La chasse à l’oiseau
Intermède musical
p. 158-161
Texte intégral
Chasse à l’oiseau : intermède musical. Tapisserie, laine et soie, Pays-Bas méridionaux ou nord de la France, vers 1520. Paris, musée de Cluny, Cl. 22856.

© cliché RMNGP-Michel Urtado.
1La chasse au vol est pratiquée en Occident depuis le haut Moyen Âge. Après dressage de certains rapaces (autours, éperviers, cinq à six espèces de faucons ont été employés à cet effet à l’époque médiévale), elle permet de capturer principalement du gibier à plumes : perdrix, faisans, gibier d’eau, échassiers. Elle nécessite la coordination du fauconnier, de son oiseau et du chien d’oysel. Cette pratique, si appréciée de l’aristocratie médiévale, a donné naissance à bien des œuvres d’art, depuis le traité de fauconnerie rédigé pour l’empereur Frédéric II, De arte venandi cum avibus1, jusqu’à la tapisserie La Fauconnerie, l’une des quatre majestueuses Chasses dites du Devonshire, du milieu du xve siècle, conservées à Londres, au Victoria and Albert Museum2.
2Les quatre tapisseries de la tenture du Musée de Cluny dite la Chasse à l’oiseau, et particulièrement l’Intermède musical, offrent la vision d’une relation harmonieuse entre l’homme et la nature3. Le cadre est verdoyant, avec le traitement en millefleurs du premier plan ; il est également pastoral, grâce à la prairie située à droite de l’arrière-plan, silvestre, grâce aux arbres qui le rythment, mais aussi habité, avec quatre constructions, dont un château et une chapelle. L’environnement est bien dégagé, pas trop boisé, comme il convient pour la chasse au vol. Huit personnages occupent le premier plan : sur la gauche, un groupe comporte deux chasseurs de retour de la chasse, l’un toujours à cheval, l’autre qui a mis pied à terre. Ils sont accompagnés de trois chiens et de deux oiseaux, dont l’un porte le chaperon qui l’empêche de voir. Au centre, un musicien souffle dans une flûte traversière en bois, tandis qu’une jeune femme, assise sur ses genoux, s’apprête à chanter les mots inscrits sur son parchemin. Sur la droite, un homme et une femme tiennent chacun un oiseau, celui de la femme étant un épervier4, puis viennent une jeune femme en robe rouge et un garçonnet ou valet, tenant une lance.
3Les hommes du second plan présentent la chasse en action : celui qui est à pied, à gauche, tend l’appât à un oiseau qu’il a lancé vers une proie, un héron dont on ne voit malheureusement plus que le bas du corps. Un cavalier fait de même pour un rapace en chasse d’un autre héron. De façon peu plausible, l’oiseau de proie est simultanément rappelé par un comparse à pied agitant un leurre formé de deux ailes d’oiseau reliées par un morceau de bois. Plus moderne, un chasseur à haut chapeau rouge pointe son arquebuse vers un héron.
4Les rapaces figurés sont presque tous des autours des palombes5, dont la taille est supérieure à celle des différentes espèces de faucons. Cela leur donne le poids nécessaire pour percuter un grand échassier comme le héron. Celui-ci, proie au vol lent, mais au bec redoutable, pouvait aussi être chassé avec trois faucons aux rôles différenciés. Les liciers ont représenté avec véracité nombre de détails caractéristiques de la chasse au vol : fauconnière (sac de chasse) à la ceinture du chasseur vêtu de rouge situé dans le groupe de premier plan à gauche ; gants à longs rabats, portés par trois des chasseurs ; jets permettant de maintenir les oiseaux ; leurre ; appâts ; sonnettes équipant les pattes des oiseaux ; chaperon servant à les aveugler temporairement…
5Cette tapisserie, datée des environs de 1520, a probablement été tissée dans une des villes de l’actuelle Belgique ou du nord de la France, où de nombreux métiers de tapisserie étaient actifs. La dominante rouge des habits des personnages du premier plan contraste agréablement avec le vert du paysage, vert qui est la couleur favorite de Michel Pastoureau. L’œuvre est un beau témoignage des relations complexes nouées entre l’homme et l’animal, et à ce titre, j’espère qu’elle plaira au destinataire de ce recueil. Comme certains de mes ancêtres étaient chasseurs – il se dit dans ma famille que mon trisaïeul aurait contribué à la documentation d’Alphonse Daudet sur la chasse au lion – et comme mon père a été, en 1974-1975, l’un des artisans de la réforme du permis de chasser en France, le choix d’une tapisserie à thème cynégétique m’a paru approprié pour dire mon amitié à Michel.
Notes de bas de page
1 A. Paulus, B. Van den Abeele (éd.), L’Art de chasser avec les oiseaux : le traité de fauconnerie « De arte venandi cum avibus » – Frédéric II de Hohenstaufen, Nogent-le-Roi, 2000.
2 Inv. T 202-1957, dimensions de la pièce : 4,45 x 10,76 m.
3 Paris, musée de Cluny, Cl. 22855 à Cl. 22858. F. Joubert, La Tapisserie médiévale au musée de Cluny, Paris, 1987, p. 168-178, n° XVII. Don Marcel et Laurence Bich.
4 Je remercie M. Pierre Courjaret, vice-président d’honneur de l’Association nationale des fauconniers et autoursiers français, qui a apporté d’indispensables précisions pour l’établissement de cette notice.
5 Cette identification a été unanimement faite par M. Courjaret, ainsi que par des membres du groupement ornithologique du Roussillon dont M. Lionel Courmont, du Conservatoire d’espaces naturels Languedoc-Roussillon.
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