visant à accroître les interactions entre les secteurs de la musique et de l’audiovisuel, l’idée étant que des pratiques de promotion croisée des films et des disques puissent bénéficier aux deux secteurs/médias dans une mesure presque équivalente. Bien que la réussite de ce type d’entente ait été en réalité extrêmement aléatoire, plusieurs films de cette période, notamment Flashdance (1983), Footloose (1984) et Purple Rain (1984), ont montré les avantages potentiels de ces stratégies pour les différents intervenants. Dans le cas de Footloose, par exemple, Paramount a financé le clip montré sur MTV dès janvier 1984, trois semaines avant le début de l’exploitation du film en salles et la sortie du disque produit par CBSRecords, et la société de production et la maison de disque ont été capables de coordonner une campagne de marketing conjointe au moment de la distribution du film et de l’album. Pour les compagnies de production audiovisuelle, en effet, la vente des bandes originales peut servir à amortir les coûts de production, tandis que les passages de la musique du film sur les ondes radiophoniques, et ensuite des clips sur MTV, font office d’outil promotionnel bon marché. Pour les labels, le lien avec un film est un moyen de distinguer un album dans un contexte de grande compétition entre les maisons de disque. Lorsque ces opérations sont menées de façon conjointe, des « synergies » permettent de nourrir mutuellement l’intérêt du public pour le film et le disque, les deux finissant par dominer leur box-office respectif, comme ce fut le cas pour Footloose2.
2Ce type d’actions coordonnées n’est pourtant sans doute qu’une mise au goût du jour des liens industriels, des tactiques de promotion conjointe et plus largement des accords entre industrie musicale et studios de cinéma qui furent si importants dans les décennies précédentes, tout particulièrement à la fin des années 19203, et qui sont à nouveau cruciaux pour comprendre le récent cycle de séries télévisées musicales. Ce chapitre est consacré à l’étude des « coulisses » industrielles et juridiques du backstage au regard de la crise profonde et des bouleversements qui ont affecté les industries musicales depuis le tournant du siècle : à une époque de grande incertitude industrielle, comment des stratégies en réalité anciennes de synergie et de promotion croisée ont-elles pu être envisagées comme des gages de réussite par des chaînes et des producteurs de télévision, et par des producteurs de musique ? Le chapitre qui suit commence par étudier le modèle spectaculaire, musical et industriel offert par les séries pour enfants que le groupe Disney a produites dans la première décennie du xxie siècle, avant de revenir sur les développements récents en matière de collaboration entre les industries de la télévision et les secteurs de la musique enregistrée. J’insiste enfin sur deux caractéristiques précises (la montée en puissance de la profession de music supervisor, et les aspects juridiques du backstage télévisuel) qui pointent les singularités des séries télévisées « de coulisses » en termes de production, mais aussi d’écritures et de formules sérielles.
Le modèle des séries Disney
3La popularité (c’est-à-dire le succès commercial) des chansons des séries, mais aussi des albums de compilation produits à partir de la musique des séries backstage, est patente dans les différents classements établis par le magazine Billboard : titres classés au « Billboard Hot 100 », albums présents dans le « Billboard 200 »4 et, en fin d’année, inscrits dans la liste des bandes originales (« soundtracks ») les plus vendues de l’année. À partir de 2010, les albums des séries musicales sont particulièrement bien représentés dans ces différents classements : ceux de Glee, de Nashville et Empire, en particulier (voir Annexes C, D et E). Les hit-parades de Billboard soulignent aussi la continuité dans laquelle s’inscrivent ces bandes originales, en mettant en évidence la popularité des musiques de film et de série du tournant du siècle, mais aussi celle des albums tirés de franchises Disney (voir Annexe E). Ces réussites, surtout entre 2003 (année où sont classés les albums de la franchise Lizzie McGuire) et 2016 (classement de l’album tiré de la saison 2 d’Empire), montrent que, plutôt que de tracer une ligne de démarcation étanche entre séries pour enfants et séries pour adultes, il convient d’établir un continuum entre les multiples formats backstage.
4Les synergies tant recherchées par la plupart des séries contemporaines, musicales ou non, s’inscrivent ainsi dans la lignée du maillage intermédiatique (des séries où la danse et le chant jouent un rôle de premier plan) et transmédiatique (cinéma, télévision, Internet et musique permettent de déployer un même matériau narratif et spectaculaire) tissé par les séries produites par le groupe Disney dès la première décennie du xxie siècle. Les développements qui suivent sont consacrés aux modèles industriel, mais aussi musical et spectaculaire, offerts par des séries qui participent pleinement à un corpus backstage dont elles contribuent à définir les contours. Il est probable que les séries pour enfants de Disney (et aussi de Nickelodeon) ne relèvent que peu du mode de la « complexité narrative » étudié par Jason Mittell, car elles ne semblent guère fondées sur les innovations et expérimentations narratives que l’on retrouve dans d’autres corpus, même si ce point demanderait à être exploré avec davantage de précision. En revanche, elles participent pleinement du mode spectaculaire des séries télévisées, et elles constituent de fait un modèle essentiel, à la fois spectaculaire, musical (styles musicaux, modes de production, arrangements) et industriel. Plusieurs aspects de ces programmes permettent notamment de souligner des spécificités industrielles du corpus de séries « de coulisses », qui adaptent le précédent élaboré par les fictions Disney sur au moins trois points essentiels : les séries backstage, à l’inverse de nombreuses séries contemporaines, ne comportent pas de star établie (mais elles font appel à des guest stars) ; elles ne se contentent généralement pas d’un disque de compilation par saison (elles n’hésitent pas, pour les séries les plus populaires, à en produire plusieurs) ; et enfin toutes ces séries s’efforcent, grâce à la musique, de s’adresser à plusieurs cibles spectatorielles distinctes.
Une matrice spectaculaire
Teen pop et play-back
5« J’ai choisi “The Climb” de Miley Cyrus, parce que c’est une chanson qui parle du fait de surmonter des obstacles et dépasser ses difficultés. Dans mon cas, l’obstacle c’est vous, mes ternes camarades »5, explique Rachel Berry (Glee, S01E18) avant de commencer à chanter le titre le plus populaire de Hannah Montana : The Movie (2009). Mais Rachel ne parvient à émettre que des sons disgracieux qui font grimacer ses camarades, et elle doit rapidement se rendre à l’évidence : elle a perdu sa voix. Que la chanteuse principale de la série ne réussisse pas à interpréter de façon convenable le titre emblématique d’une franchise Disney montre la volonté des créateurs de Glee de se différencier de productions backstage destinées à un public d’enfants. Ryan Murphy explique ainsi au New York Times qu’il n’a jamais vu High School Musical, et que son désir était plutôt de réaliser « une sorte de musical postmoderne »6.
6S’il est savoureux de noter que plusieurs critiques ont précisément qualifié les franchises musicales Disney de « postmodernes »7, et ce bien avant les effets de mise en abyme de High School Musical : The Musical : The Series, il n’en demeure pas moins qu’à quelques exceptions près – « Let It Go », par exemple (S06E01) –, très rares sont les séries pour adultes qui reprennent des titres de séries Disney. Cela est d’autant plus surprenant que les mêmes professionnels sont pourtant employés sur des séries destinées à des publics différents, ce qui montre bien que des techniques analogues de production musicale, mais aussi des styles musicaux comparables, sont recyclés d’une série à l’autre. Adam Anders, qui produisit la musique de Hannah Montana, Camp Rock et High School Musical 3 (il écrivit les paroles de certaines chansons de ces franchises), est aussi le musical producer de Glee : pour cette série, il a créé la plupart des arrangements, supervisé les sessions d’enregistrement, produit l’ensemble des albums, et composé et écrit les paroles de plusieurs chansons originales.
7Au-delà de cette question des transferts de compétences professionnelles, les fictions Disney apparaissent comme un évident modèle narratif (pour Glee, en particulier), mais je souhaite plutôt mettre l’accent sur la matrice musicale et spectaculaire offerte par les séries Disney, qui inspirent les styles musicaux, mais aussi la conception même des attractions que l’on trouve dans les séries ultérieures. « The Climb » aurait ainsi pu être un titre idéal pour le répertoire de Rachel Berry : la chanson est en effet une power ballad similaire à celles que l’on entend si fréquemment dans Glee, mais adaptée au courant musical de la « teen pop », une musique chantée par des adolescents, pour des adolescents, et qui « met l’accent sur des genres possédant des caractéristiques musicales et expressives claires, pour permettre à des auditeurs jeunes et plutôt peu éduqués [musicalement] de savoir immédiatement ce qu’on leur propose »8. Si des chansons de teen pop comme « The Climb » parviennent à séduire au-delà des seuls adolescents, c’est parce qu’un vaste public est attiré moins par l’histoire d’Hannah Montana que par le style et les paroles de la chanson, « le fait de parvenir à surmonter les difficultés, raconté à l’aide de clichés »9. Les reprises de Glee – et de la plupart des autres séries musicales – tout comme les rares titres composés spécialement pour la série (notamment la chanson pop « Loser Like Me » et la power ballad « Get It Right », S02E16) possèdent toutes les caractéristiques de la teen pop, au même titre que « The Climb » ou que les power ballads de la franchise High School Musical (« Bet On It » dans le second film, et « Right Here, Right Now » dans le troisième, par exemple).
8« The Climb », l’avant-dernière chanson interprétée par Miley Cyrus dans Hannah Montana : The Movie, occupe une place clé puisqu’elle suit immédiatement le moment où l’héroïne, qui ne supporte plus de devoir jongler entre deux identités (celle de Miley Stewart, une collégienne comme les autres, et celle d’Hannah Montana, une star de la chanson), se décide sur scène à enlever sa perruque blonde et à se dévoiler à son public. C’est dire que la ballade qui suit vient illustrer les défis que la jeune fille doit affronter, et qu’elle accepte de relever. Juste avant de chanter, elle contextualise sa performance en rappelant que le morceau s’inspire de ses expériences récentes : « la vie est comme une ascension... Mais la vue au bout est magnifique » (« Life’s a climb... but the view is great »). La power ballad accompagne une double métamorphose : celle d’Hannah, tant la performance est ici véritablement performative – la séquence montre bien que la jeune fille va continuer à avancer et conserver la foi (« Keep on moving / Keep climbing / Keep the faith, baby ») –, mais aussi celle du public, qui accepte de suivre la chanteuse dans son « ascension », au point d’ailleurs que la foule consent in fine à ne pas divulguer le secret de la jeune star. Cette double métamorphose est appuyée par une mise en scène particulièrement explicite : pour le premier couplet dominent les gros plans frontaux (le premier gros plan dure le temps des quatre premiers vers) qui semblent chercher à établir un rapport direct, intime, entre l’interprète et les spectateurs de la fiction. Le refrain marque une première évolution (la foule manifeste son approbation ; certains ont les bras levés pour accompagner la musique ; des panoramiques parcourent le public), et ses derniers mots (« It’s the climb ») désignent l’instant de la transformation : Hannah est désormais accompagnée et soutenue par la communauté, tant à l’image (une plongée en courte focale paraît noyer la chanteuse dans la foule) que sur la bande-son (les cris enthousiastes du public se mêlent à la voix chantée) (fig. 32 et 33). Ce type de chanson (une power ballad aux paroles optimistes), associé à une mise en scène marquant d’une part l’empathie et l’approbation des spectateurs de la performance, et d’autre part un accord étroit entre les images et les sons (les coupes du montage sont ici parfaitement coordonnées avec le rythme de la musique) est la matrice de très nombreux titres des séries musicales, à commencer par les interprétations de « Don’t Stop Believin’ » qui suscitent pareillement l’enthousiasme et dont les paroles relèvent du même esprit optimiste. Mais « The Climb » est aussi un modèle pour des chansons plus « adultes », par exemple « This City » de Treme (S04E02), ou « Conqueror » et « You’re So Beautiful » d’Empire (S01E09), deux chansons à succès toutes deux classées dans les tout premiers rangs, en mars 2015, du « R & BDigital Song Sales » de Billboard. « Conqueror » est une sorte de version sophistiquée de « The Climb », une power ballad qui adapte la teen pop à un public plus âgé. Cette sophistication est signalée d’emblée par un dispositif réflexif. Jamal Lyon enregistre ici en studio un duo en compagnie de Delphine, une artiste interprétée par la chanteuse Estelle qui, quelques mois auparavant, avait elle-même enregistré « Conqueror ». La mise en scène intègre d’ailleurs des procédés de mise en abyme : dans la fiction, un opérateur tourne autour du couple, et certaines de ses prises de vues sont insérées dans le montage. Les paroles de la chanson font preuve de la même détermination que « The Climb » (« We all make mistakes / You might fall on your face / But you gotta get up ! ») et marquent une nouvelle étape dans la transformation commencée par le coming out en chanson effectué par Jamal dans l’épisode précédent. Dans « Conqueror », l’approbation du public est plus discrète que dans « The Climb », mais les spectateurs qui écoutent le duo à l’extérieur du studio manifestent leur enthousiasme lors de la reprise du refrain. L’image est ici toujours subordonnée au son, en particulier lors du refrain : lorsque l’effet d’intensification propre à la power ballad est le plus marqué, les cuts s’accordent au tempo de la musique et les panoramiques circulaires autour du couple de chanteurs (les prises de vues du cameraman diégétique) produisent une sorte de vertige, tout en épousant les paroles de la chanson (« Life is like a big merry-go-round / You’re up and then down / Going in circles »).
Fig. 32 et 33. Hannah Montana (Miley Cyrus) chante « The Climb » avec la foule.


9Les séries « de coulisses » Disney mettent ainsi toutes l’accent sur la production de la musique, et la plupart des numéros musicaux montrent donc les interprètes chanter leurs chansons. L’une des différences avec les talent shows concerne la question du doublage, puisque la publicité faite autour de l’aspect live des interprétations semble interdire le play-back pour American Idol, bien que cet aspect soit sujet à caution : en 2009, les producteurs de l’émission ont été contraints d’annoncer plus ou moins clairement que les performances hebdomadaires de groupe utilisaient le play-back10. Les franchises Disney optent quant à elles très clairement pour le play-back, et ce choix est repris par une grande majorité des séries backstage ultérieures. Toutes soulignent, dans la fiction, l’aspect live des performances (voir chapitre 1), tout en ayant recours à un large éventail de technologies de production sonore : doublage (Zac Efron, par exemple, est doublé pour High School Musical 1), et surtout play-back avec synchronisation des lèvres des interprètes, à l’écran. Cet aspect est si peu dissimulé que le premier titre d’Hannah Montana : The Movie, « The Best of Both Worlds », se termine sur une mention implicite de ces techniques. À la fin de la chanson, Hannah répète de façon automatique quelques paroles (« best of both, best of both, best of both... »), et son regard interloqué est suivi par un contrechamp qui révèle une équipe de tournage (elle chante en play-back, et l’appareil de diffusion du son s’est enrayé). Sans généralement aller aussi loin dans la démystification du processus de fabrication de la performance, la majorité des fictions « de coulisses » associent, comme les séries Disney, play-back et fascination pour la performance live.
Fig. 34 à 36. Scène, plage, ou plateau de tournage ? Ouverture de Hannah Montana : The Movie.

Voyages immersifs
10L’ouverture de Hannah Montana : The Movie, une séquence chantée qui se déploie dans plusieurs lieux, met également en évidence un traitement de l’espace propre aux séries Disney. La jeune fille est en effet en concert, au milieu d’une foule de fans ; elle court sur scène et, après un cut, un panoramique filé conduit à un écran géant situé à l’arrière de la salle. Sans solution de continuité sonore, on retrouve la chanteuse sur une plage, sur l’écran en question. Pour autant, le passage à cette plage ne signifie pas que la performance n’est plus diégétique, comme le prouve la présence de l’équipe de tournage, en fin de chanson (fig. 34 à 36).
11Cette multiplication des espaces de performance au sein même des numéros se double de leur expansion, un phénomène surtout sensible dans les productions Disney destinées au cinéma. Dans High School Musical 3, par exemple, le numéro « Scream », en fin de film, est un solo de Troy Bolton qui erre dans le lycée désert, la nuit, torturé par la difficulté de choisir une voie, après son diplôme. Son lamento le conduit successivement des vestiaires au gymnase, puis dans une succession de couloirs (dont un couloir pivotant sur le principe du décor tournant dans lequel danse Fred Astaire dans Royal Wedding [1951]), dans des escaliers, et enfin sur la scène du théâtre. C’est en fin de couplet que se produisent les changements de lieu tandis que, comme par magie, le personnage poursuit son interprétation. Les déplacements de Troy (dans les couloirs, les escaliers...) provoquent aussi une expansion de l’espace diégétique, soulignée spécifiquement par des travellings arrière lorsque le jeune homme se déplace en direction de la caméra (fig. 37 à 40).
