Champ intellectuel et stratégies de distinction dans la première moitié du ive siècle : de Socrate à Isocrate
p. 171-199
Texte intégral
1La présente étude entend esquisser les contours d’un groupe, celui des « intellectuels », au début du ive siècle av. J.-C. à Athènes. Choisir une telle dénomination s’agissant du monde grec n’a a priori rien d’une évidence. Forgé à l’origine pour dénigrer les partisans du capitaine Dreyfus1, le terme d’« intellectuel » charrie en effet de lourds présupposés qu’il convient d’expliciter, sous peine de verser dans l’anachronisme incontrôlé ou de céder aux vertiges de l’analogie2. L’enquête doit donc commencer par cerner les traits saillants autour desquels s’articule la notion moderne d’« intellectuel ».
2Celle-ci correspond en premier lieu à l’idée d’un groupe identifiable au sein de l’espace social, constitué à un moment précis et composé de professionnels de la manipulation des biens symboliques. L’avènement des « intellectuels » s’inscrit en effet dans un processus au long cours, qui voit, à la fin du xixe siècle, l’approfondissement de la division du travail social : le savant et le politique sont désormais nettement disjoints, libérant ainsi, à la charnière entre ces deux fonctions, un espace que les intellectuels vont venir occuper3.
3S’il désigne un groupe bien distinct, le vocable « intellectuel » est caractérisé, dans le même temps, par une grande indétermination. Indétermination, tout d’abord, des valeurs associées au terme : s’il est au départ un substantif méprisant, inventé par Ferdinand Brunetière contre les Dreyfusards, il se transforme rapidement en titre de noblesse, sous la plume de Clemenceau. Incertitude aussi, et peut-être surtout, quant aux limites du groupe défini par ce label : réunissant sous un même nom écrivains, historiens, philosophes ou savants, le terme d’« intellectuels » peine à trouver une définition stable, ne cessant de se fondre dans de nouveaux contours, selon les moments, les lieux et les personnes qui l’emploient. Dès lors, ces intellectuels gagnent à être étudiés comme un « champ » certes unifié, mais marqué par de très fortes polarités et traversé par de profondes lignes de fracture.
4Le terme suppose enfin, si l’on garde à l’esprit qu’il fut forgé au cours des débats enflammés de l’affaire Dreyfus, une certaine forme d’engagement politique et social. Il véhicule par conséquent une nouvelle conception du rôle et de la place des élites « éclairées » dans la société, bien que cet engagement puisse être fluctuant selon les périodes et les personnes4.
5Une composition instable, un engagement politique marqué, de nombreuses luttes de légitimité : telles sont donc les caractéristiques fondamentales de cette élite du savoir que constituent les « intellectuels » depuis le début du xxe siècle. La présente étude fait le pari qu’il y a matière à bâtir, sur ces prémisses, une analogie contrôlée avec le cas des élites du savoir à Athènes durant la première moitié du ive siècle5.
6Cette définition invite tout d’abord à considérer les « intellectuels » athéniens comme un groupe clairement identifiable, dont le fonctionnement est inséparable d’un lieu et d*un moment bien circonscrit. C’est là partir d’un présupposé opposé à celui qui guide le récent ouvrage consacré aux Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne : ce dentier privilégie en effet une perspective de longue durée et un champ d’analyse étendu à la Grèce tout entière, afin de mettre en lumière de grandes catégories — tels l’« historien », le « poète », etc.6. À l’opposé, notre démarche veut se donner un ancrage historique et sociologique précis pour tenter d’analyser la manière dont s’opère le positionnement des élites du savoir à Athènes, au début du ive siècle7.
7L’analogie établie avec le monde contemporain engage certes à étudier les élites « éclairées » d’Athènes comme un champ autonome, doté d’une identité séparée, mais elle incite également à mettre en valeur le caractère flottant d’un tel regroupement8. De fait, à l’instar des « intellectuels », l’élite athénienne du savoir recouvre une nébuleuse aux fonctions polymorphes, comprenant à la fois des poètes, des médecins, des « historiens », des « rhéteurs », et ceux qui, plus tard, seront qualifiés de « philosophes ». Par son caractère protéiforme, la notion d’intellectuel est donc particulièrement adaptée pour appréhender un milieu extrêmement fluide, au sein duquel les passerelles entre « disciplines » et « genres littéraires » sont innombrables — pour la bonne et simple raison que la plupart de ces genres supposés (l’histoire, la rhétorique, la philosophie notamment) n’existent pas encore en tant que tels9.
8L’engagement politique et social constitue également un fil directeur pertinent. En effet, le champ intellectuel athénien s’est construit en étroite liaison avec les événements politiques tragiques de la fin du ve siècle. La plupart des « intellectuels » ont ainsi été conduits, nous le verrons, à prendre position à l’égard du régime démocratique restauré après 403, selon des modes extrêmement différenciés, oscillant entre résistance et adhésion, dévouement civique et repli aristocratique10. Ces diverses orientations méthodologiques seront autant de garde-fous contre les risques d’anachronisme incontrôlé.
9Nous chercherons ainsi à comprendre la façon dont la vie intellectuelle à Athènes s’organise en un champ d’affrontements et de rivalités d’où émergent, in fine, des individus, par une série de stratégies de distinction. Car tel est le dernier intérêt de la notion d’intellectuel : elle implique aussi une vision individuée de l’histoire, puisqu’elle met en avant des acteurs singuliers qui luttent pour affirmer leur originalité, à travers leurs idées et leurs œuvres. On retrouve ici les cadres auxquels les histoires littéraires nous ont accoutumés, avec leur cortège de « grands » écrivains et d’œuvres souvent sacralisées. Toutefois, ces grandes individualités ne sauraient être abstraites du groupe, et plus largement, du champ auquel elles appartiennent, au risque d’obscurcir certaines dimensions de leur positionnement intellectuel. En considérant les intellectuels comme un champ, il devient possible de travailler à l’articulation entre groupe et individus.
10Après avoir analysé la lente genèse du champ intellectuel athénien, nous rétrécirons la focale pour aborder son fonctionnement à travers le cas exemplaire d’Isocrate, dont l’étude permet, nous semble-t-il, de saisir certains principes structurant l’univers intellectuel athénien. Car, ici plus qu’ailleurs, la saisie du général passe nécessairement par la compréhension du particulier : l’univers social et historique ne se réduit pas à la sphère collective, mais « gît aussi dans les plis les plus singuliers de chaque individu »11.
I. LA LENTE GENÈSE DU « CHAMP INTELLECTUEL » ATHÉNIEN
11Avant le particulier, le général, et, pour commencer, une question inaugurale : peut-on parler, en toute rigueur, de l’existence d’un « champ intellectuel », à Athènes ?
12L’emploi pertinent de ce concept requiert un certain nombre de conditions. La première est l’existence d’une société suffisamment complexe : de fait, un champ est un « microcosme » dans le « macrocosme » que constitue l’espace social dans sa globalité12. Or précisément, la complexité de la société athénienne rend possible l’existence d’un champ intellectuel distinct, à l’intérieur même du groupe, aux contours mal dessinés, de l’élite. Athènes propose en effet un type de société extrêmement différenciée, qui n’a plus rien d’une société de face-à-face13, et où les tâches et les rôles politiques, économiques et culturels tendent à se spécialiser de plus en plus au ive siècle14. Dès lors, les élites du savoir tendent à former un groupe qui est à la fois séparé de la masse, des hoi polloi, et distinct des élites de naissance et de richesse — même si, bien évidemment, de nombreux recoupements persistent15 ; pour le dire autrement, il semble possible d’identifier au sein des élites athéniennes un groupe qui valorise plus spécifiquement l’éducation dans ses critères d’auto-définition.
13Isocrate en est certainement le meilleur représentant, lui qui précisément fait de la « philosophie » une pratique distinctive des élites athéniennes et ce, depuis l’époque archaïque : « Pour les gens qui avaient des ressources suffisantes, c’est de l’équitation, de la gymnastique, de la chasse et de la philosophie qu’on les força à s’occuper ; car on voyait ainsi les uns devenir des hommes supérieurs et les autres s’abstenir de la plupart des mauvaises actions »16. Bien entendu, le propos est biaisé. Isocrate souhaite en effet intégrer à toutes forces la philosophie dans le champ des pratiques aristocratiques légitimes17, fût-ce au prix de quelques contrevérités : de fait, la philosophie n’a jamais été une activité répandue parmi les élites athéniennes, surtout pas au temps de Solon et de la patrios politeia, que l’auteur invoque ici uniquement pour conférer à sa propre pratique intellectuelle la prestigieuse patine des origines.
14Car si champ intellectuel il y a, celui-ci ne peut, pour des raisons qu’il convient d’exposer brièvement, remonter bien avant la fin du ve siècle. Certes, Athènes est un centre intellectuel important dès avant l’époque de Périclès ; néanmoins, la scène intellectuelle est encore mal différenciée du reste de l’activité civique, dont elle n’est encore nullement indépendante. Ainsi la culture demeure-t-elle étroitement intégrée à l’univers politique, comme le montre la place que tient la tragédie au sein de la cité athénienne18 ; la pensée, la danse, la musique, la poésie sont produites par des hommes qui sont aussi des citoyens, voire des chefs politiques, et leurs œuvres sont présentées à un large public qui participe à leur élaboration et leur exécution -par l’intermédiaire, par exemple, des chœurs théâtraux.
15Une première évolution se fait jour dans les dernières décennies du ve siècle, avec l’arrivée à Athènes des « sophistes », même si ces sages itinérants s’inscrivent en réalité dans une tradition remontant à l’époque archaïque19. Les dialogues de Platon en offrent de multiples représentations, bien qu’il s’agisse en général de reconstructions a posteriori — puisqu’à l’époque où le philosophe rédige son œuvre, cette génération de penseurs a depuis longtemps quitté le devant de la scène. Aussi biaises soient-ils, les débuts de la République, du Lysis, ou du Protagoras offrent toutefois un précieux aperçu du fonctionnement du milieu sophistique : on y observe des rassemblements temporaires, dans certains lieux précis — principalement les banquets et les maisons privées — de groupes d’auditeurs agglutinés autour de « maîtres de vérité » de passage, qui se font grassement payer leurs leçons20.
16Certes, il ne s’agit nullement d’un groupe unifié, mais plutôt d’un assemblage hétéroclite dont la cohérence fut établie ex post21, par un Platon en mal d’ennemis. Fût-il artificiel, ce regroupement n’est pas dénué de toute validité dans la mesure où, dès le ve siècle, la plupart des citoyens considéraient ces maîtres étrangers comme un bloc homogène — dont il fallait d’ailleurs se méfier22. Au demeurant, la défiance des Athéniens s’étendait au-delà des seuls « sophistes », au sens restreint du terme. Pour ne prendre qu’un exemple, dans les Nuées, en 423, Aristophane réunissait dans une même opprobre toute une galerie de personnages fort dissemblables : « sophistes, devins de Thourioi, artistes-médecins, oisifs chevelus occupés de leurs bagues et de leurs ongles, tourneurs de strophes pour les chœurs cycliques, mystificateurs aériens (σοφιστάς, Θουριομάντεις, ἰατροτέχνας, σφραγιδονυχαργοκομήτας κυκλίων τε χορῶν ᾀσματοκάμπτας, ἄνδρας μετεωροφένακας), oisifs qu’elles [les Nuées] nourrissent à ne rien faire parce qu’ils les chantent dans leurs vers »23. Au-delà de tout ce qui les sépare, ces pseudo-penseurs partagent, à en croire le Comique, un trait commun : leur oisiveté et, pour tout dire, leur inutilité. Ce n’est donc pas l’engagement politique — comme du temps de l’affaire Dreyfus —, mais bien plutôt l’inaction qui caractérise ces « intellectuels » coupés de la cité et en voie de marginalisation.
