Chapitre V
Les raffineries à l’ouvrage : sur les chemins de l’industrialisation
p. 163-204
Texte intégral
1Au milieu du xviiie siècle, le savant Duhamel du Monceau, missionné par l’Académie royale des sciences pour reprendre l’œuvre confiée à Réaumur, Descriptions des arts et métiers, entreprend de rédiger une monographie sur l’art du raffineur1. Pour connaître précisément les opérations du raffinage, le savant visite la raffinerie de Vandebergue à Orléans, accompagné de l’entrepreneur. Grâce à ses observations, Duhamel rédige une notice de 80 pages, enrichie de planches dont certaines ont été inspirées des croquis d’Aignan Desfriches, dessinateur orléanais et raffineur. Le mémoire reflète les préoccupations du temps : les techniques, les outils, les bâtiments occupent le premier plan2. Les Descriptions des arts et métiers, comme l’Encyclopédie, cherchent avant tout à présenter l’étendue des savoirs dans le domaine des arts mécaniques. Au xviiie siècle, les manufactures deviennent de véritables objets de curiosité. À partir des années 1760, les graveurs et les peintres commencent à franchir les portes des ateliers3. Les visites de manufactures se multiplient ; à l’article « Voyage » de l’Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt les signale comme des centres d’intérêt au même titre que les mœurs et les coutumes des habitants des pays étrangers4. L’attention grandissante des contemporains pour ces entreprises s’éclaire à la lecture de l’article « industrie », rédigé par le même auteur.
industrie, s. f. (Métaphys.) l’industrie prise dans un sens métaphysique, est, suivant M. Quesnay, qui me fournira cet article, une faculté de l’ame, dont l’objet roule sur les productions & les opérations méchaniques ; qui sont le fruit de l’invention, & non pas simplement de l’imitation, de l’adresse & de la routine, comme dans les ouvrages ordinaires des artisans […].
2L’industrie, au xviiie siècle, est avant tout la faculté d’inventer de nouveaux procédés de production grâce à de nouveaux outils. Si les manufactures concentrées, « réunies » pour reprendre les termes de l’Encyclopédie, attirent la curiosité c’est parce qu’elles donnent à voir le produit de l’inventivité des hommes. Dans l’esprit des rédacteurs de l’Encyclopédie, elles sont perçues comme le théâtre de la modernité, par opposition à l’artisanat, routinier et archaïque. L’historiographie récente est revenue sur cette vision caricaturale ; la frontière est floue entre ces deux mondes très imbriqués et des historiens ont montré la capacité d’innovation des ateliers et des boutiques5. Quelle que soit la taille de l’entreprise, c’est la mesure du changement qui focalise l’intérêt des chercheurs. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’étude des raffineries. Au xviiie siècle, le secteur est relativement neuf et, en l’absence de réglementation, les entrepreneurs organisent la production à leur guise. C’est donc un observatoire privilégié pour saisir les mutations industrielles à l’œuvre au cours du xviiie siècle. Le métier est pluriel et, aux côtés de petits ateliers de raffineurs-confiseurs, émergent de grandes manufactures concentrées caractérisées par une production à grande échelle, le recours aux innovations techniques et à la séparation des tâches. Dans cet univers, ni immobilité, ni révolution, mais de petits changements, quelques frémissements à peine perceptibles, une industrialisation en marche. Pour saisir comment s’organise la production face à une demande croissante, il faut pousser la porte des raffineries, examiner les outils, s’intéresser au travail, aux hommes. L’étude exige de s’affranchir des témoignages des observateurs de passage, volontiers captivés par les outils, plus rarement par les ouvriers ; elle nécessite d’aller au-delà des simples descriptions techniques qui nous sont parvenues. La recherche s’appuie sur de nombreux actes de la pratique, des inventaires de sociétés, des contrats d’apprentissage, des procès-verbaux dressés à l’encontre d’ouvriers indociles ou des frais médicaux engagés pour soigner les plus fidèles.
3Afin de saisir « l’industrialisation sur le fait », un projet cher à G. Gayot, ce chapitre s’articulera autour de trois axes : les lieux de production, les procédés de fabrication et les hommes6. Après avoir étudié la place de l’industrie dans la ville et la délicate cohabitation avec les riverains, on franchira les portes de la manufacture pour comprendre comment le « vilain sucre brut », selon l’expression du raffineur Ravot, est transformé en or blanc7. Les hommes qui vivent au rythme des raffineries, des ouvriers aux journaliers, leur savoir-faire et leurs conditions de travail constitueront la dernière partie de la recherche.
Des manufactures au cœur des villes : entre emprise et rejet
4Comme la plupart des manufactures (verreries, faïenceries, mégisseries), les raffineries sont localisées dans l’enceinte des villes ou en proche périphérie8. Avec la croissance de l’activité, les bâtiments industriels ont augmenté leur emprise sur l’espace urbain, et suscitent la crainte d’une partie des riverains qui demandent leur éloignement. Le raffineur est perçu comme un entrepreneur à la tête d’une industrie polluante et néfaste pour l’environnement. Les liens entre l’industrie et son milieu rural ou urbain ont suscité l’intérêt des chercheurs dans le cadre de l’histoire de l’environnement, actuellement en plein renouvellement. L’approche historique, née aux États-Unis dans les années 1970, occupait surtout les contemporanéistes9. Les historiens modernistes se sont emparés de la question plus tardivement mais comblent leur retard et s’intéressent particulièrement à l’environnement urbain et aux interactions avec l’activité industrielle et artisanale10. T. Le Roux a montré que l’éloignement des sources d’infection comme les tanneries et les tueries était la règle dans les villes européennes à mesure qu’émerge la notion de risque industriel11. À l’inverse, de nombreuses raffineries restent insérées dans le tissu urbain car elles sont une source de richesse trop considérable pour être rejetées comme d’autres industries plus traditionnelles. Pour comprendre les enjeux environnementaux spécifiques soulevés par la localisation des raffineries, il faut prendre la mesure de l’expansion des bâtiments dans l’enceinte des villes et analyser les craintes croissantes des citadins envers les risques d’incendie et de pollution.
L’emprise croissante de l’industrie dans l’espace urbain
5Bien qu’elles se fondent dans le tissu urbain, les manufactures de sucre paraissent engloutir des quartiers des villes. Avec la croissance de l’activité, le raffineur est contraint d’acquérir patiemment les parcelles et les demeures environnantes, d’où des bâtiments industriels parfois malcommodes.
6Le quartier de Recouvrance dans le centre d’Orléans regroupe quatre des plus anciennes raffineries de la ville (Jogues, Villebourré, Crignon de Bonvalet, Vandebergue). La raffinerie Vandebergue s’étend sur plus de 3 000 m2 ; à proximité, les deux manufactures Jogues et Crignon de Bonvalet recouvrent des surfaces similaires12. Établies près de la Loire pour faciliter l’approvisionnement et l’écoulement des eaux usées dans le fleuve, elles se fondent dans le paysage car la plupart ont été construites dans des maisons particulières transformées pour être adaptées à l’industrie. Sur la Vue perspective de la ville de Saumur, peinte par Migault, les bâtiments de la raffinerie Tinnebac se distinguent peu des autres demeures saumuroises, si ce n’est par la hauteur et la cheminée extérieure qui sert à évacuer les vapeurs de la halle aux chaudières.
7La hauteur des bâtiments est une constante à cause des greniers et des étuves pour sécher les sucres ; en France comme dans le reste de l’Europe, les raffineurs superposent les étages13. À Nantes, la raffinerie de Beauséjour, au bas de la fosse Saint-Nicolas, est un « bâtiment de quatre étages14 ». Avec l’essor de l’industrie, les raffineurs ajoutent de nombreuses extensions au bâtiment principal, rachètent les maisons adjacentes et construisent de nouvelles annexes. Les raffineurs ont besoin d’espace pour transformer et surtout pour stocker les marchandises. Avec la multiplication des annexes, les manufactures forment un agglomérat de grandes bâtisses d’époques différentes qui envahissent l’espace urbain. L’essor des raffineries provoque dans les villes ligériennes, comme la draperie à Sedan, un véritable réaménagement de l’espace urbain15. À Orléans, l’inventaire dressé lors du décès de Jean-Pierre Ravot mentionne les baux contractés pour agrandir la manufacture. Ravot a acheté trois maisons dans les deux années qui suivent l’acquisition de la raffinerie de Saint-Laurent (deux en 1775 et une en 1776). La raffinerie est vendue en l’an X ; l’acte de vente donne un aperçu du complexe industriel, une fois les travaux terminés16. L’entrée de la raffinerie est marquée par un portail ; au-delà, une cour carrée est entourée de trois bâtiments. Le premier, à droite, est dévolu aux logements du maître et au cabinet, le deuxième est un grand magasin avec les étuves (« qui composait les bâtiments de la maison acquise du citoyen Brissot »), le troisième est un magasin en bois avec des greniers pour entreposer des marchandises. À la suite des trois bâtisses, une allée mène à une deuxième cour où se trouvent l’atelier des tonneliers et le « réfectoire des garçons », ainsi que le trou à charbon. L’extension des bâtiments s’est faite aux dépens d’autres logements urbains. La raffinerie de Saint-Pierre-le-Puellier, où se sont succédé trois familles différentes (les Ravot, Miron et Guinnebaud), a englouti pas moins de quatorze maisons adjacentes en plein centre-ville. Les constructions ex nihilo sont rares, même les bâtiments récents sont intégrés au tissu urbain et le raffineur doit composer avec le voisinage. Les plans de la raffinerie du duc d’Orléans, établie à Montargis en 1789, laissent deviner les difficultés rencontrées pour construire un bâtiment rationnel et régulier17. Lors de la vente de la raffinerie, un an plus tard, trois maisons mitent encore l’espace industriel.
Figure 1. La raffinerie Tinnebac à Saumur (bâtiment à droite de l’image).

Source : Migault, Vue perspective de la ville de Saumur, 1773. Cliché © Christophe Petiteau-Montevideo, Château-musée de Saumur, 2008
8Le développement des industries, loin d’être anarchique, est le fruit d’acquisitions successives, au gré des opportunités. Il est aussi dépendant du bon vouloir des riverains qui craignent ce dangereux voisinage. Paradoxalement, la crainte des incendies explique le développement tentaculaire des manufactures : les raffineurs ont « petit à petit acheté les maisons d’à côté pour s’isoler », explique l’un d’eux18.
La peur de l’industrie : l’opposition des riverains, le soutien de l’État
9Dès la fin du xviie siècle, l’activité de raffinage suscite la crainte des riverains : le 26 juillet 1687, le prêtre Jean Gournou porte plainte contre René Cochon, directeur de la raffinerie du Chapeau rouge à Nantes19. Il l’accuse d’avoir « corrompu » les eaux de son puits à cause des pluies qui s’écoulent sur le charbon de terre. La responsabilité de Cochon est écartée car il a fait les aménagements nécessaires pour isoler le charbon du sol (une canalisation rejoint ses latrines et une muraille a été édifiée). Le prêtre est un précurseur ; une longue liste de plaignants prend sa suite au siècle suivant. L’emplacement et la création de nouvelles raffineries font croître les tensions entre les acteurs économiques et les habitants. L’État prend souvent parti pour les premiers dans son effort pour promouvoir une industrie innovante, indispensable à la réussite économique du royaume. L’analyse de deux dossiers éclaire les débats sur la localisation des raffineries : en 1755 puis 1775, Lefebvre et Lebrun tentent d’implanter, l’un à Tours, l’autre à Orléans, deux raffineries dans l’enceinte urbaine20. Les documents conservés renseignent sur les préventions des citoyens et les mesures prises par les institutions pour limiter les risques industriels.
10Le premier motif invoqué dans les deux affaires est la crainte de l’incendie. La peur du feu, très présente dans l’esprit des contemporains a provoqué l’éloignement des industries comme les poteries, les tuileries et les briqueteries à Paris21. Les métiers indispensables, comme les boulangers, sont sous étroite surveillance22. Dans le cas du raffinage, la peur est exacerbée par l’utilisation du charbon de terre. Ce dernier est accusé d’avoir provoqué un grave incendie chez l’Orléanais Guinnebaud : « le feu y a repris une deuxième fois par quelques étincelles qui étant tombées sur un énorme tas de charbon de pierre et en consumèrent une grande partie23 ». La longue liste des incendies montre que les craintes des riverains sont fondées. En 1717, la raffinerie Levassort brûle et cause sa faillite ; en 1733, le feu prend chez Culembourg, puis chez Boislève à Orléans. Mais c’est l’incendie chez Jogues en 1734 qui a marqué les esprits car la manufacture était située en plein centre-ville ; l’affaire a eu un écho retentissant et, depuis cette date, le corps de ville refuse toute création d’industrie nouvelle dans le centre24.
11La deuxième crainte mise en avant par les riverains tient aux odeurs et aux fumées nauséabondes dégagées par l’activité : le charbon de terre, la chaux, le sang et les terres pour blanchir les sucres en pain incommodent. Dans leur requête contre Lefebvre, les Tourangeaux signalent les retombées néfastes pour le commerce et la fuite de la clientèle des riches boutiques de draperies du quartier25.
Quel est donc celui des marchands qui pourroit se flatter que tant de mauvaises odeurs reunies ne prejudiciroient pas à son état, l’on verroit dans les draperies fines et en haut teint des couleurs passées et dans les soieries des blancs coullés et des nuances qui n’auroient plus le mesme éclat que dans leur première essence, icy on trouveroit des galons d’or rougis, ceux d’argent noircis.
