Chapitre VIII
Les détaillants, aiguillons de la tentation sucrée
p. 291-340
Texte intégral
1Dans les années 1980, les historiens économistes de la période moderne ont dû lutter pour imposer l’idée d’une révolution de la consommation, antérieure à la révolution industrielle. En 1982, Neil McKendrick, John Brewer et John H. Plumb font paraître un recueil d’articles sur les conditions de la naissance de la société de consommation dans lequel ils évoquent l’urbanisation de la société, l’augmentation des budgets des familles et, déjà, les stratégies commerciales des détaillants comme le potier Wedgwood1. Ces études pionnières ont été suivies par de nombreux travaux anglo-saxons. C. Shammas, l’une des premières à s’être intéressée aux changements de consommation des Anglais et des Américains au xviiie siècle, précise qu’au début de ses recherches beaucoup d’historiens considéraient l’expression « consommation pré-industrielle » comme contradictoire2. L’arrivée massive de nouveaux produits dans les intérieurs populaires, mise en évidence par de vastes dépouillements d’inventaires après décès, démontre une révolution de la culture matérielle3. Pourtant, les termes employés et les conditions de cette évolution font débat. Dans une mise au point historiographique sur l’histoire de la consommation, N. Coquery rappelle que le terme de « révolution » a été jugé excessif4. P. Verley estime que l’expression est inappropriée et source de confusions5. Les chercheurs sont désormais plus mesurés et préfèrent évoquer une société de consommateurs et non de consommation, soit la possibilité pour une partie croissante de la population d’accéder à un nombre croissant de biens6. B. Blondé et J. Hanus ont ainsi souligné le rôle des ménages qui, en décidant des postes de dépenses du foyer, sont de véritables acteurs des changements économiques du siècle7. Le débat le plus persistant tient aux ressorts de l’évolution : pour certains, comme J. De Vries, il y a eu une évolution du consommateur avant un bouleversement de la production, ce qu’il appelle « la consommation industrieuse » ; pour d’autres, l’impulsion vient des industriels et des commerçants8. M. Berg a une position plus consensuelle et suggère une « révolution du produit » opérée par des inventeurs, des fabricants, des marchands, des détaillants et, par-dessus tout, par les consommateurs des nouveaux articles9.
2Les historiens du luxe ont particulièrement été attentifs aux stratégies commerciales innovantes comme la publicité, la diversification de l’offre, les prix fixes10. Comme le déplore J. Stobart, la vente des biens de consommation durable a davantage retenu l’attention des chercheurs. L’historien a tenté de réduire le vide historiographique en s’intéressant au commerce d’épiceries dans l’Angleterre du xviiie siècle11. En France, le rôle des boutiquiers dans la stimulation de la demande reste peu étudié a fortiori dans l’alimentation, perçu comme un secteur de première nécessité et non de luxe12. Pourtant, les boutiques alimentaires, diverses, s’adressent à des consommateurs variés. Les échoppes de confiseurs et de limonadiers ressemblent à des boutiques de mode. L’observation des stratégies de vente développées par les boutiquiers est décisive pour comprendre la diffusion des articles coloniaux au xviiie siècle. La distribution de nouveaux produits ne va pas de soi dans les campagnes et les faubourgs populaires des villes de province ; elle nécessite audace et prise de risque de la part du détaillant. Les annonces publicitaires, les recensements de détaillants, les inventaires des boutiques récoltés dans un grand quart nord-ouest, de Nantes à Paris en passant par les campagnes bretonnes, en témoignent. La cartographie des boutiques à l’échelle urbaine et régionale permettra de mesurer l’accès des consommateurs aux produits coloniaux, puis on analysera les arguments publicitaires utilisés par les détaillants pour séduire un public élargi ainsi que leurs stratégies pour fidéliser la clientèle, une fois le seuil de l’échoppe franchie.
Épiciers des champs, épiciers des villes : une offre croissante mais inégale
3Partout en Europe, les historiens ont mis en évidence l’augmentation des boutiques depuis la fin de l’époque médiévale et leur rôle dans l’essor de la demande13. L. Weatherill a démontré la corrélation entre l’offre de produits coloniaux et la présence de produits exotiques dans les intérieurs anglais14. L’étude du réseau commercial aux échelles régionales et locales est déterminante pour mesurer la diffusion des produits dans les villes et les campagnes. L’étude de la dispersion géographique des vendeurs de produits exotiques en Grande-Bretagne a prouvé la forte intégration de la population au marché et la disponibilité croissante des produits15. En Angleterre, la vente de thé est encadrée par l’octroi de patentes, ce qui a permis de reconstituer le maillage des lieux de vente. Il n’existe aucune source équivalente en France mais une cartographie reste possible en recoupant les sources fiscales et les archives de métiers des villes et des campagnes de l’Ouest.
La multiplication des vendeurs de produits coloniaux en ville
4À l’échelle urbaine, les études sur les boutiques portent essentiellement sur les grandes villes comme Londres, Paris ou Anvers mais délaissent les centres urbains plus modestes16. Les capitales, où sont concentrées les élites, sont un miroir déformant des pratiques de consommation. Sans nier l’intérêt de telles études, qui ont été une première étape dans l’analyse du phénomène, il est désormais essentiel de varier les lieux d’observation pour évaluer la disponibilité des nouveaux produits dans des villes de province. Dans la vallée ligérienne, les détaillants de produits coloniaux sont variés et leurs effectifs gonflent au cours du siècle. Les cartes mettent en évidence leur dispersion dans l’ensemble de l’espace urbain.
Vendre du sucré : l’affaire de nombreux métiers
5En l’absence de réglementation du commerce du sucre, de nombreux boutiquiers – confiseurs, épiciers, apothicaires, parfumeurs – en vendent sous des formes variées. Certains se situent en dehors du cadre corporatif et d’autres appartiennent à des métiers jurés, érigés par lettres patentes qui leur accordent des statuts privilégiés17. Les épiciers et les apothicaires sont les plus anciennes communautés de métier à vendre du sucre. À Paris, les deux métiers appartiennent au corps de l’épicerie, second des six corps de marchands. En province, les situations sont diverses : ils sont réunis au Mans mais séparés à Angers18. Le statut d’épicier recouvre des situations différentes : à Paris, la communauté regroupe ciriers, confituriers et droguistes19. En province, on retrouve de manière indistincte ces dénominations, parfois pour un même individu. À Tours, dans la boutique du cirier Jean Benoît, le notaire prise du sucre en pain et de la cassonade au milieu des chandelles20. Dans la ville, le commerce des produits coloniaux est encadré : les épiciers sont vigilants et traquent tous les colporteurs, marchands forains ou revendeurs de menues denrées qui seraient tentés d’empiéter sur leurs privilèges21. Les maîtres-jurés font des colporteurs leur cible favorite : en 1773, ils dénoncent la vente par le marchand forain Alexandre Girault, originaire de Franche-Comté, de menues épiceries (chocolat, sucre) et de petits objets d’horlogerie comme des montres22. Les autres boutiquiers doivent respecter leur monopole : le 6 juin 1740, le confiseur François Clemençon demande la permission d’ouvrir une boutique au lieutenant de police et s’engage à ne pas concurrencer les épiciers dans le commerce de sucre.
Joinct sa soumission de ne vendre aucun sucre ni en pain ni en poudre pas même de la castonnade ni aucune autre denrée que les marchands vendent sinon celle qu’ils auront apresté travaillé au sucre.23
6À Nantes, où la profession d’épicier est libre, de nombreux détaillants vendent de petites quantités de sucre. L’inventaire dressé après le décès de Pierre Saupin, modeste boutiquier de la paroisse Saint-Nicolas, mentionne 12 livres de cassonade, 15 livres de sucre brut et 8 livres de café au milieu de grains et de pois divers ; ses marchandises s’élèvent à peine à 120 livres24. Des confiseurs peuvent aussi vendre du sucre au détail. ÀNantes, certains fabriquent leur propre sucre raffiné, tel Germain Thiot, qualifié de marchand-épicier-confiseur-raffineur dans son inventaire. Mais leur véritable fonds de commerce reste le « sucre appresté », c’est-à-dire les bonbons, pastilles et autres confitures.
7Les limonadiers, cafetiers, liquoristes ou marchands de chocolat sont des détaillants majeurs de la filière. Le terme de « limonadier » est rare en province où on lui préfère celui de cafetier : à Nantes, les rôles de capitation de 1789 n’en mentionnent qu’un pour 37 chocolatiers et cafetiers25. Les deux métiers sont regroupés dans une même communauté depuis 1706, date à laquelle les maîtres se sont dotés de statuts26. Comme pour les épiciers, les dénominations et le statut des vendeurs de boissons exotiques varient en fonction des villes. ÀParis, outre les liqueurs, les limonadiers ont obtenu le droit de vendre des noix confites, des dragées au détail et des glaces27. À Orléans, les limonadiers appartiennent à la communauté des cabaretiers-aubergistes et cafetiers28. À Angers et Nantes, la spécialisation paraît plus aboutie : le monopole des limonadiers n’empiète pas sur celui des confiseurs qui sont les seuls à commercialiser bonbons et glaces. Paul-François Adam, cafetier à Nantes, possède en boutique et dans son magasin « 50 livres de chocolat apprêté, 200 livres de café, 100 livres de sucre en pain, 900 bouteilles de liqueurs, 150 bouteilles de différents sirops et 600 livres de différents fruits confits » mais pas une seule pastille29. À Angers, la liquoriste Marie Gaudin se limite, elle aussi, à la vente de boissons exotiques30. Dans la boutique, des tabourets et deux comptoirs dont un en marbre, sont prisés ; dans le « laboratoire » sont prisés les ustensiles, pilons, bouteilles, bouchons et entonnoirs et, dans le magasin, de grandes quantités de cassonade (3 400 livres de sucre estimées à 3 895 livres tournois), de café (500 livres) et d’épices en tous genres pour parfumer les sirops (girofle, badiane, anis, cannelle). Les limonadiers s’approvisionnent en sucre de moindre qualité chez les raffineurs pour le transformer en sirops ou en morceaux pour accompagner les boissons exotiques. À Nantes, le fermier général dénonce les fraudes des raffineurs qui falsifient les qualités de sucre pour payer moins de droits avec la complicité des limonadiers31.
Ils n’hésitent pas à faire piler ceux dont la raffinerie n’a pas été portée à un certain degré de perfection lorsque la consistance ou la qualité n’en est pas bien conditionnée. Ils ne se vendent pas tout à fait si cher que les sucres en pain mais il est sûr qu’ils ne les vendent pas comme cassonade. Les épiciers qui en savent faire la différence en donnent un prix bien au-dessus et les revendent dans le même état aux limonadiers pour mettre dans le thé et le café au moyen de quoi il n’y a point de déchet sur ces sucres mis en casson dont les limonadiers font une consommation considérable.
8Le rôle des pâtissiers dans la stimulation de la demande est plus ambigu car ils confectionnent à la fois des mets salés, des tourtes et des pâtés avec de la chair hachée et des aliments sucrés comme les oublis, les tartes aux amandes et aux fruits. Leur spécialité consiste à « assaisonner & dresser toutes les préparations de pâtes32 ». Les prétendants à la maîtrise de pâtisserie de Tours doivent réaliser un chef-d’œuvre sucré et salé33.
Trois pastez de trois chappons dressez, goustez et cuits naturellement Item quatre pastez de veau d’assiette […]
Item quatre raviolles de crème de lait
Item trois tartes d’amendes, deux tartes de massepain (une a glasser et l’autre figurée), un cassin de massepain filé et deux figures de pain d’espice pezant chacun un quarteron
9ÀNantes, les pâtissiers sont regroupés avec les rôtisseurs et les traiteurs34 ; l’essor de la communauté illustre donc mal celui de la consommation de sucre.
10Une dernière catégorie de métiers intervient dans la filière : les professions vouées à l’embellissement et aux soins du corps. Les recettes de cosmétiques, de cuisine et les remèdes pharmaceutiques étaient fréquemment associés dans les ouvrages des xvie et xviie siècles et, malgré l’essor d’un discours médical soucieux de se distinguer des autres activités, les frontières restent très poreuses au xviiie siècle35. Si les apothicaires, vendeurs historiques de sucre, sont en retrait sur le marché au xviiie siècle, ils restent bien fournis en sirops de toutes natures et conservent des stocks de sucre brut pour leurs préparations. François-Joseph Galpin vend des « sirops de limon, de rose, de coings, de mûres » et du « miel de Narbonne » ; son confrère Bonnamy entrepose 171 livres de cassonade et 270 livres de sucre dans l’arrière-boutique36. Mais l’adage « comme un apothicaire sans sucre » n’a plus guère de sens : les inventaires nantais analysés ne mentionnent pas de sucre vendu en boutique37. À Paris, le constat est identique ; dès la fin du xviie siècle, les apothicaires ont délaissé la vente aux épiciers38. Le changement de statut du produit, du médicament à l’aliment, explique l’évolution. En revanche, la distinction entre parfumeur et confiseur reste ténue. Chez le parfumeur orléanais Satis, les pastilles se retrouvent ainsi au milieu des parfums et des pommades.
Le sieur Satis, parfumeur au Martroi, fait & vend toutes sortes de parfums, différentes espèces de pommades, de la poudre de toute couleur, des eaux de senteur, & des essences de la meilleure odeur ; il tient aussi des bijoux pour les étrennes, des dragées, pastilles, confitures sèches, & d’excellentes liqueurs39.
11L’article « Pastilles » de l’Encyclopédie indique que les parfumeurs en vendent deux types.
pastille, s. f. (Parfumeur.) est une pâte que les Parfumeurs font de gomme adragant, de clous de gérofle, de bejoin, brouillés avec l’eau de senteur ou commune. On en fait de bonnes à manger, d’autres qui ne sont propres qu’à brûler pour répandre une odeur agréable.
12Les frontières se brouillent entre les métiers : à Paris, de grands confiseurs vendent aussi des parfums, des bijoux et des cosmétiques. La créatrice de rouge, Chaumeton-Josse, signalée par C. Lanoë, accorde la vente de son invention au seul confiseur Ravoisié, dans sa boutique Au Fidèle Berger40. De même, la boutique de Berthellemot au Palais-Royal renferme 1 000 livres tournois de « marchandises de parfumerie » ; dans un magasin, rue de la Vieille-Bouclerie, des bijoux sont prisés parmi les bonbonnières41. L’inventaire est peu détaillé mais on peut supposer qu’il s’agit de pièces d’orfèvrerie en lien avec le métier, comme des étuis ou des boîtes à bonbons.
13Avec l’arrivée massive des produits coloniaux, la vente du sucre devient l’affaire de détaillants de plus en plus nombreux. Leur vogue a stimulé des professions récentes (les cafetiers) et en a dynamisé d’anciennes comme les confiseurs. L’étude numérique des détaillants impliqués dans l’essor du sucre montre à la fois l’explosion de la consommation de produits exotiques et leur plus grande diffusion géographique.
Le foisonnement des détaillants urbains
14Les données sur les effectifs de boutiquiers sont inégalement disponibles selon les villes. La situation d’Orléans est la plus méconnue à cause de la disparition des fonds fiscaux42. Pour Tours, Angers et Nantes les difficultés sont moindres car les almanachs et les sources fiscales sont bien conservés43.
Graphique 11. La croissance des effectifs d’épiciers dans quatre villes ligériennes (1700-1780).