17Pour autant, il serait illusoire, nous semble-t-il, de croire à l’existence, dès la seconde moitié du ve siècle, d’un véritable champ intellectuel à Athènes. S’il est possible de repérer de nombreux groupes d’intellectuels au sein de la cité, ceux-ci ne sont ni assez cohérents, ni suffisamment différenciés pour fonctionner comme un authentique champ, au sens sociologique du terme, avec ce que cela suppose d’autonomie, de différenciation et de hiérarchisation internes. Plusieurs raisons y font en effet obstacle.
18Tout d’abord, la division du travail intellectuel reste encore largement insuffisante. Ainsi n’existe-t-il pas de définition claire des savoirs dispensés par ceux que l’on regroupe parfois sous le terme de sophistes ou de sophoi24. Ces vocables désignent en effet une nébuleuse, où l’on peine à distinguer les tragédiens des sophistes, ou les médecins des devins — pour reprendre l’étrange énumération proposée par Aristophane dans les Nuées. Plus déroutant encore, il arrive souvent qu’une même personne assume des activités intellectuelles apparemment sans rapport. Antiphon cumule ainsi les rôles d’orateur, de poète et même, selon certaines sources tardives, de devin25. En plus d’être un fin dialecticien, Socrate semble intimement associé à l’univers de la tragédie26 ; quant à Euripide, il est considéré, on le sait, comme un sophiste27. Enfin, entre médecins et sophistes, les différences semblent parfois difficilement perceptibles, tant leurs soucis et leurs pratiques sont similaires28. En cela, les intellectuels de la seconde moitié du ve siècle sont encore proches des « maîtres de vérité », personnages étranges et marginaux, à la fois prophètes inspirés, poètes, musiciens, médecins et purificateurs qui vaticinaient à l’époque archaïque. Les conditions d’existence d’un champ intellectuel, avec la différenciation des tâches que le tenue implique, ne sont pas encore réunies.
19Second obstacle interdisant de parler, en toute rigueur, d'un champ intellectuel proprement « athénien » : la plupart des membres de ce groupe ne sont pas originaires de la cité ! Les sophistes, par exemple, viennent de toute la Grèce, tels Prodicos de Céos, Gorgias de Leontinoi. Protagoras d’Abdère. Hippias d’Elis, Thrasymaque de Chalcédoine pour ne citer que les plus célèbres29. Athènes n’est qu’une étape, certes prestigieuse et parfois longue, de leurs riches pérégrinations. À ce titre, les sophistes appartiennent encore à l’époque archaïque et sont bien des « présocratiques », dont les spéculations se caractérisaient alors par une immense diversité d’horizons. Les controverses se jouaient au-delà des terres et des mers, sans qu’Athènes puisse revendiquer un rôle pivot. Or, loin d’être enraciné dans la cité athénienne, la plupart de ces sophistes ne cessent de « vagabonder de cité en cité », ainsi que Platon leur en fait reproche30. Prodicos, par exemple, a fait le choix de l’itinérance, multipliant voyages et gains tel un mercenaire sans feu ni lieu : « Notre célèbre ami Prodicos a été souvent député par sa cité en divers endroits et en dernier lieu il est venu ici, il n’y a pas longtemps, comme ambassadeur de Kéos. Or il a parlé devant le Conseil avec de grands applaudissements et en même temps il a donné des auditions privées et des leçons aux jeunes gens, et gagné ainsi des sommes fabuleuses »31. Cette instabilité chronique des sophistes rend difficile la genèse d’un champ intellectuel stable et cohérent.
20Dernier obstacle, enfin, corollaire du précédent : ces « intellectuels » n’ont pas encore de véritables disciples, mais plutôt des auditeurs, prêts à suivre leurs leçons mais, pour autant, réticents à engager une relation durable avec un maître — ne serait-ce que parce que les sophistes ne séjournent pas assez longuement à Athènes pour cela. En témoigne parfaitement le début du Phèdre de Platon, où le jeune homme suit, de façon toute nomade, le sophiste Hippias, puis le rhéteur Lysias et, enfin, Socrate32.
21Bref, toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour parler d’un véritable champ intellectuel, même s’il existe déjà des groupes intellectuels, encore mal différenciés et souvent temporaires.
II. La rupture du ive siècle
22Sans que l’on puisse assigner un point de départ précis à cette évolution, le paysage intellectuel athénien se complexifie progressivement au début du ive siècle. Les tâches et les fonctions se différencient peu à peu : la nébuleuse intellectuelle athénienne cesse d’être une masse confuse pour présenter un profil davantage segmenté. Poètes, tragédiens, logographes, philosophes ou orateurs sont désormais des figures de moins en moins interchangeables. C’est dans ce nouveau contexte que l’emploi du terme « intellectuel » démontre, nous semble-t-il, toute sa validité : il invite à considérer ces diverses positions, aussi hétérogènes soient-elles, comme les parties d’un tout cohérent. Une approche fractionnée du champ intellectuel athénien serait en effet une erreur33. Pour restituer aux hommes et aux idées leur profondeur socio-historique, encore faut-il les considérer selon un mode de pensée relationnel, comme des éléments interagissant entre eux : pour ne prendre qu’un exemple, si les écrits de Platon gagnent à être mis en rapport avec ceux d’autres « philosophes » — notamment socratiques -, ils méritent tout autant d’être confrontés aux œuvres des tragédiens, poètes, voire des peintres, que Platon, au demeurant, ne se prive pas de critiquer...
23Mieux différencié et davantage hiérarchisé, le champ intellectuel athénien se structure désormais selon deux pôles bien marqués. Le premier reste étroitement intégré à la vie civique, en adéquation parfaite avec la demande sociale : c’est le cas des auteurs de théâtre, tragique ou comique, ou encore des logographes, dont l’activité dépend directement des institutions judiciaires démocratiques. Le second pôle se développe, à l’inverse, en revendiquant son autonomie face à la cité et mettant en avant des valeurs spécifiques indépendantes à l’égard des pouvoirs.
24Arrêtons-nous un moment sur ceux qui, dans le champ intellectuel athénien, choisissent de se placer en rupture avec la cité : l’intellectuel désaffilié, éternel marginal dans sa propre cité. Platon en offre le paradigme : il refuse ainsi d’entendre parler non seulement des activités de la polis, des lois et des débats qu’elles suscitent, des magistratures, mais aussi « des hétairies et des réunions de toute sorte »34. Voici l’intellectuel installé dans l’éther des idées, refusant les contingences propres à l’attachement civique : « ce n’est point par gloriole : c’est qu’en réalité, son corps seul a. dans la cité, localisation et séjour. Sa pensée, pour qui tout cela n’est que mesquinerie et néant, dont elle ne tient compte, promène partout son vol »35.
25La figure de l’intellectuel déraciné a de glorieux antécédents. Elle était déjà en germe dans les dernières décennies du ve siècle, incarnée par des personnages transitionnels comme Euripide et Socrate. Euripide, tout d’abord : poète totalement intégré dans la vie civique, remportant moult victoires et prix dans les concours tragiques, il est dans le même temps présenté comme un rat de bibliothèque, éloigné de la foule et de ses préoccupations36. Lui-même semble conscient de son statut ambigu et l’on pourrait volontiers lui appliquer les mots qu’il place dans la bouche de Médée : « Jamais l’homme que la nature a doué de sens ne devrait faire donner à ses enfants un savoir qui passe l’ordinaire. Outre un renom d’oisiveté, ils y gagnent l’envie malveillante de leurs concitoyens. Apportes-tu aux ignorants un savoir nouveau, tu feras figure d’inutile et non de savant (ἀχρεῖος κοὐ σοφòς) ; si, d’autre part, on te juge supérieur à ceux qui passent pour esprits fertiles, dans la cité, tu paraîtras à charge »37. On tient là l’une des premières expressions du génie incompris. Quant à Socrate, il présente également un visage bifrons, oscillant entre engagement civique et repli philosophique : les Socratiques aiment à le dépeindre en bouleute incorruptible ou en hoplite courageux, passant la plus grande partie de son temps dans des endroits publics, toujours prêt à engager la conversation avec le premier venu38 ; mais le même Socrate refuse de s’engager directement dans la vie politique39, et il est souvent présenté par ses adversaires comme un chef de secte coupé du monde, selon un modèle nettement pythagoricien40.
26Toutefois, le véritable basculement s’opère à la fin du ve siècle. Pour en comprendre les ressorts, il faut invoquer ici le rôle déterminant joué par l’oligarchie sanguinaire des Trente et le procès de Socrate : dans la genèse d’un véritable « champ intellectuel », ces deux événements font rupture. Le champ intellectuel athénien surgit en effet des décombres de l’oligarchie des Trente : après 403, les hétairies de la fin du ve siècle sont démantelées ou, du moins, se transforment et perdent une partie de leurs adhérents41. Dès lors, une fraction des opposants à la démocratie réinvestit son énergie dans le champ intellectuel ; un processus de sublimation se fait jour, de la révolte politique, en création intellectuelle — même si ce phénomène ne s’étend pas, bien sûr, à tous les oligarques auparavant attachés au renversement du régime démocratique.
27Cette rupture est mise en scène par Isocrate, on le verra, et surtout par Platon, dans la célèbre Lettre VII, dans laquelle il évoque, sous une forme apologétique, son propre parcours42. « Au temps de ma jeunesse, j’ai effectivement éprouvé le même sentiment que beaucoup d’autres [jeunes gens]. Aussitôt que je serais devenu mon maître, m’imaginai-je, je m’occuperais sans plus tarder des affaires de la cité »43. Mais survient alors l’expérience traumatique de l’oligarchie des Trente, à laquelle il est associé et qui se solde par un gigantesque gâchis44. Après la restauration de la démocratie, il décide de se mettre délibérément en retrait de la vie politique. Il faut dire qu’en 399, un second épisode douloureux est venu le convaincre qu’Athènes était quasiment irréformable45 : le procès de Socrate.
28A bien des égards, la mort du philosophe constitue une césure fondamentale dans l’histoire intellectuelle athénienne. La plupart des intellectuels furent en effet amenés à prendre position sur le sujet, que l’on pense aux Apologies de Socrate rédigées par Xénophon et Platon ou, symétriquement, à l’Accusation de Socrate (Katêgoria tou Sokratou), écrite par Polycrate — dont le contenu et la visée exacte restent débattus46. Mais ils ne furent pas les seuls à sacrifier à cette mode : à en croire Diogène Laërce47. Antisthène. Eschine, Phédon, Euclide, et bien d’autres encore, composèrent des dialogues dont Socrate était le héros. Quant à Isocrate, il reprit à son tour le modèle de l’Apologie de Socrate pour plaider sa propre cause, dans le discours Sur l’échange. Événement fondateur, infiniment ressassé, le procès de Socrate donna ainsi naissance à un authentique genre littéraire : le logos sokratikos, explicitement reconnu par Aristote48. Socrate devint dès lors une figure consacrée, placée au centre des polémiques et des rivalités qui dressaient les Socratiques entre eux et les Socratiques face aux autres « intellectuels ». Le champ intellectuel athénien se configura donc en partie en fonction de ce traumatisme fondateur.
29La condamnation de Socrate eut également une influence plus générale sur les élites athéniennes : elle les incita à la méfiance. Lors de son procès. Socrate refusa, on le sait, d’utiliser pour sa défense son capital de relations sociales49 ; après sa mort, les « intellectuels » eurent tendance à se regrouper pour faire corps et éviter un face-à-face angoissant avec la cité, sans summachoi, ni philoi sur lesquels s’appuyer ; la cité démocratique apparaissait désormais trop dangereuse et instable pour être affrontée sans précaution. Dès lors, une partie des élites intellectuelles se désengagea de l’action politique directe pour vivre en vase clos50. C’est dans ce contexte que se développèrent des nombreuses situations d’exil intellectuel. Beaucoup de Socratiques mineurs fondèrent ainsi des écoles en dehors d’Athènes, à Mégare. Élis, Olympie, Érétrie. Plus généralement, les Platoniciens voyagèrent beaucoup, à Atarnée, dans le Pont, à la cour de Macédoine. Quant à Platon, lorsqu’il ne se trouvait pas à l’étranger, il vivait presque emmuré à l’Académie, elle-même située dans la périphérie d’Athènes : dans son œuvre au demeurant, il ne cessa d’appliquer au philosophe la métaphore significative de l’exil51.
