Chapitre un. Des talent shows aux séries TV
p. 29-92
Texte intégral
1Il est impossible de rattacher les séries musicales contemporaines à un modèle narratif et médiatique unique qui fournirait une matrice de récit ou de mise en scène à ces fictions. Leur façon unique de combiner musique et contenu audiovisuel s’inspire tant de variety shows du passé et de séries télévisées de fiction (Fame, Miami Vice...) que de clips dont elles reprennent des procédés de mise en scène, sans négliger le mélange de récit et de spectaculaire propre aux comédies musicales de Broadway comme de Hollywood. Je souhaiterais pourtant dans ce chapitre mettre au premier plan la relation qu’entretiennent les séries avec des talent shows comme American Idol et So You Think You Can Dance dont la popularité précède de quelques années celle des séries musicales, et qui consolident un système de valeurs (l’attrait du live, l’importance cruciale de l’authenticité musicale) ainsi que des mises en scènes spectaculaires et des types de narration que les séries se réapproprieront.
2C’est toutefois un autre aspect – l’importance accordée à la performance dans le format de ces deux types de programmes – qui rapproche les séries des reality talent shows, bien que cette parenté soit paradoxale. En effet, Jason Mittell a bien montré que le mode de la « complexité narrative », qui caractériserait les séries TV contemporaines, s’est développé au tournant du siècle en partie en réaction aux émissions de téléréalité. Les innovations narratives des scénaristes producteurs comme Joss Whedon ou Alan Ball se distinguent par « la manipulation soigneusement contrôlée d’intrigues et de personnages dramatiques et comiques que des producteurs de téléréalité ont plus de difficultés à générer »1, et soulignent ainsi les limitations des émissions de téléréalité en matière de récit. Or avec le cycle de séries backstage, l’invention scénaristique est désormais autant liée aux figures narratives analysées par Mittell qu’à la sélection pointilleuse, par les showrunners et leurs music supervisors, de chansons ou de styles chorégraphiques susceptibles d’être employés au cours des séquences spectaculaires qui, pour les publics de ces nouvelles séries, fondent véritablement leur spécificité et leur nouveauté.
3Pour Jason Mittell, le mode de la « complexité narrative » se distingue notamment par l’utilisation d’un procédé singulier, l’« effet spécial narratif » (narrative special effect2) : les séries contemporaines ont moins recours à des attractions spectaculaires traditionnelles qu’à des formes de « pyrotechnie » narrative qui visent à manipuler et redistribuer de façon « spectaculaire » les règles de leurs propres formules narratives ainsi que les attentes des spectateurs. Ces « spectacles narratifs » centrés sur des séquences singulières ou des épisodes entiers (Mittell cite les épisodes « Hush » et « Once More with Feeling » de Buffy the Vampire Slayer) offrent ainsi de véritables « variations baroques sur les thèmes et les normes »3 de chaque série. Dans les séries backstage, ce type de procédé est rare et est remplacé par certaines performances chantées et dansées, qui s’écartent sensiblement des normes et des conventions spectaculaires établies par les épisodes précédents : ce sont des attractions remarquables, qui brisent le cours du récit, sollicitent la participation physique et l’implication sensorielle des publics, en vertu d’un véritable choc ou, du moins, d’un effet de surprise. Ces attractions sont parfois très brèves (le temps de quelques couplets) et parfois plus organisées : le dernier épisode de Flesh and Bone, par exemple, met en scène une attraction chorégraphique unique (un long ballet de 19 minutes, en quatre mouvements) qui est aussi un « effet spécial spectaculaire ». Ces spectacles remarquables témoignent surtout de l’infléchissement du narratif vers la performance qui caractérise le cycle de séries musicales contemporaines – infléchissement qui doit tout à l’influence des talent shows.
Porosité des formats
Petits arrangements entre formats voisins
4Au début des années 2000, de nouvelles émissions offrent une hybridation de plusieurs genres télévisuels et types de programmes existants. Bien que les nouveaux talent shows comme American Idol soient contemporains des succès de la téléréalité, avec laquelle ils partagent un certain nombre de caractéristiques, ils s’inscrivent aussi dans une tradition ancienne des médias américains, notamment radio et télévision, qui ont promu avec succès le format des concours de talent tout au long du xxe siècle. Ce modèle est habilement conjugué à des traits empruntés aux jeux télévisés (le genre du quiz show, une forme qui, elle aussi, « prend modèle sur la société de compétition promue par le capitalisme »4), aux émissions de « mode de vie » (lifestyle television) et bien sûr également aux émissions de téléréalité. Mais alors que ces dernières fondent leurs processus de sélection et d’élimination sur des critères extérieurs aux compétences des candidats (le simple hasard joue un rôle dans les épreuves de sélection et dans l’élimination des candidats), les émissions de talent promettent quant à elles de récompenser la réussite spécifique d’une performance plus ou moins artistique, et ainsi de conduire à une célébrité « méritée »5. La démarche elle-même s’inspire donc de la sélection opérée par les émissions de jeux télévisés, même si, pour les concours de talent, le processus de « reconnaissance, jugement et classement implique une évaluation plus complexe que les tests objectifs de connaissance de la plupart des jeux »6. En outre, parce que ces émissions promettent aux gagnants un véritable changement d’existence, une fois devenus des « stars », les nouveaux concours de talent proposent un format hybride qui repose également sur les récits de métamorphose qui sont promus par les émissions de « mode de vie » (la lifestyle television, qui relate les aventures de candidats souhaitant perdre du poids, changer radicalement leur apparence vestimentaire, etc.). Enfin, en mêlant vignettes biographiques, confessions et entretiens avec des proches des candidats, la formule de ces nouveaux talent shows se rapproche des principes plus généraux de la téléréalité, et de son esthétique.
Le talent des talent shows
À l’inverse des variety shows multidisciplinaires du passé, l’accent est désormais mis dans les reality talent shows sur une seule discipline artistique, généralement soit le chant (American Idol, The XFactor...), soit la danse (Dancing with the Stars, So You Think You Can Dance) – mais il peut aussi s’agir de l’aptitude au mannequinat (America’s Next Top Model), de performances de drag queens (RuPaul’s Drag Race), de coiffure (Shear Genius), de stylisme (Project Runway), de cuisine (Top Chef).... Le genre s’est vite diversifié grâce à des dérivations des émissions originales et des formats plus spécifiques, qu’il soit question d’appliquer le concept à une tranche d’âge particulière, ou à des disciplines plus pointues, procurant l’illusion que les procédures d’évaluation sont toujours plus précises, et partant plus objectivables. Les formules peuvent être adaptées aux plus jeunes (American Juniors ou So You Think You Can Dance : The Next Generation), ou acclimatées à certains genres musicaux en particulier, la musique country (CMT’s Next Superstar ou Nashville Star), le rock (Rock Star), le rap (Ego Trip’s The White Rapper Show) tout comme à certaines formes propices à compétition (Duets et Can You Duet).
5Il faut bien noter qu’en dépit d’une appellation trompeuse, ces émissions ne se fixent pas pour objectif l’évaluation d’un talent multifactoriel – difficile à qualifier avec précision et donc à cerner par des procédures de comparaison qui ne porteraient que sur un petit nombre de critères –, mais plutôt l’appréciation d’une compétence bien spécifique qu’il s’agit bien de jauger par une compétition dont les règles sont connues par tous.
6Loin de décourager les rêveurs, la concurrence mise en scène dans ces émissions, notamment lors des premières auditions, permet au contraire de nouer un lien étroit avec les téléspectateurs, en soulignant la banalité des futures « stars » : dans American Idol, par exemple, la première étape de la compétition, une phase d’auditions dans les grandes métropoles américaines, vise à repérer quelques dizaines d’élus parmi des milliers de participants, et donc à prouver que tout téléspectateur a bien la possibilité, s’il le souhaite, de concourir, puisque les candidats sont de jeunes Américains somme toute bien ordinaires : « à chaque étape du parcours [de sélection], explique Henry Jenkins, les spectateurs sont invités à imaginer que “ce pourrait être moi ou quelqu’un que je connais” »7. Dans Dancing with the Stars, les participants sont choisis parce qu’ils sont des célébrités, mais dans le programme c’est bien leur manque de compétence dans le domaine de la danse qui est déterminant, ainsi que leur ordinarité, soulignée d’une part à travers leurs tentatives de concilier vie professionnelle, vie de famille et entraînements de danse, et d’autre part leur capacité à progresser dans une discipline donnée, à condition d’effectuer de vrais efforts et de suivre une formation. L’émission concilie ainsi parfaitement le caractère extraordinaire d’une célébrité avec la nécessité de constamment réaffirmer sa nature banale, sa proximité avec ses fans (dans le domaine des séries de fiction backstage, c’est précisément le programme narratif de Nashville). Ensuite, chacune de ces émissions a recours à une esthétique réaliste dans plusieurs scènes récurrentes, qui rappellent et authentifient le caractère quelconque des participants, et dont la forme s’oppose nettement aux séquences scéniques spectaculaires présentées dans les dernières semaines de la compétition. Ce caractère « banal » des segments narratifs backstage fonde également le format des séries musicales : dans Glee, le choix d’une action se déroulant dans une petite ville d’un État rural et de personnages appartenant à des milieux sociaux intermédiaires ou défavorisés renvoie les spectateurs à des expériences ordinaires.
7Les multiples points de jonction entre les formats des séries fictionnelles et des concours de talent, de nature structurelle (sérialisation ; importance des processus de sélection et de compétition ; alternance entre moments chantés ou dansés, et séquences backstage montrant autant les coulisses des représentations que le quotidien des candidats/personnages), esthétique (une mise en scène de l’authenticité du live), industrielle (les concours de talent permettent de fructueuses collaborations avec l’industrie de la musique enregistrée8) et thématique (les deux formats détaillent la fabrication de la célébrité, montrent la cruauté des juges, l’humiliation des perdants, le triomphe des élus et le règne de la concurrence), qui seront explorés dans les chapitres suivants, expliquent une certaine porosité entre les émissions et les séries de fiction, avec pour conséquence des transferts professionnels, et aussi musicaux (des mêmes titres sont repris dans les émissions et les séries). Les scénaristes de Nashville l’ont bien compris, qui imaginent dans la fiction un talent show qui permet à point nommé d’offrir comme « naturellement » à l’une des plus jeunes héroïnes plusieurs occasions de chanter (saison 6). Dans l’industrie de la télévision, ces similitudes entre les deux formats permettent surtout à de nombreux professionnels de passer d’un type d’émission à l’autre. C’est le cas des arrangeurs, chorégraphes, music supervisors, et surtout des vainqueurs (comme des candidats malheureux) : ceux-ci peuvent continuer leur carrière médiatique dans une série fictionnelle (Katharine McPhee, seconde de la saison 5 d’American Idol puis vedette de Smash ; Heather Morris, éliminée de la saison 2 de So You Think You Can Dance avant d’interpréter Brittany dans Glee), ou l’inverse (Amber Riley, rejetée lors des auditions de la seconde saison d’American Idol, devenue l’interprète de Mercedes Jones dans Glee, avant de remporter, en 2013, la 17e saison de Dancing with the Stars).
8Ces transferts professionnels sont aussi la conséquence des similitudes entre les répertoires musicaux – un phénomène qu’ils contribuent aussi à nourrir. Le répertoire des séries contemporaines comporte notamment un grand nombre de ballades, des chansons sentimentales au tempo lent, qui parlent d’amour et de perte et sont aussi fréquentes dans les concours de talent que dans les séries backstage. Ainsi, lorsqu’elles utilisent des reprises, les séries choisissent des titres de divas de la pop en gardant souvent un œil sur les interprétations remarquées des participants des reality talent shows. On note la cohésion et la concordance des répertoires musicaux, c’est-à-dire les similitudes entre les titres chantés dans une émission de talent show, et leur reprise dans une série musicale (ou vice versa). Entre 2011 et 2013, par exemple, le réseau FOX décide de diffuser un nouveau télé-crochet, The XFactor, et les ressemblances entre les titres chantés à la fois par les concurrents de l’émission et les personnages de la série Glee, diffusée par le même réseau, sont nombreuses. Le 15 novembre 2011, des membres du Glee Club chantent un mash-up de « Rumour Has It » et « Someone Like You » d’Adele, un titre qui sera particulièrement bien classé dans le hit-parade du « Billboard Hot 100 ». Trois semaines plus tard, le 7 décembre, c’est une candidate de The XFactor qui chante « Someone Like You » sur le même réseau FOX. Le 1er novembre 2011, le Glee Club chante « Candyman », de Christina Aguilera, et la semaine suivante, le 9 novembre, un groupe de concurrents du télé-crochet reprend un autre titre d’Aguilera, « Ain’t No Other Man ». Si ces similitudes demanderaient à être explorées de façon plus systématique, elles n’en portent pas moins la trace de la grande proximité entre talent shows et séries musicales.
Le spectacle de la performance
9Ces échanges et transferts de compétences comme la porosité relative entre le format de la série télévisée musicale et le talent show s’expliquent par l’importance accordée dans ces deux genres à la performance sous toutes ses formes (chantée, dansée, musicale, actorale...). Celle-ci constitue une attraction puissante, généralement présentée sous la forme d’une séquence bien circonscrite, d’un numéro s’inscrivant directement dans la tradition scénique du vaudeville ou du burlesque, et dans la tradition télévisuelle du variety show. Les séries « de coulisses » comme les talent shows mettent en effet systématiquement en scène des performances qui sont effectuées devant un public (diégétique, dans le cas des séries) pouvant valider, pour les spectateurs de l’émission ou de la série, la qualité de l’interprétation ainsi que la renommée de l’interprète. Ces numéros musicaux, dont la mise en scène signale bien l’aspect exceptionnel, viennent d’une certaine façon contredire le caractère banal qui a été mis en évidence dans les séquences narratives, un point qui est particulièrement crucial dans les débuts de séries. Ainsi, à la fin du pilote de Star, l’interprétation énergique et inspirée d’un trio de jeunes chanteuses laisse entrevoir leurs capacités musicales, après un épisode qui avait surtout mis l’accent, avec un programme narratif chargé, sur leurs importantes difficultés personnelles. Le décor (une luxueuse villa où les jeunes femmes passent de pièce en pièce tout en chantant), les costumes (de courtes robes brillantes), le montage et surtout le travail de la bande-son (le mixage et le son en général ne cherchent pas à masquer la convention du play-back) indiquent le caractère extraordinaire d’un moment qui est reconnu comme tel par les spectateurs. Dans American Idol, la performance spectaculaire est pareillement enchâssée par des séquences narratives montrant la vie ordinaire des participants, qui rendent visite à leurs parents, leurs amis ou à leurs collègues de travail. Dans la saison 1 du talent show, les finalistes sont vus en train de travailler à la construction d’une maison dans un quartier pauvre de Los Angeles pour l’association Habitat for Humanity9, et dans la vignette qui lui est consacrée, Kelly Clarkson, la future gagnante de la saison, semble participer au chantier avec entrain ; parce que son père est un entrepreneur, explique-t-elle, elle a pu avec ces quelques heures de travaux passer « sa journée préférée » avec American Idol. Juste après cette vignette, la jeune chanteuse interprète « (You Make Me Feel Like) ANatural Woman », une performance spectaculaire et décisive qui suscite non seulement l’enthousisasme du public, mais aussi celle des juges, dithyrambiques : « L’Amérique n’est pas connue pour ses bonnes chanteuses ; elle est connue pour ses chanteuses puissantes, et vous êtes l’une d’elles »10, commente Simon Cowell, l’un des trois juges.
10Mais lorsqu’elle est ainsi présentée comme une véritable attraction qui vient interrompre la narration, la performance est-elle avant tout centrée sur des effets de mise en scène, sur le travail du son, des décors et des costumes, ou reflète-t-elle principalement les qualités spécifiques d’un interprète ? La question est posée de façon directe dans les talent shows, mais aussi dans les séries musicales. Lors de nombreuses performances scéniques, les effets de mise en scène semblent prendre le dessus et constituer l’essentiel du spectacle à l’aide d’éclairages spectaculaires, de décors, costumes et maquillages spécifiques (tout particulièrement pour les interprètes féminines). Ces séquences s’inscrivent dans la droite ligne des spectacles que les Britanniques désignent, en faisant allusion au revêtement posé sur le sol des studios, sous l’appellation de shiny floor television, dont les talent shows sont le meilleur exemple, c’est-à-dire des émissions qui, en dépit de différences de format et de style de performance, « sont réunies esthétiquement par une impression d’éclat, par des éclairages puissants, par la splendeur et le brillant, par la transformation du studio de télévision ou de la scène en espace spectaculaire », mais aussi par des costumes et des maquillages qui visent à procurer « une impression de glamour »11. La séquence de prégénérique de Pose exacerbe cette conception de la performance comme attraction imaginée en fonction des modèles concurrents du talent show et du défilé de haute couture – et de drag queen. Après avoir dévalisé les costumes royaux exposés dans un musée new-yorkais, les membres de la House of Abundance défilent sur la scène d’un ball de voguing (Pose, S01E01). La séquence rappelle explicitement l’extravagance queer des défilés de l’émission de téléréalité RuPaul’s Drag Race, et la performance spectaculaire repose tant sur la splendeur des costumes que sur l’éclat des lumières (les prises de vue mettent systématiquement en valeur le facteur de flare), le décor et le contexte de la salle de ball (fig. 1).