Sources : Camille Bloch, Cahiers de doléances…, op. cit., p. 156 ; David Audibert, Épiciers de l’Ouest…, op. cit., p. 183-187 ; AMT CC9, EE10, CC20
15Les situations divergent en fonction du dynamisme démographique de chaque ville, mais la tendance générale est à la hausse. Grâce aux estimations de B. Lepetit sur la population des villes françaises, il est possible de calculer le rapport entre l’offre marchande et la demande44. À Tours et surtout à Nantes, l’offre a beaucoup augmenté au cours du siècle. En 1780, le port ligérien compte désormais un épicier pour 421 habitants, c’est presque deux fois plus qu’en 1700. Tours, très mal approvisionnée au début du siècle, rattrape son retard et voit son offre doubler avec un épicier pour 719 habitants. À Angers en revanche, c’est la stabilité qui domine. Ces chiffres restent très éloignés de ce qu’ont pu observer les historiens pour l’Angleterre : le ratio moyen est d’un détaillant pour 151 habitants dans 21 villes anglaises en 1784 et d’un pour 226 à l’échelle du pays45. Le réseau de distribution des produits exotiques est donc plus dense qu’en France et a accompagné la forte consommation de produits coloniaux outre-Manche.
16L’étude des limonadiers aboutit à un résultat plus net : l’offre s’est fortement accrue. À Orléans, les rôles de capitation de 1695 ne mentionnent aucun cafetier ; en 1782, la ville en compte au moins 11. Le port nantais se distingue par un grand nombre de détaillants : en 1720, date à partir de laquelle les chiffres disponibles deviennent fiables, la ville compte sept vendeurs de boissons exotiques. Ils sont presque six fois plus nombreux en 1789 (40) alors que la population n’a fait que doubler entre 1700 et 1794. L’évolution du nombre de confiseurs est la plus difficile à saisir car ils sont souvent confondus avec les épiciers ou les raffineurs. Les effectifs restent minces comme pour tout métier de luxe. Les villes de l’intérieur de taille moyenne comptent moins d’une dizaine de boutiques (Angers 5, Tours 4 et Orléans 7), seule Nantes, ville-port et nettement plus peuplée que les précédentes, dépasse péniblement ce seuil à la fin du siècle (12). Malgré l’essor de la consommation de sucre, les effectifs de la profession sont stables car les confiseries restent coûteuses. À l’inverse, les ouvertures de boutiques d’épiceries se multiplient. Grâce à elles, une part grandissante des citadins sont à portée des produits coloniaux même si tous n’y ont pas accès.
La dispersion croissante des boutiques dans l’espace urbain
17La mise en carte des données sur les détaillants éclaire la diffusion des produits exotiques. L’étude se focalise sur Nantes pour laquelle un grand nombre de données ont été réunies46. Les cartes mettent en évidence des emplacements différents en fonction du métier.
18La localisation des épiciers au début du siècle s’apparente encore à celle des métiers du luxe : ils sont concentrés Grande-Rue, principale artère commerçante, quartier Saint-Nicolas et rue de la Poissonnerie, en face de l’île Feydeau. Ils sont situés dans les quartiers riches, où résident de nombreux négociants et où sont installés les boutiques des parfumeurs, orfèvres et horlogers, tandis que les quartiers plus populaires sont délaissés47.
Carte 11. Localisation de 42 épiciers-droguistes à Nantes en 1720.

Source : ADLA B3502, capitation – © Archives de Nantes, Plan Cacault, cote II 157/6
19Jusqu’en 1750, les épiciers restent concentrés dans les quartiers bourgeois ; un seul est installé dans les faubourgs. Dans la seconde moitié du siècle, ils s’implantent dans des quartiers plus populaires : le Marchix au nord compte quatre épiciers, et le faubourg Saint-Clément à l’est, un boutiquier.
20En 1789, l’installation dans les quartiers plus pauvres se poursuit : au nord de la ville, le Marchix et la rue Saint-Similien comptent six épiciers, et la rue Saint-Léonard, où demeurent surtout des portefaix et des maçons, en compte trois. L’offre de produits coloniaux est désormais accessible aux plus modestes même si tous n’en achètent pas en raison de leur coût.
21Si les épiciers se différencient des métiers de luxe, les confiseurs, eux, restent fidèles au centre-ville. Ils se situent dans les quartiers où sont installés les négociants : Saint-Nicolas, l’île Feydeau, face à la Bourse, et rue de Verdun où demeurent de nombreux officiers. L’emplacement des confiseurs connaît peu d’évolution au cours du siècle. Leur présence se renforce dans la Grande-Rue et ils s’implantent à proximité du théâtre Graslin, grand chantier d’aménagement urbain qui attire les classes aisées dans son sillage. Les confiseurs adoptent un comportement spatial radicalement différent des autres métiers de bouche48. Ils s’installent à côté de leur clientèle-cible et délaissent les zones les plus pauvres. Les quartiers peuplés majoritairement d’ouvriers (à Nantes, les faubourgs Richebourg et Saint-Clément, à Tours, la paroisse Notre-Dame-la-Riche) en sont dépourvus. Les confiseurs recherchent le voisinage de leurs confrères et des autres boutiques de luxe qui leur assure le passage d’une clientèle aisée et assoit leur notoriété.
Carte 12. Localisation de 84 épiciers-droguistes à Nantes, en 1789.

Source : ADLAB3530, capitation de 1789 – © Archives de Nantes, Plan Cacault, cote II 157/6
22Les limonadiers ont des stratégies spatiales à mi-chemin entre celles des confiseurs et des épiciers. La profession s’étend et déborde du centre-ville avec l’augmentation de ses effectifs mais continue à délaisser les faubourgs. Au début du siècle, les sept boutiquiers se situent rue Saint-Nicolas, rue du Château et rue Bouvet qui descend sur la Fosse, le quartier négociant. Plus étonnant au premier abord, la rue du Bignon Lestard, assez pauvre, compte un chocolatier. Il s’agit en fait d’une veuve regrattière qui vend de petites quantités de chocolat car elle est capitée seulement à 1,5 livres quand un de ses confrères marchand est capité à 18 livres. À la fin du siècle, le nombre de boutiques a explosé mais les limonadiers sont restés fidèles au centre-ville (Grande-Rue, quartier du Bouffay), aux quartiers négociants (La Fosse, Saint-Nicolas) et au nouveau quartier Graslin.
Carte 13. Localisation des 7 vendeurs de boissons exotiques nantais en 1720.

Source : ADLA B3502, capitation – © Archives de Nantes, Plan Cacault, cote II 157/6
Carte 14. Localisation de 40 vendeurs de boissons exotiques nantais en 1789.

Source : ADLA B3530 – © Archives de Nantes, Plan Cacault, cote II 157/6
23Malgré l’essor des limonadiers, ce métier, grand consommateur et diffuseur de sucre, reste une profession de luxe. La situation est identique à Paris, où épiciers, confiseurs et limonadiers privilégient quelques rues à la mode, prisées des marchands de luxe, comme les rues Saint-Honoré, Dauphine et des Lombards49. La prolétarisation des cafés, observée pour la ville d’Anvers par L. Van Aert, ne concerne pas les villes françaises50.
24Parmi les professions liées aux produits exotiques, seuls certains épiciers paraissent coloniser l’ensemble de l’espace urbain, y compris les faubourgs plus pauvres. Pour prendre la mesure de leur diffusion, il faut sortir de la ville et emprunter les chemins de campagne, visiter les bourgs ruraux pour s’apercevoir de la présence de boutiques d’épiciers.
Les épiciers des champs : des campagnes de l’Ouest bien desservies
25Les historiens anglo-saxons ont mis en évidence le rôle des boutiques dans la diffusion des produits coloniaux en milieu rural. À la fin du xviie siècle, dans l’East Anglia, une région assez riche de l’Angleterre à l’est de Londres, 75,7 % des petites villes de moins de 2 500 habitants de la région avaient un épicier51. J. Stobart souligne la présence d’épiciers dans le Cheshire dès les années 1740, dans les petits villages de moins de 500 habitants52. En France, il n’y a eu aucune recherche d’ampleur sur les boutiques rurales53. Pourtant, la question de l’approvisionnement du monde rural en marchandises coloniales est cruciale pour mesurer « l’ouverture des villages » (A. Croix), limitée ici à une forme particulière d’intégration au marché : l’accès aux produits coloniaux grâce aux boutiques54. Les foires, les marchés et les colporteurs qui ont participé à la diffusion des produits coloniaux dans les campagnes ont davantage retenu l’attention des chercheurs55. D’après L. Fontaine, qui a étudié les registres paroissiaux des villages de départ, le nombre de colporteurs a augmenté à partir des années 1760. Originaires des régions de montagne (Pyrénées, Alpes, Massif central, Jura) et de la Bretagne, ils transportent des produits de luxe et servent de relais aux boutiquiers et aux négociants urbains56. Leur stock est d’une grande diversité ; la société Payen et Diaque de Clavans en Oisans transporte ainsi des toiles, des aiguilles mais aussi du sucre, des olives et du tabac57. Les boutiques complètent l’offre des colporteurs en assurant un approvisionnement régulier aux ruraux ; elles sont un puissant moteur de la culture de consommation58. Pour reconstituer l’offre d’épiceries en milieu rural, les enquêtes menées par les intendances sur les arts et métiers avant leur réorganisation en 1767 peuvent être utilisées, malgré leurs lacunes59. Les listes sont très incomplètes en fonction des généralités. À Orléans, elles ont disparu, à Tours, les enquêtes n’ont pas été menées avec un grand sérieux : seules les réponses de trois élections (17 paroisses) ont été transmises. Dans la généralité de Rennes, en revanche, les données sont beaucoup plus complètes car elles précisent parfois les marchandises vendues ; la Bretagne est donc étudiée en détail60. Il s’agit de reconstituer le maillage commercial de la province pour déterminer si les paroisses bretonnes rurales sont équipées de détaillants de produits coloniaux. L’examen de cet espace géographique a paru pertinent tant les visions des historiens et des contemporains divergent sur sa situation économique. La Bretagne est tantôt présentée comme une province commerciale prospère, tantôt comme une terre agricole ingrate61. Les deux visages existent selon l’angle d’observation choisi : la province est connectée au monde grâce aux ports et les villes bénéficient de l’arrivée de produits coloniaux mais dans le même temps, une partie de la population agricole reste pauvre et semble à l’écart de l’économie de marché.
Carte 15. Répartition des épiciers dans 215 paroisses bretonnes en 1767.

Sources : ADIV C1449 et C1450
26Le recensement des détaillants mené par l’intendance de Bretagne énumère les marchands qui tiennent boutique dans 215 paroisses, pour la plupart rurales62. La pluriactivité est la norme dans les campagnes et les épiciers sont aussi vendeurs de menues denrées (beurre, sel), de merceries et de marchandises en tous genres63. Dans 56 paroisses, au moins un épicier est mentionné, soit un quart des paroisses étudiées. La carte des épiciers révèle une province bien desservie : de nombreux petits bourgs disposent de détaillants.
27Les paroisses de l’intérieur (Uzel, Moncontour) sont aussi bien approvisionnées que les bourgs du littoral. Dans les espaces étudiés, il n’existe pas de réel vide ; les ruraux sont rarement éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres d’un boutiquier. La moitié des paroisses de plus de 3 000 habitants sont équipées (21 sur 42). En descendant la hiérarchie urbaine, on trouve encore de nombreux détaillants : 12 des 41 paroisses entre 2 001 et 3 000 habitants en comptent un. Les petits bourgs ruraux de moins de 2 000 habitants constituent le gros du corpus (132) ; si certains villages de quelques centaines d’habitants tels que Saint-Renan ou Saint-Uniac possèdent des épiciers, la grande majorité n’est pas équipée (seuls 21 comptent un épicier, 16 %64).
28Sucre, café et tabac ont progressivement été ajoutés au stock des détaillants ruraux65. Dans certaines paroisses, le recenseur en 1767 précise les marchandises vendues : à Perros-Guirec (1 738 habitants), deux demoiselles vendent du fer, du charbon, du vin, du savon, du chanvre et du sucre ; à Plouaret (4 456 habitants), les deux épiciers sont marchands de fer, de raisiné et de sucre. S’il est impossible d’avoir une idée des quantités de marchandises vendues, l’auteur de l’enquête de Dol (3 254 habitants) insiste sur la faible envergure du trafic des épiciers de la paroisse.
La plupart des boutiques des dénommés ne contient pas pour 60 livres d’épiceries, ils les tirent à mesure qu’ils peuvent les débiter de Saint-Malo pour les vendre à l’once, demie once et quart d’once.
29L’enquête de 1767 mentionne de nombreuses femmes qui complètent l’activité de leur mari par la vente de petites marchandises. Au Croisic, lors de l’inventaire d’un officier de marine, René Jean, décédé en Amérique, le notaire prise des marchandises dont les quantités indiquent qu’elles ne sont pas destinées à la seule consommation du foyer : « 6 quarteaux de blé noir, 6 quarteaux de froment, 3 milliers de motte, 3 pains de savon66 ». Plus loin, alors même qu’aucune boutique n’est mentionnée, une « balance de cuivre » est prisée, puis des marchandises exotiques, telles que du poivre et du thé, estimées à 12 livres. À la fin de l’inventaire, la veuve déclare que le « capital de ses pacotilles en marchandises, sucre, café invendu monte à 200L », signe que la demeure du couple sert bien de point de revente de marchandises coloniales. Son mari, en tant que personnel d’un navire, est en partie rémunéré en nature67. Les gens de mer sont des vecteurs majeurs de la redistribution des produits coloniaux dans les campagnes68.
30Dès le milieu du siècle, les campagnes bretonnes sont bien approvisionnées en denrées exotiques mais il reste difficile de généraliser ce cas à l’échelle du pays. Les données restent fragmentaires et concernent une région relativement ouverte sur l’extérieur grâce à la proximité du littoral. Toutefois, des indices épars récoltés dans d’autres provinces montrent que les boutiques d’épiciers se sont développées dans les campagnes. Pour la région bordelaise, P. Meyzie affirme que les épiciers assurent un maillage serré du territoire régional69. Les provinces de l’intérieur n’échappent pas à la mode : à Loches, petite commune rurale de Touraine de 3 109 habitants, l’inventaire d’un épicier est dressé dès 168470. Michel Dutraume proposait à la vente une offre variée, « 142 livres de cassonade, 104 livres de sucre en pain et 3 quarterons de sucre candy ». Dès la fin du xviie siècle, les détaillants urbains et ruraux ont donc proposé à leur clientèle une offre diversifiée pour satisfaire la demande des plus riches et des catégories moyennes. Au siècle suivant, certains se sont même lancés dans la réclame ; non contents d’accompagner la demande, ils l’ont stimulée par une série d’arguments bien choisis.
Susciter l’envie et le goût du sucre : les stratégies publicitaires des détaillants
31En Angleterre, la publicité des boutiquiers a retenu l’attention des chercheurs. H.-C et L. H. Mui ont identifié ses différents vecteurs, de l’enseigne à la petite annonce, en passant par les cartes de commerce71. Les réclames pour le thé augmentent et les mécanismes publicitaires utilisés se diversifient72. Obnubilés par l’exemple du potier Wedgwood, que les historiens anglo-saxons s’accordent à reconnaître comme une exception, les chercheurs français ont eu tendance à négliger le rôle de la publicité sous prétexte qu’elle était moins avancée qu’outre-Atlantique73. Or, si la place de la publicité est restée modeste dans la presse, sa part s’est fortement accrue au xviiie siècle. G. Feyel, qui a analysé les journaux du temps à Paris et à Orléans, souligne l’utilisation fréquente des annonces par les boutiquiers soucieux de se constituer une clientèle dès le milieu du siècle74. Pour la capitale, N. Coquery a montré que les Affiches, la presse de mode et la Gazette du commerce avaient donné une impulsion décisive ; elle a mis en évidence l’existence d’un art publicitaire chez les marchands, véritables lanceurs de modes75. Il s’agit d’apprécier le rôle de la réclame dans le domaine plus éphémère de l’alimentation. Les journaux de nouveautés tels que l’Avantcoureur et des guides commerciaux comme les Tablettes royales de renommée sont des sources précieuses pour observer les pratiques parisiennes76. En province, où la presse est plus limitée, on peut recourir aux Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais77. Les ouvrages consacrés à l’office sont d’utiles témoignages sur l’image que les détaillants souhaitent renvoyer de leur métier ; écrits par des maîtres de l’art, ils font partie de leurs stratégies publicitaires. Les confiseurs et les limonadiers se présentent comme de véritables marchands d’art puis comme des marchands de mode. Les boutiquiers élaborent un discours pour valoriser à la fois le produit et le moment de l’échange en présentant le client comme un amateur et l’artisan comme un artiste78. L’argument médical est aussi utilisé pour justifier le penchant des gourmands pour le sucré.