12Les nuisances du raffinage sont assimilées à celles des amidonniers, tanneurs et poissonniers : les habitants affirment avec ironie que le même Lefebvre « s’était le premier donné tous les mouvements possibles pour faire expulser de ce mesme quartier le nommé Fouquet marchand poissonnier ». A. Corbin l’a montré, les citadins deviennent de plus en plus sensibles aux odeurs ; les théories aéristes ont contribué à diffuser l’idée qu’un air vicié est porteur de maladie, voire de mort26. Les officiers municipaux orléanais se sont emparés du discours et déclarent le 21 juillet 1775 qu’il est de leur devoir de préserver la « salubrité » de l’air de la ville en éloignant les raffineries dans les faubourgs27. Ils copient les modèles parisien (les teintureries, tanneries et mégisseries ont été écartées de la capitale dès 1673 et installées dans le faubourg Saint-Marcel le long de la Bièvre) et londonien (les fabriques de chaux, de verre et d’alun ont été bannies de la ville28). Dès 1614, l’usage du charbon a été interdit à Amsterdam, sauf les mois d’hiver ; en 1645, l’interdiction devient totale29. Les officiers municipaux affirment ainsi s’être opposés aux six demandes de création de raffineries dans l’enceinte de la ville depuis l’incendie de Jogues. Suite aux incendies, les raffineries se sont établies au Nord, faubourg Bannier, au Sud, faubourg Saint-Marceau et à l’Ouest, porte de la Madeleine. La volonté d’éloigner les bâtiments industriels émane surtout des riverains. Dans les deux affaires étudiées, le Conseil du roi, qui souhaite encourager la jeune industrie, soutient l’initiative des raffineurs. À Tours, la municipalité puis l’intendant de la généralité, de Magnanville, autorisent la création de la raffinerie Lefebvre en mars 1755. Face à la levée de boucliers des habitants de la paroisse Saint-Pierre-du-Boile, Trudaine, directeur du commerce, tranche en confirmant l’autorisation malgré les « clameurs du peuple ». À Orléans, en juillet 1775, le maire refuse l’implantation de la raffinerie rue Ravelin. Trudaine fils, saisi par Lebrun, parvient à faire annuler la décision grâce à ses amitiés avec Turgot : le Conseil du roi autorise la création deux mois plus tard. L’affaire se répète à La Rochelle en 1755. À chaque fois, le Conseil du roi statue en faveur de l’activité nouvelle au détriment de la lutte contre les nuisances. À l’instar d’autres industries modernes comme la manufacture d’acide sulfurique de Javel autorisée à Paris ou la fabrique de bleu de Prusse à Bruxelles, les raffineries bénéficient d’une réglementation favorable car elles sont perçues comme essentielles au développement économique30. L’encouragement s’accompagne de garde-fous : les entrepreneurs doivent mettre en place tous les moyens possibles pour diminuer les risques et les nuisances et adapter l’aménagement des bâtiments industriels. Lefebvre construit une raffinerie élevée pour que les fumées passent au-dessus des maisons et propose de remplacer les barres de bois qui soutiennent les pains de sucre dans l’étuve par des barres de fer. Les raffineries sont équipées de pompes à feu et les entrepreneurs font construire des contre-murs pour limiter l’extension des incendies. La proximité d’une rivière et les puits, présents dans toutes les raffineries, réduisent les risques. L’industriel orléanais Miron a fait construire un aqueduc jusqu’à la cour où sont entreposés les charbons31. À l’inverse de leurs confrères londoniens, qui se dotent en 1784 d’une société d’assurance spécifiquement destinée aux incendies des raffineries de sucre, la Phoenix Assurance, les raffineurs français assument seuls les risques financiers des éventuelles catastrophes32. En cas d’incendie, la police d’Orléans verse une récompense à l’ouvrier qui amène le plus promptement la pompe33. Les manufactures sont sous surveillance permanente : le règlement de la raffinerie Ravot indique qu’une garde est assurée par un ouvrier tous les jours, y compris les dimanches. Lors de sa ronde, le sucrier doit inspecter tous les greniers et les magasins « où il y a feu34 ».
13La bonne marche de l’industrie passe par l’émission de fumées incommodantes, le transport de tonneaux de chaux et de sang, le rejet de cendres aux abords des bâtiments industriels et le risque d’incendies. L’activité est polluante pour les riverains mais elle est tolérée par les villes et encouragée par l’État, conscients de ses bienfaits économiques. Les raffineries donnent de l’ouvrage à une part importante des populations urbaines : des ouvriers qualifiés aux apprentis, des tonneliers aux voituriers, tout un monde urbain est impliqué dans le raffinage du sucre. Les raffineurs, pour répondre à la croissance de la demande, ont dû pousser les murs et bouleverser le paysage urbain.
Au cœur des manufactures : la discrète évolution des techniques
14Si les détails du raffinage comme la cuisson sont entourés de secrets, les grands principes du métier sont exposés dans plusieurs livres de documentation technique comme L’art du raffineur (1764) ou les planches de l’Encyclopédie « Sucrerie et affinage des sucres » (1762) pour les plus connus35. Des témoignages plus ponctuels comme L’art et le commerce du raffineur (vers 1772) de Ravot ou Le raffineur (1789) de Jolin Delaveau, un avocat orléanais, alliés à une quarantaine d’inventaires de raffineries permettent de saisir les lentes évolutions du processus industriel36. Il s’agit de comprendre comment les raffineries françaises sont parvenues à augmenter leur production. Les témoignages insistent sur les compétences des industriels et surtout des raffineurs orléanais, présentés comme de grands techniciens. Loin d’être figé, leur savoir-faire évolue au cours du siècle mais les ruptures sont rares et le changement technique tient davantage à des modifications modestes, dont la paternité nous échappe souvent37. C’est la raison pour laquelle les innovations de la période pré-industrielle dans les métiers libres et jurés ont été sous-estimées38. Les compétences humaines comptent d’autant plus que les ustensiles et les investissements des raffineurs restent rudimentaires. Seuls de menus changements touchent les procédés techniques ; ils visent à améliorer la productivité et la qualité des sucres raffinés.
L’art du raffinage : des méthodes artisanales
15Les descriptions techniques concordent à propos du caractère artisanal du raffinage ; il s’agit d’une accumulation de tâches manuelles qui, pour certaines, nécessitent peu de qualification. Au xviiie siècle, l’heure n’est pas encore à la mécanisation dans les raffineries françaises. Si dans les secteurs industriels du textile, du papier ou de la sidérurgie, les auteurs ont noté un relatif retard des techniques en France par rapport à l’Angleterre, il ne semble pas y avoir un tel écart pour le raffinage39. K. Morgan, dans son étude sur les raffineries de Bristol, a affirmé que l’art de raffiner le sucre était resté immuable au xviiie siècle40.
16Pour expliquer les grandes étapes de l’activité industrielle, deux sources ont été privilégiées : les planches de L’art de raffiner le sucre de Duhamel du Monceau (1764 et 1781) qui pour certaines sont l’œuvre du raffineur orléanais, Aignan Desfriches, et le manuscrit inédit du raffineur Ravot, L’art et le commerce du raffineur (vers 1772)41. Après un voyage de plusieurs centaines de kilomètres sur la Loire, les tonneaux de sucre sont transportés jusqu’aux magasins des manufactures par de petites charrettes, « les gamions », puis les sucres sont triés dans trois bacs distincts en fonction de leur qualité.
Figure 2. Le magasin à trier les sucres.

Source : Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., planche II ; Cnum – Conservatoire numérique des Arts et Métiers – http://cnum.cnam.fr
17Une fois le tri effectué, l’opération du raffinage peut commencer. Le sucre est chargé dans des baquets et porté jusqu’à la halle aux chaudières.
Figure 3. La halle aux chaudières.

Source : Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., planche II ; Cnum – Conservatoire numérique des Arts et Métiers – http://cnum.cnam.fr
18La pièce est haute et bénéficie de larges ouvertures pour laisser s’échapper les vapeurs ; la halle est carrelée et le sol incliné pour récupérer le sirop de sucre qui s’écoule et pour faciliter le nettoyage de la raffinerie. La propreté est un souci constant : le raffineur Ravot lui consacre un article.
Netoier : […] dans une raffinerie on seroit bientôt dans l’ordure et la puanteur jusqu’au col il faut donc nettoyer le plus souvent possible les cours et magasins.
19La salle compte deux chaudières pour clarifier et une troisième pour cuire le sucre clarifié. Parfois, il en existe une pour enlever les écumes (les quatre sont visibles sur la planche qui suit). Les chaudières sont chauffées avec du charbon de terre sous le sol de la pièce : un système de galerie relie les feux de chaque chaudière à la salle et permet leur embrasement.
20Les ouvriers peuvent faire entrer plus ou moins d’air dans ces galeries pour augmenter ou diminuer la température de la chaudière. Les fumées s’échappent par un second système de galeries et par les cheminées. Les serviteurs commencent par jeter l’eau de chaux dans la chaudière, puis le sucre et le sang de bœuf. L’eau de chaux et le sang lient les écumes et les dépôts impurs ; ils facilitent la clarification et la cristallisation du sucre. Le mélange est porté trois fois à ébullition ; à chaque étape, le feu est vite éteint avec de l’eau pour arrêter l’ébullition et obtenir la clarification des sucres. Le sirop est ensuite versé dans la chaudière à clairce sur laquelle est déposé un blanchet (drap) qui permet de filtrer les dernières impuretés, puis transvasé dans la chaudière à cuire. La cuite se fait à feu fort et dure de trois quarts d’heure à une heure. C’est à ce moment précis que s’exerce le talent du contremaître pour arrêter la cuisson à point. Il utilise alors un bâton de preuve pour vérifier la texture du sucre et observe la « forme du bouillon » en surface. D’après Duhamel du Monceau, l’empirisme domine.
Le raffineur ou le contre-maître connaissent à la nature du fil qu’ils forment entre leurs doigts, si le sucre est parvenu au degré de cuisson qu’ils veulent lui donner. […] Je ne dissimulerai point qu’un habile raffineur m’a assuré que ce fil n’est pas la seule chose qui le règle, parce qu’il varie suivant les tems et les saisons […]. Ainsi c’est le tact qui décide le plus sûrement.42
Figure 4. La halle aux chaudières, détails. 1 : quatre chaudières ; 2 : bac à eau de chaux ; 3 : trappes pour accéder aux galeries d’aération ; 4 : cheminées.

Source : Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., planche III ; Cnum – Conservatoire numérique des Arts et Métiers – http://cnum.cnam.fr
21La cuite achevée, le sucre est transporté dans la « chaudière à couler », dans une salle à proximité, nommée l’empli. Cette chaudière peut contenir de trois à sept cuites de sucre. Les ouvriers remuent en permanence le sirop puis remplissent les formes (cônes en terre percés au bout pour laisser le sirop s’écouler). Elles sont renversées sur un pot destiné à récupérer les sirops de sucre puis alignées et régulièrement « opalées » : le serviteur remue avec un couteau (un long morceau de bois) le contenu de la forme de sucre pour obtenir des pains homogènes.
Figure 5. L’empli. 1 : ouvrier qui « plante » les formes de sucre ; 2 : ouvrier qui « puche » le sucre et remplit son bassin ; 3 : ouvrier qui remplit les formes à l’aide d’un bassin ; 4 : ouvrier qui opale les pains.

Source : Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre…, op. cit., planche IV ; Cnum – Conservatoire numérique des Arts et Métiers – http://cnum.cnam.fr
22Le lendemain, les formes sont montées dans les greniers par des trappes, opportunément nommées traquas. On laisse les pains de sucre s’égoutter et perdre leur sirop pendant huit jours, durant lesquels il faut changer les pots qui recueillent le sirop. Enfin, les ouvriers doivent locher, c’est-à-dire sortir les pains de sucre de leur forme en terre, les gratter pour retirer les impuretés et combler les trous avec du sucre pilé. Les pains sont ensuite terrés pour être blanchis ; les serviteurs déposent de l’argile humide de Rouen ou de Saumur sur les formes et l’eau qui s’infiltre dans le pain lave le sucre. Le terrage dure huit à dix jours, puis la terre est retirée. L’opération est répétée à deux ou trois reprises pour blanchir le pain de sucre jusqu’à la tête, le sommet du cône, qui reste souvent jaune. Les ouvriers lochent de nouveau les pains, les laissent sécher puis les portent à l’étuve, un bâtiment de plusieurs étages chauffé en permanence qui permet au sucre de se solidifier. Selon Duhamel du Monceau, dans une raffinerie « bien montée », il y a deux étuves car les gros et les petits pains ne sèchent pas à la même vitesse. La raffinerie Vandebergue à Orléans en compte même trois en 178443.
Figure 6. L’étuve. 1 : poêle ; 2 : sous-terrain qui sert de cendrier et d’appel d’air pour le feu ; 3 : cheminée ; 4 : sept étages de l’étuve qui correspondent aux étages du grenier.

Source : Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., Paris, Lebreton, volume 1, planches « Sucrerie et affinage des sucres », 1762 , planche VII
23Les pains restent dans l’étuve environ huit jours à cinquante degrés ; la température est montée progressivement pour éviter que le sucre ne devienne roux ou gris.