Fig. 1. Les costumes royaux de Pose (S01E01).

Fig. 2. Effets pyrotechniques dans Nashville (S01E12).

11L’ambivalence de ce type d’attraction fournit parfois aux séries l’occasion d’un discours réflexif, comme lorsqu’une chanteuse, dans Nashville, s’interroge sur les spectacles auxquels elle participe, et qui rappellent plus l’univers de la musique pop que celui de la scène country. Une séquence de concert (S01E12) débute ainsi, avant même que l’interprète ne soit visible, par des plans du scintillement des éclairages, par des effets de fumigène et de pyrotechnie (fig. 2). Vêtue d’une tenue près du corps et brillante, la chanteuse est ensuite presque éclipsée par l’imposante troupe de danseurs qui accompagnent sa chorégraphie. En coulisses, elle se questionne avec amertume, en opposant interprétation (performance) et numéro (act) : « Ce n’était pas une interprétation, c’était un numéro. Il n’y a rien d’artistique aux ventilateurs et aux fumigènes »12. Cette réflexion conduit la chanteuse à proposer lors d’un concert ultérieur une interprétation radicalement différente : sans costume de scène spécifique et sans troupe de danseurs, elle chante une ballade, assise sur un tabouret placé au-devant de la scène, simplement accompagnée par son guitariste. Pour ce moment de sincérité, Juliette Barnes (Hayden Panettiere) a changé de style de chanson (elle est passée d’un big number à une ballade country), mais la séquence demeure une attraction spectaculaire : sur scène, les corps sont éclairés par des filtres colorés, et le spectacle est désormais celui de la compétence de l’interprète filmée en plan rapproché, yeux fermés et front plissé en signe de concentration. Il est frappant de constater que, dans les séries « de coulisses », la performance est finalement toujours conçue comme une attraction visuelle, même lorsque l’accent est mis sur l’intimité ainsi que sur la sincérité de l’interprétation. Les paramètres spectaculaires sont simplement modulés et réglés pour s’adapter au style de l’interprétation. Le questionnement de la chanteuse portait en réalité davantage sur le choix d’un registre musical et d’un style de chansons, que véritablement sur la question du spectacle visuel, tant celui-ci est inséparable de la performance, dans les séries musicales « de coulisses ». Comme dans les talent shows, l’essentiel est finalement pour un interprète de savoir choisir la « right song », la chanson juste qui, d’une part, sera susceptible de mettre en valeur les compétences artistiques ainsi que la personnalité de l’interprète et, d’autre part, saura séduire un vaste public13.
Stratégies de diffusion et de promotion
12Cette compatibilité des formats et cette conception de la performance comme attraction expliquent ensuite les nombreuses possibilités de promotion croisée entre les deux types d’émission et partant les stratégies de diffusion des networks. Ainsi le 19 mai 2009, juste après le dernier épisode de la huitième saison d’American Idol, le réseau FOX diffuse le pilote de Glee, une série prévue pour l’automne suivant. La presse professionnelle salue d’emblée la « compatibilité évidente » des deux programmes, Glee apparaissant comme « un choix idéal pour la compétition de chant »14, vu que les deux émissions visent une même audience transgénérationnelle (adultes et adolescents, surtout), et sont structurées autour des « mêmes types de récits reflétant des aspirations et des fantasmes d’accomplissement »15. Avec cette diffusion anticipée, FOX ne fait pas qu’adapter une stratégie courante pour le lancement des séries télévisées de l’automne, dont les pilotes sont parfois disponibles au téléchargement dès le printemps. Dans le cas de Glee, FOX a misé sur les 27 millions de téléspectateurs de l’épisode conclusif d’Idol, dont une partie importante (plus de 9 millions) est restée devant son poste pour la série de fiction. FOX a également compté sur les spécificités genrées du public d’Idol, majoritairement des femmes, plus nombreuses à regarder la télévision au printemps, alors que les audiences de l’automne, que Glee allait devoir conquérir quelques mois plus tard, sont traditionnellement davantage déterminées par les téléspectateurs masculins, en raison notamment d’une offre importante de compétitions sportives et de séries dramatiques. Tout au long de l’été 2009, FOX a poursuivi la même tactique promotionnelle et a fait la publicité de sa série lors des diffusions de So You Think You Can Dance (2005-), mettant ainsi en lumière la proximité générique des séries backstage avec les reality talent shows.
13La stratégie promotionnelle de FOX est en réalité à double détente. En associant sa nouvelle série musicale à American Idol et So You Think..., le network se fonde sur la similitude entre le format du talent show et celui de la série fictionnelle pour adosser Glee au dernier type d’émission susceptible, dans le paysage fragmenté de la télévision américaine d’aujourd’hui, de séduire des publics véritablement hétérogènes – presque un public de masse : dans ses meilleures années (au milieu des années 2000), American Idol pouvait rassembler jusqu’à 17 % des téléspectateurs (19,8 millions sur un total de 114 millions de foyers télévisuels), ce qui en faisait l’une des émissions les plus populaires des networks16. Mais FOX adapte aussi sa stratégie aux spécificités d’une série se déroulant dans un lycée et mettant en scène des adolescents : dès la diffusion du pilote, le network mise spécifiquement sur les pratiques culturelles des jeunes téléspectateurs en ajoutant à l’épisode un dialogue sur Twitter entre les téléspectateurs et les comédiens, dont les réponses étaient incrustées en bas de l’écran, et aussi en diffusant sur Internet plusieurs versions du pilote, notamment une version director’s cut. Le network proposa également sur les réseaux sociaux, à la fin de l’été 2009 (avant la diffusion de la série, donc), un concours pour récompenser le meilleur Gleek, c’est-à-dire le fan ayant le plus œuvré pour faire connaître la série avant son lancement : « Qui est le plus grand Gleek ? Glee débute mercredi 9 septembre sur FOX. Avez-vous un besoin constant de chanter la version Glee de “Don’t Stop Believin’” ? Avez-vous convaincu vos amis de regarder Glee cet automne ? Vous pensez que vous êtes le meilleur Gleek ? Si oui, prouvez-le ! »17
14La réussite de cette stratégie et les similitudes formelles et narratives entre le backstage non scénarisé ou « unscripted » (les concours de talent) et backstage scénarisé ou « scripted » (les séries TV) sont à l’origine de la réitération de cette tactique de lancement et de diffusion – du moins pour les networks qui programment des talent shows à succès.
FOX, de Glee à Empire
Cinq ans après Glee, FOX lance Empire d’une manière analogue : fin 2014, le réseau fait la promotion de sa nouvelle série dans de nombreux médias (lors de projections de films Twentieth Century-Fox, sur Internet, à la radio et dans la presse écrite), et chaque semaine lors des compétitions de la National Football League. Le pilote est diffusé mercredi 7 janvier 2015, immédiatement après le premier épisode d’American Idol. Ensuite, sans se contenter d’une cible très large et indifférenciée, le network a souhaité cibler plus précisément un public africain-américain, ainsi que les spectateurs gays et lesbiens. Pour s’adresser plus spécifiquement à un public de femmes noires, le réseau a diffusé des publicités mettant en avant le personnage interprété par Taraji P. Henson, sans oublier pour autant les spectateurs masculins (la série a été promue lors du match de boxe du 22 novembre 2014 opposant Manny Pacquaio et Chris Algieri, et des objets promotionnels ont été distribués dans des salons de coiffure pour hommes)*.
* Joshua K. Wright, Empire and Black Images in Popular Culture, Jefferson (NC), McFarland, 2018, p. 21-22.
15Après avoir lancé en 2011 The Voice, un talent show comparable à American Idol, NBC va bâtir l’année suivante une tactique marketing similaire pour sa propre série musicale, Smash. Le budget alloué à la promotion de cette nouvelle série est important (10 millions de dollars, à mettre en rapport avec le budget de 7 millions consacré au pilote, et d’environ 4 millions à chacun des épisodes suivants), ce qui reflète bien l’ambition d’une nouvelle série qui sera même promue lors du Super Bowl du 5 février 2012 diffusé par NBC. La série est diffusée le lundi en seconde partie de soirée à partir du 6 février, immédiatement après The Voice. En dépit de chiffres encourageants la première semaine, les audiences de Smash s’effondrent dès la seconde semaine (à l’inverse de celles de The Voice)18, un échec généralement expliqué par l’aspect pointu, voire élitiste, d’une série portant sur l’univers de Broadway.
Extension du domaine du live
Une sensation de live
16La proximité des talent shows et des séries backstage s’explique ensuite par un phénomène dont ces deux formats profitent tout en contribuant paradoxalement à l’alimenter : l’attrait et l’extension actuelle du concept de live, même si sa fortune n’est pas sans susciter l’étonnement. Les économistes ont en effet montré depuis longtemps que le secteur du live ne pouvait guère concurrencer l’industrie de la musique enregistrée, ne pouvant compter ni sur d’éventuelles économies d’échelle, ni sur des réductions du coût du travail19. Des sociologues de la musique ont quant à eux expliqué que l’activité musicale n’avait cessé de s’éloigner, au cours du xxe siècle, des espaces de performance publics (salles de concert...) : pour Simon Frith, « tandis que les gens se mettaient à accorder plus de temps à l’écoute de la musique chez eux (grâce aux disques, à la radio ou à la télévision), ils consacraient moins de temps à aller écouter des interprètes dans des manifestations live, dans des bars et des salles de concert »20.
17Le secteur de la musique live est pourtant aujourd’hui devenu extrêmement profitable, au point de résister à une crise qui a vu l’effondrement de pans entiers de l’industrie de la musique enregistrée, dès le début des années 2000. Simon Frith donne à ce succès du live deux explications : tout d’abord, les sociologues ont à l’évidence minimisé le fait que la « valeur » de la musique demeure centrée sur l’expérience live. Si les amateurs de musique consacrent des sommes de moins en moins importantes de leur budget à l’acquisition de musique enregistrée, ils continuent sans relâche à acheter des places de concert. Et les organisateurs d’événements live ont su adapter leurs pratiques et leurs stratégies, en augmentant de façon significative la taille des publics (salles plus vastes dotées de technologies sonores perfectionnées, tournées plus longues, festivals plus ambitieux) et en développant la vente de produits dérivés lors de ces événements. Aujourd’hui, le concert ne peut plus du tout être considéré comme un événement visant à faire la seule promotion d’un album ; pour Frith, « assister à un concert live n’est pas seulement une expérience passagère, mais symbolise également ce que cela signifie d’être un fan de musique »21.
18Dans ce contexte, l’ouverture à ce type de musique est devenue, pour la télévision, aussi stratégique que l’accès à la musique enregistrée22. Tout d’abord, les chaînes ont continué à présenter des retransmissions d’événement live, au point que MTV a pu en partie se détourner des clips, au tournant du siècle, pour mieux pouvoir transmettre ce type de manifestation. Ensuite, la télévision tente, grâce à de nouveaux formats (essentiellement, mais pas uniquement, les talent shows et les séries musicales), de concilier l’aspect domestique de l’écoute de la musique à la télévision, l’attrait pour le live, et l’extension prise par le concept. Bien que les définitions courantes du live insistent sur la condition nécessaire constituée par la présence simultanée des artistes et du public dans un même espace23, l’idée que nous avons du live est devenue au cours du xxe siècle moins stricte, avec l’avènement de technologies de diffusion (radio, télévision, Internet...) : nous parlons ainsi d’« enregistrement live » (live recording) et de « retransmission live » (live broadcast), alors même que ces situations ne satisfont pas à l’une des conditions premières du live traditionnel, à savoir la présence dans un même lieu des artistes et de leur public. Finalement, la notion de spectacle live s’est à ce point déplacée qu’il devient plutôt pertinent de parler d’« expérience du live » :
« [Cette expérience] n’est pas limitée à des interactions spécifiques entre un interprète et son public, mais est liée à la sensation d’être toujours connecté à d’autres gens, d’une co-présence continue, médiatisée par des technologies, avec d’autres personnes connues et inconnues24. »
19Parce que le live ne peut plus être défini uniquement par la présence d’êtres humains dans le même espace et au même moment, c’est plutôt « l’expérience affective du public »25 qui permet aujourd’hui de cerner le concept de live, ainsi que la sensation de live que nous procurent un talent show comme une série musicale backstage qui a pourtant recours au play-back. La sensation de live que suscitent ces fictions repose, précisément, sur la sérialité, c’est-à-dire, d’une part, sur la diversité et le nombre des performances qu’elles mettent en scène (et qui sont aussi deux caractéristiques des festivals, des manifestations qui ont pris de l’ampleur depuis le début des années 2000 et ont accompagné la croissance du secteur) et, d’autre part, sur la variété des répertoires et des genres musicaux (le live n’est désormais plus le domaine réservé de quelques genres qui viennent y chercher une caution d’authenticité). Cette sensation de live se vérifie notamment dans les enquêtes établies par la société Nielsen qui évalue les programmes ayant généré le plus d’activité sur le réseau social Twitter lors de leur première diffusion à la diffusion. Chaque année, les reality talent shows font partie des émissions de télévision dont un épisode a suscité le plus de messages sur le réseau social, et Henry Jenkins note qu’« une gamme de programmes encouragent aujourd’hui le tweet en direct, en se fondant sur une idée qui se répand dans l’industrie : ces conversations créent auprès des publics une forte incitation à regarder les programmes en direct (ne serait-ce que pour éviter les spoilers) »26. Ainsi, en mai 2014, par exemple, un épisode de The Voice est à l’origine du plus grand nombre de tweets par minute pour une émission de télévision des douze derniers mois, et pour la saison 2016- 2017 trois émissions de téléréalité musicales (The Voice, Love & Hip Hop, et Love & Hip Hop : Atlanta) font partie des dix programmes de la télévision américaine ayant suscité le plus d’interactions sur les réseaux sociaux lors de la diffusion de chacun de leurs épisodes27. Surtout, les séries musicales sont régulièrement citées parmi les programmes suscitant une effervescence particulière sur les réseaux sociaux lors de leur première diffusion sur le petit écran. C’est notamment le cas d’Empire, dont le dernier épisode de la première saison a été, le 18 mars 2015, l’épisode le plus commenté de l’année (2,4 millions de tweets) – et aussi le plus commenté depuis le moment où Nielsen a commencé, en octobre 2011, à prendre en compte l’activité sur Twitter liée à la télévision28 –, et la série FOX a renouvelé ce type de performances les années suivantes (en 2015-2016, par exemple, avec une moyenne de 387 000 tweets par épisode, Empire est la seconde série la plus tweetée, juste derrière The Walking Dead [2010-]29). Si la sensation de live procurée par les talent shows se comprend plus aisément, la présence récurrente d’Empire dans les classements de Nielsen montre qu’une partie non négligeable des téléspectateurs accordent une valeur particulière au fait de regarder les épisodes au moment même de leur première diffusion par les chaînes affiliées au réseau FOX, et la diversité et le nombre des performances musicales représentées dans chaque épisode de la série alimentent ce phénomène. Les pratiques diégétiques de performance live envisagées dans ce chapitre contribuent ainsi à une redéfinition du concept de live dans un nouveau contexte médiatique.
20Des procédés de réflexivité et de mise en abyme contribuent en outre à nourrir la sensation de live, en particulier lorsque des personnages, dans les séries les plus récentes, diffusent leurs performances en vidéo live, comme le font par exemple les jeunes Maddie (Nashville, S05E15) ou Lala (Empire, S06E12). L’aspect « direct » est alors souligné à l’image (le mot « live » s’affiche systématiquement dans le cadre), et des commentaires de followers sont parfois incrustés à l’écran, par exemple dans Empire lors de la diffusion de chansons en direct sur le service de streaming Empire X-Stream, lancé par les personnages dans le premier épisode de la saison 3 : un bandeau en bas du cadre, censé reproduire celui du service de streaming fictionnel, rappelle la dimension « live » de l’événement, tandis que les posts des spectateurs de la performance d’un rappeur défilent dans la partie droite du cadre, en imitant et stimulant à la fois l’activité bien réelle des spectateurs des épisodes sur les réseaux sociaux (S03E16) (fig. 3).
Fig. 3. Hakeem (Bryshere Gray) en direct sur Empire X-Stream.

21Certaines expérimentations ponctuelles montrent que les diffuseurs se différencient de leurs concurrents en offrant à leurs publics des sensations de live inédites : c’est ainsi que le 24 septembre 2014, lors du premier épisode de la saison 3 de Nashville, trois longues performances live de Charles Esten (qui interprète Deacon dans la série) et de Chris Carmack (Will) ont été intégrées au moment même de la première diffusion de l’épisode aux séquences déjà enregistrées, un aspect que la promotion de ABC a abondamment utilisé durant tout l’été. Il s’agissait donc, dans le cadre d’une série télévisée de fiction, d’une expérience de « live broadcast » (la performance et sa réception sont simultanées) qui s’inspire directement du modèle des talent shows. Comme l’explique Callie Khouri, la créatrice de la série, « la musique live est une présence si essentielle dans notre série que nous avons pensé que nous pourrions trouver une façon de partager avec le monde extérieur l’impression que cela procure en réalité »30.