Quand le sucre se transforme en chef-d’œuvre : des confiseurs marchands d’art
32Le confiseur n’est plus seulement celui qui « fait & qui vend des confitures, ou qui en fait venir des pays étrangers », la palette de son savoir-faire s’étend et le hisse à la pointe de l’innovation culinaire79. Selon L’Almanach dauphin de 1789, les artisans ont « porté la préparation du sucre au plus haut point de perfection, ils en varient les formes en figures, en fleurs et en édifices dont ils composent des sujets très intéressants, pour la décoration des tables. Il existe entre ces artistes une émulation à l’avantage des amateurs80 ». Le statut d’« artiste » est revendiqué par les confiseurs81. L’habileté, l’ingéniosité et le génie technique sont valorisés tout au long du xviiie siècle : l’artisan est un inventeur à la conjonction de plusieurs arts qui use de techniques variées afin de proposer une offre diversifiée pour répondre aux désirs particuliers des consommateurs82. Menon, auteur de La science du maître d’hôtel confiseur, compare l’art du confiseur à celui du sculpteur puis propose des dessins tout en insistant sur la nécessité de s’en éloigner : le confiseur est avant tout un novateur, un artiste reconnu pour sa créativité83.
Il ne faut pas qu’ils s’imaginent que j’ai voulu les assujettir au dessein que je leur présente, rien ne seroit plus éloigné de mes vües. Mon but n’a été que de leur donner une idée du service présent & du goût moderne. Je laisse à chacun la liberté de suivre son génie, & de donner à son gré l’essor à son imagination, pour jeter dans ses desseins l’ordre & la variété qu’il jugera à propos.
33Les analogies sont grandes entre les techniques à la base de la peinture et de la confiserie : les artistes des deux disciplines doivent maîtriser le dessin, manier les couleurs, organiser la composition générale d’une table ou d’un tableau84. On note aussi un goût commun pour le naturel. Dans la première moitié du xviiie siècle, la peinture est marquée par un réel intérêt pour la nature morte : les desserts constituent des motifs de choix avec les fleurs et les fruits. Pour Roger de Piles, auteur de l’Abrégé de la vie des Peintres paru en 1699, la « parfaite imitation du naturel est la fin essentielle du peintre85 ». Les peintres de natures mortes participent à la valorisation du sucre et les artisans confiseurs vont chercher à les imiter en transformant leurs compositions en œuvres d’art. Copier la nature tout en la dépassant, créer un artefact, voilà le pari osé des artisans du temps. L’art de l’imitation est devenu une compétence indispensable de l’horloger, du bijoutier, du vernisseur, du perruquier ou encore du créateur d’automates86. La particularité du confiseur réside dans le caractère éphémère des compositions sucrières. Mais certaines pièces en pastillage sont avant tout destinées à ornementer la table : les dormants, ces grandes composition de sucre, restent pendant tout le service sur la table des desserts. Malgré les influences de la « nouvelle cuisine », portée par des cuisiniers de la première moitié du xviiie siècle qui cherchent à se démarquer de leurs prédécesseurs et souhaitent revenir à une cuisine plus simple, le domaine des desserts reste le règne du luxe, de la somptuosité et de la démesure87. La confiserie est touchée par la mode du « naturel » : les artisans tentent de conserver la vraie couleur des fruits qu’ils transforment en glaces ou en confitures et recourent à des colorants plus naturels ; mais on chercherait en vain la simplicité. L’étude des créations des confiseurs permet de saisir la folie décorative qui s’est emparée de cette branche de la cuisine. Les ouvrages dédiés à l’office sont ainsi les premiers livres de cuisine à être illustrés. La Nouvelle instruction pour les confitures, parue en 1692, ouvre la voie et présente une table dressée avec des pyramides de fruits et des confiseries88.
34Les livres qui suivent témoignent du souci croissant d’illustrer l’art de la confiserie. L’ouvrage de Menon, édité en 1750, compte cinq illustrations et le Cannameliste (1751), de Gilliers, en compte treize89. B. Fink y voit une manière d’anoblir la cuisine ; c’est aussi un argument de vente auprès des officiers qui souhaitent reproduire les ouvrages des plus célèbres confiseurs90. Menon, le premier à utiliser le terme de « nouvelle cuisine », tient explicitement un double discours dans la préface de La science du maître d’hôtel confiseur91. Il condamne les pratiques des anciens confiseurs, plus soucieux d’abondance que d’harmonie, et revendique dans sa préface la recherche de la simplicité et de l’élégance. Sa description des compositions cache pourtant mal son goût pour le luxe et les décorations aux motifs variés et clinquants.
L’art de l’Office, de même que les autres, s’est perfectionné […]. Et pour ne pas entrer dans le détail de toute la manœuvre d’aujourd’hui quelle différence de nos desserts à ceux d’autrefois ? Que sont devenues ces pyramides érigées avec plus de travail & d’industrie que de goût & d’élégance qu’on voyoit sur nos tables ? Qu’est devenu cet amas confus de fruits où il éclatoit plus de profusion que d’intelligence & de délicatesse ? […] Au lieu de ces especes d’édifices chargés d’ornemens compassés avec une pénible symétrie, une élégante simplicité fait toute la beauté & le principal mérite de nos desserts. […] Quel agréable coup d’œil n’offre pas les décorations diversifiées qu’enfante chaque jour l’imaginaire fécond de nos officiers intelligens ? Voyez ce parterre orné de figures en sucre, de figures de saxe, décorées de sable en sucre de différentes couleurs, d’arbres, de fruits secs, de pots à fleurs, de berceaux, de guirlandes, avec des compartiements en chenille de diverses couleurs. Quelle intelligence ! Quel goût ! Quelle aimable symétrie !
Figure 14. La table d’office selon Massialot : une des premières illustrations des livres de confiserie.

Source : Massialot François, Nouvelle instruction pour les confitures, les liqueurs, et les fruits, Paris, Prudhomme, 1737 – © Bibliothèque centrale du Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris
35Les motifs les plus utilisés dans l’art de la confiserie sont ceux qui imitent la nature, fleurs, arbres, parterres, animaux. Les artisans disposent d’une quantité de moules pour recréer une nature artificielle, poissons, citrons, poires, etc. Le confiseur utilise le vocabulaire du paysagiste et la table des desserts se transforme en jardin d’Eden. Menon propose des modèles de table de 15 à 50 couverts qui se composent comme de véritables jardins à la française avec des parterres géométriques en sable coloré, agrémentés de statues antiques, autre motif très en vogue dans la confiserie. La planche proposée pour 15 couverts et composée de trois plateaux illustre le souci d’imiter la nature. L’ensemble des composants sont confectionnés en sucre. Les parterres en volutes (1) sont faits de sucre coloré et, sur le plateau central, une balustrade (2) entoure l’emplacement d’une statue. Les trois plateaux doivent accueillir une sculpture de sucre (3). Menon propose des modèles : au centre, la plus imposante représente Enée emportant son père Anchise sur ses épaules lors de la prise de Troie (4), à côté, les deux plateaux sont ornés de sculptures moins monumentales qui représentent Diane en chasseresse (5).
36Les compositions les plus somptueuses sont présentées par Gilliers, l’auteur du Cannameliste : le confiseur détaille avec minutie la confection d’une fleur pour réaliser de faux bouquets en sucre. Ses planches représentent un artisan appliqué qui travaille sur ce qui ressemble davantage à une table à dessin qu’au plan de travail d’un office. La description qui accompagne la planche témoigne du souci constant d’imiter la nature. L’art de la mimésis passe par la maîtrise d’une multitude de gestes techniques, l’objectif étant de dissimuler l’artifice92.
Formez avec la pâte le mieux que vous pourrez, le cœur, la graine, ou le calice de la fleur que vous voulez faire ; laissez-les ainsi sécher et lorsqu’ils seront secs, donnez-leur la couleur ; formez des petites abaisses de cette pâte, le plus mince, que vous pourrez, sur une pierre de marbre et les découper avec un découpoir de fleur. Nervez-les dans un moule de bois, que vous aurez fait faire exprès ; donnez le mieux que vous pourrez le pli à vos feuilles, pour qu’elles imitent la nature […].
Figure 15. Planche proposée par Menon pour une table des desserts de 15 convives.

Source : Menon, La science…, op. cit., p. 1
Figure 16. Détails des figures en sucre pour une table de 15 couverts.

Source : Menon, La science…, op. cit., p. 1
37Gilliers pousse son art plus loin que Menon et compose de véritables jardins miniatures dans lesquels les convives se déplacent pour cueillir des fruits en sucre et ramasser des pastilles dans des jardinières. Sur une autre planche, il pousse le détail jusqu’à reproduire des bassins grâce à des miroirs découpés qui imitent l’eau (planche 7).
Figure 17. La fabrication des fleurs en pastillage selon Gilliers.

Source : Gilliers Joseph, Le Cannameliste…, op. cit., planche 7
38Les inventaires laissent entrevoir les difficultés techniques du métier93. Les artisans possèdent de nombreuses pièces de travail en plus de la boutique ; elles sont plus ou moins nombreuses et spécialisées selon la taille du commerce. À Tours, Clemençon possède un cabinet à écrire, une boutique et huit annexes où sont fabriquées les confiseries (office, étuve, travail à dragées, magasin à dragées, magasin au sec, chambre au four, grande salle, travail des fruits)94. L’office aussi nommé « arrière-boutique » ou « laboratoire » est l’annexe la plus fréquente. Une table de bois « qui sert de travail », des billots et des marbres sont les meubles les plus courants. Chez le même Clémençon, le notaire prise une table de travail élaborée destinée à faciliter le travail du sucre : « une table carrée de bois chêne avec une pièce de marbre enchâssée dedans ». La pièce est souvent encombrée de petits pressoirs, de bassines de toutes tailles, de tamis avec des grilles de fer pour égoutter les pastilles, de mortiers pour broyer les épices et de grandes quantités de fruits qui garnissent les sucreries. Elle contient surtout les outils pour cuire le sucre qui constituent le gros du matériel (chaudières, fours, chaudrons, alambics, poêlons, passoirs, poêle à clarifier, entonnoirs et écumoires). Comme pour le raffinage, la cuisson des sucreries est l’opération la plus délicate. Pour enrober les fruits et les épices, les confiseurs utilisent deux sucres distincts : le sucre lissé, clarifié, puis bouilli rapidement pour rester liquide, et le perlé, plus épais car davantage cuit95. Les confiseurs emploient ensuite deux techniques différentes. La première consiste à recouvrir de plusieurs couches de sucre la dragée à l’aide d’une louche. Les bonbons sont contenus dans une bassine suspendue au-dessus d’une braisière. Le confiseur attend que la première couche soit sèche pour en ajouter une seconde ; l’opération peut se répéter jusqu’à dix fois. Dans la seconde technique de cuisson, le confiseur recourt à un perloir duquel s’écoulent lentement les gouttes de sucre qui tombent sur les dragées. Les notaires distinguent rarement la nature exacte des ustensiles : dans les inventaires consultés, aucune bassine à perler n’est mentionnée alors que les confiseurs vendent ce type de dragées. En revanche, les « pots à perler » sont prisés à quatre reprises. Les sucreries, quelle que soit la méthode utilisée, sont ensuite rangées dans de petites boîtes et mises à sécher dans l’étuve. Les outils attestent du souci décoratif des artisans : moules aux formes spécifiques (à candy, à pastilles, à biscuits de Savoie, cannelons, à gaufres, en forme de petits cœurs), seringues en cuivre à filer le massepain pour dessiner des motifs en pâte d’amande, modèles et « cachets à pastilles à deux empreintes » pour graver les bonbons, sont prisés dans les différentes annexes de travail.
Figure 18. Un jardin miniature en sucre, selon les dessins de Gilliers.

Source : Gilliers Joseph, Le Cannameliste…, op. cit., planche 11
39Loin du mythe de l’artisan autosuffisant, le confiseur se sert d’objets façonnés par d’autres96. L’art des confiseurs a un effet d’entraînement sur de nombreux métiers : les marchands recourent au savoir-faire des orfèvres, des faïenciers et des verriers car leurs compositions nécessitent des vases en cristal, des présentoirs en faïence ou des gobelets en argent. Ils font aussi appel au tabletier, artisan spécialisé dans la confection de petits objets en bois ou en ivoire comme des jeux, des crucifix et une multitude de petites boîtes. Pecqueur à Paris, tantôt décrit comme confiseur tantôt comme tabletier, s’est spécialisé dans la confection de supports et de décors pour la fabrication de pièces en pastillage et fournit les confiseurs les plus connus du royaume97. Son livre de comptes fournit en détail la liste des menus objets vendus aux confiseurs : à Berthellemot, il vend quinze plateaux en bois, une « assiette formant temple à trophée de guerre », un damier, à Per, des bonbonnières, à Ravoisié « 3 jeux de dominos factices », à Camus, « 2 tours à la Malbrouck », et au confiseur amiénois Bresin, « 1 plateau de paysage orné de verdure » et divers objets en carton destinés à être recouverts de sucre tels des bottes d’asperges, des choux-fleurs, des coloquintes et même un jardinier sur une boîte.
40Les confiseurs français, présentés comme de véritables artistes par Grimod de La Reynière, servent les puissants européens98. Le roi Stanislas fait venir le cuisinier et pâtissier François Richard et le nomme confiseur-distillateur à sa cour de Lorraine99. C’est lui qui forme Joseph Gilliers, l’auteur du Cannameliste. L’art de la confiserie française rayonne aussi en Europe grâce aux festins de la cour. Suite à son voyage en France en 1768, Christian VII, roi du Danemark, introduit la mode des dormants, ces grandes décorations de confiseries qui demeurent au centre de la table durant les festins royaux100. Les talents des confiseurs français et leurs inventions, comme le nougat ou la praline, s’exportent dans toute l’Europe. L’émulation entre les artisans a propulsé la confiserie française au rang d’art. L’essentiel est de frapper les esprits, de se distinguer, raison pour laquelle ils réalisent des pièces en sucre de plus en plus complexes et grandioses pour les banquets et fêtes publiques.
Du neuf et de l’exotique : les confiseurs, marchands de mode
41La lecture des annonces permet de tirer un premier constat : les épiciers n’utilisent pas la presse pour promouvoir les produits exotiques. Sur trente années d’Affiches orléanaises dépouillées, seules deux annonces mentionnent du sucre et une du thé. Les trois réclames portent sur des produits spécifiques : du sucre transformé pour faire des confitures et du « thé camphou de qualité supérieure101 ». La différence est de taille avec l’Angleterre, grande consommatrice de thé où la publicité pour la boisson dopante est courante mais inexistante pour le sucre102. En France, la réclame concerne surtout les produits nouveaux et luxueux, les bijoux, les perruques, les robes, etc.103. Elle est prisée par les confiseurs et limonadiers qui communiquent comme de véritables marchands de mode, insistent sur la nouveauté et l’exotisme de leurs produits et privilégient la clientèle féminine.