On ne doit confier le soin de gouverner le feu qu’à un homme prudent et stylé [sic] à cette manœuvre : car souvent il arrive qu’après avoir mis de beau sucre à l’étuve, on le retire très-gris, parce que le feu a été mal gouverné et trop forcé les premiers jours.44
24Les ouvriers estiment que les sucres sont bien séchés de manière empirique ; ils rompent un pain et enfoncent leur ongle au milieu pour tester sa résistance. Le sucre correctement « étuvé », bien sec, doit aussi produire un son lorsqu’on le tape, preuve qu’il ne renferme plus d’humidité. Le négociant Martignon félicite ainsi le raffineur Ravot pour son sucre « extrêmement bien fabriqué et sonore comme des cloches45 ». Lorsque les pains de sucre remplissent ces conditions, le processus du raffinage est arrivé à son terme et le produit est conditionné pour être vendu.
Figure 7. La chambre à plier.

Source : Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre…, op. cit., planche VI ; Cnum – Conservatoire numérique des Arts et Métiers – http://cnum.cnam.fr
25Les pains de sucre sont examinés dans la chambre à plier ; le moindre défaut de couleur ou de forme les fait basculer dans la catégorie « reslés ». Les sucres de mauvaise qualité sont signalés au futur acheteur : le gonichon, cône de papier qui recouvre le dessus du pain, est relevé, les plus abîmés sont mis dans la catégorie « cassons » et ne sont pas vendus comme sucre en pain. Il existe différentes qualités de sucres blancs : en haut de la hiérarchie, le sucre royal est quasiment transparent puis suivent le sucre de deux, trois, quatre et sept. À l’image des négociants, les industriels ont élaboré un vocabulaire spécifique pour qualifier les sucres en pain : dans la correspondance, ils évoquent le sucre 2, 3 ou 4 mais aussi le petit 2 ou le grand 3. Duhamel du Monceau et un mémoire anonyme sur les usages des raffineries d’Orléans expliquent ces dénominations46. Les numéros aident à déterminer les qualités et le poids des sucres en pain. Le 2 est fabriqué avec le plus beau des sucres bruts ; c’est le plus cher et il se subdivise en deux catégories : le petit 2 qui pèse 3 livres et le grand de 5 livres. Le 3, de moindre qualité, pèse 7 à 8 livres et le 4, moins beau encore se divise en deux sortes : le petit 4 pèse 12 livres et le grand, aussi appelé 7, 18 livres. Les catégories sont précisées par l’emballage : les 3 et 4 sont enveloppées avec du papier gris ou bleu pour indiquer le degré de qualité. On trouve ainsi du « grand 4 » en papier bleu et gris. Les pains de 2 et les sucres superfins, plus rares, assimilés au sucre royal hollandais sont toujours enveloppés de papier bleu ou violet, davantage prisé. Gage de qualité, le papier de couleur permet aussi de faire ressortir la blancheur du sucre. Le raffineur ajoute un fin papier blanc pour éviter que l’emballage ne déteigne sur un sucre si luxueux. Enfin, après 25 à 60 jours de fabrication, les sucres en pain sont cordés et prêts à être vendus47.
26Les descriptions mettent en avant, à chaque étape du raffinage, le savoir-faire du raffineur et de ses ouvriers. La minutie du travail est liée à la fragilité du produit ; sa transformation dépend de critères variables comme le taux d’humidité, la chaleur et la qualité des matières premières. Les ouvriers se fient à leurs sens pour évaluer la cuisson ; les méthodes restent artisanales et peu mécanisées. Un corpus de 40 pièces comptables sur des raffineries localisées dans les principaux centres sucriers, de 1693 à 1792, permet de mesurer la faible part des capitaux fixes et en particulier des outils48. Les sommes investies pour les ustensiles dans les raffineries et les industries textiles sont similaires : d’après S. Chassagne le montant moyen du capital fixe (hors bâtiments) s’élève à 21 000 livres dans les industries textiles ; il est de 26 427 livres dans les raffineries49. Les entrepreneurs n’investissent pas dans des machines coûteuses. L’industrie reste traditionnelle, arc-boutée sur des procédés artisanaux et des outils de production qui changent peu50. Pourtant le secteur est loin d’être immobile, les entrepreneurs des manufactures concentrées savent innover même si les nouveautés ne proviennent pas d’une révolution des outils.
Les évolutions de l’art : des innovations sans révolution
27Dans un mémoire, Prozet, maître en pharmacie, utilise ses connaissances de chimiste pour prouver que l’eau et l’air de la ville sont étrangers à la qualité des sucres orléanais. Seul le savoir-faire de l’artiste peut l’expliquer.
Il est une cause plus manifeste de la qualité supérieure du sucre d’Orléans ; elle n’existe point dans les objets extérieurs, elle est intrinsèque et appartient entièrement à l’artiste lui-même. […] Le choix et la proportion de matières mélangées, l’évaporation relative qu’il leur fait subir, ou pour mieux dire le degré de cuite qu’il leur donne sont précisément ce qui constitue l’art et l’habileté du raffineur.51
28Les raffineurs se décrivent volontiers comme des artistes et élèvent leur métier au rang d’art ; ils font partie de ces artisans qui aspirent à s’agréger aux arts libéraux. Utilisé par les serruriers ou les marchands de peinture pour la dimension esthétique, le terme peut s’appliquer au raffineur qui cherche à produire le plus beau des pains de sucre52. Pour mériter ce titre et se distinguer des simples artisans, le raffineur se mue en innovateur, avec le soutien de l’État qui accompagne les améliorations techniques et place en elles tous ses espoirs de progrès53. Les techniciens cherchent à améliorer la qualité de la production, un point souvent négligé dans les études sur les innovations54. Les historiens des techniques se sont longtemps limités à l’étude des progrès qui permettent une hausse de la productivité. Ils sont désormais plus attentifs à l’amélioration des qualités même si elle est difficile à quantifier. Le secteur du raffinage se prête bien à ce type d’étude car les sucres raffinés souffrent d’une mauvaise réputation que les raffineurs tentent de corriger. Les innovations techniques pour augmenter la productivité des raffineries françaises sont plus rares.
29Pour diminuer le temps de fabrication des pains de sucre et gagner en productivité, certains raffineurs utilisent des savoir-faire novateurs et mettent en place une organisation moderne du travail. L’État encourage vivement les inventeurs de procédés inédits : les frères Boucherie de Bordeaux ont reçu un prix du ministre de la Marine Sartine pour leurs découvertes sur le procédé du raffinage en 177655. En allongeant la durée de la cuite et en terrant les sucres bruts, ils parviennent à limiter les pertes de sucre pendant les opérations de raffinage ; ils réussissent à tirer 81 livres de raffiné à partir de 100 livres de sucre brut au lieu de 67 à 69 livres en moyenne. Jaloux des avancées techniques de leurs confrères bordelais, les Orléanais, consultés par le ministre sur la validité du procédé, se montrent très critiques et accusent les deux frères de s’être appropriés les trouvailles du raffineur orléanais Vandebergue. Raguenet leur reproche aussi d’avoir plagié le second procédé de « lente évaporation des sucres » dans L’essay sur la minéralogie. Imprimé en 1777, l’ouvrage expose les moyens pour raffiner le sucre sans déchets. L’auteur, selon le raffineur, aurait donné des leçons publiques sur sa méthode, un an avant l’annonce de la découverte des frères Boucherie. Les innovations circulent par des canaux parfois obscurs mais avec une redoutable efficacité. Si les méthodes des entrepreneurs sont surtout empiriques, ils savent aussi utiliser les résultats des recherches scientifiques. Raguenet a lu L’essay sur la minéralogie ou en a eu connaissance ; en 1790, le duc d’Orléans établit une raffinerie à Montargis et prévoit un laboratoire de chimie au sein de la manufacture56. Les connaissances chimiques mais aussi les outils et l’organisation des ateliers s’améliorent grâce à l’expérience. De Nantes à Orléans en passant par Angers, les mêmes ustensiles sont souvent prisés dans les inventaires mais l’étude minutieuse des listes d’outils permet de repérer au cours du siècle quelques innovations techniques. Dans les inventaires de la raffinerie Vandebergue, les mêmes outils sont recensés d’une année à l’autre : les « pucheux » (grandes cuillers pour éteindre les feux), les « bacs » et les « chaudières », les « poêles », les « blanchets » (draps blancs pour passer les écumes) et les « mouvoirs ». Un ustensile, déjà évoqué par Duhamel du Monceau, fait son apparition en 1779 : les chaudières roulantes. Les entrepreneurs tentent de diminuer la main-d’œuvre nécessaire en réaménageant les ateliers : l’objectif principal consiste à limiter le nombre de manutentions. Duhamel du Monceau dès 1764, suggère de fixer des « collets » sur les chaudières pour poser les baquets de sucre et d’enterrer en partie les chaudières pour permettre aux ouvriers de verser les sucres sans l’aide d’autres ouvriers. Chez Ravot, de nombreux « tuyaux de communication » sont prisés en 1778 ; l’outil permet de relier les chaudières les unes aux autres pour éviter aux ouvriers d’avoir à porter les sirops brûlants57. L’Encyclopédie méthodique (1791) de Panckoucke mentionne la multiplication des conduits entre les différentes chaudières qui « épargnent beaucoup de travail » et évoque pour la première fois l’utilisation d’une pompe pour transporter l’eau de chaux vers les chaudières58. Une dizaine d’années plus tard, les Annales des arts et manufactures (1804) confirment la recherche de nouveaux procédés de fabrication moins coûteux en main-d’œuvre59.
Dans la construction des raffineries modernes on a réparé bien des fautes ; nous citerons une nouvelle raffinerie construite à Bordeaux par M. Sorbé. Cette raffinerie est un modèle de distribution […] le transport du sucre fondu qui se faisait à bras d’hommes, était dangereux et pénible ; des pompes et des robinets ingénieusement distribués facilitent tous les versements et un seul homme suffit où autrefois il en fallait quatre.
30Les actes de la pratique confirment l’utilisation de pompes dans les raffineries au tournant du xviiie siècle. En 1810, l’inventaire de la raffinerie Ravot mentionne, outre la pompe à incendie, quatre autres pompes à côté des bacs à sucre et à chaux « avec leurs conduits et tuyaux pour la cuite » ; chez Vandebergue, les pompes à écumes apparaissent dans l’inventaire de 180660. Le duc d’Orléans, dans sa raffinerie de Montargis, installe une grue sur le bord du canal du Loing en 1791 pour transporter plus facilement les matières premières des bateaux à la manufacture61. Mais la principale nouveauté est la généralisation de l’usage du charbon de terre62. Son utilisation est attestée dans les raffineries ligériennes dès la fin du xviie siècle même s’il ne figure pas dans tous les inventaires de raffineries ; parfois les deux types de charbon sont utilisés conjointement63. Puis son emploi devient systématique, à tel point que lorsque l’inspecteur général des manufactures Tribert comptabilise en 1790 les matières employées par les raffineries orléanaises, il mentionne uniquement le charbon de terre64. Les raffineries sont parmi les premières industries à l’avoir adopté systématiquement, malgré un prix grevé par les frais de transport. Son usage est souvent perçu comme coûteux et les maîtres de forge hésitent à l’utiliser à la fin du xviiie siècle65. Les raffineurs français s’inspirent des procédés anglais pour économiser le charbon. L’Orléanais Vandebergue, en visite chez quatre de ses confrères londoniens à la fin du xviiie siècle, remarque que les bâtiments sont construits sur huit à dix étages ce qui facilite la répartition de la chaleur qui tend à monter66. D’après l’article sur le raffinage des sucres, dans les Annales des arts et manufactures (1804), « plusieurs de nos raffineurs, M. Vandebergue lui-même, ont su tirer parti de cet exemple ».
31L’amélioration de la qualité des sucres est le second champ de recherche des raffineurs. Les Vandebergue sont l’archétype des entrepreneurs innovateurs. Leurs mérites sont vantés par Duhamel du Monceau qui les présente comme les premiers Français à avoir copié le sucre royal hollandais, à la fin du xviie siècle. Près d’un siècle plus tard, les héritiers, tel Claude Vandebergue, se targuent toujours d’être à la pointe de l’innovation.
Les manufactures d’Orléans ont enlevé en grande partie à la Hollande une branche précieuse de son commerce, celle de la fabrication du sucre royal. J’appartiens de trop près, Monsieur, à ceux qui ont rendu des services aussi essentiels pour vous les nommer. Le bien s’est fait et cela doit suffire.67
32La demande, voilà le grand aiguillon de l’innovation : la concurrence de la Hollande mais surtout les épiciers parisiens, à la recherche de sucres blancs, ont poussé les raffineurs à innover. Le perfectionnement des procédés techniques passe surtout par les matières utilisées lors du raffinage. Les Vandebergue ont expérimenté le sang pour remplacer les œufs, une expérience copiée par tous les raffineurs orléanais.