12Dans certains numéros, l’expansion est aussi temporelle : pour « The Boys Are Back », Troy et son ami dansent dans une casse automobile, un décor qui est soudain plongé en pleine nuit (fig. 41). Le modèle spectaculaire de ce type de numéro est double : d’une part, on retrouve là des mises en scène fréquentes dans les musicals hollywoodiens des années 1960, à l’occasion de production numbers « étendus » (« expanded ») qui sont caractéristiques de la période (Richard Dyer analyse en particulier les séquences « Confidence » de The Sound of Music et « Don’t Rain On My Parade » de Funny Girl) et qui offrent l’avantage de montrer des interprètes « chanter exactement à l’endroit où ils le devraient pour rester dans la logique de la chanson »11. Les numéros musicaux des franchises Disney se proposent pareillement de « faire accepter leur traitement du temps et de l’espace en vertu de l’impulsion narrative qui les sous-tend »12. Troy Bolton (High School Musical 3) ne sait quelle voie choisir et ses pas le guident du gymnase vers le théâtre, comme Maria (The Sound of Music) dépasse sa peur du monde extérieur au cours d’un trajet qui la conduit du couvent à la demeure du capitaine von Trapp. En revanche, les numéros Disney ont tendance à gommer la plupart des sons d’ambiance (bruits de pas, chutes d’objets...) que les comédies musicales hollywoodiennes conservent peu ou prou. L’effet obtenu se rapproche de l’esthétique du clip (la seconde influence des séries pour ce type de production number), et Steven Cohan remarque ainsi qu’un numéro comme « The Boys Are Back », un duo qui s’inspire du style de danse de Michael Jackson, pourrait très bien être exploité de manière autonome, comme un clip13. Le traitement de l’espace offre en effet la possibilité d’un double transport, le voyage affectif (le spectacle offert par la chorégraphie, par les effets spéciaux, et aussi par le corps de Zac Efron, au centre de tous les plans, visant à toucher et à émouvoir les spectateurs) venant ici se doubler d’un « voyage immersif dans un espace à explorer »14.
Fig. 37 à 40. Du gymnase à la scène en passant par les couloirs du lycée : Zac Efron dans le rôle de Troy Bolton chante « Scream » (High School Musical 3).

Fig. 41. « The Boys Are Back » (High School Musical 3).

13La différence fondamentale avec les films des années 1960 comme avec les trajets immersifs des clips repose cependant sur le caractère diégétique des numéros des séries backstage, qui devrait interdire de telles manipulations de l’espace et du temps. Mais dans High School Musical 3, par exemple, le caractère diégétique des séquences musicales est souvent ambigu. Dans « Scream », Troy n’a bien entendu aucune raison de chanter à tue-tête seul, la nuit, dans un lycée désert, mais le film prend soin de maintenir une ambivalence. Comme le spectacle que montent les adolescents a précisément pour sujet leur dernière année de lycée, tous les numéros musicaux peuvent être interprétés comme des répétitions ou des anticipations de la représentation à venir. La plupart des séries ultérieures reprennent d’ailleurs le dispositif de « Scream », qui conduit le personnage vers un espace de représentation (le théâtre du lycée, en fin de numéro). C’est le cas par exemple de « Let Me Be Your Star », à la fin du premier épisode de Smash, qui est typique du brouillage, dans les séries, entre lieux de représentation et lieux quotidiens. Cette séquence met en scène deux jeunes chanteuses quittant leur appartement respectif pour se diriger vers la salle d’audition où elles devront convaincre de leur capacité à interpréter Marilyn Monroe dans un musical. La scène, qui commence dans des espaces urbains (des rues de la ville, un taxi...) pour se terminer dans des lieux de représentation (la salle d’audition, le théâtre où le numéro est imaginairement représenté), montre deux jeunes femmes ambitieuses : il s’agit bien d’un numéro « I am/I want », dont les paroles peuvent s’appliquer autant aux interprètes qu’à l’ambition de Monroe elle-même. Les séquences spectaculaires « à lieux multiples » mettent ainsi presque toujours en scène des personnages doublement « en déplacement », qui vont d’un lieu à un autre et sont pris dans un processus psychologique de transformation. Si parfois le numéro ne commence pas (ou ne se termine pas) sur une scène de théâtre, c’est parce que dans les séries « de coulisses » tous les espaces, pour des personnages habitués à chanter dans des contextes différents, peuvent devenir des lieux de représentation : le monde entier y devient véritablement une scène.
The best of both worlds
14Cette propension des numéros des séries backstage à se déplacer de lieu en lieu est enfin emblématique de la « politique queer » (« queer politics ») qui, selon Steven Cohan, est la caractéristique principale qui permet de distinguer les séries musicales Disney de la tradition du film musical « de coulisses ». Le numéro « Stick to the Status Quo » (High School Musical 1), par exemple, s’attache à plusieurs lycéens qui révèlent leurs désirs secrets, après le « coming out » de Troy qui a passé une audition pour la comédie musicale du lycée alors même que son statut de capitaine de l’équipe de basket devrait être incompatible avec un goût pour le théâtre musical. Dans les séries Disney, l’interprétation musicale vient en effet moins « réconcilier l’opposition des priorités masculines (l’athlétisme, le sport) et féminines (les activités intellectuelles, la science) », comme c’était le cas dans les anciens musicals, que « rejeter cette opposition dans un souci d’accepter la différence de chacun à travers le théâtre musical, et ce afin d’atteindre à une expression réellement complète et fidèle de l’identité et du désir de chacun »15. Cette singularité montre que High School Musical envisage le numéro musical comme un espace utopique et queer car il est susceptible de remettre en cause des identités genrées et sociales rigides. À la fin de chacun des trois films de la franchise, des groupes autrefois antagonistes (les sportifs, les matheux...) ont été transformés par la vertu « carnavalesque »16 de la performance en une communauté soudée, qui chante et danse en compagnie du couple de héros dans le gymnase (contaminé par l’énergie utopique du chant et de la danse) – et non dans le théâtre. Cette capacité de la performance à mettre en lumière les différentes facettes de l’identité d’un interprète est également au cœur de la franchise Hannah Montana : « The Best of Both Worlds », dont les paroles traitent de l’identité clivée de la jeune Miley Stewart/Hannah Montana, est la chanson thème de la série TV, et aussi le premier titre interprété par Miley Cyrus dans Hannah Montana : The Movie.
15Glee reprend cet aspect de façon presque littérale puisque le leader du groupe de chanteurs est un joueur de football partagé entre le sport et son amour du chant, et que la chorale est le seul lieu où les lycéens peuvent oublier leurs antagonismes. La dimension queer de la performance est mise en avant lorsque le responsable de la chorale convainc les footballeurs que « les athlètes sont des interprètes, tout comme les chanteurs et les danseurs »17, et que les sportifs s’entraînent dans la salle de répétition de la chorale, avant de déstabiliser une équipe adverse, ainsi que les règles établies, en interprétant une chorégraphie de « Single Ladies » de Beyoncé en plein match (S01E04). La performance musicale a pour fonction de mettre en scène, d’embrasser et parfois de résoudre les tensions et les contradictions des identités multiples des interprètes, et cette conception se retrouve dans la plupart des séries musicales. Dans les premières saisons de Nashville, par exemple, Will Lexington est déchiré entre son ambition de devenir un chanteur reconnu de musique country, et ses efforts pour masquer son homosexualité, dont il craint qu’elle ne nuise à son image publique. Les performances scéniques les plus mémorables de Will mettent précisément en scène son dilemme et la complexité du personnage. Alors que dans une scène dramatique le chanteur quitte son compagnon car il ne supporte pas l’idée d’une vie commune, dans la séquence de concert qui suit il décide contre toute attente de changer son programme et de chanter une ballade qu’il a composée en compagnie du jeune homme en question, à qui il dédie ouvertement son interprétation (S05E04). La chanson « Burn to Dark », un air country qui évoque la rupture de deux amants, rassemble les deux facettes de la personnalité du chanteur, évoquées également à l’image (une alternance entre des plans de Will sur scène et des plans de son compagnon bouleversé par la rupture). Depuis les tourments sur scène d’Hannah Montana/Miley Stewart et de Troy Bolton (High School Musical), les numéros musicaux ont pour sujet principal la célébration du désir et du plaisir de chanter et de danser, tout en présentant des performances de l’identité des interprètes, des mises en scène de soi qui énoncent et résolvent les contradictions identitaires des performers.
Un modèle industriel
Nouvelles stars
16Disney a également joué un rôle de précurseur dans la création de collaborations en matière de séries musicales en développant, au début des années 2000, plusieurs franchises qui s’écartent des cadres industriel, esthétique et technologique ayant permis au groupe de promouvoir ses fictions d’animation antérieures. Disney avait acquis une position hégémonique dans l’animation des dernières décennies du xxe siècle grâce à des films comme The Lion King (1994) ou The Little Mermaid (1989), mais cette place avait été fragilisée par des productions ultérieures qui ne parvenaient plus à tenir les promesses de l’âge d’or de la « Disney Renaissance »18. Une réorganisation en profondeur de ses priorités industrielles a conduit le groupe à se détourner de l’animation pour plusieurs de ses franchises musicales ; à accorder une place de tout premier plan à la production et la diffusion de programmes télévisés, notamment musicaux, à destination d’un public jeune ; à construire ses franchises non pas autour de stars mais plutôt de jeunes acteurs (Miley Cyrus, les Jonas Brothers, Zac Efron, Vanessa Hudgens, Demi Lovato...)19. Au tournant des années 2000 en effet, la chaîne Disney Channel a entrepris une profonde mutation. Accessible auparavant uniquement en tant que chaîne câblée payante, Disney Channel est désormais disponible sur le câble « basique » et vise un public d’enfants et d’adolescents au détriment de l’audience familiale plus large qui était précédemment sa cible : la chaîne commence à montrer moins de films anciens, et ses choix musicaux (diffusion de concerts et de clips) s’adaptent aux goûts de ses plus jeunes téléspectateurs. Constatant la popularité, chez les enfants de 9 à 13 ans (les « tweens »), des retransmissions de concerts live de jeunes chanteurs comme Britney Spears, ’NSync ou Christina Aguilera, diffusées à l’heure des retours de l’école (le programme Disney Channel in Concert, de 1997 à 2001), le conglomérat envisage alors de créer ses propres franchises afin de générer des collaborations entre ses diverses branches, plutôt que de contribuer à la popularité de stars qui, bien que lancées par Disney – Aguilera comme Spears ont commencé dans The Mickey Mouse Club (1989-1994) – ne sont plus sous contrat avec une société du groupe20.
17Lizzie McGuire (2001-2004) est la première incursion importante de Disney dans le domaine des séries en prise de vues réelles structurées en franchise, destinées à un public de « tweens »21, et dans lesquelles la musique joue un rôle essentiel. Cette comédie est interprétée par la jeune Hilary Duff (treize ans à l’époque), qui fera ses débuts musicaux avec la bande originale de la série, commercialisée en 2002 par Walt Disney Records, l’un des deux labels, avec Hollywood Records, du Buena Vista Music Group (qui devient en 2007 Disney Music Group). Duff est alors la première star d’une série produite et diffusée par Disney Channel à devenir une vedette de la chanson, grâce à son contrat personnel avec Hollywood Records. « I Can’t Wait », la chanson interprétée par Duff, est promue intensément par le groupe, grâce à des centaines de passages sur les nombreuses stations du groupe Radio Disney (un network radiophonique lancé en 1996, à la faveur du Telecommunications Act de 1996), ainsi qu’aux clips diffusés par Disney Channel. Cette politique agressive de coopération entre des sociétés appartenant au même conglomérat (Walt Disney Co.) – et, au sein de ce conglomérat, à la même division « Media Networks », libre d’élaborer sa propre stratégie22 – n’est pas sans susciter de nombreuses critiques23. En effet, la promotion intensive sur les ondes d’une artiste à la notoriété toute relative (avant le « matraquage » des stations de Radio Disney) viole l’esprit sinon la lettre des réglementations de la FCC (Federal Communications Commission). Les entreprises du secteur de la radio possèdent des permis d’émettre (broadcast licenses) qui sont accordés, depuis le Radio Act de 1927, en échange de l’obligation de servir « l’intérêt, l’utilité ou la nécessité publics »24, et non les intérêts commerciaux d’un label ou d’une société spécifique. Pour éviter cet écueil, la FCC a longtemps imposé d’informer les auditeurs de possibles conflits d’intérêts, mais cette obligation a été supprimée avec la déréglementation du milieu des années 1980, accentuée en 199625. Le succès des premiers titres de Dunn est suivi par la distribution d’un long métrage (The Lizzie McGuire Movie, 2003) qui intègre de nouvelles chansons, en particulier « What Dreams Are Made Of » et « Why Not », ce dernier titre étant commercialisé par Disney en juin 2003 sous forme d’un single comprenant aussi « ICan’t Wait », désormais devenu un « tube ». La franchise Lizzie McGuire est ainsi exploitée conjointement par plusieurs sociétés appartenant au conglomérat : Disney Channel et Disney Films bien sûr, mais aussi Walt Disney Records et Hollywood Records, Radio Disney... La réussite de la franchise et la soudaine notoriété de la jeune star Hilary Duff ont bien été rendues possibles non seulement par l’intégration verticale du groupe et la capacité de Walt Disney Co. à produire et distribuer des contenus, ainsi qu’à les exploiter, mais aussi par l’expérience du conglomérat dans la mise en place de stratégies de groupe fondées sur la synergie, et ce depuis l’époque de Walt Disney lui-même26. La différence de ces nouvelles franchises en termes de stratégie est cependant double : d’une part, ce sont désormais des fictions télévisées (et non des films de cinéma), qui se trouvent au centre des franchises, et d’autre part les possibilités de synergie sont multipliées en raison de l’apparition de nouveaux médias et supports.
Disney Channel se lance dans les séries musicales
À partir du milieu de la décennie 2000, et sous l’impulsion du nouveau président-directeur général du groupe, Robert Iger, plusieurs « séries » Disney – il s’agit de séries télévisées, ou encore de films ou de téléfilms suivis de sequels ou de spin-offs – participent à une stratégie de synergie et sont déclinées musicalement sous forme d’albums à succès destinés aux « tweens », tant cette tranche d’âge apparaît, dans la période 2005-2009 qui précède immédiatement les premières séries backstage « pour adultes », comme un marché incontournable pour les industries musicales*. Après Lizzie McGuire (une série non musicale) Disney se lance dans la production de plusieurs séries musicales « de coulisses » : la franchise Hannah Montana (série télévisée de 2006 à 2011, film en 2009), surtout, dont les nombreux albums, de 2006 à 2011, sont présents dans les hit-parades de fin d’année des bandes originales les plus vendues (voir Annexe E). Dans la même période, entre 2006 et 2009, les albums d’une seconde franchise, High School Musical (deux téléfilms et un film de cinéma entre 2006 et 2008, un spin-off télévisuel en 2011) apparaissent dans les meilleures ventes du classement Billboard. Cette franchise, souvent présentée comme le modèle principal de Glee (modèle narratif, musical, et économique), a été précédée de peu par The CheetahGirls (trois téléfilmsentre2003 et 2008), dont les albums sont en bonne place dans les listes des musiques de film les mieux vendues entre 2004 et 2007, et en 2008, une quatrième fiction backstage Disney, Camp Rock, est présente dans les mêmes classements.
* Tyler Bickford, « The New “Tween” Music Industry : The Disney Channel, Kidz Bop and an Emerging Childhood Counterpublic », Popular Music, vol. 31, no 3, 2012, p. 417-436, p. 418.
