Raconte-moi une histoire de terroir : évaluer l’importance des signes de terroir aux yeux des Millennials
p. 207-224
Texte intégral
Introduction
1D’après la résolution OIV/VITI 333/2010, « Le “terroir” vitivinicole est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui confèrent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace. Le “terroir” inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité ».
2Le terroir a une longue histoire derrière lui. Tout commence avec la naissance du mot au Moyen-Âge. Les linguistes, dont Rey, datent la forme linguistique actuelle de 1246, à la suite de réfections anciennes successives entre 1198 et 1246, autour de la racine [tieroer]. Le terme fait partie de la vie quotidienne agricole et viticole. Il décrit des sols et des climats propices à donner une saveur particulière au vin, mais aussi à des produits alimentaires. La sphère sémantique du terroir s’étend même aux expressions de langage populaire de la vie de tous les jours, mais dans un sens péjoratif. Le terroir a connu une longue période pendant laquelle il a été dénigré, relégué au rang la paysannerie archaïque du Moyen-Âge, jusqu’à la fin du xixe siècle (Dion et al., 1990).
3De nos jours, le terroir bénéficie d’une perception positive et le terme voit son champ sémantique s’étendre dans la sphère publique, notamment auprès des programmes de promotion des terroirs avec l’UNESCO depuis l’année 2005 avec l’événement « l’année des terroirs », jusqu’en 2010, quand l’organisation classa la cuisine française comme un patrimoine immatériel. Le terroir est donc réhabilité et il est entré dans les grands restaurants, dans les livres de cuisine, mais aussi au supermarché depuis une vingtaine d’années1. La nostalgie ambiante participe au retour du terme dans les offres publicitaires et commerciales (Delfosse et al., 2011, Aurier et Siriex, 2009). Aujourd’hui le tourisme peut être de terroir, les soins de beauté peuvent être fabriqués à base de produits du terroir, comme c’est le cas avec le pépin de raisin de Bourgogne, ou de la région de Bordeaux.
4Si le terroir est parfois perçu comme un terme galvaudé (Rouvellac, 2013 ; Vincent et al., 2008) en raison des appropriations multiples dont il fait l’objet en dehors de son champ d’application, la vitiviniculture et le terroir ont quant à eux un lien indéfectible. Le vin, breuvage consommé dans le monde entier lie les générations d’amateurs et d’experts (Flichy, 2014) qui maîtrisent plus ou moins le langage du vin. En dépit de cette lacune, le goût du vin est un vecteur commun propice à la convivialité et la transmission de pratiques intergénérationnelles comme la dégustation, l’association de types de vins à des rituels familiaux, par exemple. La consommation générationnelle de vin donne lieu à des stratégies marketing adaptées tenant compte des attentes des consommateurs en termes de prix, de cépage, mais aussi de discours décrivant le terroir d’un domaine à l’origine du breuvage. Si le terroir et le vin ont besoin de temps pour se bonifier ensemble, le temps est un vecteur considérable dans les profils des consommateurs de vin. Il importe de s’intéresser aux distinctions générationnelles dans le goût pour le vin et les critères de choix en la matière. Professionnels du marketing et vignerons comprennent que les goûts diffèrent en fonction de critères de segmentation des cibles de clients, et la tranche d’âge en fait partie. Le temps est donc un facteur sur lequel le vin compte doublement, comme un produit du terroir dans son acception la plus large. Le produit de terroir compose avec le temps pour « maturer », affiner un fromage, ou un vin, ou encore sublimer un savoir-faire. Le temps a également une emprise sur le consommateur et sur ses goûts, ainsi notons les différences générationnelles qui segmentent les préférences des consommateurs en termes de vin. Quatre générations cohabitent dans notre société, la « génération héritage », les « baby-boomers », la « génération X », la « génération Y » (également nommée Millennials), consommateurs âgés de 18 à 40 ans (Lancaster et Sillman, 2003), enfin la « génération Z » (âgée de moins de 18 ans).
5Notre étude porte sur les préférences de consommation de vin parmi les consommateurs appartenant à la génération Y, en raison de caractéristiques sociologiques distinctives comme l’hyperconnectivité, l’utilisation majoritaire des supports numériques incitant les innovations marketing dans la gestion des offres, considérant les modes de consommation tournées vers le plaisir et vers la qualité de cette génération. Cela questionne la corrélation entre terroir, temps et évolution des habitudes générationnelles. Le terroir a besoin d’un temps et d’un lieu pour donner une typicité à un produit et pour instaurer un registre de repères durables dans la société. En outre, pas de terroir pérenne et reconnu sans l’engagement du consommateur à partager ses valeurs, à transmettre le registre de ses croyances dans l’espace public. La génération Y consomme avec engagement et elle rassemble les consommateurs de vin d’aujourd’hui, mais également ceux de demain. C’est une génération qui se questionne et qui agit, choisit en ayant une « cartographie » des tenants et des aboutissants. Souvent critiquée pour son manque de concentration, cette génération est pourtant tournée vers la quête de sens et de plaisir, elle est intéressée par l’innovation, y compris dans ses comportements de consommation. Pour le professionnel du vin, c’est une génération à connaître pour le présent et pour l’avenir de son métier. Si elle évolue avec les NTIC, elle est aussi attentive aux signes de tradition face aux discours de l’industrie agroalimentaire et à ses scandales.