22Plus récemment, High School Musical : The Musical : The Series a proposé à ses spectateurs une sensation de live différente en refusant le play-back pour la plupart des numéros musicaux : l’image et le son sont donc enregistrés en même temps sur le plateau. Comme l’explique Tim Federle, le créateur de la série : « je savais que des chanteurs possédant un vrai talent et réellement capables de chanter en direct pouvaient faire quelque chose qui touche le public, alors que Auto-Tune ne peut réussir à faire cela. De Kate Reinders aux plus jeunes membres de notre troupe, tout le monde chante ses chansons en direct »31. Cette spécificité permet à la série de Disney+ de se différencier efficacement de ses deux modèles – la franchise High School Musical et Glee –, qui utilisent tous deux le play-back (sur les centaines de chansons interprétées dans Glee, moins d’une dizaine ont été enregistrées directement sur le plateau). La série met de fait en avant plusieurs moments musicaux intimistes, qui tirent le meilleur parti de l’enregistrement live sur le plateau ; c’est notamment le cas à la fin du second épisode lors de l’interprétation par Ashlyn (Julia Lester) et Nini (Olivia Rodrigo) de la power ballad « Wondering ». Ashlyn est seule dans l’auditorium du lycée, où elle travaille à la chanson qu’elle est en train d’écrire pour la comédie musicale dans laquelle elle interprétera une professeure d’art dramatique (fig. 4). Sa composition, « Wondering », évoque les rêves perdus d’une femme qui doit renoncer à une carrière d’actrice pour devenir enseignante. Nini a surpris son amie dans l’auditorium, et souhaite écouter le morceau ; Ashlyn commence donc à chanter en s’accompagnant au piano. Or la séquence met en scène à deux reprises l’effet d’entraînement presque irrésistible d’une performance live : en cours de chanson, Olivia ne peut s’empêcher de joindre sa voix à celle de son amie, et à partir du pont elle chante avec elle. En fin de séquence, c’est le jeune Ricky (Joshua Bassett) qui est à son tour envoûté par l’interprétation des deux jeunes femmes : il surgit en courant dans l’auditorium, comme aimanté par « Wondering ». L’effet d’entraînement de cette performance live repose tant sur la structure de la ballade que sur le montage de la séquence. La technique d’intensification propre à la power ballad fait en effet passer du parlé-chanté des couplets (qui justifie pleinement l’enregistrement en direct sur le plateau) au puissant belting des refrains, tandis que l’image paraît suivre la musique : les coupes du montage sont en effet strictement coordonnées au tempo de la chanson. Dans cette scène, le cadre diégétique intime (l’introspection et les doutes d’une jeune femme qui se croit seule) et la possibilité offerte aux interprètes de passer instantanément de la parole au chant rendent nécessaire le recours à l’enregistrement sur le plateau. Ce moment musical semble finalement montrer que les meilleures interprétations se caractérisent par leur capacité à transmettre une sensation de live – toujours proche d’une impression de naturel et de spontanéité –, ainsi que par leur capacité à entraîner dans la performance les spectateurs, un phénomène que Jane Feuer a analysé pour les comédies musicales hollywoodiennes classiques (voir aussi chapitre 3)32. Les commentaires postés par les internautes en regard de la vidéo officielle de cette chanson sur YouTube confirment en outre le prix accordé par les spectateurs à l’enregistrement en plateau des chansons de High School Musical : The Musical : The Series. Alors que cette séquence est très étroitement reliée aux enjeux narratifs (lorsqu’elle chante, Nini semble regretter d’avoir quitté Ricky, qui écoute son interprétation), les commentaires s’attachent surtout aux aspects de la performance live : sur les cent premiers posts de cette vidéo, plus de dix-huit sont des commentaires portant sur la voix des interprètes (« Personne ne parle de la voix forte et belle de Julia Lester », « les voix de Julia et d’Olivia s’harmonisent parfaitement », etc.), et plus de six s’intéressent au caractère live de la chanson (« le fait que cela ait été filmé en direct rend cette version dix fois meilleure », « et le fait qu’elles aient chanté en direct et n’aient pas fait du play-back est incroyable »...)33.
Fig. 4. Power ballad de Julia Lester dans High School Musical.

Une paradoxale authenticité
23Depuis le début des années 2000, parce que le live est devenu l’une des activités les plus rentables des industries musicales, les séries ne cessent de le représenter et ce type de performance prime ainsi, dans les fictions backstage contemporaines, toute autre manifestation musicale. Dans toutes ces séries musicales (et tout particulièrement dans celles dont le format est fondé sur les chansons), il faut bien entendu souligner tout l’aspect ambivalent d’un « live » qui consiste à proposer des performances musicales qui font presque systématiquement appel au play-back (pour les techniques d’enregistrement sonore) et au synchronisme labial (pour les techniques de jeu actoral).
24L’insistance quelque peu paradoxale sur le caractère live des performances, dans les diégèses des séries télévisées, n’a en réalité rien de très neuf, et Jane Feuer remarque, à propos du cinéma classique, que « le musical hollywoodien vénère le divertissement live parce que les formes live semblent parler plus directement aux spectateurs. »34 Ce « goût du live » est surtout exacerbé, aujourd’hui, dans les reality talent shows. Ainsi, American Idol diffère du format de Popstars (l’émission néo-zélandaise de 1999 qui est le premier grand succès des émissions de talent musicales) par l’importance accordée à la performance live, puisque Popstars se consacrait davantage aux coulisses, aux conditions de préparation de la performance musicale. American Idol se rapproche de fait du modèle des concours de talent des décennies précédentes, et peut aussi, grâce à ces longues séquences musicales en public, se prévaloir d’une authenticité si cruciale pour les émissions de téléréalité35. La nature des performances proposées par American Idol est toutefois profondément ambivalente : la règle du jeu consiste en effet à proposer une interprétation spécifiquement conçue pour un public et pour la caméra, interprétation censée permettre d’évaluer les capacités naturelles d’un candidat, sa sincérité et son authenticité. En d’autres termes, la performance devrait pouvoir manifester le talent naturel d’un artiste véritablement authentique – pourtant reconnu par le truchement d’une mise en scène de soi, d’un acte par essence peu authentique consistant à fabriquer une représentation pour des spectateurs et pour des juges. Ainsi, dans une émission de talent comme dans une série « de coulisses », un interprète doué sera capable, grâce à ses efforts et à son travail, de proposer une performance live authentique, c’est-à-dire une interprétation qui rende évidente le talent et le « X factor » qui le différencient de ses concurrents : « pour se distinguer en tant que star potentielle, il faut être original (tout en chantant des reprises), authentique (tout en ayant été coaché, relooké, et en ayant appris une chorégraphie), et extraordinaire (tout en révélant un caractère ordinaire exigé des participants des émissions de téléréalité) »36.
25Comme le montre bien Su Holmes, le discours de l’authenticité est paradoxalement omniprésent dans les talent shows qui mettent sur le devant de la scène des interprétations de musique pop37. La performance live est valorisée par des critiques qui y voient une garantie d’authenticité, qu’ils opposent aux performances enregistrées des professionnels de la pop, jugées trop « produites » et manquant de spontanéité. C’est toutefois plutôt le naturel des participants eux-mêmes que ces concours se proposent de jauger, puisque le succès y consiste non pas à réussir une performance professionnelle, mais bien à y présenter une personnalité authentique, en particulier dans le jeu entre performances scéniques et séquences backstage. Certaines séquences biographiques (montrant les concurrents rendant visite à leur famille, par exemple) permettent ainsi de présenter les participants comme des individus ordinaires, simples et sincères, tandis que leurs performances scéniques mettent au premier plan leurs compétences spécifiques. Dans les séries, le jeu entre récit et numéros musicaux, segments narratifs et moments de performance, a aussi pour fonction de certifier le naturel et l’authenticité d’un artiste comme d’une interprétation. C’est le cas, spécifiquement, des séquences musicales qui commencent comme des numéros non diégétiques avant de basculer vers une représentation scénique. Dans plusieurs séries, en effet, certains numéros permettent, comme dans de nombreux musicals cinématographiques, l’expression spontanée d’émotions par le chant et la danse, avant de devenir des numéros scéniques « live » devant un public – un peu comme si, après avoir chanté et dansé sous la pluie, Gene Kelly finissait dans Singin’ in the Rain par exprimer son allégresse sur la scène d’un théâtre, face à un public... Le naturel et la sincérité des artistes, sur scène, sont authentifiés par les émotions exprimées en début de séquence. Ainsi, dans Glee, lorsqu’un jeune lycéen transgenre, Unique (Wade Adams), est harcelé dans des toilettes par quelques garçons (S05E05), il commence dans ce même lieu à chanter « If I Were a Boy », la ballade de Beyoncé qui correspond à son état d’esprit, mais sans solution de continuité sonore, à partir du refrain, l’interprétation continue dans un tout autre lieu, la salle de répétition de la chorale, où ses camarades écoutent la chanson avec émotion. Ce mélange du live, même sous une forme « reconstituée », à d’autres modalités de performance de la même chanson, qui rappelle l’esthétique du clip, signale bien la quête d’authenticité des séries « de coulisses ».
26Dans les talent shows, nous devons pouvoir identifier des traces du naturel des concurrents même dans les stades finaux de la compétition, et ce grâce à de véritables « moments de sincérité – des gestes qui apparaissent non prémédités, non contrôlés – particulièrement lorsqu’ils sont mis en scène à l’aide de la figure révélatrice du gros plan »38. L’authenticité devient la valeur suprême des talent shows comme des séries backstage, qui ont recours à des figures parfois présentes dans les musicals cinématographiques (Richard Dyer a notamment analysé les « marqueurs d’authenticité » que sont, dans les films musicaux de Judy Garland, l’apparente absence de contrôle, le caractère non prémédité ou improvisé de certains gestes, et l’aspect « privé » de l’interprétation39). De fait, si la reconnaissance du talent intervient toujours lors d’auditions et de représentations publiques, elle est souvent anticipée lors d’interprétations privées, quand l’interprète n’est pas sous le regard de juges ou de spectateurs. La performance presque intime au cours de laquelle un interprète est observé à son insu par un spectateur saisi par une telle manifestation de talent est une figure récurrente des séries (comme des séquences en coulisses des talent shows). Puisque la grande représentation publique est entachée d’un soupçon de fabrication, elle est souvent précédée par une interprétation sans spectateurs – ou plutôt avec des spectateurs choisis. Ainsi, à la fin de la troisième saison de Nashville, Gunnar (Sam Palladio) demande de façon impromptue à Scarlett (Clare Bowen) d’interpréter pour lui une chanson qu’elle vient de composer (S03E22). Il ne s’agit pas d’une performance publique (les deux jeunes gens sont seuls, la nuit, sur un toit), et tout en accompagnant la chanteuse à la guitare le jeune homme l’écoute et l’observe avec une émotion intense. Dans l’épisode précédent, Rayna (Connie Britton) et Deacon (Charles Esten), bouleversés par le diagnostic peu encourageant du cancer de ce dernier, se rendent malgré tout au Bluebird Cafe où ils chantent devant des spectateurs attentifs qu’ils assimilent à une « famille élargie » (S03E21) : publique, la performance conserve dans ce cadre intime un caractère malgré tout privé, et se caractérise par une absence de contrôle soulignée par les paroles de la chanson « Surrender ». Peu avant, dans le même lieu, Gunnar et Scarlett ont dû contre toute attente et en dépit de leurs désaccords monter sur scène et se livrer à une petite performance chantée qui marque, mieux que leurs grands concerts publics, l’alchimie qui est la leur, ainsi que l’authenticité de leurs interprétations : en privilégiant une impression de moment pris sur le vif, le cadrage et le montage (suite de panoramiques filés en gros plan de l’un à l’autre, pour finir par des plans serrés des deux musiciens dans le même cadre) soulignent bien la sincérité de ce moment musical, qui laisse attendre des réussites ultérieures.
Marqueurs de l’authenticité
27Déjà présents dans les musicals classiques hollywoodiens, une série de « marqueurs » visuels signalent l’authenticité de certaines interprétations, mais les séries portent la trace d’un changement majeur de paradigme sonore, qui bouleverse ces indices traditionnels : dès les années 1970, en effet, les appareils utilisés pour créer de la musique ont habitué les personnes assistant à des concerts à considérer que les sons pouvaient provenir de machines, ou même avoir été créés avant le concert. Les séries musicales contemporaines sont profondément marquées par ce changement qui implique une attitude neuve vis-à-vis de la représentation des technologies de production.
« Gymnastique vocale » et expertise musicale
28Si les séries prétendent nous donner accès à des performances live, c’est tout d’abord parce que la musique est l’occupation principale des personnages de la plupart des fictions musicales contemporaines, comme ce fut le cas hier dans des séries comme The Monkees ou The Partridge Family. Pour les acteurs qui les interprètent, l’un des enjeux est évidemment d’être crédible, alors même que certains comédiens n’ont pas de compétence spécifique en danse ou en musique. Cory Monteith dut parvenir à danser et chanter de façon convaincante pour son rôle dans Glee, lui qui n’avait pas de formation dans ces domaines ; pour Nashville Connie Britton dut prendre des leçons de chant pour réussir à enregistrer tous les titres prévus pour son personnage de star de la country.
Treme : Antoine Batiste et son trombone
Dans Treme Wendell Pierce dut faire illusion au trombone, alors même qu’il jouait aux côtés de musiciens professionnels réputés. C’est non sans ironie que vers la fin de la série (S04E03), dans un savoureux jeu de mise en abyme qui évoque de façon plus générale tous les « trucs » utilisés pour façonner les performances musicales (play-back, synchronisme labial, doublage...) Antoine Batiste, le personnage interprété par Pierce, est engagé pour aider au pied levé un acteur à jouer le rôle du tromboniste Kid Ory, et mime hors champ les gestes que le comédien doit s’efforcer tant bien que mal de reproduire devant la caméra. Dans la réalité, Pierce, qui avait commencé à s’entraîner bien avant le début du tournage de Treme, disposait généralement de davantage de temps (une semaine) que le Kid Ory fictionnel pour apprendre à faire les gestes requis à l’écran pour chaque épisode. Il n’en était pas moins lui aussi doublé par un musicien professionnel (Stafford Agee, du Rebirth Brass Band). Celui-ci se tenait dans le hors champ immédiat, au plus près possible de Pierce et sur une position surélevée afin de lui montrer les gestes à imiter avec précision, tout en produisant le son enregistré pour la prise. Le processus était identique pour le personnage de Delmond Lambreaux, un saxophoniste de modern jazz interprété par Rob Brown et doublé par Leon « Kid Chocolate » Brown*.
* Dave Walker, « Treme’s Antoine Batiste gets his horn sound from Rebirth’s StaffordAgee », New Orleans Times-Picayune, 13 décembre 2013.
29Qu’il s’agisse de performances de comédiens prétendant posséder des compétences professionnelles ou de moments musicaux mettant en scène de véritables musiciens, l’enjeu est dans plusieurs séries de parvenir à convaincre de la vérité d’une performance fondée sur l’incarnation (le corps vu à l’image est bien la source de la musique entendue) et la simultanéité (l’illusion que l’enregistrement de l’image et celui du son ont été faits en même temps, dans le même espace, sans recours au play-back), en paraissant respecter l’intégrité spatiale et temporelle d’une performance qui a vraiment eu lieu. En d’autres termes, il faut, le temps d’un moment musical, faire oublier aux spectateurs les différentes « béquilles » qui rendent possible la production « en série » de performances chantées ou instrumentales. Il s’agit ainsi d’offrir le spectacle d’une expertise remarquable, et parfois même extraordinaire, possédée par un personnage sinon tout à fait ordinaire, un aspect particulièrement exacerbé dans toutes les fictions backstage fondées sur des performances instrumentales (Treme, Mozart in the Jungle...) ou vocales (Glee, Smash, Star, Vinyl...), car il est lié à des enjeux sériels : il faut d’une part marquer nettement la différence avec toutes les séries dramatiques non musicales mais qui ont abondamment recours à la musique préexistante, et d’autre part souligner les compétences spécifiques possédées par des personnages/performers qui, dans les séquences narratives, peuvent se révéler particulièrement banals (on retrouve ainsi la dualité typique des talent shows, dont les participants doivent se montrer à la fois ordinaires et exceptionnels40).
30Les chanteuses de Glee et de Smash, par exemple, possèdent des personnalités somme toute assez ordinaires mais leur exceptionnelle expertise musicale est visualisée dans les moments musicaux à l’aide d’une saturation d’indicateurs physiques (concentration intense des visages, crispés lors des climax spectaculaires, yeux parfois fermés, gestes expressifs des mains et des bras). L’expertise vocale se mue en « gymnastique vocale »41 – réglée sur les performances des concurrents lors des dernières phases des talent shows comme American Idol –, ainsi qu’une attraction spectaculaire entièrement centrée sur les corps des interprètes (fig. 5 et 6).