18Les succès de chacune des fictions télévisées (série ou téléfilm) produites après Lizzie McGuire sont particulièrement impressionnants : lorsque High School Musical est diffusé sur Disney Channel, le 20 janvier 2006, il est regardé par 7,7 millions de personnes, le plus grand nombre de spectateurs jamais rassemblés par la chaîne. Par le jeu des rediffusions, le téléfilm sera vu avant l’automne par 37 millions de téléspectateurs américains27... Chacune de ces franchises, dont le coût de production est faible, est avant tout rentable en raison des revenus autres que ceux de la télévision (ou de la salle de cinéma, pour High School Musical 3 : Senior Year), et notamment ceux qui découlent de la commercialisation de la bande originale : pour High School Musical toujours, la musique est exploitée sous forme de ventes de chansons et d’albums sur iTunes, de commercialisation de CD, d’exploitation d’une version sing-along sur Disney Channel, d’une tournée de concerts avec la plupart des comédiens du film, d’un spectacle sur glace, etc. Le premier film est aussi à l’origine de vente de droits pour des comédies musicales pour amateurs mises en scène dans les lycées, et fournit la base du scénario de la série TV tirée en 2019 de la franchise.
19À partir du début des années 2000, toutes les stations de radio affiliées à Radio Disney diffusent désormais les chansons enregistrées par les jeunes comédiens de Disney Channel28. Dès 2003 cependant, la rupture de contrat de Hilary Duff pousse Disney à perfectionner sa stratégie de production et de distribution des franchises ultérieures, sans remettre en question les fondements d’une méthode qui sert toujours de matrice au développement de franchises lucratives. Les productions suivantes ont en fait permis d’affiner l’approche et de modifier les clauses contractuelles qui lient les jeunes comédiens29. La durée des contrats des jeunes stars des franchises est en effet le nerf de la guerre pour un groupe qui cherche à tirer profit pendant plusieurs années des comédiens qu’il a formés, tout en promouvant de façon exclusive de très jeunes artistes. Reprenant un modèle classique mis au goût du jour, le groupe souhaite dans un premier temps tester le potentiel de ses jeunes recrues en les employant comme guest stars dans des séries existantes, avant de les laisser interpréter des rôles dans des séries créées spécialement pour elles30. La tactique de Disney consiste désormais à minimiser les risques liés aux comédiens et à prévenir la lassitude du public : lorsqu’un acteur est choisi pour une nouvelle franchise, Disney opte pour la production intensive de contenu (épisodes, chansons, clips, etc.), afin de pouvoir continuer à diffuser ces épisodes et ces chansons même si le comédien n’est plus sous contrat avec le groupe, et de profiter de la coïncidence (nécessairement limitée dans le temps) entre l’âge du comédien et celui de son personnage à l’écran. La stratégie initiée avec Lizzie McGuire trouve une forme d’aboutissement avec Hannah Montana qui comprend, en plus de la série télévisée, des tournées de concerts, des DVD, des livres, mais aussi des gadgets électroniques, des sacs à main, des posters, des cosmétiques... En 2007 toujours, l’album Hannah Montana est premier du « Billboard 200 », et reste 78 semaines dans le classement. Dans la foulée, une tournée de concerts se déroule à guichets fermés, et le film du concert est lui aussi un succès public31.
Fédérer les publics
20Au début des années 2000, plusieurs analyses publiées dans la presse professionnelle dans le sillage de Chicago (2002) et Moulin Rouge ! (2001) expliquaient déjà que les conditions étaient réunies pour un renouveau des films, téléfilms et/ou séries musicaux, anticipant le chemin suivi par Disney puis par les séries backstage. Un article de Variety met spécifiquement l’accent sur la question des publics et juge que les générations de spectateurs habitués à regarder MTV ne seront pas désarçonnées par des fictions musicales. De plus, le vivier de spectateurs pour ces futures productions ne sera pas uniquement américain – comme le montrent les succès à l’étranger des derniers films musicaux –, et ce d’autant plus que des collaborations fructueuses peuvent être envisagées avec plusieurs secteurs de l’industrie de la musique. Le genre est tout indiqué pour produire des bandes originales à succès et des déclinaisons transmédiatiques, car les spectateurs de fictions musicales se contentent rarement du simple achat d’une place de cinéma : ils ont souvent tendance à manifester fortement leur implication, et à acquérir des DVD et des bandes originales. Enfin, notent les auteurs de l’article, en dépit de la pléiade de stars à l’affiche de Chicago et Moulin Rouge !, il est probable que de nombreuses fictions musicales soient à l’avenir tournées sans star, comme le montrent les nombreux films indépendants dans lesquels la musique joue un rôle important (sans qu’il s’agisse explicitement de musicals)32.
21Ce dernier point est crucial, et explique en partie la voie empruntée par la plupart des séries musicales, dans le sillage de High School Musical plutôt que de Chicago et Moulin Rouge ! (même The Get Down, créée par Baz Luhrmann, est une série sans star véritable et dont les jeunes comédiens rappellent en tout point ceux de l’écurie Disney). Bien que les séries musicales soient aujourd’hui rarement produites au sein de groupes verticalement intégrés pouvant, comme Disney, assurer la production, la distribution ainsi que l’exploitation de divers contenus, plusieurs ont adapté à leur échelle propre la méthode du conglomérat : prenant acte du succès des bandes originales de High School Musical et de Hannah Montana, ainsi que des albums dérivés des franchises (le même jour que l’album Hannah Montana 2 sort ainsi Meet Miley Cyrus, le premier album personnel de la star), certaines séries n’hésitent pas à multiplier les albums (plusieurs par saison), une conséquence logique du grand nombre de chansons par épisode. Pourtant, Disney et les séries backstage semblent s’adresser à des publics bien distincts : pour Disney Channel, un public de tweens, mais la chaîne essaie de favoriser les possibilités de chevauchement entre ses diverses franchises et entre des cibles spectatorielles distinctes mais proches. High School Musical est plus explicitement destiné à un public d’enfants, Hannah Montana s’adresse plus spécifiquement à des spectateurs intermédiaires (tweens), et les Jonas Brothers (Camp Rock) aux adolescents33. Avec la création de multiples franchises musicales, Disney tente en réalité de brouiller les repères entre ses « marques » et de pousser les plus jeunes à regarder les programmes et écouter la musique destinés à leurs aînés – tout en incitant ces derniers à regarder les séries des plus jeunes. La réussite de cette tactique dépasse la seule tranche des très jeunes spectateurs, et les différentes séries ont aussi un public fidèle de jeunes adultes, qui ne se limite pas aux parents des jeunes spectateurs34... Il est aussi notable que plusieurs stars lancées par des fictions Disney au début des années 2000 (Miley Cyrus, Zac Efron...) ont ensuite réussi à rapidement recentrer leurs activités musicales, télévisuelles et cinématographiques sur des créneaux plus adultes sans forcément avoir à occulter leur passé d’acteur ou actrice Disney. Le succès des stars et des fictions Disney auprès d’un public d’adultes est précisément dû aux choix musicaux du groupe, qui tente de se positionner sur le segment des tweens, plutôt que sur celui des seuls enfants : parce que ce public est par définition « intermédiaire » (tween est une contraction de between et teen), Disney lui propose non des musiques spécifiquement enfantines, mais plutôt une musique de teen pop qui est presque semblable à celle qui est destinée au public de masse, adolescent et adulte.
22La stratégie mise en place par le groupe Disney pour ces franchises rejoint ainsi celle des producteurs et diffuseurs de séries pour adolescents, et en particulier celle du réseau The WB à la fin des années 1990, qui diffuse alors notamment Buffy the Vampire Slayer. Il s’agit non de viser un public de masse, mais plutôt d’agréger plusieurs cibles spectatorielles qui se caractérisent par une sensibilité « jeune » comprenant des enfants – qui sont encouragés à s’intéresser à des programmes avant tout destinés à des spectateurs plus âgés (reading up) –, des adolescents, et enfin de jeunes adultes – qui doivent pouvoir s’intéresser à des séries conçues pour des spectateurs plus jeunes (reading down)35. La spécificité des séries backstage Disney consiste à agréger des cibles spectatorielles grâce aux chansons et aux performances musicales, ce qui correspond précisément à la démarche que mettront en œuvre, après 2009, les networks et les chaînes du câble qui diffusent leurs séries musicales après des programmes fédérateurs comme American Idol ou The Voice.
La « nouvelle radio »36
23Les récentes séries musicales n’inventent donc pas les actions de promotion croisée, mais elles tendent à mettre au goût du jour et à systématiser les pratiques existantes. Celles-ci sont affinées et intégrées pleinement au modèle industriel des séries car elles se révèlent particulièrement adaptées à des fictions qui traitent, précisément, des modes de performance et parfois des enjeux économiques liés à l’enregistrement de la musique (Empire, Vinyl...), ou à la production de concerts (Roadies, Nashville...). Plus spécifiquement, la forme du backstage redevient en réalité pertinente non pas dans un moment de crise du marché de la musique enregistrée, mais bien dans une période de stabilisation, de (relatif) retour à la normale, au début des années 2010, après une décennie de tourmente et de changements rapides, pour les labels et leurs artistes. Cette situation permet alors, j’y insisterai, de développer un type nouveau de bande originale de série, qui n’est pas la reprise à l’identique des formats à succès antérieurs. L’innovation formelle s’accompagne avec ces nouvelles séries de transformations industrielles cruciales, tant en raison de la frénésie d’accords nouveaux entre labels musicaux et producteurs de télévision, que de la montée en puissance d’une profession qui devient centrale dans la production du cycle backstage – celle de music supervisor.
24La promotion d’une chanson ou d’un artiste à l’aide de cette « nouvelle radio » que sont les séries télévisées n’est pas une nouveauté, mais plutôt l’actualisation de tactiques publicitaires anciennes. À partir du milieu des années 1960, des accords entre des sociétés appartenant parfois aux mêmes groupes ont ainsi permis, pour le cycle de sitcoms musicales de l’époque, de développer de façon efficace plusieurs bandes originales prenant la forme singulière d’albums de groupes fictifs37. L’association, dans le cadre d’une joint-venture, entre la société de production Screen Gems (Columbia) et le label RCAVictor permit la création et la distribution des albums des Monkees, les deux ”premiers correspondant à la bande originale de la première saison de la série The Monkees. Cette tentative réussie de synergie a été reproduite, en 1970, avec la commercialisation de la musique de The Partridge Family (une série créée comme The Monkees par Screen Gems), produite et distribuée par Bell Records, une société acquise peu de temps auparavant par Columbia. Dans les mêmes années, la série d’animation The Archie Show, produite par Filmation pour le réseau CBS, fut elle aussi déclinée en plusieurs albums de The Archies (le groupe fictif de la série), produits par Kirshner Records (une filiale de CBS), et qui furent bien classés dans le hit-parade du « Billboard 200 ». Ce type de coopération est repris, dans les décennies suivantes, et adapté à des environnements de production différents comme à divers modes d’utilisation de la musique (préexistante ou non).
Renouveau des pratiques de promotion croisée
25Les bandes originales de la décennie suivante sont le fruit d’un contexte industriel différent pour les secteurs de la musique enregistrée. Plusieurs albums à succès38 (Songs from Dawson’s Creek en 1999 et Music from The O.C.: Mix 1 en 2004, par exemple) offrent des compilations des morceaux de musique préexistante entendus dans les séries ; ils sont le résultat des choix opérés par les showrunners et les music supervisors des productions en question, et témoignent de la volonté d’instituer d’étroites collaborations avec l’industrie musicale. En effet, dans un contexte difficile (les ventes de CD chutent de façon drastique dès le début du xxie siècle), les labels cherchent à identifier de nouvelles sources de revenus pour leurs artistes et à pallier la désaffection de la chaîne spécialisée MTV39 (au tournant des années 2000, les programmes de téléréalité comme The Real World [1992-], Jackass [2000-2007] ou My Super Sweet 16 [2005-] commencent à prendre le dessus, dans la programmation de la chaîne, sur les émissions consacrées à la musique en général, et aux clips en particulier), et aussi de la radio : la déréglementation provoquée par le Telecommunications Act de 1996 a eu pour conséquence une vague d’acquisitions de stations de radio, une concentration importante du secteur entre les mains de quelques grands groupes, et partant une baisse de la diversité musicale sur les ondes, avec pour corollaire de grandes difficultés pour les labels à placer leurs artistes à la radio40. De façon soudaine, les playlists imposées par les nouvelles stations de radio comme l’accélération des rotations rendent aléatoire la promotion sur la durée de nouveaux artistes41. Les maisons de disque se tournent alors vers les séries télévisées de fiction, vite considérées spécifiquement comme des alternatives à la radio. The O.C. est emblématique des séries non musicales qui font paradoxalement de la musique un des facteurs clé de leur formule narrative, et dont les choix musicaux ont pour ambition de concilier enjeux narratifs et promotionnels. Cette série pour adolescents s’est rapidement fait remarquer pour sa capacité à faire découvrir de nouveaux groupes, et aussi pour l’influence de sa music supervisor, Alexandra Patsavas, dont les décisions sont autant commentées, dans la presse professionnelle des premières années du xxie siècle, que celles du créateur de la série, Josh Schwartz. Plate-forme promotionnelle pour des artistes en début de carrière, la série sait surprendre ses spectateurs en faisant appel de façon exceptionnelle à des artistes connus qui tirent parti de leur présence dans une série à succès – et aussi dans les six albums produits à partir de la musique de la série. Le 10 mars 2005, cinq titres de Beck ont ainsi été utilisés dans un épisode de The O.C. (S02E15), justifiant l’insertion d’une ad card (un carton, en début de générique de fin, faisant la promotion d’un album ou d’un artiste). Pour la série, une collaboration avec un artiste réputé est vitale : lors de sa deuxième saison, The O.C. est diffusée le jeudi soir, à un horaire où elle est concurrencée par des programmes très populaires – Survivor (2000-) sur CBS, Will & Grace (1998-) sur NBC, notamment. Les producteurs tentent donc d’affirmer une spécificité musicale de façon d’autant plus pressante que les audiences ont été décevantes, en début de saison. Bien que la série fasse généralement appel à des musiciens moins connus, le style musical de Beck, éclectique et minimaliste (« lo-fi »), est parfaitement compatible avec l’identité de la série. Diffusée sur un network, The O.C. s’apparente aux teen soaps de prime time des années 1990, comme Beverly Hills, 90210 (1990-2000) ou Melrose Place (1992-1999) – comme dans ces deux séries, le titre désigne un lieu, le comté californien où se déroule l’action, dans un environnement socio-économique privilégié. Si la série tisse bien, dans le milieu fermé de Newport Beach, des intrigues de soap opera, FOX a pris soin de mettre en avant dans les publicités l’autorité du créateur et producteur exécutif de la série, Josh Schwartz, en soulignant sa jeunesse, ses expériences dans le milieu du cinéma, son souci du moindre détail42, et les articles qui rendent compte de la série s’intéressent au paradoxe du traitement volontiers sarcastique d’un matériau mélodramatique43.
La musique des MTV Cops
En 1984, Miami Vice transpose pour la télévision un modèle de synergie initié par Flashdance, dont les producteurs ne se contentèrent pas d’utiliser la musique comme outil promotionnel pour le cinéma, mais mirent à profit les passages sur MTV du clip « Maniac » de Michael Sembello pour promouvoir le film, ainsi que l’album et le single qui en étaient issus*. Brandon Tartikoff, chef de l’Entertainment Division de NBC, imagine d’emblée pour le network la création d’une série qu’il nomme provisoirement « MTV Cops », et dont la formule mise sur une combinaison inédite de codes du film noir et de série policière, de clips de MTV et de rock**. Cette musique permet à la série de se distinguer de ses concurrents, et devient simultanément une plate-forme promotionnelle importante pour certains artistes (l’album The Allnighter et le single « Smuggler’s Blues » de Glenn Frey, dont la chanson est utilisée dans le 16e épisode, dominent ainsi les hit-parades en mai 1985). L’album Miami Vice : Music from the Television Series, produit par MCA (qui fait partie du même groupe que Universal, producteur de la série), est conçu par Jan Hammer, qui combine musiques originales de la série et titres préexistants utilisés dans les épisodes : l’album demeura onze semaines au sommet du hit-para de Billboard et fut le plus grand succès de bande originale de télévision depuis Peter Gunn de Henry Mancini.
* Jeff Smith, The Sounds of commerce, New York, Columbia University Press, 1998, p. 200-204.
** Sur la création de Miami Vice et la production de l’album Miami Vice : Music from the Television Series, voir R. Serge Denisoff, Inside MTV, New Brunswick (NJ), Transaction Press, 1988, p. 251-288.