6Par ailleurs, le vin en provenance des États-Unis gagne en notoriété sur le marché du vin mondial, tout en bousculant les codes du terroir, entre Ancien et Nouveau Mondes du vin. Le vin américain suscite l’attrait de la nouveauté dont cette génération Y est particulièrement friande. Le terroir se mondialise et ses normes ne sont plus uniquement maîtrisées par la France et l’Ancien Monde. L’interrelation de ces éléments suscite donc des questions quant à cette génération de consommateurs et ses critères de choix en matière de vin : quels sont les signes de terroir qui représentent des attributs notables dans le choix d’un vin chez cette génération Y, consommateurs de vin d’aujourd’hui et de demain ? Quels sont les attributs retenus dans le choix d’un vin du Nouveau Monde par un consommateur de l’Ancien Monde du vin ?
7L’expérience a été menée auprès d’un échantillon de 209 étudiants dont la majorité d’entre eux est âgée de moins de 26 ans. L’échantillon a été exposé à des bouteilles aux étiquettes fictives faisant référence à des vins américains. La génération Y suscite un intérêt grandissant auprès des professionnels du vin et des chercheurs en économie du vin (Agnoli et al., 2011, Charters et al., 2011). Le choix d’un vin Californien permet une neutralité auprès de l’échantillon qu’un vin français n’aurait pas, par exemple la perception d’un vin de Bourgogne pour un Bordelais, et inversement.
8Ce chapitre propose de revenir sur l’approche polysémique du terroir, en général, et sur les spécificités du lien entre le terroir et le vin, en particulier. Puis, il s’agira d’exposer la méthodologie de l’expérience auprès de l’échantillon mentionné plus haut. Ensuite, les résultats donneront lieu à une réflexion sur l’importance des signes de terroir auprès de l’échantillon représentatif de la génération Y, en lien avec ce qui la caractérise. Deux méthodes invitant à la pluridisciplinarité sont sollicitées, celle des choix discrets (Louviere et Woodworth, 1983) et celle des formes de vie en sociosé-miotique (Fontanille, 2008). Cette dernière permettra d’élargir la réflexion sur l’imaginaire du terroir vitivinicole et son appropriation dans des niveaux de pertinence sémiotiques, garants de l’intégration des signes du vin dans des pratiques de consommation durables et sensibles (Boutaud et Dufour, 2012).
Définir le terroir dans une approche pluridisciplinaire
9Témoin de l’Histoire, le terroir se joint à notre quotidien pour l’embellir de saveurs, de goûts, et de références oubliées, ou encore pour le lier à un savoir-faire. Avec la médiatisation du terroir et son traitement comme un « événement », il fait aussi la promotion de métiers méconnus, et de recettes anciennes. Le terroir trouve alors sa place dans des espaces qui exaltent ses valeurs et un certain art de vivre, où l’authenticité ne se revendique pas uniquement dans ses produits. Des gestes, des régions, ainsi que la ruralité et les recettes séculaires se transcrivent et se transmettent dans des formes, et dans des formats modernes. Les extensions figuratives du terroir modifient sa signification et l’écartent des règles fixées pour lui.
10Si le terroir est apprécié et mobilisé dans la vie quotidienne, cela n’est pas sans l’écorner, car se proclamer d’un terroir n’est pas un acte anodin. Cela suppose des procédures de contrôle assez longues à partir de critères établis par des instances officielles, comme l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) dont on emprunte la définition du mot terroir. « Un terroir est un espace géographique délimité, où une communauté humaine construit au cours de l’histoire un savoir collectif de production, fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique et un ensemble de facteurs humains, dans lequel les itinéraires sociotechniques mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et engendrent une réputation, pour un produit originaire de cet espace géographique. » (Vincent et al., 2008). Ainsi, le terroir est défini dans sa propension à garantir le respect des normes de fabrication et de transmission des savoir-faire, qu’il s’agisse du vin ou de la nourriture. Le terroir étant matérialisé, « palpable », grâce à la fabrication et à la commercialisation de ses produits, ceux-ci font l’objet d’une législation rigoureuse afin de protéger les régions et les producteurs. Au niveau professionnel, une autre définition est une ressource qui est fondée sur des origines uniques et matérielles, ainsi qu’une personnification culturelle. Ces éléments déterminent un produit et lui donnent une valeur qui n’est pas disponible pour des produits qui ne justifient pas de leur origine (Charters et al., 2017). L’idée de valeur (pour le producteur et pour le consommateur) est fondamentale au concept de terroir.
11Le terroir obtient une existence légale avec l’utilisation des AOP. La France est un pays précurseur en matière de labellisation, depuis la nécessité de légiférer suite aux crises viticoles du xxe siècle (INAO, 2012). L’Appellation d’Origine Protégée (AOP) permet l’utilisation d’un nom géographique pour identifier un produit dont le lieu et les savoir-faire fondent sa spécificité tout en le protégeant des contrefaçons. Aujourd’hui, l’association entre le produit du terroir et un label tend à devenir systématique pour le grand public, c’est le risque de l’amalgame. En effet, un produit du terroir peut être vendu même s’il n’est pas classé sous AOP. C’est le cas du produit régional qui se distingue « seulement » par son origine, mais ne dispose ni d’une labellisation, ni d’un cahier des charges. Voici pour la réalité des faits, mais il en va autrement dans les mentalités. De fait, produit de terroir et mesure de labellisation sont vite reliés dans les logiques de discours actuels et cela fait évoluer sa signification (Delfosse et al., 2011 ; Tavilla, 2012).
