Chapitre II
La naissance de nouveaux marchés : la commercialisation du sucre nantais
p. 57-85
Texte intégral
1Les renouvellements historiographiques sur l’utilisation du terme marché en histoire et la polysémie du terme, à l’origine de nombreuses confusions, nécessitent une mise au point. Aujourd’hui, le marché désigne une aire géographique à géométrie variable (un marché national, européen, local ou international), un secteur économique, le marché du luxe ou des matières premières et enfin l’acte d’achat. Dans une perspective plus abstraite, le marché, celui que P. Norel a choisi d’écrire avec une majuscule pour le distinguer des autres sens, désigne le mode de fonctionnement de l’économie1. Les historiens ont eu tendance à s’approprier le mot mais ils se sont heurtés à une définition issue du courant économique néo-classique2. D’après les économistes B. Coriat et O. Weinstein, le marché serait encore considéré par nombre de leurs confrères comme un espace où se rencontrent l’offre et la demande et de ce face-à-face naîtrait un prix d’équilibre3. Les acteurs du marché seraient rationnels et agiraient pour maximiser leurs profits grâce aux informations dont ils disposent. Les auteurs insistent sur la permanence de ces idées malgré les recherches des sociologues et des historiens. La définition, à l’évidence, n’est pas adaptée aux économies du passé et l’historien de l’Ancien Régime chercherait en vain ce marché idéal. Dans son cheminement, il rencontrerait davantage d’acteurs irrationnels d’un point de vue strictement économique. S. Marzagalli a ainsi montré que les négociants préfèrent satisfaire leur besoin de reconnaissance sociale à la recherche du profit immédiat. Mais à terme, la considération sociale leur permet d’obtenir une place de choix dans le réseau marchand ; elle est promesse de gains futurs et n’est donc pas totalement irrationnelle4. L. Fontaine a mis en évidence les liens de fidélité à l’œuvre dans la pratique du crédit qui font qu’un négociant a le devoir moral de prêter à ses proches ou aux puissants même si ces liens de crédit ne sont pas rentables5. À la rationalité économique se superposent voire s’imposent d’autres logiques morales ou sociales. D. Margairaz et P. Minard, ont souligné la nécessité d’historiciser la notion6. Le marché du xviiie siècle n’obéit pas aux mêmes règles que celui du xxe siècle. P. Gervais a ainsi montré que le marché américain à la fin du xviiie et au xixe siècle se définissait en partie par son caractère monopolistique7. Il appelle les historiens à compléter la définition donnée par les économistes, à construire ses propres outils pour saisir le fonctionnement des marchés anciens et dégager les règles spécifiques. Les dictionnaires du temps aident à clarifier la définition du marché sous l’Ancien Régime. La pluralité sémantique du terme « marché » n’est pas neuve et l’on retrouve trois sens principaux dans l’Encyclopédie : le marché est un lieu de vente, « place publique dans un bourg ou une ville où on expose des denrées en vente », un échange concret entre deux acteurs, « un traité par le moyen duquel on échange, on troque, on achète quelque chose », et un ensemble de transactions qui permettent de définir le prix d’un produit, « Marché se dit pareillement de la vente & du débit qui se fait à beaucoup ou à peu d’avantage. Il faut voir le cours du marché. Le marché n’a pas été bon aujourd’hui8. » La dernière définition laisse dans l’ombre ce qui intéresse l’historien : comment se définit le cours du marché ? Par son abstraction, elle donne une piste et on s’appuiera sur elle pour délimiter le terme de marché comme l’ensemble des échanges qui intéressent un produit, en l’occurrence le sucre. Quel est le fonctionnement spécifique du marché du sucre et comment se déroulent les transactions ? Le marché du sucre est très surveillé étant donné son importance pour l’économie du royaume ; secteur hautement concurrentiel, son marché est segmenté par les demandes distinctes des clients du nord de l’Europe et de l’intérieur du royaume.
Un marché international fortement encadré par l’État
2Selon P. Jeannin, pour qu’un marché soit véritablement international il faut encore qu’il soit intégré, c’est-à-dire que les fluctuations de l’offre et de la demande dans une ville se répercutent sur les autres places consommatrices9. La définition du terme « intégration » fait débat au sein de la discipline économique et l’appropriation d’une notion créée par les économistes s’avère compliquée à manipuler par l’historien. S. Pajot a mis en évidence deux définitions : pour des économistes comme B. Harris, les marchés intégrés correspondent à des espaces où les prix sont fortement corrélés, pour d’autres, tel M. Ravallion, ce sont des lieux géographiques connectés grâce à l’échange10. La question est loin d’être anecdotique car montrer l’intégration des marchés au xviiie siècle revient à prouver l’existence d’un marché global dès la période moderne, une affirmation contestée par les économistes K. O’Rourke et J. Williamson qui considèrent que la globalisation commence seulement à partir de 182011. L’objectif est de saisir le degré d’intégration du marché et d’appréhender le rôle de l’État dans le jeu marchand.
Un marché intégré
3L’origine du sucre est déterminante dans la fixation du prix d’achat sur les marchés extérieurs ce qui tend à prouver une relative segmentation du marché encouragée par les États : en ce siècle par excellence du mercantilisme, les économies nationales se défendent pour préserver leur propre marché. Le Dictionnaire universel du commerce de Savary des Bruslons dans l’article sur le sucre, fournit les prix pratiqués à Amsterdam et détaille les variations selon l’origine. Les sucres du Brésil qu’ils soient raffinés ou non sont les plus prisés.
Tableau 1. Prix de vente des sucres à Amsterdam selon Savary vers 1741. [
Origine | Prix de vente à Amsterdam (en deniers de gros par livre) |
Brésil blanc | 11 à 13 |
Brésil brun | 7à9 |
Indes orientales | 10 |
Barbades | 6,5 à 7,5 |
Saint-Domingue | 5,25 à 6,75 |
Martinique | 5,25 à 6 |
Source : Savary des Bruslons Jacques, Dictionnaire universel du commerce, Paris, veuve Estienne et fils, 1748 article « Sucre »]
4La pluralité du marché sucrier ne doit pas induire en erreur : les marchés de sucre ne sont pas imperméables mais connectés les uns aux autres. Lorsque le sucre de Saint-Domingue, prisé par les raffineurs ligériens, fait défaut, ils se reportent sur le sucre brésilien, comme l’indiquent Foucault et Pitteu, négociants nantais, dans une lettre à leur client, le raffineur Ravot.
Il reste encore quelques sucres bruts de l’Inde en sacs que l’on vend en brut de 150 à 190 livres et en terré de 200 à 207,50 livres. Cette dernière espèce est assez satisfaisante pour la couleur, on s’en accommode à merveille dans l’épicerie. Nous connaissons votre répugnance pour le brut ci-dessus qui effectivement nous paroit mieux convenir pour la balance par assortiment. C’est dans ces circonstances que l’on se flatte de voir arriver ici incessamment un petit navire de Lisbonne qui doit apporter quelques sucres terrés et bruts du Brésil12.
5K. Rönnbäck, dans sa thèse sur le commerce atlantique à la période moderne, a montré grâce au calcul de coefficients de corrélation la convergence des prix du sucre sur les principales places européennes dès le xviiie siècle13. L’intégration des marchés a des implications concrètes sur les pratiques des négociants comme en témoigne leur correspondance. Deux préoccupations apparaissent régulièrement : les variations du prix d’une qualité de sucre qui influent sur les autres et les variations du cours du sucre sur une place européenne qui modifient les prix sur une autre place. Les négociants font le lien entre les augmentations du prix du sucre terré et du brut : en 1787, le raffineur Ravot qui demande 50 barriques de sucre brut à Delaville, son fournisseur habituel, pâtit de la flambée des prix du terré acheté par la Hollande.
C’est la demande de la Hollande surtout qui en faisant hausser les sucres de bonne qualité de près de 25 % depuis un an a poussé le prix des autres sortes. J’achète encore journellement pour compte d’amis d’Amsterdam jusqu’à 95 livres des basses troisièmes qui ne valoient que 28 livres il y a dix-huit mois […].14
6Conscients de l’insertion de la place nantaise dans un marché à l’échelle européenne, les négociants du lieu observent les récoltes des pays étrangers pour deviner le futur cours du sucre :
J’espère que cela vous mettra a même de faire des achats à prix plus modérés que ceux faits depuis 2 mois qui ont été bien chers surtout pour les sucres bruts. Ils sont encore demandés de l’étranger cependant j’ai vu qu’ils sont bon marché à Londres la récolte ayant été abondante dans les colonies anglaises. Je présume que nos sucres devront baisser progressivement.