On employait autrefois beaucoup d’œufs pour clarifier le sucre ; mais depuis qu’on s’est aperçu que le sang clarifiait mieux que les œufs et qu’il occasionnait moins de déchet, on ne sert presque plus que de sang dans les raffineries.68
33L’utilisation du nouvel ingrédient s’est faite à tâtons, après avoir testé les sangs de veau et de mouton qui se sont révélés bien moins efficaces que le sang de bœuf. Celui-ci voit son pouvoir décuplé « quand il commence à se corrompre », raison pour laquelle les futailles de sang sont stockées à l’extérieur de la raffinerie, l’odeur étant insoutenable. Le procédé a suscité les réserves des chimistes (Prozet l’accuse de corrompre la couleur du sucre) et les craintes des pouvoirs publics. Au début du xviiie siècle, le lieutenant général de police de La Rochelle se plaint de la nouvelle pratique et les députés du Conseil de commerce demandent l’avis de la faculté de médecine de Paris. Ils rédigent un mémoire résumant leurs craintes et envoient une copie aux magistrats des villes de Rouen, Orléans, Angers, Nantes et Bordeaux. Les réponses prouvent que l’innovation s’est propagée dans les grands foyers du raffinage. Elle est utilisée à Nantes lorsque les œufs manquent ; elle est inconnue à Rouen mais existe à Dieppe, Orléans, Bordeaux et Tours69. La pratique n’est pas spécifique à la France ; d’après le consul Saint-Sauveur, les sociétés de Fiume et Trieste « font usage pour les qualités ordinaires de sucre du sang qui auroit des vers même quelques venaison si la qualité en est bonne70 ». En revanche, la Hollande a interdit cette pratique sous peine de 500 livres d’amende et de 3 000 livres en cas de récidive. Les députés du commerce de La Rochelle suivent l’exemple hollandais et s’opposent à l’utilisation du sang ; ils craignent une baisse des ventes suite à la mauvaise réputation de leurs produits. Pourtant, la pratique perdure tout au long du siècle.
34Les ateliers des manufactures se modifient lentement ; grâce à de nouvelles matières premières et de petits aménagements techniques, les raffineurs perfectionnent leur art, améliorent la qualité des sucres et augmentent à la marge les gains de productivité. Avec l’expansion des bâtiments industriels et les changements techniques, un troisième levier concourt à l’augmentation de la production : l’encadrement et la gestion plus rationnelle des ouvriers.
La discipline des raffineries : les ouvriers au travail
35D’après un mémoire des raffineurs angevins et orléanais « une raffinerie fait travailler un si grand nombre d’ouvriers qu’il seroit difficile d’en faire exactement le détail71 ». La difficulté à dénombrer les travailleurs de l’industrie vient de la diversité du monde ouvrier. Salariés permanents et journaliers, domestiques et apprentis, artisans indépendants sous contrat, les statuts divergent et le nombre varie en fonction de la conjoncture. Dans l’industrie du raffinage, la présence des chaudières rend nécessaire la concentration des ouvriers dans un même espace comme dans tous les métiers du feu (mines, verreries). Ce sont avant tout des exigences techniques qui expliquent le regroupement des ouvriers sur un même lieu de production mais la discipline est là aussi au cœur des conditions de travail72. Les proto-fabriques ont été les premières à développer une discipline du travail, voire une division du travail73. Mais sur les chemins de l’industrialisation, il n’existe pas un modèle unique d’organisation du travail manufacturier. La hiérarchie au sein de l’entreprise, la place des métiers, de l’ouvrier, et le degré de division du travail diffèrent selon les manufactures74. Les raffineries de sucre sont une preuve supplémentaire de la diversité du paysage industriel à la fin du xviiie siècle. L’industrie est originale car l’ensemble des procédés est neuf et les ouvriers sont étrangers à toute organisation corporative75. Le raffinage nécessite une majorité d’ouvriers peu spécialisés dirigés par un entrepreneur innovant. L’étude du secteur apporte un éclairage supplémentaire sur la création d’une nouvelle classe ouvrière. Dans les raffineries, l’organisation des tâches est rationalisée mais sans division poussée du travail. Il s’agit de comprendre quels rapports sociaux entretiennent les ouvriers et leurs patrons et quelles sont les conditions de travail des serviteurs de raffinerie confrontés à cette organisation spécifique du travail. L’enjeu est de comprendre de quelle manière s’articulent travail concentré et travail dispersé dans un secteur où les entrepreneurs tendent à intégrer verticalement la production et d’analyser l’organisation du travail au sein de la manufacture et son corollaire, la hiérarchie des salaires. La dernière partie de l’étude sera consacrée à la mise en place de la « lente marche de la domestication76 ».
Trois mille ouvriers au travail : vers une intégration verticale de la main-d’œuvre
36Les contemporains insistent sur la foule des travailleurs qui vivent du raffinage mais les écrits émanent souvent de raffineurs et sont sujets à caution. Les ouvriers sont peu nombreux à l’échelle du royaume. À l’instar des forges, la branche industrielle compte peu par rapport au secteur agricole ou au textile car elle mobilise à la fois moins d’hommes et moins de capitaux77. Mais les raffineurs recourent à un grand nombre d’artisans en dehors des murs de la manufacture.
37Les effectifs globaux des raffineurs sont inconnus : les enquêtes rédigées pendant la période révolutionnaire sont incomplètes et varient d’une généralité à l’autre78. Grâce au recensement de l’inspecteur des manufactures Tribert mené en 1790, les effectifs orléanais sont les mieux renseignés79. L’inspecteur évalue à 650 le nombre de salariés des raffineries. Cela paraît peu par rapport aux activités textiles : la bonneterie, la plus grande industrie de la généralité, emploie 16 154 ouvriers, les métiers de la toile 4 325, les fabricants d’étoffe de laine 6 000, etc. Pour évaluer les effectifs à l’échelle du royaume, la méthode la plus simple consiste à partir de la production de sucre raffiné et à évaluer le nombre d’ouvriers nécessaires. D’après l’inspecteur, il faut un ouvrier pour fabriquer 20000 livres de sucre raffiné. L’estimation est optimiste et l’avis des raffineurs diverge : selon eux, un ouvrier produit en moyenne 15 000 livres80. En prenant le chiffre des raffineurs orléanais et la production, évaluée à 20 millions de livres en 1786, on peut estimer que le nombre d’ouvriers dans les raffineries du royaume ne doit pas dépasser 1 300 individus à la fin du siècle, ce que confirment des chiffres épars, récoltés dans les principaux centres du raffinage : 400 ouvriers à Bordeaux, 80 à Nantes, 150 à Marseille et 41 à Rouen81. L’industrie est composée de petites unités de production ; la majorité des sociétés orléanaises regroupent moins de 25 ouvriers, une seule dépasse la cinquantaine82. Les données sont similaires dans les raffineries européennes : à Hambourg, elles emploient entre 20 et 40 personnes83. Il est rare d’observer une grande concentration de travailleurs au xviiie siècle hormis quelques exceptions comme les 4 000 ouvriers de la mine d’Anzin ou les 600 travailleurs d’Oberkampf84. La mutation industrielle du royaume s’est faite grâce à des entreprises de taille moyenne (moins de 100 ouvriers85). À ces ouvriers permanents, il faut ajouter la main-d’œuvre externe : la foule des fournisseurs de matières premières et des voituriers. Les négociants orléanais insistent sur les sous-traitants sans les dénombrer.
Ils ont occasionné par conséquent grand nombre d’autres établissements d’ouvriers en tout genre comme des moulins à papier, des potiers, des serviteurs de raffinerie, des voituriers par terre pour conduire les sucres raffinés dans l’intérieur du royaume, des voituriers par eau tant pour amener les sucres de Nantes que pour faire venir les charbons de Dezise [sic] dont les raffineries de la Loire font elles seules presque toute la consommation.86
38Tribert, dans l’État des manufactures de la généralité (1790) s’intéresse aux deux industries principales qui fournissent les raffineries : les papeteries et les poteries. Il dénombre cinq papeteries situées près de Meung-sur-Loire avec trente ouvriers et sept à huit potiers qui emploient soixante ouvriers pour fournir les pots à sucre87. Le nombre de voituriers est plus difficile à évaluer ; P. Villiers estime qu’il faut une centaine de chalands pour transporter le sucre de Nantes à Orléans88. Les Observations de l’Académie royale des sciences d’Orléans sur le commerce d’Orléans, rédigées vers 1785, indiquent qu’on « peut porter à 700 le nombre des bateliers déchargeurs tant des sucres que des charbons et autres provisions et tous les artisans occupés à entretenir et renouveler la quantité immense de leurs ustensiles89 ». Aux 650 ouvriers permanents des raffineries orléanaises, il faudrait en ajouter autant pour évaluer la main-d’œuvre mobilisée par l’industrie. Ravot estime ainsi que le raffinage nourrit 1 400 familles90. L’industrie orléanaise fournit la moitié du sucre raffiné du royaume à la fin du siècle ; à l’échelle nationale, les raffineries occupent donc sans doute près de 3 000 ouvriers. C’est peu par rapport aux autres industries : la métallurgie compte à elle seule 10 000 ouvriers dans les manufactures, auxquels s’ajoutent quelque 100 000 ouvriers externes91. Ceci étant, les effectifs des raffineries françaises sont cohérents comparés à ceux des principales villes européennes : Hambourg emploierait près de 3 000 ouvriers en 1790, Londres 1 800 en 175392. Malgré la faiblesse de ses effectifs, la raffinerie orléanaise est la première industrie de la ville, loin devant la bonneterie : les sucres raffinés rapportent 12 millions de livres tournois, contre 4,5 pour les ouvrages de bonneterie93.
39Les raffineurs tendent à s’attacher durablement les services des artisans extérieurs voire à les recruter ; l’intégration verticale permet de contrôler la qualité à toutes les étapes, de la production à la commercialisation. Lorsque Ravot rachète la raffinerie de Lorillard, en 1765, il s’empresse d’avertir ses principaux fournisseurs « pour les prévenir que dorénavant ils eussent à fournir sous son nom la raffinerie de la Porte Bannier » ; il se rend chez la veuve Meunier potière en terre, chez le tonnelier qui approvisionne sa manufacture et chez Asselin, marchand « chauffournier » (qui fournit l’eau de chaux94). Les voituriers et les tonneliers sont particulièrement surveillés car le raffineur leur confie l’emballage et le transport de sa fragile marchandise. Le manufacturier passe souvent un contrat avec son transporteur. Charles et Michel Avenne sont ainsi les voituriers attitrés des sociétés de raffineurs Vandebergue Villebouré et Vandebergue l’aîné95. Dans son mémoire, Ravot confirme la pratique : « chaque raffineur a son voiturier par eau attitré96 ». L’entrepreneur développe sa stratégie d’intégration en recrutant un tonnelier, rémunéré comme un maître-sucrier. Il le considère comme un des ouvriers permanents de sa manufacture.
Ouvriers : on distingue dans les raffineries deux sortes d’ouvriers, les premiers pour le service de la maison appelés ouvriers de l’intérieur que sont les serviteurs, les garçons, les tonneliers, et les journaliers. Les ouvriers du dehors sont le vitrier, le plombier, le couvreur, le charpentier, le maçon, le taillandier, le serrurier, le doleur, le ferblantier et divers autres.
40Sur la liste des ouvriers conservée pour l’année 1785, figure Louis Petitet, tonnelier, aux côtés des autres serviteurs et de deux tonneliers employés ponctuellement, « à façon97 ». Dans les raffineries, le tonnelier est un des rares à être spécialisé ; la plupart des ouvriers sont employés à des tâches indistinctes, comme de la manutention, ce qui explique l’absence d’une hiérarchie fine entre eux.
La hiérarchie des manufactures : des ouvriers peu spécialisés, un directeur omniprésent
41Dans son état des ouvriers employés dans l’année 1785, Ravot note un contremaître, seize serviteurs, un tonnelier, sept garçons et quinze journaliers. Dans cette liste, un seul encadrant est mentionné et les ouvriers sont confondus sous le terme flou de « serviteurs ». Le document illustre le fonctionnement particulier des raffineries. Alors que les manufactures d’indiennes de Jouy, de draps à Sedan ou de papier à Vidalon comptent plusieurs types d’ouvriers spécialisés, dont certains sont les héritiers de métiers, les raffineries se caractérisent par une faible spécialisation des tâches. Comme à Jouy, les manufactures sont dirigées par un entrepreneur qui maîtrise le processus de fabrication, d’où une hiérarchie avec un petit nombre de personnel encadrant et, à la base, des ouvriers peu qualifiés ou du moins peu considérés98. Les rémunérations des serviteurs sont mal connues faute de livres de comptes. Seuls des livres de paies de 1815, peu diserts, ont été conservés pour la raffinerie Ravot. Ils se composent de listes de noms avec les salaires correspondants mais sans les statuts99. D’autres sources pallient en partie ces lacunes : les livres de caisse, les écrits de Ravot et les contrats d’engagement collectés dans les fonds notariés, soit au total 31 documents entre la fin du xviie et la fin du xviiie siècle. L’ensemble permet de réfléchir sur la considération accordée aux ouvriers dans une manufacture caractérisée par l’absence de métiers institués. Ils sont tenus pour des ouvriers peu qualifiés, des serviteurs, à l’exception de rares travailleurs compétents dans l’art du raffinage.
42Les salaires augmentent en fonction de l’ancienneté. En bas de l’échelle, l’apprenti doit payer son engagement au prix fort, de 300 à 450 livres pour trois années, moins lorsque l’apprentissage est partiel. Olivier Brian, maître-raffineur nantais, emploie Louis Mabon pendant trois ans « à la réserve de la cuitte seulement que ledit Brian ne sera pas tenu d’enseigner100 », d’où le faible coût de l’apprentissage (44 livres). L’apprenti ou garçon raffineur devient ensuite « serviteur », l’équivalent du compagnon des communautés de métier et lors de sa réception comme serviteur, l’ouvrier paie la bienvenue aux autres101. Ses tâches sont multiples : il charge les sucres dans les chaudières, les clarifie, transvase le sirop dans les formes, dispose les pains de sucre dans l’étuve puis les emballe. Tous les serviteurs sont affectés à la même tâche, sans qu’une quelconque division du travail n’apparaisse. Dans les actes, les ouvriers sont désignés comme de simples serviteurs y compris lorsqu’ils sont formés. Les mots ne sont pas neutres et rappellent le débat qui anime l’Angleterre à la même période et où le droit du travail, « the law of master and servant », assimile les ouvriers à la domesticité102. Situé en dehors du cadre corporatif, le savoir-faire des ouvriers raffineurs n’est pas légitimé par les institutions. Or, la notion de qualification ne tient pas seulement à la réalité objective d’un savoir-faire mais aussi à la reconnaissance sociale et aux représentations que l’on se fait du métier103. Les maigres rémunérations des serviteurs confirment le peu de prix apporté à leurs compétences. Selon le classement de P. Léon, ils appartiennent à la catégorie basse des ouvriers104.