Terroir : entre normes et polysémie
12Dès 1995, Bérard et Marchenay ont saisi l’enjeu du parcours sémantique suivi par le mot terroir et l’ont résumé ainsi : « Attesté dès le début du xiiie siècle, il est d’abord synonyme d’espace de terre, de territoire, dont il serait une altération. Mais si le mot garde ce sens jusqu’au xviiie siècle, il désigne également, dès le xiiie siècle, la terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles, plus spécialement le sol apte à la culture de la vigne. Il entre dans l’expression « goût de terroir » au milieu du xvie, à propos d’un vin, puis s’applique par métaphore à un homme qui a les qualités et les défauts que l’on attribue aux gens de son pays (1694) ». Ce résumé de l’évolution linguistique du mot met en lumière les facteurs humains à l’œuvre dans la dérivation sémantique du terme et la prédominance viticole du terme. Il peut recouvrir des significations variables en fonction des usages. Les champs de l’ethnologie et de l’étude des pratiques sont convoqués, à travers les périodes temporelles couvertes par le terroir. D’ailleurs, le cheminement sémantique du terme ne s’achève pas en 1694, il revêt un sens scientifique interdépendant de l’émergence progressive de la pédologie, comme outil en agronomie. L’intérêt pour la géologie du terroir, en tant qu’espace physique, sous-entend l’idée qu’il préexiste sans intervention humaine. L’homme ne serait-il là que pour le valoriser, et en exploiter les possibilités ?
13Cette approche a été nuancée par Dion (1990) qui a fait le lien entre les qualités gustatives d’un vin et les pratiques humaines, qu’il nomme « le vouloir humain ». Même si l’auteur n’a pas toujours été neutre dans ses études sur le sujet, il a clairement inclus une posture naturaliste dans le champ de la géographie rurale. Après lui, Marchenay et Bérard (1995) évoquent l’interrelation entre l’espace à cultiver et la main humaine. Pour ce faire, ils reprennent l’expression du géographe Bertrand : « La subtile dialectique entre le complexe écologique et le complexe historico-économique. »
14Ainsi, les deux auteurs ont identifié la polysémie affectée au terme de terroir, en fonction de l’intégration de l’acteur social dans sa définition. L’enjeu de la durée dans la fondation d’une relation à un lieu vient s’y ajouter. La conjugaison de ces critères justifie l’appellation « produit de terroir ». Marchenay et Bérard (1995) rappellent que le terme fait « aussi bien référence à un produit simplement fabriqué en un lieu, par exemple le foie gras élaboré en Dombes, qu’à un produit qui lui est intimement associé, comme le foie gras du Périgord. » La différence intervient dans le facteur temporel, il sous-entend la transmission des savoir-faire et l’ancrage à la fois spatial et social pour la production du produit fini.
15Il est utile de consulter la définition donnée par Rouvellac (2013). Depuis sa discipline de recherche, la géographie viticole, l’auteur constate des définitions instables du terme de terroir, influencées par les questionnements sociologiques. Reprenons sa définition pour constituer un ensemble, lequel trouve sa justification dans l’évolution depuis les mesures normatives du terroir, jusqu’à la mise en valeur des approches communicationnelles :
Le mot terroir semble renvoyer de prime abord à une notion délaissée, désuète, derrière des concepts évoquant une ruralité en décalage avec les progrès industriels et urbains. Et cette évolution superficielle du mot terroir a touché jusqu’aux géographes, où pourtant cette notion entre dans la hiérarchisation des unités qui composent l’espace […] Chaque terroir constitue un espace original, différent de ses voisins par telle ou telle propriété qui en fait l’originalité et en assure l’unité […] Ainsi se sont formés les différents pays, c’est-à-dire les différentes portions du territoire national présentant les mêmes associations de terroir, aménagés de la même manière par les paysans. Aussi chaque pays présente-t-il un paysage particulier, produit de la nature particulière et de son aménagement au cours de l’histoire.
Terroir et Nouveau Monde du vin : renoncer à le traduire
16Plusieurs géographes ont réfléchi au lien entre terroir et aire de production, les conclusions vont dans le sens d’un terroir intraduisible en langue étrangère pour ce qui est de ses fondements (Tavilla, 2012). Tout juste est-il admis l’interrelation entre savoir-faire transmis, origine et espace délimité. Le terroir est donc une notion en construction continuelle, parce que chacun va s’approprier le terme en fonction des caractéristiques emblématiques à protéger par les labels, ou par la démonstration d’un lien au terroir.