42Pour séduire les acheteurs, les confiseurs doivent susciter la curiosité avant même de flatter les papilles. Le métier est à la pointe de la mode et ses artisans utilisent l’actualité politique et artistique pour vendre leurs dragées. Le procédé est répandu chez les marchands de toutes sortes : la guerre d’Amérique fait naître les chapeaux à la Boston et la Révolution des boutons ornés d’une miniature de la Bastille104. Le confiseur Faciot compose le portrait de la future dauphine, Marie-Antoinette ; Berthellemot crée les dragées à la Vanhove, plus connue sous le nom de Mme Talma, au moment où elle commence sa carrière à la Comédie française105. Les confiseurs utilisent des techniques publicitaires nouvelles. Ainsi, Ravoisié, rue des Lombards, offre des cadeaux publicitaires à ses clients et organise une « loterie dont les lots sont des bonbons et le gros lot un petit bijou en or106 ». Dans cette course à la mode, les moments festifs sont des temps forts de la confiserie et donnent lieu à de nouvelles inventions sucrées. Les marchands jouent la carte de l’évènementiel pour susciter le désir d’achat et augmenter les ventes. En début d’année, au moment des étrennes, les confiseurs présentent leurs nouvelles créations : ce sont des produits d’appel qui servent de vitrine au savoir-faire du confiseur. Les Tablettes royales de correspondance se font l’écho de la compétition qui règne entre confiseurs en fin d’année. Berthellemot et Duval rivalisent d’imagination pour attirer l’attention du public : le premier a « exposé l’année dernière aux étrennes l’arrivée de Télémaque dans l’isle de Calypso, […] et le public l’a fort applaudi », mais le second est passé maître dans les représentations historiques.
Il est un des plus renommés pour les belles décorations ; il en présente un modèle en grand tous les ans dans le temps des étrennes ; le public les voit toujours avec empressement. Quelque uns des plus intéressants sujets qu’il a produit, sont la prise de la Grenade, le blocus de Gibraltar par mer et par terre ; le passage du Roi à Cherbourg ; la scène du Maréchal de logis ; l’entrée de l’Empereur de Chine dans la ville de Pékin.107
43À Orléans, de 1764 à 1789, sur 24 annonces de confiseurs, distillateurs et parfumeurs qui se piquent de vendre des pastilles, un tiers (8) paraissent en décembre et en janvier. Un essor publicitaire identique a été relevé chez les confiseurs bordelais au moment des fêtes de fin d’année108. Les artistes orléanais comme leurs confrères parisiens s’amusent à surprendre leurs clients en confectionnant des petits éléments en sucre qui imitent des objets à la mode comme les perles, les chinoiseries ou les dentelles. Le 26 décembre 1766, le confiseur Leclerc fait paraître une longue annonce pour les fêtes de fin d’année. Sa réclame, loin d’être seulement informative, cherche à attirer la curiosité des gourmands.
Le sieur Leclerc de Grandchamp, Marchand Confiseur, place du Martroi, à Orléans, ayant coutume de donner tous les ans au Public des nouveautés rares & curieuses en sucre, pour les étrennes, donne avis qu’il vend des petites figures Chinoises, de très-belles corbeilles garnies & à compartiment ; des coffrets garnis, en marly & en sucre ; de très-jolies paires de mules, faites de façon à s’y tromper ; des bonnets coëffés à dentelles d’Angleterre, avec le ruban dessus, & que l’on peut même mettre sur la tête ; des souliers d’enfant ; de petits sabots, des sacs à ouvrage ; le tout garni de bonbons & en sucre ; des œufs de cannes, où il y a un collier de nacre de perle, des boîtes garnies de leurs jettons, des livres à compartiment, & c. & plusieurs autres choses curieuses & galantes, à bon compte.109
44Par un jeu de mise en abyme, les confiseurs ajoutent une étape dans la course à la mode en jouant sur le faux comme les bijoutiers et les marchands de mode.
45Dans les petites annonces provinciales et parisiennes, la provenance géographique est utilisée comme argument de vente. Le confiseur vend du rêve et du voyage avec ses pistaches à la portugaise, ses fleurantines de Milan et ses glaces à l’italienne. Les destinations lointaines servent à aiguiser l’imaginaire, les spécialités régionales garantissent la qualité des produits vendus. Le sieur Legrand, distillateur à Orléans, vend « la crème des Barbades, de l’eau-de-vie d’Andaye, de l’huile de Vénus et de l’escubac de Nancy110 ». L’offre des boutiquiers est à la hauteur de leurs annonces : le Parisien Berthellemot propose trois articles étrangers (amandes d’Espagne, biscuits de Düsseldorf et petits-fours de Genève) et 20 articles régionaux dont 17 de Verdun (amandes, café, céleri, dragées, parfait amour, petit anis111). Les confiseurs orléanais mettent en avant leur spécialité, le cotignac, une confiture de coings à la mode. Parmi les 24 annonces orléanaises, huit font référence à des spécialités de Verdun ou de Nancy. Les deux villes sont connues pour leurs pastilles, dragées et ratafias. Le domaine de la confiserie comme l’ensemble de la gastronomie française est marqué par l’essor de spécialités régionales112. Les confiseurs parisiens sont cités en exemple pour leur capacité d’innovation : leurs pastilles, leurs pâtes de guimauve au dernier goût sont imitées. Eux-mêmes multiplient les publicités dans les journaux de province pour diffuser leurs créations et se forger une image de marque. Ils touchent ainsi un public élargi. Camus, l’un des plus célèbres confiseurs parisiens fait paraître une annonce sur son produit phare, des pastilles enrobées d’or, dans le journal orléanais en 1765113.
L’or, ce métal séducteur qui prévaut aujourd’hui par-tout vient encore de relever nos sucreries par son brillant : on peut aujourd’hui, sans se ruiner & sans offenser la délicatesse de nos belles, leur offrir une jolie bourse, galamment ornée & remplie de cent beaux doubles louis d’un fort bon goût […] La feuille d’or qui couvre ces pastilles ne leur ôte rien de leur qualité. On trouve cette monnoie sucrée chez Camus, fameux confiseur à Paris, rue des Lombards, à côté de la rue Saint Martin, à la ville de Verdun.
46Quelques mois après la parution de l’annonce dans les Affiches orléanaises, un confiseur de la ville, Leclerc, passe à son tour une réclame pour vendre des pastilles en provenance de Paris et réutilise les arguments publicitaires de Camus.
Le sieur Leclerc grand-Champ, Marchand-confiseur à l’Echelette, place du Martroy, vient de recevoir des doubles louis & des écus d’un fort bon goût, tant au citron qu’à l’épine vinette, qu’il peut donner à 4 sols pièces sans se ruiner. La feuille d’or ou d’argent qui couvre cette sorte de pastille, n’ôte rien de sa qualité ; cette monnoie sucrée peut être reçue sans offenser la délicatesse du beau sexe. On trouvera également dans la même boutique différentes sortes de bonbons.114
47La politique commerciale du Parisien Camus a porté ses fruits en suscitant la curiosité des consommateurs orléanais. Le processus est identique quelques années plus tard avec la pâte de guimauve, une nouveauté de Berthellemot115.
48Alors qu’en Angleterre, les confiseurs dédaignent les questions de prix, en France, la plupart mettent en avant le prix de leurs marchandises116. Seules les plus grosses pièces en pastillage présentées pour les étrennes font exception. À Orléans, 14 annonces sur 24 utilisent l’argument : certaines mentionnent des prix exacts, d’autres utilisent des formules évasives, « à bon compte », « à un prix raisonnable », « à juste prix ». Pour l’Almanach des Gourmands et l’Avantcoureur, seules comptent la mode et la nouveauté. Le problème du prix est écarté dans les commerces les plus luxueux. Grimod de La Reynière y fait allusion une fois à propos de la boutique de Berthellemot, qui est selon lui « la meilleure, mais très certainement la plus chère. Il est vrai qu’on ne regrette point chez lui son argent ». L’évocation de la qualité est plus rare mais le bon goût des puissants est un argument de vente, gage de l’habileté professionnelle des artisans. Comme la marchande de mode Bertin, qui s’enorgueillit d’habiller Marie-Antoinette, ou Claude-François Prévost, qui s’affuble du titre de « marchand parfumeur du Roi et de la Reine en 1789 », de nombreux confiseurs parisiens se targuent d’être les principaux fournisseurs de la cour. Ainsi, sur son annonce, Ravoisié précise qu’il fournit les bonbons de la Reine, gage de la maîtrise de son art117. L’auteur des Tablettes royales de renommée énumère les liens entre les artisans et les grands du royaume : Debèze est qualifié de « confiseur de Monsieur », la veuve Lamotte sert « Monseigneur le Dauphin » et « Madame la duchesse d’Orléans ».
49À l’image des autres marchands de mode, les discours publicitaires des confiseurs jouent sur la supposée gourmandise féminine. Grâce à une publicité genrée, les marchands attirent les galants soucieux de séduire leurs belles. Dans la majorité des annonces de nouveautés, les femmes sont la clientèle cible et se voient offrir de précieux cadeaux en sucre118. Pour les contemporains, le goût du sucré est inné chez les femmes et les enfants. Les romans, les annonces publicitaires, les traités médicaux, tous insistent sur la prédilection féminine pour la douceur. Si le goût excessif pour le sucre est condamné et assimilé à l’appétit sexuel, dans la littérature le sucré renvoie le plus souvent à la pureté originelle, au naturel, à un goût qui n’aurait pas été corrompu119. Chez Rousseau, deux mondes s’affrontent, l’un sucré relié au végétal, au raffinement et à la féminité, et l’autre carné, guerrier et masculin. Dans Nouvelle Héloïse, Sophie aime les laitages et le sucré, symboles de l’innocence120. L’association du sucré à l’enfance et l’opposition au régime carné a été véhiculée par les contes. Dans La Belle au bois dormant (1697), la reine mère réclame pour dîner sa petite-fille Aurore à son maître d’hôtel : « Je le veux, dit la reine (et elle le dit d’un ton d’ogresse qui a envie de manger de la chair fraische), et je la veux manger à la sausse Robert121 ». L’homme armé de son couteau monte dans la chambre de la petite Aurore, mais l’enfant l’accueille en lui sautant au cou et lui demande du « bon du bon ». Cette tendance au « végétarisme », selon l’expression de H. Lafon, est perceptible dans les écrits de Voltaire, qui condamne lui aussi l’alimentation carnée : par analogie au sang, elle entraînerait les hommes à la violence122. Le goût pour le sucré peut être signe de tempérance, mais la préférence féminine est parfois présentée de manière moins valorisante. Perçu comme une facilité, le goût pour la saveur douce ne nécessite aucun apprentissage123. Le sucre serait adapté à des êtres immatures : femmes et enfants sont souvent représentés ensemble. Dans Le Déjeuner de Boucher (1739), les enfants sont le centre de l’attention des personnages : la famille les habitue au goût du café grâce au sucre représenté par le petit sucrier posé sur le cabaret124. Les gravures de boutiques de confiseurs retrouvées pour la fin du xviiie et le début du xixe siècle représentent au premier plan des femmes et des enfants (cf. cahier couleur).
50Les femmes sont toujours accompagnées ; passives, elles se font offrir des friandises par leur mari ou amant, à l’image des enfants qui réclament du bonbon125. L’Almanach galant représente la boutique du confiseur pour le mois de janvier : une femme richement vêtue attend devant le comptoir, accompagnée de son mari, en retrait, et de sa fille126. La chansonnette qui accompagne l’image est sans équivoque : pour flatter le goût de ces dames et obtenir leurs faveurs, les hommes doivent ouvrir leurs bourses.
Janvier. – La Boutique du Confiseur Qui veut acheter du bonbon ?
Messieurs, ouvrez vos escarcelles, Qui veut de friand macaron ?
Mettez-vous en frais pour vos belles.
Figure 19. « Les Etrennes chez le confiseur », gravure tirée de l’almanach Les délices de Paris, Paris, Janet, 1803.

Source : John Grand-Carteret, Les almanachs français, Paris, J. Alisié, 1896, p. 372
51Les confiseurs ciblent la clientèle féminine : Berthellemot crée des pièces de pastillage en forme de bouquets de fleurs, des cupidons « amours en sucre », des « amandes pour les femmes », des bijoux et des médailles en sucre127. Son concurrent Ravoisié recourt au même procédé : il propose en janvier 1765 « tous les bonbons galans & toutes sortes de jolies étrennes pour les dames128 ». Les plus habiles parviennent à tranquilliser les maris les plus pingres ; Camus joue l’argument pécuniaire. Alors que les femmes sont accusées de ruiner leur mari en achats de friandises, il fabrique de fausses pièces d’or en sucre. Les hommes s’attirent ainsi les bonnes grâces de leurs épouses, à moindre frais.
52Les détaillants manient avec subtilité les différents registres du plaisir pour attirer femmes gourmandes et hommes pressés de les satisfaire, deux des stéréotypes les plus à la mode dans les annonces publicitaires. Pour stimuler le désir d’achat, les confiseurs ne se contentent pas d’arguments frivoles et ajoutent à leur discours un argument de poids, la justification sanitaire.
Un plaisir nécessaire : les vertus médicales du sucre utilisées à des fins commerciales
53Les médecins ont participé au brouillage des frontières entre aliment et médicament et les confiseurs se sont saisis du flou médical pour commercialiser leurs confiseries. Les bienfaits médicaux sont présentés comme un prolongement des qualités gustatives des sucreries. Dans les annonces, les pastilles sont associées à des vertus médicinales : le sucre candy soigne les rhumes, la limonade rafraîchit et les pastilles à l’épine-vinette sont très utiles aux « personnes échauffées ». Le discours s’explique par les différents usages liés au sucre depuis son arrivée en Europe.
54Sirops et confitures symbolisent la confusion des usages car ils permettent de conserver des fruits, des fleurs et des épices pour la santé et de satisfaire les plaisirs du palais129. Les médecins enrobent les dragées de poudre de sucre pour faciliter leur prise et utilisent du sucre pour corriger les effets d’un remède. Buchan le recommande pour masquer les purgatifs pris par les enfants130. Geoffroy, l’auteur du Traité de la matière médicale (1757), entretient systématiquement la confusion entre les bienfaits médicaux et gustatifs du sucre131.
On ne donne presque point de remèdes sans sucre, soit pour les adoucir lorsqu’ils sont désagréables, & les rendre meilleurs au goût, soit pour conserver ceux qui se corrompoient, soit pour corriger & tempérer ceux qui sont trop violents.
55La douceur du sucre est préconisée pour corriger les effets néfastes des fruits, perçus comme des vecteurs de maladie à cause de leur nature corruptible132. La confusion autour de l’usage des confitures est bien antérieure au xviiie siècle : au bas Moyen Âge, le letuaire était à la fois le médicament le plus cité par les traités de l’époque et une confiture achetée chez les épiciers et servie en fin de repas133.
56Les confiseurs et les limonadiers s’emparent de l’argument sanitaire ; l’arrivée des boutiquiers de l’alimentation sur le marché de la santé est soulignée par l’Encyclopédie134.
Au reste l’usage des syrops est passé comme bien d’autres genres d’assaisonnemens, de la pharmacie à l’office & à la boutique du limonadier. On prépare plusieurs syrops […] tels que le syrop de limon, le syrop de coin, le syrop de capillaire, le syrop d’orgeat, & c. qui étant dissous en une proportion convenable dans de l’eau fournissent une boisson très-agréable & très salutaire.
57Grimod de La Reynière vante ainsi le savoir-faire du confiseur Bouchard qui « fabrique un sucre de pomme très parfumé qui mérite d’autant plus sa réputation, qu’il a guéri un grand nombre de rhumes135 ». Dans l’Avantcoureur, Ravoisié présente ses pastilles à l’épine-vinette qui « ont plusieurs qualité utiles […] Les personnes échauffées par des exercices tels que la danse, la course et la paume pourront en faire usage136 ». Camus recourt à la même stratégie pour ses sirops137.