7De la même manière, ils se préoccupent du contexte international même lorsque la France ne prend pas part au conflit. En 1787, Delaville s’inquiète de la déclaration de guerre de l’empire ottoman à la Russie et craint une augmentation sensible des prix. Les tensions qui touchent l’Asie rejaillissent sur le cours du sucre en Europe. Les États et leur politique militaire et économique sont donc au cœur du jeu marchand.
Le sucre, une manne financière : l’intervention de l’État dans le jeu marchand
8Les décisions politiques sont essentielles pour comprendre le fonctionnement du marché à l’époque moderne. Les travaux historiques reflètent les contradictions des contemporains, tiraillés entre libéralisme et interventionnisme15. Dans le secteur du pain et des céréales, si l’État cherche à encadrer les échanges marchands, c’est en premier lieu pour répondre à une demande sociale d’une « économie morale » et d’un juste prix16. Le sucre n’est pas un produit de première nécessité comme le pain, pourtant son commerce est fortement réglementé, parfois de manière contradictoire : la politique fiscale de l’État et ses effets sur le marché du sucre réclament quelques éclairages.
La régulation du commerce extérieur : les principes mercantilistes
9Le mercantilisme est la première raison de la politique sucrière de l’État17. L’objectif essentiel est de faire rentrer l’or et l’argent indispensables au financement des guerres et aux dépenses de l’État fortement endetté18. Le sucre retient particulièrement l’attention car l’essor du produit colonial est une aubaine pour remplir les caisses du royaume. Les recettes fiscales tirées de la perception du droit de 3 % par le domaine d’Occident donnent la mesure de l’enjeu économique. L’impôt, instauré en 1671, est perçu sur les denrées des îles d’Amérique : il s’élève à 33 sols 4 deniers par quintal de sucre brut et à 40 sols sur les sucres terrés et raffinés venant des îles et introduits en France19. Entre 1775 et 1789, les recettes perçues par la Ferme s’élèvent en moyenne à 2,1 millions de livres par an20. Pour donner un ordre de grandeur, les recettes perçues sur le sucre correspondent aux deux tiers des recettes totales du domaine d’Occident et il ne s’agit là que d’un impôt parmi la multitude qui touche les sucres. Le pouvoir royal assume ces prélèvements et les justifie par les besoins financiers entraînés par les guerres21. Le gouvernement met donc en place des mesures pour protéger le marché national et encourager les exportations de sucre brut.
10En 1664, 1665 et 1667, Colbert met en place des tarifs protecteurs pour le sucre produit dans les colonies françaises22. Les droits perçus sont de 4 livres pour 100 livres de sucre en provenance des colonies françaises quelle que soit leur qualité et s’élèvent à 15 livres pour les cassonades du Brésil. En 1670, la mesure est renforcée et les sucres des colonies françaises paient deux fois moins de droits (2 livres). Les tarifs ont pour but d’éviter la concurrence des sucres étrangers. Le traité commercial signé avec l’Angleterre en 1713, censé mettre un terme à l’escalade tarifaire entre les deux pays, est emblématique de la politique protectionniste qui entoure le marché du sucre23. Le traité prévoit la libéralisation du commerce entre les deux pays grâce au retour aux tarifs de 1664, plus avantageux. Pourtant, quatre produits sont exceptés de l’accord et le sucre figure dans la liste, la France a donc lutté pour préserver son marché. Les tarifs fixés sous Colbert, les périodes de guerres mises à part, restent en vigueur jusqu’en 1786. Parallèlement aux tentatives protectionnistes, le pouvoir tente de conserver les sucres bruts en France en interdisant les exportations à l’étranger24. La loi vise à dynamiser l’industrie du raffinage en France : le sucre brut, limité au seul commerce intérieur, devrait voir son prix baisser au bénéfice des industries de transformation. La mesure est prise par Colbert qui peine à la faire respecter car elle déplaît aux négociants, privés d’un débouché important. En avril 1671, il rappelle à l’ordre les marchands nantais qui laissent les sucres bruts partir pour l’étranger.
Messieurs, je vous ay escrit pour vous faire connoistre que le Roy ayant esté informé que les Hollandois enlèvent de Nantes les sucres bruts venant des isles et les portent dans leur païs pour y estre raffinez et ensuite transportez dans le royaume et les païs estrangers, il estoit important que vous prissiez promptement de bonnes mesure pour empescher la continuation de cet abus qui est si contraire à l’intention qu’a le roy de faire raffiner en France tous les sucres venant des isles françoises de l’Amérique.25
11En représailles, le roi supprime les passeports accordés aux marchands pour commercer avec les îles. La punition est éphémère, puisque dès décembre les passeports sont rendus, mais l’interdiction d’exporter des sucres bruts, elle, reste en vigueur jusqu’en 1717. Pendant cette période, les négociants se plaignent de ne pas parvenir à écouler leurs sucres et les fraudes se multiplient26. Le directeur des Fermes sollicite l’appui du ministre Nicolas Desmarets et met en avant le préjudice subi par les raffineries du royaume : « les marchands de Nantes prétendent envoyer les sucres teste de forme à l’étranger comme terrés quoiqu’ils servent d’aliments aux raffineries du royaume ». Pour lui, la fuite du sucre brut explique la chute du nombre des industries à Nantes : « de 11 raffineries qui étoient en 1700 dans la ville de Nantes il en reste à peine deux ou trois qui soient en état de travailler ». Il s’agit surtout d’une perte financière pour le fermier car les droits sont plus élevés sur les sucres bruts qui entrent dans le territoire des Cinq grosses fermes. Les juges consuls nantais sont reçus le 17 août 1715 par Gérard Mellier, trésorier de France et général des finances, représentant du ministre Desmarets : ils le supplient de « leur accorder la permission d’envoyer à l’étranger des sucres bruts sans payer aucuns droits […] les colonies françaises fournissent à présent des sucres si abondamment que non seulement il y en a pour la consommation du royaume mais encore pour une partie de l’Europe en sorte qu’il n’est pas à craindre que le royaume en puisse manquer ». Les sources restent muettes sur la suite de l’affaire mais les négociants finissent par obtenir satisfaction en 1717 lors de la promulgation de nouvelles lettres patentes.
12Les principaux ports, dont Nantes, obtiennent en 1717 le privilège exclusif de commercer avec les colonies. Les lettres patentes instaurent le droit d’entrepôt pour les ports de Calais, Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Sète. Un droit d’entrepôt avait déjà été accordé en 1690 à Marseille, Dunkerque, Saint-Malo, Nantes et Bayonne pour les sucres étrangers destinés à la réexportation27. Le délai est fixé à deux mois, une durée jugée beaucoup trop courte par les négociants28. À partir de 1717, toutes les marchandises coloniales, y compris françaises, peuvent être entreposées et réexportées vers l’étranger après le paiement d’un droit unique : les 3 % du domaine d’Occident29. Désormais le sucre brut français peut conquérir les marchés extérieurs au grand dam des raffineurs qui entrent en concurrence avec les acheteurs étrangers. Ces mesures ont pour but de favoriser la réexportation mais elles pénalisent les raffineries françaises qui « touchent à leur décadence » selon les industriels. Ces derniers demandent au pouvoir royal la suppression des lettres patentes de 171730. La législation sur le commerce extérieur évolue peu, sauf lors des guerres, marquées par la faiblesse de l’approvisionnement sucrier. La guerre de Sept Ans est un bon exemple du pragmatisme de l’État dans la gestion des importations : de 1758 à 1762, une série de mesures est prise pour faciliter les importations de sucre brut et approvisionner les raffineries du royaume qui manquent de matière première31. Les droits sur les sucres étrangers provenant de prises sont baissés, puis en août 1759, tous les sucres bruts « sans distinction venant directement de l’étranger » sont diminués à 5 livres le cent. On peut s’interroger sur l’efficacité de mesures prises si tardivement : les importations ont chuté dès 1757 et la décision de 1758 est bien timide. Les mesures s’enchaînent sans améliorer la situation ; il faut attendre 1762 pour que les sucres provenant des colonies françaises soient exemptés de tous les droits prévus en 1717. L’assouplissement des tarifs doit encourager les négociants à prendre le risque de la traversée maritime. Mais il est bien tard et l’arrêt dévoile la situation difficile des raffineries :
Sur ce qui a été représenté au roi en son conseil que les raffineries du royaume n’ont pas trouvé un secours suffisant dans la modération faite par l’arrêt du 25 aout 1759 sur les droits des sucres bruts qui ont été réduits par cet arrêt, que ces raffineries sont encore dans l’inaction et prêtes à tomber en ruine […].