17Delfosse (2011, p. 64 et 76) a étudié le lien entre le vin et le paysage dans la vallée Californienne de Napa, et elle a démontré l’impact dominant du lieu, au contraire de l’ancrage temporel dans le caractère du vin. L’auteur donne une définition du terroir en reprenant Swinchatt et Howell (2004) évoquant la « danse des vignerons » pour désigner les interactions entre les viticulteurs et les éléments physiques du terroir. La relative jeunesse des vignes Californiennes ne rend pas encore possible la revendication d’un terroir au sens strict (Dion et al., 1990) mais les pratiques collectives de la terre et les facteurs pédoclimatiques permettent de raconter le goût de ce vin :
La présence physique au lieu : il vous suffit de contempler le panorama depuis le haut de Oakville Grade pour ressentir le pouvoir intrinsèquement attractif à Napa […] le lieu naturel pour le développement d’une communauté avec un objectif aussi intense que partagé.
[…] il faut plus que de l’énergie et de l’inspiration pour faire un grand vin. Cela demande le bon assemblage des éléments qui forment le quasi mystique ensemble auquel fait allusion le mot français intraduisible terroir.
18Cette acception américaine du terroir occulte l’ancienneté de l’exploitation de l’espace car c’est une variable sur laquelle elle n’a pas tout à fait prise, sans l’empêcher de se rapprocher des caractéristiques d’un terroir propre. Elle le fait par l’argument des pratiques et du projet de les partager, de les transmettre pour les valoriser. Les deux citations montrent la volonté de bâtir un projet sur le lien à un espace. Voici une preuve que la notion subit des conversions sémiotiques qui précèdent des glissements sémantiques. La priorité du lieu est le gage de la qualité pour le produit, d’après ces citations. Mais la reconnaissance d’une qualité exige une évaluation et une renommée, celles-ci peuvent exister à partir du moment où un rapport au temps est avéré.
19L’enjeu normatif de la définition et de la traduction du terroir montre la dualité entre les aspects techniques (cf. les exigences actées de l’INAO) et les figures symboliques du terroir. Le mot est employé dans plusieurs langues pour signifier une qualité construite, évaluée et valorisée. À titre d’exemple, les États-Unis ont aussi leurs appellations, le Label of Origin et le Geographical Indication, définies par la World Trade Organisation. Le pays a également adopté le mot terroir dans sa forme originelle pour désigner la norme européenne des Indications Géographiques qui se différencie de la leur, et de celle du Canada (Barham, 2003).
20Garder le mot dans sa langue originelle pointe aussi la prudence envers un concept qu’il est difficile de stabiliser. Il est aussi compliqué de le limiter tellement il peut être l’écho de la quête de sens d’une époque. Ne pas traduire le terroir en langue étrangère indique qu’il revêt un caractère quasi sacré (Boutaud et Dufour, 2012). L’objet porte alors des signes identitaires fédérateurs, et dans ce cas de figure, le statut évolue de terroir « social » (Delfosse, 2011), à « socialisant » (Tavilla, 2012).
21L’application au domaine du vin est efficace car le viticulteur a besoin de raconter, de décrire sa vigne pour expliquer le goût de son vin et ce qui le différencie des autres cépages. La caractéristique s’étend aussi aux distributeurs de vins, même s’ils n’en sont pas les producteurs, la démonstration de la qualité du produit passe par le récit de l’environnement de production.
Méthodologie de l’expérience
22Les objectifs de recherche et les préférences déclarées des répondants face à des bouteilles de vins aux étiquettes fictives ont été analysés avec les modèles des choix discrets (Louviere et Woodworth, 1983). Cette méthodologie est utile pour souligner l’importance des signes de terroir apposés sur une bouteille. Cette méthodologie applique la théorie de Lancaster (1966) qui considère que l’utilité d’un bien n’est pas donnée par le bien lui-même, mais par les différents attributs composant le bien, ce qui devient un ensemble de bénéfices aux yeux du consommateur (Murphy et Enis, 1986). La base de cette méthode est la théorie de l’utilité aléatoire (Thurstone, 1927 ; McFadden, 1974 ; Manski, 1977). Plusieurs alternatives existent pour chaque consommateur, et il choisira celle qui lui apportera la plus grande satisfaction. Cette théorie est importante parce qu’elle s’appuie sur la fonction d’utilité d’un produit pour le consommateur. Cette méthode est en partie aléatoire car non mesurable par le modèle. Cela peut ouvrir au chercheur la part de l’utilité non observable, comme par exemple les dimensions affectives et symboliques propres à chaque individu, avant même d’être un consommateur.
23Les préférences déclarées des consommateurs pour une bouteille de Cabernet Sauvignon ont été collectées pour atteindre les objectifs de cette recherche. Un plan d’expérience a permis de constituer des situations nécessitant des choix hypothétiques qui exigent un panel de répondants français pour choisir le vin préféré parmi un nombre de bouteilles fictives de vins Californiens. Nous avons choisi un vin produit aux États-Unis parce qu’il n’est pas lié à un terroir traditionnel, au contraire d’un vin français ou d’un autre vin européen. Ainsi, si des signes de terroir fonctionnent comme des critères de choix déterminants pour un vin qui n’est pas connu pour être rattaché à un terroir, ils sont encore plus saillants dans l’influence des choix de consommation de vins d’un terroir traditionnel.
24Le plan d’expérience était composé de cinq attributs, qui présupposent différents niveaux (états), exposés dans le Tableau 1.