30Ce tableau aux vives couleurs mérite à l’évidence d’être nuancé : tout d’abord, le retrait de la vie civique – et a fortiori l’exil – ne touche qu’une partie du champ intellectuel athénien. La majorité des acteurs de la vie culturelle continue ainsi à vivre et travailler en harmonie avec l’univers civique. Ensuite, le retrait de la vie politique ne doit pas nécessairement être interprété comme une contrainte imposée du dehors par une cité persécutrice. En réalité, il s’agit aussi d’un choix délibéré, relevant autant d’une pratique que d’une rhétorique de la rupture et qui permet à son auteur de se distinguer et, partant, de parvenir à une forme d’autorité nouvelle, intellectuelle en l’occurrence. Enfin, la profondeur de la rupture avec l’ordre civique doit être relativisée. La politique reste en effet l’horizon dans lequel s’inscrivent presque tous ces penseurs, y compris les plus marginaux52 : même en rupture de banc, les intellectuels n’ont pas abandonné toute idée de réforme : simplement, ils se gardent désormais d’utiliser un mode d’intervention trop direct vis-à-vis des citoyens. Larvatus prodeo : le « philosophe » avance désormais masqué, comme l’acteur de théâtre.
31Se met alors en place une forme d’intervention intellectuelle détournée, à la fois spatialement (vers d’autres territoires, comme la Sicile ou Chypre, lieux d’expérimentation politique) et temporellement (puisqu’ils s’efforcent de faire école et de s’entourer de disciples susceptibles, dans un second temps, d’intervenir dans la vie politique). Le cordon ombilical des intellectuels avec la politique n’est donc pas rompu ; il est simplement distendu53. On assiste moins à un repli pur et simple des intellectuels dans leur tour d’ivoire qu’au passage d’un rapport très direct, voire agressif, à l’univers politique – représenté par l’image du taon socratique, harcelant sans trêve ses concitoyens – à un rapport plus indirect, une sorte de « politique au second degré »54. Au demeurant, cette coupure d’une partie des élites intellectuelles n’est pas destinée à durer : après 330 av. J.-C. les écoles philosophiques s’intègrent étroitement à la cité jusqu’à en devenir la vitrine à l’époque hellénistique55.
32Si elle doit être relativisée et remise en contexte, cette stratégie du retrait n’en a pas moins des conséquences bien réelles. L’autonomisation d’une partie du champ intellectuel aboutit en effet à une évolution dans les pratiques intellectuelles et, notamment, dans les formes de transmission du savoir. D’autres modes d’enseignement s’inventent progressivement, en dehors des canaux contrôlés par la cité : les regroupements temporaires du ve siècle laissent ainsi la place à de véritables écoles intellectuelles, qui s’inscrivent dans des lieux désormais bien précis (concentrés autour des gymnases)56 et qui fonctionnent dans la durée, avec des cycles d’enseignement de plusieurs années, ainsi que l’atteste, parmi d’autres, Isocrate dans son discours Sur l’échange57.
33Certains groupes d’intellectuels se stabilisent, se figent, tandis que se mettent en place des rapports entre maîtres et disciples plus étroits et plus exclusifs ; de véritables cursus s’élaborent progressivement : « La formation complète d’un philosophe platonicien requérait un long séjour ; ainsi Aristote demeura vingt ans à l’Académie. La vie dans l’école devenait progressivement une fin en soi »58. Une telle évolution est encore amplifiée par le changement graduel que connaît alors le rapport à l’écrit59 Sans entrer dans les méandres de ce débat complexe, notons seulement que certaines parties de la production intellectuelle passent désormais par l’écrit, ce qui concourt à la fois à stabiliser les pratiques et les discours et à fixer des traditions intellectuelles — et ce, même si l’oralité reste prédominante60.
34Bien entendu, cette évolution s’est déroulée graduellement, ne touchant, répétons-le, qu’une fraction du champ intellectuel athénien. Au demeurant, les modes traditionnels de transmission du savoir sont loin d’avoir disparu, comme Isocrate en témoigne dans le Panathénaïque : « Quelques amis intimes m’ayant rencontré, me dirent qu’assis dans le Lycée, trois ou quatre de ces sophistes vulgaires (τῶν ἀγελαίων σοφιστῶν) qui prétendent tout savoir et se montrent à 1 improviste partout, dissertaient sur les poètes et en particulier sur la poésie d’Hésiode et d’Homère »61. Les pratiques issues du ve siècle résistent donc, tandis que le théâtre continue à jouer les premiers rôles sur la scène intellectuelle athénienne.
35Le changement n’en reste pas moins patent. À partir du ive siècle, Athènes devient d’ailleurs un centre qui exporte intellectuels et savoir, attirant des élèves de l’ensemble du monde grec ; à cet égard, la cité athénienne devient une manière d’école de la Grèce — ce qu’elle n’était pas encore au moment où Périclès le proclamait dans l’oraison funèbre62.III. ISOCRATE ET LA STRUCTURATION DU CHAMP INTELLECTUEL
36Ce tableau brossé à grands traits, s’il procède sans doute d’une forme de simplification, permet toutefois de se convaincre que l’on ne peut parler d’un champ intellectuel « distinct » qu’à partir de la première moitié du ive siècle. Encore reste-t-il à en explorer la logique de fonctionnement. Celle-ci est profondément agonale. Car le champ intellectuel, s’il existe bien, n’est pas un espace homogène : il est profondément clivé. Or, par la position particulière qu’elle occupe, l’œuvre d’Isocrate représente, nous semble-t-il, une voie d’accès privilégiée pour décrypter le jeu des luttes symboliques qui structurent le champ. Son étude permet de confirmer et d’affiner certaines des hypothèses déjà émises, à partir d’un point de vue éminemment singulier.
37Quelques mots, pour commencer, sur le positionnement d’Isocrate au sein du champ intellectuel. Il incarne à merveille la coupure qu’une partie des élites intellectuelles athéniennes entretient désormais avec la cité, à l’orée du ive siècle. Ainsi qu’il le fait volontiers valoir dans son œuvre, il adopte délibérément une existence menée à l’écart de la vie publique, en citoyen tranquille (apragmôn)63. C’est probablement dans le Panathénaïque qu’il exprime le plus nettement son choix de vie, qui le conduit à survaloriser l’activité intellectuelle aux dépens des pratiques civiques : « Néanmoins, je ne me suis résigné, découragé par ces obstacles, ni à la privation de la gloire, ni à une totale obscurité ; puisque je faisais fausse route dans la vie politique, je me suis réfugié dans la philosophie, dans le travail, dans la rédaction de mes pensées (ἀλλ’ ἐπειδὴ τοῦ πολιτεύεσθαι διήμαρτον, ἐπὶ τò φιλοσοφεῖν καὶ πονεῖν καὶ γράφειν ἃ διανοηθείην κατέφυγον) »64. La philosophie, au sens où il l’entend, constitue donc une sorte d’exil (phugè), une stratégie de repli raisonnée, face à un monde politique jugé trop dangereux. À l’évidence, de tels propos ne sont pas exempts d’une part d’exagération : Isocrate n’est pas aussi coupé de la vie civique qu’il le prétend, en raison notamment du rôle joué par ses disciples, on y reviendra ; toutefois, il n’en est pas moins vrai qu’il ne se départit pas, dans ses discours, d’une prudente réserve, n’abordant jamais de front la situation politique intérieure d’Athènes avant 356 et l’Aréopagitique.
38Détaché des occupations politiques, il est aussi le premier à ouvrir une école, à la fin des années 390. À ce titre, il témoigne des métamorphoses du champ intellectuel : il fournit une vision limpide non seulement du groupe de disciples qu’il crée autour de lui, mais aussi de ses nombreux rivaux, avec lesquels il mène un dialogue souvent violent. Dès lors, l’œuvre d’Isocrate est exemplaire pour qui veut comprendre la logique de fonctionnement du champ intellectuel athénien et les principes de division qui l’animent. Elle permet de mieux appréhender, d’un même mouvement, l’unité grandissante du champ intellectuel et les lignes de fracture qui s’y font jour.
39Certes, les « intellectuels » ne sont toujours pas unifiés par un nom générique, comme en attestent les périphrases variées auxquelles recourt Isocrate pour le désigner, lui qui évoque tantôt « ceux qui s’adonnent à la philosophie »65, tantôt « ceux qui s’occupent d’éducation »66, ou encore, plus rarement, ces « gens qualifiés de sophistes »67 Toutefois, le champ intellectuel trouve une cohérence accrue dans le regard nouveau que la cité porte sur lui. Dans une société de plus en plus complexe, « ceux qui s’adonnent à la philosophie » – pour reprendre la périphrase d’Isocrate – font en effet l’objet d’une défiance généralisée, qui ne souffre guère d’exception : comme l’écrit Isocrate dans son discours Sur l’échange, datant des années 350, Athènes présente en effet un trait fâcheux : « en raison de sa grandeur et de la multitude de sa population, elle ne peut être embrassée d’un seul coup d’œil (οὐκ εὐσύνοπτóς), ni avec précision. Semblable à un torrent, selon qu’y tombent les hommes et les choses, elle les emporte, et parfois elle leur impose une réputation tout à fait contraire à celle qu’ils méritent. C’est là ce qui s’est produit pour nos études »68. Isocrate établit donc un lien étroit entre la complexité grandissante de la cité athénienne et la défiance dans laquelle les intellectuels sont tenus : l’autonomie grandissante du champ intellectuel a pour contrepartie l’animosité accrue du reste de la polis69.
40En 390, dans le discours Contre les Sophistes. Isocrate évoquait déjà la mauvaise réputation de la philosophie « auprès des particuliers (ὑπò τῶν ἰδιωτῶν) », réputation qu’il imputait à l’activité malfaisante de ses rivaux70. Par leurs discours présomptueux, les sophistes mettraient en effet en péril l’ensemble de la profession : « Et en outre, de toute évidence, la philosophie qui est en danger de mort et en butte à la jalousie (ὅτι τῆς φιλοσοφίας ἐπικήρως διακείμενης καὶ φθονουμένης), sera encore plus détestée à la suite de tels discours [i. e. émis par les sophistes] »71.
41Au-delà de cette unité en partie conférée de l’extérieur, Isocrate met surtout en scène les lignes de fracture qui traversent ce champ en voie de constitution.
42Les rivalités s’organisent sur plusieurs plans. Tout d’abord. Isocrate présente volontiers son activité en rupture avec les grands aînés. Souvent, il se place au-dessus de ses prédécesseurs, qu’ils soient poètes – tels Homère et les Tragiques72 –, ou bien prosateurs – à l’instar de son « père » intellectuel, Gorgias73.
43Mais ces stratégies de distinction sont loin de s’organiser seulement verticalement, entre générations différentes ; elles se structurent aussi, et peut-être surtout, horizontalement, entre contemporains, bien qu’Isocrate n’identifie quasiment jamais ses adversaires nommément, conformément à un usage en vigueur à l’époque. Ces rivalités horizontales se traduisent par une concurrence des espaces, à Athènes et parfois même hors d’Athènes74. Le champ intellectuel se polarise désormais autour de lieux précis, et notamment les gymnases de l’Académie, du Lycée ou de Cynosarges. Souvent indifférenciés à l’origine, ces espaces tendent en effet à se spécialiser progressivement au cours du ive siècle. Il n’en avait pas toujours été ainsi : avant d’accueillir puis d’incarner l’école aristotélicienne, le Lycée avait été un lieu d’enseignement d’autres « intellectuels ». Dès la fin du ve siècle. Protagoras, Prodicos de Céos ou Socrate y enseignaient de façon intermittente75 ; Isocrate, surtout, enseigna la rhétorique au Lycée durant la première moitié du ive siècle. Il était alors loin de jouir du monopole de cet espace, puisque d’autres « sophistes » y dispensaient également leurs enseignements, pour son plus grand déplaisir : l’un de ses buts, dans le Panathénaïque, n’est-il pas ainsi de faire « taire ceux qui, dans le Lycée, récitent des fragments de poèmes [d’Homère ou d’Hésiode] et débitent sur leur compte des sottises »76 ?