13Le tarif de 1717 est maintenu jusqu’en 1791, date à laquelle les droits sont modérés : 15 sols pour les sucres bruts et 25 pour les terrés ; seuls les droits sur les sucres raffinés augmentent de 22 livres 10 sols à 25 livres le cent32. Toutes ces mesures visent à protéger le marché français de la concurrence extérieure mais sont parfois contradictoires et favorisent certains groupes, marchands ou industriels, qui font pression sur l’État. On observe les mêmes mécanismes au sein du territoire français : les droits sont hétérogènes et créent des inégalités entre les provinces.
Droits intérieurs : vers un marché national du sucre ?
14« Rien ne semble aller mieux de soi pour un historien que la notion classique de marché national », selon F. Braudel33. Pourtant, sans chercher un marché national unifié et caractérisé par des prix identiques d’un point à un autre, le marché du sucre apparaît très segmenté. Comment justifier la succession des réglementations appliquées au commerce intérieur et la subsistance de tarifs au sein du royaume, alors même que certains pays européens comme l’Angleterre se débarrassent de leurs douanes intérieures ? L’étude du commerce du sucre entre la province de Bretagne réputée étrangère et le territoire des Cinq grosses fermes servira de fil conducteur pour expliquer les différences fiscales.
15Les lettres patentes de 1717 sont un bon exemple des hésitations de la monarchie qui oscille entre uniformisation du marché national et octroi de privilèges. L’article XXV instaure une taxe identique pour tout le royaume. Dans le même temps, les lettres confirment les privilèges de certains ports et instaurent des régimes fiscaux différents. Selon l’article XVII, les treize ports qui ont obtenu le privilège de commercer avec les colonies obtiennent le droit de faire transiter les sucres terrés et la cassonade par l’intérieur du royaume vers l’étranger sans payer de droits d’entrée et de sortie (les 3 % dus au domaine d’Occident mis à part34). Les taxes sur les sucres importés à Nantes sont identiques à celles fixées pour les autres ports mais s’y ajoute un droit local, le droit de prévôté, qui n’est pas restituable en cas d’exportation vers l’étranger (article XXI) et qui déséquilibre le rapport de force entre les ports du royaume. Ceux de Bretagne ne bénéficient pas non plus de la restitution des droits d’entrée sur le sucre raffiné exporté vers l’étranger, un privilège accordé à quatre ports seulement : Bordeaux, La Rochelle, Rouen et Dieppe (article XXXI). Il n’existe donc pas de marché national au sens strictement économique du terme, puisque malgré quelques tentatives pour unifier le commerce du sucre, l’État maintient les privilèges accordés à certains ports. Les marchands de certaines villes portuaires exercent une pression régulière sur la monarchie, comme les Bordelais, Rochelais et Rouennais, très actifs. Les Nantais pâtissent de ce lobbying et les accusent d’abuser de leurs puissants soutiens.
Ils se sont efforcés par des mémoires particuliers de faire connoistre à Messieurs les fermiers généraux le tort qu’ils font […] mais comme les raffineurs de La Rochelle et Rouen ont des patrons auprès desdits fermiers ceux de Nantes n’ont pas eu le bonheur d’être favorablement écoutés.35
16La monarchie est sévère avec les marchands de la province réputée étrangère ; sans doute pâtissent-ils du rattachement récent de la province à la France, en 1532. La Bretagne, jalouse de ses privilèges, est restée longtemps rétive à l’emprise de l’État et à ses ponctions fiscales ; elle est d’ailleurs la dernière région française à recevoir un intendant en 168936. Elle a mauvaise réputation et la révolte du papier timbré en 1675 est encore présente dans les mémoires. Elle est aussi accusée de privilégier ses relations avec l’étranger au détriment du royaume : en toute illégalité, les Nantais servent de prête-noms aux marchands étrangers.
Le Roi ayant fait défenses aux étrangers d’aller négocier en ses Isles de l’Amérique afin de laisser faire commerce tant par la compagnie des Indes Occidentales que par ses autres sujets, lesdits étrangers auroient pratiqué toutes sortes de moyens pour se le conserver tantost en surprenant des permissions et d’autres fois en s’introduisant dans lesdites isles sous les noms mandiez des François ce qui auroit obligé sa majesté d’ordonner par arrest du 12 juin 1669 que tous les passeports pour lesdites isles ne seroient donnés à l’avenir que par elle et à ses sujets seulement.
Et comme par ce moyen lesdits étrangers se seroient trouvés entièrement exclus de ce commerce ils auroient pratiqué quelques négociants de Nantes sous les noms desquels ils l’auroient continué, par la facilité qu’ils ont eu de faire sortir de la ville, les sucres bruts venant desdites Isles sans payer aucuns droits.37
17La fraude nuit à la réputation des marchands et les requêtes des Nantais sont souvent examinées avec suspicion par le pouvoir royal. Un dernier élément explique les différences de traitement fiscal entre les provinces : le souci d’équité du pouvoir royal. Paradoxalement, tout en ménageant des privilèges, l’État tente d’assurer la libre concurrence entre les provinces, en vain. De multiples mémoires de la part des chambres de commerce présentent des calculs interminables sur le prix d’un quintal de sucre vendu à Paris selon sa provenance (Rouen, Nantes, Bordeaux). Chaque communauté tente d’expliquer à quel point sa situation est injuste : c’est tantôt le coût de la main-d’œuvre qui est plus élevé, tantôt le coût du bâti et donc de l’entrepôt des sucres, tantôt le coût du transport. Or les coûts sont difficilement mesurables pour chaque place et le pouvoir royal est dans l’incapacité de vérifier les propos des négociants. Dans un énième mémoire, les marchands nantais réclament une baisse des droits et rejettent l’argument d’équité : « Peut-être objectera-t-on (car souvent l’envie a suscité de pareils moyens contre Nantes) que cette ville faisant un commerce extérieur très considérable elle doit laisser le raffinage aux villes du dedans38. » Ils prônent la libre concurrence qui ne peut être que favorable au royaume mais, dans le même mémoire, s’insurgent contre les négociants rouennais qui réclament la fin d’un droit local de 50 sols perçu sur les sucres qui ne leur permet pas de concurrencer les autres ports du royaume.
18Le souci d’équité ou de la libre concurrence est affaire de contexte : les négociants défendent ou non ces principes en fonction de leurs intérêts personnels. On retrouve ici les mécanismes mentaux décrits par J.-P. Hirsch pour ses négociants lillois qui attendent à la fois protection et libéralisme de la part de l’État et poursuivent ainsi les deux rêves contradictoires du commerce39.
Les marchands contre l’État : les pratiques frauduleuses
19La fraude fiscale est un élément récurrent des échanges, quels que soient les espaces et les périodes ; c’est un ressort essentiel de la relation entre l’État et les négociants40. Le phénomène naît de l’existence de normes et de la réglementation du commerce41. Tenter d’en prendre la mesure est hypothétique, la fraude est par essence discrète et les faits ne sont pas comptabilisés dans des registres. Il est pourtant possible d’en définir les contours et d’identifier les stratégies marchandes pour contourner la loi.
20Les marchands rivalisent d’audace pour tromper la vigilance des fermiers généraux et jouent avec les règlements sur les qualités de sucre. La multiplicité des droits perçus facilite leur tâche comme l’atteste la liste des taxes imposées sur les sucres au bureau d’Ingrandes, lors de leur passage dans le territoire des Cinq grosses fermes, en 1699.
Sucre moscouade : 4L 6s 5d
Sucre blanc raffiné aux Iles : 6L 6s d
Sucre cassonnade du Brésil blanche ou grise : 15L 6s 5d
Moscouade du Brésil : 7L 16s 5d
Barboude, panelle et sucre de Saint-Thomas : 6L 6s 5d
Sucre raffiné en pain ou en poudre candis blanc ou brun venant des pays étrangers : 22L 16s 5d
Sucre commun en pain ou pilé venant des raffineries de Nantes : 16L 2s 6d
Sucre royal des raffineries de Nantes : 22L 2s 6d
21Plus tard dans le siècle, les droits sont simplifiés mais la tentation est grande de falsifier les qualités de sucre tant ils diffèrent de l’une à l’autre. La technique la plus couramment utilisée consiste à faire passer du sucre raffiné, habituellement sous forme de pain de sucre, en cassonade pilée, pour le confondre avec du sucre terré, moins imposé.