Tableau 1. Liste des attributs et niveaux d’attributs retenus.
Attributs | Niveaux |
Origine | 1. Pays |
2. Région | |
3. Village | |
Marque Collective | 1. Visible |
0. Non visible | |
Histoire du Terroir | 1. Territoire |
2. Famille | |
3. Procédé de fabrication | |
4. Climat | |
Marque de distributeur | 1. Visible |
0. Non visible | |
Prix | 1. 12.99 euros |
2. 16.99 euros | |
3. 20.99 euros | |
4. 24.99 euros |
25Origines. C’est le lieu où le produit du terroir est élaboré et où il peut être respectivement associé à un niveau national, régional ou local, nommé produit de Californie, du Comté de Sonoma ou du village d’Healdsburg.
26Histoire du terroir. Il raconte l’histoire du produit, et il peut recouvrir plusieurs significations, liées à l’histoire d’une famille de producteurs, de la production sur le territoire, de la procédure d’élaboration ou encore du climat.
27Marque de distributeur2. Elle/Il confère une connotation globale au produit du terroir. Dans notre expérimentation, le label peut être présent, ou non, sur l’étiquette. Nous avons choisi le label de Carrefour parce que c’est le plus grand distributeur en France.
28Marque collective. C’est une reconnaissance légale du terroir et cela devient une forme de signe de garantie apte à réduire la perception des risques pour un produit peu connu chez les consommateurs. Ces marques collectives prennent de plus en plus d’importance, non seulement dans l’Ancien Monde du Vin, où les marques collectives sont réglementées par l’Union Européenne, mais aussi dans le Nouveau Monde du Vin, comme aux États-Unis, où les aires de viticultures3 sont grandissantes. C’est cette marque collective Aire de Viticulture Américaine (AVA) de l’Alexander Valley que nous avons choisi pour ce design expérimental et qui peut être présente, ou non, dans le label du vin pour notre hypothétique Cabernet Sauvignon.
29Prix. Quatre différents niveaux de prix sont inclus dans ce design, qui tient compte des prix du marché du Cabernet Sauvignon de Californie vendu en France et non arrondi pour stimuler le véritable prix du marché. L’éventail de prix varie entre 12,99 € et 24,99 €, à savoir les prix de vins appartenant aux catégories premium et super premium.
30Nous avons construit un plan d’expérience avec le logiciel Ngene 1.1 (Rose et al., 2012). Il en résulte 12 scénarii de choix possibles parmi des produits, divisés en trois groupes (Louviere et Woodworth, 1983 ; Street et Burgess, 2007). Cela signifie que chaque répondant a été questionné sur son Cabernet Sauvignon préféré parmi deux bouteilles hypothétiquement différentes à quatre reprises. Voici un exemple de choix possible en Figure 1.
31Les données ont été collectées en ligne au moyen d’une procédure pour faciliter l’échantillonnage. Ainsi, un courriel contenant le lien vers le questionnaire a été envoyé à la liste de diffusion des étudiants de la Burgundy School of Business de Dijon. L’échantillon final est composé de 209 étudiants, 63,6 % d’entre eux sont des femmes et 71,8 % d’entre eux sont âgés de moins de 26 ans.
32Les données collectées ont été analysées avec le modèle RUM (Random Utility Models), elle souligne le rôle des signes de terroir auprès des consommateurs (Train, 2009). L’usage du Multinomial Logit Model (MNL) dans l’analyse des préférences de l’échantillon et d’une Latent Class Model (LCM) a été appliqué pour souligner l’hétérogénéité des préférences parmi différents groupes de consommateurs (pour une explication détaillée du modèle, voir Scarpa et Thiene, 2005 ; McFadden, 1974).
Figure 1. Exemple de scénario de choix.

Résultats de l’expérience
33Les résultats de l’application du MNL, exposés dans le Tableau 2, montrent un choix principalement influencé par le prix, avec 38 % des consommateurs concernés par ce signal extrinsèque. Les préférences semblent être partiellement liées à la loi de la demande, avec une préférence pour des prix situés en milieu-bas de gamme plutôt qu’en milieu-haut de gamme, mais les niveaux extrêmes de prix n’ont pas été choisis de manière significative.
34Le signe de l’origine a été le signe de terroir le plus saillant chez le panel, particulièrement quand est ajoutée la mention de la région d’origine du label viticole. Ce critère est préféré à celui d’une origine nationale du vin. Les vins Californiens sont peu connus dans un marché traditionnel du vin, comme c’est le cas en France ; et les sondés semblent confus quand le nom du village est mentionné avec le label du vin.
35Les histoires et autres détails qui racontent le terroir sont des ensembles influents sur les choix des consommateurs qui sont 15 % à estimer utile de raconter le terroir d’un vin. Ainsi, les consommateurs sont particulièrement intéressés par une histoire de terroir qui évoque son climat dont dépend l’aire de production, mais les histoires relatant les procédures de production semblent avoir un impact négatif en termes d’utilité pour les consommateurs.
36Lorsque le vin est peu connu, la Marque De Distributeur (MDD) assure une fonction de garantie dans le choix d’un produit, et cet attribut atteint 12 % d’intérêt pour une bouteille de vin. Une marque collective peu connue, comme celle de l’Aire de Viticulture Américaine (AVA), une importe peu sur le choix, alors qu’elle est bien perçue.