44L’œuvre d’Isocrate donne en outre un aperçu des enjeux intellectuels autour desquels s’organisent ces jeux de rivalités. Dans le discours Contre les sophistes, qui résonne comme un manifeste à une date où Isocrate vient juste d’ouvrir son école de rhétorique, il définit sa propre activité en l’opposant à deux pratiques intellectuelles symétriques :
- Tout d’abord, il s’en prend violemment au « bavardage » des éristiques et des sophistes, dénué de toute utilité pratique ; « incapables (qu’ils sont), de rien dire ni conseiller de ce qui est nécessaire pour le présent »77 ; dans d’autres œuvres, il veille aussi à se distinguer fortement des auteurs de paignia, de jeux purement littéraires et paradoxaux78, tout comme il critique l’inutilité des poètes qui ne visent qu’à susciter le plaisir de la foule79. Ces déclarations, réaffirmées tout au long de sa carrière, visent aussi ce qui deviendra l’école platonicienne, l’Académie, qu’il critique en ces termes dans le discours Sur l’échange : « les princes de l’éristique et les professionnels de l’astronomie, de la géométrie et des autres sciences du même ordre ne font pas du mal, mais du bien à leurs élèves, moins qu’ils ne le promettent, mais plus que ne le croient les autres gens »80. Leur enseignement souffre d’une certaine inutilité qui fonde, pour Isocrate, le fait de lui refuser la qualité de « philosophie », qu’il entend se réserver comme un label spécifique : « Je ne crois certes pas qu’il y ait lieu d’appeler philosophie une étude qui, pour le présent, ne sert ni à la parole ni à l’action » – même si elle n’est pas totalement condamnable puisqu’elle peut constituer une « gymnastique intellectuelle et préparation à la philosophie »81.
- Ensuite, il en vient à critiquer ceux qui enseignent « l’éloquence politique (τοὺς πολιτικοὺς λόγους) ». Ceux-ci croient fallacieusement à l’existence d’un certain nombre de recettes oratoires immuables, que certains n’ont d’ailleurs pas hésité à fixer par écrit, dans des traités (τέχναι)82. Cette fois, la critique d’Isocrate ne porte pas sur l’inutilité de tels enseignements, mais, au contraire, sur leur utilitarisme exacerbé qui transforme ces intellectuels en « professeurs d’intrigue et de cupidité (πολυπραγμοσύνης καὶ πλεονεξίας) »83, c’est-à-dire en maîtres de futurs sycophantes, toujours prêts à multiplier les procès pour gagner leur vie. Plus largement, il critique, à maintes reprises, ceux qui écrivent sur les contrats et choisissent des sujets tenus pour vils84.
45En définitive, Isocrate donne une vision du champ intellectuel athénien -qu’il ne faut évidemment pas prendre pour argent comptant -, structurée par l’opposition entre, d’un côté, l’« inutile » et, de l’autre, le « trop utile ». D’un côté, le champ intellectuel présente un pôle, totalement autonome par rapport à la sphère civique, sans lien aucun avec la vie pratique : à celui-là. Isocrate adresse le grief d’inutilité ; d’un autre côté, il distingue un second pôle, hétéronome, en adéquation parfaite avec les pratiques démocratiques – et avec les moins recommandables d’entre elles : c’est le domaine sordide de la logographie judiciaire. Le champ intellectuel se trouve donc défini par un rapport différencié à la demande civique.
46À équidistance de ces deux pôles, Isocrate se donne évidemment le beau rôle en se présentant dans une situation intermédiaire confortable. Pourtant, cette position médiane fut au fondement de certaines critiques qu’il essuya.
47Dans l’Euthydème par exemple, Platon n’hésite pas à exprimer son dédain pour les personnages hybrides qui évoluent dans « la zone-frontière entre le philosophe et l’homme politique (μεθόρια φιλοσόφου τε ἀνδρòς καὶ πολιτικοῦ) »85 : situés à la charnière entre le savant et le politique, ces rhéteurs se dispersent, d’après Socrate, dans des activités multiples, papillonnant de l’une à l’autre sans en maîtriser aucune. Derrière cette description peu amène, d’aucuns n’ont pas manqué de reconnaître le portrait en ombre chinoise d’Isocrate86.
48En dépit de ces critiques, Isocrate continue néanmoins à revendiquer une place au milieu de la lice intellectuelle. Les raisons d’un tel choix sont en définitive aisées à comprendre : s’il se présente à mi-chemin entre l’utilitarisme sordide et l’inutilité oisive, c’est précisément parce qu’on lui avait reproché de succomber à l’un comme à l’autre de ces travers. De fait, on sait qu’il fut accusé par ses pairs d’être un sordide logographe, auteur mercenaire de discours judiciaires87. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a de cesse de se présenter, du début à la fin de son œuvre, en citoyen tranquille (apragmôn), n’ayant jamais frayé avec les tribunaux ni même accepté la moindre fonction publique88. Symétriquement, les démocrates lui reprochaient de se livrer à des activités foncièrement inutiles. Isocrate correspond en effet à l’idéal-type dressé par Périclès dans l’oraison funèbre : « Seuls nous considérons l’homme qui n’y participe pas [i. e. aux affaires publiques] comme un inutile et non comme un oisif (οὐκ ἀπράγμονα, ἀλλ’ ἀχρεῖον) »89. Face à ces critiques contradictoires, Isocrate est donc contraint de se livrer à un subtil jeu d’équilibrisme : il doit convaincre ses auditeurs de l’utilité de son propre travail90, tout en refusant de le réduire à une simple réponse à la demande civique.
49Dans ce contexte, il est crucial pour Isocrate de définir à nouveau frais ce qui est véritablement utile, de façon à prouver que son activité satisfait, malgré les critiques, à ce critère91. C’est ce qu’exprime, de façon condensée, le « testament littéraire » laissé par Isocrate, le Panathénaïque : « je n’ai pas choisi des sujets médiocres, ni abordé les transactions particulières (περὶ τῶν ἰδίων συμβολαίων) ou les thèmes sur lesquels certains exercent leur sottise (περὶ ὦν ἄλλοι τινὲς ληροῦσιν) ; c’est sur les affaires qui intéressent les Grecs, les rois, notre patrie que mon choix s’est porté »92. En deux phrases, tout est dit. Isocrate commence par expliciter ce que son travail n’est pas — ni activité mercenaire, ni simple bavardage -, avant de lui donner un contenu positif : « ce qui intéresse les Grecs, les rois et notre patrie ». Le discours Sur l’échange reprend pour l’essentiel la même définition, en la précisant toutefois davantage : « il y a des gens qui [...] ont préféré écrire des discours, non pas sur les contrats que vous faites entre vous, mais pour intéresser les Grecs, discours qui, de l’avis général, ressembleraient plus aux compositions accompagnées de musique et de rythme qu’aux plaidoyers prononcés en justice »93.
50La finalité est d’« intéresser les Grecs » : l’horizon panhellénique est ici clairement affiché. De fait, chez Isocrate, la Grèce tend à supplanter la cité dans la hiérarchie des sujets sur lesquels il est légitime de s’exprimer. C’est bien ce qu’il tient à préciser un peu plus loin, dans le même discours, lorsqu’il écrit : « Si les gens intelligents doivent prendre à cœur ces deux objets [la cité et la Grèce entière], il leur faut placer au premier rang le plus grand et le plus précieux [i. e. la Grèce] »94.
IV. ENTRE REPLI INTÉRIEUR ET HORIZON PANHELLÉNIQUE
51Pour justifier Futilité de son travail. Isocrate se situe donc délibérément en dehors de la logique civique pour se référer à un ordre panhellénique surplombant ; il suit en cela une rhétorique déjà ancienne, mais ravivée par la situation internationale troublée d’après la guerre du Péloponnèse95. D’une certaine façon, cette posture panhellénique est tout à fait cohérente avec la façon dont s’est structuré le champ intellectuel athénien au ive siècle : il est en effet assez logique qu’au fur et à mesure qu’une partie des élites intellectuelles se coupe du reste de la cité, elle cherche à contourner l’échelon civique dans ses programmes intellectuels.
52Dans cette dialectique entre repli intérieur et élargissement panhellénique, l’écrit joue un rôle cardinal. Les œuvres écrites concourent en effet à fixer des traditions, à figer des textes que l’on étudie désormais en petit comité, à charge pour le maître de rendre cette parole vivante ; en ce sens, l’écrit favorise le repli des groupes intellectuels sur eux-mêmes ; mais, dans le même temps, l’écriture permet la mise en place de stratégies de diffusion intellectuelle à l’échelle de tout le monde grec, ainsi que le démontrent les nombreuses œuvres et lettres d’Isocrate adressées à des destinataires lointains. De fait, l’auteur se plaît à évoquer le rayonnement de son œuvre, se faisant gloire d’attirer des disciples venus de toute la koinè hellénique, depuis la Sicile jusqu’à la mer Noire96. Mieux encore, grâce à la publication et à la circulation de ses manuscrits, Isocrate est en mesure d’étendre son auditoire aux confins du monde grec, tout en sélectionnant drastiquement ses destinataires. C’est du moins ce que suggère l’un de ses disciples, lorsqu’il souhaite inciter son maître à publier son dernier ouvrage alors inachevé, le Panathénaïque : « Fais cela [i. e. publie-le] si tu veux être agréable aux esprits les plus distingués de la Grèce (τοῖς ἐπιεικεστάτοις τῶν Ἐλλήνων), à ceux qui pratiquent vraiment la philosophie et ne se contentent pas des apparences »97. Les epieikeis de toute l’Hellade : tels sont donc les destinataires fantasmes de l’œuvre isocratique98. Décidément, le panhellénisme apparaît bien comme une idéologie aristocratique, en rupture partielle avec le cadre restreint de la cité.
53Cet horizon panhellénique revendiqué ne signifie pas qu’Isocrate néglige complètement sa propre patrie. De fait, son école accueille aussi de nombreux disciples athéniens, sur lesquels il s’arrête d’ailleurs en détail dans le Sur l’échange99. À l’en croire, la plupart d’entre eux se sont montrés dignes de la cité, y compris le stratège Timothée, dont l’action fut pourtant controversée100. L’école Isocratique n’est donc pas entièrement coupée de la vie politique, mais l’engagement se fait de façon indirecte, par disciples et lecteurs interposés. Quoi qu’il en soit, Isocrate aime à se présenter, au moins rhétoriquement, en retrait de la vie civique. Panhellénisme et coupure avec l’ordre civique vont, là encore, de pair :
54« [...] les étrangers qui viennent à Athènes et les maîtres de leur éducation, loin de tramer aucun crime, sont les moins chicaniers de tous les habitants de la cité (ἀπραγμονεστάτους) et vivent de la façon la plus tranquille, à ne s’occuper que d’eux-mêmes et à ne se réunir qu’entre eux (προσέχοντας δὲ τòν νοῦν σφίσιν αὐτοῖς καὶ τὰς συνουσίας μετ’ ἀλλήλων ποιουμένους) »101.
55L’auteur souligne donc la position marginale dans laquelle se trouvent ses disciples vis-à-vis de la cité : eux qui, déjà, ne sont pas même Athéniens, ne dispensent guère d’efforts pour s’intégrer à la vie civique. Ils vivent en vase clos — « ne s’occupant que d’eux-mêmes et se réunissant entre eux », refusant toute forme d’engagement public, à l’instar de leur maître qui, lui, est pourtant citoyen de plein droit. D’après Isocrate, il s’agit là d’un comportement responsable dans une Athènes troublée par les activités des sycophantes et des orateurs populaires. Il n’en reste pas moins que l’apragmosunè engage un rapport de clôture vis-à-vis de la cité et, par là-même, suscite la suspicion. Par sa conduite, Isocrate se situe, alors qu’il vit au sein même de sa polis, dans les marges réservées aux non-citoyens : « Il incarne le paradoxe d’un Athénien se comportant comme un étranger vis-à-vis de sa propre patrie »102, comme si, pour incarner la Grèce, il fallait renoncer en partie à ses attaches civiques.