26Pour être un soap opera de prime time destiné aux adolescents, The O.C. n’en est pas moins interprétée comme une série « d’auteur », et cette identité complexe permet d’engager des collaborations avec des musiciens comme Beck. Celui-ci se montre prudent (« d’ordinaire je me lasse assez vite des séries télévisées et des questions de cession de droits »44), mais loue le créateur de la série (« apparemment, l’homme qui assemble la musique a un goût excellent ») – en occultant le rôle crucial joué par la music supervisor de la série. Ce discours circonspect est typique d’une période de transition : de nombreux artistes réputés se tournent vers un média et des formats que, cinq ans auparavant, ils auraient ouvertement dédaignés, et de nouveaux professionnels (les music supervisors) conquièrent une place centrale dans deux secteurs clés des industries culturelles (production de programmes télévisés et production musicale), sans que leur rôle soit totalement sinon reconnu, du moins accepté par tous. La présence dans une série télévisée pour adolescents permet évidemment à Beck de se faire mieux connaître d’un public jeune, l’un des enjeux commerciaux de Guero, l’album dont il fait alors la promotion. L’épisode utilise quatre titres de Guero – la chanson « Scarecrow » sera même reprise dans la compilation de la musique de la saison 2 –, ainsi qu’une interprétation par Beck d’une chanson de Daniel Johnston, « True Love Will Find You in the End », enregistrée quelques mois avant pour un précédent album. Les quatre premières chansons sont utilisées de façon fugace, mais « True Love... », entendue longuement en fin d’épisode, fait l’objet d’un traitement particulier, l’objectif étant de rassembler les différentes lignes narratives, et de souligner les sentiments, formulés ou non, qui lient les personnages principaux. La chanson de Beck s’écarte de l’ironie propre à la série pour accompagner un moment d’émotion mélodramatique, et conclure l’épisode en renforçant les effets de continuité propres à la narration sérielle. Il s’agit d’une part d’utiliser la capacité « d’une chanson non diégétique à dépasser la gamme d’émotions affichées par les personnages diégétiques »45, et à « parler » pour les personnages (la phrase « True love will find you in the end... » se fait entendre au moment précis où une épouse qui se croit délaissée est frappée par la sincérité de l’amour de son mari), et d’autre part de travailler « la capacité d’un “montage-séquence” sur une chanson pop à agréger les multiples segments narratifs d’une série chorale »46. La simplicité folk des paroles et de l’accompagnement instrumental – une seule guitare, puis un harmonica – contraste pourtant avec la complexité des lignes narratives de l’épisode, tout comme avec la futilité des préoccupations des riches oisifs qui peuplent la série. Lorsque la chanson de Beck est utilisée, les quatre jeunes héros sont enfin rassemblés, ce qui est commenté de façon sarcastique par l’un d’eux. L’utilisation de « True Love... » permet en fait de mettre en avant l’hybridité générique (un soap sentimental de prime time, mais jeune et sarcastique), tout en récompensant la fidélité des spectateurs : l’amour vrai et sincère évoqué par les paroles rappelle aux assidus l’amitié indéfectible qui unit les quatre personnages, quelles que soient les épreuves (« don’t give up », insiste la chanson). La chanson rappelle des épisodes précédents, et évoque l’avenir (« in the end »), élaborant une sorte de clifthanger qui anticipe de vraies retrouvailles.
27Dans un contexte de crise (baisse des ventes d’albums), les collaborations avec la télévision sont un impératif qui amène à des négociations au sein même de l’industrie musicale entre les artistes (qui ne souhaitent pas toujours lier leur image à celle d’une série télévisée), les départements juridiques des labels ou des éditeurs (qui cherchent à vendre les droits des chansons), et les départements marketing (qui, plus que des droits, désirent faire fructifier la présence médiatique des artistes sous contrat). Dans le même temps, certains diffuseurs (notamment The WB, avec des séries comme Buffy the Vampire Slayer, Dawson’s Creek, Charmed [1998-2006] ou encore Gilmore Girls) mettent au premier plan l’importance de la musique populaire pour définir ce qu’est une série de « qualité », et aussi pour cibler des publics spécifiques.
28Les pratiques transmédiatiques des séries backstage reprennent en les systématisant ces stratégies de promotion croisée mises au point dans les séries télévisées du début de la décennie 2000, et adaptées à la pratique des cover songs et des performances diégétiques, comme aux formats spécifiques de séries fondées, précisément, sur la performance musicale. L’effet promotionnel est à son comble lorsqu’un épisode entier d’une série est consacré à un artiste – une pratique fréquente dans Glee –, par exemple Britney Spears, honorée à deux reprises avec des épisodes qui mentionnent explicitement son nom : « Britney/Brittany » (S02E02, diffusé le 28 septembre 2010), et « Britney 2.0 » (S04E02, diffusé le 20 septembre 2012). Lorsque Britney Spears apparaît dans une séquence du premier épisode, le succès est immédiat, et cinq reprises entrent peu après au palmarès du « Billboard 200 », le 16 octobre 2010 : « Stronger », « I’m a Slave 4 U », « Toxic » (classée 16e), « Baby One More Time » et « Me against the Music ». Dans une période de profondes transformations, ces pratiques industrielles de promotion croisée sont devenues essentielles pour les artistes comme pour leurs labels, et permettent de comprendre l’importance prise par ce cycle de séries pour les secteurs de la musique enregistrée.
Groupes de rock et séries TV : flops et succès
À une époque charnière pour l’industrie musicale, toutes les pratiques de promotion croisée sont loin d’être des réussites, en particulier lorsque les enjeux narratifs de l’utilisation des chansons passent au second plan et que les séries deviennent de pures plate-formes promotionnelles venant combler le manque laissé par la radio ou par MTV. En mai 2006, dans l’épisode final de la sixième saison de Gilmore Girls (2000- 2007), Kim Gordon et Thurston Moore (Sonic Youth) ont interprété « What a Waste », un titre de leur album Rather Ripped, dans le town square de la ville fictive de la série, mais l’écart est tel entre l’univers policé du feuilleton et l’image comme le style musical du groupe new-yorkais (un rock alternatif aux influences punk et grunge) que de nombreux fans du groupe réagissent négativement dès l’annonce de cette prestation (et se déchaînent après la diffusion). Pour des musiciens moins connus, l’équation ne se pose pas dans les mêmes termes : les labels cherchent avant tout à faire connaître de nouveaux artistes, et misent sur la télévision comme sur une nouvelle forme de radio, en consentant généralement aux conditions proposées par les producteurs et les scénaristes. Ennovembre 2005, lorsque le groupe de rock indépendant The Subways interprète son titre « Rock & Roll Queen » dans un épisode de The O.C. (S03E07), il ne pâtit pas de réactions négatives de ses fans, alors même que son style musical – inspiré, précisément, parle son de groupes comme Sonic Youth et Nirvana – pouvait l’exposer à une certaine incompréhension. Mais The Subways n’a pas, à l’époque, une notoriété suffisante pour craindre de tels revers, et surtout l’image de The O.C. repose depuis ses débuts sur le contraste entre une intrigue de soap opera et des choix musicaux pointus, un mélange de rock indépendant et de musique folk, et sur l’intégration narrative des chansons. Parce qu’enfin la série s’est forgée la réputation d’un tremplin vers le succès pour les groupes qu’elle promeut, The Subways note un accroissement du nombre de spectateurs à ses concerts, et surtout une augmentation significative des ventes de sa chanson sur les plate-formes numériques la semaine de diffusion de l’épisode*.
* Michael Paoletta et Melinda Newman, « TV : Seen + Heard », Billboard, 13 mai 2006, p. 32.
Lady Gaga et Katy Perry dans Glee
Lors que les chanteurs de Glee rendent hommage à Lady Gaga (S01E20) en mai 2010 en reprenant deux de ses chansons, « Poker Face » et « Bad Romance », l’épisode ne suit que de six mois la distribution du second album de la chanteuse, The Fame Monster. Quand ces deux reprises sont, en juin 2010, classées dans le « Billboard Hot 100 » (voir Annexe D) qui intègre cette semaine-là pas moins de six chansons de la série, plusieurs titres de Lady Gaga figurent encore dans le palmarès, et notamment « Bad Romance », présent la même semaine pour la version originale (classée 30e, et qui remonte de plusieurs places par rapport à la semaine précédente) et la version du « Glee cast » (54e du palmarès). La synergie est identique en novembre de la même année lorsqu’apparaît dans le palmarès une reprise de Katy Perry, « Teenage Dream » (classée 8e le 27/11/2010) alors que la version originale est encore présente dans le classement (à la 13e position). L’utilisation de ces reprises « prestigieuses » permet à la série de profiter de l’image de chanteuses célèbres et présentes dans les médias à l’occasion de nouveaux albums, tandis que la reprise dans Glee est aussi une façon, pour les artistes, de prolonger ou renouveler l’intérêt pour des albums sortis plusieurs mois auparavant, en tirant profit des passages à la télévision – « nouvelle radio » – non de la chanson originale, mais des reprises.
La course aux accords
29L’intensité accrue des liens entre labels et producteurs de séries est d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit dans un contexte de profonde instabilité dans le secteur de la musique enregistrée. Les années 1990 (et surtout la fin de la décennie) ont pourtant constitué un véritable âge d’or des bandes originales de séries et de films, avec en particulier la distribution des albums The Bodyguard : Original Soundtrack Album (1992), Forrest Gump : The Soundtrack (1994) ou encore Titanic : Music from the Motion Picture (1997). L’intérêt pour ces bandes originales reflète la bonne santé du marché de la musique enregistrée, dont le chiffre d’affaires fait plus que doubler sur la période47. La croissance des ventes (un chiffre d’affaires qui passe de 3 452 millions de dollars à 12 816 millions entre 1990 et 1999), fait du CD, un support qui désormais remplace tous les autres, l’emblème de cette période faste. Mais après un sommet en 1998 – cette année-là, 62,7 millions d’albums de musiques de films sont vendus, ce qui représente 8,6 % du marché du disque aux États-Unis48 –, les ventes déclinent rapidement et en 2004, les bandes originales ne représentent plus que 4,2 % des ventes totales d’albums49. Le format des albums commercialisés à l’époque ne semblait plus vraiment en accord avec les attentes des publics : certains disques sont en réalité seulement « inspirés » par l’univers d’une série ou d’un film, et ne comportent guère de morceaux réellement entendus à l’écran (comme dans Songs in the Key of X : Music from and Inspired by the X-Files, en 1996). Et le désintérêt pour les bandes originales a été accentué par le contexte de crise que connaissent alors les secteurs de la musique enregistrée dans leur ensemble. Après un pic en 1999, les ventes de musique enregistrée connaissent en effet une baisse très importante dans les dix années suivantes : entre 2000 et 2003, les ventes de musique chutent de plus de 17 %, concurrencées par les échanges de fichier – et par le téléchargement illégal. L’ouverture de l’iTunes Store en 2003 permet un fugace redressement en 2004, mais la chute reprend rapidement, en dépit donc de l’émergence de nouveaux modes d’achat (les téléchargements légaux d’albums ou de singles) qui concurrencent les albums physiques, mais qui décroissent également à partir de 2012. Dans son livre publié en 1998, Jeff Smith note que les divisons consacrées à la musique sont alors devenues des centres de profit plus stratégiques que les branches dédiées au cinéma, au sein des conglomérats de l’entertainment des années 1990, et ce même si les producteurs et les distributeurs de cinéma occupent souvent les fonctions les plus prestigieuses50. Cinq ans plus tard, le discours de Smith aurait sans doute été bien différent. Toutefois, dès 2010, le chiffre d’affaires du secteur de la musique enregistrée parvient enfin à se stabiliser, aux États-Unis, notamment en raison de la vigueur des services de streaming : à partir de 2016 les Américains dépensent davantage d’argent pour accéder à des contenus musicaux (via des services de streaming) que pour acheter de la musique.
30Les séries backstage n’ont pas été développées au plus fort de la crise qui a frappé les industries musicales, au tout début des années 2000, mais plutôt dans la phase de stabilisation et de reconfiguration du marché de la musique enregistrée, alors que les ventes d’albums physiques et digitaux demeurent très importantes, malgré des fluctuations significatives. Dans un moment d’incertitude, les liens entre musique et télévision, en raison des synergies possibles, ont offert une promesse de stabilité, parce que leur efficacité avait déjà pu être testée à de nombreuses reprises dans le passé. En période de sortie de crise, les séries « de coulisses » ont permis aux labels et aux producteurs de séries TV d’affiner, après les réussites des années précédentes (bandes originales de The O.C., de Friends, de The Sopranos...) une nouvelle formule de soundtrack, souvent un intermédiaire entre compilation et bande originale. De plus, la spécificité du genre backstage (mettre l’accent sur l’interprétation et la performance, notamment vocales) rend obsolète le concept des bandes originales « inspirées de », puisque les spectateurs doivent pouvoir, avec ce type d’extension transmédiatique, prolonger l’expérience de la série en retrouvant des musiques déjà entendues à la télévision. Ensuite, les albums ne comportent pas (ou très peu) de titres interprétés par des célébrités de la chanson, à l’inverse des bandes originales (de films) qui connurent un succès important au cours de la décennie 1990 en intégrant au moins un titre chanté par un interprète célèbre51. Comme dans les bandes originales de Disney Channel, il s’agit de retrouver dans les disques les timbres singuliers des interprètes de la série et de promouvoir un ensemble (« Glee cast », « Nashville cast »), ce qui offre l’avantage évident, lorsqu’il s’agit de reprises, de renouveler le mode de performance de chansons connues, et donc de combiner les plaisirs de la reconnaissance et de la nouveauté en associant logique normative et logique d’innovation.
31Les producteurs de séries tentent enfin de construire des synergies avec les labels en effectuant des économies d’échelle, en particulier en matière de frais juridiques partagés, de coûts de marketing et de supervision musicale52. À partir de Glee, la distribution et le marketing des albums sont généralement assurés par un label qui a passé un accord avec le producteur (de la série) : dans le cas des séries produites par FOX Television, il s’agit d’une joint-venture avec Columbia, qui assure le marketing, la promotion et la distribution des titres vendus sur iTunes (parfois jusqu’à deux semaines avant la diffusion, même si la plupart des ventes se déroulent dans les 18 heures qui suivent la première diffusion53) ainsi que des albums. Les labels ont la possibilité – prévue sous forme d’options dans les contrats –, de produire les albums solo de certains interprètes, mais uniquement s’ils atteignent une renommée suffisante. C’est ainsi que Columbia put produire les deux albums de Lea Michele (Glee), Louder (2014) et Places (2017), et dénoncer en 2014 le contrat signé en 2011 avec Naya Rivera (interprète de la même série), en raison des résultats décevants de son premier single en 2013. Les tactiques individuelles des artistes entrent aussi en ligne de compte, certains préférant profiter de leur récent succès pour s’émanciper de contrats aux conditions rigides, à l’instar de Jussie Smollett (Empire) qui rompt son contrat avec le même label pour produire son premier album, Sum of My Music (2018), de façon indépendante. Dans le cas de ces joint-ventures, la création d’une synergie est évidente : comme le network peut utiliser les chansons dans toutes ses publicités, « la série fait la promotion de la musique, et pareillement la musique fait la promotion de la série »54. Dans le cas d’autres séries, les synergies se produisent entre sociétés appartenant à un conglomérat, susceptibles d’exploiter une même propriété intellectuelle : The Get Down est développée par Sony Pictures, et la bande originale est produite et distribuée par RCA, l’un des labels du groupe Sony Music Entertainment. La musique de toutes les séries backstage est d’ailleurs toujours produite et/ou distribuée par des majors de l’industrie du disque (Tableau 3), et même la bande originale de Nashville, produite par un label indépendant, est distribuée par Universal.
Tableau 3. La musique enregistrée aux États-Unis : parts de marché des majors et des indépendants de l’industrie musicale (ventes d’albums physiques et digitaux, droits et autres revenus) en 2017.
Part de marché | Principaux labels | |
Indépendants | 36,6 | Astralwerks, Cantora Records, |
UMG (Universal Music | 25,6 | Virgin, Liberty, Capital, Motown, |
SME (Sony Music | 21,2 | Columbia Records (Glee, Empire, |
WMG (Warner Music group) | 16,6 | Atlantic Records (Vinyl, Rise), |
Source : [Billboard, 13 janvier 2018.]