Les raffineurs […] n’hésitent pas à faire piler ceux dont la raffinerie n’a pas été portée à un certain degré de perfection lorsque la consistance ou la qualité n’en est pas bien conditionnée. Ils ne se vendent pas tout à fait si cher que les sucres en pain mais il est sur qu’ils ne les vendent pas comme cassonade. Les épiciers qui en savent faire la différence en donnent un prix bien au dessus et les revendent dans le même état aux limonadiers pour mettre dans le thé et le café.42
22La tromperie nécessite la complicité des détaillants qui profitent de l’aubaine pour s’approvisionner à moindre coût. La fraude se multiplie en temps de guerre à cause de la pénurie. En 1799, le négociant Foucault indique à son correspondant, le raffineur orléanais Ravot, que le peu de sucre qui arrive en cette période troublée vient d’un navire neutre de Hambourg : son propriétaire parvient à le faire passer pour du brut afin de payer moins de droits mais le vend au prix du terré43. Une autre pratique consiste à falsifier les certificats de provenance ou de destination afin de récupérer des acquits-à-caution indus. En 1716, pour inciter les négociants à augmenter le trafic négrier, l’État a souhaité exempter les sucres provenant de la traite de la moitié des droits. Des « acquits de Guinée » sont délivrés par le bureau du domaine dans les colonies et servent de certificat aux négociants lors du retour des marchandises en France mais le dispositif est sans cesse contourné44. Le négociant nantais Delaville se livre à ce type de calcul en 1787 dans sa correspondance avec le raffineur orléanais Ravot45. Il doit lui expédier du sucre brut et déplore la suppression des acquits de Guinée qui « fait sortir les sucres bruts chers chez vous ». Dans une seconde lettre, il lui propose de frauder : « Je consulterai s’il consent de les vous expédier par acquis de Guinée avec sommation. Cela peut vous épargner quelque partie de droits au cas que les acquits de Guinée soient jugés valides. » Il compte sur l’ignorance des commis des fermes mais, face à la frilosité de son correspondant, renonce à la manœuvre : « Je pense bien que nous expédierons sans acquit de Guinée qui pour me donner mince épargne exposent à un procès long avec les fermiers généraux et qui a ce que je vois ne serait pas de votre goût. » Lorsque la fraude est attestée, les marchandises sont saisies, les droits valides doivent être versés et une amende est infligée au contrevenant, de 75 à 300 livres46. Les négociants hésitent à frauder ou à s’opposer directement au fermier général qui a le pouvoir d’immobiliser la marchandise au bureau des traites : le plus souvent ils paient pour ne pas perdre les sucres, très périssables et exposés aux intempéries. Les négociants s’engouffrent donc dans les brèches de l’arsenal législatif mais ces exemples ne doivent pas induire en erreur : les négociants disposent d’une marge de manœuvre assez faible pour frauder et tous n’en ont pas l’ambition, la frilosité de Ravot l’atteste. Les sources qui émanent du pouvoir royal et les mémoires de fermiers généraux sont un prisme déformant des pratiques marchandes.
23Le sucre, en raison de l’essor du trafic, devient un enjeu financier puissant et l’objet de pratiques frauduleuses directement liées à l’encadrement du marché par l’État qui tente de protéger la production française face à la concurrence étrangère et crée, par des artifices fiscaux, une relative homogénéité du territoire. La régulation du commerce est d’autant plus délicate que les intérêts entre les acteurs qui interviennent sur les marchés intérieur et extérieur sont souvent opposés.
Nantes : une périphérie du Nord
24Le rôle du commerce maritime intra-européen dans l’économie, longtemps négligé au profit du grand commerce maritime, a été réévalué. Les liens commerciaux entre la France et l’Europe du Nord sont désormais mieux connus ; la voie ouverte par M. Morineau et P. Jeannin a été renouvelée par les travaux de P. Pourchasse47. Ce dernier a montré que la France agissait en véritable périphérie des pays du Nord : elle les approvisionne en matières premières destinées à être transformées. L’étude des réseaux marchands révèle que les négociants français ne sont pas les maîtres de la redistribution. Les étrangers dominent la filière : il s’agit de saisir les raisons de cet échec. Nantes est l’archétype de ce modèle : le port approvisionne en sucre les pays européens et ses négociants délaissent le trafic au profit des armateurs étrangers.
Nantes : le second port français d’exportation de sucre
25Alors que la ville importe du sucre à la fin du xviie siècle, elle devient un des principaux ports exportateurs au milieu du xviiie siècle. Les États récapitulatifs des marchandises venues des Colonies et sorties du Royaume dressés pour la perception de la ferme du domaine d’Occident permettent d’établir un portrait assez fidèle du rythme des exportations et de cartographier les marchés48. Les clients de Nantes et des autres ports atlantiques sont dissemblables ; il s’agit d’expliquer ces écarts.
26Avec 26,9 millions de livres exportées, Nantes est le second port exportateur de sucre en 1788 mais arrive loin derrière Bordeaux (64,949). Le port exporte majoritairement du sucre brut au cours du xviiie siècle, le raffiné est exporté en quantités minimes : de 1730 à 1779 seulement 0,4 million de livres de sucre raffiné sont exportées contre 424,6 de sucre brut et 275,1 de terré.
Graphique 6. Entrées et sorties des sucres dans le port de Nantes, de 1730 à 1788.

Sources : ADLA C706, 716, 717
27Au début du siècle, le port réexporte plus des deux tiers des sucres, Nantes suit la tendance nationale : la France réexporte en moyenne entre 70 et 80 % du sucre importé50. Puis la part des réexportations baisse au cours du siècle mais atteint toujours plus de la moitié du stock. Le port exporte du sucre vers l’Europe du Nord (les villes hanséatiques, la Hollande, la Flandre, la Suède, le Danemark, la Russie et dans une moindre mesure la Prusse et l’Angleterre) et l’Europe du Sud (l’Italie, l’Espagne, le Portugal51). Les marchés du sucre restent stables malgré les conflits qui parcourent le siècle.
Graphique 7. Destinations du sucre nantais toutes qualités confondues, de 1730 à 1779.

Sources : ADLA C706, 716, 717
28La Hollande, qui désigne les sept provinces unies, est le premier partenaire commercial de Nantes : elle retire près de la moitié du sucre au cours du siècle (335,8 millions de livres52). Le port est représentatif : la France est le principal fournisseur de la République53. Le Nord, qui désigne les villes hanséatiques de Lübeck, Hambourg et Brême, occupe la seconde place avec un tiers des achats (234,1 millions de livres). La part des deux ensembles régionaux, le Nord et la Hollande, est stable au cours du siècle. La part de la Flandre est en augmentation constante ; à la fin du siècle elle emporte près de 10 % des sucres nantais. Les chiffres reflètent l’essor des raffineries d’Anvers et de Bruges. Seule la part de l’Espagne chute de 8 à 1 % entre 1730 et 1770 suite à l’arrêt du 27 janvier 1726 qui permet aux négociants français de porter en droiture des îles françaises de l’Amérique dans les ports d’Espagne les sucres de toutes espèces à l’exception des sucres bruts54. Les guerres ont une influence sur les partenaires commerciaux historiques mais, si elles entraînent une réorientation du trafic, leurs effets sont souvent ponctuels. Pendant la guerre de Succession d’Autriche, suite à la victoire de la France sur les Pays-Bas autrichiens, la Flandre n’achète plus de sucre en 1745. La Hollande, directement menacée, limite aussi ses achats : ils sont divisés par cinq et sa part dans les exportations nantaises passe de 66 % en 1744 à 26 % en 174555. La baisse s’explique aussi car la Hollande importe directement du sucre français par le biais de l’interlope grâce à l’île de Saint-Eustache, devenue un entrepôt majeur du commerce neutre dans les Antilles56. Le trafic est réorienté vers le nord qui importe 51 % du sucre nantais en 1745, contre 29 % en 1744. Mais le commerce reprend vite ses droits et dès 1749 les pays retrouvent leur place antérieure au conflit. La guerre a un effet de courte durée sur la géographie des aires commerciales et le trafic est rarement coupé avec les pays en guerre.
29L’échelle urbaine est un second niveau d’analyse pertinent pour étudier la filière car les ports sont les véritables pôles de commandement du commerce colonial57. Les registres de passeports délivrés aux capitaines par l’Amirauté de Nantes pour exporter les marchandises, établis entre 1673 et 1777, sont une source précieuse pour cartographier les principaux centres du commerce du sucre58. En 1710-1712, Bayonne est une escale majeure sur la route du cabotage vers l’Espagne puisqu’elle reçoit 52 des 110 cargaisons relevées dans les registres, 65 % du trafic de sucre59. C’est un partenaire commercial essentiel notamment en temps de guerre ; lorsque l’Amirauté de Nantes ne délivre plus de congés de sortie pour les pays ennemis de la France, Bayonne devient l’entrepôt des produits coloniaux nantais à destination de Bilbao60. À cette date, le trafic reste faible car l’exportation du sucre brut est encore interdite. Les cartes des années 1725-1727 mettent en évidence l’extension du trafic, la multiplication des destinations et le déplacement vers les ports du nord de l’Europe.