43Pourtant, la place et les rémunérations accordées aux ouvriers chevronnés montrent qu’ils acquièrent un savoir-faire précieux pour l’entreprise. Ravot distingue le plus ancien, le « Premier », qui est celui « qui commande après le contremaître de qui il prend l’ordre pour distribuer l’ouvrage sur les greniers105 ». L’entrepreneur sait donc reconnaître et valoriser l’ancienneté ce qui explique de grandes disparités de salaires parmi les ouvriers peu qualifiés (de 60 à 240 livres par an) et les rares ouvriers spécialisés comme les raffineurs d’écume ou les maîtres-serviteurs (300 à 800 livres). La définition que donne Ravot du « journalier » dit son peu de considération envers ce travailleur qui « peut être renvoyé dès qu’on en a plus besoin ». Les salaires sont faibles, en moyenne 90 livres par an, 10 livres de plus que les apprentis chez Ravot. Les journaliers doivent cumuler plusieurs activités pour subvenir à leurs besoins. Dans les rôles de capitation orléanais de 1782, huit compagnons sucriers (sur 63) sont aussi cabaretiers (7) ou mercier (1).
Tableau 4. Les salaires des ouvriers des raffineries dans le classement de P. Léon.
Salaire moyen (en sols par jour) | Catégories d’ouvriers |
Moins de 10 | Ouvriers les moins favorisés : ouvreurs et leveurs en papeterie |
10 à 20 | Grande partie des ouvriers du textile, fileurs, tisserands, serviteurs-raffineurs (10 sols) |
20 à 30 | Ouvriers moyens : tisseurs d’étoffes de laine, toile et coton, fondeurs des fourneaux, teinturiers, maîtres-serviteurs des raffineries (26 sols) |
Plus de 30 | Élite ouvrière : graveurs, coloristes, dessinateurs, horlogers, bijoutiers |
Sources : Pierre Léon, « La condition ouvrière », dans Braudel Fernand et Labrousse Ernest (dir.), Histoire économique et sociale, tome 2, Paris, PUF, 1993, p. 661-678 ; Léonard N. Rosenband, La fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805, Rennes, PUR, 2005, p. 149 ; ADLA, ADL, ADML, actes notariés et fonds privés
44Aux côtés des simples serviteurs, les raffineurs distinguent le contremaître ou le maître-serviteur ; si le premier terme, issu du langage corporatif, sert à valoriser son savoir-faire, le second le renvoie à sa qualité de domestique. Sa maîtrise du secret de la cuite explique la différence de rémunération et le place parmi les ouvriers qualifiés. Le maître-serviteur dirige les autres ouvriers ; il surveille les étapes du raffinage, se charge de la cuisson du sucre et recrute les serviteurs et les apprentis. Ses compétences sont indispensables au raffineur, c’est pourquoi les clauses du contrat sont strictes. Le contremaître a interdiction de s’engager chez un concurrent et ne peut transmettre son savoir-faire qu’aux seuls ouvriers de confiance désignés par le directeur. Le contrat d’engagement de Claude Brissault en 1700 auprès de la raffineuse angevine, la veuve Vanbredenbec, stipule qu’il encourt une peine de prison s’il quitte son service ; la mention a toutefois été rayée au moment de la rédaction de l’acte106. Comme pour ses confrères peu qualifiés, les contrats d’engagement prévoient des augmentations de salaire au fil de la carrière : le maître-serviteur Brissault reçoit 400 livres la première année, 500 la deuxième et 600 la troisième. Les salaires sont loin d’atteindre ceux versés aux ouvriers les plus qualifiés de l’indiennage ou de la métallurgie. S. Chassagne a relevé des salaires de 1000 à 3 000 livres pour des coloristes ; dans les forges, le commis qui encadre les ouvriers touche 1 000 livres107. L’examen des sources montre que les différences de salaires s’expliquent en partie par le rôle du directeur qui gère directement le processus du raffinage et délègue peu. Le négociant bordelais Michel, sans connaissances techniques, crée une entreprise de toutes pièces à la fin du xviie siècle ; il paie 800 livres un maître-raffineur nantais. L’Orléanais Ravot, lui, ne débourse que 400 livres108. Ces différences de traitement se retrouvent dans les écarts de fortune entre les travailleurs de l’industrie. Dans les rôles fiscaux orléanais de 1782, la capitation des 30 directeurs de raffinerie s’élève en moyenne à 103 livres, celle des 9 contremaîtres à près de 6 livres et celle des 63 ouvriers à 2 livres109.
45L’organisation des tâches dans les raffineries est originale dans le paysage manufacturier du xviiie siècle car elle est complètement indépendante de la hiérarchisation traditionnelle en métiers. En haut de l’échelle, le directeur, homme de l’art, délègue une partie du processus de production à un homme de confiance mais reste le seul maître à bord. Sous ses ordres, une vingtaine d’ouvriers peu spécialisés sont assimilés à des domestiques. Les opportunités d’ascension sociale sont rares tant la coordination hiérarchique est faible dans le métier ; les ouvriers sont donc contraints de travailler dans des conditions difficiles et peu rémunératrices pendant toute leur carrière.
La difficile condition ouvrière : vivre, travailler, s’abîmer sous le regard des patrons
46En quelques lignes, Lacombe, l’auteur de l’article « Sucre » dans l’Encyclopédie méthodique, décrit le dur labeur des ouvriers des raffineries110.
serviteur, en terme de raffinerie, sont des ouvriers loués à l’année, qui sont sous les ordres du contre-maître ; & doivent lui obéir sans réplique. Il faut que ce soit des hommes forts robustes, pour supporter les grandes fatigues d’une raffinerie. C’est pour cela qu’on les nourrit sans leur épargner ni pain, ni vin, ni bonne chère. Ils s’engagent pour un an. On ne peut les renvoyer qu’après ce terme, à moins que ce ne soit pour cause de bassesse ou d’infidélité.
47Dans cette courte définition transparaissent les souffrances des corps, l’emprise du règlement sur les hommes, deux maux à peine compensés par les avantages en nature, l’indiscipline enfin, tant redoutée des patrons. À bien des égards, la politique patronale esquissée ici s’apparente au paternalisme défini par M. Perrot dans ses travaux sur les rapports entre les ouvriers et leurs patrons au xixe siècle111. Le terme a pu être employé pour l’industrie papetière dès le xviiie siècle mais G. Noiriel souligne la connotation péjorative du terme et lui préfère celui de patronage (au xixe siècle), c’est-à-dire une forme de contrôle social qui passe par la discipline et par le « prolongement de formes traditionnelles de bienfaisance112 ». Le mot paraît bien adapté au secteur du raffinage ; il traduit les rapports de force à l’œuvre entre une main-d’œuvre volatile, peu habituée aux rythmes du travail de l’industrie, et un patronat à la recherche d’ouvriers efficaces, dociles et endurants. D’où la mise en place d’un encadrement strict du travail ; D. Woronoff rappelle qu’une manufacture se caractérise avant tout par des murs et un règlement, deux conditions nécessaires à la « domestication » de la main-d’œuvre113. De nombreux historiens se sont donc penchés sur la discipline au cœur des fabriques, les horaires, les punitions pour vols ou pour absence et les relations souvent tendues avec les patrons, éclairant ainsi la condition ouvrière à la période moderne114. Mais faute de sources ou d’attention aux menus gestes ouvriers, la discipline imposée aux corps et les souffrances au travail ont été moins étudiées115. Les riches fonds de la raffinerie Ravot permettent de reprendre le dossier et d’étudier tous les pans de la condition ouvrière, des rapports sociaux qui se mettent en place au sein des manufactures aux conditions de travail des ouvriers. Il s’agit de comprendre les stratégies développées par le patronat pour assurer la bonne marche de l’industrie (rythmes de travail, encadrement des tâches) et leurs implications sur la vie des ouvriers.
Le travail réglementé : la stricte discipline des raffineries116
48En 1755, lorsque le sieur Lefebvre, raffineur et confiseur à Tours, souhaite installer une raffinerie à proximité de son domicile c’est pour « veiller plus facilement sur ses ouvriers117 ». L’entrepreneur, homme de l’art, doit se muer en dirigeant pour assurer la bonne marche de l’industrie. S. Chassagne a ainsi comparé le fonctionnement des fabriques d’indiennes à l’armée : grâce à un règlement, le directeur impose par la force la discipline aux ouvriers118. La surveillance passe par le contrôle du temps de travail, par le suivi des tâches et du comportement des ouvriers mais se heurte aux résistances des travailleurs qui subissent ces contraintes.
49E. P. Thomson a, le premier, montré que les patrons avaient tenté de maîtriser le temps de travail des ouvriers dès la fin du xviiie siècle, selon le principe « time is money119 ». Depuis, de nombreux travaux ont prouvé l’existence de modalités de contrôle du temps de travail bien avant les usines120. Pour mieux organiser le travail, les entrepreneurs imposent un nouveau rythme qui s’oppose parfois au calendrier traditionnel des ouvriers comme celui des fêtes religieuses. Une cloche est installée au portail des raffineries pour battre le rappel des serviteurs121. Le contrôle des horaires se poursuit à l’intérieur des bâtiments : les dortoirs des ouvriers sont équipés de réveils. Ainsi, dans les deux chambres de serviteurs de la raffinerie Vandebergue, le notaire prise « une pendule a reveil garnie de sa boeste de sapin 20 livres122 ». Les rythmes d’une journée de travail sont inconnus ; la seule indication concerne les horaires des rondes effectuées par les ouvriers de la raffinerie Ravot lors des jours chômés. L’ouvrier doit surveiller les bâtiments et les chaudières de 8 heures à 19 heures123. On peut imaginer qu’un serviteur travaille entre 10 et 14 heures par jour comme ses confrères d’autres branches industrielles124. La journée de travail est coupée d’une pause pour les repas125.
Prendre : les ouvriers disent je prends mon temps quand ils ont travaillé pendant l’heure des repas, supposé un quart d’heure ils prennent autant de repos pendant l’heure du travail.
50Les horaires, flexibles, sont calqués sur l’activité ; en période de cuite, la journée ne se compte pas en heures mais en nombre de pains à produire selon les commandes. La charge de travail de l’ouvrier diffère alors selon sa qualification.
Journée : on dit la journée est finie quand on est en raffinage et que ce qu’on doit cuire est finy. Les ouvriers emploiés au raffinage ont fait leur journée et ne sont plus tenus d’aucun travail avec d’autant plus de raison que ceux occupés au raffinage sont toujours à l’ouvrage longtemps avant les autres ainsi que le clarifieur et celui qui fait les écumes.
51La frontière entre travail à la tâche et travail salarié est donc floue. Mais, à la différence d’autres métiers où s’instaurent des salaires au rendement, comme chez les tondeurs de draps ou les papetiers, les gages ne sont pas versés en fonction du nombre de pièces confectionnées126. La rémunération à la tâche est peu appropriée car les serviteurs ne maîtrisent pas le processus de production du début à la fin. Comme les verriers étudiés par C. Maitte, les serviteurs sont employés à l’année et non à la journée ce qui explique que les employeurs précisent le nombre de jours de fêtes dans les règlements pour éviter toute revendication. Ravot précise le calendrier des jours chômés et mentionne les dimanches comme des jours de congé avec le Mardi gras, le jour des vendanges et les « jours d’obligation127 ». Il liste aussi les « demi-congés » (le mercredi des Cendres, le Vendredi saint, le jour de la pucelle, de l’octave, la fête dieu et le jour des Morts) pendant lesquels les ouvriers sont libérés partiellement. Les « jours d’obligation » correspondent aux fêtes majeures comme Noël, la Pentecôte ou l’Ascension ; on en dénombre une trentaine au xviiie siècle128. En plus des jours fériés habituels, les ouvriers ont réussi à négocier six jours fériés supplémentaires ; les serviteurs effectuent donc près de 280 jours de labeur, un temps de travail comparable aux mineurs, aux verriers et aux maçons, déjà étudiés129. En période de forte activité ou grande chaleur, les ouvriers travaillent même de nuit à l’aide de lanternes et de chandelles130. Lorsque les envois pressent, des ouvriers entretiennent le feu avec du charbon pendant toute la nuit.
52La ponctualité, l’assiduité mais aussi le soin apporté à l’ouvrage sont contrôlés par les directeurs qui mettent en place un éventail de gratifications et d’amendes. Les raffineurs oscillent entre sanction et récompense. Ravot se réserve ainsi le droit de verser des étrennes supplémentaires aux ouvriers qui lui donnent satisfaction mais tout manquement à la règle entraîne des pénalités financières. Les retards sont sanctionnés de 5 sols d’amende ; le travail bâclé est sévèrement puni : un ouvrier qui oublie d’opaler, c’est-à-dire de tourner correctement le sucre dans son pot, doit payer 12 sols. Le travail des serviteurs est contrôlé grâce à l’apposition d’une marque sur les pains de sucre131.
