La fille du tambour-major
La première d’une opérette de Jacques Offenbach et ses gravures de costumes
p. 272-275
Texte intégral
Costumes pour La fille du tambour-major, opéra-comique de Jacques Offenbach, Paris, Théâtre des Folies-Dramatiques, 13.12.1879. Lithographie d’après le dessin de Jules Gaildrau, parue dans La Scène, revue des succès dramatiques, décorations complètes, costumes coloriés, 4e année, 1880, no 21. Paris, BnF, département des Arts du spectacle, 4-ICO THE-1520.

1Cette belle estampe, conservée à la Bibliothèque nationale de France (4-ICO THE-1520) et présentée hors contexte, avait à l’origine été publiée dans le no 21 de l’éphémère revue La Scène, dont le titre apparaît en haut de la page. L’éditeur de cette revue des succès dramatiques a également réalisé l’ensemble de ses illustrations : il s’agit de Jules Gaildrau, dont la signature est visible dans l’angle inférieur gauche de la quatrième rangée. Ces 25 figures ainsi transmises à la postérité donnent à voir les costumes de scène d’une opérette de Jacques Offenbach, la 100e selon le décompte de l’époque, qui fut jouée 170 fois (sans interruption !) pendant sa première saison en 1879-1880. Elle constitue en cela un bon contre-argument, soit dit en passant, à la légende voulant que l’étoile du « prince de l’opérette » ait pâli sous la Troisième République. Bien au contraire, avec La fille du tambour-major, Offenbach atteint un nouveau sommet dans son art de la composition. Richesse mélodique et concision rhythmique caractérisent également cet opéra comique dans lequel Offenbach se montre inhabituellement « patriotique », ce qui est d’autant plus remarquable qu’on le réduit d’ordinaire au seul registre de la parodie et de la satire, manifeste dans ses opéras bouffes (à partir du début des années 1860, le concept afférent d’« Offenbachiade », forgé à Vienne, s’est imposé dans l’espace germanique). Mais La fille du tambour-major détonne par son sujet militaire transportant le spectateur en 1800. Les protagonistes appartiennent pour moitié à l’armée française, alors sur le point de libérer l’Italie septentrionale de la domination étrangère (habsbourgeoise). Offenbach a souvent caricaturé et tourné en dérision l’ensemble des institutions ou leurs représentants. Mais ici, seul l’opposant politique est visé, tandis que les occupants français se voient décerner gloire, héroïsme (« Nous courons tous après la gloire ») et légitimité morale (« Petit Français, brave Français, / Viens délivrer notre patrie »). Du mélange, propre à l’opéra comique, de drôlerie modérée et de nobles sentiments naît un pathos républicain qui correspond parfaitement à l’esprit du temps, d’autant que la mort du prince impérial Louis, le premier juin 1879, a définitivement enterré tout espoir d’une restauration bonapartiste et par là même d’un système politique alternatif. L’association émotionnelle de la figure paternelle et de la patrie (républicaine) confère à l’œuvre une tonalité pathétique. Concrètement : un tambour-major français (Monthabor) et une jeune aristocrate italienne (Stella) ont l’intuition qu’ils sont père et fille. Elle abandonne alors son milieu social pour vivre avec son père biologique et servir sa véritable patrie en devenant cantinière. Tout est bien qui finit bien puisqu’elle échappe ainsi au mariage forcé avec un marquis italien (Bambini) et épouse un lieutenant français (Robert). Le final constitue l’apothéose de la partition d’Offenbach, avec la reprise de l’hymne révolutionnaire « Le Chant du Départ » de Méhul, tandis que les Français, conduits par le tambour-major et sa fille, entrent dans Milan sous les hourras.
2La pièce militaire d’Offenbach, qui s’inspire de La fille du régiment de Donizetti (1840), suit la mode du théâtre de l’époque. Elle permet au compositeur juif d’origine allemande, proche de personnalités influentes sous le Second Empire, d’affirmer à nouveau son appartenance à la nation française. La série de costumes reproduite ici, tout comme les quatre autres gravures publiées dans La Scène de Gaildrau et qui représentent les décors de l’opérette, permettent de se faire une idée générale de la première qui eut lieu le 13 décembre 1879 au Théâtre des Folies-Dramatiques, à Paris. Les costumes avaient été dessinés par François Louis Gustave Lucot, surnommé Luco, un comédien populaire qui créa également le rôle du tambour-major Monthabor. Leur disposition sur notre planche suit le déroulement de l’action. Les détails gentiment caricaturaux, comme le catogan et la robe de chambre pour l’arrogant duc, qui sera dupé à la fin de l’opérette, permettent de définir les personnages plus précisément que ne le faisait le texte du livret. Les costumes historicisants de Lucot, aux antipodes des exagérations de bien des productions de nos jours, sont élégants et d’un goût exquis ; ceux de Stella et de la duchesse, cependant, évoquent aussi la mode des années 1870. Cette différenciation dit quelque chose des transformations politiques et sociales de l’époque, mais sans outrepasser les règles de bienséance propres au genre de l’opéra comique, tandis que les sources visuelles des premières de La Vie parisienne (1866), par exemple, ou de La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), laissent transparaître l’insolence moqueuse de l’opéra bouffe.
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