Carte 1. Destination des sucres nantais en 1725-1727, d’après les registres de passeports.

Sources : ADLA B4691-B4693
30De plus en plus de villes s’impliquent dans le commerce sucrier : au début du siècle, Nantes commerce avec moins d’une dizaine de ports ; dès 1725, le nombre passe à 27. C’est le port d’Amsterdam qui arrive en tête des exportations avec 7 812 barriques de sucre (13,1 millions de livres). Dès 1725, Amsterdam, Rotterdam et Hambourg sont les principaux ports destinataires. Hambourg domine les échanges car elle compte au milieu du siècle 200 raffineries qui occupent 8 000 personnes61. C’est aussi un grand centre de redistribution des sucres vers la Baltique62. C’est une voie d’entrée vers l’espace allemand et bien au-delà vers la Pologne, l’Autriche et l’Italie. Les deux ports hollandais sont défavorisés sur ces marchés à cause de surcoûts fiscaux. Ainsi sur le trajet de Francfort vers la mer du Nord, le passage par Hambourg est 37 % meilleur marché que celui via Amsterdam63. Au milieu du siècle, Nantes est le second port d’exportation de sucre vers Hambourg après Bordeaux64. Dans les décennies suivantes, les trois ports continuent d’occuper les premières places65.
Carte 2. Destination des sucres nantais en 1789-1792, d’après les registres de passeports.

Source : ADLA L366
31Les chiffres relativisent la montée en puissance de l’entrepôt hambourgeois au détriment d’Amsterdam et Rotterdam dans le commerce du sucre66. Les chercheurs ont semble-t-il exagéré le déclin de la Hollande car l’industrie du raffinage se porte bien, et le nombre de raffineries est en plein essor67. Amsterdam reste bien le principal entrepôt sucrier de l’Europe du Nord et ce tout au long du xviiie siècle.
32Les ports destinataires des denrées coloniales nantaises diffèrent peu de ceux relevés pour Bordeaux. Les deux écarts notables sont la place de Bruges et la faiblesse des relations commerciales avec les ports de la Baltique68. D’après les comptes du Sund des années 1723-27, près de 93 % des sucres français proviennent de Bordeaux ; à la fin du siècle, on note une légère progression du port nantais69. Entre 1770 et 1789, le sucre nantais arrive dans la Baltique : Stettin, Dantzig, Stockholm, Copenhague et Saint-Pétersbourg sont désormais des clients du port ligérien70. Pourtant, le port ne profite pas pleinement de sa situation sur le marché européen pour maîtriser l’intégralité de la filière : il délaisse le transport du sucre aux marchands du Nord.
Le fret vers les pays européens : un marché aux mains des étrangers
33Selon le consul français de Bergen en 1787, « le commerce et la navigation dans le Nord ont toujours été beaucoup négligés par les Français71 ». Alors que G. Le Bouëdec voit dans leur absence un certain réalisme des armateurs français, P. Pourchasse évoque le manque d’ambition du monde négociant72. Sans prétendre trancher ce débat historiographique, il est possible de l’éclairer grâce aux renseignements récoltés à Nantes pour comprendre quelles sont les raisons qui poussent les négociants à se détourner du trafic. Les registres de passeports confirment le déclin de l’affrètement français vers le nord ; un déclin justifié par les négociants qui mettent en avant leur manque de compétitivité.
Un délaissement progressif au profit des navires étrangers
34Les cartes mettent en évidence la disparition des ports français dans la redistribution du sucre en Europe au profit des Hollandais, grands centres du cabotage européen73. En 1710, les ports français sont bien représentés dans le commerce de réexportation ; les navires se chargent d’approvisionner l’Espagne (Bilbao et Cadix). En 1725-1727, le fret du royaume soutient encore la concurrence des ports hollandais : près d’un tiers des navires au départ de Nantes vers l’étranger est français (53 sur 17174), comme l’indique la carte 3 (ci-après).
3553 navires français s’aventurent vers les côtes européennes : ils transportent près d’un tiers des barriques destinées à l’étranger75. Les navires qui proviennent majoritairement de l’aire portuaire nantaise ne se contentent plus des côtes espagnoles, plus accessibles que les côtes de la mer du Nord : ils approvisionnent aussi Amsterdam (11 navires), Rotterdam (8) et Hambourg (5). Dès le début du siècle, le golfe du Morbihan et les ports vendéens constituent une flotte de service pour Nantes76. L’écart avec les navires hollandais apparaît au début du siècle : dès 1725, davantage de navires hollandais se chargent du trafic vers l’étranger (55 navires sur 171). En 1750-1752 et en 1770-1772, plus un seul navire français n’est mentionné (cf. carte 4 ci-après).
36Les Hollandais dominent le trafic : en 1770-1772, ils transportent 193 cargaisons de sucre sur 287 soit 67 % du trafic. Amsterdam et Rotterdam restent au premier rang mais sont de plus en plus concurrencés par une multitude de petits ports frisons (Leeuwarden, Grouw, Wokkum, Dokkum regroupés avec Sneek sur la carte) et par le port zélandais de Zierickzee. À la fin du siècle, les ports néerlandais sont confrontés à la montée en puissance des ports de la Baltique qui se chargent d’exporter leurs propres marchandises : en 1770- 1772, sur les 28 cargaisons de sucre à destination de la Baltique, plus de la moitié (16) est affrétée par des ports de la région au détriment des Hollandais. La montée du port de Stockholm s’explique par les nouvelles mesures protectionnistes prises en 1724. Elles réservent le fret des marchandises étrangères aux navires suédois ou originaires du pays d’exportation, excluant de fait le fret hollandais77. Ces éléments confirment le rôle de véritables rouliers des mers des Hollandais au xviiie siècle mais nuancent leur suprématie dans tous les espaces. La Baltique semble leur échapper. Ces résultats sont confirmés par la baisse de la part des caboteurs hollandais au passage du Sund qui passe de 50 à 20 % de 1720 à 177078. Les Hollandais ne sont désormais plus les seuls à assurer la réexportation des produits coloniaux en Europe. Les Nantais font donc face à une concurrence de plus en plus rude pour la commercialisation de leurs matières premières vers le nord ; un défi qu’ils n’ont pas tenté de relever.
Carte 3. Provenance des navires qui redistribuent le sucre nantais vers l’étranger en 1725-1727.

Sources : ADLA B4691-B4693
Carte 4. Provenance des navires qui redistribuent le sucre nantais vers l’étranger en 1770-1772.

Sources : ADLA B470-B4701
Les raisons de l’échec français dans la redistribution des produits coloniaux
37Dans un mémoire des députés du commerce conservé dans les archives du consulat, Observation sur le commerce du Nord relativement à la France, on peut lire le constat suivant : « la navigation française pour la mer Baltique est restée dans un état de médiocrité qui étonne79 ». Le jugement sévère, dressé pour le commerce du sucre à Nantes, est valable pour l’ensemble des marchandises et des ports français. Le mémoire donne la provenance des navires qui passent le Sund en 1767 : sur 6 495 on compte 2 273 navires hollandais, 2 779 de diverses nations du Nord, 1 431 anglais et seulement 10 français. Comment expliquer une telle domination des Hollandais et surtout l’absence des navires français dans un trafic aussi dense ? Les marchands nantais, interrogés à plusieurs reprises par le pouvoir royal, ont dès 1701 mis en avant l’habileté des Hollandais80. Un des négociants les plus brillants du temps, Joachim Descazeaux du Hallay député de Nantes, enterre même tout espoir de les concurrencer sur les mers.
Mémoire du sieur Descaseaux du Hallay député de Nantes pour justifier qu’il est important de laisser aux étrangers nous apporter leurs marchandises en France pour leur propre compte et par leurs propres navires sans nous piquer de les aller chercher chez eux par nos vaisseaux. Idem de les laisser enlever et transporter nos denrées chez eux pour leur propre compte et par leurs propres navires plutôt que de les leur envoyer a vendre pour le nostre, par nos vaisseaux.81
38Sa justification est brève ; les Hollandais sont plus économes et leur habileté sur les mers est un trait culturel.
Le pais de ces étrangers ne produisant rien toute leur ressource gît dans l’économie de leur navigation et de leur commerce […], ils habitent leurs vaisseaux avec leurs femmes et leurs enfants, ils leurs tiennent pour ainsi dire lieu de maison surtout dans la navigation du Nord estans tous matelots.