Fig. 5 et 6. « Gymnastique vocale » dans Glee (Lea Michele et Amber Riley).

31Une autre stratégie, typique des phases de sélection des concours de talent, consiste à opposer une performance experte à une interprétation plus ordinaire. Lorsqu’Antoine Batiste joue à l’aéroport en compagnie de son orchestre (S01E07), le musicien professionnel Trombone Shorty vient à sa rencontre, accompagné de sa formation, et il lui propose une brève jam session, qu’Antoine accepte, bien qu’un peu gêné. Pour leur interprétation de « Ooh Poo Pah Doo », les deux hommes sont filmés tantôt de face et tantôt de profil, en plan rapproché ou gros plan, la plupart du temps seuls dans le champ. L’effet est saisissant, puisque la scène permet d’observer dans le même plan Trombone Shorty, l’un des musiciens les plus célèbres de La Nouvelle-Orléans, et Wendell Pierce, un comédien/musicien amateur que la série fait passer pour un tromboniste accompli. L’illusion tient jusqu’à ce que Pierce arrête de jouer, pour littéralement tirer son chapeau à Shorty, qui improvise pendant un chorus : la scène vaut reconnaissance du talent du musicien et du professionnalisme de son interprétation (fig. 7 et 8).
Fig. 7 et 8. Antoine Batiste (Wendell Pierce) tire son chapeau à Trombone Shorty (Treme, S01E07).

Visualisation des instruments
32Bien que l’effort physique et l’application manifestée lors de l’interprétation vocale soient les principales marques visuelles de l’expertise artistique dans de nombreux talent shows et séries musicales, la qualité de la performance est parfois authentifiée par la visualisation des instruments de musique, ce qui est évidemment le cas dans de nombreuses séquences de Treme, mais aussi d’autres séries (Nashville, Empire, Mozart in the Jungle) qui fondent l’attraction sur le spectacle visuel des instruments en action et se modèlent ainsi sur un paradigme fréquent dans le musical classique hollywoodien (on peut par exemple songer aux numéros mettant en scène des big bands, dans les musicals des années 1930 et 1940). Les instruments sont mis à contribution pour renforcer l’impression de réalisme des performances les plus longues. À l’occasion de la longue reprise de « Sing, Sing, Sing » de Louis Prima (Treme, S04E04), l’épisode commence par un plan rapproché d’une batterie, avant que la caméra ne désigne successivement les gestes du batteur, puis les autres instruments, et enfin les choristes. La vue des instruments est d’autant plus essentielle que certains sont successivement nommés dans les paroles de la chanson (fig. 9 à 13). À deux reprises cependant, à la faveur d’un volet naturel, le mouvement de caméra est prolongé dans un autre espace, la cuisine du restaurant Desautel où la musique est diffusée à la radio. Le passage à ce lieu différent est loin de menacer l’authentification par l’image. La musique est accompagnée par le spectacle des instruments de cuisine et de la performance culinaire de Janette (Kim Dickens) et de son sous-chef qui découpent les aliments en rythme avec la musique : l’essentiel est bien de montrer une performance experte (même non musicale).
Fig. 9 à 13. « Sing, Sing, Sing » (Treme, S04E04). Instruments et performance (musicale et culinaire) : le spectacle d’une expertise.

33Ensuite, comme le signale Katherine Spring à propos des stars des premiers musicals cinématographiques :
« La présentation d’instruments à l’écran facilitait l’identification des spectateurs avec des célébrités dont la persona reposait au moins en partie sur leur utilisation d’instruments. Comme la voix, l’instrument de musique pouvait servir à signifier la présence authentique d’une star42. »
34Dans la séquence de l’aéroport de Treme, à partir de l’instant où Shorty commence à jouer avec Batiste, la quasi-totalité du découpage est consacrée à une succession de gros plans et de plans rapprochés des deux hommes avec leurs instruments, tandis que les autres musiciens doivent se contenter de plans de coupe fugitifs, afin que l’attention ne soit pas détournée de l’attraction que constitue le numéro d’un instrumentiste connu.
Technologie du studio d’enregistrement
35Les séries backstage sont surtout confrontées à un changement de paradigme sonore marqué par l’utilisation récurrente – et ce depuis plus de quatre décennies – de dispositifs techniques dans des contextes live, auquel elles répondent par deux tactiques opposées : une position conservatrice, qui vise à l’euphémisation de ce changement (c’est la voie choisie par Vinyl et The Get Down), ou au contraire la mise en avant spectaculaire de la technologie du live (en particulier dans Empire, Nashville et Treme). Comme le montre Andrew Goodwin, l’utilisation de dispositifs techniques (notamment les échantillonneurs, dès la fin des années 1970) joue un rôle déterminant dans certains genres musicaux, en particulier le rap :
« Le rap a totalement sapé la distinction entre la création de la musique et son appropriation. Comme des échantillonneurs étaient utilisés lors de performances, il devint de plus en plus difficile pour les personnes assistant aux concerts de percevoir la source des sons entendus grâce au système de diffusion43. »
36Pourtant, une série comme The Get Down se concentre sur des DJ qui isolent les parties instrumentales de morceaux de disco, puis enchaînent les breaks sur leurs platines de façon « artisanale », sans recours à une technologie autre. D’une manière analogue, Vinyl retrace le chemin vers le succès d’un groupe de punk rock, un genre musical essentiellement fondé sur une idéologie du « do it yourself », qui valorise le travail d’amateurs (« en concert, écrit Goodwin, malgré une utilisation occasionnelle de machines, l’accent dans le punk était toujours mis sur la performance réelle »44), alors que le rock et la musique pop sont de plus en plus marqués par la technologie à partir de la décennie 1970. Il est significatif que deux séries fondées sur des genres brandissant leur authenticité et leur différence vis-à-vis de formes souvent considérées comme commerciales et « fabriquées » (le disco et la pop en général) choisissent de se concentrer sur des attractions live en quelque sorte déshistoricisées. Ces deux séries ont en commun d’être des fictions patrimoniales misant sur la représentation de périodes culturellement marquantes sinon prestigieuses (bien rendues par l’aspect excessif et spectaculaire des costumes, de certains décors et aussi de plusieurs moments musicaux) ; toutes deux manifestent un certain repli sur ce passé musical idéalisé, et n’hésitent pas à invisibiliser les technologies de production musicale (selon un processus bien analysé par Jane Feuer pour le musical classique hollywoodien45).
37Dans la plupart des autres séries musicales, de nombreuses performances se déroulent dans un studio de radio ou d’enregistrement (la séquence d’ouverture d’Empire est ainsi un enregistrement en studio), où l’essentiel est moins de signer la vérité de la production sonore grâce à la visualisation d’instruments que de compter sur le spectacle visuel de la technologie du studio ainsi que sur la véritable caution que constituent le lieu et ses machines. Les séries reprennent ainsi le modèle du clip, où « l’envahissante mise en scène de la salle de répétition/entrepôt » agit comme une véritable « garantie d’authenticité »46, car ce sont alors les lieux de production et de fabrication de la musique qui sont exposés. Parfois, la garantie apportée par le studio – qui agit là comme un espace de performance supplémentaire, en concurrence avec les lieux de concert, clubs de jazz, etc. – et sa technologie est une sorte de pléonasme spectaculaire, notamment dans Treme : lorsqu’Annie Tee (Lucia Micarelli) est en session d’enregistrement en studio avec Sonny Landreth – un musicien de blues connu –, le découpage doit permettre aux spectateurs de parfaitement visualiser les différents instruments, tout en valorisant les performances de Landreth et d’Annie (S03E08). Après un premier plan sur le batteur, la scène alterne des plans d’ensemble des musiciens dans le studio avec cinq plans rapprochés d’Annie – ces plans permettent d’identifier la source du violon, et sont dus à l’importance narrative du personnage – et plusieurs gros plans de Landreth : ses doigts sur la guitare et son visage, en raison de son statut de musicien connu. Le contexte du studio n’est ici qu’une caution supplémentaire, qui sature la séquence, comme souvent dans Treme, d’indices de la « garantie d’authenticité » recherchée.
38Ces attractions de studio ne cherchent pas à dissimuler la technologie de production musicale, ni même à la mettre en avant afin de dénoncer l’absence de spontanéité d’une performance, comme dans certains musicals classiques47. Les séries backstage sont plutôt emblématiques de « cette part de la production industrialisée qui a joué sur l’exhibition des conditions de production mécanique, et leur attribution d’une valeur presque magique », et qui marque un moment, explique Laurent Guido, « où la fascination se déplace de l’objet industriel (la performance elle-même) vers les mécanismes mêmes de sa fabrication »48. Dans tous les cas, il s’agit enfin de montrer qu’il est impossible de cerner la source d’un son qui est de plus en plus produit par des machines, que ce soit en studio ou dans d’autres espaces, notamment par l’utilisation de logiciels. La mise en avant spectaculaire de l’espace du studio et d’une technologie permettant d’enregistrer, créer, mixer et manipuler les sons ouvre la voie à une conception mettant davantage encore l’accent sur le spectacle visuel, puisque dès les années 1970 et 1980, l’utilisation presque systématique de synthétiseurs, échantillonneurs et ordinateurs pour créer des sons a habitué les auditeurs à considérer différemment les musiques entendues dans un contexte live. Pour Goodwin, « les nouvelles technologies de fabrication musicale démontrèrent aux musiciens, aux critiques et aux spectateurs de façon plus forte que jamais auparavant que les performances de musique populaire étaient des expériences visuelles »49. Le déplacement de la « fascination » dont parle Guido montre que, dans les séries backstage, les aspects visuels de l’interprétation deviennent aussi le lieu d’une négociation entre les marqueurs traditionnels de la performance et les indices de sa « technologisation », y compris dans des séries qui présentent des numéros de musiciens confirmés. Dans Empire, par exemple, la chanteuse Courtney Love interprète une rockeuse qui tente de faire un difficile come-back, et c’est dans un studio d’enregistrement que sont montrés les efforts de la chanteuse (S01E06), authentifiés autant par les gros plans du visage contracté et concentré de cette artiste célèbre, que par l’envahissante technologie du studio (fig. 14 et 15).
Fig. 14 et 15. Elle Dallas (Courtney Love) dans un studio d’enregistrement (Empire, S01E06).

39Il faut enfin souligner que la mise en avant de la technologie et du studio, comme dans le clip, dépend fortement du genre (musical), et parfois d’une interaction entre ce dernier et des questions de genre (gender) et de race. Si une grande majorité des moments musicaux d’Empire ont pour décor un studio d’enregistrement, c’est parce que la série a pour sujet le fonctionnement d’une maison de disques, mais aussi et surtout parce que le R & B est une musique façonnée par le studio d’enregistrement, et que les séries comme les clips « rendent hommage à cette institution »50. Il est également possible que l’omniprésence du studio d’enregistrement dans une série comme Empire soit liée comme dans de nombreux clips à « un désarroi quant à l’endroit où placer des stars noires dans un environnement réaliste »51. Alors que Nashville (une série sur la musique country, dont les principaux interprètes sont blancs) et Empire (une série sur le rap et le R & B, dont les principaux interprètes sont noirs) racontent toutes deux les succès comme les difficultés de stars de la chanson, les séquences d’enregistrement en studio sont omniprésentes dans Empire, et presque marginales dans Nashville. Le processus de fabrication du R & B en studio est également bien montré dans The Get Down, qui cantonne la jeune Mylene (Herizen Guardiola) à l’espace contraint du studio – et offre une plus grande variété d’espaces de performance, notamment en extérieur, aux jeunes hommes qui s’adonnent au rap.
Déclinaisons de la performance
40Le concept d’authenticité est fréquemment mobilisé par les critiques, dans le champ de la musique populaire, afin d’« établir et ensuite défendre les frontières de ce qui est jugé “bon” – artistiquement, politiquement, moralement »52. Mais parce qu’il est convoqué pour qualifier et évaluer aussi bien les performances, les styles et les genres musicaux et chorégraphiques, que les processus de production et les performers eux-mêmes, le concept est nécessairement flottant, ambigu et particulièrement labile. Il est constamment sollicité dans des stratégies de défense contre des styles et des genres jugés « commerciaux », « inauthentiques », « faux »53 ; les cultures musicales mainstream (surtout la pop et le disco) servent ainsi, à diverses époques, de repoussoir à plusieurs genres musicaux (rock, country, rap et hip-hop) qui mettent en avant une authenticité qui est en réalité toujours une construction sociale, culturelle et esthétique54. Dans les séries backstage, la rhétorique de l’authenticité supporte bien sûr ce type de discours particulièrement genré (par exemple, dans The Get Down, le disco nécessairement conventionnel et commercial d’un trio de jeunes filles est dévalorisé au profit de la culture hip-hop d’un trio de jeunes artistes masculins, forcément passionnés et inspirés).
41Mais les séries ne se contentent pas d’illustrer ces lignes de fracture entre les cultures et les styles musicaux et chorégraphiques : elles les redistribuent et les redéfinissent par glissements successifs, au fil des performances live et en fonction des hiérarchies et des répertoires promus par les talent shows. Dans plusieurs séries (Vinyl, The Get Down, Treme, Nashville, Empire), les genres musicaux traditionnellement définis par leur authenticité (rock, hip-hop, country, jazz) entrent en tension avec des formes qui leur servent en partie de repoussoir. Mais bien que stigmatisés comme moins légitimes, ces autres genres – la pop, le disco, le R & B –, peuvent « bénéficier » dans les séries du voisinage de ces styles plus respectés, et acquérir par capillarité une forme de prestige, ou du moins d’ambivalence. Pour Keir Keightley, si le rock a su imposer sa conception de la culture musicale, et notamment son idéologie de l’authenticité, il n’est désormais plus le genre dominant de la musique populaire, ce qui explique que d’autres genres ont pu reprendre certaines des valeurs culturelles qu’il prône : « l’authenticité, la rébellion, l’opposition, la légitimité artistique et le sérieux sont maintenant des caractéristiques majeures de cultures musicales qui jusqu’à présent ne possédaient pas ces attributs, ou bien les minimisaient »55. Les séries « de coulisses » sont précisément un espace de négociation et de recomposition des frontières ainsi que des hiérarchies culturelles, musicales et chorégraphiques. Leurs numéros musicaux sont surtout le lieu qui concentre les tensions et contradictions culturelles, genrées et raciales qui les traversent.
Des performances chantées ambivalentes
42Le discours qui est tenu sur le disco dans The Get Down donne un aperçu du type de tensions culturelles et genrées qui parcourent de très nombreux numéros. Pour Shaolin (Shameik Moore), le disco de Mylene n’a aucune valeur, car seule compte la recherche du get-down. Mais la bande son contredit parfois ce discours en mêlant les genres, par exemple en superposant des accords de « Money, Money, Money » d’ABBA et le rap d’Ezekiel (Justice Smith) en ouverture de l’épisode 7, ou encore la reprise de « Up the Ladder to the Roof » des Supremes et une composition du jeune homme (E03). Pourtant l’enjeu est ici moins de rehausser la valeur du disco que de souligner, par des chevauchements musicaux, un dilemme narratif : lorsqu’Ezekiel court pour ne pas être en retard à l’enregistrement de « Set Me Free » de Mylene à l’église (E05), la superposition du début instrumental de la chanson et de la voix d’Ezekiel inventant ses rimes dans le métro signale simplement un choix impossible. En toute fin de série, le brouillage entre disco et hip-hop s’accentue : le dernier numéro musical commence par un enregistrement de « The Other Side » par Mylene, observée avec admiration par Ezekiel de l’autre côté de la vitre du studio. Les plans rapprochés frontaux de la chanteuse et les reaction shots admiratifs signalent l’aboutissement artistique que représente cette session d’enregistrement. Mais quand l’ingénieur du studio entend Ezekiel rapper, il lui propose de prendre la place de Mylene pour enregistrer un morceau, car c’est « comme de la poésie, comme du Gil Scott-Heron »56. Une nouvelle fois c’est bien Ezekiel – et non Mylene – qui est reconnu comme un « poète », un artiste, mais en dépit de ce préjugé genré le parallèle entre les deux jeunes gens devient explicite : tous deux prennent place devant le micro du même studio d’enregistrement, et l’accompagnement instrumental de « The Other Side » continue pendant la performance de rap d’Ezekiel. Si les deux jeunes gens sont finalement reconnus et célébrés comme des artistes, les lignes de séparation entre les styles musicaux (le disco « féminin » et le rap « masculin ») ne s’effacent jamais vraiment.
Les Power ballads, entre rock et pop
43Les séries où domine la pop (Glee, Star...) sont représentatives du phénomène, évoqué par Keightley, d’absorption des valeurs culturelles du rock ; sans figer les cultures musicales, elles travaillent à recomposer les lignes de fracture entre les styles et les légitimités. Ainsi, tout en s’adaptant à la plupart des normes contemporaines en matière de musique populaire (sonores, esthétiques, culturelles), ces séries exaltent aussi les marges, la rébellion, et l’opposition. La chorale de Glee se veut le refuge de tous les opprimés et les parias (underdogs) du lycée, qui voient dans leur participation une opposition à la norme que constituent le club des cheerleaders et l’équipe de football, ainsi qu’une forme d’accomplissement artistique dans des répertoires peu légitimes. Glee s’approprie des valeurs « rock » tout en conciliant des styles et des publics presque antinomiques, en particulier grâce à l’interprétation régulière de power ballads, un type de chanson qui permet de faire le lien entre le répertoire dominant de la série (les chansons pop, souvent des ballades sentimentales), et des morceaux de rock anciens, qui n’attirent que peu les jeunes chanteurs du Glee Club.