Tableau 2. Influence des signes de terroir sur les critères de choix à l’achat d’une bouteille de Cabernet Sauvignon des États-Unis.

N = 209 ; observations = 386 ; Log-likelihood = − 812.64 ; Adj. R2 = 0.13 ; + = le niveau a un impact positif la préférence du consommateur pour un Cabernet Sauvignon Californien ; − = le niveau a un impact négatif la préférence du consommateur pour un Cabernet Sauvignon Californien ; ns = le niveau n’a pas d’impact sur la préférence pour une bouteille de Cabernet Sauvignon Californien ; * = sig. 10 % ; ** = sig. 5 % ; *** = sig. 1 %.
37Les préférences des consommateurs et les critères de choix de l’échantillon sont analysés avec le MNL, et cela met au jour un modèle commun qui ne considère pas les spécificités des caractéristiques individuelles. L’application de la LCM tente de combler légèrement cette lacune en répartissant les consommateurs dans des catégories, appelés les latent class (CL). Par conséquent, les personnes appartenant à la même catégorie partagent les mêmes préférences, et ces résultats sont hétérogènes parmi les catégories.
38Nous avons appliqué la LCM dans cette étude et nous avons choisi la solution des quatre classes latentes (Scarpa et Thiene 2005). Les différentes catégories dégagées par cette analyse montrent le rôle des différents attributs de terroir dans le choix d’un vin (Figure 2 : Schématisation de l’importance des attributs testés pour les quatre Classes Latentes de répondants).
Figure 2. Schématisation de l’importance des attributs testés pour les quatre Classes Latentes de répondants.

39La première CL, la plus vaste, représente 32,8 % de l’échantillon total. Le choix des personnes appartenant à ce groupe est avant tout guidé par les histoires racontant le terroir. Le prix et l’origine du vin sont des attributs aussi importants dans l’influence du choix.
40Plus du tiers de l’utilité de choix est motivé par l’origine du vin pour la deuxième CL, composée par 26,7 % de l’échantillon. L’histoire du terroir et le prix influencent grandement le choix.
41La troisième CL est fortement guidée par le prix. Cette considération est renforcée par le fait que les marques de distributeurs sont aussi une variable importante dans le choix d’un vin. Cette catégorie est composée par 24,3 % de l’échantillon.
42La quatrième CL, qui représente 16,2 % de l’échantillon, est d’abord influencée par le prix, viennent ensuite l’histoire du terroir et la mention de l’origine d’un vin.
43La marque collective est moyennement prise en compte par toutes les Classes Latentes. La raison majeure est peut-être due à la méconnaissance de « l’Aire de Viticulture Américaine » (AVA), en tant que marque par les consommateurs français.
44La première CL est nommée « les amoureux des histoires » en raison de l’importance accordée aux histoires de terroirs dans le processus de décision. Les décisions de choix de cette catégorie sont influencées positivement par les histoires au sujet du processus de production du vin, d’autant plus quand le vin est produit dans une entreprise familiale et qu’il raconte l’histoire de ses membres. Cette catégorie perçoit le prix comme un signe de qualité et son utilité prend de l’ampleur avec le prix du vin (Tableau 3).
Tableau 3. Importance des niveaux d’attributs/échelles pour les Classes Latentes/catégories et leurs caractéristiques respectives.

N = 209 ; observations = 386 ; Log-likelihood = − 634.595 ; Adj. R2 = 0.593 ; ns = non significatif ; + = le niveau a un impact positif sur la perception des consommateurs pour un Cabernet Sauvignon Californien ; − = le niveau a un impact négatif sur la perception des consommateurs pour un Cabernet Sauvignon Californien ; ns = le niveau n’a pas un impact significatif sur la perception des consommateurs pour une bouteille de Cabernet Sauvignon Californien ; * = sig. 10 % ; ** = sig. 5 % ; *** = sig. 1 % ; tous Wald et Wald (=) est sig. 1 % ;a chi-square 6.737, p-value 0.081.
45La deuxième CL est le groupe avec la plus grande proportion de femmes. On la nomme « les attachés à l’origine » parce que des choix sont majoritairement conduits par l’indication de l’origine du vin, ce qui est encore plus apprécié lorsque cette origine est présentée à travers sa région de production, la région de Sonoma, que le nom du village, même s’il est moins connu. Ainsi, un vin de marque Californienne, qui porte le même nom que son État de production, a un effet négatif sur les décisions de cette catégorie. Les membres de cette catégorie sont intéressés par l’histoire du climat qui caractérise un vin. En revanche, les explications concernant le processus de production d’un vin jouent un rôle négatif sur la décision.
46La troisième CL rassemble les consommateurs sous le nom « sensibles au prix » et leurs choix sont liés avec la loi de la demande. Leurs choix sont positivement orientés par la marque de distributeur, mais l’origine et les histoires du terroir n’ont aucune influence significative sur sa décision. La seule indication de lieu qui est importante est la marque collective.