39Certains négociants apportent des réponses plus étayées à la domination hollandaise. Ils développent trois arguments principaux : le faible coût du fret hollandais (« les Hollandais naviguent à meilleur marché »), le « bas prix de l’intérêt de l’argent » et enfin les réseaux marchands. Selon les négociants nantais on compte de « nombreux établissements et de maisons hollandaises dans presque toutes les villes commerçantes d’Europe82 ». Les arguments ont été souvent interrogés par les historiens pour comprendre l’absence française83. La supériorité des Provinces-Unies sur les mers depuis le début du xviie siècle est portée par des innovations techniques. Les chantiers navals hollandais ont développé une flotte marchande performante grâce à des navires de 150 à 200 tonneaux, les « flûtes », qui permettent de comprimer le coût du fret84. À ces innovations techniques s’ajoutent le faible coût de la main-d’œuvre et la faiblesse des effectifs de marins engagés grâce à une meilleure organisation sur les navires hollandais. En France, un navire de 100 à 200 tonneaux nécessite dix à douze hommes tandis qu’il en faut sept à huit sur un navire hollandais. Ces économies permettent au fret hollandais d’être un tiers, voire moitié moins cher que celui des autres pays européens85. L’argument financier mis en avant par les négociants nantais est aussi en partie recevable car l’armement maritime, comme les autres secteurs économiques, bénéficie de facilités de crédit à des taux d’intérêt très bas de l’ordre de 3 % et moins86. La monarchie française a aussi encouragé le fret des villes hanséatiques, des Provinces-Unies, de la Suède puis du Danemark en les exemptant du droit de fret de 50 sols perçu sur les navires étrangers qui prennent des marchandises en France87. L’importance des réseaux hollandais, enfin, est une réalité : les colonies étrangères sont nombreuses dans les villes portuaires françaises. À Nantes, les Sengstack, les Stierling ou les Schweighauser opèrent comme commissionnaires pour les marchands des villes nordiques alors que les Nantais et plus généralement les marchands français se sont peu installés à l’étranger88. Les réseaux familiaux disséminés dans les principales villes de commerce, la maîtrise des langues étrangères, les voyages sont autant d’atouts qui assurent aux marchands du Nord l’avantage sur leurs compatriotes français. Le manque d’enthousiasme des Nantais pour le cabotage européen est frappant : les archives de la chambre de commerce de Nantes regorgent de mémoires qui rappellent l’importance de laisser les étrangers exporter les produits français à cause de la « grande économie de leur fret89». Pourtant le pouvoir royal incite les marchands à se lancer dans le cabotage européen. En 1783, le secrétaire d’État à la Marine, le marquis de Castries, écrit aux négociants nantais et les encourage à établir des maisons de commerce à l’étranger et notamment à Hambourg pour favoriser le fret français en mer du Nord90. La réponse des négociants nantais sous la plume du sieur Michel est un nouveau témoignage de leur faible intérêt pour une branche du commerce qu’ils trouvent trop risquée :
Il y a des obstacles à surmonter, comment supposer que des négociants riches ou qui ont l’espoir de faire fortune en France quittent volontiers leur patrie et leurs affaires pour aller s’établir dans des pays étrangers dont ils ignorent la langue, les mœurs et les usages ?
40Selon le négociant, le pouvoir royal devrait encourager les établissements par l’octroi d’au moins 200 000 livres de prêt sans intérêt.
41Port exportateur majeur vers les pays européens, Nantes, à l’image des autres ports français, ne joue qu’un rôle périphérique dans le trafic de redistribution. Les négociants nantais se sont repliés sur le commerce colonial davantage protégé, pour lequel ils n’avaient pas à souffrir de la concurrence étrangère. De la rationalité à la frilosité, il n’y a qu’un pas que l’historien est tenté de franchir en lisant les propos des négociants. En revanche, les commerçants nantais et les navires bretons gardent la main sur le trafic vers l’intérieur du royaume, second débouché du sucre nantais.
Le commerce intérieur du sucre nantais : l’importance du marché ligérien
42Si elle reste souvent inférieure à la part du marché étranger, la part du marché intérieur ne cesse d’augmenter au cours du siècle : en 1730, 30 % du sucre seulement est destiné à la demande intérieure en 1788, la part passe à 45 %91. La ville est peu impliquée dans le raffinage des sucres, les matières premières sont donc transportées vers l’intérieur du royaume. La destination exacte des sucres est délicate à percevoir faute d’informations quantitatives et la multiplicité des modes de transport complique la tâche. Le sucre peut être transporté par cabotage vers des ports de la province de Bretagne ou de France, d’autres barriques prennent les voies de terre vers les alentours de Nantes, d’autres encore empruntent la voie fluviale et entrent dans le territoire des Cinq grosses fermes si bien que les flux sont difficiles à estimer92. L’objectif est de connaître la nature de la demande des différents marchés français (bretons, ligériens, etc.) et de saisir les acteurs de la redistribution (français ou étrangers) pour identifier les différences entre les marchés intérieur et extérieur.
Le débouché ligérien : un trafic en expansion porté par l’essor des raffineries orléanaises
43Alors que dans le premier quart du xviiie siècle, un à cinq millions de livres de sucre passent le péage d’Ingrandes, en 1775, l’Orléanais Ravot, auteur de L’art du raffineur, affirme qu’il « monte sur la Loire 20 millions de matières », preuve de l’expansion du marché français93. La croissance est principalement due à l’essor des raffineries ligériennes et surtout orléanaises. En 1683, les cinq raffineries ligériennes situées à Orléans, Angers, Saumur et Tours consomment 2,9 millions de livres de sucre, soit 76 % du volume en transit sur la Loire connu pour l’année 169994. À la fin du siècle, deux enquêtes datées de 1790 et 1793 estiment qu’il faut entre 21 et 22 millions de livres de sucre pour faire fonctionner l’industrie orléanaise du raffinage95. À cette période, environ 40 % des sucres parvenus à Nantes sont destinés aux raffineries orléanaises. Seule une petite partie transite par le fleuve sans subir de transformation vers des villes comme Paris et Lyon. Il est impossible de mesurer le trafic mais il est sans doute mineur car les correspondances des négociants orléanais et nantais en font rarement état. Les Orléanais profitent de la situation de leur ville pour servir de commissionnaires et envoient des vins, de l’indigo, des épices et du sucre en pain mais très peu de sucre brut. Les registres de copie des lettres du négociant orléanais Colas, un des grands commissionnaires de la ville, ont été conservés : le dépouillement des années 1781 à 1784 ne révèle que trois mentions d’envois de sucre non raffiné vers Paris et Lyon.
Je viens de recevoir une lettre de Mrs Paillasson frères de Lyon en date du 21 et qui me donne avis que vous leur avez expédié à mon adresse par Goby 6 barriques de cassonade N° 1 à 6 marquée PF comme je n’ai aucunement de vos nouvelles je vous prie de me marquer le jour que ce voiturier est parti de Nantes pour que je puisse m’informer où il est et leur en donner avis. (Lettre envoyée à Paris, négociant à Nantes96)
44Les marchands lyonnais préfèrent s’approvisionner en sucre à Bordeaux ou Marseille car les délais d’acheminement sont plus courts et les frais moindres97. Les envois de sucre terré ou brut sont plus courants en période de crise : lorsque le prix du sucre augmente, le consommateur se contente de cassonade. Les épiciers de Paris le font alors venir directement de Nantes98.
Les autres débouchés français : une part mineure
45Seule une faible part (moins de 10 % environ) du sucre acheminé à Nantes sert à approvisionner la population locale et les autres ports français de la façade atlantique.
46Au milieu du siècle, l’industrie du raffinage à Nantes est en déclin : la ville ne compte plus que cinq petites raffineries, ses besoins en sucres sont donc mineurs99. Une partie du sucre quitte Nantes pour la Bretagne par la voie d’eau salée100. Le trafic local est appuyé par des havres d’armement du golfe du Morbihan bien connus pour être des pôles de cabotage majeurs (Vannes, Auray, Hennebont101). Les bateaux transportent du sucre brut, du terré et du sucre en pain. Les quantités sont modestes : 119 barriques sont chargées sur 39 bateaux de 1710 à 1712 soit entre 119 000 et 199 000 livres de sucre selon le poids des barriques. Le cabotage breton représente seulement 1,4 % du trafic ligérien en 1710. En 1754-1756, il se développe modestement : 48 cargaisons de sucre ont été relevées pour ces trois années mais les registres n’indiquent plus les quantités transportées. Le chargement de ces petits « postillons » des mers, de 20 tonneaux en moyenne, est hétéroclite : au sucre s’ajoutent souvent du vin, de l’eau-de-vie, du blé ou d’autres marchandises d’épicerie. Dans la première moitié du xviiie siècle, le marché breton s’étend et le sucre nantais est désormais distribué à Brest, Morlaix, Lorient, Quimperlé, Quimper et Lannion. Les petits navires bretons, attirés par le débouché nantais, apportent les marchandises produites par leur hinterland et repartent, pour certains, chargés de denrées exotiques. Parallèlement au cabotage européen, les registres mentionnent aussi un cabotage plus lointain très irrégulier vers d’autres ports atlantiques français.