Le sieur Camus offre pour la saison, différentes préparations rafraîchissantes qui ne peuvent manquer de flatter le goût et d’être utiles à la santé.
58Certains vont plus loin et transforment l’argument de santé en principal atout de vente. Jourdan Le Cointe, médecin piqué de gastronomie, s’est lancé dans l’édition d’ouvrages sur l’alimentation de santé. Après un volume consacré à la cuisine, il écrit La pâtisserie de santé (1792), éloge de l’art culinaire. Les aliments, la cuisine elle-même deviennent des médicaments efficaces contre la langueur et l’ennui féminins138.
Un art [la pâtisserie] capable de chasser l’ennui de tous les états, d’offrir des amusemens variés, de donner un exercice doux et salutaire à toute notre machine, d’en dissiper tous les engorgements qui sont la source de tant de maladies cruelles, qui nous rend l’appétit, la force et la gaieté […] mérite, je crois quelqu’attention de la part de tous ceux qui composent la société.
59Les différents usages du sucre se superposent : aux arguments médicinaux s’ajoutent les plaisirs gustatifs. Le sucre est bon car il réjouit le palais et corrige certains maux. Il triomphe dans les cuisines et les pharmacopées : le plaisir gourmand ne remplace pas l’usage thérapeutique. De médicament, il est devenu un « alicament » avant l’heure, reconnu pour ses bienfaits thérapeutiques et sa saveur.
60Le vocabulaire et les techniques de vente utilisées par les détaillants alimentaires font écho à ceux d’autres métiers : la réussite des soyeux lyonnais s’explique par leurs innovations annuelles et par l’attractivité de leurs nouveautés139. Les confiseurs usent des mêmes stratagèmes pour attirer les gourmands et la publicité est un des ressorts du succès de leurs créations sucrées. La curiosité du chaland attisée et le seuil de la boutique franchi, les détaillants déploient des trésors d’inventivité pour fidéliser leur clientèle.
Fidéliser et élargir sa clientèle : les techniques de vente des boutiquiers
61Observer le processus de vente d’un produit à la mode comme le sucre fait saisir le jeu sur la qualité orchestré par les boutiquiers. La boutique est un espace privilégié pour appréhender les mécanismes d’une économie de l’identification fondée sur la hiérarchisation du corps social140. C. Lanoë a ainsi mis en évidence la diversification de l’offre de fards rouges ; les parfumeurs fabriquent un produit de luxe et le déclinent selon diverses qualités pour toucher le plus grand nombre et s’assurer le monopole de sa vente. Les boutiquiers sont parvenus à encourager une consommation différenciée dans une société d’ordres où le rang, la considération sociale et les apparences définissent l’identité141. La variété de l’offre, le jeu sur le prix et la qualité des produits, et la somme de petits services proposés par les détaillants sont autant de stratégies de vente déployées par les vendeurs de produits exotiques pour accompagner la demande croissante.
La différenciation de l’offre : du sucre pour toutes les bourses et tous les goûts
62Les annonces publicitaires se transforment en une litanie de sucreries et les inventaires confirment la profusion des bonbons proposés à la vente. Elles excèdent souvent la dizaine de lignes mais peinent à contenir toute l’offre des détaillants.
Le Sr. Saintoin, Marchand Confiseur & Distillateur, rue Bourgogne, donne avis qu’il fait & vend toutes sortes dragées, & qu’il est assorti, pour la nouvelle année, de celles de Verdun & de Paris, de boëtes de confitures sèches, boëtes de Cotignac, cœurs & gâteaux de fleurs d’orange garnis en pastilles, pistaches en dragées, & autres ; jolies bombonnières en beau vernis, figures en sucre, corbeilles de fleurs, & toutes sortes d’autres marchandises en ce genre également curieuses. Il fabrique aussi l’excellent chocolat fin à la vanille.142
63Il s’agit de déterminer si tous les vendeurs de produits exotiques adoptent la même stratégie : les techniques de vente sont-elles identiques chez un confiseur parisien et son confrère provincial ? Les épiciers, simples revendeurs, ont-ils recours aux mêmes stratagèmes que les confiseurs, détaillants et artisans de luxe ? Si tous les boutiquiers proposent des marchandises à des prix divers selon la qualité et la rareté du produit proposé, la diversification est plus grande chez les Parisiens.
Sucre en pain, cassonade et candy : l’offre diversifiée des épiciers
64Pour mesurer l’offre des épiciers, une quarantaine d’inventaires après décès de boutiquiers collectés à Nantes, Angers et Tours ont été utilisés143. Le premier trait marquant est l’absence de standardisation des produits : quatorze dénominations de sucre ont été relevées. Les notaires varient les termes pour définir la qualité de la manière la plus juste, d’où l’utilisation fréquente d’adjectifs : selon sa qualité, la cassonade est « commune », « blanche », « fine » ou de « seconde catégorie ». Lors de la prisée des marchandises, les officiers reprennent certaines dénominations utilisées par les négociants et les raffineurs dans leurs correspondances, signe que des normes informelles mais communes à tous les acteurs de la filière apparaissent progressivement. La variété découle de l’absence de standardisation : en moyenne, les détaillants vendent plus de trois types de sucre. La catégorie la plus mentionnée est la « cassonade », un terme vague qui désigne les sucres terrés aux colonies, semi-raffinés. La rubrique comprend les sucres « blanc » et « tête » (huit et trois mentions) : le premier correspond à du sucre terré de bonne qualité et le second est plus commun144. La variété des qualités explique les grandes différences de prix constatées, de 25 à 60 livres. En 1787, chez l’épicier nantais Jean Lebrun, le notaire prise de la « castonnade bonne » à 32 livres le cent pesant, de la « castonnade de seconde qualité » à 38 livres et de la « castonnade blanche » à 48 livres145. La moitié des inventaires contiennent plus de deux types de cassonade. Le sucre en pain arrive loin derrière le sucre terré et n’est présent que dans deux tiers des inventaires (24 mentions), sans doute à cause de son prix : il coûte en moyenne 25 % plus cher le cent pesant que la cassonade (64 livres contre 39). Les notaires ne précisent jamais la qualité du sucre en pain ni son papier d’emballage, seul le prix donne un indice de la diversité. Le sucre candy, du sucre blanc cristallisé plus cher encore, est vendu en petite quantité, sous forme de bâton à deux sols la pièce. Le sucre brut est rare ; il sert surtout à approvisionner les confiseurs qui le raffinent eux-mêmes. D’autres sortes de sucre sont vendues en petites quantités : le sucre « surfin », très raffiné, est le plus coûteux (mentionné une seule fois, il est estimé à 104 livres le cent pesant).
65La diversification de l’offre varie selon les détaillants. Certains épiciers proposent une gamme élargie pour s’adapter aux bourses de leurs clients : onze d’entre eux (30 % du corpus) vendent plus de cinq types de sucre différents. À Nantes, le notaire prise dans la boutique de l’épicière Jeanne Petard trois qualités de sucre blanc à 29, 33 et 40 livres le cent pesant, 8 livres de sucre brut, et 41 pains de sucre146. Il n’y a pas de différence notable entre l’achalandage des épiciers d’une grande ville portuaire comme Nantes et celui d’une ville moyenne comme Tours. La situation est différente pour les confiseries : les offres provinciale et parisienne sont distinctes. L’offre de bonbons est plus hiérarchisée grâce au savoir-faire du confiseur.
Du bonbon à la pièce en pastillage : luxe et demi-luxe
66À la différence des épiciers, les confiseurs sont des artisans : ils sont plus à même d’adapter leur production aux goûts des clients. Ils varient la forme, la couleur et le parfum des bonbons, proposent des nouveautés ce qui explique des écarts de prix considérables entre les simples pastilles et les plus belles pièces en pastillage. Si la province n’échappe pas à l’engouement pour les confiseries, l’offre est plus étoffée à Paris, reflet d’une plus grande hiérarchisation sociale.
67Comme les épiciers, les confiseurs jouent avec les qualités des produits pour toucher davantage de clients. Ils baissent la qualité de certains bonbons ou cherchent à imiter des objets précieux pour augmenter leurs ventes. Les confiseries sont similaires aux produits de demi-luxe qui fleurissent au xviiie siècle, ces objets nouveaux à haute valeur symbolique mais dont le moindre coût de fabrication attire un plus grand nombre de consommateurs147. Les bijoutiers créent le strass pour imiter le diamant, les fondeurs transforment le cuivre en simili argent. Les confiseurs s’engouffrent eux aussi dans la mode du faux et inventent des bijoux en pastillage, des monnaies en or faux. En 1770, la collection de confiseries lancées pour la nouvelle année, et dont l’Avantcoureur se fait l’écho, accorde une place de choix à l’imitation : bijoux et médailles sont confectionnés en sucre. ÀParis, l’habile Faciot fabrique un médaillon factice.
On publie chez le sieur Faciot, marchand confiseur, rue S. Denis, vis-à-vis la rue du petit Lion le portrait en sucre de Madame la future Dauphine en médaillon artistement encadré dans une bordure dorée.148
68Les confiseurs baissent les coûts de production en jouant sur la quantité de sucre et les colorants. Les pastilles de couleur sont toujours plus chères que les pastilles « communes ». Le confiseur parisien Cuisinier vend les bonbons sans colorant à 17 sols la livre et ceux de couleur à 60 sols (soit environ 3 jours de travail d’un ouvrier). Certains artisans fraudent sur la qualité pour réduire les coûts en ajoutant de la farine dans les dragées pour diminuer la quantité de sucre149. Les différences de prix dépendent aussi des techniques utilisées : le confiseur nantais Guillaume Hoguet vend des dragées « communes » à 8 sols la livre (soit 40 livres le cent pesant, au même prix que le sucre terré) et des dragées « fines » deux fois plus cher, à 16 sols150. Celles-ci nécessitent une cuisson lissée, plus complexe et gourmande en sucre151. Pour toucher les foyers populaires, les marchands vendent des confiseries de second choix, aux formes imparfaites : Lemercier, confiseur angevin, vend « trois boistes contenantes differents fruits confits de rebut estimé vingt quatre sols » et des « boistes de confitures seiches de rebut152 ». Les détaillants misent aussi sur la variété des goûts : le confiseur parisien Berthellemot propose neuf sortes d’amandes (amandes royales, rouges, cannelées, à la rose, à la vanille, d’Espagne, de Verdun, de Provence et amandes pour les femmes) et quatorze sortes de pastilles (vinaigre, badiane, cannelle, framboise, fraise, groseille, rose, citron, safran, épine-vinette, menthe, anis vert, ananas et pastilles de Verdun)153. ÀAngers, René Lemercier vend huit sortes de confitures (mirabelle, abricot, prune, melon d’eau, coing, groseille, framboise et cerise) et cinq types de dragées (citron, amande, épine-vinette, coriandre, céleri)154. L’inventaire des parfums reflète l’évolution des goûts des contemporains : les fruits exotiques ou locaux volent la vedette aux épices. Les gourmands semblent rechercher la fraîcheur du fruit, voire l’acidité comme en témoigne la présence récurrente de l’épine-vinette. Les propriétés digestives attribuées à certaines denrées expliquent aussi leur succès (menthe, anis, épine-vinette).
69L’étude de 28 inventaires après décès et bilans de faillite des confiseurs met en évidence la gamme plus étendue des confiseries proposées dans la capitale. Berthellemot vend quatre types de dragées à des prix allant du simple au double : les dragées communes à 20 sols la livre, les dragées « fines » à 30 sols, les « surfines » à 40 sols et enfin les « pistaches en dragées », plus chères que les amandes, à 44 sols. Le contraste est encore plus fort pour les ustensiles : le matériel des confiseurs parisiens est près de sept fois plus coûteux.
Tableau 7. L’offre des confiseurs à Paris et en province d’après 28 inventaires de boutiques au xviiie siècle.

Sources : inventaires après décès de Nantes, Angers et Tours ; bilans de faillites parisiens
70En province, les confiseurs s’adaptent à une clientèle moins dispendieuse qu’à Paris : leur offre est variée mais ils proposent des sucreries plus simples (des confitures, massepains, pastilles et dragées souvent sans colorants) et les inventaires mentionnent rarement des pièces en pastillage de valeur. De rares artisans proposent des figures en sucre dont le prix n’excède pas quelques livres : à Angers, Lemercier vend des figures à 20 sols la pièce dans de petites boîtes en carton peintes et son confrère Retureau offre des sucres en figures de raves et radis au même prix155. À Tours, Clemençon vend 17 figures en sucre estimées à 28 sols pièce156. Les boutiquiers parisiens proposent d’exceptionnelles pièces en sucre. Berthellemot expose plusieurs dizaines d’objets en pastillage dans sa boutique du Palais-Royal : l’un des moins coûteux est un « petit scieur » en sucre estimé à cinq livres, la pièce la plus chère, un « temple en pastillage dit de la liberté avec chasse », atteint 300 livres, le salaire annuel d’un ouvrier qualifié157. Sa boutique réserve d’autres surprises sucrées aux clients les plus fortunés : des « vases de fleurs sur piédestal avec leurs chasses » (20 livres), des pièces représentant l’histoire de Don Quichotte (70 livres), des bustes de Lafayette (18 livres), des pêcheurs à la ligne (16 livres), de nombreux « amours » représentant Cupidon (10 livres) et des orangers (9 livres)158. Chez Mosnier, un confrère moins prestigieux installé place Dauphine à Versailles, le notaire prise « différentes petites figures » pour une somme totale de 100 livres, « 12 grandes figures représentant différents sujets » à 10 livres la pièce et un objet en pastillage beaucoup plus luxueux, bien que sa description reste mystérieuse, « une pièce de mécanique en pastillage en 4 parties très curieuses dans sa boîte garnie de 4 carreaux de verre blanc et 4 glaces en dedans », pour la somme conséquente de 100 livres159.
71La spécialisation du métier est moins aboutie en province : les inventaires recensent des sucreries au milieu d’autres épiceries : anis, thé, café et guimauve côtoient le sucre candy. À Paris, les deux spécialités d’épicier et de confiseur sont plus dissociées, du moins dans les documents étudiés. S’il existe bien des confiseurs spécialisés dans les produits de luxe en province, ils sont peu nombreux et préfèrent proposer leurs services sur commande pour ne pas perdre un stock qu’ils seraient incapables d’écouler. La différence d’échelle entre Provinciaux et Parisiens s’explique aussi par le rôle de redistribution joué par la capitale. Les artisans parisiens sont des détaillants mais aussi des grossistes qui approvisionnent une partie de la France : l’acte de faillite de Mathieu Per mentionne des clients à Moulins, Troyes, Lyon, Douai et Le Havre160. Les boutiquiers provinciaux n’ont pas un rayonnement aussi large et se contentent souvent du marché urbain environnant. Pourtant, il ne faut pas exagérer les différences. Dans les villes moyennes, les confiseurs vendent aussi du luxe, du nouveau, du superflu comme en témoigne l’annonce publicitaire de Tiby, à Nantes.
Au Magasin des belles confitures,
François Tiby, marchand confiseur […] fait et vend toutes sortes de confitures sèches et liquides, pralines fines, dragées de Verdun assorties, amandes d’Espagne et autres, fleurantine canelas de Milan, nompareilles blanches et colorées, pastilles baroquement figurées des meilleurs parfums […], toutes sortes de bijouteries en sucre, fort curieuses, tant pour les bouquets de fêtes et baptêmes que pour les Etrennes […], il fait aussi des desserts dans le dernier goût, tant en décoration des plus beaux cristaux et verdure, qu’en ouvrages de sucre et porcelaines de Saxe […]. Le tout à juste prix161.