« Don’t Stop Believin’ », tube en séries
Alors que le rock en général, et les chansons du groupe Journey en particulier, sont présentés dans Glee comme une concession des jeunes chanteurs aux goûts démodés de leur professeur Will Schuester (Matthew Morrison), c’est bien une power ballad de Journey qui clôt le premier épisode, et qui est d’ailleurs devenue l’emblème de la série et sa reprise la plus téléchargée (voir aussi Annexe D). Les jeunes spectateurs du premier épisode de Glee, en mai 2009, n’étaient peut-être pas familiers de la chanson « Don’t Stop Believin’ », même si ce tube de 1981 connaissait depuis deux ans un regain de popularité, à la suite de son utilisation dans la dernière scène des Sopranos (S06E21, diffusé le 10 juin 2007 sur HBO), et à un degré moindre dans la comédie musicale Rock of Ages qui avait débuté quelques semaines auparavant, le 17 mars 2009, au Brooks Atkinson Theatre de Broadway : si les paroles de la chanson font écho au contexte diégétique et à la situation des personnages, l’effet d’intertextualité inscrit Glee dans une lignée de séries ambitieuses tout en permettant à certains spectateurs de reconnaître l’allusion. À la fin du pilote de Glee, la performance des jeunes chanteurs, un arrangement entraînant de la chanson de Journey, convainc leur professeur de ne pas abandonner la partie et de se battre pour « l’idée que la seule vie qui vaille la peine d’être vécue est celle qui nous fait éprouver de l’enthousiasme », une morale à la fois sentimentale et rebelle, mi-pop, mi-rock, énoncée peu avant par la conseillère du lycée McKinley High, Emma Pillsbury (Jayma Mays).
44Les power ballads en général sont des chansons qui se distinguent par « un processus d’intensification continue »57, et dans les années 1980 les groupes de rock adoptent ce format apparu une décennie plus tôt. Ils débutent leurs ballades avec des instruments acoustiques (ou un mélange d’instruments acoustiques et électriques) pour rapidement privilégier les guitares électriques et un son rock plus affirmé qui domine le reste du morceau58. C’est le cas de titres comme « Who’s Crying Now » et « Open Arms », avec lesquels « Journey marque un contraste entre des couplets pour des instruments acoustiques et des percussions contenues, et des refrains prévus pour des guitares électriques sonores et des percussions puissantes »59. « Don’t Stop Believin’ » adopte ce type de structure, avec un début marqué par la présence de la voix et du piano, avant qu’en fin de second couplet les paroles (« It goes on and on, and on, and on ») paraissent appeler la guitare électrique qui se fait entendre dans le pré-refrain. La version de Glee conserve cette configuration efficace de power ballad, et surtout le contraste entre les deux premiers couplets tout en retenue pop – bien adaptés au sentimentalisme des reprises habituelles des jeunes chanteurs – et une suite qui affirme davantage des valeurs et un son rock, grâce à la présence appuyée de la guitare électrique. Glee apporte finalement deux modifications notables à la composition de Journey : la chanson devient un duo mixte, et le piano des deux premiers couplets est remplacé par une simple note répétée par les backup singers. Pour David Metzer, la spécificité des power ballads des groupes de rock des années 1980, comme REO et Journey, est d’atteindre une intensité rock « afin de créer une énergie dans laquelle les auditeurs peuvent disparaître », souvent canalisée dans des solos de guitare électrique qui « distillent des connotations de liberté et de transcendance, deux qualités qui fonctionnent bien dans une power ballad »60. Dans les versions de Journey et de Glee, le solo de guitare électrique intervient peu avant la fin de la chanson, avant le refrain tardif. L’enthousiasme du duo de chanteurs et de leurs backup singers permet pour la première fois de souder le groupe, et de réveiller l’implication de leur professeur en validant la légitimité du Glee Club : tous sont galvanisés par l’énergie rock de la power ballad dont les paroles optimistes promettent empowerment et émancipation à condition de « croire » (« Don’t stop believin’ / Hold on to that feelin’ »).
45Les trois occurrences suivantes de « Don’t Stop Believin’ » marquent chacune une étape dans la formation du groupe et aussi l’implication du public grâce à l’intensité, l’énergie et la sincérité qui émanent de la performance. À la fin de la première saison (S01E22), le spectacle est désormais autant dans la salle que sur scène, et les mouvements de bras ascendants des jeunes chanteurs – qui accompagnent l’euphorie caractéristique de la power ballad et scandent une chorégraphie minimale tout en rappelant la signature kinétique d’artistes comme Céline Dion, dont le poing frappe fréquemment la poitrine avant de s’élever, en concert61 – conduisent à un panoramique ascendant vers la foule enthousiaste du balcon, signalant l’absence de solution de continuité entre le public et la scène. Les mouvements des spectateurs sont en cadence avec ceux des performers, et les applaudissements du public s’insèrent sans heurt dans la bande sonore. La dernière occurrence de la chanson (S05E13) met en lumière un nouveau mode d’implication dans une performance chantée. Tous les élèves de Will Schuester sont réunis pour un dernier adieu au Glee Club et pour célébrer leur professeur. La performance se caractérise d’une part par la réversibilité des positions et la participation de tous (en cours de chanson, de nouveaux élèves apparaissent sur scène et prennent le relais de Rachel Berry/Lea Michele pour chanter et danser au premier plan), et d’autre part par l’implication concrète du public : au début du troisième couplet, le geste emblématique des chorégraphies précédentes conduit à une haie de chanteurs qui brise la séparation entre la scène et la salle. Will Schuester, l’unique spectateur, est invité à prendre place sur scène avec ses élèves pour chanter les dernières paroles. Cette ultime reprise est une célébration mélancolique de la chorale mais aussi des pouvoirs de la reprise-répétition, tant celle-ci semble naturellement conduire à la participation enthousiaste du public.
Un encadrement genré et racial
46La reprise de power ballads permet ainsi à Glee de s’imprégner d’une authenticité rock sans renier une culture mainstream qui combine musique pop et bons sentiments, de mettre en tension des valeurs culturelles d’opposition avec la réaffirmation de normes idéologiques et sociales, notamment en matière d’identités genrées et raciales. Les power ballads des années 1980 ont pourtant enflammé le débat sur la frontière entre le rock et la musique pop et sur « les types d’expression émotionnelle qui conviennent aux rockers »62 : elles lient des motifs « masculins » (les longs solos de guitare électrique tout comme les vociférations de certains chanteurs) à des caractéristiques plus « féminines » (la sentimentalité des paroles, les couplets acoustiques), moins fréquentes dans le monde du rock. On retrouve cette fluidité genrée dans « Don’t Stop Believin’ », dont le solo de guitare électrique précédant le refrain final contraste avec la voix apaisée de Steve Perry et le clavier des couplets du début. Dans Glee, la chanson est utilisée pour apporter une crédibilité rock aux jeunes chanteurs de McKinley High, mais l’arrangement oriente « Don’t Stop Believin’ » vers des représentations genrées traditionnelles et un renforcement des rapports de pouvoir au sein de la chorale. Le solo mélancolique de Steve Perry est transformé en un duo romantique qui affirme fortement (par la hiérarchie des voix musicales comme par la scénographie de chacune des reprises) la légitimité de la norme sexuelle et raciale incarnée par le couple, blanc et hétérosexuel, formé par Finn Hudson (Cory Monteith) et Rachel Berry (Lea Michele), tandis que les autres membres de la chorale, qui appartiennent à des minorités raciales et sexuelles, sont de simple backup singers.
47Ce n’est évidemment pas l’un des moindres paradoxes de Glee que de prétendre célébrer un groupe d’outsiders, tout en reconduisant avec fermeté des formes de ségrégation, en particulier dans les interprétations musicales. Plusieurs commentateurs ont ainsi noté combien la jeune Mercedes Jones (Amber Riley), qui est noire, était musicalement désavantagée par rapport à ses camarades blancs : tout se passe comme si la couleur de la peau suffisait à cantonner un artiste à certains styles musicaux, à certaines reprises et à certains procédés d’interprétation, alors que les personnages qui sont caractérisés par leur sexualité ou leur religion ne rencontrent jamais de telles limitations63. Exacerbé dans Glee, ce mécanisme touche la plupart des autres séries. Dans High School Musical : The Musical : The Series, par exemple, la jeune Kourtney (Dara Renée), qui est noire, est la meilleure amie de l’héroïne (un emploi qui rappelle celui des servantes noires qui peuplaient les films classiques), et il faut presque attendre la fin de la saison pour l’entendre chanter (S01E08) : puissante et racialisée par le recours aux mélismes, son interprétation ne lui donne pas pour autant accès aux feux des projecteurs... De plus, les récits s’orientent dans des directions consensuelles et optimistes que les numéros musicaux contredisent frontalement : alors que plusieurs épisodes de Glee sont consacrés à l’injustice que critique avec vigueur Mercedes, les choix d’interprétation ne rétablissent jamais vraiment l’équilibre. Coutumière du répertoire des artistes noires (Dionne Warwick, Aretha Franklin, Whitney Houston, Janet Jackson...), la jeune femme interprète rarement en solo des titres de chanteuses blanches. Dans le domaine de la ballade, les seules incursions de Mercedes hors des chansons des artistes noires sont consacrées à « Don’t Wanna Lose You » de Gloria Estefan (une chanteuse d’origine cubaine) et « I Want to Know What Love Is » de Foreigner (que le groupe avait enregistré avec des chœurs du New Jersey Mass Choir, une chorale de gospel que l’on voit dans le clip de la chanson). Au début de la cinquième saison de Glee (S05E03), une circonstance exceptionnelle (une performance en l’honneur de Finn Hudson/Cory Monteith, récemment décédé) donne lieu à un hapax dans son répertoire : elle interprète « I’ll Stand By You », une power ballad des Pretenders, un groupe de rock britannique. Mais sa performance doit en réalité beaucoup à la version de Carrie Underwood – qui interpréta une version très pop de la chanson en 2007 pour Idol Gives Back, une émission spéciale d’American Idol où elle illustre un clip d’Underwood rencontrant des enfants africains. Surtout, Mercedes chante « I’ll Stand By You » avec sa technique habituelle : voix puissante rapidement poussée dans des extrêmes, performance physique particulièrement expressive (avec notamment d’amples mouvements des bras), chœur présent à partir de la reprise du refrain, accents mélismatiques sur certains monosyllabes particulièrement signifiants (« mad », « hour »). Tout comme dans les chansons soul des années 1960, la sincérité et l’authenticité de l’interprétation sont validées et racialisées par une référence insistante à des styles plus anciens et populaires (le gospel, le blues, voire les spirituals), notamment grâce aux mélismes, qui sont dans la chanson contemporaine en général – et dans les concours de talent musicaux en particulier – de véritables symboles de l’identité noire64. Comme dans American Idol, où ils sont légion, ces procédés (vocaux, visuels, physiques...) rappellent d’une part la place primordiale occupée par l’expression vocale dans les numéros des séries, et d’autre part permettent de souligner l’identité de la performance ; dans le cas des mélismes, il s’agit de bien marquer l’identité nationale des interprétations, et leur identité raciale65 : comme l’explique Katherine Meizel, dans American Idol « un chanteur à succès “performe” généralement à la fois une identité individuelle spécifique, et une identité familière, de nature ethnique, raciale, religieuse ou régionale, et fait la preuve de sa relation avec les récits plus généraux qui fondent l’identité américaine »66. Par ailleurs, comme dans les concours de talent, l’appropriation culturelle ou la référence à des genres ou des styles africains-américains permet de désigner l’authenticité – évidemment problématique – d’une performance.
Les ballades pop, entre sincérité et confort
48Les séries, de fait, multiplient les reprises de chanteuses pop des dernières décennies, avec une prédilection pour des chansons qui façonnent paradoxalement l’impression de sincérité, surtout lorsqu’elles sont narrativement intégrées et contextualisées : les chansons prennent alors une valeur particulière du fait qu’elles renvoient à un événement déchirant (diégétique et/ou réel) mais l’authenticité des émotions des interprètes, au sein de la fiction, comme les effets de contextualisation entrent finalement assez peu en jeu dans ces véritables « performances de sincérité »67. Plus que les affects éprouvés et que la contextualisation de la performance, et bien que le genre soit souvent considéré comme particulièrement inauthentique, c’est en soi « la chanson sentimentale, le chant sentimental, [qui] en est venu à être la marque publique de la sincérité »68.
49Simon Frith analyse la tension, dans la culture mainstream, entre la performance « acquise », expression d’une compétence (performance as something learnt), et la performance comme phénomène purement expressif (performance as something meant)69. Alors que les premières conceptions de la performance s’intéressent à la technique musicale, à la précision des gestes d’un instrumentiste (par exemple dans les numéros de Treme qui mettent en valeur les instruments), les cover songs des interprètes de Glee, par exemple, ne peuvent pas être jugées sur la seule base de compétences techniques que certains des chanteurs ne possèdent tout simplement pas. En revanche, l’excellence et l’authenticité de leurs interprétations peuvent être évaluées en fonction de leurs qualités expressives, de la justesse, de la sincérité et de l’honnêteté dont la performance se veut la preuve. La contextualisation des chansons sentimentales corrobore ce phénomène, et l’essentiel est bien, comme dans les talent shows, moins de produire une performance professionnelle que de proposer une personnalité authentique, notamment dans l’articulation entre segments backstage (qui viennent signaler la sincérité et l’humanité des performers) et performances scéniques (qui permettent de confirmer ces impressions). Les ballades des séries musicales atténuent pourtant fréquemment les interprétations les plus expressives et excessives.
50Au début de la saison 5 de Glee, un épisode entier (S05E03) rend hommage à Finn Hudson, l’un des piliers de la chorale dans les saisons précédentes, et à travers lui à Cory Monteith, son interprète récemment décédé. La reprise à cette occasion de « Make You Feel My Love » par Rachel Berry/Lea Michele est d’autant plus émouvante que Rachel a été absente de l’épisode, et ne rejoint ses camarades, vêtue de blanc, que pour chanter devant eux. L’interprétation de Michele s’écarte significativement de celle d’Adele (qui avait elle-même repris la chanson de Bob Dylan en 2008, dans son album 19). Plutôt que la voix retenue et les inflexions « néo soul » d’Adele, Michele interprète « Make You Feel » avec un mélange d’intimité et d’assurance. Au début du troisième couplet, la puissance vocale de la belter qu’est Michele se devine, mais dès le vers suivant elle revient à une retenue qui convient mieux à la ballade. Même si la performance se fait comme sans effort, on entend distinctement la respiration de l’interprète : rien ne s’immisce entre elle et nous, dans ce moment d’introspection et de retour sur le passé de la relation qu’elle entretenait avec le défunt. Cette performance d’excès émotionnel fonde son pathos essentiellement sur l’image : quelques plans de réaction montrent les larmes des camarades de Rachel, et dès le début de la séquence, la chanteuse sanglote, ses larmes comme la douleur exprimée par son visage devenant de plus en plus visibles en cours de performance. On entend bien l’émotion de la chanteuse dans sa respiration, notamment dans le troisième couplet, mais la fermeté de l’interprétation contraste avec les larmes et la vulnérabilité visibles à l’écran. Nous entendons une voix certes au bord des larmes, mais qui demeure pleine et ferme, et qui exprime une forme de modération et de retenue émotionnelle. Dans le public également, si certains pleurent, d’autres écoutent Rachel/Michele sans signe excessif d’émotion. En offrant une proximité maximale avec des chanteuses aux prises avec des émotions excessives, les ballades des séries backstage reproduisent le stéréotype genré de la diva prête à exprimer à cœur ouvert des sentiments intenses, mais nous enseignent paradoxalement une forme de retenue émotionnelle, et parfois de passivité : l’interprète est toujours capable de terminer sa chanson avec professionnalisme bien qu’en larmes, et les spectateurs l’écoutent sans manifestation intempestive de douleur. Plutôt que les sentiments excessifs des chanteuses pop des deux dernières décennies, les ballades des séries backstage nous font éprouver une sorte de « confort » qui rappelle les « sons opulents » (lush sounds) des chansons sentimentales des années 1950, alors obtenus grâce aux techniques d’enregistrement haute-fidélité :
« Les ballades pop de haute-fidélité nous font nous reposer dans des périodes de sons orchestraux confortables et mélodieux, en nous évitant toute dissonance ou tout autre son quelque peu rude. La voix ajoute une autre strate de confort. […] Plutôt qu’une peine intense, de nombreux enregistrements semblables offrent une mélancolie diffuse70. »
51On retrouve des caractéristiques similaires pour l’interprétation de « Jolene » par Shannon Beiste (S03E07). La chanson de Dolly Parton est une prière adressée à une femme pour la dissuader de séduire un mari, une véritable supplication qui convient parfaitement à la situation de Shannon Beiste (Dot-Marie Jones), qui assiste impuissante à la séduction de son compagnon par Sue Sylvester (Jane Lynch). Alors que la chanson fait partie du sous-genre des country weepers71, ces chansons déchirantes conçues pour faire pleurer la chanteuse comme son public, l’interprétation de Dot-Marie Jones est ambivalente : à l’image, l’émotion du personnage est bien visible, notamment avec les gros plans de visage qui encadrent la performance, mais la voix ne laisse guère percer les larmes ni même la détresse, comme l’ont bien noté plusieurs critiques lors de la diffusion de l’épisode72.