47D’après les dépouillements menés sur les registres de passeports au cours du siècle, 153 cargaisons sont destinées à des ports français sur 982. Bayonne, porte d’entrée vers l’Espagne arrive en tête des ports destinataires avec 123 cargaisons. Parmi les 30 cargaisons restantes, c’est Bordeaux qui en reçoit le plus grand nombre (7) suivi par Marseille, Rouen et Saint-Jean-de-Luz avec trois chargements. Il s’agit surtout d’un commerce ponctuel. Des envois ont lieu en fonction de la conjoncture économique : en temps de crise, les négociants des autres places s’approvisionnent dans le port nantais. Un acte notarié permet d’éclairer ce type de commerce : en 1759, le négociant nantais Philippe Beauvois envoie quatre barriques de sucre terré, soit à peine 4 315 livres dans un « chasse-marée » à la destination de Baour et Cie à Bordeaux102. Ces négociants, mentionnés comme raffineurs par P. Butel, n’ont pas l’habitude de commercer avec les Nantais : le conflit porte sur le poids du sucre et la tare appliquée à cause du coulage pendant le transport103. Le trafic entre Nantes et les grandes villes françaises est donc très irrégulier.
48Les raffineries ligériennes et les marchés hollandais et hambourgeois sont les principaux débouchés intérieurs et extérieurs du sucre nantais. Les négociants du port se trouvent à la croisée de deux demandes et c’est le marché intérieur, dont la part augmente au cours du siècle, qui a le plus influé sur les choix commerciaux des marchands. La demande intérieure a dynamisé le commerce du brut même si les raffineries ligériennes utilisent parfois du terré. La monarchie a contribué à mettre en concurrence les marchés intérieurs et extérieurs en autorisant l’exportation du sucre brut au début du xviiie siècle, au grand regret des raffineurs français. Si l’encouragement des exportations est une réussite financière en termes de rentrées fiscales, la politique a nui aux manufactures et les réexportations sont restées la chasse-gardée du fret hollandais et scandinave. Alors que la balance commerciale est positive avec les pays du Nord, la France n’a pas pleinement profité de cet atout unique en Europe. Les négociants du royaume se sont repliés sur le commerce intérieur et colonial dans le cadre protecteur de l’Exclusif. Ni frileux, ni téméraires, ils se sont contentés du marché qui leur était le plus profitable. A. Stanziani a mis en avant une autre explication à l’absence des négociants français sur les marchés européens : loin d’être réfractaires au risque, ils n’auraient pas bénéficié de la même qualité d’information économique que leurs confrères européens104. Les savoirs marchands, les liens entre les différents acteurs de la filière, les atouts des commissionnaires étrangers, essentiels pour comprendre le jeu marchand, sont au cœur du troisième chapitre.
Notes de bas de page
1 Norel Philippe, L’Histoire économique globale, Paris, Seuil, 2009, p. 11.
2 Margairaz Dominique et Minard Philippe, « Le marché dans son histoire », Revue de synthèse, no 127-2, 2006, p. 241-252.
3 Coriat Benjamin et Weinstein Olivier, « Institutions, échanges et marchés », Revue d’économie industrielle, no 107, 2004, p. 37-62.
4 Marzagalli Silvia, « Crédit et considération sociale dans le monde du négoce au xviiie siècle », dans Pontet Josette (dir.), À la recherche de la considération sociale, Bordeaux, CESURB/Histoire, 1998, p. 209-228.
5 Fontaine Laurence, « Relations de crédit et surendettement en France : xviie-xviiie siècles », dans Fontaine Laurence, Postel-Vinay Gilles, Rosenthal Jean-Laurent et Servais Paul (dir.), Des personnes aux institutions. Réseaux et culture du crédit du xvie au xxe siècle en Europe, Louvain-la-Neuve, Académia Bruylant, 1997, p. 206-219.
6 Margairaz Dominique et Minard Philippe, « Le marché dans son histoire », Revue de synthèse, no 127-2, 2006, présentation.
7 Gervais Pierre, Les origines de la révolution industrielle aux États-Unis, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004.
8 Diderot Denis et D’Alembert Jean le Rond, Encyclopédie…, op. cit., article « Marché ».
9 Jeannin Pierre, Marchands d’Europe. Pratiques et savoirs à l’époque moderne, Paris, ENS Éditions, 2002, p. 72.
10 Pajot Stéphane, « Intégration du marché global dans un système composé de marchés locaux », Revue économique, no 54, 2003, p. 675-686. Il reprend les articles suivants : Harriss Barbara, « There is method in my madness : or is it vice versa ? Measuring agricultural market performance », Food Research Institute Studies, no 17-2, 1979, p. 197-218 ; Ravallion Martin, « Testing market integration », American Journal of Agricultural Economics, no 68-1, 1986, p. 102-109.
11 O’Rourke Kevin et Williamson Jeffrey, « When did globalization begin ? », European Review of Economic History, no 6-1, 2002, p. 23-50.
12 ADL 11J207, lettre de Foucault et Pitteu du 10 germinal an VII.
13 Rönnbäck Klas, Commerce and Colonisation. Studies of Early Modern Merchant Capitalism in the Atlantic Economy, Göteborg, Hylte Tryck, 2009, p. 64.
14 ADG 73J15, lettre du 11 septembre 1787. Les lettres qui suivent sont issues du même fonds.
15 Guéry Alain, « Industrie et Colbertisme ; origines de la forme française de la politique industrielle ? », Histoire, économie et société, no 8-3, 1989, p. 297-312 ; Minard Philippe, La fortune du Colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 9 et p. 294.
16 Kaplan Steven L., Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 ; Clément Alain, Nourrir le peuple. Entre État et marché (xvie-xixe siècle). Contribution à l’histoire intellectuelle de l’approvisionnement alimentaire, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 121.
17 Deyon Pierre, Le mercantilisme, Paris, Flammarion, 1969, p. 12.
18 Béguin Katia, Financer la guerre au xviie siècle. La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Paris, Champ Vallon, 2012, p. 186.
19 Marion Marcel, Dictionnaire des institutions de la France (xviie-xviiie siècle), Paris, Picard, 2006 (1re édition 1923), p. 184.
20 Kouamé Aka, Le commerce des sucres…, op. cit., p. 132.
21 AN AD XI 48, arrêt du Conseil d’État du roi du 24 mai 1675.
22 Depping Georges Bernard, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, entre le cabinet du roi, les secrétaires d’Etat, le chancelier de France et les intendants et gouverneurs de province, Paris, Imprimerie nationale, 1850, p. 200. AN AD XI 48.
23 Schnakenbourg Éric, « Les interactions entre commerce et diplomatie au début du xviiie siècle : l’exemple du traité de commerce franco-anglais de 1713 », Histoire, économie et société, no 23-3, 2004, p. 349-365. Le traité n’est pas ratifié.
24 AN AD XI 48, arrêt du Conseil d’État du roi, 14 décembre 1671.
25 Depping Georges Bernard, Correspondance administrative…, op. cit., p. 200.
26 AMNHH240, fraude du négociant Montaudouin. L’affaire donne lieu à de nombreux mémoires de mars à août 1715.
27 AN AD XI 48, arrêt du Conseil d’État du roi, 25 avril 1690.
28 ADLA C886, Mémoires sur l’entrepôt pour les pays étrangers, 1778 ; Crouzet François, Le négoce international, xiiie-xxe siècle, Paris, Economica, 1989, p. 139-152.
29 AN F12 1639a, lettres patentes du roi portant règlement pour le commerce des colonies françaises, avril 1717. Tarrade Jean, Le commerce colonial…, op. cit., p. 83.
30 ADLAC879, Mémoire pour concilier les intérêts des raffineries dans l’intérieur du royaume avec les intérêts des fermiers généraux, des colonies françaises et des armateurs, 1752.
31 AN AD XI 48, arrêts du 16 mai 1758, du 25 août 1759 et du 4 juillet 1762.
32 AN F12 2618, loi relative aux droits d’entrée sur les denrées coloniales.
33 Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme (xve-xviiie siècle), volume 3, Le temps du monde, Paris, Armand Colin, 1979, p. 332.
34 Les treize ports concernés sont : Calais, Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur, Saint-Malo, Morlaix, Brest, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne et Sète.
35 AN fonds Marine, B7/488, Mémoire sur le commerce de la province de Bretagne, 30 août 1685.
36 Cornette Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons, volume 1, Des âges obscurs au règne de Louis XIV, Paris, Seuil, 2005, p. 628.