Marques : chaque ouvrier après avoir mouvé doit mettre une marque sur les pattes des pains qu’il a mouvé ils ont tous des marques différentes à ce moyen lorsqu’en lochant on trouve un pain mal mouvé on connaît en la marque l’auteur de la faute on l’averty d’avoir plus d’attention on ne saurait trop veiller sur le mouvage et il est d’une conséquence infinie.
53À la manière d’un inspecteur des manufactures ou d’un garde-juré, le raffineur contrôle ses ouvriers pour garantir la qualité de la production132. Dans la raffinerie Ravot, la surveillance est accrue par le système collectif de règlement des amendes : comme dans les draperies de Sedan, tous les engagés paient pour l’erreur d’un des leurs133. Le règlement est plus strict encore dans le domaine de la sphère privée. Un ouvrier qui découche et ne serait pas rentré avant 22 heures encourt une amende de 15 sols la première fois et 30 la seconde. L’heure du coucher est aussi réglementée dans la raffinerie de Tinnebac à Saumur : le maître-serviteur Schroder doit contraindre les ouvriers à se coucher à « 10 heures en été et à 9 heures en hiver134 ». La règle permet de contrôler les bonnes mœurs et d’éviter les beuveries et les rixes redoutées. La consommation de vin est encadrée : le règlement Ravot précise qu’il ne sera pas donné de vin « ni pour l’empli, bacs à formes, ni pour quelques raisons que ce soient ». Comme ailleurs, les patrons sont prompts à reprocher aux ouvriers leur penchant pour l’alcool. La pression est d’autant plus forte que la carrière est conditionnée par le bon vouloir du maître : depuis 1749, ce dernier doit donner un congé aux ouvriers qui partent et se porter garant de leur honnêteté135.
54Pour la surveillance, le directeur se sert de relais tel le maître-serviteur. Dans son contrat d’engagement, ledit Schroder est chargé de calmer les révoltes ouvrières.
Schroder sera obligé en cas de soulèvement et rebellion des serviteurs soit pour le manger et le boire et autre chose de les admonester à se contenter de ce qu’on leur donne et de mettre la paix.
55Les archives recèlent peu de traces de soulèvements. Seuls trois cas de conflits ont été repérés. Ils montrent l’emprise des entrepreneurs qui contrôlent les relations sociales et les témoignages des ouvriers devant la justice. En 1679, le Saumurois René Tinnebac porte plainte contre Arern Erickson, son serviteur raffineur, pour « malfaçon et travail défectueux136 ». Le raffineur fait expertiser les sucres par des marchands-droguistes et par ses garçons sucriers : tous trouvent les sucres « noirs et brûlés par la mauvaise cuitte de l’ouvrier mal assuré dans son métier ». Quelques années plus tard, Gaspard Vanbredenbec se trouve aux prises avec son maître-serviteur, Pierre Fockis : le raffineur l’accuse de fomenter un complot contre lui et d’encourager les serviteurs à abandonner la raffinerie137. L’affaire est prise au sérieux par G. Vanbredenbec qui fait promettre à ses ouvriers de « ne fréquenter ny parler en aucune façon audit Fockis a peine de trois mois de perte de chacun leurs gages ». La dernière affaire concerne les salaires des ouvriers orléanais138. Le 12 novembre 1793, les ouvriers de Jogues se plaignent auprès de la municipalité : le raffineur leur aurait refusé une augmentation accordée par la majorité de ses concurrents. Cette fois, le raffineur n’a pas réussi à briser la solidarité ouvrière. ÀOrléans, la concurrence est plus rude entre directeurs et les ouvriers en profitent pour améliorer leurs conditions de travail. Pour parer aux requêtes des serviteurs et aux éventuelles rebellions, certains raffineurs s’entendent pour établir des règles communes. Ravot indique en tête de son règlement qu’il est en vigueur chez « Messieurs de Malmusse père, de Malmusse fils, Vandebergue, Miron et Tassin-Seurrat, Bonvalet l’aîné, Crignon Sinson et Raguenet ».
56La lente domestication de la main-d’œuvre est en marche dans les raffineries ; les règlements et les contrats d’embauche imposent un contrôle strict des ouvriers et de leurs horaires. L’attention apportée à la maîtrise du temps de travail mène à l’intensification des rythmes et explique en partie les difficiles conditions de travail des serviteurs.
La santé de l’ouvrier mise à mal
57Pourtant, à la faveur du courant hygiéniste, les discours et les recherches sur la santé de l’ouvrier au travail se développent à la fin du xviiie siècle. Selon T. Le Roux, ces nouvelles préoccupations s’expliquent par l’augmentation des risques dans certains métiers artisanaux et par l’émergence d’institutions médicales comme la Société royale de médecine ou de nouveaux journaux telle la Gazette de santé. Les souffrances des ouvriers sont décrites par des témoins extérieurs et certains hygiénistes tendent à minimiser les risques du travail. Les descriptions techniques du métier et les actes de la pratique permettent d’échapper à une vision tronquée de la condition ouvrière.
58Comme dans l’industrie sidérurgique, les femmes sont absentes des raffineries ; elles sont considérées comme trop faibles physiquement et reléguées au rang de domestiques139. Duhamel du Monceau évoque sans s’y appesantir la pénibilité du travail : « quand par l’usage les formes se sont fêlées un vieux serviteur de la raffinerie qu’on ne peut plus employer à des ouvrages pénibles, les raccommode ». Le métier est physique : porter des seaux de sucre et de chaux bouillants, des barriques de charbon, charger des chaudières élevées, escalader les étages des étuves pour ranger les pains de sucre, tout en supportant la chaleur dégagée par les chaudières. À la chaleur étouffante s’ajoutent les fumées évacuées, quand elles existent, par des « demoiselles », ouvertures pratiquées dans les toits des raffineries. Lorsque toutes les chaudières fonctionnent, Duhamel du Monceau précise que l’on voit à peine clair, tant « l’air est épais ». Dans son Essai sur les maladies des artisans (1777), Ramazzini se focalise sur les odeurs toxiques dégagées par le charbon et le sucre en ébullition, sources de graves douleurs aux yeux et à la tête, et qui provoquent des étouffements chez les confiseurs et les raffineurs140. Son étude, traduite en français en 1777, révèle l’intérêt grandissant porté aux risques médicaux encourus par les ouvriers. À l’inverse des planches de l’Encyclopédie et de ses ateliers sans ouvriers, les conditions de travail difficiles transparaissent dans les gravures qui accompagnent l’article de Duhamel du Monceau.
Figure 8. Les corps ouvriers au travail.

Source : Duhamel du Monceau, L’art de raffiner le sucre…, op. cit., détail de la planche II
59Les ouvriers se mettent à deux pour porter les lourds baquets de sucre dans la halle mais leurs corps ploient sous la charge. Le plus difficile reste à venir, ils doivent élever leur baquet assez haut pour remplir les chaudières et mélanger la chaux et le sucre, puis transporter le sirop de sucre bouillant. Leurs longs tabliers de travail en cuir sont une protection bien mince contre les brûlures. Lors des nombreux transvasements entre les chaudières, les ouvriers répandent par mégarde du sucre fondu sur le sol de la halle, risquant alors de glisser. Les accidents, parfois dramatiques, sont courants. Au moment de l’inventaire de ses biens en 1774, Martial Gauthier, raffineur nantais, relate l’accident mortel d’un de ces hommes « tombé dans la chaudière141 ». L’exemple n’est pas isolé : en 1786, Jacques Montigny a droit aux honneurs de la presse orléanaise pour avoir porté secours à l’un de ses camarades tombé dans une chaudière de sucre brûlant142. L’ouvrier qui s’était hissé sur une échelle au-dessus de la chaudière a glissé. Son camarade a plongé les bras dans le bac pour le secourir, en vain ; lorsque Montigny le retire de la chaudière, la victime est déjà décédée. Dans l’annonce, il n’est pas question du sort du malheureux ; seul l’héroïsme de Montigny est souligné, indice, si ce n’est de la banalité de l’affaire, du moins de sa fréquence. Pour son courage, Montigny reçoit quatre fois la gratification habituellement réservée à ceux qui portent secours aux noyés. Certains raffineurs installent des marchepieds et des hausses, sortes d’étagères, à côté des chaudières pour que les serviteurs puissent poser les baquets avant d’en verser le contenu. Or, d’après Lacombe « l’usage de cette hausse est tout-à-fait inconnu dans bien des raffineries143 ». Pour limiter les suites des accidents de travail, les serviteurs sont soignés par le « médecin et le chirurgien de la maison ». Parmi les archives Ravot, 36 factures dressées en 1770-1772 permettent d’analyser les prescriptions médicales et les douleurs des corps ouvriers144. Plus que les habituelles saignées et arrachages de dents, le nombre de pansements attire l’attention : ils font l’objet d’un tiers des visites du médecin. Du 5 au 15 février 1771, le chirurgien vient panser à douze reprises un serviteur d’une « playe au pied ». Pour ces soins, l’ouvrier n’avance aucun frais. La santé des travailleurs est une préoccupation des raffineurs, soucieux de conserver une main-d’œuvre opérationnelle. Conscients de la dureté du travail, ils accordent aux serviteurs des avantages en nature pour s’attacher leur service et assurer la bonne marche des affaires.
Les avantages en nature : des ouvriers logés, nourris, blanchis
60Si le métier n’est pas réglé, il existe des habitudes que le patron doit respecter (versement d’étrennes, logement, nourriture des ouvriers) et qui figurent dans les actes de société, « comme il est d’usage ». Lorsque Ravot rachète la raffinerie de Lorillard, il est rappelé à l’ordre par les ouvriers : il doit organiser un repas et les régaler145.
Le sieur Ravot a payé sa bienvenue aux garçons et ouvriers qui lui ont représenté qu’il était d’usage dans toutes les raffineries de leur faire faire un festin lors des changements de maîtres.
61Les serviteurs de raffineries bénéficient d’avantages en nature qui leur assurent des conditions de vie plus confortables que les compagnons ou les journaliers. Les gratifications sont aussi un moyen pour l’entrepreneur de valoriser les ouvriers les plus productifs et d’imposer son autorité. Les serviteurs, recrutés à l’année, sont payés y compris quand les matières manquent. Comme dans la verrerie, ce sont les patrons qui prennent en charge les périodes chômées146. Lorsqu’en 1679 le fermier général du bureau d’Ingrandes refuse de laisser passer les sucres bruts de Gaspard Vanbredenbec pour des problèmes de tarif, le raffineur doit céder aux exigences du fermier « étant fort pressé à cause du grand nombre d’ouvriers qu’il a en la raffinerie qui chôment147 ». La situation est délicate pendant la période révolutionnaire : le manque de matières premières oblige les ouvriers à prendre une autre activité. Les treize ouvriers de la raffinerie de la Côte d’Or en l’an II, faute de charbon, se sont reconvertis dans le bâtiment (deux maçons), les travaux des champs (cinq jardiniers), le commerce (ciriers et cabaretiers) ou la santé (infirmier), deux sont infirmes et un seul reste « pour les travaux d’urgence et pour servir la pompe à feu en cas d’incendie148 ». Ces périodes exceptionnelles mises à part, le statut de serviteur est enviable comparé à celui des journaliers, il l’est d’autant plus qu’en sus des gages, les ouvriers sont nourris, logés et blanchis.
62Certains ouvriers sont logés sur place, comme dans la plupart des manufactures liées au feu. Ils tirent profit de ce privilège et le directeur aussi. La main-d’œuvre est ainsi disponible pour veiller les chaudières la nuit et éviter le risque d’incendie. Tous les serviteurs ne bénéficient pas de cette faveur ; la raffinerie Ravot compte 26 ouvriers permanents mais 14 lits dans les chambres149. Comme le laisse entendre le règlement Ravot, seuls les serviteurs à l’année sont logés, « chaque engagé qui couchera à la maison sera tenu de faire son lit ». Les autres ouvriers vivent en dehors des manufactures : les rôles de capitation orléanais de 1782 mentionnent 74 serviteurs et maîtres-serviteurs chefs de feux. Certains résident à proximité des raffineries (dix faubourg Madeleine, six faubourg Saint-Vincent), d’autres plus éloignés, dans le centre-ville. À l’inverse des papetiers Montgolfier, rien n’indique que les raffineurs ont mis en place une clause de résidence forcée à proximité de la manufacture150. Le logement dans la raffinerie est sommaire. Dans les deux chambres de serviteurs de la raffinerie Vandebergue, le notaire prise dix lits estimés chacun entre 40 et 50 livres avec leurs couvertures et draps151. Dans la plupart des raffineries, le maître-serviteur dispose d’une chambre séparée. Le privilège, reflet d’une condition sociale supérieure, lui permet d’avoir un espace plus intime et meublé. En 1691, l’inventaire de la chambre de Pierre Felt, maître-serviteur nantais, permet d’imaginer l’ameublement152. Il possède deux lits car sa femme et ses enfants vivent à ses côtés, quelques meubles de rangements, une table et douze chaises. Il a aussi décoré son espace de vie à l’aide de paravents, de tapis et de « tapisseries de bergame ».