52Finalement, la performance de sincérité passe par l’affirmation de l’engagement physique des chanteuses, tant par les effets vocaux (belting, mélismes...) et la place dévolue à la respiration, que par les gestes et les postures qui marquent l’investissement émotionnel (visages crispés, corps tendus, gestes expressifs, adresse directe), mis en évidence par les valeurs de plans (des plans rapprochés aux gros plans), même si le jeu entre les aspects visuels et vocaux de l’interprétation tend souvent à euphémiser l’excès émotionnel. La corporéité de ces moments musicaux mise pleinement sur le brouillage entre la performance de sincérité des personnages (au sein de la fiction), et celle des interprètes eux-mêmes (avec renvoi à la réalité), ce qui est un ressort important des interprétations partiellement fondées sur des événements extérieurs à l’univers diégétique (comme la mort de Cory Monteith). Ainsi de très nombreux commentaires du clip de la chanson de Rachel/ Michele en l’honneur de Finn/Monteith analysent le jeu entre les deux performances : « La première fois dans Glee que Lea Michele chante à la place de Rachel Berry », juge l’un, « Aucune des deux ne joue. Ce sont des sentiments réels. Je ressens cela moi aussi. C’est tragique. Cory nous t’aimons. Repose en paix »73, commente l’autre.
53Parce que les mêmes caractéristiques d’une performance très physique et incarnée se retrouvent dans la plupart des interprétations de ballades, la contextualisation spécifique (une intégration narrative plus ou moins affirmée) et le lien si essentiel dans les talent shows entre représentation scénique et backstage importent finalement assez peu : les marqueurs de la sincérité consistent ici en une sorte de dispositif formel (ballade sentimentale, signes physiques de l’émotion intense, valeurs de plans spécifiques, brouillage entre acteur et personnage) qui peut être adopté à l’occasion. En raison de leur standardisation (notamment pour ce qui concerne l’enregistrement des performances vocales, sous l’autorité des music supervisors) et de leur omniprésence, les ballades peuvent autoriser, dans certaines séries, des tactiques de distinction et de différenciation : l’enjeu est alors de redonner vigueur et force évocatoire à la ballade en contournant le dispositif formel et les marqueurs de sincérité habituels. Cet aspect est crucial pour les séries du câble, qui doivent distinguer leurs numéros de la norme instituée par les ballades des séries et des talent shows des networks. Dans Treme, deux stratégies permettent ainsi de revisiter la forme de la ballade. Tout d’abord, les modalités sonores de production (enregistrement de l’image et du son en même temps, sans play-back) pallient la standardisation des techniques d’enregistrement des séries et contournent le lissage habituel des idiosyncrasies des interprétations, notamment pour les nombreux performers invités. Ensuite, les marqueurs habituels de la sincérité émotionnelle de la ballade (interprétation très physique, émotion intense...) sont tempérés : lorsqu’Annie Tee enregistre « This City » (S03E09), une chanson qui a tout de la ballade sentimentale, quelques gros plans de la jeune femme dont le visage est crispé sont des motifs visuels typiques de la sémantique du backstage télévisuel. Mais le contexte technologique du studio d’enregistrement, et aussi les nombreux plans des musiciens, où la chanteuse n’est visible que par son reflet dans la vitre du studio, viennent neutraliser le cliché et moduler la mise en scène attendue pour une ballade sentimentale. En raison de la place occupée par les ballades dans les séries comme dans la culture musicale contemporaine, ce type d’écart et de glissement permet aux séries du câble de définir et d’affirmer leur identité par rapport aux séries de network, et de pallier l’aspect aseptisé des interprétations sentimentales.
La danse face au défi des talent shows
54Les personnages principaux de plusieurs séries sont des danseurs, qu’il s’agisse de professionnels (Flesh and Bone, Fosse/Verdon), d’étudiants d’écoles de danse (Step Up : High Water), de participants des balls new-yorkais des années 1980 (Pose), ou encore d’amateurs plus ou moins confirmés comme les adolescentes apprenant la danse classique dans Bunheads. Dans chacune de ces séries, la danse n’est pas seulement le matériau d’attractions spectaculaires : elle nourrit la fiction, sert de trait d’union entre les différents personnages, tout en contribuant à définir leurs identités, et la façon dont les corps sont sculptés et modelés par les exigences des techniques comme des traditions chorégraphiques.
55La production de séries télévisées de fiction centrées sur la danse s’inscrit dans le sillage de l’immense succès, à la télévision, de certaines émissions de compétition (Dancing with the Stars [2005-], So You Think You Can Dance [2005-], America’s Best Dance Crew [2008-2015]...) ou de téléréalité (Dance Moms [2011-], Breaking Pointe [2012-2013]...). Ainsi, lors de ses débuts en 2005, So You Think... rassemble plus de 10 millions de téléspectateurs et, bien que les audiences aient depuis baissé, le programme est maintenu par FOX en 2020 pour une dix-septième saison. Ce sont donc avant tout ces émissions qui ont permis de faire découvrir la danse à des publics nouveaux, qui non seulement regardent avec assiduité ces talent shows, mais aussi commentent abondamment sur Internet les interprétations des danseurs et les décisions des juges, et jouent aux jeux vidéo de danse populaires au tournant des années 2010 (DanceMasters, Dance Dance Revolution, Dance Central...)74. La danse, dans les séries, permet aussi de reprendre et redistribuer les conventions des films, contemporains ou anciens, dont le sujet est le monde de la danse et la vie des danseurs : les séries ont également à voir avec la popularité des films de danse distribués depuis le début des années 2000, un cycle qui renouvelle les codes narratifs et formels, ainsi que les « mythes » attachés aux films de danse de l’époque classique hollywoodienne. La street dance n’est pas seule bénéficiaire de ce regain d’intérêt, et plusieurs films et franchises continuent à mettre en valeur l’univers du ballet classique. Comme les films de hip-hop, les ballet films75 visent un public jeune (adolescents et jeunes adultes), à l’exemple de la franchise Center Stage (2000-2016) ou encore Save the Last Dance (2001) qui combine danse classique et hip-hop, mais pas uniquement : Black Swan (2010) et The Company (2003), par exemple, ont été réalisés par des cinéastes vus comme des auteurs par la critique cinéphilique. En exhibant des indices génériques forts mais aussi les marqueurs d’une culture élitaire, celle du ballet classique, ces productions accomplissent un grand écart permanent entre film d’auteur et film de genre, un équilibre précaire que l’on retrouve aujourd’hui dans certaines séries de danse.
Les règles du jeu
56Plusieurs séries de danse rappellent moins les récits et les numéros spectaculaires des comédies musicales hollywoodiennes classiques que les formats des reality shows consacrés à la danse, et respectent à peu près scrupuleusement les règles du jeu de ces émissions. Si certaines séries sont consacrées à un style de danse (par exemple la danse classique avec Bunheads), la plupart préfèrent mettre l’accent sur la polyvalence des danseurs, et sur la variété des styles chorégraphiques présentés au fil des épisodes. On retrouve l’un des principes de So You Think... : lors des semaines centrales de la compétition, les concurrents doivent chaque semaine s’entraîner dans un nouveau style de danse avant de se livrer à une représentation publique qui permettra d’évaluer leurs compétences ainsi que l’étendue des efforts fournis pour accomplir des progrès. Dans le domaine fictionnel, la web-série The Legion of Extraordinary Dancers reprend cette règle du jeu en imaginant des danseurs de différentes spécialités (claquettes, danse classique et surtout plusieurs styles de danse urbaine proches du break-dance) dotés de super-pouvoirs, et en présentant une nouvelle danse par épisode. Pour les séries backstage, bien que Pose soit explicitement consacrée au voguing, chaque ball met en avant une ou plusieurs « catégories » de performance, par exemple « executive realness » (S01E01), qui exige de maîtriser une technique de défilé de mode en habit de cadre supérieur, ou encore « lofting » (S02E04), du nom d’une danse urbaine new-yorkaise de la période, voisine du voguing. Dans Step Up : High Water, les étudiants de l’école de danse sont initiés à des techniques variées, qui vont de spécialités peu connues – qui montrent que les séries comme les talent shows n’hésitent pas à avoir recours aux cultures locales et à des styles très pointus – à des styles mainstream ou patrimoniaux, du J-Setting (S01E06), un style de danse propre à l’État du Mississippi, aux claquettes (S01E04) : les élèves suivent en effet une formation accélérée en claquettes dispensée par Savion Glover lui-même (un danseur réputé qui, en 2016, fut aussi l’un des chorégraphes de So You Think...) et sont capables, en fin d’épisode, de participer à une représentation dans le couloir de l’école qui montre bien les efforts accomplis pour maîtriser la technique. Ensuite, comme dans plusieurs talent shows (The Voice, en particulier), les danseurs sont fréquemment réunis en équipes avant de se livrer à une compétition sans merci. Les « maisons » (houses) de Pose placent ainsi les différents personnages sous l’autorité d’une « mère » (mother) dont les décisions sont respectées dans la vie courante comme dans l’univers du voguing, ce qui est à la fois fidèle à la culture urbaine dont s’inspire la série (bien montrée dans le documentaire Paris Is Burning, qui est l’une des sources de la série) et aux règles du jeu de plusieurs émissions de téléréalité, dont The Voice, une émission où les candidats, à l’issue d’une phase d’auditions « en aveugle » (blind auditions) rejoignent l’équipe d’un « coach » chargé de les préparer pour les étapes suivantes de la compétition.
De Step Up à Step Up : High Water
Disney, avec son label Touchstone Pictures, a produit en 2006 Step Up, premier opus d’une franchise qui comprend aujourd’hui cinq titres. Step Up met en scène une opposition entre styles de danse assez fréquente dans les films musicaux : un jeune danseur de hip-hop a la possibilité de danser avec une élève d’une école d’art et de l’aider à préparer un spectacle de danse jazz pour son spectacle de fin d’année. Si le second film se déroule dans la même école de Baltimore, l’accent, comme dans les épisodes 4 et 5, est désormais mis sur les battles de street dance au cours desquelles s’affrontent des crews de danseurs. Le succès des films a provoqué le lancement de produits dérivés sous la forme de vidéos de danse et de fitness, et a servi de base à l’écriture d’une web-série, Step Up : High Water, dont une saison de dix épisodes est diffusée sur la chaîne YouTube Premium à partir de début 2018. Lionsgate – qui a repris la franchise – s’est associé avec le producteur chinois Infinity Pictures pour tourner Step Up : Year of the Dance en Chine continentale, en raison de la popularité en Asie des trois derniers épisodes. Lionsgate a aussi développé « Step Up Dubai, All In ! », une attraction scénique pour le parc à thème Motiongate de Dubaï.
57La mise en scène d’une émission comme So You Think... se fonde sur les principes de la téléréalité pour nous offrir plusieurs types de point de vue sur la compétition de danse76 : des gros plans des concurrents et des juges, « toujours saisis dans des moments d’approbation intense et de vive réponse émotionnelle à ce qu’ils viennent de voir sur scène »77 ; des moments de répétition qui nous montrent parfois les tentatives malheureuses des participants, qui bien souvent réussiront lors des représentations à accomplir ce qui posait précédemment problème ; des vignettes dans lesquelles les concurrents s’expriment face caméra sur leurs rêves et leur ambition ; les performances scéniques, enfin. Dans les séries, le découpage ne cherche pas à réunir ces quatre étapes (comme c’est le cas dans les talent shows), mais elles sont souvent bien scandées dans les épisodes. Dans le pilote de Pose, par exemple, une audition décisive du jeune Damon (Ryan Jamaal Swain) pour une école de danse est précédée de plusieurs moments, dès le début de l’épisode, où le jeune homme est montré dans sa pratique de la danse. Les moments de « confessionnal », ensuite, sont fictionnalisés : en début d’épisode, le gros plan d’un article de magazine montre que Damon s’intéresse à une école de danse moderne, The New School for Dance, et peu après il affirme à son père qu’il est bien un danseur. Juste avant sa performance de danse, en fin d’épisode, Blanca (Mj Rodriguez), sa « mère », explique à une professeure de l’école en question quels sont les mérites du jeune homme, et sa tirade décisive face caméra, à cœur ouvert, est l’équivalent d’une véritable confession. Enfin, la séquence de danse elle-même alterne des gros plans du jeune danseur et de ses juges (souvent des plans de réaction qui montrent la réponse émotionnelle intense des uns et des autres), et offre de nombreux points de vue sur la performance : les angles de caméra variés ainsi que les nombreux gros plans de différentes parties du corps mettent en valeur les moindres mouvements du danseur, la mobilité de la caméra comme les brusques changements d’échelle des plans accompagnent le dynamisme et l’énergie de la danse. Comme dans So You Think..., « le filmage à plusieurs caméras sert à accroître la valeur de chaque moment dans la chorégraphie »78, et à donner l’impression d’assister à une performance live. Cet aspect est accentué dans les séquences de voguing, où le dispositif de mise en scène, fidèle à la tradition culturelle représentée, rappelle pourtant astucieusement la téléréalité, en particulier les mises en scène de RuPaul’s Drag Race (fig. 16). Toutes les séquences sont en effet introduites et commentées par Pray Tell (Billy Porter), un MC dont le rôle est tout à fait semblable à celui des animateurs (hosts) des concours de talent comme des variety shows. Lorsque la performance se déroule en début d’épisode (par exemple S02E04), les spectateurs sont plongés in medias res dans une ambiance festive qui mêle commentaires du MC, applaudissements et cris du public (comme dans les talent shows), dont les réactions et les visages sont fréquemment montrés. Si les points de vue sur la performance proprement dite sont multiples, les plans frontaux filmés en courte focale caméra près du sol dominent, et mettent en valeur la technicité de la danse. Quelques effets proprement spectaculaires (par exemple, un rapide travelling avant en plongée depuis une boule à facettes) visent à accroître l’énergie de l’ensemble.
Fig. 16. Miss Candy (Angelica Ross) revient d’entre les morts, dans une mise en scène inspirée des spectacles de RuPaul’s Drag Race (Pose, S02E04).

Tu crois que tu sais danser ?
58Au-delà de ce respect des « règles du jeu » des émissions de talent et d’une reprise des mises en scène propres à ces formats d’émissions, les séries de danse adaptent les types de récit des talent shows. So You Think..., comme toutes les émissions fondées sur les principes généraux promus par American Idol, commence en effet par une phase de sélection (open auditions) rassemblant de véritables foules, avant de passer à des rappels (callbacks) puis à une phase finale de compétition (finalist stage). Susan Foster souligne le paradoxe qui sous-tend l’émission : alors que dans la première phase les candidats sont sélectionnés sur la base de leur propre chorégraphie et de leur performance, c’est-à-dire en fonction de leur créativité et de l’originalité de leur style, lors des phases ultérieures ils devront au contraire apprendre à danser en couple et non plus seuls, et surtout se montrer capables d’apprendre des styles de danse nouveaux chaque semaine, et de respecter des chorégraphies dont ils ne sont pas les auteurs79. On retrouve ce parcours narratif et ces paradoxes dans des séries de danse qui ne sont pourtant pas explicitement centrées sur la compétition : dans Step Up : High Water comme dans Pose, une fois que les danseurs ont rejoint un groupe de danseurs (une école de danse, une « maison » de voguing), ils doivent se plier à des règles strictes assez peu compatibles avec l’idéologie d’expression de soi et de créativité qui règle les performances dansées dans les films musicaux classiques. Pour Susan Foster, dès qu’ils sont recrutés, les apprentis danseurs des talent shows devront en réalité abandonner ce qu’ils croient savoir en matière de danse pour faire la preuve de leur capacité à travailler de façon assidue, à faire de nombreux efforts, et à acquérir des techniques de danse et de travail (voir chapitre 5).
59Toutes les séries détaillent aussi une phase correspon- ”dant à l’étape de sélection, qui conjugue des orientations contradictoires en combinant une valorisation de l’expressivité (typique des comédies musicales classiques) et une recherche de l’authenticité et de la sincérité (typique des talent shows). Pose et Step Up reprennent un même motif narratif et spectaculaire : l’improvisation d’une performance dansée qui semble hésitante, mais est paradoxalement saluée par tous. Dans le premier épisode de Pose, en improvisant sur « I Wanna Dance with Somebody » de Whitney Houston – une chanson tout indiquée pour démontrer son irrépressible désir de danser –, Damon semble faire preuve des qualités de simplicité et de spontanéité qui assurent presque à coup sûr, selon Jane Feuer, le succès d’une représentation ou d’une interprétation dans les musicals classiques, ces films où « la performance chorégraphique s’apparente à un réflexe involontaire »80. Au début de Step Up : High Water, Tal (Petrice Jones) et Janelle (Lauryn McClain), deux jumeaux, s’installent chez leur oncle, à Atlanta, et Janelle franchit les différentes étapes du processus de sélection pour intégrer High Water, une école artistique pour jeunes issus de milieux défavorisés (S01E02). Lors de l’ultime test, son frère Tal surgit contre toute attente dans la salle d’audition, hors d’haleine et les vêtements déchirés : harcelé dans son lycée, il a fui et supplie désormais qu’on le laisse passer une audition. Au terme de cette audition surprise, il est accepté dans l’école, tandis que sa sœur est recalée.