56En définitive, la figure d’Isocrate associe étroitement ouverture et fermeture, panhellénisme et repli. Retranchée dans le Lycée à la périphérie d’Athènes, l’école Isocratique est pourtant ouverte sur le grand large, attirant des disciples de toute la Grèce : d’une certaine manière, l’école réalise déjà, sur un plan pédagogique, le panhellénisme qu’Isocrate voudrait voir appliquer en matière politique. Fier d’avoir à lui seul plus de disciples que tous les philosophes réunis103, il reconstitue autour de lui une sorte de microcosme du monde grec dans lequel il se targue d’occuper une position centrale.
V. DU GROUPE À L’INDIVIDU : L’UNICITÉ DE LA VOIX ISOCRATIQUE
57Ce qui amène à une dernière question, en guise de conclusion : comment situer l’individu « Isocrate » au regard des différents groupes auxquels il appartient ?
58Dans une certaine mesure, la réponse est simple : la singularité de la voix isocratique découle directement de son ambition panhellénique – car, d’après Isocrate, rares sont les gens à même de parler de ce qui est utile à la Grèce tout entière104 ; s’il est un individu exceptionnel, c’est précisément parce qu’il prétend occuper une position unique au sein du champ intellectuel athénien – et, a fortiori, au sein de la cité, voire de la Grèce dans son ensemble.
59Toutefois, sa singularité ne découle pas seulement des idées qu’il défend, mais aussi du genre de vie qu’il a choisi d’adopter. Donnant fictivement la parole à l’un de ses disciples, Isocrate se vante ainsi de mener un genre de vie différent tant de la masse des citoyens que de ses rivaux « intellectuels » — son disciple assurant qu’il vit « d’une façon qui diffère à la fois des sophistes et des simples particuliers, des riches et des gens sans ressources (ἀλλ’ ἀνομοίως ζῶντα καὶ τοῖς σοφισταῖς καὶ τοῖς ἰδιώταις καὶ τοῖς πολλὰ κεκτημένοις καὶ τοῖς ἀπόρως διακειμένοις) »105. On retrouve là un trait caractéristique de la philosophie ancienne, qui procède toujours d’un mode de vie et d’une décision volontaire de vivre le monde selon certains critères, en communautés ou en écoles, ainsi que l’a montré Pierre Hadot106.
60Cette singularité s’affirme, pour finir, dans son écriture ; car Isocrate est l’un des premiers à choisir l’écrit pour composer l’ensemble de son œuvre, s’émancipant ainsi des contraintes formelles liées à l’exécution orale. De fait, l’orateur n’élabore plus ses discours pour qu’ils puissent être déclamés : n’ayant pas à répondre au rythme de la demande publique, il compose son œuvre avec une extrême lenteur, pesant chaque mot et calculant indéfiniment le circuit de chaque période. Il met ainsi quinze ans. dit-on, à polir son Panégyrique. Ce temps de composition démesuré retentit ensuite sur la taille de ses œuvres, souvent trop longues pour être exécutées d’une traite ; à l’intérieur de ces pseudo-discours, les phrases elles-mêmes n’en finissent plus de s’allonger en gigantesques périodes, impropres à être prononcées oralement. C’est bien ce que lui reproche le philosophe Hieronymos de Rhodes, au iiie siècle av. J.-C, lorsqu’il déclare « à propos des discours d’Isocrate qu’on pourrait les lire avec profit mais que les déclamer en public à haute et intelligible voix, les prononcer dans leur mise en œuvre actuelle, avec les gestes qu’il faut, serait rigoureusement impossible, car il y manque l’essentiel, ce qui est seul capable de remuer les foules : le pathétique et le souffle de vie »107. La prose Isocratique semble ainsi refléter la cité athénienne du ive siècle, toujours plus complexe et différenciée : l’une comme l’autre ne peuvent plus être « embrassé d’un seul coup d’œil (εὐσύνοπτος) »108. En cela, Isocrate rompt avec les codes habituels de la rhétorique pour inventer un style profondément original et persuasif109.
61De fait, la pratique exclusive de l’écrit tend à lui conférer une individualité singulière qui le sépare radicalement des autres penseurs de l’époque110. La composition écrite, très soignée, donne en effet à l’œuvre une remarquable unité, tant dans les thèmes que dans le style, et concourt, en définitive, à créer une « voix isocratéenne », une identité littéraire bien distincte111. De façon symptomatique, Isocrate est le premier à revendiquer une forme de paternité littéraire, se montrant extrêmement sensible à la reprise par d’autres de ses idées et de ses tournures112 et réclamant à son tour le droit de se « servir de ce qui [lui] appartient (τοῖς μὲν οὖν οἰκείοις) »113. Il se cite d’ailleurs longuement lui-même, dans le discours Sur l’échange, érigeant ainsi son œuvre en un corpus établi, figé, qui lui est clairement assignable114. C’est là une innovation dans une civilisation où un véritable paradigme de l’auteur n’est pas encore fermement établi115 et où certains, loin de se mettre en avant, jouent plutôt sur des stratégies complexes d’effacement — que l’on pense à l’anonymat du discours platonicien, qui se cache derrière Socrate ou l’Étranger, ou au rapport troublé que Xénophon entretient avec l’auctorialité116.
62Dans son œuvre, Isocrate exalte donc à l’envi son individualité intellectuelle et littéraire ; mais en définitive, cette dernière doit être rapportée à la position singulière qu’il déclare occuper dans les différentes sphères auxquelles il appartient : au sein de son école, dont il est le centre ; dans le champ intellectuel, où il revendique une posture à mi-chemin entre le sycophantisme judiciaire et la sophistique inutile ; dans la cité athénienne, où il se présente comme un citoyen « tranquille », apragmôn, totalement détaché de la vie politique ; dans le monde grec, enfin, où il aspire à tenir un rôle central — ce qu’il réalise déjà, sur le plan pédagogique, par le biais de son groupe de disciples venus de toute la Grèce. C’est à la charnière de ces différents univers qu’émerge la voix singulière d’Isocrate.
63Au-delà du cas isocratique, nous espérons avoir montré la validité d’une démarche qui, selon la perspective ouverte par Maurice Halbwachs117, se montre sensible à la multi-appartenance des acteurs individuels, à leurs socialisations successives ou simultanées dans des groupes variés, à la multiplicité des points de vue qu’ils peuvent mobiliser. En dépit de leurs prétentions à l’originalité, les intellectuels ne sauraient donc être abstraits des multiples groupes emboîtés auxquels ils appartiennent et qui façonnent, bon gré, mal gré, leurs engagements. Réciproquement, ce n’est souvent qu’à l’échelle individuelle, à l’état incorporé, que l’on peut saisir les interactions complexes entre les différents groupes auxquels ces individus appartiennent. En somme, groupes et individus gagnent être considérés en relation dialectique, comme des constructions plurielles résonnant entre elles.
Notes de bas de page
1 Julliard (J.) et Winock (M.), éd., Dictionnaire des intellectuels. Les personnes, les lieux, les moments, Paris, 1996 et, surtout. Charles (C.), Naissance des « intellectuels ». 1880-1900. Paris, 1992, p. 160-162. Le terme avait été employé pour la première fois, mais sans postérité, par Saint-Simon, en 1821 (Œuvres de Claude-Henri de Saint-Simon (vol 5), Dentu (E.), éd. 1869).
2 Sur les forces et les faiblesses de la pensée analogique, voir Bouveresse (J.), Prodiges el vertiges de l’analogie. De l’abus des belles-lettres dans la pensée, Paris, 1999 et Lahere (B.), « Sociologie et analogie », dans L’esprit sociologique, Paris, 2005, p. 66-93. Un usage contrôlé de l’analogie a été proposé par Loraux (N.), « Éloge de l’anachronisme en histoire », Le Genre humain, 27 (1993).p. 23-39.
3 Noiriel (G.), Les fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France, Paris, 2005. Voir déjà Bourdieu (P.), Les règles de I art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992, p. 187, « l’invention de l’intellectuel ne suppose pas seulement l’autonomisation préalable du champ intellectuel, ... [mais] est l’aboutissement d’un autre processus, parallèle, de différenciation, celui qui conduit à la constitution d’un corps de professionnels de la politique, et qui exerce des effets indirects sur la constitution du champ intellectuel ».
4 Noiriel (G), Les fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France, Paris, 2005, distingue ainsi plusieurs figures d’intellectuels : l’intellectuel révolutionnaire, en voie de disparition ; l’intellectuel de gouvernement, cherchant à créer des réseaux et à réconcilier le savant et le politique ; et l’intellectuel spécifique, s’intéressant aux questions d’actualité, mais souhaitant les poser dans des tennes différents de ceux imposés par la demande sociale.
5 Lorsque le terme est utilisé en histoire ancienne, son emploi est rarement justifié, comme s’il tombait sous le sens Voir cependant dans le cas d’Athènes, Longo (O.), « Per la definizione di una figura intellettuale nell'antica Atene », dans Ceresa-Gastaldo (A.), éd., Il comportamento dell'intellettuale nella società antica. Gênes, 1980, p. 9-32 (qui s’arrête cependant à des prolégomènes méthodologiques, inspirées de Sartre et Gramsci) Son utilisation est également explicitée, quoique d’une autre manière, dans le cas du Moyen Âge par Le Goff (J.), Les intellectuels au Moyen Âge, Paris, 1985 (2e éd.), p. I.
6 Loraux (N.) et Mirales (C.), éd., Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, 1998 (sera cité sous la forme Loraux et Mirales, éd.. Figures de l’intellectuel) Cette perspective de longue durée était déjà celle que privilégiait Vatai (F.L.), dans sa rapide synthèse (Intellectuals in Politics in the Greek World. From Early Times to the Hellenistic Age, Londres. 1984).
7 On peut au demeurant regretter que le ive siècle ne soit ainsi nullement abordé dans le grand projet collectif mené par Loraux (N.), « Éloge de l’anachronisme en histoire ». Le Genre humain, 27 (1993). p. 23-39.
8 Ce flottement vaut également sur le plan formel : tout comme le mot « intellectuel » en français, les termes grecs accolés aux élites du savoir sont, à Athènes, profondément ambivalents Si le qualificatif de « sophiste », par exemple, est généralement assigné du dehors, de façon critique, cela n’a toutefois rien de systématique : sur l’ambiguïté du terme, voir par exemple Kerferd (G.B.), Le mouvement sophistique, Paris, 2000, p. 67-87 (lre éd. anglaise 1981). Une même équivoque se retrouvent avec d’autres termes, comme phrontistès, voire sophos.
9 Sur ces questions, voir Schiappa (E.), The Beginnings of Rhetorical Theory in Classical Greece. 1999 ; Bouvier (D.), « Mythe ou histoire : le choix de Platon. Réflexions sur les relations entre historiens et philosophes dans l’Athènes classique », dans Guglielmo (M.) et Gianotti (G.F.), éd., Filosofia, storia, immaginario mitologico, Turin, 1997, p. 41-64 et Desclos (M –L.), Aux marges des dialogues de Platon. Essai d’histoire anthropologique de la philosophie ancienne, Grenoble, 2003.
10 Le livre de Ober (J.), Political Dissent in Democratic Athens : Intellectual Critics of Popular Rule, Princeton, 1998, est l’une des premières tentatives d’analyse globale – même s’il ne prend en compte que les « opposants » à la démocratie dans son étude.
11 Lahire (B.), « De la théorie de l’habitus à une sociologie psychologique », dans Lahire (B.), éd., Le travail sociologique de P. Bourdieu, Paris, 1999, p. 121-152, ici p. 144. Réciproquement, Lahire écrit : « Pour comprendre le social à l’état plié, individualisé, il faut avoir connaissance du social à l’état déplié ».
12 Pierre Bourdieu est évidemment celui auquel on doit la théorisation explicite du concept de champ. Voir par exemple Bourdieu (P.), « Le champ littéraire », Actes de ta recherche en sciences sociales. 89 (1991), p. 3-46 ; sur les limites de la notion, voir Lahire (B.). « Champ, hors-champ, contrechamp », dans Lahire, Le travail sociologique de Pierre Bourdieu, p. 23-57.