32Plusieurs séries n’hésitent pas à narrativiser le motif de l’écoute de chansons sur un téléphone portable, comme si l’intérêt manifesté par les personnages pour ces nouvelles formes d’écoute pouvait préparer les spectateurs, dans le monde réel, à succomber aux charmes d’une chanson à télécharger sur une plate-forme accessible sur un téléphone, dès la fin de l’épisode (fig. 42 à 49). À la fin du pilote de Nashville, par exemple, un producteur de musique country utilise son téléphone portable pour faire écouter à l’héroïne de la fiction, absente, les débuts de deux jeunes gens prometteurs sur la scène du Bluebird Cafe. Dans Empire, Cookie Lyon écoute sur son smartphone les fichiers successifs que lui envoie son fils Jamal, en pleine répétition, et lui suggère des améliorations par texto (S02E07). Dans Smash (S02E01), Karen Cartwright se comporte de façon identique lorsqu’elle découvre avec grand intérêt une chanson qu’elle souhaite immédiatement faire écouter à son metteur en scène. Dans l’épisode « Sectionals » (S01E13) de Glee, Emma Pillsbury tend son téléphone pour permettre à Will Schuester, absent, d’écouter les chansons lors d’une première compétition de ses élèves, et dans le pilote de High School Musical : The Musical : The Series, la première chanson importante de la série est une ballade postée sur Instagram par la jeune Nini, écoutée par Ricky sur son smartphone. L’émotion toujours intense de ces auditeurs diégétiques in absentia est un signe de cette puissance de l’écoute dont tout téléspectateur est invité à faire l’expérience en téléchargeant les titres de ses séries préférées – et notamment ces chansons qui ont la spécificité d’être placées en toute fin d’épisode, et qui semblent bouleverser tous les personnages/spectateurs diégétiques. Dans ces moments, l’écoute d’une chanson à l’aide d’un téléphone souligne moins les qualités musicales d’un titre en particulier que l’effet de choc – surprise, émotion intense – produit sur des auditeurs par une attraction remarquable. Pour autant, ces moments musicaux singuliers ne valident absolument pas une quelconque supériorité du son sur l’image55, bien au contraire, puisque ces séquences au programme narratif fort et complexe (il s’agit souvent, comme dans Nashville, à la fois d’une synthèse de fin d’épisode et d’un tournant dans le récit), qui sont aussi des spectacles visuels saisissants (la performance des artistes est une attraction visuelle en soi), utilisent des moyens variés pour signaler l’intérêt de certaines chansons – et sceller la nature transmédiatique du backstage contemporain.
Fig. 42 à 49. Le choc de l’écoute sur smartphone : Glee (S01E13), Smash (S02E01), Nashville (S01E01), High School Musical : The Musical : The Series (S01E01).

33Cette possibilité offerte par les séries musicales de prolonger l’expérience de la série sur d’autres médias et sur des supports divers (principalement, mais pas uniquement, le téléphone portable) explique pourquoi des programmes qui n’ont pas des résultats exceptionnels lors de leur premier passage à la télévision peuvent être cependant prolongés56. Lors de la diffusion du centième épisode de Glee en 2014, le magazine Variety explique combien la série a su tirer profit d’un modèle existant (l’émission de téléréalité britannique The X Factor proposait déjà, avant le début de Glee, des téléchargements de singles après chaque épisode) tout en inventant une organisation efficace permettant la mise en vente de plusieurs morceaux de musique (parfois jusqu’à huit titres par épisode) : le créateur Ryan Murphy choisit les chansons à utiliser ; le musical supervisor P.J. Bloom règle les questions de droits ; le producteur Adam Anders s’occupe des arrangements et des enregistrements, qui sont mis en vente grâce à l’accord FOX/Columbia57. Avant Glee, FOX avait acquis une certaine expérience dans la distribution purement digitale de chansons de certaines de ses séries, tandis que Columbia pouvait proposer son expertise dans la distribution et le marketing des chansons aux États-Unis comme à l’étranger. Le succès immédiat de cette stratégie de synergie a permis, d’une part, de faciliter les règlements des questions de droits et, d’autre part, de valoriser la rentabilité des catalogues des maisons de disque, en stimulant les ventes de titres anciens, tout en contribuant à maintenir dans les premières places des classements des chansons de stars comme Lady Gaga, Beyoncé ou Adele.
Les music supervisors, de nouveaux auteurs
34Plusieurs séries contemporaines se distinguent des fictions backstage antérieures en mettant en scène des personnages qui ne sont pas exactement des artistes (ils ont souvent rêvé d’une carrière musicale avant d’y renoncer) mais sont capables de conseiller efficacement des musiciens et d’établir au mieux des listes de chansons (par exemple pour un concours national de chorale), tout en gérant les aspects humains et logistiques liés à la vie d’une troupe ou à la mise en scène d’une comédie musicale amateur. Les professeurs de Rise, Glee et High School Musical : The Musical : The Series, les producteurs de Vinyl tout comme le DJ de Treme doivent tous inventer d’efficaces programmes de reprises, et leur activité se situe au croisement de la performance artistique, du coaching (plutôt que du professorat) et de questions d’organisation ou de gestion. L’apparition de ces personnages (qui sont les descendants des metteurs en scène que l’on rencontrait dans les comédies musicales « de coulisses », dans les années 1930) coïncide avec l’importance prise par les coachs dans certains talent shows comme The Voice, mais aussi avec le rôle joué par les music supervisors dans le processus de production des séries, dans les industries culturelles ainsi que dans l’espace médiatique. En témoigne notamment le nombre important d’articles dans la presse professionnelle, à partir du milieu des années 2000, portant sur cette profession58, sur quelques supervisors qui sont de véritables célébrités (au premier chef Alexandra Patsavas, déjà mentionnée)59, et sur la musique dans des programmes où les music supervisors jouent un rôle de premier plan60. Au tournant des années 2010, cette nouvelle place est marquée par la volonté de la profession de se structurer (avec la création en 2010 de la Guild of Music Supervisors, qui vise à regrouper les supervisors les plus influents, à défendre la profession mais aussi à en cerner les contours avec précision61), par la reconnaissance symbolique qu’atteste l’attribution, depuis 2017, d’un Emmy Award dédié (« outstanding music supervision »), et par la reconnaissance économique que constitue la fonction occupée par quelques supervisors dans les grands groupes musicaux : P.J. Bloom (qui fut le musical supervisor de Glee) et Anton Monsted (qui travaille pour le cinéma) sont désormais des cadres dirigeants de, respectivement, Warner Bros. Records et Capitol Music62. Ces changements signalent la position aujourd’hui centrale, dans les industries musicale et télévisuelle, de ces music supervisors et aussi l’importance stratégique, pour les majors de la musique enregistrée, des ventes de droits au cinéma et à la télévision, et du placement des chansons à des fins promotionnelles. L’intensification – décrite en début de chapitre – des pratiques de promotion croisée ainsi que l’octroi aux fictions télévisées du rôle promotionnel précédemment dévolu à la radio rehaussent au tournant du siècle le prestige du music supervisor, qui devient un interlocuteur clé des majors du disque ; comme l’explique Joel C. High, music supervisor pour le cinéma et la télévision :
« La radio était autrefois la façon de faire connaître un disque. Aujourd’hui, si vous placez une chanson dans un film important, plus de gens vont l’entendre que si elle passait sur les ondes de quelques stations dans une sorte de rotation. […] C’est pour cela que les music supervisors se sont vraiment affirmés en tant que “faiseurs de rois”63. »
35Simultanément, cette fonction a pris dans le champ des séries télévisées une importance décisive à la mesure de la place dorénavant accordée aux chansons dans la narration et l’esthétique des séries. Le nombre important de titres à choisir pour chaque épisode, la nécessité de sélectionner les chansons en fonction des enjeux narratifs et formels, et surtout l’imbrication des questions artistiques, économiques et juridiques conduisent la plupart des producteurs et des showrunners à faire appel aux services d’un music supervisor, dont le rôle est crucial dans les séries musicales.
36L’existence même des séries musicales doit beaucoup à l’expertise musicale et juridique des music supervisors, même si le rôle de premier plan joué par ces professionnels conduit aussi nécessairement à une standardisation des pratiques (intégration narrative des chansons, notamment) et des modes d’insertion des chansons dans les récits, comme le montre par exemple le choix désormais fréquent du contrepoint en fin d’épisode – lorsque la musique de fosse fournit un saisissant contraste à une séquence conclusive dramatique, comme dans The Americans (2013-2018) avec l’utilisation de « To Love Somebody » de Roberta Flack, une ballade romantique qui contraste vivement avec une scène de fusillade (S01E10) –, ou celui de la chanson légère sur un montage-séquence dramatique (par exemple « Pick Yourself Up » chanté par Nat « King » Cole et utilisé pour la séquence des dix meurtres simultanés, dans Breaking Bad, S05E08). Mais P.J. Bloom et Amanda Krieg Thomas, les music supervisors de The Americans, ont tort d’évoquer « une technique narrative qui était encore relativement peu utilisée dans les séries fictionnelles »64. Ce motif narratif et musical se trouve en conclusion de plusieurs épisodes de séries plus anciennes, et notamment en fin d’un épisode de The O.C. (S02E24) : l’épisode et la saison se terminent sur un clifthanger mélodramatique (un coup de feu tiré par l’héroïne), et au moment exact du tir, les paroles du pont de la chanson « Hide and Seek » de Imogen Heap (« Mmm, whatcha say ? / Oh, that you only meant well ? / Well, of course you did... ») offrent un contrepoint saisissant à l’image. Ce choix musical paradoxal, typique de l’influence des music supervisors sur l’esthétique sérielle, permet à la série d’accomplir son programme mélodramatique et en même temps d’en proposer un commentaire sarcastique, ouvrant ainsi la voie à des réappropriations parodiques de la séquence en question dans la culture populaire. Comme l’explique justement Thomas Golubic, music supervisor de Breaking Bad, qui résume ainsi une pratique courante dans sa profession, « c’est simplement qu’il ne faut pas se contenter de la réponse évidente et essayer de trouver quelque chose d’unique. Le fait d’ajouter quelque chose de contre-intuitif ou quelque chose qui apporte une nouvelle dimension va souvent créer une dynamique vraiment intéressante dans la séquence »65.
Les fonctions du music supervisor
À l’intersection d’aspects esthétiques et organisationnels (comme d’ailleurs les showrunners et les producteurs d’une série), le rôle du music supervisor est ainsi défini par la Guilde : parce que le supervisor est « un professionnel qualifié qui pilote tous les aspects liés à la musique dans les domaines du cinéma, de la télévision, de la publicité, des jeux vidéo et de toute plate-forme médiatique existante ou émergente », il « doit posséder une connaissance complète de la façon dont la musique a un impact sur l’image », et ainsi il peut « fourni[r] un service de qualité professionnelle qui combine une expertise créative, technique et administrative »*. En pratique, les fonctions des music supervisors changent radicalement entre les séries non musicales (où leur rôle est avant tout de négocier les cessions de droits, et aussi de suggérer l’utilisation de certaines chansons après lecture d’un scénario) et les séries backstage. Pour une série comme Glee, P.J. Bloom propose des choix musicaux (la décision est finalement validée par Ryan Murphy), et doit établir un budget musical en prenant en compte la question des droits des chansons reprises, bien entendu, mais aussi les sessions d’enregistrements des comédiens, les contrats des musiciens et des chanteurs d’appoint, les auditions, etc. Bien que certains music supervisors soient des salariés des sociétés de production de séries, certains sont sous contrat avec des labels, et d’autres sont des travailleurs indépendants ou sous contrat avec des entreprises spécialisées qui regroupent plusieurs professionnels, comme Neophonic – qui a assuré la « supervision musicale » de séries comme Glee, Pose, ou Vinyl – ou Format Entertainment – qui, dans le domaine spécifique du backstage, a été chargé de la musique d’Empire, à la télévision, et de Pitch Perfect (2012), au cinéma.
* Guild of Music Supervisors, « The Role : Definition / Role of Music Supervisor ». URL : https://www.guildofmusicsupervisors.com/the-role. Page consultée le 4 décembre 2018 ; « A qualified professional who oversees all music related aspects of film, television, advertising, video games and any other existing or emerging visual media platforms […]. The Music Supervisor must possess a comprehensive knowledge of how music impacts the visual medium. […] provides professional quality service that combines creative, technical and management expertise with relevant proven experience. »
37Ces évolutions dans les mondes et les modes de production des séries, comme dans les stratégies transmédiatiques qui les accompagnent, ont également des conséquences majeures en termes de conception des récits et aussi d’autorité. Les producteurs et metteurs en scène que l’on croisait dans les films de Busby Berkeley (Footlight Parade [1933], Gold Diggers of 1933 [1933]...) comme dans les films de la Freed Unit (The Band Wagon...) n’ont plus cours et sont remplacés par des personnages dont les attributions sont souvent un peu flottantes, indécises, artistiques et économiques à la fois : la productrice et le manager de Roadies et le jeune manager d’Atlanta, pour citer deux séries se situant aux franges du backstage, ou encore l’enseignant de Rise, qui ressemble si peu à ses semblables de Fame (1982-1987), dont les fonctions consistaient justement à enseigner des techniques d’interprétation (chant, danse, musique...), et non à encadrer et motiver de jeunes interprètes en choisissant pour eux des répertoires adaptés. La « supervision musicale » est donc également à l’origine de modifications sémantiques importantes dans la formule générique du backstage. De surcroît, le cycle de séries musicales affiche une singularité en termes d’autorité. Dans son étude du mode de la « complexité narrative », Jason Mittell fait de la question de l’auteur un point crucial du nouveau modèle sériel. Dans ces productions fondées sur la collaboration de très nombreux professionnels, Mittell montre que l’autorité est généralement assignée aux producteurs – qui sont aussi les principaux scénaristes des séries –, dans un modèle d’autorité par le management (authorship by management) : les producteurs-scénaristes sont en effet à l’origine de la supervision, de la gestion et du pilotage de tâches complexes et nombreuses qui engagent l’écriture, la réalisation et la postproduction des épisodes successifs. Ce type de contrôle exercé par les auteurs-producteurs n’occulte d’ailleurs en rien leurs responsabilités créatives (authorship by responsibility), essentielles à toutes les étapes66. Les transformations importantes du métier de music supervisor conduisent à envisager, dans ce contexte socio-économique de production, la spécificité des séries musicales. Dans l’ouvrage de 1998 de Jeff Smith (qui consacre quelques pages à la profession, alors en plein essor à Hollywood), la « supervision musicale » apparaît essentiellement comme une tâche de gestion : « bien que le poste soit largement de nature administrative, les music supervisors participent aussi à un certain nombre de décisions qui donnent forme au concept d’ensemble d’une musique de film »67. Ce type d’organisation n’a plus cours aujourd’hui, du moins dans le domaine des séries télévisées, comme le notent tous les articles récents sur la profession. Le changement est de taille, et P.J. Bloom peut ainsi noter, en 2014 :
« Il y a dix, quinze ou vingt ans, les music supervisors étaient des “facilitateurs”, à plus d’un titre. Aujourd’hui, nous sommes connus (du moins quelques-uns parmi les meilleurs d’entre nous) pour notre talent créatif, et pour notre contribution. […] Nous sommes amenés non seulement à prendre en charge les besoins d’un programme en termes de production, de technique et de gestion, mais aussi à intervenir dans la création. Nous faisons également partie du petit nombre de fonctions essentielles qui sont placées en première ligne – nous travaillons avec les réalisateurs et avec les producteurs depuis le premier jour, vraiment. Nous sommes sur le plateau. Et nous sommes là pendant la phase de montage – du début à la fin68. »
38Bloom souligne la dimension transversale du métier, le lien avec tous les professionnels intervenant dans la fabrication d’une série, et ce durant tout le processus de production et de création. À ce titre, et aussi parce que les supervisors sont généralement impliqués pendant toute la durée d’une série (à l’inverse notamment des réalisateurs, qui ne travaillent que sur un petit nombre d’épisodes), ils ne peuvent être comparés qu’avec les producteurs-scénaristes – même s’ils ne sont que rarement crédités comme producers des séries. Leur autorité provient aussi du fait qu’ils sont les seuls intervenants d’une série à maîtriser pleinement la « convergence » médiatique, puisque par nature leur profession est précisément à l’intersection des médias et des industries culturelles. Le principal manuel publié à l’intention des supervisors note ainsi que cette capacité à s’inscrire dans le contexte de la convergence médiatique caractérise une profession qui, depuis les années 1990, s’est métamorphosée en raison de nouvelles plate-formes médiatiques qui permettent notamment d’effectuer en ligne des recherches de musiques, d’échanger des fichiers musicaux et de trouver rapidement les informations sur les droits des titres utilisés69. En raison de leurs attributions et de leur positionnement au sein de deux secteurs culturels, les supervisors sont les seuls professionnels à pouvoir prendre en charge, gérer et réguler la présence de musique dans les processus de production et de création, y compris dans une dimension transmédiatique. Cette autorité (authority by management) des supervisors est l’un des traits distinctifs des séries backstage ; le partage des responsabilités et de l’autorité entre les producteurs-scénaristes et les music supervisors refléte bien la négociation et la combinaison, dans ces séries régies par un « mode spectaculaire », entre logique de narration et logique de performance.