60Finalement, ces séries de danse semblent retrouver, plus encore que les fictions centrées sur le chant ou la pratique instrumentale, les mécanismes identifiés par Jane Feuer, nous offrant une nouvelle version de ces « fantasmes idéologiques d’émancipation, de créativité et de spontanéité que véhiculent les médias audiovisuels dédiés à l’exploitation des performances musicales »81. La spontanéité des jeunes interprètes fait en effet merveille, notamment celle de Damon, qui n’hésite pas à se livrer, comme dans les anciens musicals de la MGM, à une sorte de « bricolage » qui lui permet d’investir le vaste espace de la salle d’audition : dans les films de l’âge d’or, « les interprètes utilisent les accessoires à portée de main – rideaux, objets divers disponibles sur le plateau, parapluies, mobilier – pour créer le monde imaginaire propre à la performance musicale »82. Pendant sa danse, Damon a la présence d’esprit de pousser une table, de grimper sur l’autre, et surtout d’établir un contact physique avec deux de ses juges (les paroles de la chanson de Whitney Houston invitent précisément à danser « avec quelqu’un »).
61La valeur accordée dans ces séries à la spontanéité et à l’expressivité ne recoupe que partiellement les figures du musical hollywoodien classique : les interprètes ne sont ici pas opposés à des danseurs « inauthentiques » dont la technique permettrait de valoriser leur naturel et leur liberté ; la spontanéité ne reflète pas exactement une « attitude joyeuse et réceptive par rapport à la vie »83 ; le « bricolage » enfin ne vient guère masquer la technologie comme le travail de production de spectacles, une constante des numéros analysés par Jane Feuer. Comme dans les talent shows, la danse doit surtout refléter la sincérité et l’authenticité des artistes eux-mêmes, qui sont affirmées par des discours préalables, par le lien entre récit et numéro musical. Dans Pose, c’est Blanca qui convainc la directrice du département de danse : « savez-vous quelle est la plus grande douleur qu’une personne puisse rencontrer ? La plus grande tragédie qui puisse marquer une vie ? C’est d’avoir une vérité à l’intérieur de soi et de ne pas être en mesure de la partager. C’est d’avoir une immense beauté et que personne ne soit là pour la voir »84. Dans Step Up, Tal est tout aussi explicite : « la danse, ce n’est pas uniquement ce que je fais, mais c’est ce que je suis »85. Dans les deux cas, la performance spectaculaire est authentifiée par la validation (mélodramatique) de la valeur et du talent des jeunes gens, et la danse s’entend à la fois comme performance et comme confirmation d’une identité. C’est bien la sincérité supposée d’une interprétation autant que sa spontanéité (ou même sa technicité) que valorisent les séries de danse, et une performance chorégraphique ne convainc donc un public diégétique que si l’honnêteté et la bonne foi du danseur ont été certifiées par un discours préalable. Dans So You Think..., cette authenticité est certifiée à la fois par les moments de répétition et de confessionnal, mais aussi par les commentaires des juges qui discutent souvent de « la capacité ou l’incapacité d’un interprète à convaincre les spectateurs de l’authenticité des sentiments [qu’ils expriment pendant leur interprétation] »86. Lors de ces premières « sélections », la technicité et la précision des performances s’effacent derrière des performances de sincérité, et la danse permet de jauger autant l’interprétation que le performer.
62Les séries de danse conjuguent des orientations distinctes mais proches, assez différentes des mythes du divertissement que l’on trouve dans les musicals hollywoodiens et toujours liées à la valeur de la performance dans les talent shows. D’une part, la danse autorise des « fantasmes d’accomplissement » (les « fantasies of achievement » qu’Angela McRobbie voit à l’œuvre dans Flashdance, un récit de « mobilité sociale désirée »87), des rêves de réalisation de soi qui ont comme intégré les discours des chansons qu’aiment tant les interprètes : pour que le songe devienne réalité, il faut posséder une « vérité à l’intérieur de soi » (Damon), croire en sa bonne étoile envers et contre tous (dans les séries portant sur le chant, voir par exemple le nombre important de reprises de Glee dont le titre comprend le mot « believe »). D’autre part, les discours qui permettent de comprendre les qualités des jeunes danseurs rappellent les vignettes biographiques (ou autobiographiques) ainsi que les séquences de confessionnal d’American Idol et autres concours de talent, dans lesquelles des proches d’un candidat viennent rappeler, face caméra, dans des dispositifs de mise en scène inspirés de la téléréalité, des anecdotes certifiant son honnêteté, sa moralité et son humanité, et qui permettent à la performance de produire de l’effet sur les publics.
Sincérité des interprétations et des interprètes
63Autant que les performances, les séries s’efforcent ainsi d’authentifier les performers, et les critiques comme les réactions des fans se cristallisent – et se crispent – fréquemment sur les représentations des corps des danseuses, pointant en cela combien le physique tout comme la construction des identités sociales, sexuelles, raciales et genrées sont des préoccupations majeures des séries de danse qui cherchent absolument, lorsqu’elles reprennent des traditions spécifiques, à éviter le reproche d’appropriation culturelle : si la critique est formulée à plusieurs reprises au sujet des performances de danse de Glee (et notamment ses performances de danse inclusive), plusieurs séries prêtent une grande attention à ce type d’enjeux (en particulier Pose, du même Ryan Murphy, qui veille soigneusement à éviter le reproche, avec le sujet particulièrement sensible de la culture du voguing).
Ryan Murphy, prince des séries musicales
Connu pour l’accord de 300 millions de dollars qu’il a conclu avec Netflix en 2018, le scénariste et producteur Ryan Murphy a joué un rôle déterminant dans la popularité des séries musicales (les succès publics et critiques que sont Glee et Pose) et plus largement dans l’utilisation de la musique dans les séries TV. La musique joue un rôle narratif crucial dès nip/tuck (lors des opérations chirurgicales, des morceaux sont diffusés sur la chaîne hi-fi du cabinet, montrée de façon ostensible à l’écran), et dans chacune des séries non musicales créées par Murphy. Bien que la représentation des minorités, en particulier sexuelles et raciales, pose problème dans plusieurs séries de Murphy (notamment Nip/Tuck et Glee), Pose, dont la distribution comporte de nombreuses comédiennes transgenre, est aussi une tentative de réponse à ces critiques.
64La question du handicap est abordée dans plusieurs scènes de danse, en particulier Glee et Step Up : High Water. Dans l’épisode « Wheels » de Glee (S01E09), Will Schuester demande à tous ses élèves de passer quelques heures par jour en chaise roulante pour toucher du doigt la souffrance de leur camarade handicapé Artie (Kevin McHale). Dans la dernière séquence de l’épisode, un numéro d’ensemble en chaise roulante, tous dansent sur la chanson « Proud Mary ». Au cours de l’épisode, Tina (Jenna Ushkowitz) compare son propre bégaiement au handicap du jeune homme, alors qu’elle vient de lui avouer qu’elle simule sa différence depuis des années. Apprenant cela, Artie la quitte en expliquant « This isn’t something I can fake ». Mais certains commentateurs relèvent que la série se livre non sans un certain cynisme à du crip drag (une pratique de travestissement comparée à du blackface88), en faisant jouer le rôle d’un personnage handicapé à un acteur qui ne l’est pas. C’est enfin le spectacle de danse final qui suscite plusieurs critiques, en raison de sa méconnaissance des traditions et des formes de danse inclusive :
« Le seul mouvement potentiellement intéressant que “fasse” apparemment McHale est un cut – il roule sur une roue arrière. Le reste se distingue par la façon de montrer que des personnes valides, qui n’utilisent pas de fauteuil roulant, considèrent vraiment les fauteuils comme des bicyclettes que l’on dirige avec les bras. Il n’y a absolument aucune “intégration” entre le corps et le fauteuil89. »
65Si l’épisode a reçu des critiques plutôt positives dans la presse généraliste (il serait entièrement centré sur l’empowerment des personnes handicapées, et permettrait à tous de comprendre l’expérience d’Artie), il a en revanche été vertement critiqué par des personnes handicapées, qui jugent que « Wheels » renforce des stéréotypes sur le handicap. L’enjeu de la séquence de danse finale est avant tout de souligner la bonne grâce des camarades d’Artie, qui acceptent avec générosité de l’accompagner pour ce numéro en chaise roulante. Ce faisant, Artie épouse le stéréotype du « Charity Cripple »90, une personne handicapée qui souhaite être acceptée par des personnes valides, cherche à se faire aimer et à susciter de l’affection, et qui fait ressortir le caractère charitable de son entourage. La mise en scène ne vise pas, ici, à authentifier la performance ni même le danseur (le crip drag de McHale invalide toute prétention de sincérité), mais bien les valeurs humaines de son entourage : c’est un exemple typique des stratégies de Glee en matière de performance, représentatif de l’« authenticité à la deuxième personne » (second person authenticity91), dans la typologie d’Allan Moore, pour qui le processus d’authentification musicale consiste moins à se demander ce qui est authentifié (une performance de danse, un genre musical), que qui est authentifié. Pour Moore, l’authenticité « à la deuxième personne » survient lorsqu’une performance musicale ou chorégraphique parvient à procurer l’impression à ses publics que ce sont leurs valeurs qui sont validées par l’intermédiaire de la performance. Dans Step Up : High Water, à l’inverse, une séquence analogue permet d’authentifier les artistes (first person authenticity, pour Moore), et de montrer à quel point les représentations du corps des danseurs concentrent tous les enjeux. Pour séduire une jeune femme, un danseur (Eric Graise) l’invite dans un studio de danse et accomplit pour elle une performance élaborée (S01E09). Le personnage est interprété par un acteur amputé des deux jambes qui effectue ici une longue chorégraphie au début de laquelle il descend de son fauteuil roulant, avant de réaliser de nombreux mouvements au sol et sur la chaise. Dans ce cas précis, la sincérité et la vérité de la performance/du performer ne sont pas incompatibles avec la technique chorégraphique, validée par les vidéos de promotion de la série, en particulier une bande-annonce promotionnelle au cours de laquelle le comédien explique son parcours de danseur, et une vidéo de démonstration de danse inclusive. C’est dire que les performances de sincérité dansées misent elles aussi, en particulier grâce à ces compléments para- et métatextuels, sur le brouillage entre sincérité des personnages, dans la fiction, et sincérité des danseurs, dans le monde réel. Dans la vidéo de démonstration de danse92, le comédien commence par évoquer le personnage qu’il interprète, avant de revenir sur son expérience de danseur professionnel, et dans les commentaires de la vidéo, certains spectateurs semblent découvrir que le comédien est réellement handicapé (et que la performance n’est pas le résultat d’effets spéciaux), tandis que d’autres clament alternativement leur amour et leur admiration pour le personnage, ou pour le comédien qui l’interprète. Les controverses critiques sur ces questions de représentation rejoignent ainsi les débats sur l’authenticité, la sincérité et l’honnêteté des interprétations et des interprètes, typiques des talent shows.
66La grande variété générique des séries centrées sur la danse (depuis la série documentaire My House jusqu’à la comédie qu’est Bunheads) tient autant à des traditions de genre bien établies dans le cinéma américain (documentaires de danse, dance musicals et ballet films) qu’à la place renouvelée qu’occupent aujourd’hui les cultures chorégraphiques dans plusieurs médias (spectacles live, bien entendu, mais aussi cinématographiques et télévisés). Toute la gamme des films, téléfilms, talent shows et émissions plus ou moins compétitives consacrés à la danse traitent de traditions très variées, ce qui explique que les performances des séries backstage puissent puiser dans un répertoire classique (Flesh and Bone, Bunheads), mais aussi s’inspirer de genres chorégraphiques plus ou moins représentés dans d’autres médias (de la street dance de Step Up : High Water jusqu’au voguing de My House et Pose). Dans les attractions spectaculaires offertes par ces séries, la précision et la technicité des performances ne priment véritablement que dans les séries portant sur la danse classique, et dans les autres séries les numéros misent souvent sur d’autres ressources (le montage et les effets de mise en scène, en particulier les costumes et les décors) pour véritablement prendre en charge le spectacle visuel.
67Plus généralement, ce premier chapitre a montré que les reality talent shows comme les séries backstage créées dans les années 2000 conçoivent la performance (chantée, instrumentale, chorégraphique) comme une attraction, sonore et surtout visuelle, dont la puissance doit pouvoir ravir les publics – diégétiques et dans le monde réel – de ces spectacles. Bien que presque toujours fondées, à la différence des talent shows, sur les techniques du play-back et du synchronisme labial, les séries ne cessent de solliciter une « sensation de live » qui est une garantie d’authenticité, sur laquelle les talent shows misent également grâce au live broadcast. Sans avoir précisément détaillé les similitudes entre un concept d’émission spécifique et un format de série télévisée (Pose et RuPaul’s Drag Race, Glee et American Idol, etc.), ce chapitre visait aussi à montrer comment les performances de chant et de danse des séries backstage sont modélisées en fonction des interprétations des talent shows, qui relèvent d’un même mode spectaculaire. À plus d’un titre, le modèle télévisuel, populaire et commercial (« lowbrow », dans le contexte culturel américain) de ces émissions s’oppose frontalement au modèle scénique, élitaire et plutôt cultivé (middlebrow) des comédies musicales de Broadway qui seront envisagées dans le chapitre suivant. Les modèles spectaculaires du cycle backstage sont aussi à chercher dans d’autres médias et dans d’autres formes (le clip et la comédie musicale hollywoodienne), mais les talent shows comme les musicals scéniques ont connu depuis le tournant du siècle des succès retentissants ainsi que des ajustements et des transformations (en termes de format, de structures industrielles) qui ont eu une influence profonde et durable sur le cycle de séries musicales « de coulisses ».
Notes de bas de page
1 Jason Mittell, Complex TV : The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York et Londres, NYU Press, 2015, p. 32 ; « the carefully controlled dramatic and comedic manipulation of plots and characters that reality producers find more difficult to generate ».
2 Ibid., p. 43.
3 Ibid., p. 45 ; « baroque variations on themes and norms ».
4 Guy Redden, « Making Over the Talent Show », in Gareth Palmer (dir.), Exposing Lifestyle Televisions : The Big Reveal, Aldershot, Ashgate, 2008, p. 129-144. Citation p. 134-135 ; « articulate the competitive sociality of capitalism ».
5 Ibid., p. 134 ; « “deserved” fame ».
6 Ibid. ; « […] reckoning, rating and ranking [of skill] involves more complex evaluation than the objective tests of knowledge in most quiz shows ».
7 Henry Jenkins, Convergence Culture : Where Old and New Media Collide, New York, NYU Press, 2006, p. 71 ; « At every step along the way, the viewers are invited to imagine that “it could be me or someone I know” ».
8 Les disques issus des concours de talent sont ainsi présents dans les hit-parades de fin d’année (voir Annexe E). Voir aussi Henry Jenkins, Convergence Culture, op. cit., p. 71.
9 Matt Stahl, Unfree Masters : Recording Artists and the Politics of Work, Durham (NC) et Londres, Duke University Press, 2013, p. 50. American Idol, 23 juin 2002.
10 Simon Cowell, American Idol, 23 juin 2002 ; « America is not known for nice singers, it is known for great singers, and you’re one of them ».
11 Helen Wheatley, Spectacular Television : Exploring Televisual Pleasure, Londres et New York, I.B. Tauris, 2016, p. 13-14 ; « united aesthetically by a sense of gloss, by bright lights, glitter and shine, and by the transformation of the televisions tudio or arena into spec tacular space » ; « a sense of glamour ».
12 « It was not a performance. That was an act, okay ? There is nothing artistic about wind machines and smoke » (Nashville, S01E12).
13 Katherine Meizel, Idolized : Music, Media, and Identity in American Idol, Bloomington (IN) et Indianapolis, Indiana University Press, 2011, p. 56.
14 Michael Schneider, « FOX to See if Glee Strikes Chord with Idol Aud », Variety, 27 avril 2009, p. 9 ; « obvious compatibility » ; « a perfect fit for the singing competish ».