13 Ce point a été bien démontré par Cohen (E.E.), The Athenian Nation, Princeton, 2000, p. 11-22.
14 Sur la spécialisation en matière politique, cf. Plutarque, Phocion, 7, 5. Voir plus généralement les remarques de mossé (Cl), « Politeuomenoi et idiotai : l’affirmation d’une classe politique à Athènes au ive siècle », REA, 86 (1984), p. 193-200 et Hamel (D.), « Strategoi on the Bema : the Separation of political and military Authority in Fourth-Century Athens », Ancient Histoty Bulletin, 9 (1995), p. 25-39. La question de la spécialisation économique est également au cœur de plusieurs œuvres de la première moitié du ive siècle. Dans la République (II, 372D-373B), Platon décrit ainsi le passage de la cité primitive, manquant de spécialisation, à la cité « spécialisée », qui renvoie en réalité à la situation athénienne Xénophon fait également l’éloge de la spécialisation, avec cette fois l’Empire perse comme point de référence : cf. Mémorables, III, 9, 3 ; Cyropédie. II, 1, 21 et VIII, 2, 5-6.
15 Cf. Aristote, Politique, VI, 1317 b, définissant ainsi l’oligarchie : « Une oligarchie se définit par des critères tels que naissance, richesse, éducation ».
16 Aréopagitique (VII), 45 (nous soulignons). Selon Isocrate, les diverses classes sociales doivent recevoir une éducation différente et être préparées aux tâches qu’elles auront à remplir dans la vie civique ; mais cette division ne doit nullement résulter du libre choix des individus ; ce sont les représentants de la cité qui dirigeront les moins aisés vers l’agriculture et le commerce et imposeront aux plus riches les études « philosophiques » et la pratique de la gymnastique, de l’équitation et de la chasse.
17 Elle en serait même, à l’en croire, le sommet hiérarchique. Dans le Panégyrique (IV), 1-3, Isocrate tend d’ailleurs à décrédibiliser la pratique du « sport » pour lui préférer celle de la philosophie.
18 Voir Wallace (R.W.), « Speech, Song and Text, Public and Private. Evolutions in Communications Media and Fora in Fourth-Century Athens », dans Eder (W.), éd., Die Athenische Demokratie im 4. Jahrhundert v. Chr., Stuttgart, 1995, p. 199-224 (sera cité sous la forme Wallace, « Speech, Song and text ».
19 Detienne (M.), Les maîtres de vérité, Paris, 1965 et Wallace (R.W.), « The Sophists in Athens », dans Bœdeker (D ) et Raaflaub (V.), éd., Democracy, Empire and the Arts in Fifih-Centuty Athens, Harvard, 1998, p. 203-222, ici p. 213 (sera cité sous la forme Wallace, « Sophists in Athens ».
20 Platon, Lysis, 203A et suiv. ; République. I. 327A et suiv. ; Protagoras. 309A-311A.
21 Voir à ce propos Lloyd (G.E.R.), The Revolutions of Wisdom : Studies in the Claims and Practice of Ancient Greek Science, Berkeley, 1987, p. 92-95 et Wallace (r.w.), « Sophists in Athens », p. 205. Parmi ceux qui sont appelés « sophistes », l’hétérogénéité est en effet très grande : ils sont loin de représenter une même école, tant pour leurs opinions politiques (ils ne sont pas tous démocrates) que pour leur théorie de la connaissance ou même leur activité sociale (savants auteurs d’une œuvre écrite, politiques, orateurs ou encore messagers). Au demeurant, seul Protagoras est censé, aux dires de Platon (Protagoras. 317B), s’être présenté lui-même comme « sophiste ».
22 Cf. e. g. Platon, Protagoras, 316C-D, où le sophiste évoque les « jalousies, les animosités et les machinations hostiles » que suscite l’influence des « sages » tels que lui sur la jeunesse athénienne.
23 Nuées, v. 331-334. Voir à ce propos Loraux (P.), « Le pragmaticien », dans Loraux et Mirales, éd., Figures de l’intellectuel, p. 254.
24 Sur la définition ambiguë du terme « sophistes », voir déjà supra. Le terme possède à la fois un sens technique (d’enseignant professionnel) et une acception élargie (« homme sage »). Il s’agit donc d’un terme assez englobant, en adéquation avec la faible spécialisation du travail intellectuel qui prévaut au ve siècle.
25 Bien entendu, la question des deux Antiphon reste posée. Sur l’orateur, cf. Platon, Ménéxène, 236A, où Antiphon de Rhamnonte est mentionné comme professeur de rhétorique ; pour le sophiste, cf. Xénophon, Mémorables. I, 6. Hermogène (IIIe ap. J.-C. : Antiphon, fr. 87 A 2 D.-K.) distingue deux Antiphon : 1 orateur et celui dont on dit aussi qu’il a été devin et interprète de rêves, et à qui sont attribués Sur la Vérité, Sur la Concorde et un Politique. Sur cette délicate question, voir les positions nuancées de Gagarin (M.), Antiphon the Athenian. Oratory, Law and Justice in the Age of the Sophists, Austin, 2002 (qui plaide pour un seul Antiphon), et Guthrie (W.C.K.), Les sophistes. Paris, 1976(lre éd. anglaise 1971), p. 290-299.
26 Cf. Télécleidès, fr. 41-42 K.-A. : « Les Troyennes sont la nouvelle pièce d’Euripide dont Socrate a fait la charpente et Mnésiloque que voilà… des Euripides chevillés par Socrate ». La première version des Nuées évoque également la collaboration entre les deux hommes (fr. 392 K.-A.) : « celui qui fait pour Euripide ces tragédies bavardes et savantes, le voici », dit-on à propos de Socrate.
27 Voir notamment Alexandre (P.), Le sauvage et le philosophe. Essai sur la représentation de l’intellectuel dans la Grèce des cités (v-ive siècles), thèse 3e cycle, EHESS, sous la dir. de Loraux (N.), p. 4-5 (sera cité sous la forme Alexandre, Le sauvage et le philosophe) Aristophane qualifie d’ailleurs Euripide de sophôtaton (Nuées, v. 1378).
28 Le traité sur les Vents et sur l’Art sont si rhétoriques dans leur style, et si peu techniques, que les historiens ont pensé qu’ils étaient produits uniquement par des « sophistes », dans le sens négatif que lui a donné Platon, et non par des docteurs. Voir à ce propos Lloyd (G.E.R.), Magie, raison et expérience. Origines et développement de la science grecque, Paris, 1990 (1ère éd. anglaise 1979), p. 97-109 ; Jouanna (J.), « Rhétorique et médecine dans la Collection Hippocratique », REG. 97 (1984), p. 26-44 et Thomas (R), « Prose Performance Texts. Epideixis and Written Publication in the Late Fifth and Early Fourth Centuries », dans Yunis (H.), éd., Written Texts and the Rise of Literate Culture in Ancient Greece, Cambridge, 2003, p. 162-188, ici p. 174-176.
29 On peut penser également à l’école éléatique de Parmémde, Zenon. Melissos, ou encore à Anaxagore.
30 Timée, 19E.
31 Hippias Majeur, 282B. Cf. aussi Xénophon, Mémorables, IV, 4, 5 et Platon, Hippias Majeur, 281A, qui pointe les absences répétées d’Hippias, hors de la cité athénienne.
32 Cf. Platon, Hippias Majeur. 282B-C : Hippias, Gorgias et Prodicos y sont critiqués pour être superficiels, mais également pour n’avoir cessé de se déplacer afin de vendre leur marchandises intellectuelles à de nouveaux auditeurs Voir plus largement Thomas (R.). Heredotus in Context. Ethnography Science and the Art of Persuasion, Cambridge, 2000, p. 11.
33 Trop souvent, les analyses des « intellectuels » restent ainsi cantonnées aux seuls « philosophes » : voir ainsi l’article de Natali (C.), « Lieux et écoles du savoir », dans Brunschwig (J.) et Lloyd (G.E.R.), éd., Le savoir grec : Dictionnaire critique, Paris, 1996, p. 229-249, dont les développements sont par ailleurs éclairants (sera cité sous la forme Natali, « Lieux et écoles du savoir »).
34 Théétète, 173D-E.
35 Ibid.
36 Cf. e. g. Aristophane, Grenouilles, v. 943 et v. 1409 ; Satyr. Vit. Eurip., col. 10 (POxy 1176. p. 153) ; Athénée, 3a ; Aulu Gelle, XV, 20 ; Souda, s.v. Euripides. Voir à ce propos Wallace, « Sophist in Athens », p. 215 et déjà Lesky (A.), Greek Tragic Poetry ; New Haven, 1983 (1ère éd. allemande 1972), p. 199.
37 Euripide, Médée. v. 294-301. Voir à ce propos les analyses de Delmont (P.), La cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité. Paris, 1990, p. 150-151.
38 Socrate comme bouleute : Xénophon, Helléniques, I, 7, 15-16 ; Socrate comme hoplite : cf. e. g. Platon, Banquet, 220E-221B et Plutarque, Alcibiade. 7, 3-6. Socrate est censé n’avoir eu ni école ni disciples, tout au plus des « compagnons » : Platon, Apologie de Socrate, 19D, 33A-B ; contra Xénophon, Mémorables, I, 2, 3. Voir à ce sujet Dorion (L.-A.), Socrate, Paris, 2004, p. 99.
39 Cf. Platon, Apologie, 30E : son démon lui a interdit de s’engager directement dans l’activité politique.
40 C’est Aristophane, dans les Nuées, qui le présente ainsi : il cultive le secret (v. 140 : sa parole n’est révélée qu’aux disciples) au point que le poète établit un parallèle entre l’enseignement de Socrate et les cultes à mystères (v. 143) Ses disciples sont d’ailleurs présentés comme des initiés (v. 258-259), qui recueillent leur enseignement dans un lieu enfoui (v. 198-199), comparé à l’antre de Trophonios (v 506-509). Toutefois, c’est là une représentation polémique, et les Socratiques ont de leur côté tendance à représenter Socrate en public et non en secret.
41 Sur la marginalisation, voire le bannissement des hétairies à Athènes, cf. Ps.-Démosthène, Contre Stephanos 2 (XLVI). 26, qui cite cette loi : « Quiconque usera de collusion ou de corruption dans l’Héliée, les tribunaux ou le Conseil, soit en donnant, soit en recevant de l’argent, ou fondera un hétairie en vue de renverser la démocratie (ἢ ἑταιρείαν συνιστῇ ἐπὶ καταλύσει τοῦ δήμου), [...] sera l’objet d’une accusation publique devant les thesmothètes ». Cf. aussi Hypéride, Pour Euxénippe (III), 7-8.
42 Sur les questions d’authenticité et les problèmes posés par cette œuvre, voir Brisson (L.), éd., Platon. Lettres. Paris, G.-F., 1987, ainsi que Id., « La Lettre VII de Platon, une autobiographie ? », dans Baslez (M.-F.), Hoffmann (P.) et Pernot (L.), éd., L’invention de l’autobiographie d’Hésiode à saint Augustin, Paris, 1993, p. 37-46.
43 Lettre VII, 324B et suiv.
44 Lettre VII, 325A-B. Des opposants patentés à la démocratie radicale, comme Isocrate et Platon, tombent d’accord pour voir dans les épisodes oligarchiques l’abomination suprême : Platon, Lettre VII, 324D ; Isocrate, Aréopagitique (VII), 62-69.
45 Platon souligne la corruption totale des affaires publiques — qu’il dit être dans un état « pratiquement incurable » : ainsi finit-il par être « pris de vertige et par être incapable de cesser d’examiner quel moyen ferait un jour se produire une amélioration » : Lettre VII, 326A.
46 Voir les positions opposées de Chroust (A.H.), Socrates, Man and Myth. The Two Socratic apologies of Xenophon, Londres, 1957 et Livingston (N.), A Commentary on Isocrales’ Busiris, Leiden, 2001, p. 39.