Évolution des mécanismes de cession de droits
39L’omniprésence des chansons dans les séries télévisées à partir du début des années 2000 est tant une question qui intéresse l’histoire des formes sérielles qu’un phénomène industriel et juridique notable : à une époque où, dans l’industrie musicale, les sources de revenus traditionnelles se tarissent ou deviennent plus aléatoires, la vente des droits des chansons apparaît comme une opportunité à ne pas manquer, et ce pour les artistes comme pour les labels et les éditeurs musicaux70.
40Je montrerai dans cette section que les fictions backstage occupent dans ce contexte une position extrêmement singulière : dans ces séries, le rôle central des chansons et des performances a pour conséquence l’imbrication des questions narratives, esthétiques et juridiques, et c’est une nouvelle fois la place occupée par le music supervisor qui symbolise le mieux cette articulation. Parce que ces séries témoignent d’une grande plasticité dans les façons d’utiliser les chansons (dans le récit et les séquences musicales comme dans les stratégies transmédiatiques et participatives), elles permettent l’invention de nouvelles relations entre professionnels de la musique (artistes, labels, éditeurs musicaux) et des séries (producteurs, scénaristes, music supervisors), et partant des modifications substantielles dans les contrats qui lient ces parties.
Complexification des contrats
41Les contrats de cession de droits reposent sur l’existence, dans le droit états-unien, de deux types de copyright en matière de chansons : le copyright de la composition elle-même (« Performing Arts » ou P.A.), et celui d’un enregistrement spécifique (« Sound Recording » ou S.R.). Ce sont les labels qui possèdent les droits des enregistrements, tandis que le copyright des compositions est détenu à parts égales par les auteurs (compositeurs et/ou paroliers) et les éditeurs. Ces derniers ont surtout pour fonction de collecter et distribuer les droits d’une chanson aux auteurs. Ces deux types de copyright fondent l’existence de plusieurs licences. Les synchronization licenses, considérées comme le nerf de la guerre par la plupart des professionnels, sont négociées entre les producteurs de séries télévisées (ou leurs représentants, fréquemment les music supervisors) et les éditeurs musicaux. Ces droits rémunèrent l’utilisation d’une composition en particulier (et non d’un enregistrement) pour les besoins d’une production audiovisuelle ; ils dépendent de la popularité du titre en question, du type de média concerné, et de la durée de la licence. La demande faite à un éditeur musical par le producteur d’une série spécifie le titre souhaité, le contexte de son utilisation dans l’épisode, la durée de la chanson dans l’épisode ainsi que le type d’utilisation (« visual vocal full use », « background instrumental »...). Le contrat spécifie ensuite une durée de cession de droits, son montant, le type de médias/supports concernés (Tableau 4), avant d’énumérer une série d’options qui pourront éventuellement être exercées par le producteur dans une période de 12 et 18 mois après la diffusion de l’épisode original.
42Autrefois très simples et standardisés, les contrats de sync licenses sont devenus complexes et sont l’objet de négociations précises en raison notamment du développement des plate-formes de distribution qui diffusent les séries, et du nombre important d’options médiatiques à inclure au contrat (elles sont d’une importance considérable pour la promotion d’une série musicale, puisqu’elles autorisent l’utilisation de la chanson dans des contextes spécifiques, comme les bandes annonces). Ces sync licenses sont aujourd’hui comprises dans une large fourchette de prix variant généralement entre 15 000 et 25 000 dollars71, mais les écarts peuvent être importants72. Les sommes indiquées au contrat des sync licenses sont réglées par les producteurs à l’éditeur musical, qui les partage avec le compositeur et le parolier de la chanson.
43La nécessité de négocier les droits d’un nombre de plus en plus important de morceaux de musique préexistante dans une majorité de séries, dès le début des années 2000, entraîne rapidement des ajustements juridiques. La présence de chansons fait en effet l’objet de négociations qui doivent prendre en compte des enjeux esthétiques et juridiques, mais aussi désormais des innovations technologiques qui engendrent des changements dans les modes de diffusion comme dans les habitudes des spectateurs73. Ainsi, au milieu des années 2000, tous les intervenants du secteur de la musique à la télévision ont dû s’accorder sur les nouvelles possibilités de diffusion des épisodes de séries télévisées sur téléphone portable, une pratique qui s’est développée en même temps que l’offre de séries sur des plate-formes comme iTunes. Les restrictions des précédents contrats – généralement négociés uniquement pour la première diffusion télévisée des séries ainsi que pour les rediffusions – avaient en effet posé de nombreux problèmes juridiques lors de la diffusion des œuvres sur des supports non prévus dans les contrats d’origine (DVD et streaming, en particulier).
Tableau 4. Principaux types de supports prévus dans les contrats de sync licenses de séries musicales.
Supports | Clause de la sync license | Montant des droits (2010) |
Tous médias (sauf salle de cinéma), durée illimitée (*) | All Media (excluding theatrical) now known or hereafter devised, worldwide in perpetuity | 17 500 – 30 000 $ |
Tous supports télévisuels (y compris le streaming), durée illimitée (*) | Perpetuity All Television | 7 500 – 12 500 $ |
Tous supports télévisuels, durée illimitée (*), avec options pour la distribution vidéo | Perpetuity All Television | 7 500 – 12 500 $ (+ 5 000 – 15 000 pour l’option) |
Tous supports télévisuels et vidéo, durée illimitée (*) | Perpetuity All Television and | 15 000 – 25 000 $ |
Tous supports télévisuels (y compris le streaming) pour 5 ans | 5 Years All TV Media now known or hereafter devised, including internet streaming (linear only) worldwide | < 7 500 – 12 500 $ |
(*) durée illimitée : la durée est négociée pour la durée restante du copyright de la composition.
Source : [J. et T. Brabec, Music, Money, and Success, New York, Schirmer Trade Books, 2019 [1994].]
Changement de supports – et de chansons !
Au moment de leur commercialisation en DVD, il a fallu changer les chansons de tous les épisodes de Northern Exposure (1990-1995)* car ces droits spécifiques n’avaient pas été acquis par le producteur et étaient devenus particulièrement onéreux. En 2003, n’ayant pas été particulièrement satisfait des ventes des DVD des deux premières saisons de Dawson’s Creek, Sony, l’éditeur, n’a pas souhaité acheter les droits DVD des chansons des épisodes ultérieurs, et a même modifié la chanson de générique, afin de ne pas devoir racheter les droits de la chanson d’origine de Paule Cole.
* En 2001, le prix élevé des DVD de la première saison de Northern Exposure s’explique par les coûts prohibitifs des achats de droits musicaux. Dès la seconde saison, commercialisée en 2004, les DVD remplacent les chansons utilisées lors de la diffusion des épisodes à la télévision par des chansons dont les droits sont moins onéreux, et issus de catalogues musicaux (musicallibraries).
44Pour éviter ces contretemps, plusieurs modifications sont introduites dans les contrats, et de nouveaux tarifs sont établis (de 15 à 50 % plus élevés que les anciens prix). Tout d’abord, les studios souhaitent une clause prévoyant la cession de droits tout support (all media excluding theatrical) : la diffusion dans une salle de cinéma demeure exclue, mais ce contrat unique permet d’éviter des négociations ultérieures pour tous les supports de diffusion possibles. Afin de tenir compte de l’évolution rapide des usages comme des possibilités technologiques de diffusion, les studios ont finalement recours à une clause « all media, now known and hereafter devised », afin de ne pas restreindre l’audience potentielle d’une série, qui peut croître avec les supports de diffusion. Pour autant, cette précaution – introduite dès 2005 par ABC pour des séries comme Desperate Housewives (2004-2012) et Lost (2004- 2010) – ne règle pas tous les problèmes, en particulier l’épineuse question de la modification possible d’une œuvre en fonction du support choisi (le cas des mobisodes, ou épisodes raccourcis, par exemple). Enfin, les contrats délaissent aujourd’hui l’option de cinq ans qui était la norme précédemment pour une acquisition pour une durée illimitée (« in perpetuity »), c’est-à-dire jusqu’à l’expiration du copyright, mais les studios ne font généralement l’acquisition de ces droits que pour des séries dont le succès est déjà assuré, donc pas dès la première année de diffusion. Pour une série à succès (Nashville, par exemple), la demande porte d’emblée sur une utilisation pour tous les médias connus et à venir (« all media, excluding theatrical, now known or hereafter devised, worldwide in perpetuity »), ce qui avant le milieu des années 2000 n’était qu’une option parmi d’autres au contrat.
Droits en cascade
45Lorsqu’un music supervisor souhaite utiliser non seulement une composition (P.A.) mais aussi un enregistrement en particulier (S.R.), il doit négocier une seconde cession de droits (master use license), dont le montant forfaitaire est versé à la maison de disque qui détient les droits de l’enregistrement en question. Généralement la master use license donne lieu à des droits d’un montant identique à la sync license, compris dans une fourchette similaire, mais les sommes peuvent être très importantes pour des enregistrements d’interprètes ou de groupes connus. De plus, comme les diffusions multiples d’une série ouvrent des performance rights (voir point suivant) pour les éditeurs et les compositeurs, mais pas pour les labels, le forfait de la master license est de fait la seule rémunération possible pour les maisons de disque, ce qui explique des montants parfois plus élevés que ceux des sync licenses. Différents enregistrements de la chanson de Tom Waits « Way Down in the Hole » ont ainsi été utilisés pour la chanson thème de chaque saison de The Wire : celui de The Blind Boys of Alabama pour la saison 1, de Tom Waits lui-même pour la saison 2, des Neville Brothers pour la saison 3, et enfin les versions de DoMaJe et Steve Earle pour les saisons 4 et 5, respectivement. Blake Leyh, le music supervisor de The Wire, a donc dû obtenir les droits pour la composition de la chanson de Tom Waits, mais aussi les autorisations pour chacun des enregistrements des artistes concernés.
46Les revenus générés par l’utilisation des chansons ne se limitent pas aux forfaits des synchronization et master use licenses. Les sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs (Performance Rights Organizations, ou P.R.O.)74 sont chargées de collecter les performance rights, c’est-à-dire les droits dus en raison de l’interprétation publique d’une chanson (public performance of a composition) : la première diffusion d’un épisode, mais aussi son éventuelle diffusion sur d’autres supports, la diffusion de la chanson dans des publicités, etc. Ces droits sont partagés à parts égales entre l’éditeur et le compositeur et le parolier (mais pas le label), tout comme les droits collectés par les sociétés de droits d’auteurs à l’étranger. La vente de chansons après la diffusion d’un épisode sur des plate-formes de téléchargement comme iTunes génère elle aussi des revenus pour les éditeurs et les artistes. De nombreux titres sont en effet présents dans les classements établis par Billboard, qui compilent les ventes effectuées sur les supports analogiques ou digitaux, l’écoute sur les plate-formes de streaming, les passages à la radio, les vues sur YouTube. La présence des chanteurs de Glee dans le classement est massive (voir Annexe D), et est due principalement aux ventes sur supports digitaux la semaine qui suit l’épisode, ainsi qu’au nombre de vues sur YouTube. Ainsi, le 11 mai 2010, lorsque la version de « Teenage Dream » de Glee est mieux classée par Billboard que celle de Katy Perry, toujours dans le hit-parade, la copie dépasse l’original en raison du nombre de vues sur YouTube (plus de 3,5 millions la semaine précédente) et aussi des ventes digitales : 55 000 copies de la chanson sont en effet vendues sur iTunes dès le jour de la diffusion, et 214 000 la première semaine75. En revanche, les passages à la radio pour les reprises utilisées dans les séries backstage demeurent exceptionnelles : 241 000 passages à la radio pour la version de Katy Perry la semaine qui suit l’épisode de Glee, 15 semaines après la sortie de « Teenage Dream », contre 58 passages à la radio seulement pour le même titre chanté par Darren Criss pour Glee, juste après la diffusion de l’épisode. Enfin, les reprises des séries backstage ne demeurent généralement qu’une semaine dans les classements – à de rares exceptions près, comme « Don’t Stop Believin’ », resté 7 semaines, ou « Teenage Dream », précisément, qui s’est maintenu 3 semaines. Chaque téléchargement d’une chanson génère, au titre d’une mechanical license, 9,1 cents de droits. « Teenage Dream » a de plus été intégrée à deux albums à succès dans le cadre de la franchise, Glee : The Music Presents The Warblers, et Glee : The Music, Season Two, Volume 4. Ces albums rencontrent un succès important et sont présents (quoique de façon souvent fugace) dans les palmarès du « Billboard 200 » (voir Annexe C). Chaque vente d’album génère une nouvelle fois 9,1 cents de mechanical license pour ses auteurs (compositeur, parolier, éditeur). À cela s’ajoutent les droits perçus pour les ventes de chansons et d’albums à l’étranger.
47Bien que la sync license soit une source de revenus essentielle pour les auteurs et les éditeurs, ils consentent souvent à en baisser les montants tant la cascade de revenus possibles (en raison des différents types de droits) après la diffusion d’un épisode d’une série musicale est véritablement vertigineuse : téléchargements de chansons, ventes d’albums, performance royalties, aux États-Unis comme à l’étranger, etc76. Ce phénomène nouveau, dû aux spécificités génériques des séries, à l’évolution des pratiques médiatiques des fans et aussi à des transformations récentes en matière de contrats, souligne la spécificité juridique et industrielle du corpus backstage.
Sync vs Master Use : Glee vs Mad Men
48Les modifications substantielles apportées aux contrats au milieu des années 2000 (les clauses « tout support » et « durée illimitée ») font augmenter le coût d’acquisition des chansons, qui sont devenues des éléments cruciaux dans les stratégies élaborées pour distinguer une série, qu’il s’agisse de positionner l’identité d’une fiction (musicale ou non) ou de démarquer un simple épisode. À ce titre, l’utilisation de chansons des Beatles dans une série musicale (Glee), d’une part, et une série non musicale (Mad Men [2007-2015]), d’autre part, est le signe d’une évolution des pratiques depuis l’époque où une série télévisée comme The O.C. avait surtout recours à des titres de formations peu connues. La majeure partie des négociations de droits concerne des groupes qui n’ont pas la célébrité des Beatles, mais le succès de Glee lui permet de proposer deux épisodes spéciaux consacrés aux chanteurs de Liverpool, en début de cinquième saison (S05E01 et S05E02, respectivement diffusés le 26 septembre et le 3 octobre 2013). La franchise publie à cette occasion un album, Glee Sings The Beatles, qui est distribué quelques jours avant le début de la saison, et qui connaîtra un certain succès public (voir Annexe C). Ce n’est pas la première fois que les chanteurs de la chorale reprennent des titres des Beatles, et l’hommage de la cinquième saison s’inscrit en réalité dans les pratiques habituelles de la série : les jeunes chanteurs privilégient généralement les « tubes » contemporains – mais pas seulement (« Don’t Stop Believin’ » en est le meilleur exemple) ; les chansons sont utilisées dans le cadre de répétitions – mais pas uniquement (« Yesterday », qui ouvre la saison, est une complainte non diégétique chantée par Rachel/Michele). Les quatorze titres présents sur l’album témoignent enfin de la nécessité, pour les séries musicales, de négocier des sync licenses à une échelle industrielle. Si les montants de ces sync licenses ne sont pas connus, il est probable qu’ils se rapprochent, par chanson, de la fourchette haute évoquée précédemment (25 000 dollars), en raison de la notoriété des titres choisis et de leur place particulière dans la série (en tout début de saison), mais sans trop dépasser ce montant (le nombre de droits à négocier par épisode implique une certaine standardisation des contrats et des sommes).