47La quatrième CL est celle à la plus forte représentation masculine. Comme la troisième classe, ce groupe est influencé par le prix, mais la loi de la demande n’est pas en cause, et les vins aux prix élevés sont préférés, probablement parce qu’ils sont synonymes de qualité, particulièrement quand le vin est peu connu. Cette catégorie est aussi attirée par les signes de terroir sous-entendu par l’origine, qui pourrait être régionale et plus encore nationale pour être attractive, à travers le vin qui raconte son histoire et ses liens à la famille de producteurs, à la place de la description du climat qui le caractérise.
Conclusion : l’adhésion de la génération Y aux critères définitoires du terroir vitivinicole
48Cette étude analyse l’importance des signes de terroir dans l’orientation et le choix d’un vin d’un pays du nouveau monde et d’un vin moins connu par les consommateurs issus de pays de l’Ancien Monde, empreints de productions traditionnelles. Un modèle des choix discrets a été appliqué pour construire un scenario hypothétique et les informations collectées sont actuellement analysées grâce au RUM.
49Les résultats soulignent que lorsque le produit est peu connu, comme l’est un vin du Nouveau Monde pour les marchés de producteurs et de consommateurs du marché du vin, le prix et l’origine fonctionnent comme des critères de choix, et l’origine est particulièrement appréciée quand on entre la région de l’origine du vin sur l’étiquette.
50Quand différents segments de consommateurs sont pris en compte, la focalisation de l’importance des signes de terroir dans la prise de décision émerge. Plus de la moitié de l’échantillon s’appuie sur les signes de terroir pour choisir un vin peu connu. L’autre partie de l’échantillon se distingue par l’importance accordée au prix, mais dans des focalisations différentes. Quand le vin est moins connu, une partie de l’échantillon recherche du vin au prix plus bas, comme une stratégie pour éviter les risques de déception. Pour ce segment, les signes de terroir jouent un rôle mineur dans le choix final. Pour l’autre partie de l’échantillon, les prix sont un gage de qualité, ce qui pourrait être lié à une histoire de la famille de producteurs, et l’origine géographique du vin sur l’étiquette, pour être plus attractive.
51Ces critères entrent en corrélation dans le choix d’un vin, comme le montrent les CL des résultats de l’expérience menée sur des consommateurs issus de la génération Y. Les signes de terroir représentent une importance variable dans le choix final, mais dans tous les cas, ils sont pris en compte et non ignorés. Notons que les récits historiques de terroir liés au lieu, les signes concrets qui attestent une qualité et d’une origine certifiée sont les critères de choix les plus influents et se complètent, comme les CL le montrent. Ces critères ressortent comme variables de choix prioritaires de l’expérience et ils ont été intégrés dans le modèle en raison d’éléments descriptifs de terroir en général. Les résultats de cette expérience menée sur une génération de consommateurs en quête de sens, qui se manifeste via le rapport qualité-prix, informent sur les registres de croyances partagées de cette génération à l’égard de vins méconnus, incarnés par des vins Californiens aux étiquettes fictives. Ces croyances, en étant partagées et engagées dans les choix de consommation, sont à rapprocher du niveau des pratiques dans l’analyse des niveaux de pertinence sémiotiques. Ces niveaux d’analyse ont été développés par Fontanille (2008). Le but est de mettre en relief l’articulation, sous forme de parcours (mode de consommation du vin et sensorialité du vin associé à son origine, appropriation ritualisée) des différents éléments, sources de croyances, qui transparaissent dans les modalités de choix des sondés. L’ensemble des attributs mobilisés sont liés à l’imaginaire collectif du terroir et ils s’agrègent à plusieurs niveaux. Ils sont liés par les signes du lieu, de la qualité (label) et par des savoir-faire transmis par les professionnels de la vitiviniculture.
52Niveau des signes : intègre les propriétés matérielles et sensorielles des objets entrant en lien métonymique avec le vin (Bonescu et al. 2015). Ici, on trouve les mentions du domaine comme le lieu de production, puis les éléments décrivant le paysage comme la pente, le relief, la minéralité, la région. Ces éléments sont intégrés dans les scenarii exposés au panel. La classe latente des « amoureux des histoires » a été sensible aux données relatant le processus de production et l’origine, en général.
53Niveau des textes énoncés : rassemble les éléments qui relèvent du registre descriptif et argumentatif du vin dans son processus de production. L’exposition des étiquettes fictives sur la bouteille qui précisent l’appellation, le cépage et le domaine comme localisation, ainsi que d’autres éléments obligatoires (logo, labels, voire Marque de Distributeur, taux d’alcool, etc.). L’utilisation d’un storytelling de terroir magnifie l’imaginaire du vin et son vigneron qui maîtrise son terroir et son territoire, dans l’espace et dans le temps. Les deux premières classes latentes isolées par le RUM ont indiqué ces critères de choix, reliés à celui de l’origine et de l’histoire de la fabrication comme étant importants.
54Niveau des objets et des dispositifs : concerne les dimensions tangibles comme la bouteille et la mention de son prix. La troisième classe y a été sensible.
55Niveau situationnel : regroupe les scènes prédicatives, inscrites dans la temporalité, par exemple, ce sont les moments de consommation, dont le scénario de l’invitation à dîner. Par conséquent, cela a un impact sur le rapport qualité-prix comme critère de choix.