47 II, 121-125.
48 Cf. Poétique, I, 1447a28-b13 ; Rhétorique, III, 16, 1417al8-21 ; fr. 72 Rose (apud Athénée, XV, 505C).
49 Sur cette pratique fort répandue dans les procès athéniens (avec l’existence d’un véritable marché de synégores), voir Rubinstein (L.), Litigation and Cooperation. Supporting Speakers in the Court of Classical Athens, Stuttgart, 2000.
50 Cf. Platon, Lettre VII, 325C-D. Socrate lui-même est censé avoir remarqué que s’il était entré en politique, il ne serait pas resté vivant longtemps : Platon, Apologie de Socrate, 31D-E. Voir plus généralement Vegetti (M.), « Filosofia e politica : le awenture dell’Accademia », dans Lisi (F.L.), éd., The Ways of Life in Classical Political Philosophy, Madrid, 2004, p. 69-81, ici p. 70.
51 Cf. e. g. République, VI, 496B-E.
52 Cependant, certains « intellectuels » exilés se trouvent parfois en rupture radicale avec les structures civiques. Dans le cas de Xénophon par exemple, son statut d’exilé lui donne une position transcendante par rapport à l’horizon traditionnel de la cité qui lui permet d’ailleurs de postuler un au-delà temporel et spatial – si l’on pense à ses rêveries monarchiques perses Comme l’a fait valoir Sally Humphreys, « de nouvelles visions " transcendantales " sont susceptibles d’être proposées par des personnes qui se trouvent dans un positionnement social précaire, solitaire, dans une place interstitielle » : Humphreys (S.C.), « “Transcendence” and Intellectual Roles : the Ancient Greek Case », dans Anthropology and the Greeks, Londres, 1978. p. 240-241. Voir déjà les remarques d’Reverdin (O.), « Crise spirituelle et évasion », dans Grecs et Barbares (Entretiens de la fondation Hardt, 8), Genève, 1962, p. 85-120, ici p. 94-97.
53 Le but de l’école platonicienne est à l’évidence de former des hommes politiques : voir Schuhl (P.M.), « Platon et l’activité politique de l’Académie », REG, 44-45 (1946-1947), p. 46-53.
54 Voir, plus généralement, Alexandre, Le sauvage et le philosophe, p. 222 : « Par le biais de l’enseignement, par le biais de l’écriture aussi, le sage pratique, en quelque sorte, une politique au second degré ». L’image du taon se trouve chez Platon, Apologie de Socrate, 30E.
55 Voir par exemple Perrin-Saminadayar (E.), « Des élites intellectuelles à Athènes à l’époque hellénistique ? Non, des notables », dans Cebeillac-Gervasoni (M.) et Lamoine (L.), éd.. Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, Rome-Clermont-Ferrand, 2003, p. 383-400. D’après lui, les philosophes des écoles et leurs auditeurs ne constituent pas des élites dans la mesure où « ils ne souhaitent pas constituer un groupe à part au sein de la cité et parce que celle-ci n’a aucun intérêt à les considérer comme tels » (p. 399).
56 Voir déjà Lynch (J.P.), Aristolle’s School. A Study of a Greek Educationnal Institution, Berkeley, 1972, p. 32-67 ; Delorme (J.), Gymnasion. Étude sur les monuments consacrés à l’éducation en Grèce des origines à l’Empire romain, Paris, 1960, p. 52-59 et 317-318 et Baslez (M.F.), « Les associations dans la cité et l’apprentissage du collectif », Ktèma, 23 (1998), p. 431-440, ici p. 431-432. Depuis 415, les réunions ne s’effectuaient plus dans les maisons privées pour éviter toute assimilation avec les sociétés secrètes, mais plutôt en plein air ou dans un lieu public : les philosophes rassemblaient ainsi leurs disciples dans les gymnases ( cf. e.g. IG II2 1006, 20).
57 Sur l’échange (XV), 87 : « Sur un si grand nombre d’élèves, dont certains ont vécu avec moi trois ans, d’autres quatre, on n’en trouvera pas un qui se soit plaint de quelque enseignement donné chez moi » (nous soulignons).
58 Natali, « Lieux et écoles du savoir », p. 235.
59 Les premiers témoignages de lectures privées remontent à la fin du ve siècle (cf. Aristophane, Grenouilles, v. 52-53). Voir à ce propos Wallace, « Speech, Song and Text », p. 199-224. A partir du début du ive siècle, se développe également l’utilisation des preuves et des témoignages écrits dans les cours judiciaires, tandis que se mettent en place les archives civiques Sur toutes ces questions, voir notamment Harris (W.V.), Ancient Literacy, Cambridge, 1989, p. 66-89.
60 Le Phèdre de Platon ne peut être convoqué pour discréditer l’utilisation de l’écrit au ive siècle : à l’instar d’autres œuvres de la même époque, le Phèdre ne prohibe pas l’utilisation de l’écrit, mars indique simplement qu’il n’est pas aussi efficace que l’exécution orale. Par ailleurs, écriture et oralité sont complémentaires : dans les milieux philosophiques, certains écrits avaient, semble-t-il, un but publicitaire. Ils visaient à attirer de nouveaux élèves qui, par la suite, recevaient un enseignement oral. Voir à ce propos Irigouin (J.), Le livre grec des origines à la Renaissance. Paris, 2001, p. 26.
61 Panathénaïque (XII), 18.
62 Thucydide II, 41, 1. Cf. aussi Isocrate, Panégyrique (IV), 50 ; Sur l’échange (XV), 295.
63 Cf. e. g. Philippe (V), 25-28. Voir plus généralement sur l’apragmosunè isocratique, Bringmann (K.), Studien zu den politischen Ideen des Isokrates, Göttingen, 1965, p. 62-64 et Demont (P.), La cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, op. cit., p. 329-342.
64 Panathénaïque (XII), 11.
65 Contre les Sophistes (XIII), 1 et 18 (hoi philosophountes) ; À Démonicos (I), 3.
66 Contre les Sophistes (XIII), 1.
67 Sur l’échange (XV), 155. Cf. Contre les Sophistes (XIII), 14. Dans le À Démonicos (dont l’authenticité est discutée), l’auteur se range d’ailleurs lui-même parmi les sophistes (§ 51) ; il ne met naturellement dans ce mot aucune critique et il cite sophistes et poètes dans un sens également favorable. A l’inverse, aux paragraphes 2 et 4 du Sur l’échange, les sophistes sont conçus négativement, comme des adversaires qu’il convient de blâmer.
68 Sur l’échange (XV), 172.
69 Sur le savoir comme distinction provoquant l’envie de la foule, cf. Xénophon, Apologie de Socrate, 14-15 et 32 ; Cyropédie, III, 1, 38-40 et Banquet, VI, 6-9, où un Syracusatn jalouse Socrate parce que les convives négligent son spectacle pour écouter les paroles du sage. Voir plus largement Azoulay (V.), Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris. 2004, p. 263 et suiv.
70 Contre les Sophistes (XIII), 1 Cf. aussi (XIII), 7 et 11 : « car à ce que je crois, de mauvais propos (tas blasphêmias) sont dirigés non seulement contre ces gens qui se trompent, mais en même temps contre tous les autres qui s’occupent de travaux analogues ».
71 Busiris (XI). 49. Dans la République, VI, 500B, Platon soutenait également que, « si la masse (tous pollous) est indisposée contre la philosophie, la faute en est aux intrus qui ont pénétré bruyamment chez elle contre toute convenance, et qui, injurieux et hargneux les uns envers les autres, et réduisant leurs discussions à des questions de personnes, se conduisent d’une manière indigne de la philosophie ».
72 Cf. À Nicoclès (II), 48-49. Voir à ce propos Papillon (T.L.), « Isocrates and the Greek Poetic Tradition », Scholia, 7 (1998), p. 41-61.
73 Cf. Panégyrique (IV), 9-10, où il affirme que le pouvoir de la rhétorique permet de mieux parler que ses prédécesseurs. Pour la rivalité vis-à-vis des poètes qui l’ont précédé, cf. Évagoras (IX), 10 ou Sur l’échange (XV), 166 (où Isocrate se met au-dessus de Pindare). Avec Gorgias, Isocrate entretient un rapport complexe : s’il le critique dans l’Éloge d’Hélène (X) et dans le Sur l’échange (XV), 156, il s’inspire néanmoins fortement de son discours olympique et de son oraison funèbre – dont il reprend d’ailleurs une phrase textuellement dans le Panégyrique (IV), 158 et le Philippe (V), 148 Sur cette délicate question, voir Natali (C.), « Evitare Gorgia : la posizione di Isocrate verso il suo maestro » dans Siculorum Gymnasium, 38, 1-2 (1985) [Gorgia e la sofistica], p. 45-55 et Too (Y.L.), The Rhetoric of Identity in Isocrates : Te.x, Power, Pedagogy ; Cambridge, 1995, p. 235-239, qui critique la façon dont la tradition ancienne pense les filiations intellectuelles (et notamment l’impossibilité de penser l’intellectuel isolé)
74 De fait, le jeu des rivalités intellectuelles s’étend à l’univers panhellénique : certaines terres de contact avec le monde dit « barbare » semblent avoir constitué le champ d’une forte concurrence entre différentes écoles. Tel est le cas de Chypre, de la Macédoine bien sûr, mais aussi de la Sicile. A Chypre : entre Isocrate et Polycratès, puis entre le premier et Aristote ; en Macédoine : entre Platon, ou du moins Speusippe, Aristote et Isocrate ; en Sicile : entre Platon, Isocrate (et sa Lettre à Denys), et peut-être Xénophon. Voir notamment Franco (C.), « Isocrate e la Sicilia », Rivista di filologia e di instruzione classica, 121 (1993), p. 37-52 ; Natoli (A.F.), The Letter of Speusippus to Philip II. Introduction, Text, Translation, and Commentary, Stuttgart, 2004 (sur les rivalités entre Platoniciens et Isocratiques en Macédoine) ou encore Weil (R.), « Aristote et Isocrate : un conflit d’influences à Chypre », dans Salamine de Chypre. Histoire et archéologie. États des recherches, Paris, 1980, p. 193-201.
75 Socrate : Euthydème. 271A Euthyphron, 2A, Banquet, 223D ; Prodicos : [Platon], Eryxias 397C-D ; Protagoras : Diogène Laërce, IΧ, 54.
76 Isocrate, Panathénaïque (XII), 33. Cf. aussi (XII), 18 (trois ou quatre de « ces sophistes vulgaires » le calomnient). Au ive siècle, les comiques Alexis (fr 25 K.-A.) et Antiphane (fr. 120 K.-A.) associent encore les sophistes avec le gymnase du Lycée.
77 Contre les Sophistes (XIII), 7. Leurs propos représentent « bavardage et petitesse d’esprit ». Ce reproche d’inutilité est repris dans l’Éloge d’Hélène (X), 1 : « d’autres encore s’occupent de discussions, j’entends de discussions non seulement stériles mais ennuyeuses pour leurs auditeurs (ἄλλοι δὲ περὶ τὰς ἔριδας διατρίβοντες τὰς οὐδέν μὲν ὠφελούσας, πράγματα δὲ παρέχειν τοῖς πλησιάζουσιν δυναμένας) ». La même critique revient au paragraphe 6, qui évoque les « développements oratoires qui n’offrent aucune espèce d’utilité pratique (χρήσιμοι) ». Sur l’identification de ce groupe (peut-être l’école mégarique), voir Münscher (K.), « Isokratous Helenès enkômion », Rheinisches Museum, 54 (1899), p. 248-276. Voir plus généralement Natali (C.), « Adoleschia, leptologia and the philosophers in Athens », Phronesis, 32 (1987), p. 232-241.
78 L’Éloge d’Hélène n’est pas, contrairement à ce qu’une lecture superficielle pourrait laisser croire, un divertissement de cette sorte. Voir à ce propos Kennedy (G.A.), « Isocrates’ Encomium of Helen : a Panhellenic Document », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 89 (1958), p. 77-83. La conclusion tire en effet le texte du côté panhellénique : Hélène a permis aux Grecs de ne pas être esclaves des barbares et de lancer la première des expéditions panhelléniques Sur la critique des paignia, voir surtout le Busiris et la critique isocratéenne de Polycrate. Sur les discours prenant pour objet des thèmes absurdes et paradoxaux, voir plus généralement Pease (C.), « Things without Honor », Classical Philology, 21 (1926), p. 27-42.