15 Ibid. ; « the same kind of aspirational / wish-fulfi llment storylines ».
16 Amanda Lotz, The Television Will Be Revolutionized, 2e éd., New York, NYU Press, 2014, p. 48 et 123.
17 « FOXInvites “Glee” Fans to Join the “Biggest Gleek” Competition at WWW.FOX.COM/GLEEK », 25 août 2009, Facebook.com, page consultée le 10 septembre 2019. URL : https://urlz.fr/cO19 ; « Who is the biggest Gleek ? Glee premieres Wednesday, September 9, on FOX. Do you feel the constant urge to sing the GLEE cast version of “Don’t Stop Believin’” ? Have you rallied your friends to watch GLEE this fall ? Think you’re the biggest GLEEK ? If so, then prove it ! ». Voir aussi Amanda Lotz, The Television Will Be Revolutionized, op. cit., p. 126.
18 Meg James, « NBC’s “The Voice” Is Strong But “Smash” Not Living Up To Hype », The Los Angeles Times, 15 février 2012.
19 William Baumol et William Bowen, Performing Arts : The Economic Dilemma, New York, Twentieth Century Fund, 1966. Les principes de Baumol et Bowen sont présentés de façon synthétique par Simon Frith, « Live Music Matters », Scottish Music Review, vol. 1, no 1, 2007, p. 1-17. Ces principes ont également été exposés par Joël Augros : « Prologue (Lloyd Bacon, 1933) ou Comment la loi de Baumol prévalut. Notes sur l’industrialisation du spectacle musical », intervention dans le cadre du séminaire « Le film musical hollywoodien et ses modèles spectaculaires : entre “rétro” et avant-garde », 21 janvier 2016. Baumol et Bowen montrent que pour chaque concert, les organisateurs doivent payer un nombre de musiciens et de techniciens qui peut difficilement être comprimé, et que le nombre de spectateurs pouvant être accueillis est contraint par la taille et par l’acoustique des salles. En matière de musique enregistrée, en revanche, un nombre limité de musiciens permettra de produire des enregistrements susceptibles d’alimenter le marché mondial, la technologie facilitant en outre une réduction des coûts de production. Pour les organisateurs de concerts, la seule issue demeure d’augmenter les prix des places, et ce bien au-delà de l’inflation.
20 Simon Frith, « Live Music Matters », op. cit., p. 2 ; « As people spent more time listening to music at home (on record, radio and television) so they spent less time going to hear live performers in bar rooms and public halls. »
21 Ibid., p. 5 ; « A live concert is not simply a transitory experience but also symbolises what it means to be a music fan. »
22 Ibid., p. 6.
23 Philip Auslander, Liveness : Performance in a Mediatized Culture, 2e éd., Londres et New York, Routledge, 2008, p. 60.
24 Ibid., p. 61 ; « the experience of liveness is not limited to specific performer-audience interactions but to a sense of always being connected to other people, of continuous, technologically mediated co-presence with others known and unknown ».
25 Ibid., p. 62 ; « the audience’s affective experience ».
26 Henry Jenkins, Sam Ford, Joshua Green, Spreadable Media : Creating Value and Meaning in a Networked Culture, New York, NYU Press, 2013, p. 142 ; « a range of shows now encourage real-time tweeting, based on a burgeoning industry logic that these conversations are creating a stronger incentive for audiences to watch the shows “in real time” (even if only to avoid “spoilers”) ».
27 « This TV season’s biggest moments on twitter », 2 juin 2014, URL : https://urlz.fr/dubr. Les spectateurs de l’émission du 13 mai 2014 de The Voice ont échangé 1,92 million de tweets, avec un pic de 310 000 tweets à 20 h 59. « TV season in review : the top social moments of the 2016-17 season », 7 juin 2017, URL : https://urlz.fr/dubi. Pages consultées le 3 mars 2019.
28 « TV season in review : biggest moments on Twitter », 1er juin 2015, URL : https://urlz.fr/dubL. Page consultée le 3 mars 2019.
29 « TV season 2015-2016 in review : the biggest social TV moments », 6 juin 2016, URL : https://urlz.fr/dubQ. Page consultée le 3 mars 2019.
30 Susanna Lazarus, « Nashville creator Callie Khouri reveals season 3 will begin with a live broadcast », RadioTimes, 10 juillet 2014. URL : https://urlz.fr/dEwO. Page consultée le 3 mars 2019. « The live music here is such a huge presence in our show that we thought maybe we could find a way to share with the world what that feels like for real. »
31 Ruthie Fierberg, « What to Expect From Disney+ High School Musical : The Musical : The Series », Playbill, 12 novembre 2019. URL : https://urlz.fr/dFM7. Page consultée le 3 février 2020 ; « I knew that really talented singers who could really sing live can do something that touches an audience that autotune can’t. From Kate Reinders to our youngest cast members, they sing the songs live. »
32 Jane Feuer, « Réflexivité et mythologie du divertissement dans la comédie musicale », in Marguerite Chabrol & Laurent Guido (dir.), Mythologies du film musical, Dijon, Les presses du réel, 2016 [1977], p. 61-81.
33 « Olivia Rodrigo, Julia Lester - Wondering (HSMTMTS | Ashlyn & Nini Piano Version | Disney+) », YouTube.com, vidéo postée le 14 novembre 2019. URL : https://www.youtube.com/watch?v=Wc8008B4ENI, page consultée le 3 juillet 2020. Ont été consultés les cent premiers commentaires (non classés) s’affichant à cette date en dessous de cette vidéo consultée plus de 6 millions de fois. « No one is talking about Julia Lester’s beautiful strong voice » (Livi) ; « Julia and Olivia’s voices harmonise together amazingly » (Charlotte Hughes) ; « The fact that this was filmed live makes this version ten times better » (Dylan Reyes) ; « And the fact that they sang this LIVE and not lip syncing to a prerecording is AMAZING » (Canaan Andrew).
34 Jane Feuer, The Hollywood Musical, 2e éd., Bloomington (IN) et Indianapolis, Indiana University Press, 1993, p. 23 ; « The Hollywood musical worships live entertainment because live forms seem to speak more directly to the spectator. »
35 Misha Kavka, Reality TV, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2012, p. 153.
36 Ibid., p. 154 ; « To stand out as a potential star, one has to be original (despite singing cover tunes), authentic (despite having been coached, styled and choreographed) and extraordinary (despite manifesting the ordinariness required of reality TV participants). »
37 Su Holmes, « “Reality Goes Pop !” : Reality TV, Popular Music, and Narratives of Stardom in Pop Idol », Television & New Media, vol. 5, no 2, mai 2004, p. 147-172, p. 155.
38 Ibid., p. 160 ; « moments of sincerity – gestures that appear unpreme-ditated, uncontrolled – particularly as they are articulated through the revelatory structure of the close-up ».
39 Richard Dyer, « AStar Is Born and the Construction of Authenticity », In The Space of A Song, Londres et New York, Routledge, 2012, p. 81-88.
40 Matt Stahl, « A Moment Like This : American Idol and Narratives of Meritocracy », in Christopher J. Washburne et Maiken Derno (dir.), Bad Music : The Music We Love to Hate, Londres et New York, Routledge, 2004, p. 165-181, p. 170-171.
41 Il s’agit d’un reproche adressé par un critique à certains concurrents trop « expressifs » d’American Idol. Cité par Katerine Meizel, Idolized : Music, Media, and Identity in American Idol, op. cit., p. 66-67 ; « vocal gymnastics ».
42 Katherine Spring, « To Sustain Illusion Is All That Is Necessary : The Authenticity of Song Performance in Early American Sound Cinema », Film History, vol. 23, 2011, p. 285-299, citation p. 289 ; « The display of instruments on screen facilitated audience identification with celebrities whose star personas were predicated at least in part on their use of instruments. Like the voice, the musical instrument could serve to signify a star’s authentic presence. »
43 Andrew Goodwin, Dancing in the Distraction Factory : Music Television and Popular Culture, Minneapolis (MN), University of Minnesota Press, 1992, p. 32 ; « Rap music totally undermined the distinction between the creation of music and its appropriation. As samplers were used in performance, it became more and more difficult for the concertgoer to perceive the source of the sounds heard over the PA ».
44 Ibid., p. 31 ; « In performance, however, despite the occasional use of machines, the emphasis in punk was always on real performance. »
45 Jane Feuer, « Réflexivité et mythologie du divertissement dans la comédie musicale », in Marguerite Chabrol & Laurent Guido (dir.), Mythologies du film musical, Dijon, Les presses du réel, 2016 [1977], p. 61-81, p. 70-71.
46 Andrew Goodwin, Dancing in the Distraction Factory, op. cit., p. 77 ; « the all-pervasive mise-en-scène of the rehearsal room/warehouse space » ; « a guarantor of authenticity ».
47 Jane Feuer, « Réflexivité et mythologie du divertissement dans la comédie musicale », op. cit., p. 70-71.
48 Laurent Guido, « Le film musical : une fantasmagorie aux accents folk », in Marguerite Chabrol et Laurent Guido (dir.), Mythologies du film musical, op. cit., p. 7-34. Les deux citations p. 33.
49 Andrew Goodwin, Dancing in the Distraction Factory, op. cit., p. 33 ; « the new music-making technologies demonstrated to musicians, critics, and audiences more forcefully than ever before that pop performance is a visual experience ».
50 Carol Vernallis, Experiencing Music Video : Aesthetics and Cultural Context, New York, Columbia University Press, 2004, p. 78.
51 Ibid., p. 84 ; « a confusion concerning where to place African American stars within a real world environment ».
52 Elizabeth Eva Leach, « Vicars of “Wannabe” : Authenticity and the Spice Girls », Popular Music, vol. 20, no 2, mai 2001, p. 143-167. Citation p. 143 ; « establish and then defend the boundaries of what is thought “good” – artistically, politically, morally ».
53 Richard A. Peterson, Creating Country Music : Fabricating Authenticity, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1997, p. 205. Voir aussi Su Holmes, « “Reality Goes Pop !” », op. cit., p. 154.
54 David Grazian (pour le blues) et Richard Peterson (pour la country) ont montré que les styles et les genres en apparence les plus authentiques étaient de pures constructions industrielles, commerciales et culturelles. Dans la suite de ce chapitre, j’emploierai toujours le terme « authenticité » comme synonyme de ce processus de construction. Voir David Grazian, Chicago Blue : The Search for Authenticity in Urban Blues Clubs, Chicago, University of Chicago Press, 2003 et Richard A. Peterson, Creating Country Music : Fabricating Authenticity, op. cit.
55 Keir Keightley, « Reconsidering Rock », in Simon Frith, Will Straw et John Street, The Cambridge Companion to Pop and Rock, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 109-142, p. 140 ; « authenticity, rebellion, oppositionality, artistic legitimacy and seriousness now feature prominently in musical cultures that hitherto lacked or downplayed these features ».
56 « Like poetry, like Gil Scott-Heron or something » (The Get Down, E11).
57 David Metzer, The ballad in American Popular Music : From Elvis to Beyoncé, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 136.
58 Ibid., p. 143.
59 Ibid. ; « Journey contrast softer verses for acoustic instruments and light drums with choruses set for ringing electric guitars and forceful drumming. »
60 Ibid., p. 144 ; « to create an energy into which listeners can disappear » ; « Guitar solos are primed with associations of release and transcendence, two qualities that work well in a power ballad. »
61 Ibid., p. 158.
62 Ibid., p. 143 ; « the types of emotional expression appropriate for male rock singers ».
63 Rachel E. Dubrofsky, « Jewishness, Whiteness, and Blackness on Glee : Singing to the Tune of Postracism », Communication, Culture & Critique, vol. 6, no 1, mars 2013, p. 82-102.
64 Katherine Meizel, Idolized : Music, Media, and Identity in American Idol, op. cit., p. 63.
65 Ibid., p. 64.
66 Ibid., p. 2 ; « the successful singer typically performs both a clear individual identity and some kind of familiar ethnic, racial, religious, or regional identity, and demonstrates a relationship with larger narratives of Americanness ».
67 L’expression est employée par Simon Frith dans son analyse de l’interprétation par Elton John de « Candle in the Wind » à l’abbaye de Westminster, lors des funérailles de la princesse Diana. Simon Frith, « Pop Music », in Simon Frith, Will Straw et John Street, The Cambridge Companion to Pop and Rock, op. cit., p. 93-108. Citation p. 93 ; « performing sincerity ».
68 Ibid., p. 103 ; « the sentimental song, sentimental singing, [that] has come to be the public sign of sincerity ».
69 Simon Frith, « Live Performance Matters », op. cit., p. 11-12.
70 David Metzer, The ballad in American Popular Music, op. cit., p. 53 ; « high-fidelity pop ballads have us repose in stretches of comfortable, mellifluous orchestral sounds, rarely disturbing us with dissonance or any other sound of harshness. The voice adds another layer of comfort. […] Rather than intense sorrow, many such recordings offer a suffused melancholy ».
71 Ibid., p. 76.
72 Erica Futterman, « Glee Recap : “I Kissed a Girl” and It Was Just OK », Rolling Stone, 30 novembre 2011, URL : https://urlz.fr/ahRl ; « Bieste chante cet air avec plus d’émotions sur son visage que sa voix n’en laisse filtrer » (« Bieste sings the tune with more emotion on her face than comes through in her voice »).
73 « Glee Make You Feel My Love Full Performance Official Music Video HD », YouTube.com. URL : https://urlz.fr/ahLC. Page consultée le 5 mars 2019. Posts de Jahmal Ojeda (« The first time in Glee that Lea Michele sings instead of Rachel Berry ») et de Maggie Benison (« None of them are acting. These are real feelings. I feel it too. It’s tragic. Cory we love you. Rest In Peace »).
74 Susan Leigh Foster, « Performing Authenticity and the Gendered Labor of Dance », Performance Studies International, no 21, 2015, p. 1. Sur les franchises vidéoludiques de danse, voir par exemple Antony Bruno, « Pressing Reset », Billboard, 26 juin 2010, p. 6.
75 Cette expression, parfois employée par des journalistes à l’époque classique, est utilisée par Adrienne McLean pour désigner dans son ouvrage les films narratifs hollywoodiens « dans lesquels la danse – s’il y en a – est aussi soutenue par des personnes qui jouent, interprètent quelque personnage du monde de la danse classique (danseur, professeur, imprésario, etc.) ». Adrienne McLean, Dying Swans and Madmen : Ballet, the Body, and Narrative Cinema, New Brunswick (NJ) et Londres, Rutgers University Press, 2008, p. 6 ; « in which the dancing – if there is any – is supported by people who are playing, acting as, some sort of ballet personage as well (dancer, teacher, impresario, and the like) ».
76 Susan Leigh Foster, « Performing Authenticity and the Gendered Labor of Dance », op. cit., p. 8.
77 Ibid. ; « always captured in moments of thrilled approbation and highly emotional response to what they have just seen onstage ».
78 Ibid. ; « the multiple cameras serve to boost the value of each moment in the choreography ».
79 Ibid., p. 4.
80 Jane Feuer, « Réflexivité et mythologie du divertissement dans la comédie musicale », op. cit., p. 67 et 68.
81 Laurent Guido, « Le film musical : une fantasmagorie aux accents folk », op. cit., p. 29.
82 Jane Feuer, « Réflexivité et mythologie du divertissement dans la comédie musicale », op. cit., p. 67-68.
83 Ibid., p. 67.
84 « Do you know what the greatest pain a person can feel is ? The greatest tragedy a life can experience ? It is having a truth inside of you, and you not being able to share it. It is having a great beauty, and no one there to see it. » (Pose, S01E01).
85 « Dancing is not just what I do, it’s what I am » (Step Up : High Water, S01E02).
86 Susan Leigh Foster, « Performing Authenticity and the Gendered Labor of Dance », op. cit., p. 7 ; « the performer’s ability or inability to convince viewers of the authenticity of these states of feeling ».
87 Angela McRobbie, « Fame, Flashdance, and Fantasies of Achievement », in Jane Gaines et Charlotte Herzog (dir.), Fabrications : Costume and the Female Body, New York et Londres, Routledge, 1990, p. 39-58. Citation p. 57.
88 Sur la réception de cet épisode dans la presse généraliste et auprès des associations de personnes handicapées, lire David Kociemba, « “This isn’t something I can fake” : Reactions to Glee’s representations of disability », Transformative Works and Cultures, no 5, 2010. URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3983/twc.2010.0225. Page consultée le 12 juillet 2018.
89 Wheelchair Dancer, « Glee. Wheelchair Dancer », 13 novembre 2009. URL : https://urlz.fr/a9vu. Page consultée le 13 juillet 2018 ; « The one potentially interesting move that McHale supposedly “does” is a cut – he wheelies on one rear wheel. The rest is notable only for the way that it shows that able-bodied, non-wheel-chair-using folk really do think of chairs as bicycles you move with your arms. There’s absolutely no body-chair integration at all. »
90 David Kociemba, « “This isn’t something I can fake” », op. cit. Pour une présentation du stéréotype du charity cripple en littérature, voir Leonard Kriegel, « The cripple in literature », in Alan Gartner et Tom Joe (dir.), Images of the Disabled, Disabling Images, New York, Praeger, 1987, p. 31-46.
91 Allan Moore, « Authenticity as Authentication », Popular Music, vol. 21, no 2, mai 2002, p. 209-223. Citation p. 214.
92 « Step Up : High Water : Dance Tutorial / Transposing Movement », YouTube, 31 janvier 2018. URL : https://urlz.fr/ahM1. Page consultée le 7 juillet 2018.
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