49Cette utilisation somme toute banale (pour une série comme Glee) de chansons célèbres diffère de l’emploi du même répertoire dans Mad Men, une série non musicale même si Matthew Weiner et son équipe – notamment sa music supervisor Alexandra Patsavas – tirent systématiquement profit des chansons pour définir le contexte des années 1960. Ils optent pour des artistes un peu oubliés (The Singing Nun, The Tornados...), qui dominent un vaste répertoire comportant aussi des choix plus évidents (Rolling Stones, Beach Boys, Frank Sinatra...). Au milieu des années 2010, Mad Men n’hésite pas à proposer des variations astucieuses sur la figure quasi imposée de la chanson de fin d’épisode, comme le montre son utilisation de la chanson « I’d Like to Buy the World a Coke », une publicité de 1971 pour Coca Cola, en clôture de l’ultime saison, et aussi de « Tomorrow Never Knows », des Beatles, en fin de l’épisode « Lady Lazarus » (S05E08). La presse spécialisée et généraliste s’est fait l’écho de la somme astronomique (250 000 $) versée, pour obtenir les droits (Sync et surtout Master Use), par Lionsgate, le producteur, à EMI et à Apple Corps, la société des Beatles. Dans son récit à deux journalistes du New York Times, Matthew Weiner insiste sur la négociation de l’accord financier entre les deux parties, tout en expliquant que cet aspect des choses n’aurait jamais été l’enjeu véritable. Le contrat est en effet atypique, parce que le montant versé est inhabituel (les droits des chansons les plus populaires n’excèdent presque jamais 100 000 $), et aussi parce que les Beatles ne sont d’ordinaire présents à la télévision qu’à travers des reprises, comme celles de Glee. Tandis que Jeff Jones, le directeur de la société des Beatles, explique qu’un enregistrement du groupe britannique n’avait pas été acheté pour la télévision depuis plus de cinq ans, Matthew Weiner n’hésite pas à affirmer que c’est la première fois qu’une chanson des Beatles passe dans une série ou un programme de télévision, en dehors des concerts du groupe et de la série d’animation The Beatles (1965-1967)... Alors qu’une véritable promotion est orchestrée autour de la somme déboursée, Weiner suggère quelque peu paradoxalement que ce montant ne doit pas occulter les enjeux artistiques et culturels qui ont guidé les décisions des deux parties : pour le label et l’éditeur des Beatles, explique-t-il, « ce n’était pas une question d’argent. […] Ils sont préoccupés par leur patrimoine et leur impact artistique » ; et quant à Mad Men, continue-t-il, « j’ai toujours eu le sentiment que la série manquait d’une certaine authenticité parce que nous n’avions jamais pu obtenir un vrai enregistrement d’une performance des Beatles »77. Cet accord hors-norme explique aussi plusieurs modifications dans les conditions habituelles de production de la série : Weiner, qui a déjà essuyé plusieurs refus de la part des héritiers des Beatles, accepte en dernier recours de fournir le script de son épisode à Apple, et ne reçoit un accord qu’un mois environ avant le tournage. À une époque où les chansons sont devenues monnaie courante dans les séries télévisées, la négociation de Weiner permet de distinguer la série en soulignant sa qualité et son « authenticité », tout en validant et légitimant l’autorité du créateur de la série (un artiste prêt à prendre des risques économiques pour assurer l’intégrité de son œuvre).
50Tout oppose les reprises de Glee et la version originale préférée par Mad Men : d’un côté plus d’une dizaine de titres populaires (« Yesterday », « A Hard Day’s Night », « All You Need Is Love », « Hey Jude », « Let It Be »...), de l’autre le choix assez pointu d’une seule chanson, peu connue, de l’album Revolver ; d’un côté des sync licenses génériques (dont le montant n’est pas connu), de l’autre une master use license exceptionnelle (dont le montant est largement divulgué) ; d’un côté une utilisation caractéristique de la formule backstage d’une série (des répétitions de la chorale), de l’autre une insertion dans le récit volontairement atypique, qui permet de caractériser un héros dépassé par les changements de son temps. C’est à la fin de l’épisode qu’est utilisée « Tomorow Never Knows ». Juste avant de partir à un cours d’art dramatique, Megan (Jessica Paré), la jeune épouse de Don (Jon Hamm) tend l’album Revolver à son mari, en lui conseillant de commencer par la dernière chanson. Les paroles (« Turn off your mind, relax and float down stream ») semblent bien s’accorder à la situation de détente, mais le fait que Don interrompe le morceau laisse penser qu’il est insensible aux boucles sonores de McCartney, à la voix lointaine de Lennon comme à la composition structurée autour du seul accord de do majeur. Dans le montage qui clôt l’épisode, la chanson semble mieux adaptée à des personnages plus jeunes : Peggy Olson (Elisabeth Moss) et aussi Megan, allongée sur le sol pour les besoins de son cours, dans une position qui évoque l’état d’esprit suggéré par les paroles (« Lay down all thoughts, surrender to the void »). L’arrêt par Don de la chanson a la valeur d’une amorce narrative, d’un commentaire efficace des difficultés naissantes au sein du couple, qui annonce la mésentente à venir. La chanson reprend avec un carton du générique (« Executive Producer – Matthew Weiner »), un constat de l’impossibilité pour Don d’arrêter la culture qu’il ne peut plus comprendre, et une affirmation de l’autorité d’un autre – Matthew Weiner lui-même (fig. 50 à 53).
Fig. 50. Megan (Jessica Paré) offre à Don (Jon Hamm) l’album Revolver (Mad Men, S05E08).

Fig. 51. On entend « Tomorrow Never Knows » lorsque Megan est à son cours d’art dramatique.

Fig. 52. … mais Don arrête la chanson,

Fig. 53. ... qui reprend lors du générique.

Le backstage, une affaire de droits
51C’est autour de la question de la performance que les séries « de coulisses » se distinguent des séries non musicales dans lesquelles la musique joue un rôle narratif important. Les séries backstage se différencient d’une part par la présence (plus fréquente que dans d’autres séries contemporaines) de compositions originales, et d’autre part par une utilisation spécifique des reprises, plutôt que des chansons préexistantes dans leur version d’origine – même si certaines séries musicales non backstage, comme Zoey’s Extraordinary Playlist, commencent à utiliser les covers d’une façon analogue aux séries « de coulisses ». La question des droits permet donc de caractériser les formules spécifiques de séries musicales qui multiplient les sync licenses et les autres droits, mais limitent paradoxalement le recours aux master use licenses, en raison des interprétations des chansons par les performers attitrés de chaque série.
52Quelques séries proposent des titres originaux, de façon systématique (Nashville, Star, Empire...) ou plus épisodique (les compositions originales de Bombshell et Hit List dans Smash, par exemple). Ces chansons originales sont souvent remarquées et ont pu, ces dernières années, être nommées aux Emmy Awards (Tableau 5) et obtenir des succès notables : le titre « Loser Like Me », une des rares compositions originales de Glee, est le deuxième titre le mieux placé de la série dans le palmarès du « Billboard Hot 100 » (en 6e position du classement le 2 avril 2011, voir Annexe D), sans doute parce que les paroles de la chanson (et son titre) définissent de façon précise l’identité des personnages et de l’univers diégétique de la série.
Tableau 5. Nominations de fictions backstage aux Primetime Emmy Award for Outstanding Original Music and Lyrics depuis le début des années 2000.
Année | Titre de la série/du film | Titre de la chanson | Compositeur et parolier |
2006 | High School | « Breaking Free » « Get’cha Head in the Game » | Jamie Houston |
2010 | Treme | « This City » | Steve Earle |
2012 | Smash | « Let Me Be Your Star » | Marc Shaiman & Scott Wittman |
2013 | Nashville | « Nothing in This World | Sarah Jane Buxton & Kate York |
Smash | « I Heard Your Voice in | Andrew McMahon | |
2015 | Glee | « This Time » | Darren Criss |
2016 | Empire | « Good People » | Jim Beanz |
53Plusieurs séries n’utilisent que de façon exceptionnelle les compositions originales (une douzaine de chansons originales dans Glee, quelques titres dans Treme, notamment les compositions satiriques de DJ Davis, comme « I Quit », S03E10). Celles-ci permettent pourtant d’éviter la négociation de droits auprès des éditeurs musicaux et d’utiliser de façon libre la musique pour promouvoir la série, ce qui n’est pas le cas des reprises. Les cover songs donnent en effet lieu à la négociation de sync licenses, mais elles offrent l’avantage d’éviter le recours aux master use licenses. Plusieurs séries (Smash et Vinyl, en particulier) mêlent reprises et compositions originales, tout en modulant la place mais aussi les formes de la musique préexistante en fonction de son rôle dans l’univers diégétique et la narration.
54Pour Vinyl, un nombre important de morceaux sont utilisés pour chaque épisode (entre 20 et 30, selon le music supervisor Randall Poster), et comme la série se déroule dans l’univers de la musique du début des années 1970 Poster et les producteurs optent pour un petit nombre d’enregistrements originaux complétés par plusieurs reprises, elles-mêmes souvent interprétées (aujourd’hui) par des noms importants de la musique de l’époque (Iggy Pop), ou du rock contemporain. La série s’est donc fait une spécialité de séquences recréant des performances d’artistes ayant réellement existé, dont les compositions sont interprétées par des musiciens connus restant au plus proche de l’interprétation du modèle, et qui sont parfois joués, à l’image, par des comédiens. Ces reprises sont utilisées dans le cadre de brèves vignettes relativement déconnectées de la diégèse (des sortes d’interludes musicaux, à la jonction entre deux séquences), ou au contraire de séquences intégrées au récit (lorsque les personnages se rendent à un concert de Lou Reed, par exemple). Ce sont donc bien les choix d’interprétation et de performance lors des séquences musicales qui permettent à Vinyl, une série HBO coproduite par Mick Jagger, de trouver une formule originale qui la distingue très nettement des autres séries backstage : un compromis entre la reprise par des artistes maison (pas de master use license à négocier, sur le modèle de Glee) et l’utilisation des enregistrements d’origine (trop chers, ou donnant lieu à des négociations de droits trop compliquées pour pouvoir être utilisés de façon systématique). Ainsi, dans le second épisode, deux reprises s’enchaînent : Aimee Mann reprend « Yesterday Once More » des Carpenter dans une orchestration assez fidèle à l’original, et à l’image c’est Natalie Prass qui interprète la chanteuse Karen Carpenter. Dans la séquence précédente, pour une séquence de concert, le rocker Julian Casablancas, leader des Strokes, chante une reprise de « Run Run Run » de Lou Reed, joué par un comédien, Connor Hanwick (fig. 54). Dans ces différentes scènes, l’effet d’authentification du contexte de l’époque est particulièrement fort, et crée l’illusion d’une utilisation des versions originales. Il faut dire que les chanteurs de la cover song s’efforcent de rester au plus près de la version de référence. L’effet est saisissant, puisque ces moments musicaux sont proches des pratiques des séries non musicales (utilisation de chansons préexistantes), mais proposent des chansons patrimoniales dont les droits sont souvent trop onéreux pour des séries qui ne placent pas la musique au centre de leurs préoccupations – ou dont le budget est déjà grevé par de nombreux achats de droits. En réalité, la formule choisie par Vinyl ne se distingue en rien, d’un point de vue juridique, des cover songs de Glee si ce n’est que le pastiche des performances des artistes d’origine s’adapte à la spécificité de la formule de la série. Les particularités formelles de ces séquences (recréation à l’image des performances d’origine ; enregistrements par des musiciens contemporains reconnus) suffisent toutefois à éviter le rapprochement avec la série de Ryan Murphy, potentiellement dévastateur dans le cas d’une série HBO sur l’univers du rock, qui doit nécessairement marquer ses distances avec la culture et la musique pop. Vinyl ne s’interdit pas, pour certains artistes à la voix particulièrement identifiable, de recourir à un enregistrement original – mais cette pratique demeure exceptionnelle, et elle ne concerne bien entendu pas les titres les plus connus (pour éviter des négociations de master use trop compliquées ou en dehors du budget de l’épisode). « Cry Baby » donne ainsi lieu à un numéro non diégétique, mais avec utilisation d’un enregistrement de Janis Joplin elle-même, alors qu’une comédienne (Catherine Stephen) interprète la chanteuse à l’image.
Fig. 54. Un concert de Lou Reed (Connor Hanwick) et Nico (Kati Rediger) dans Vinyl (E02).

55Les différentes formules des séries backstage (Tableau 6) témoignent ainsi de la plasticité d’un genre dont l’organisation, toujours étroitement liée à des questions d’interprétation et de performance, permet une série d’ajustements, depuis l’utilisation de versions originales de chansons plus ou moins récentes et connues, jusqu’à celle de compositions nouvelles, interprétées par les chanteurs de la série. Ces positionnements impliquent, pour les spectateurs et les fans de ces séries, des attachements de nature differente (les cover songs sont généralement particulièrement commentées et appréciées par les fans) ; ils établissent aussi des relations étroites entre enjeux juridiques et enjeux de représentation, chaque combinaison permettant d’identifier les formules sérielles spécifiques.
Tableau 6. Les formules sérielles en fonction des sync et master use licenses.

56Ainsi l’exploration des coulisses industrielles et juridiques du cycle de séries backstage montre que les stratégies élaborées par les principaux acteurs (des secteurs de la production audiovisuelle comme de la musique enregistrée) ne se contentent pas de reprendre des méthodes ayant fait leur preuve dans le passé : elles mettent en œuvre une série d’innovations qui découlent des spécificités du contexte médiatique actuel. En matière de séries télévisées, toutefois, les fictions « de coulisses » s’inspirent largement de l’approche mise au point dans les premières années du xxie siècle avec les fictions musicales diffusées par Disney Channel. Dans le classement annuel des soundtracks les plus populaires (voir Annexe E), il est d’ailleurs frappant de constater que les bandes originales de séries musicales prennent le relais à partir de 2010 des disques des franchises télévisées Disney, qui avaient dominé ce palmarès les dix années précédentes. Si les synergies mises en place pour les nouvelles séries doivent aussi beaucoup aux diverses collaborations inventées dans les dernières décennies du xxe siècle par des producteurs de télévision et des labels, les liens très étroits noués par les deux secteurs peuvent surprendre, en raison des difficultés que connaissent encore aujourd’hui les industries musicales. Ce chapitre a toutefois montré que les collaborations avaient vraiment débuté dans une période de stabilisation du marché, et non au plus fort de la crise. Les séries (tout comme les talent shows télévisés) permettent en fait aux éditeurs et aux labels musicaux d’assurer la promotion des artistes, et aussi de tirer profit de la manne que constituent les droits musicaux (sync et master use, principalement). Réciproquement, les séries télévisées – musicales ou non – peuvent se distinguer de la concurrence grâce à des utilisations spécifiques de chansons et de morceaux de musique. À l’intérieur d’un mécanisme global, les séries backstage tirent parti de la porosité entre les industries culturelles de la télévision et de la musique pour inventer des formules narratives innovantes, toujours fondées sur des problématiques de performance, mais qui autorisent des écarts et des ajustements en fonction du type exact d’interprétation et de droits privilégiés par chaque série – qui définit ainsi sa place par rapport aux autres.
57On voit en tout cas l’importance pour le cycle sériel de ces stratégies et de ces échanges fusionnels entre industries de la télévision et de la musique, qui évoquent « l’abolition relative des frontières qui séparent [les médias] »78, l’une des conséquences, selon André Gaudreault et Philippe Marion, du contexte actuel de « convergence ». Le caractère englobant et connecté de ce régime médiatique invite à cerner des formes de plasticité et d’« élasticité » dont les séries musicales, qui brouillent parfois les frontières entre les médias (télévision, radio...), sont le symptôme. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la profession de music supervisor – aujourd’hui au croisement de plusieurs univers industriels et médiatiques – se soit d’un côté développée à partir du rôle joué par ces spécialistes dans la production de séries télévisées du début du xxie siècle, et de l’autre puisse redéfinir et déplacer les normes et les pratiques en matière d’acquisition de droits, mais aussi en matière d’utilisation des chansons, et de combinaison entre logique de narration et logique de performance.
Notes de bas de page
1 R. Serge Denisoff et George Plasketes, « Synergy in 1980s Film and Music : Formula for Success or Industry Mythology ? », Film History, vol. 4, no 3, 1990, p. 257-276. Les deux auteurs décrivent bien les stratégies mises en place lors de l’exploitation de Footloose et Flashdance.
2 Jeff Smith, The Sounds of Commerce, New York, Columbia University Press, 1998, p. 27.
3 Katherine Spring, Saying It with Songs : Popular Music and the Coming of Sound to Hollywood Cinema, New York, Oxford University Press, 2013.