79 À Nicoclès (II), 48 : ceux-ci n’ont recherché que l’agrément de la foule, en disant non pas « les propos les plus utiles, mais les histoires les plus merveilleuses (μὴ τοὺς ὠφελιμωτάτους τῶν λόγων ζητεῖν, ἀλλά τοὺς μυθωδεστάτους) » C’est sur cette base qu’Isocrate en vient à célébrer – pour mieux s’en distinguer – la « poésie d’Homère et ceux qui les premiers découvrirent la tragédie » (À Nicoclès (II), 49), dont on ne peut tirer aucun enseignement ni conseils utiles, mais seulement un très grand plaisir.
80 Sur l’échange (XV), 261.
81 Sur l’échange (XV), 266.
82 Contre les sophistes (XIII), 9-13 et 19-21. On retrouve la même critique chez Alcidamas, Sur les sophistes, 15 (même si le sens à donner au terme est discuté).
83 Contre les sophistes (XIII), 20.
84 Cf. Éloge d’Hélène (X), 7 ; Panégyrique (IV), 11 ; Sur l’échange (XV), 3 ; 38 ; 46 ; 228 et 276 ; Panathénaïque (XII), 11 et 240. Sur les rapports entre Isocrate et la logographie, voir Wilcox (S.), « Isocrates’ Fellow Rhetoricians », American Journal of Philology ; 66 (1945), p. 171-186, ici p. 173-174 et Demont, La cité grecque archaïque, p. 332 et suiv. Sur la critique de la rhétorique (avant tout judiciaire) et des auteurs de technai, cf. aussi Platon, Phèdre, 261B et Aristote, Rhétorique, 1354b24-26.
85 Euthydème, 305C.
86 Sur l’identification de l’individu évoqué par Criton et Socrate dans l’Euthydème, voir Matthieu (G.), « Premiers conflits entre Platon et Isocrate », Mélanges Gustave Glotz, t. 2, Paris, 1932, p. 555-564, ici p. 558-559 et Desclos (M.-L.), Aux marges des dialogues de Platon, Grenoble, 2003, p. 162.
87 D’après son adversaire, Lacritos de Phasélis ne serait ainsi devenu disciple d’Isocrate que pour se livrer au métier de sycophante (Ps.-Démosthène, Contre Lacritos (XXXV), 15 et 40-42). Cf. aussi Denys d’Halicamasse, Isocrate 18, 2-3 : « Que l’on n’aille pas me soupçonner d’ignorer ce qu’a dit Aphareus, beau-fils, puis fils adoptif d’Isocrate, qui, dans le discours Contre Mégacleidès Sur l’échange, assure que son père n’a composé aucun plaidoyer judiciaire. Je n’ignore pas non plus que ce que disait Aristote, que chez les marchands de livres circulaient par liasses entières des discours d’Isocrate. Je sais parfaitement ce que ces personnages ont dit : je n’ai aucune confiance dans Aristote qui ne cherchait qu’à salir Isocrate, mais je ne suis pas d’accord non plus avec Aphareus qui profitait de l’occasion pour composer un discours fort réussi ».
88 Sur l’échange (XV), 38, 144 et 150.
89 Thucydide II, 40, 2.
90 Cf. Panégyrique (IV), 4 : « et en même temps j’ai reconnu que les plus beaux discours sont ceux qui, portant sur les plus hautes questions, mettent le mieux en lumière les orateurs (τε λέγοντας μάλιστ’ ἐπιδεικνύουσι) et rendent les plus grands services aux auditeurs (καὶ τοὺς ἀκούοντας πλεῖστ’ ὠφελοῦσιν) ».
91 L’utilité revient tel un leitmotiv dans l’œuvre d’Isocrate : cf. par exemple Panégyrique (IV), 4 ou À Nicoclès (II), 42, 46 ou 50. Platon poursuit le même but dans la République. Adimante constate ainsi que les philosophes ont mauvaise réputation : ceux qui se consacrent entièrement à cette activité deviennent des êtres fort étranges, « incapables d’être utiles à la cité (ἀχρήστους ταῖς πόλεσι) » (République, VI, 487D) Face à un tel grief, Socrate tient alors à démontrer l’utilité du philosophe, comparé au pilote véritable, et traité bien à tort d’ἀχρήστος et d’ἀχρεῖος (487B et suiv).
92 Panathénaïque (XII), 11.
93 Sur l’échange (XV), 46. Cf. aussi Panégyrique (IV), 188 ; Sur l’échange (XV), 79 et 228, qui oppose l’éloquence qu’on emploie « dans les conventions particulières (ἐπὶ τοῖς ἰδίοις συμβολαίοις) » et « celle qui se fait admirer dans le monde entier (ἀλλὰ τῶν παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις εὺδοκιμούντων) ».
94 Sur l’échange (XV), 80.
95 Voir déjà Ober (J.), Political Dissent in Democratie Athens : Intellectual Critics of Popular Rule. Princeton, 1998, p. 254 et Flower (M.A.), « From Simonides to Isocrates : the Fifth-Century Origins of Fourth-Century Panhellenism », Classical Antiquity, 19 (2000), p. 65-101.
96 Cf. Sur l’échange (XV), 87-88 et 224.
97 Panathénaïque (XII), 263. Cf. déjà Panathénaïque (XII), 135-136 (où l’auteur critique l’auditoire sans distinction des panégyries — ce qui ressemble à un retour critique sur le choix effectué dans le Panégyrique). L’idée se trouve déjà exprimée dans l’Évagoras (IX). 74, « les images restent nécessairement sous les yeux de ceux-là seuls chez qui elles ont été dressées, tandis que les discours, il est possible de les emporter à travers la Grèce (τοὺς δὲ λόγους ἐξενεχθήναί <θ’> οἶόν τ’ ἐστιν εἰς τὴν Ἐλλάδα). Répandus dans les conversations des bons esprits (διαδοθέντας ἐν ταῖς τῶν εὖ φρονούντων διατριβαἶς), ils sont aimés de ceux dont l’approbation vaut mieux que celle de tous les autres ». Isocrate théorise donc la supériorité de l’écrit (revivifié par la parole orale) par rapport aux images forcément statiques, mais aussi, implicitement, vis-à-vis des discours prononcés dans un lieu unique, comme les panégyries.
98 Sur les epieikeis au ive siècle, nous renvoyons à la contribution de Patrice Brun dans ce même volume.
99 Sur l’échange (XV), 93-95. Voir Demont, La cité grecque archaïque, p. 331.
100 Sur l’échange (XV), 101-138. Cf. aussi Panathénaïque (XII), 200 et 233 pour la présence de disciples habitant Athènes, non loin de lui, même si l’on ne peut être sûr que ceux-ci soient tous des citoyens athéniens.
101 Sur l’échange (XV), 227-228.
102 Alexandre, Le sauvage et le philosophe, p. 214.
103 Isocrate, Sur l’échange (XV), 41. Cf. aussi (XV), 48. Calculer le nombre exact de disciples d’Isocrate est un exercice assez vain. Un ordre de grandeur suffit (plus d’une centaine en tous cas, mais répartis au cours de la longue carrière de l’enseignant). Voir déjà à ce propos Livingstone (N.), « The Voice of Isocrates and the Dissemination of Cultural Power », dans Livingstone (N.) et Too (Y.L.), éd., Pedagogy and Power. Rhetorics of Classical learning, Cambridge, 1998, p. 263-281, ici p. 264 (sera cité sous la forme Livingstone, « The voice of Isocrates »).
104 Sur 1 échange (XV), 80 : « Si les gens intelligents doivent prendre à cœur ces deux objets [la cité et la Grèce entière], il leur faut placer au premier rang le plus grand et le plus précieux [i. e. la Grèce], et ensuite reconnaître que, si des milliers de Grecs et de Barbares sont capables de faire des lois, bien peu de gens pourraient parler d’une manière digne de notre cité et de la Grèce sur ce qui leur est utile ».
105 Sur l’échange (XV), 147-148. Cf. aussi (XV), 143 : « quels sentiments dois-tu t’attendre à trouver chez les gens de cette espèce quand tu leur exposeras ta vie et ta conduite, qui n’ont pas la plus petite ressemblance avec les leurs et qui sont telles que tu t’appliques à me les faire connaître ? ».
106 Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, 1995, ρ 18-22 (et sur Isocrate, p. 86-87).
107 Denys d’Halicamasse, Isocrate. XIII, 3-4.
108 Dans la Politique d’Aristote (1326b24), le territoire de la cité idéale doit pouvoir être « embrassé d’un seul coup d’oeil » ; dans la Rhétorique (1409a35-b1), c’est la période idéale qu’il qualifie ainsi : « j’appelle période une expression (λέξιν) ayant un commencement et une fin en elle-même et une ampleur qui peut être embrassée d’un seul coup d’œil (εύσύνοπτον) ». Cette définition est inséparable du passage à l’écrit, dans la mesure où l’idée d’eusunopsia implique un espace à regarder, propre à l’écriture.
109 Voir à ce propos Delmont (P.), « Théorie et pratique du style périodique chez Isocrate », dans Celentano (M.S.) et al., Skhèma Figura. Formes et figures chez les Anciens. Paris, 2004, p. 77-87.
110 Voir Too, The Rhetorics of Identity et Behme (T.), « Isocrates on the Ethics of Authorship », Rhetoric Review, 23-3 (2004), p. 197-215.
111 Voir Livingstone, « The Voice of Isocrates », p. 271-272.
112 Cf. Sur l’échange (XV), 60, 74 ; Philippe (V), 11, 84-85, 93-94 ; Lettre VI, 7.
113 Philippe (V), 94.
114 Cf. aussi Philippe (V), 9 et 84, où il cite le Panégyrique, et Panathénaïque (XII), 126-127, dans lequel il fait référence implicitement à l’Éloge d’Hélène (sur Thésée).
115 Bien que travaillant souvent en collaboration, certains auteurs de théâtre tiennent déjà à revendiquer leur statut d’auteur original : ami et collaborateur d’Aristophane pour les Cavaliers (Eupolis, fr. 78 Κ.A.), Eupolis devint ensuite son ennemi pour une question de plagiat (Nuées, v. 553 et Eupolis, fr. 392 K.-A.).
116 Sur Xénophon, voir notamment Azoulay (V.), Xénophon et les grâces du pouvoir. De la charis au charisme, Paris, 2004, p. 21-24 ; sur Platon, voir Laks (A.), « Sur l’anonymat platonicien et ses antécédents », dans Calame (C.) et Chartier (R.), éd., Identités d’auteur dans l’Antiquité et la tradition européenne, Grenoble, 2004, p. 99-117. Au début du ive siècle, le plagiat est beaucoup moins choquant que par la suite : Diogène Laërce a tendance ensuite à le reprocher à Platon, mais c’est là une accusation anachronique, comme l’a bien montré Brisson(L.), « Les accusations de plagiat lancées contre Platon », dans Brisson (L.), Contre Platon i, Paris, 1993, p. 339-356.
117 Halbwachs (M.), La mémoire collective, Paris, 1968 (1re éd. 1950), p. 67-68 et Lahire (B.), L homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, 1998, p. 14. Ce courant est représenté, dans le champ de l’histoire ancienne, par Lloyd (G.E.R ), Pour en finir avec les mentalités, Paris, 1993 (1ère éd. anglaise 1990), p. 215-216 : critiquant la notion de « mentalité », s’opposent aux conceptions unitaires et homogénéisantes qui y sont souvent attachées, Geoffrey Lloyd fait valoir qu’il n’existe pas de « mentalité unique » dans un groupe ou chez un individu, il propose plutôt de mener « l’analyse historique des contextes sociaux dans lesquels ces “mentalités” sont énoncées, manifestées et déployées ».
Auteur
Université d’Artois
Équipe Phéacie (EA 3563)
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