72Les confiseurs provinciaux imitent leurs confrères parisiens pour les petits bonbons : Retureau, à Angers, copie les plus grands et vend des pastilles à devises, des bonbons entourés de maximes très en vogue dans la capitale et dont un des plus célèbres précurseurs fut Berthellemot : tous deux les vendent à des prix similaires, de 45 à 50 sols la livre162.
73La diversification touche toutes les boutiques d’épiciers et de confiseurs, quel que soit l’emplacement géographique. La variété des sucres en vente permet de répondre aux souhaits différenciés des clients. Les confiseurs innovent pour baisser les coûts de certaines sucreries tout en satisfaisant les goûts des clients les plus fortunés avec des compositions luxueuses. Épiciers et confiseurs n’offrent pas seulement une gamme élargie de produits ; ils entourent l’achat d’une série de menus services pour s’attacher une clientèle fidèle.
La fidélisation de la clientèle : les stratégies neuves des boutiquiers
74Pour accompagner le désir d’achat et fidéliser sa clientèle, le détaillant déploie des trésors d’inventivité. Alors que J.-B. Jefferys datait la majorité des changements dans le commerce de détail après 1850, C. Fowler a montré que des stratégies de vente nouvelles avaient été mises en place dès le xviiie siècle. L’historienne a mis en évidence l’existence de prix fixes et de soldes dans les annonces des boutiquiers de la ville de Southampton163. Alors que le nombre de boutiques augmente, les commerçants sont engagés dans une course à la nouveauté et à la distinction. L’observation minutieuse de la décoration des boutiques et l’étude des nombreux services offerts par les détaillants montrent l’attention portée à la fidélisation de la clientèle à la période moderne.
L’aménagement des boutiques : un appât pour les gourmands
75La mode du shopping emporte les magasins de sucreries : la boutique n’est plus uniquement un lieu de vente, mais un endroit où l’on flâne et où l’on désire être vu164. Elle se transforme en véritable lieu de sociabilité, richement décoré. Les détaillants portent une attention particulière à son emplacement : s’installer dans un endroit à la mode est une première étape dans la réussite commerciale d’un boutiquier165. C’est le parti pris par le confiseur Berthellemot qui ouvre une boutique au Palais-Royal, « temple de la consommation placé sous le signe du luxe et du plaisir166 ». Sa boutique représentée dans les Caricatures parisiennes laisse deviner un espace de vente très recherché, du moins sur la représentation (cf. cahier couleur). La boutique est carrelée, largement ouverte sur la rue ; à la profusion des bonbons, s’ajoute l’élégance de leur présentation. Une pyramide de fioles de sirops se dresse au centre et de nombreuses compositions en sucre sont présentées au regard sur des étagères murales. Louis-Sébastien Mercier reproche d’ailleurs la débauche de luxe des confiseurs ; le Jour de l’an transforme leurs boutiques en véritable appeau pour les chalands.
En ce jour fameux, les lustres de cristal enlevés à la voûte des palais et des paroisses sont pompeusement suspendus par des guirlandes de fleurs aux plafonds de leurs boutiques, qui resplendissent de lumière comme des catafalques. C’est à l’éclat de cent bougies, sans compter les quinquets éblouissants et les lampions de couleurs, que la foule des acheteurs circule le long des cases vitrées qui enserrent sous les formes les plus variées, les plus bizarres, toutes les inventions nouvelles du distillateur-bonbonnier. Là, parmi des milliers de flacons de liqueurs des isles fabriquées à Paris, l’on goûte des yeux autant que de la bouche, les zestes de citron, les pastilles vermeilles de guimauve, les priapes à la rose, les cœurs enflammés à la fleur d’orange […]. Ainsi la boutique du confiseur est un appeau où les individus de l’un et de l’autre sexe volent pour se prendre comme les mouches dans le miel167.
76Le décor des boutiques devient le but de la visite à tel point qu’au début du xixe siècle, le confiseur Berthellemot fait payer ses visiteurs trois livres l’entrée168. Les confiseries elles-mêmes attisent la curiosité et servent de parure au commerce : Ravoisié a installé des « pièces mouvantes qui jouent différents airs dans sa boutique169 ». L’univers de la boutique déborde sur la rue grâce aux enseignes peintes et aux montres, de petits appuis accolés à la façade170. Les confiseurs installent derrière leurs vitrines des outils stratégiques pour attirer la curiosité comme un « billot et un marbre à faire sucre d’orge171 ». Ce type d’aménagement est étudié car les artisans disposent de nombreuses annexes de fabrication où installer ces ustensiles. Les métiers de bouche décorent rarement leur boutique ; or, c’est le cas pour un quart des confiseurs étudiés (7 sur 28172). ÀNantes, chez le confiseur Michel, le notaire prise une glace à pied doré pour la somme de 190 livres, chez Clemençon des figures en porcelaines, chez Retureau des fauteuils avec des coussins de siamoise173. ÀParis, la décoration de la boutique prend une autre dimension : dans le bilan de Berthellemot, la rubrique destinée aux objets de décoration (fleurs, rubans, bijoux) est évaluée à 15 000 livres174. À la différence des autres commerçants de bouche, point de lit ni de vêtements dans ces commerces de luxe : la distinction entre espace privé et espace public est nette. Les cafetiers et limonadiers apparaissent plus soucieux encore de la décoration. ÀNantes, les inventaires consultés témoignent de cette folie du décor : les salles sont parées de miroirs, de tapisseries et de tableaux, les lustres sont en cristal et la vaisselle en argent. L’inventaire de la veuve Chesnion dressé en 1759 donne un aperçu du faste des salons de café175.
Un comptoir de bois et son dessus de marbre 30L
4 tables de bois tournées avec leur dessus de marbre 80L
Un miroir 45L
2 grands trumeaux a quatre glaces et cadre doré 120L
Un autre petit trumeau 40L
Une pendule 200L
2 grands tableaux a cadre doré dont l’un représente Louis XV et l’autre l’infante d’Espagne 30L
Un lustre de cristal 50L
Un canapé de rotin et son coussin 15L
Une tenture de tapisserie de verdure 180L
Une grande caffetière deux moyennes et deux petites en argent 984L
77Quelques années plus tard, son confrère Jean Durand surenchérit en investissant des sommes considérables dans la décoration de son café176. Il aménage un « plafond de toile peinte avec ses corniches », estimé à 180 livres, et dispose une tenture de toile peinte pour 190 livres. Cette course au luxe provoque des difficultés financières : en 1761, le cafetier Lelièvre fait faillite et précise qu’il a dépensé pour chacun de ses déménagements entre 1 000 et 1 500 livres pour « l’embellissement » de son café177. De tels investissements paraissent indispensables pour attirer une clientèle choisie et écarter les habitués des cabarets. La bonne tenue, la beauté, l’élégance d’un café deviennent des arguments publicitaires. ÀOrléans, le confiseur et distillateur Pellu informe ses clients qu’il a ouvert un nouveau café dans lequel « on trouvera toutes sortes d’agréments, tant du côté de l’exactitude, que de celui de la société » ; pour garantir la bonne compagnie de ses clients, il se propose « de n’y recevoir que des personnes qui se présenteront décemment178 ». Ces « manufactures d’esprit », pour reprendre les termes de l’Encyclopédie, ont porté à leur apogée l’aménagement des boutiques, y compris en province. La décoration contribue à fidéliser la clientèle et les détaillants, en la matière, ne manquent pas d’imagination. Outre le recours au crédit, une pratique habituelle pour conserver une clientèle régulière, certains offrent de multiples services pour se distinguer de leurs confrères.
Faciliter l’achat : crédit et autres menus services
78Pour plaire à ses clients, le boutiquier propose de menus services gratuits pour la clientèle, souvent coûteux pour le marchand : le crédit, le dressage d’une pièce montée à domicile ou plus simplement l’emballage, offerts par les plus habiles artisans, facilitent l’achat et fidélisent une clientèle volatile.
79Pour encourager l’achat, les confiseurs et les épiciers vendent leurs produits en petites quantités, à l’once. L’épicier Séjourné à Paris, dont le livre de comptes a été conservé, vend régulièrement deux onces de sucre, soit environ 60 grammes, pour un peu plus de deux sols179. Dans leurs réclames, des boutiquiers assurent des prix fixes à leur clientèle : certaines annonces précisent le prix d’un ou deux produits. La stratégie est nouvelle au xviiie siècle180. Le détaillant choisit un produit d’appel et indique des prix assez bas pour attirer le consommateur. À Orléans, Leclerc est un habitué de la pratique : il annonce la vente de dragées de 24 à 30 sols et des tablettes de pâte de guimauve au bas prix de 12 sols la livre (soit environ la somme déboursée pour l’achat d’une livre de pain blanc à Paris181). Chez la majorité des boutiquiers et malgré les petites quantités débitées, la plupart des achats se fait à crédit. Sur les 28 inventaires et faillites de confiseurs étudiés, un seul mentionne qu’il ne lui est rien dû ; six actes n’évoquent pas la question, six attestent de l’existence du crédit sans qu’il soit possible de l’évaluer (des livres de vente, mémoires, billets sont prisés, sans plus), mais les 15 derniers sont plus précis. En moyenne, les dettes actives s’élèvent à 11 470 livres, mais le chiffre a peu d’intérêt tant les sommes diffèrent selon les boutiquiers. Faciliter l’achat est devenu une nécessité pour les détaillants et le crédit n’est qu’un des outils à leur disposition. Pour se différencier, certains boutiquiers offrent de petits services à leur clientèle. La prestation la plus répandue consiste à emballer les marchandises achetées182. Comme les raffineurs, les détaillants disposent de stocks de différents papiers selon la qualité du produit. ÀTours, le confiseur Clemençon utilise cinq types de papier d’emballage estimés pour la somme conséquente de 83 livres : 10 rames de « petit papier », 6 rames de « grand papier blanc », 30 de « papier gris », 50 de « papier cassé blanc » et une rame et demie de « papier lombard fin », le plus cher183. Ils sont pliés et transformés en poches pour transporter le sucre, les pastilles et les dragées. Son arrière-boutique contient 181 bouteilles de verre et de terre et 2 800 bouchons en liège de toutes grosseurs pour transporter les sirops, 912 pots pour les confitures, 1 360 terrines et 135 tinettes, des contenants plus larges. Ces matériaux d’emballage sont prisés 496 livres, soit près de 11 % de la somme de tous ses ustensiles. Ils ne sont pas toujours décrits avec un tel détail mais Clemençon ne fait pas exception, des papiers sont retrouvés chez tous ses confrères. ÀNantes, Thiot possède 210 livres de papier à poche de deux livres, 216 livres de papier à poche d’une livre, 68 livres de papier gris de Hollande, deux rames de papier blanc, 75 livres de papier violet à sucre, 900 livres de grandes et petites poches184. À Angers et Paris, Lemercier et Berthellemot présentent le chocolat et les pistaches sous la forme de papillotes185. Les matériaux d’emballage sont aussi présents chez les épiciers mais paraissent plus simples car le sucre en pain est déjà emballé186. Chez certains détaillants, l’emballage est plus sophistiqué et permet d’offrir des confiseries dans de luxueux écrins. Les confiseurs nantais Jean Pellu et François Monneau et l’Angevin René Lemercier proposent leurs bonbons dans des boîtes peintes en rouge et bleu. À Orléans, Luzarche vend des « boëtes de Cotignac figurées187 ». L’emballage sert à mettre en valeur la marchandise : Ravoisié précise qu’il fait figurer sa marque « Au Fidèle Berger » sur ses boîtes, comme Granchez, le célèbre mercier-bijoutier parisien188.
Il a perfectionné, & débite avec succès des pastilles pour faire de l’orgeat & de la limonade […] On peut les transporter & les conserver sans embarras dans des boîtes qui sont de 3 liv. & de 36 sols, avec la marque de l’enseigne du Fidèle Berger.
80L’enseigne de son magasin, synonyme de luxe et de bon goût, ainsi apposée sur le conditionnement, devient un signe d’identification prestigieux pour celui qui porte ces petites boîtes de confiseries189. C’est aussi une vitrine publicitaire pour le confiseur. L’art de l’emballage devient un négoce à part entière : l’Orléanais Saintoin vend de « jolies bonbonnières en beau vernis190 ». Pour élargir leur clientèle, les confiseurs proposent la vente par correspondance, très usitée par les marchands de mode. L’annonce de l’Orléanais Satis, parue en 1768, précise qu’il fait des envois sans mentionner les provinces concernées. Plus innovants, certains confiseurs offrent leurs services à domicile pour dresser la table des desserts en ville et à la campagne. La pratique ressemble à celle des tapissiers parisiens qui se déplacent pour décorer et aménager les hôtels particuliers191. L’Orléanais Dubois « va en ville chez les personnes qui le font demander192 ». La présentation des desserts demande une mise en scène élaborée, permise par un assortiment varié d’ustensiles. Les artisans fournissent les plateaux, les assiettes, les chandeliers et les décorations de tables, telles que les fleurs et les figurines. Ainsi Ravoisié « entreprend les fêtes publiques & particulières, fournit les assiettes, plateaux ; & sur-tout de dessert, & fait des envois en province193 ». Certains, à l’instar du limonadier Luzin, louent le matériel pour la présentation des desserts.
Le sieur Luzin, marchand limonadier à Orléans, rue du Coulon, donne avis qu’il nettoie et garnit les plateaux pour les fruits de desserts ; il a fait venir de Paris des fleurs et des décorations de fleurs, avec différentes sortes de pièces de cristal pour monter et garnir les plateaux, qu’il loue ordinairement ; outre ceux qu’il avait en glace étamée, il en a en glace transparente dans le plus nouveau goût. Il a un lustre de cristal, des girandolles et des bras à mettre bougies ; il vendra, troquera ou louera et se transportera en campagne. Il fait aussi des glaces d’Italie en fromage, fruits et gobelets, et des crèmes en pyramide, lorsqu’il est averti.194
81Les inventaires donnent un aperçu du coût du matériel : Clemençon possède 64 assiettes et compotiers, 6 plateaux avec leur garniture, 9 grandes glaces, 18 petits bougeoirs, 9 grands, 61 colonnes et 30 en forme de pyramide qui font office de présentoirs, 12 grands gobelets, 15 figures en porcelaine, 28 figures en bois et en plâtre, 5 caisses de fleurs à l’usage des desserts et 2 coffrets pleins de verre découpé estimés à 474 livres (cela représente 10 % des ustensiles, une proportion équivalente aux emballages de toutes sortes). Le confiseur parisien Camus, comble du luxe, offre un service personnalisé et propose la confection de pastilles rafraîchissantes sur-mesure : « Tous les fruits que l’on demandera pourront être employés de même par le sieur Camus195 ».
82À l’image des marchands de mode, des perruquiers et des bijoutiers, qui ont contribué à transformer l’apparence des Français au xviiie siècle, les épiciers, les confiseurs et les limonadiers ont participé au bouleversement de leurs pratiques alimentaires. Les discours publicitaires des détaillants sont similaires ; ils manipulent les mêmes arguments, la mode, la nouveauté et l’exotisme. Mais les marchands de produits exotiques bénéficient d’un atout supplémentaire : l’argument sanitaire. Par la nature périssable de leur marchandise, ils ont été privés de certaines stratégies commerciales, couramment utilisées par les autres marchands de mode, comme la vente d’occasion ou le raccommodage. Ils sont pourtant parvenus à diversifier leur clientèle en proposant des produits au détail et à bas prix, parfois au détriment de la qualité. Le tour de force des confiseurs est d’avoir su conserver le fort pouvoir de distinction sociale des sucreries en créant des pièces d’exception pour leur clientèle fortunée. Pastilles de quelques sols et rares objets de collection en sucre de plusieurs centaines de livres sont offerts dans les boutiques pour satisfaire tous les goûts. Le savoir-faire des artisans et la diversité de leur offre ont permis d’élargir leur clientèle tout en préservant l’image luxueuse du sucre, produit de bon goût par excellence. L’installation des épiciers dans les régions rurales et les quartiers urbains populaires atteste de la meilleure accessibilité des produits exotiques à la fin du xviiie siècle. Suivre la route du sucre dans les boutiques des détaillants est une démarche fructueuse pour saisir la « dilution du luxueux » et de l’exotisme dans la société d’Ancien Régime196.