4 Le « Billboard Hot 100 » est le classement hebdomadaire des 100 chansons les plus populaires aux États-Unis (ventes de singles, diffusion radio, visionnages YouTube). Le « Billboard 200 » est le classement hebdomadaire des 200 meilleures ventes d’albums (albums physiques et numériques) aux États-Unis.
5 « I’ve chosen Miley Cyrus’ “The Climb” because it’s about overcoming obstacles and beating the odds. In my case, my obstacle is you, my lackluster teammates » (Glee, S01E18).
6 Edward Wyatt, « Not That High School Musical », The New York Times, 15 mai 2009.
7 Voir par exemple Kim Edwards, « The Cinematic Heritage of High School Musical : Restarting Something New », Screen Education, no 52, été 2009, p. 19. « [High School Musical] se conforme à des attentes liées au genre et rend hommage aux films qui l’ont influencé, tout en s’amusant de façon typiquement postmoderne à mettre en avant ses propres limites et à faire d’aimables pastiches de ses prédécesseurs littéraires et cinématographiques ». (« it simultaneously conforms to genre expectations and pays homage to its textual influences while taking a postmodern delight in exposing its own limitations and playing with some gentle pastiche of literary and cinematic predecessors »).
8 David Metzer, The ballad in American Popular Music : From Elvis to Beyoncé, Cambridge, Cambridge University Press, 201, p. 154 ; « Teen pop emphasizes genres with clear musical and expressive characteristics, which allow young, relatively unschooled listeners to know immediately what they are getting ».
9 Ibid. ; « the story of overcoming struggles told in a language of clichés ».
10 Edward Wyatt, « Idol Group Numbers : Not So Live After All », The New York Times, 25 mars 2009.
11 Richard Dyer, In the Space of a Song, Londres et New York, Routledge, 2012, p. 29 ; « singing at exactly the spot they should be to remain within the logic of the song ».
12 Ibid. ; « get away with their handling of time and space by virtue of the narrative drive behind them ».
13 Steven Cohan (dir.), The Sound of Musicals, Londres, BFI, 2010, p. 10.
14 Laurent Jullier et Julien Péquignot, Le Clip : histoire et esthétique, Paris, Armand Colin, 2013.
15 Steven Cohan (dir.), The Sound of Musicals, op. cit., p. 8 ; « reconcile the opposition of masculine priorities (jocks, sports) and feminine ones (brains, science) so much as reject that opposition in the interest of embracing one’s difference through musical theatre to achieve a much fuller, more truthful expression of identity and desire ».
16 Ibid., p. 9.
17 « Athletes are performers, just like singers and dancers » (Glee, S01E04).
18 Sur la période Disney Renaissance, lire notamment George Rodosthenous (dir.), The Disney Musical on Stage and Screen : Critical Approaches from Snow White to Frozen, Londres, Bloomsbury, 2017.
19 Joe Caramanica, « Tween Princess, Tweaked », The New York Times, 19 juillet 2009.
20 Lindsay Hogan, « The Mouse House of Cards : Disney Tween Stars and Questions of Institutional Authorship », in Jonathan Gray et Derek Johnson (dir.), A Companion to Media Authorship, Hoboken (NJ), Wiley-Blackwell, 2013, p. 296-313.
21 Sur cette série, voir Laura M. Holson, « Lizzie McGuire Has Become hot Disney Brand », The New York Times, 2 décembre 2002, et l’analyse de Lindsay Hogan, « The Mouse House of Cards », op. cit.
22 Janet Wasko, Understanding Disney : The Manufactures of Fantasy, 2e éd., New York, Wiley, 2020, chapitre 3 « The Disney Empire ».
23 Chuck Philips, « Playing by the Rules ? », Los Angeles Times, 8 novembre 2002.
24 « The Radio Act of 1927 », in Stephen B. Davis, The Law of Radio Communication, New York, McGraw-Hill, 1927, p. 191 ; « Public interest, convenience, or necessity ».
25 La FCC fonde alors cette suppression sur le postulat que des stations de radio dont la programmation ne respecterait ni les goûts ni l’intérêt du public seraient rapidement boudées par celui-ci.
26 Janet Wasko, Understanding Disney, op. cit., chapitre 4 « Corporate Disney in Action ».
27 Steve Clark, « High School Musical Is New Kid on Europe Block », Variety, 18-24 septembre 2006, p. 25. Lire aussi Steven Cohan (dir.), The Sound of Musicals, op. cit., p. 5.
28 Lindsay Hogan, « The Mouse House of Cards », op. cit., p. 302.
29 Carole Horst, « Judy Taylor : Disney VP of Casting Seeks Out Today’s Youth », Variety, 4 octobre 2007.
30 Lindsay Hogan, « The Mouse House of Cards », op. cit., p. 296-313.
31 Tyler Bickford, « Tween Intimacy and the Problem of Public Life in Children’s Media : “Having It All” on the Disney Channel’s Hannah Montana », WSQ : Women’s Studies Quarterly, vol. 43, no 1 & 2, printemps/été 2015, p. 66-82, p. 67.
32 Jonathan Bing et David Roney, « Can Hollywood Carry a Tune ? Despite Success of Chicago, Studios Still Leery of Musicals », Variety, 10-16 mars 2003, p. 1.
33 Tyler Bickford, « The New “Tween” Music Industry », op. cit., p. 425.
34 Steven Cohan (dir.), The Sound of musicals, op. cit., p. 6.
35 Mary Celeste Kearney, « The Changing Face of Teen Television, or Why We All Love Buffy », in Elana Levine et Lisa Parks (dir.), Undead TV : Essays on Buffy the Vampire Slayer, Durham (NC) et Londres, Duke University Press, 2007, p. 17-41.
36 L’expression « TV is the new radio », souvent utilisée au début des années 2000, commence à être employée à propos de The O.C., qui permit de populariser plusieurs groupes de musique. Voir par exemple Phil Gallo, « Sound + Vision », Billboard, 29 septembre 2012, p. 13.
37 Doyle Greene, Teens, TV and Tunes : The Manufacturing of American Adolescent Culture, Jefferson (NC) et Londres, McFarland, 2012, p. 101-118.
38 En 2006, un article de Billboard explique que les cinq premiers albums tirés de The O.C., essentiellement une sélection opérée par Alexandra Patsavas, la music supervisor de la série, ont été vendus à plus d’un million d’exemplaires. Katie Hasty, « The Billboard Q & A : Alexandra Patsavas », Billboard, 18 novembre 2006, p. 20.
39 Voir Rebecca Kinskey, We Used to Wait : Music Video and Creative Literacy, Cambridge (MA) et Londres, MIT Press, 2014, p. 18.
40 Peter DiCola et Kristin Thomson, « Radio Deregulation : Has It Served Citizens and Musicians ? », The Future of Music Coalition Report, 18 novembre 2002.
41 Michael Paoletta et Melinda Newman, « TV : Seen + Heard », Billboard, 13 mai 2006, p. 31.
42 Voir Ellen Seiter et Mary Jeanne Wilson, « Soap Opera Survival Tactics », in Gary R. Edgerton et Brian G. Rose, Thinking Outside the Box : AContemporary Television Genre Reader, Lexington, University Press of Kentucky, 2005, p. 149-153.
43 Ibid.
44 Melinda Neman, « Beck’s Back : New Album Guero Off to Good Start With “E-Pro” », Billboard, 26 mars 2005, p. 1 ; « usually I’m a little bit weary of TV shows or licensing songs » ; « apparently, the gentleman who puts the music together has excellent taste ».
45 Ian Garwood, « The Pop Song in Film », in John Gibbs et Douglas Pye (dir.), Close-Up 01, Londres, Wallflower Press, p. 89-166. Citation p. 115 ; « […] a non-diegetic song to exceed the emotional range displayed by diegetic characters ».
46 Kaye Woods, « Storytelling in Song : Television Music, Narrative and Allusion in The O.C. », in Jason Jacobs et Steven Peacock (dir.), Television Aesthetics and Style, Londres, Bloomsbury, 2013, p. 199- 208. Citation p. 205 ; « the ability of the pop song montage to cohere the multiple moments of a televisual ensemble drama to construct narrative closure ».
47 Tous les chiffres donnés dans cette section sont tirés des statistiques publiées par la RIAA (Recording Industry Association of America) sur son site Internet. URL : www.riaa.com. Site consulté le 12 février 2019.
48 Carla Hay, « The State of Soundtracks », Billboard, 20 novembre 2004, p. 10.
49 Ibid.
50 Jeff Smith, The Sounds of Commerce, op. cit., p. 186.
51 On pense, dans les années 1990, à Céline Dion avec « My Heart Will Go On » (Titanic), R. Kelly avec « IBelieve ICan Fly » (Space Jam), Elton John avec « Can You Feel the Love Tonight » (The Lion King), et bien sûr Whitney Houston pour « IWill Always Love You » (The Bodyguard).
52 Jeff Smith, The Sounds of Commerce, op. cit., p. 188.
53 Monica Herrera, « Close Harmony », Billboard, 31 octobre 2009, p. 25.
54 Propos de Laurel Bernard, vice-président de FOXTelevision en charge du marketing, ibid. ; « The show pushes the music, and the music equally pushes the show. »
55 Pour John Ellis, en revanche, la télévision consacre la supériorité du son sur l’image, car il juge que le son est intensivement employé par le média télévisuel « pour permettre un certain niveau d’attention, pour ramener les téléspectateurs devant leur appareil ». John Ellis, Visible Fictions : Cinema, Television, Video, Londres et New York, Routledge, 1982, p. 128 ; « to ensure a certain level of attention, to drag viewers back to looking at the set ». L’argument est similaire chez Rick Altman : « Television / Sound », in Tania Modleski (dir.), Studies in Entertainment : Critical Approaches to Mass Culture, Bloomington (IN), Indiana University Press, 1986, p. 39-54. Il est à noter que ces deux auteurs écrivent dans les années 1980, donc bien avant la vague de séries de la « complexité narrative » qui mettent pleinement en avant le travail de l’image.
56 Dès sa première saison, Variety note ainsi que Glee est un « moderate hit », regardé en moyenne par 5 % des foyers américains, et par un peu moins de 4 % des 18-49 ans. Brian Lowry, « TV Musicals Sing to Young Femmes », Variety, 7-13 décembre 2009.
57 Andrew Barker, « Turning Kitsch Into Classics », Variety, 18 mars 2014.
58 Voir par exemple Ada Guerin, « Supervision », The Hollywood Reporter, 10 janvier 2006 ; Chuck Crisafulli, « Music Supervision Starts with Passion for the Form », The Hollywood Reporter, 1er novembre 2007 ; Margo Whitmire, « TV Tunes : Partners in Crime - How Today’s Prime-Time Dramas Aid and Abet Labels in Breaking Acts », Billboard, 8 octobre 2005, p. 32.
59 Voir notamment, sur Patsavas, Katie Hasty, « The Billboard Q & A : Alexandra Patsavas », Billboard, 18 novembre 2006, p. 20 ; Brian Garrity, « TV on the radio ? », Billboard, 31 mars 2007, p. 9.
60 Sur les séries de The WB : Susanne Ault, « Soundtracks a strong promotion for the WB network », Billboard, 21 décembre 2002, p. 39 ; sur Gossip Girl : Michael Paoletta, « Tube Pop : CW’s “Gossip Girl” Brings More Hits to TV », Billboard, 1er septembre 2007, p. 12.
61 L’une des premières missions des fondateurs de la Guilde fut de rédiger un texte cernant les contours du métier pour en faire la promotion, et aussi éviter les impostures. URL : https://www.guildofmusicsupervisors.com/the-role. Page consultée le 3 novembre 2018.
62 « Capitol Music Group Appoints Anton Monsted Executive Vice President, Soundtracks and A & R », MusicBusinessWorldwide, 9 octobre 2018. URL : https://urlz.fr/atI8 ; Marc Schneider, « Glee Music Supervisor PJ Bloom Joins Warner Bros. Records as SVP of Film & TV », Billboard, 15 juin 2017. URL : https://urlz.fr/atIa. Pages consultées le 1er décembre 2018.
63 Gail Mitchell, « 6 Questions with Joel C. High », Billboard, 17 avril 2010, p. 35. Cité par Tim Anderson, « From Background Music to Above-the-Line Actor : The Rise of the Music Supervisor in Converging Televisual Environments », Journal of Popular Music Studies, vol. 25, no 3, 2013, p. 371-388, citation p. 376 ; « Radio used to be the way to break records. Now if you put something to good use in a big motion picture, more people are going to hear that song than if it’s played on a few stations in some sort of rotation. […] Because of that, music supervisors have really come into their own in terms of being tastemakers. »
64 Shirley Halperin, « The Americans Supervisors Pick Their 10 Favorite Song Cues », Variety, 20 mars 2018. « a narrative technique that was still fairly fresh in scripted television ».
65 Ned Hepburn, « We Interviewed the Music Supervisor for Breaking Bad and The Walking Dead », Vice, 18 avril 2012. URL : https://urlz.fr/dEHk. Page consultée le 3 mars 2020 ; « It’s just the trick of not going with the easy answer and trying to always find something unique. Adding something counter-intuitive or something that has another angle to it will often create a really interesting dynamic in the scene. »
66 Jason Mittell, Complex TV, op. cit., p. 86-89.
67 Jeff Smith, The Sounds of commerce, op. cit., p. 209-210.
68 Brian Tarquin, The Insider’s Guide to Music Licensing, New York, Allworth Press, 2014, p. 84 ; « Ten, fifteen, or twenty years ago, music supervisors were facilitators in a lot of ways. Now, we – at least some of the best ones – are known for our creative prowess, and what we bring to the table. […] We are brought on to not only handle the production, technical, and the business affairs needs of the show, but as a true creative component. We are also in one of the few above-the-line roles that are in the trenches – working with the filmmakers and television producers from day one, really. We are there on the set. We are there during the editing process – start to finish. »
69 Ramsay Adams, Dave Hnatiuk et David Weiss, Music Supervision : The Complete Guide to Selecting Music for Movies, TV, Games and New Media, 2e éd., New York, Schirmer Trade Books, 2017, édition Kindle, emplacement 345.
70 Voir Michael Paoletta et Melinda Newman, « TV : Seen + Heard », op. cit., et Margo Whitmire, « TV Tunes : Partners in Crime – How Today’s Prime-Time Dramas Aid and Abet Labels in Breaking Acts », Billboard, 8 octobre 2005, p. 32-33.
71 Melinda Newman, « I Want My Mobile TV », Billboard, 8 juillet 2006, p. 32.
72 Ces écarts sont principalement dus aux facteurs suivants : notoriété de la chanson (un standard ou un « tube » récent vs une chanson peu connue) ; durée d’écoute du titre dans l’épisode ; nombre de fois où le titre est utilisé dans l’épisode ; type d’utilisation (musique de fosse vs interprétation par l’un des personnages) ; durée restante du copyright de la chanson ; type de support/médias prévus au contrat.
73 Melinda Newman, « I Want My Mobile TV », op. cit.
74 Les principales sont ASCAP (American Society of Composers, Authors, and Publishers), BMI (Broadcast Music, Inc.), SESAC (Society of European Stage Authors and Composers) et GMR (Global Music Rights).
75 Keith Caulfield, « Glee’s “Teenage Dream” Targeting Big Chart Bow Next Week », Billboard, 11 novembre 2010.
76 Ces sources de revenus sont devenues si importantes, pour les artistes et les autres professionnels du secteur de la musique, que les détails des clauses des différents contrats de cession de droits ainsi que les arcanes des « television synchronization rights » sont longuement expliqués dans les ouvrages récents destinés à ces professionnels. Voir par exemple Jeffrey et Todd Brabec, Music, Money, and Success, New York, Schirmer Trade Books, 2019 [1994]. L’ouvrage, publié depuis 1994, comporte au fil des éditions des chapitres de plus en plus étoffés consacrés à ces questions.
77 Dave Itzkoff et Ben Sisario, « How Mad Men Landed The Beatles : All You Need Is Love (and $250,000) », ArtsBeat, New York Times Blog. URL : http://urlz.fr/6weE, 7 mai 2012. Consulté le 2 février 2018 ; « This is not about money. […] They are concerned about their legacy and their artistic impact » ; « It was always my feeling that the show lacked a certain authenticity because we never could have an actual master recording of The Beatles performing ».
78 André Gaudreault et Philippe Marion, La Fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, 2013, p. 64.
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2020