63Outre le logement et les dépenses qui en découlent (frais de chandelle et de chauffage), les ouvriers sont nourris par le raffineur. Les frais de bouche déboursés par les entrepreneurs attestent du soin porté aux serviteurs. Les actes de société renseignent sur le budget consacré à l’alimentation : 210 à 350 livres par serviteur et par an. L’examen des livres de caisse révèle une gestion plus complexe qu’il n’y paraît. Les sommes relevées fluctuent légèrement chaque semaine ; certains ouvriers ne mangent pas à la raffinerie et touchent en numéraire l’équivalent de plusieurs jours de repas. En janvier 1775, Toussaint reçoit pour deux jours de nourriture 1 livre et 18 sols, dans le même temps 140 livres et 19 sols sont retirés de la caisse pour la nourriture de la semaine153. À la différence des gages, les ouvriers sont traités sur un pied d’égalité ; le maître-serviteur ne bénéficie d’aucun privilège en nature. Le régime alimentaire des ouvriers des raffineries est aussi copieux et diversifié que celui des ouvriers des forges154. En 1685, Wicard et Souchay confient à leur serviteur, Charles Have, le service des repas moyennant 225 livres par serviteur et précisent qu’il devra les « nourrir de pain, vin, viande, poisson et autres choses nécessaires155 ». Les livres de caisse ne détaillant pas les achats alimentaires, il est difficile d’être plus précis. Seules quelques créances datées de 1767 et 1769 pour la raffinerie Ravot de Bel Air fournissent de plus amples détails : outre des factures de pain et de viande, un crédit pour l’achat de 50 fromages pendant deux mois et demi est conservé156. Ces avantages en nature sont versés toute l’année y compris les dimanches et jours fériés. En outre, les ouvriers reçoivent des suppléments au moment des étrennes (6 livres pour les serviteurs et 1 livre 10 sols pour les journaliers) et le jour des vendanges (20 sols 9 deniers, moitié moins pour les journaliers). Ces versements représentent l’équivalent de six jours de nourriture (serviteurs) ou d’une journée et demie (journaliers). Un ouvrier malade ne reçoit pas l’indemnité de nourriture mais perçoit ses gages si les raisons de son absence sont jugées « légitimes ». Le règlement est souple : en mars 1775, Toussaint reçoit une gratification de 12 livres à cause de sa maladie157. Les raffineurs modulent les primes en fonction de la productivité des ouvriers, une manière d’intensifier la production. Lors de la fête des vendanges, Ravot se « réserve le droit de donner plus suivant la satisfaction que nous aurons des ouvriers ».
64La discipline des fabriques passe par la surveillance, l’encadrement des rythmes du travail et par un système de bienfaisance. Malgré des conditions de travail difficiles, les serviteurs des raffineries bénéficient d’avantages en nature, preuve que les raffineurs cherchent à fidéliser leur main-d’œuvre. L’étude des conditions de travail des ouvriers permet de nuancer le portrait esquissé plus haut ; s’ils sont de simples « serviteurs », sans espoir de devenir maîtres, leur expérience d’ouvrier raffineur est recherchée sur un marché du travail en plein essor. La croissance de la demande n’a pas bouleversé profondément l’organisation de la production. Certes, les entrepreneurs ont aménagé des bâtiments plus grands pour concentrer une main-d’œuvre plus nombreuse mais la division du travail est restée faible et la mécanisation inexistante. C’est davantage la somme de petits changements, ajoutée à l’extension des entreprises, qui expliquent le passage à une production de masse. La volonté d’augmenter la productivité prend la forme de petites innovations pour économiser les gestes des ouvriers et de règlements pour contrôler le temps de travail. Le raffineur, fin technicien, doit se muer en meneur d’hommes pour assurer la bonne marche de l’entreprise. Voilà donc posées les deux premières bases du métier d’industriel. La troisième compétence consiste à maîtriser les coûts pour augmenter les bénéfices et à capter les flux d’investissement nécessaires à la croissance des entreprises. À la fois comptable et négociant, la gestion financière constitue un des pans essentiels de l’activité du raffineur.
Notes de bas de page
1 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, Paris, Saillant et Nyon, 1764.
2 Sewell William H. Jr., « Visions of labor : illustrations of the mechanical arts before, in, and after Diderot’s Encyclopédie », dans Kaplan Steven L. et Koepp Cynthia J. (dir.), Work in France, Londres, Cornell University Press, 1986, p. 258-286 ; Emptoz Gérard, « Les techniques sucrières vues par les auteurs de l’Encyclopédie », dans Eadie Émile (dir.), La route du sucre du viiie au xviiie siècle, Matoury, Ibis Rouge, 2001, p. 143-155.
3 Pierrot Nicolas, Les images de l’industrie en France. Peintures, dessins, estampes, 1760- 1870, Paris, thèse dactylographiée, 2010, p. 107 et p. 253 sqq.
4 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Genève, Pellet, 1751, article « Voyage ».
5 Coquery Natacha et alii, Artisans et industrie. Nouvelles révolutions du Moyen Âge à nos jours, Paris, ENS éditions, 2004 ; Coquery Natacha, Tenir boutique à Paris au xviiie siècle. Luxe et demi-luxe, Paris, Éditions du CTHS, 2011 ; Hilaire-Pérez Liliane, L’invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000 ; Lanoë Catherine, « “Images, masques et visages”. Production et consommation des cosmétiques à Paris sous l’Ancien Régime », RHMC, no 55-1, 2008, p. 7-27 ; Epstein S. R., « Craft guilds, apprenticeship, and technological change in pre-industrial Europe », dans Epstein S. R. et Prak Maarten (dir.), Guilds, Innovation and the European Economy, 1400-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 52-80.
6 Gayot Gérard, Les draps de Sedan, 1646-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 1998, p. 8.
7 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce du raffineur, s.d. [vers 1772].
8 Woronoff Denis, Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 148 sqq.
9 Quénet Grégory, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Paris, Champ Vallon, 2014.
10 Le Roux Thomas, Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel, 2011 ; Guillermé André, La naissance de l’industrie à Paris, entre sueurs et vapeurs : 1780-1830, Champ Vallon, 2007.
11 Le Roux Thomas, Le laboratoire…, op. cit., p. 29 ; Id., « L’émergence du risque industriel (France, Grande-Bretagne, xviiie-xixe siècle) », Le Mouvement Social, no 249, 2014, p. 3-20.
12 Barray Caroline, « L’industrie à Orléans au xviiie siècle : regard sur les raffineries de sucre de la rue Notre-Dame-de-Recouvrance », dans Mazuy Laurent (dir.), Orléans, les mutations urbaines au xviiie siècle, Orléans, SAMO, 2007.
13 Morgan Kenneth, « Sugar refining in Bristol », dans Bruland Kristine et O’Brien Patrick (dir.), From Family Firms to Corporate Capitalism, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 139-169 ; Petersson Astrid, Zuckersiedergewerbe und Zuckerhandel in Hamburg im Zeitraum von 1814 bis 1834, Stuttgart, Steiner, 1998, p. 48.
14 ADLA 4E2/1672, 29 août 1719.
15 Gayot Gérard, Les draps de Sedan…, op. cit., p. 168.
16 ADL 3E41817, vente de la raffinerie de Saint-Laurent, an X.
17 AN MC ET/LXXI/99 Rés 681, vente par le duc d’Orléans de la raffinerie de sucre de Montargis, 11 août 1790.
18 AN F12/1501, affaire Lebrun, 1775.
19 ADLA 4E2/862, litige entre Jean Gournou et René Cochon, 26 juillet 1687.
20 ADIL C142, affaire Lefebvre à Tours, 1755 ; AN F12/1501, affaire Lebrun à Orléans, 1775.
21 Le Roux Thomas, Le laboratoire des pollutions…, op. cit., p. 46.
22 Kaplan Steven L., Le meilleur pain…, op. cit., p. 515.
23 AN F12/1501, Mémoire pour servir de réponse au placet présenté par le sieur Lebrun à Monseigneur de Trudaine, s.d. [vers 1775].
24 AN F12/1501, affaire Lebrun, 1775.
25 ADIL C142, requête des opposants du sieur Lefebvre, 19 mars 1755.
26 Corbin Alain, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social xviiie-xixe siècle, Paris, Aubier Montaigne, 1982, p. 35, 69 et 133.
27 AN F12/1501, lettres des officiers municipaux à Orléans, 21 juillet 1775.
28 Le Roux Thomas, Le laboratoire…, op. cit., p. 30.
29 De Vries Jan et Van Der Woude Ad, The First Modern Economy…, op. cit., p. 329.
30 Le Roux Thomas, Le laboratoire…, op. cit., p. 160.
31 ADL 3E6/794, vente de la raffinerie de la Chapelle-Saint-Mesmin, 18 mars 1795.
32 Schulte Beerbühl Margrit, Deutsche Kaufleute…, op. cit., p. 310.
33 AN F12/1501, Rapport de l’ingénieur d’Orléans sur la raffinerie que le sieur L se propose d’établir dans la rue de la Croix par Dieu, 15 juillet 1775.
34 ADL 11J206, règlement de la raffinerie Ravot, s.d. [vers 1797].
35 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., planches « Sucrerie et affinage des sucres », 1762 ; Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, Neuchâtel, Imprimerie de la Société typographique, 1781 (1re édition 1764).
36 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce…, op. cit. ; Jolin Delavau, Le raffineur ou l’art de raffiner le sucre, Orléans, chez Perdoux, 1789.
37 Verna Catherine, « Réduction du fer et innovation : à propos de quelques débats en histoire sociale des techniques », Médiévales, no 39, 2000, p. 79-95 ; Bruland Kristine et Smith Keith, « Les transitions technologiques à grande échelle dans l’histoire et la théorie », dans Hilaire-Pérez Liliane et Garçon Anne-Françoise (dir.), Les chemins de la nouveauté : innover, inventer au regard de l’histoire, Paris, Éditions du CTHS, 2003, p. 119-137.
38 Epstein Stephan R., « Craft guilds, apprenticeship, and technological change in pre-industrial Europe », art. cit., p. 52-80.
39 Verley Patrick, La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, 2008 (1re édition 1997), p. 305 ; Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, Paris, Éditions de l’EHESS, 1984, p. 315 ; Garçon Anne-Françoise, Mine et métal, 1780-1880, Rennes, PUR, 1998, p. 16.
40 Morgan Kenneth, « Sugar refining in Bristol », dans Bruland Kristine et O’Brien Patrick (dir.), From Family Firms to Corporate Capitalism, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 139-169.
41 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit. ; ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce du raffineur…, op. cit.
42 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 496.
43 ADL 33J110, inventaire Vandebergue, 1784.
44 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 522.
45 ADL 11J208, lettre de Martignon à Ravot, 28 germinal an VII.
46 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 534 ; ADL 2J354, Usage des raffineries d’Orléans, s.d.
47 Anonyme, « Sur le raffinage des sucres, d’après les procédés anglais », Annales des arts et manufactures, 18, 1804, p. 33-53.
48 Dix à Nantes, quinze à Orléans, sept à Angers, deux à Saumur, quatre à Bordeaux, deux à Paris.
49 Lemarchand Yannick, Du dépérissement à l’amortissement…, op. cit., p. 76. L’auteur reprend les chiffres de S. Chassagne.
50 Rosenband Léonard N., La fabrication du papier dans la France des Lumières. Les Montgolfier et leurs ouvriers, 1761-1805, Rennes, PUR, 2005, p. 23 sqq.
51 Prozet, « Mémoire où l’on examine quelles sont les causes qui ont mérité au sucre raffiné à Orléans la préférence sur celui des autres raffineries du royaume », Journal de physique, tome XXXI, 1787.
52 Hilaire-Pérez Liliane, « Pratiques inventives, cheminements innovants, crédits et légitimations », dans Hilaire-Pérez Liliane et Garçon Anne-Françoise (dir.), Les chemins de la nouveauté…, op. cit., p. 9-38.
53 Id., L’invention technique…, op. cit., p. 51 sqq.
54 Id., « La négociation de la qualité dans les examens académiques d’invention au XVIIIe siècle », dans Stanziani Alessandro (dir.), La qualité des produits…, op. cit., p. 55-68.
55 AN F12/1502, dossier sur l’essai des frères Boucherie à Bercy, 1776.
56 AN MC ET/LXXI/99, Rés. 681, vente par le duc d’Orléans de la raffinerie de Montargis, 11 août 1790.
57 ADL 11J201, inventaire Ravot, 1778.
58 Lacombe Jacques, Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques, tome 7, Paris, Panckoucke, 1791, article « Sucre ».
59 Anonyme, « Sur le raffinage des sucres, d’après les procédés anglais », Annales des arts et manufactures, 18, 1804, p. 33-53.
60 ADL 11J203, inventaire de la raffinerie Ravot à Saint-Pierre-le-Puellier, 1810 ; ADL 3E7090, inventaire de la raffinerie de Claude Vandebergue, 1806.
61 AN MC ET/LXXI/99 Rés 681, vente de la raffinerie du duc d’Orléans, 11 août 1790.
62 Les raffineries bordelaises utilisent aussi le charbon au début du xviiie siècle ; Huetz de Lempz Christian, Géographie du commerce de Bordeaux à la fin du règne de Louis XIV, Paris, Mouton, 1975, p. 433.
63 ADLA 4E2/862, litige entre Jean Gournou et René Cochon, 26 juillet 1687.
64 AN F12/562, État du produit moyen et annuel des raffineries à sucre de la généralité d’Orléans, 1790.
65 Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 332.
66 Anonyme, « Sur le raffinage des sucres, d’après les procédés anglais », Annales des arts et manufactures, 18, 1804, p. 33-53.
67 Anonyme [il s’agit en réalité de Vandebergue], Notice sur le commerce d’Orléans, dans Voyages de Genève et de la Touraine, suivi de quelques opuscules, 1779.
68 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 495.