Notes de bas de page
1 McKendrick Neil, Brewer John et Plumb John. H., The Birth of a Consumer Society. The Commercialization of Eighteenth-century, Londres, Europa Publications Limited, 1982.
2 Shammas Carole, The Pre-industrial Consumer in England and America, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 1-2.
3 Weatherill Lorna, Consumer Behaviour and Material Culture in Britain, 1660-1760, Londres/New York, Routledge, 1988 ; Brewer John et Porter Roy (dir.), Consumption and the World of Goods, Londres/New York, Routledge, 1997 (1re édition 1993) ; Roche Daniel, Histoire des choses banales, Paris, Fayard, 1997 ; Pardailhé-Galabrun Annick, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, 1988.
4 Coquery Natacha, « La diffusion des biens à l’époque moderne : une histoire connectée de la consommation », Histoire urbaine, no 30, p. 5-20.
5 Verley Patrick, L’échelle du monde. Essai sur l’industrialisation de l’Occident, Paris, Gallimard, 1997, p. 114.
6 Loc. cit. ; Chessel Marie-Emmanuelle, Histoire de la consommation, Paris, La Découverte, 2012, p. 3.
7 Blondé Bruno et Hanus Jord, « Households as agents of changes ? Perspectives from the Low Countries, eighteenth-twentieth centuries », Tijdschrift voor sociale en economische geschiedenis, no 8-4, 2011, p. 3-14.
8 De Vries Jan, The Industrious Revolution. Consumer Behavior and the Household Economy, 1650 to the Present, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; Thirsk Joan, Food in Early Modern England. Phases, Fads, Fashions 1500-1760, Londres, Hambledon Continuum, 2006 ; Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping in Eighteenth-century England, Londres, Routledge, 1989.
9 Berg Maxine, Luxury and Pleasure in Eighteenth-century, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 5.
10 Sargentson Carolyn, « The manufacture and marketing of luxury goods : the marchants merciers of late 17th and 18th-century Paris », dans Fox Robert et Turner Anthony (dir.), Luxury Trades and Consumerism in Ancien Régime Paris, Aldershot, Ashgate, 1998, p. 99-137 ; Coquery Natacha (dir.), La boutique et la ville, Tours, PUFR, 2000 ; Berg Maxine, « Luxury, the luxury trades, and the roots of industrial growth : a global perspective », dans Trentmann Franck (dir.), The Oxford Handbook of the History of Consumption, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 173-191 ; Coquery Natacha, Tenir boutique à Paris au xviiie siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, Éditions du CTHS, 2011.
11 Stobart Jon, Sugar and Spice. Grocers and Groceries in Provincial England, 1650-1830, Oxford, Oxford University Press, 2013.
12 De rares chercheurs se sont intéressés aux boutiques alimentaires : Montenach Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au xviie siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2009 ; Kaplan Steven L., Le meilleur pain du monde, Paris, Fayard, 1996.
13 Braudel Fernand, Les jeux de l’échange…, op. cit., p. 52 ; Blondé Bruno et alii, Buyers and Sellers. Retail Circuits and Practices in Medieval and Early Modern Europe, Turnhout, Brepols, 2006.
14 Weatherill Lorna, Consumer Behavior…, op. cit., p. 62.
15 Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping…, op. cit., p. 167.
16 Ibid., p. 173 ; Coquery Natacha, Tenir boutique à Paris au xviiie siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, Éditions du CTHS, 2011 ; Van Aert Laura, « Vendre l’exotique au quotidien… », art. cit., p. 41-65.
17 Coornaert Émile, Les corporations en France avant 1789, Paris, Gallimard, 1941 ; Kaplan Steven L., La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001.
18 Audibert David, Épiciers de l’Ouest – Le Mans, Angers, Nantes – au xviiie siècle : étude comparative, Le Mans, thèse dactylographiée en ligne, 2003.
19 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Epicier ».
20 ADIL 3E6/210, inventaire de Jean Benoît, 4 janvier 1763 ; ADIL 3E2/526, inventaire d’Alexis Bellanger Buisson, 7 octobre 1782.
21 ADIL 2B465, Ordonnance des gardes marchands merciers drapiers quincaillers épiciers droguiers, 20 juillet 1773.
22 ADIL 2B465, interrogatoire d’Alexandre Girault, 1773.
23 ADIL 2B442, demande de permission d’exercer le métier de confiseur par François Clemençon, 6 janvier 1740.
24 ADLA B6912, inventaire du boutiquier Pierre Saupin, 10 février 1776.
25 ADLA B3530, rôle de capitation de la ville de Nantes, 1789.
26 ADLA C21, statut de la communauté des limonadiers, 1706.
27 Les statuts datent de 1676. Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Limonadier » ; Franklin Alfred, La vie privée d’autrefois. Arts et métiers, modes, mœurs, usages des Parisiens du xiie au xviiie siècle, tome 5, Le café, le thé et le chocolat, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1893, p. 200.
28 ADL 2J368, réception de François Massif dans la communauté, s.d.
29 ADLA B6913/1, inventaire de Paul-François Adam marchand-cafetier, 4 juin 1770.
30 ADML 5E7/652, inventaire de Marie Gaudin veuve d’Antoine Boulet liquoriste, 16 floréal an II.
31 ADLA C731, mémoire du fermier général sur le commerce des sucres, 17 avril 1731.
32 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Pâtisserie ».
33 ADIL E446, statut des maîtres-pâtissiers de Tours, 18 juin 1660.
34 ADLA PER 51/001, Almanach du commerce des arts et métiers de la ville de Nantes pour l’année 1775.
35 Lanoë Catherine, La poudre et le fard…, op. cit., p. 160.
36 ADLA B6895, inventaire de François Joseph Galpin, marchand et maître-apothicaire à Nantes, 4 mai 1759 ; ADLA B6906/1, inventaire de l’apothicaire Bonnamy, 20 décembre 1770.
37 ADLA B6886, inventaire de l’apothicaire Belloc, 8 juin 1750 ; B6895, inventaire de François-Joseph Galpin, 4 mai 1759 ; B6906/1, inventaire de Bonnamy, 20 décembre 1770.
38 Warolin Christian, « La vente du sucre par les apothicaires et les épiciers parisiens au xviie siècle », Revue d’histoire de la pharmacie, 87e année, no 322, 1999, p. 217-226.
39 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanois, 8 janvier 1768.
40 Lanoë Catherine, La poudre et le fard…, op. cit., p. 109.
41 AN D4B6, carton 111, dossier 7916, faillite du confiseur Berthellemot, 27 septembre 1790.
42 Seuls les listes nominatives qui figurent sur les cahiers de doléances et deux rôles de capitation ont été conservés pour 1695 et 1782 : ADL CC91 ; CC114 ; Bloch Camille (dir.), Cahiers de doléances du bailliage d’Orléans pour les États généraux de 1789, Orléans, Imprimerie orléanaise, 1906.
43 AMT CC9, rôle de l’ustensile, 1697, AMT EE10, rôle de l’ustensile, 1724, AMT CC20, capitation des corps et métier pour 1777 ; Audibert David, Épiciers de l’Ouest…, op. cit., p. 183-187.
44 Lepetit Bernard, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988, annexe 2.
45 Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping…, op. cit., p. 165.
46 Le plan Cacault est daté de 1757, avant les travaux d’aménagements de la place Graslin, raison pour laquelle certaines boutiques sont localisées hors des rues tracées sur le plan. Pied Édouard, Notices sur les rues de la ville de Nantes, Nantes, imprimerie A. Dugas et Cie, 1906.
47 D’après les rôles de capitations, les quartiers de Richebourg, de Saint-Clément, du Marchix et du Bignon Lestard sont les plus pauvres ; Bois Paul, Histoire de Nantes, Paris, Privat, 1977, p. 182 sqq.
48 B. Rouleau puis N. Coquery ont constaté la grande dispersion des commerces alimentaires dans la capitale ; Rouleau Bernard, Le tracé des rues de Paris, Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 115-116 ; Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 153.
49 Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 154.
50 Van Aert Laura, « Vendre l’exotique au quotidien… », art. cit., p. 59.
51 Shammas Carole, The Pre-industrial Consumer…, op. cit., p. 228 ; Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping…, op. cit., p. 161-167.
52 Stobart Jon, « Sucre et épices… », art. cit., p. 134.
53 Belmont Alain, « Les “boutiques” des artisans villageois dans la France d’Ancien Régime (xvie-début du xixe siècle) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 106, 1999, p. 197-210.
54 Croix Alain, « L’ouverture des villages sur l’extérieur fut un fait éclatant dans l’ancienne France », Histoire et Sociétés Rurales, no 11, 1999, p. 109-146. L’expression reste controversée : Minard Philippe et Woronoff Denis (dir.), L’argent des campagnes. Échanges, monnaie, crédit dans la France rurale d’Ancien Régime, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2003 (voir l’introduction de P. Minard, « Un argent caché ? », p. 1-4).
55 Fontaine Laurence, Histoire du colportage en Europe, xve-xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1993 ; Radeff Anne, Du café dans le chaudron. Économie globale d’Ancien Régime (Suisse occidentale, Franche-Comté et Savoie), Lausanne, Société d’histoire de la Suisse romande, 1996 ; Margairaz Dominique, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1988.
56 Fontaine Laurence, Histoire du colportage…, op. cit., p. 51-59. Dans les archives ligériennes, les traces de colporteurs sont rares et les quelques inventaires retrouvés ne mentionnent pas de sucre mais des tissus en tous genres, des bijoux, de menus objets, des fruits et du chocolat. ADLA B5645, inventaire de Frotte, colporteur, 27 janvier 1791 ; ADLA B5638, inventaire d’Etienne Audrin marchand-colporteur, 3 mai 1775.
57 Ibid., p. 231.
58 Jefferys James B., Retail trading in Britain, 1850-1950, Cambridge, Cambridge University Press, 1954, p. 6 ; Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 21-22.
59 ADIL C147, État numérique des maîtres de métier, 1776.
60 ADIV C1449 et C1450, État concernant les noms et surnoms des habitants des villes et bourgs […] qui intéressent le commerce et qui ne sont point en jurandes, 1767.
61 Quéniart Jean, La Bretagne au xviiie siècle, Rennes, Éditions Ouest-France, 2004 ; Croix Alain, L’âge d’or de la Bretagne, 1532-1675, Rennes, Éditions Ouest-France, 1993, p. 240.
62 Il est délicat de distinguer les paroisses rurales et urbaines car la seule estimation de la population ne suffit pas : Croix Alain, L’âge d’or de la Bretagne…, op. cit., p. 108 ; Nières Claude, Les villes de Bretagne au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2004. Parmi les 215 paroisses, une vingtaine peuvent être définies comme des centres urbains car elles ont des députés aux États de Bretagne, possèdent un marché et sont reconnues comme des villes par l’État (Nantes, Rennes, Brest, Guingamp, Lannion, etc.).
63 Seuls les boutiquiers dénommés « épiciers », « marchands-épiciers » ou « épiciers-droguistes » ont été relevés, les autres « marchands », qui peuvent aussi bien désigner un épicier qu’un marchand de draps, ont été délaissés.
64 À la fin du siècle, les deux communes comptent respectivement 886 et 318 habitants.
65 Stobart Jon, Sugar and Spice…, op. cit., p. 63.
66 ADLA B9114, inventaire après décès de René Jean demeurant au Croisic, 7 mars 1775.
67 ADLA C707, Déclarations d’entrée des marchandises venant des colonies et de l’étranger à Nantes.
68 Cabantous Alain, Dix mille marins face à l’océan. Les populations maritimes de Dunkerque au Havre aux xviie et xviiie siècles (vers 1660-1794), Paris, Éditions Publisud, 1991, p. 309 ; Margoline-Plot Eugénie, Les pacotilles d’indiennes…, op. cit., p. 480.
69 Meyzie Philippe, La table du sud-ouest…, op. cit., p. 256.
70 Blond Stéphane, « Loches : démographie d’une petite ville de Touraine au temps de Voltaire et Rousseau », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, Tours, 2002. ADIL 3E37/362, inventaire après décès du lochois Michel Dutraume, avril 1684.
71 Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping…, op. cit., p. 225.
72 Stobart Jon, Sugar and Spice…, op. cit., p. 176.
73 Ibid., p. 164 ; McKendrick Neil, « Josiah Wedgwood : an eighteenth-century entrepreneur in salesmanship and marketing techniques », The Economic History Review, volume XII, no 3, 1960, p. 408-433 ; Verley Patrick, Entreprises et entrepreneurs…, op. cit., p. 28.
74 Feyel Gilles, L’Annonce et la nouvelle. La presse d’information en France sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, The Voltaire Foundation, 2000.
75 Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 53.
76 Roze de Chantoiseau Mathurin, Tablettes royales de renommée, ou de correspondance […], Paris, chez Royer, 1786 ; Id., Tablettes royales de correspondance et d’indication générale des principales fabriques, manufactures et maisons de commerce d’épicerie […], Paris, chez Royer, 1789 ; Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands, servant de guide dans les moyens de faire excellente chère, Paris, Maradan, 1804 (3e édition).
77 Le journal change de nom en 1783 et devient Le Journal de l’Orléanais ou Annonces, affiches et avis divers jusqu’en 1790, date à laquelle il devient Le Journal du Loiret.
78 Coquery Natacha, « Mode, commerce, innovation : la boutique parisienne au xviiie siècle. Aperçu sur les stratégies de séduction des marchands parisiens de luxe et de demi-luxe », dans Hilaire-Pérez Liliane et Garçon Anne-Françoise (dir.), Les chemins de la nouveauté…, op. cit., p. 187-206.
79 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond., Encyclopédie…, op. cit., article « Confiseur ».
80 Cité dans Coquery Natacha, L’hôtel aristocratique…, op. cit., p. 90.
81 Davis Jennifer J., Defining Culinary Authority. The Transformation of Cooking in France, 1650-1830, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 2013.
82 Hilaire-Pérez Liliane, La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoir technique à Londres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2013, p. 23-31. Voir aussi les ouvrages sur l’artisanat en Europe : Crossick Geoffrey (dir.), The artisan and the European Town, 1500-1900, Aldershot, Ashgate, 2000 ; Farr James R., Artisans in Europe 1300-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2000. I. Day a étudié les spectaculaires compositions en sucre des confiseurs anglais et tenté quelques restitutions : Day Ivan, Royal Sugar Sculpture : 600 Years of Splendour, Barnard Castle, The Bowes Museum, 2002.
83 Menon, La science du maître d’hôtel confiseur, Paris, Paulus-Du-Mesnil, 1750, préface.
84 Audrey Millet a mis en évidence le brouillage des frontières entre l’artiste et l’artisan : Millet Audrey, « Du dessin de fabrique à la formation des dessinateurs : des techniciens entre art et industrie », Artefact, no 2, 2014, p. 75-88.
85 Faré Michel, La nature morte en France, tomes 1 et 2, Genève, Pierre Cailler éditeur, 1962, p. 208 et 16.
86 Hilaire-Pérez Liliane, La pièce et le geste…, op. cit., p. 92 ; Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 275 ; Dequidt Marie-Agnès, Horlogers des Lumières…, op. cit., p. 76 ; Lanoë Catherine, La poudre et le fard…, op. cit., p. 112.
87 Flandrin Jean-Louis, « Choix alimentaires et art culinaire (xvie-xviiie siècles) », dans Flandrin Jean-Louis (dir.), Histoire de l’alimentation…, op. cit., p. 657-681.