56Niveau des stratégies : ici, il s’agit des échelles d’importance des choix que le panel a isolés, avec les classements par ordre d’importance des critères exposés dans le questionnaire. Au-delà de l’expérience, on remarque une forme de prudence dans la hiérarchisation des choix, quand l’un des éléments est méconnu comme l’association entre le produit et l’appellation vin de Californie, trop vague. Cela confirme la quête de sens et de qualité dans les situations de consommation propre à cette génération, mais également aux « amateurs éclairés » (Flichy) de vin. Ces derniers ont besoin de connaître le vin par son discours avant de le boire, d’où une consommation sensible, où le plaisir de la dégustation n’est pas le seul point de déploiement du niveau situationnel décrit ci-avant. Le vin est donc un produit pour lequel les critères de choix impliquent une réflexion, au détriment du seul critère de prix.
57Niveau de la forme de vie : intègre et concentre les niveaux précédents, l’étude menée auprès des Millennials indique une importance accordée aux éléments reposant sur le storytelling de terroir et sur l’origine protégée, avant le prix. Les stimuli, ou signes de terroir, basés sur une description laissant la part belle aux évocations arrivent en tête des attributs choisis. Un ethos de consommation fidèle aux normes du terroir, et tournée vers l’origine et le processus de production, ainsi que le label transparaît comme une stratégie à l’œuvre dans la hiérarchisation des choix du panel. Cela conforte les critères définitoires du terroir vitivinicole érigés dans le passé comme étant partagés, en tant que repère mental, auprès de cette génération de jeunes consommateurs.
58Si le terroir connaît des approches évolutives, passant de « l’agro-terroir » au « socio-terroir » (Delfosse, 2011), les critères qui attestent de la maîtrise du lieu (origine, climat, sol) et du processus de production (label, transmission) apparaissent comme des attributs de choix, en filigrane. Les éléments du niveau de pertinence sémiotique des textes et des énoncés sont évoqués sous des formes différentes, mais quelles qu’elles soient (storytelling, étiquettes fictives, label, etc.), les critères de choix de l’origine et de l’histoire prédominent sur le critère du prix. Le lien s’établit entre l’imaginaire du terroir et les caractéristiques de la génération Millennials, en recherche d’objets de consommation hédonistes et exigeants, prêts à payer un prix supérieur, si la véracité des arguments de vente est vérifiable par le niveau de pertinence des objets et des dispositifs. Tournée vers l’instantanéité, cette génération pourrait aller à contre-courant d’un des fondements de la réputation d’un terroir, le temps, cet allié précieux. Le design de cette expérience souligne aussi l’imbrication de deux niveaux historiques, le discours énoncé dans l’expérience (storytelling) et les fondations historiques du terroir, au sens officiel. Le panel associe également, inconsciemment, la portée doublement historique du terroir dans le choix d’un vin, même s’il provient du Nouveau Monde, dont le terroir est plus jeune et moins connu. La petite histoire dans l’Histoire collective et partagée du terroir reste donc un argument sensible (Boutaud, 2007), porte d’entrée pour connaître un vin et reconnaître le savoir-faire de son vigneron.
Notes de bas de page
Auteurs
Tavilla@bsb-education.com
Professeur associé en marketing et en communication à Burgundy School of Business (ex ESC), à Dijon. Elle est titulaire d’un Doctorat en Sciences de la Communication soutenu en 2012, sous la direction de Jean-Jacques Boutaud, à l’Université de Bourgogne, à Dijon. Ses recherches portent sur l’imaginaire du terroir et du patrimoine alimentaire, avec une analyse socio-sémiotique du discours. Elle est chercheur associé à l’équipe du CEREN (EA 7477) de Burgundy School of Business Dijon et collaboratrice au sein du laboratoire CIMEOS (EA 4177) de l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Valeriane.
agnoli@bsb-education.com
Professeur associé à la School of Wine & Spirits Business, et à la Burgundy School of Business, à Dijon. Auparavant, elle a travaillé comme chercheur à l’Université de Vérone (Italie) pendant six ans. Elle est titulaire d’un doctorat en économie du vin et développement rural de l’Université de Florence (2010). Ses recherches portent sur le processus de décision et le comportement du consommateur, la modélisation du choix et l’analyse de la demande. lara.
Charters@bsb-education.com
Professeur de marketing du vin à la Burgundy School of Business, il enseigne les vins du monde, le marketing et « vin et la société ». Ses recherches portent sur le comportement des consommateurs, le terroir, l’œnotourisme et l’image de marque territoriale. Il fut précédemment professeur de gestion en Champagne, à la Reims Management School, et auparavant chargé de cours en marketing du vin à l’université Edith Cowan en Australie. Il est l’un des 370 membres de l’Institute of Masters of Wine. Ses principales publications sont : « Who is the wine tourist ? » dans Tourism Management, no 23.3 (2002) ; « The dimensions of wine quality » dans Food Quality and Preference, no 18.7 (2007) ; « Cultural systems and the wine tourism product » dans The Annals of Tourism Research, no 39.1 (2012) p. 311-335 ; « The characteristics of strong territorial brands : The case of champagne » dans Journal of Business Research, no 67 (2014) ; « The nature and value of terroir products » dans European Journal of Marketing, no 51.4 (2017). Steve.
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