69 AN F12/1501.
70 ADLA C730, Théorie du raffinage des sucres bruts mise en pratique par Mr Jean Othon Dede, 1780.
71 ADLA C730, Mémoire pour les raffineurs d’Orléans d’Angers et de Saumur, 1732.
72 Rosenband Léonard N., La fabrication du papier…, op. cit., p. 127.
73 Verley Patrick, Entreprises et entrepreneurs…, op. cit., p. 4.
74 Lefebvre Philippe, L’invention de la grande entreprise. Travail, hiérarchie, marché (France, fin xviiie-début xxe siècle), Paris, PUF, 2003, p. 25.
75 A. Poelwijk a noté la même liberté pour Amsterdam alors que les guildes y sont nombreuses ; Poelwijk Adrianus H., « In dienste vant suyckerenbacken ». De Amsterdamse suikernijverheid en haar ondernemers, 1580-1630, Amsterdam, thèse en ligne soutenue à l’université d’Amsterdam, 2003.
76 Woronoff Denis, Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 93.
77 Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 137.
78 AN F12/1502 et F12/2420.
79 AN F12/562, Mémoire sur les manufactures de la généralité d’Orléans, 1790.
80 AMO 6F1, État du travail des raffineries d’Orléans, s.d. [vers l’an II].
81 AN F12/1639a, Travail sur les sucres raffinés, s.d. [vers 1786] ; AN F12/2420, rapports sur les raffineries de sucre de Bordeaux, Marseille, Rouen ; Fiérain Jacques, Les raffineries de sucre des ports en France xixe-début xxe siècles, Arno Press, 1977, p. 215.
82 AMO 6F1, État du travail des raffineries d’Orléans, s.d. [vers l’an II].
83 Nováky György, « On trade, production… », art. cit., p. 483.
84 Daudin Guillaume, Commerce et prospérité. La France au xviiie siècle, Paris, PUPS, 2005, p. 48.
85 Chassagne Serge, Le coton et ses patrons…, op. cit., p. 67.
86 ADLA C725, Mémoire des négociants d’Orléans, 1749.
87 Orléans est un des trois premiers centres français de production de moules, avec Bordeaux et Marseille ; Régaldo Pierre, « Les céramiques de raffinage du sucre : typologietechnologie », Archéologie du Midi médiéval, tome 4, 1986, p. 151-166.
88 Villiers Patrick, « La Loire, le sucre et les Antilles aux xviie et xviiie siècles. Quelques remarques », dans Bégot Danielle et Hocquet Jean-Claude (dir.), Le sucre…, op. cit., p. 355-365.
89 Le mémoire a disparu mais il est cité par R. Dion ; Dion Roger, « Orléans et l’ancienne navigation de la Loire », Annales de géographie, no 266, 1938, p. 128-154.
90 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, Mémoires et observations sur les raffineries, 1775.
91 Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 143 sqq.
92 Deerr Noel, The History of Sugar…, op. cit., p. 459 ; Petersson Astrid, Zuckersiedergewerbe und Zuckerhandel in Hamburg im Zeitraum von 1814 bis 1834, Stuttgart, Steiner, 1998, p. 61. G. Nováky insiste sur le faible nombre de personnes impliquées dans l’industrie sur la période 1588-1715 (980 ouvriers) ; Nováky György, « On trade, production… », art. cit., p. 483.
93 AN F12/562, Mémoire sur l’état actuel des manufactures d’une partie de la France, 1790.
94 ADL 2J274, procès Ravot suite à l’achat de la raffinerie de Bel-Air, 1765.
95 ADLA C732.
96 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce…, op. cit.
97 ADL 11J222, livre d’entrée et de sortie des sucres de la raffinerie Ravot.
98 Selon G. Gayot et P. Minard, l’ouvrier qualifié est « celui qui a acquis la maîtrise de son art, et dispose d’une forme de spécialisation » ; Lefebvre Philippe, L’invention de la grande entreprise…, op. cit., p. 35.
99 Les ouvriers sont payés par quartier, tous les trimestres ; certains ne parviennent pas à gérer ces échéances et sont contraints de demander des avances au directeur de la raffinerie. Les délais de paiement sont assez longs comparés à d’autres industries : dans les forges, le salaire est versé tous les mois, voire chaque semaine ; Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 168.
100 ADLA 4E2/1991, apprentissage de Louis Mabon, 4 janvier 1696.
101 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 549.
102 Minard Philippe, « Les formes de régulation du travail en France et en Angleterre au xviiie siècle : une enquête en cours », Les Cahiers de Framespa, no 2, 2006 (en ligne).
103 Gayot Gérard et Minard Philippe (dir.), Les ouvriers qualifiés de l’industrie (xvie-xxe siècle), numéro spécial de la Revue du Nord, no 15, 2001.
104 Léon Pierre, « La réponse de l’industrie », dans Braudel Fernand et Labrousse Ernest (dir.), Histoire économique et sociale, tome 2, Paris, PUF, 1993 (1re édition 1970), p. 69. L’objectif du tableau 4 consiste seulement à donner des ordres de grandeur car le salaire des ouvriers raffineurs n’est pas journalier.
105 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce…, op. cit.
106 ADML 5E4/278, contrat d’engagement de Claude Brissault, 17 mars 1700.
107 Chassagne Serge, Oberkampf. Un entrepreneur capitaliste au siècle des Lumières, Paris Aubier-Montaigne, 1980, p. 38 ; Verley Patrick, Entreprises et entrepreneurs…, op. cit. p. 26.
108 ADLA 4E2/1978 et ADL 11J222.
109 ADL CC114, capitation de 1782.
110 Lacombe Jacques, Encyclopédie méthodique…, op. cit., article « Sucre ».
111 Perrot Michelle, « Le regard de l’Autre : les patrons français vus par les ouvriers (1880- 1914) », dans Lévy-Leboyer Maurice (dir.), Le patronat de la seconde industrialisation, Paris, Éditions ouvrières, 1979, p. 293-306.
112 Rosenband Léonard N., La fabrication du papier…, op. cit., (chapitre IX « Le paternalisme ») ; Noiriel Gérard, « Du “patronage” au “paternalisme” : la restructuration des formes de domination de la main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie métallurgique française », Le Mouvement Social, no 144, p. 17-35.
113 Woronoff Denis, « Conclusion », dans Coquery Natacha et alii, Artisans et industrie…, op. cit., p. 478 ; Woronoff Denis, Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 93.
114 Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique en France pendant la Révolution et l’Empire, Paris, Éditions de l’EHESS, 1984 ; Dewerpe Alain et Gaulupeau Yves, La fabrique des prolétaires : les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas, 1760-1815, Paris, ENS Éditions, 1990 ; Chassagne Serge, Le coton et ses patrons, France, 1760-1840, Paris, Éditions de l’EHESS, 1991 ; Hamon Maurice et Perrin Dominique, Au cœur du xviiie siècle industriel. Condition ouvrière et tradition villageoise à Saint-Gobain, Paris, Éditions PAU, 1993 ; Gayot Gérard, Les draps de Sedan, 1646-1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 1998 ; Rosenband Léonard N., La fabrication du papier…, op. cit.
115 Le Roux Thomas, « L’effacement du corps de l’ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le Mouvement Social, no 234, 2011, p. 103-119 ; Farge Arlette, « Les artisans malades de leur travail », Annales ESC, no 32-5, 1977, p. 993-1006
116 L’expression est empruntée à S. Chassagne ; Chassagne Serge, Le coton et ses patrons…, op. cit., p. 169.
117 ADIL C142, demande d’établissement d’une raffinerie par Lefebvre, 22 février 1755.
118 Chassagne Serge, Le coton et ses patrons…, op. cit., p. 169.
119 Thompson Edward P., « Time, work-discipline and industrial capitalism », Past & Present, no 38, 1967, p. 56-97 ; Thompson Edward P., La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 1998 (1re édition 1963).
120 Maitte Corine et Terrier Didier, « Conflits et résistances autour du temps de travail avant l’industrialisation », Temporalités, no 16, 2012 (en ligne) ; Caracausi Andrea, « Mesurer et contrôler. Les temps de l’organisation du travail dans les manufactures de laine de Padoue (xvie-xviie siècles) », Genèses, no 85, 2011, p. 6-26 ; Arnoux Mathieu, « Relation salariale et temps du travail dans l’industrie médiévale », Le Moyen Âge, volume 115, nos 3-4, 2009, p. 557-581.
121 ADL 33J110, inventaire de la raffinerie Vandebergue, 1738.
122 ADL 33J92, inventaire de la raffinerie Vandebergue, 1755.
123 ADL 11J206, règlement de la raffinerie Ravot, s.d. [vers 1797].
124 Baulant Micheline, « Le salaire des ouvriers du bâtiment à Paris, de 1400 à 1726 », Annales ESC, no 26-2, 1971, p. 463-483.
125 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce…, op. cit.
126 Gayot Gérard, « La longue insolence des tondeurs de draps dans la manufacture de Sedan au xviiie siècle », Revue du Nord, no 248, p. 105-134 ; Rosenband Léonard N., La fabrication du papier…, op. cit., p. 145.
127 ADL 11J206, règlement de la raffinerie Ravot, s.d. [vers 1797].
128 Ces jours sont chômés dans les manufactures de papier ; Rosenband Léonard N., La fabrication du papier…, op. cit., p. 220 ; Vauban estime à 38 le nombre de jours fériés pour un artisan à la fin du xviie siècle ; Vauban, Projet d’une dixme royale (1707), publié par E. Coornaert, Paris, F. Alcan, 1933, p. 74.
129 Guignet Philippe, Mines, manufactures et ouvriers du Valenciennois au xviiie siècle, New York, Arno Press, 1977, p. 664 ; Baulant Micheline, « Le salaire des ouvriers du bâtiment à Paris, de 1400 à 1726 », Annales ESC, no 26-2, 1971, p. 463-483 ; Maitte Corine, « Temps de travail dans les verreries (xve-xviie siècle) », Genèses, no 85, 2011, p. 27-49.
130 Duhamel du Monceau Henri-Louis, L’art de raffiner le sucre, op. cit., p. 546.
131 ADL 11J239, Jean-Pierre Ravot, L’art et le commerce…, op. cit.
132 Minard Philippe, « Réputation, normes et qualité dans l’industrie textile française au xviiie siècle », dans Stanziani Alessandro (dir.), La qualité des produits…, op. cit., p. 69-92.
133 ADL 11J 206, règlement de la raffinerie Ravot ; Gayot Gérard, Les draps de Sedan, 1646- 1870, Paris, Éditions de l’EHESS, 1998, p. 122.
134 ADML 5E69/374, engagement du maître-serviteur Schroder à Tinnebac, 13 septembre 1681.
135 Nicolas Jean, La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661- 1789), Paris, Gallimard, 2008 (1re édition 2002), p. 442.
136 ADML 5E69/373, requête de René Tinnebac, 7 février 1679.
137 ADML 5E6/250, procès-verbal entre Gaspard Vanbredenbec et ses ouvriers, 5 février 1682.
138 Cruz-Jimenez Florian, Étude de la famille Jogues : de son installation à Orléans au xvie siècle à son extinction au xixe siècle, Orléans, mémoire dactylographié, 1995.
139 Woronoff Denis, Histoire de l’industrie…, op. cit., p. 119.
140 Ramazzini, Essai sur les maladies des artisans, traduit par M. de Fourcroy, Paris, chez Moutard, 1777.
141 ADLA B5636, bilan de Martial Gauthier, 11 mai 1774.
142 Journal de l’Orléanais ; Annonces, affiches et avis divers, 29 décembre 1786.
143 Lacombe Jacques, Encyclopédie méthodique…, op. cit., p. 622.
144 ADL 11J215, mémoire en chirurgie du 7 octobre 1770 au 8 juin 1772, 72 livres. À la machine de Marly, qui mobilise 80 ouvriers quotidiennement, le chirurgien fait aussi office de médecin de famille ; Soulard Éric, « La machine de Marly. La politique sociale des Bâtiments du roi face aux accidents du travail », dans Le Roux Thomas, Risques industriels. Savoirs, régulations, politiques d’assistance fin xviie-début xxe siècle, Rennes, PUR, 2016, p. 177-190.
145 ADL 2J274, Mémoire signifié en l’instance au baillage d’Orléans pour les sieurs Ravot, 1769.
146 Maitte Corine, « Temps de travail… », art. cit., p. 34.
147 ADML 5E6/247, conflit entre Gaspard Vanbredenbec et le fermier général, 6 mai 1679.
148 AMO 6F1, note des ouvriers raffineurs travaillant à la raffinerie de la Côte d’Or, an II.
149 ADL 11J201, inventaire de la raffinerie veuve Ravot et Desmadières, 1778.
150 Hamon Maurice et Perrin Dominique, Au cœur du xviiie siècle industriel…, op. cit., p. 214.
151 ADL 33J92, inventaire de la raffinerie Vandebergue, 1755.
152 ADLA B410, information de vie et mœurs de Pierre Felt, 17 novembre 1694.
153 ADL 11J211, livre de caisse Ravot, 1775. Dans le règlement Ravot, à la fin du siècle, une somme d’argent est désormais versée aux ouvriers pour leur nourriture ; ADL 11J206.
154 Woronoff Denis, L’industrie sidérurgique…, op. cit., p. 185.
155 ADLA 4E2/636, marché entre le serviteur Have et Wicard et Souchay, raffineurs, 2 février 1685.
156 ADL 11J215, factures de la raffinerie Ravot de Bel Air, 1767-1775.
157 ADL 11J211, livre de caisse Ravot, 1775.
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