88 Hyman Mary et Philip, « Imprimer la cuisine : les livres de cuisine en France entre le xve et le xixe siècle », dans Flandrin Jean-Louis (dir.), Histoire de l’alimentation…, op. cit., p. 643-655 ; Vicaire Georges, Bibliographie gastronomique…, op. cit., p. 454. Vicaire ne mentionne pas de planche avant 1705. P. et M. Hyman ont relevé l’illustration dès 1692.
89 Menon, La science du maître d’hôtel…, op. cit. ; Gilliers Joseph, Le Cannameliste français, Lunéville, chez l’auteur, 1751.
90 Fink Béatrice, « Lecture iconographique des livres de cuisine français des Lumières », Papilles, no 10-11, 1992, p. 91-101.
91 Menon, La science du maître d’hôtel…, op. cit., préface.
92 Hilaire-Pérez Liliane, La pièce et le geste…, op. cit., p. 92.
93 L’étude porte sur 28 inventaires récoltés à Paris, Angers, Tours et Nantes.
94 ADIL 3E8/677, inventaire Clemençon, 29 avril 1775.
95 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., volume 1, article « Confiseur » ; Gilliers Joseph, Le Cannameliste…, op. cit., p. 69.
96 Lanoë Catherine et Hilaire-Pérez Liliane, « Les savoirs des artisans… », art. cit., p. 363.
97 AP D4B6, carton 90, dossier 6198, faillite de Joseph Pecqueur, 25 mai 1784 ; AP D5B6 3090, livre de comptes de Joseph Pecqueur, 1782-1784.
98 Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands […], Paris, Maradan, 1804 (3e édition).
99 Poirier Christelle, « L’art de la confiserie au xviiie siècle : Le Cannameliste français », Le Pays Lorrain, no 1, 2008, p. 27-34.
100 Villumsen Krog Ole, « Plans de table à la cour de Danemark. Influence française ? », dans Arminjon Catherine et Saule Béatrix (dir.), Tables royales et festins de cour en Europe : 1661-1789, Paris, La Documentation française, 1994, p. 225-245.
101 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 7 juillet 1769, 21 février 1772 et 5 novembre 1777.
102 Stobart Jon, Sugar and Spice…, op. cit., p. 176.
103 Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 53 ; Delpierre Madeleine, « Rose Bertin, les marchandes de mode de la Révolution », p. 21-25, et Vittu Françoise, « 1780- 1804 ou vingt ans de “Révolution des têtes françaises” », p. 41-57, dans Join-Diéterle Catherine (dir.), Modes & Révolutions, Paris, Éditions Paris-Musées, 1989.
104 Roche Daniel, « Apparences révolutionnaires ou révolutions des apparences », p. 105- 126, et Kleinert Anne-Marie, « La mode, miroir de la Révolution française », p. 59-81, dans Join-Diéterle Catherine (dir.), Modes & Révolutions, op. cit.
105 Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands […], Paris, Maradan, 1804 (3e édition) et 1806 (4e édition).
106 L’Avantcoureur…, op. cit., 7 janvier 1765.
107 Roze de Chantoiseau Mathurin, Tablettes royales de correspondance […], Paris, chez Royer, 1789.
108 Figeac Michel, « De l’art de manger aux arts de la table. Les journaux d’annonces témoins des pratiques culinaires bordelaises à la fin de l’Ancien Régime », dans Hubert Annie et Figeac Michel, La table et les ports. Cuisine et société à Bordeaux et dans les villes portuaires, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 42-62.
109 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 26 décembre 1766.
110 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 1er novembre 1771.
111 AP D4B6 111, dossiers 7916 et 7917, inventaires des deux boutiques du confiseur parisien Berthellemot, 5 novembre 1790. ÀAngers, Pierre Retureau propose aussi de l’anis fin de Verdun, ADML 5E6/314, 3 février 1789.
112 Meyzie Philippe, La table du sud-ouest et l’émergence des cuisines régionales (1700-1850), Rennes, PUR, 2007.
113 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 15 février 1765.
114 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 19 avril 1765.
115 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 13 février 1781.
116 Mui Hoh-Cheung et Mui Lorna H., Shops and Shopkeeping…, op. cit., p. 246. Les revendeurs de confiseries toutes faites n’avaient pas une telle aversion pour l’argument du prix.
117 Delpierre Madeleine, « Rose Bertin, les marchandes de mode de la Révolution », art. cit., p. 21-25 ; Lanoë Catherine, La poudre et le fard…, op. cit., p. 259 ; Coquery Natacha, L’hôtel aristocratique…, op. cit., p. 99.
118 Quellier Florent, Gourmandise…, op. cit., p. 167 ; Lafon Henri, « Du thème alimentaire dans le roman », Dix-huitième siècle, volume 15, 1983, p. 169-186.
119 Lafon Henri, Les décors et les choses dans le roman français du dix-huitième siècle, de Prévost à Sade, Oxford, The Voltaire Foundation, 1992, p. 164.
120 Cité dans Bonnet Jean-Claude, « Le système de la cuisine et du repas chez Rousseau », Poétique, no 22, 1975, p. 244-268.
121 Perrault Charles, Histoires ou contes du temps passé, Paris, Claude Barbin, 1697.
122 Lafon Henri, Les décors et les choses…, op. cit., p. 333.
123 Quellier Florent, Gourmandise…, op. cit., p. 170.
124 Pomarède Vincent et Le Bourdellès Marie-Claire, Le déjeuner, notice en ligne : http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-dejeuner, consultée le 12 mai 2015.
125 Michel Manson a montré que les confiseurs prennent progressivement conscience de l’émergence d’un marché de l’enfance à la fin du xviiie siècle. Manson Michel, « Les bonbons, un bien de l’enfant dans les textes des xviie-début xxe siècles », colloque international Consommations alimentaires, cultures enfantines et éducation, Angoulême, 1er et 2 avril 2010 (en ligne).
126 La boutique du confiseur, illustration du mois de janvier tirée de l’Almanach galant et moral, 1786, retranscrit dans Grand-Carteret John, Les almanachs français, Paris, J. Alisié, 1896, p. 209.
127 AP D4B6, carton 111, dossier 7916, faillite de Berthellemot, 27 septembre 1790.
128 L’Avantcoureur…, op. cit., 7 janvier 1765.
129 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Confiture ».
130 Buchan Guillaume, Médecine domestique ou traité complet des moyens de se conserver en santé, Paris, Froullé, 1788 (traduit de l’anglais).
131 Geoffroy Etienne-François, Traité de la matière médicale, tome 4, Traité des végétaux, section I, Des médicaments exotiques, Paris, Desaint et Saillant, 1757, p. 415.
132 Quellier Florent, La table des Français. Une histoire culturelle (xve-début xixe siècle), Rennes, PUR, 2007, p. 124 ; Quellier Florent, Des fruits et des hommes…, op. cit., p. 76.
133 Plouvier Liliane, « Le “letuaire”, une confiture du bas Moyen Âge », dans Lambert Carole (dir.), Du manuscrit à la table, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1992, p. 243-256.
134 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Syrop ».
135 Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands […], Paris, Maradan, 1804 (3e édition).
136 L’Avantcoureur…, op. cit., 7 janvier 1765.
137 L’Avantcoureur…, op. cit., 27 mai 1765.
138 Le Cointe Jourdan, La pâtisserie de santé […], Paris, chez Briand, 1792, p. 7.
139 Poni Carlo, Gervais Darla et Gervais Pierre, « Mode et innovation : les stratégies des marchands en soie de Lyon au xviiie siècle », RHMC, no 45-3, 1998, p. 589-625.
140 Lanoë Catherine, « Le rouge des Lumières. Signature de produit et signature de soi dans la France du xviiie siècle », Sociétés & Représentations, no 25, 2008, p. 107-117 ; Lanoë Catherine, « L’invention du rouge au xviiie siècle : cosmétique populaire ou objet de luxe ? », dans Hilaire-Pérez Liliane et Garçon Anne-Françoise (dir.), Les chemins de la nouveauté…, op. cit., p. 91-102.
141 Grenier Jean-Yves, « Une économie de l’identification. Juste prix et ordre des marchandises dans l’Ancien Régime », dans Stanziani Alessandro (dir.), La qualité des produits…, op. cit., p. 25-53.
142 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 21 décembre 1770.
143 25 pour Nantes, 9 pour Tours et 6 pours Angers de 1704 à 1790.
144 ADLA C877, Mémoire des distinctions des différentes espèces de sucre de l’Amérique, 14 octobre 1748.
145 ADLA B6920/1, inventaire de Jean Lebrun, épicier à Nantes, mars 1784.
146 ADLA B6904/1, inventaire de l’épicière Jeanne Petard, 4-13 juillet 1768.
147 Coquery Natacha, Tenir boutique…, op. cit., p. 276.
148 L’Avantcoureur…, op. cit., 9 avril 1770.
149 Machet J.-J., Le confiseur moderne ou l’art du confiseur et du distillateur, Paris, chez Maradan, 1803, p. 202. Dès 1638, les nouveaux statuts des épiciers et apothicaires parisiens évoquent la fraude qui touche les confiseries ; Lespinasse René de, Les métiers et corporations de la ville de Paris : xive-xviiie siècles, Paris, Imprimerie nationale, 1886-1897.
150 ADLA B6893, inventaire du marchand-confiseur Guillaume Hoguet, 25 juillet 1757.
151 Gilliers Joseph, Le Cannameliste…, op. cit., article « Dragée ».
152 ADML 5E6/2, inventaire du confiseur Lemercier à Angers, 18 mars 1771.
153 AP D4B6 111, dossiers 7916 et 7917, inventaires de la boutique et du magasin du confiseur parisien Berthellemot, 5 novembre 1790.
154 ADML 5E6/2, inventaire du confiseur Lemercier, 18 mars 1771.
155 ADML 5E6/314, inventaire du confiseur Pierre Retureau à Angers, 3 février 1789 ; 5E6/2 inventaire de René Lemercier, 18 mars 1771.
156 ADIL 3E8/677, inventaire de François-Michel Clemençon à Tours, 29 avril 1775.
157 Braudel Fernand et Labrousse Ernest, Histoire économique et sociale, tome 2, Paris, PUF, 1993 (1re édition 1970), p. 669.
158 AP D4B6 111, dossiers 7916 et 7917, inventaires des deux magasins du confiseur parisien Berthellemot, 5 novembre 1790.
159 AP D4B6 43 dossier 2408, inventaire d’André Mosnier à Versailles, 17 décembre 1771.
160 AP D4B6/92 dossier 6374.
161 Pied Édouard, Les anciens corps d’arts et métiers de Nantes, Nantes, Guist’hau et Dugas, 1903.
162 ADML 5E6/314, inventaire du confiseur Pierre Retureau à Angers, 3 février 1789.
163 Fowler Christina, « Changes in provincial retail practice during the eighteenth-century, with particular reference to central-southern England », Business History, volume XL, no 4, 1998, p. 37-54.
164 Walsh Claire, « Shopping et tourisme : l’attrait des boutiques parisiennes au xviiie siècle », dans Coquery Natacha (dir.), La Boutique et la ville…, op. cit., p. 223-238.
165 Coquery Natacha, « Shopping streets in eighteenth-century Paris », dans Furnee Jan Hein et Lesger Cle (dir.), The Landscape of Consumption. Shopping Streets and Culture in Western Europe, 1600-1900, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014, p. 57-78.
166 APD4B6, carton 111, dossier 7916, faillite de Berthellemot, 27 novembre 1790. Dautresme Olivier, « Une boutique de luxe dans un centre commercial à la mode : l’exemple du “magasin d’effets précieux à prix fixe” au Palais-Royal à la fin du xviiie siècle », dans Coquery Natacha (dir.), La boutique et la ville…, op. cit., p. 239-248.
167 Mercier Louis-Sébastien, Paris pendant la Révolution…, op. cit., p. 170.
168 Le droit d’entrée peut être compensé par l’achat de confiseries pour la même somme. Grimod de La Reynière, Almanach des gourmands, servant de guide dans les moyens de faire excellente chère, Paris, Maradan, 1806 (4e édition).
169 L’Avantcoureur…, op. cit., 7 janvier 1765.
170 ADLA B6890/1 (confiseur Boutin), B6900 (confiseur Thiot), B6925/1 (confiseur Michel) ; ADIL 3E9/340 (confiseur Gérard). Le même procédé est utilisé dans des boutiques de décoration d’intérieur ; Velut Christine, « Le monde intérieur de la boutique : les boutiques de papiers peints à Paris, 1750-1820 », dans Coquery Natacha (dir.), La boutique et la ville…, op. cit., p. 277-291.
171 ADLA B6913/2 (confiseur Thiot) ; ADIL 3E5/806 B ; ADML 5E7/652 (confiseur Boulet).
172 Seuls 15 % des marchands de bouche lyonnais décorent leur boutique. Montenach Anne, Espaces et pratiques du commerce alimentaire à Lyon au xviie siècle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2009, p. 54.
173 ADLA B6925/1 (confiseur Michel) ; ADIL 3E8/677 (Clemençon) ; ADML 5E6/314 (Retureau).
174 AP D4B6/111, dossier 7916.
175 ADLA B6895, inventaire de la veuve Chesnion cafetier, 3 avril 1759.
176 ADLA B6915, inventaire du cafetier Jean Durand, mai 1779.
177 ADLA B5627, faillite du cafetier Pierre Lelièvre, février 1761.
178 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 2 septembre 1768.
179 AP D5B6 3654, livre de comptes de l’épicier Séjourné, 1768.
180 C. Fowler a mentionné l’existence de prix fixes dans les annonces publicitaires anglaises dès les années 1770 : Fowler Christina, « Changes in provincial… », art. cit., p. 37-54.
181 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 27 décembre 1765 et 13 février 1781 ; Kaplan Steven L., Le meilleur pain…, op. cit., p. 582.
182 Sur le sujet, voir : Woronoff Denis, Histoire de l’emballage en France du xviiie siècle à nos jours, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2015.
183 ADIL 3E8/677, contrat de mariage de François Michel Clémençon avec l’inventaire de la boutique, 29 avril 1775.
184 ADLA B6913/2, inventaire de la veuve de Germain Thiot, novembre 1776.
185 AP D4B6 111 (Berthellemot) ; ADML 5E6/2 (Lemercier).
186 ADLA B6907, l’inventaire de l’épicière Marie Bellot veuve de Urbain Claude Violette mentionne par exemple 16 livres de « papier poches à sucre », 15 mars 1771.
187 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 3 novembre 1769.
188 L’Avantcoureur…, op. cit., 24 avril 1769.
189 Sur la multiplication de ces petits objets portatifs, voir : Bernasconi Gianenrico, Objets portatifs au siècle des Lumières, Éditions du CTHS, Paris, 2015, p. 227.
190 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 21 décembre 1770.
191 Coquery Natacha, « Bijoutiers et tapissiers : le luxe et le demi-luxe à Paris dans la seconde moitié du xviiie siècle », dans Castellucio Stéphane (dir.), Le commerce de luxe à Paris aux xviie et xviiie siècles. Échanges nationaux et internationaux, Bern, Peter Lang, 2009, p. 199-221.
192 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 23 décembre 1768 et 16 janvier 1778.
193 Roze de Chantoiseau Mathurin, Tablettes royales de renommée, ou de correspondance […], Paris, chez Royer, 1786.
194 Annonces, affiches, nouvelles et avis divers de l’Orléanais, 23 janvier 1778.
195 L’Avantcoureur…, op. cit., 27 mai 1765.
196 Le terme est emprunté à Daniel Roche qui, dans une récente introduction sur le luxe, invite à suivre le trajet des objets ; Roche Daniel, « La magie du luxe. Réflexions sur les luxes et leur internationalisation », dans Sougy Nadège (dir.), Luxes et internationalisation…, op. cit., p. 9.
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