37 AN AD XI 48, arrêt du Conseil d’État du roi, 14 décembre 1671.
38 AMN HH43, Mémoire sur le rétablissement des raffineries de Nantes, 24 avril 1736.
39 Hirsch Jean-Pierre, Les deux rêves du commerce. Entreprise et institution dans la région lilloise (1780-1860), Paris, Éditions de l’EHESS, 1991.
40 Beaur Gérard, Bonin Hubert et Lemercier Claire (dir.), Fraude, contrefaçon, contrebande de l’Antiquité à nos jours, Paris, Droz, 2006, p. 10-11.
41 Cerutti Simona, « Normes et pratiques, ou de la légitimité de leur opposition », dans Lepetit Bernard (dir.), Les formes de l’expérience : une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 127-149.
42 ADLA C731, Mémoire sur les droits des sucres, 17 avril 1731.
43 ADL 11J207, lettre de Foucault et Pitteu à Ravot du 29 floréal an VII.
44 ADLA C879, Mémoire sur les certificats de la traite des Noirs (non daté). L’arrêt est reproduit intégralement dans : Chambon (attribué à), Traité général du commerce de l’Amérique, Amsterdam, Marc-Michel Rey, tome 1, 1783, p. 332.
45 ADG 73J15, correspondance Ravot-Delaville, lettres datées du 5 juin 1787, du 28 septembre 1787 et du 12 octobre 1787.
46 ANADXI 48, Arrest de la Cour des Aydes du 20 avril 1725 qui condamne les frères Jogues, marchands à Orléans, au paiement du droit d’imposition sur 14 tonneaux de sucre qu’ils ont fait venir de La Rochelle en fausse destination.
47 Morineau Michel, « Trois contributions au colloque de Göttingen », dans Hinrichs Ernst (dir.), Vom Ancien Régime zur Französischen Revolution : forschungen und perspektiven, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1978, p. 374-419 ; Jeannin Pierre, Marchands du Nord, espaces et trafics à l’époque moderne, Paris, Presses de l’ENS, 1996 ; Pourchasse Pierrick, Le commerce du Nord. Les échanges commerciaux entre la France et l’Europe septentrionale au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2006.
48 Signalons toutefois que les villes indiquées ne sont pas toujours les destinations finales.
49 Kouamé Aka, Le commerce du sucre…, op. cit., p. 89.
50 Crouzet François, La guerre économique…, op. cit., p. 119.
51 La catégorie « Nord » qui comprend les villes hanséatiques est modifiée à partir de 1733 : le Danemark, la Suède puis la Russie sont placées dans des rubriques distinctes. Ces pays sont donc présentés dans des catégories distinctes : les chiffres pour la Suède et le Danemark sont un peu sous-estimés (il manque les trois, quatre premières années dans les statistiques des deux pays). La Prusse sort de la rubrique en 1779 mais elle n’est pas mentionnée tant les relations sont mineures avec Nantes. Pourchasse Pierrick, Le commerce du Nord…, op. cit., p. 28-29.
52 Les sept provinces sont les suivantes : Hollande, Zélande, Frise, Overijssel, Groningue, Gueldre, Utrecht. La province de Hollande, de par sa domination commerciale, se substitue souvent à la désignation « Provinces-Unies ».
53 De Vries Jan et Van Der Woude Ad, The First Modern Economy. Success, Failure, and Perseverance of the Dutch Economy, 1500-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 238.
54 AN AD XI 48.
55 Pourtant la guerre n’est déclarée qu’en 1747.
56 Enthoven Victor, « An assessment of Dutch transatlantic commerce, 1585-1817 », dans Postma Johannes et Enthoven Victor (dir.), Riches from Atlantic Commerce. Dutch Transatlantic Trade and Shipping, 1585-1817, Leyde, Brill, 2003, p. 439-440 ; Schnakenbourg Éric, Entre la guerre et la paix. Neutralités et relations internationales, xviie-xviiie siècles, Rennes, PUR, 2013, p. 288.
57 Darsel Joachim (dir.), L’Amirauté en Bretagne. Des origines à la fin du xviiie siècle, Rennes, PUR, 2012, p. 38.
58 ADLA B4679-B4680. La source présente des limites notables : outre l’imprécision des destinations déjà mentionnée, le contenu des registres évolue au cours du siècle ce qui ne facilite pas les comparaisons. Pour les années 1710-1712 et 1725-1727, la source indique seulement le nombre de barriques de sucre sans préciser les volumes. D’après les calculs de L. Pineau-Defois, qui remet en cause les propos de l’abbé d’Expilly, une barrique de sucre pèse en moyenne 1 674 livres : je reprendrai son estimation pour les cartes qui suivent ; Pineau-Defois Laure, Les grands négociants nantais…, op. cit., p. 310.
59 Soit 6 540 barriques sur 9 992.
60 Durand René, « Le commerce en Bretagne au xviiie siècle », Annales de Bretagne, tome 32, no 4, 1917, p. 447-469 ; Jeulin Paul, « Une page de l’histoire du commerce nantais du xvie au début du xviiie siècle. Aperçu sur la Contractation de Nantes », Annales de Bretagne, tome 40, no 2, 1932, p. 284-331.
61 Weber Klaus, Deutsche kaufleute im atlantikhandel, 1680-1830, Munich, C. H. Beck, 2004, p. 228 et 252.
62 Tamaki Toshiaki, « Hambourg as a gateway : the economic connections between the Atlantic and the Baltic in the long eighteenth-century with special reference to French colonial goods », dans Müller Leos, Rössner Philippe Robinson et Tamaki Toshiaki (dir.), The Rise of the Atlantic Economy and the North Sea/Baltic Trades, 1500- 1800, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2011, p. 61-80.
63 Le Bouëdec Gérard, Activités maritimes et sociétés littorales de l’Europe atlantique (1690-1790), Paris, Armand Colin, 1997, p. 142.
64 En 1753, Bordeaux exporte pour 1 345 115 Mark Banco (monnaie d’Hambourg, désormais Mb), Nantes 817 900 Mb et Le Havre 767 145 Mb. D’après Weber Klaus, Deutsche kaufleute im atlantikhandel, 1680-1830, Munich, C. H. Beck, 2004, p. 387.
65 En 1750-1752, les quatre principaux ports importateurs sont Hambourg (103 cargaisons), Rotterdam (70), Amsterdam (66), Bilbao (40) et, en 1770-1772, Amsterdam (64), Bruges (52), Hambourg (51), Rotterdam (47).
66 Le marché hollandais redémarre à la fin du siècle : Jeannin Pierre, Marchands d’Europe…, op. cit., p. 85.
67 De Vries Jan et Van Der Woude Ad, The First Modern Economy…, op. cit., p. 327.
68 Butel Paul, La croissance commerciale…, op. cit., p. 244-287 et cartes en annexe.
69 Pourchasse Pierrick, Le commerce du Nord…, op. cit., p. 108.
70 Le dynamisme de Stettin s’explique par la volonté de Frédéric II de Prusse de concurrencer les raffineries de Hambourg en interdisant l’importation de sucre raffiné. Le port de Stettin approvisionne désormais deux manufactures à Berlin et à Breslau ; Pourchasse Pierrick, « The French Atlantic economy and Northern Europe », dans Müller Leos, Rössner Philippe Robinson et Tamaki Toshiaki (dir.), The Rise of the Atlantic Economy…, op. cit., p. 81-101.
71 Le Bouëdec Gérard, Activités maritimes et sociétés littorales…, op. cit., p. 151.
72 Ibid., p. 152 ; Pourchasse Pierrick, Le commerce du Nord…, op. cit., p. 197 sqq.
73 Pour un point historiographique : Emmer Peter C., « L’histoire maritime hollandaise et l’expansion de l’Europe, 1600-1800 », Revue d’histoire maritime, no 10-11, 2010, p. 63-74.
74 Les navires en provenance des côtes françaises et qui approvisionnent d’autres ports du royaume ont été sortis de l’étude.
75 Soit 7 262 barriques sur 26 636 destinées à l’étranger.
76 Le Bouëdec Gérard (dir.), L’Amirauté en Bretagne…, op. cit., p. 38 ; Michon Bernard, Le port de Nantes…, op. cit., p. 83.
77 Müller Leos, « Swedish shipping business between the Baltic Sea and the Atlantic World, 1650-1800 », dans Müller Leos, Rössner Philippe Robinson et Tamaki Toshiaki (dir.), The Rise of the Atlantic Economy…, op. cit., p. 121-139.
78 Le Bouëdec Gérard, Activités maritimes…, op. cit., p. 139.
79 ADLA C754, Observations sur le commerce du nord, 1769.
80 ADLA C894, Mémoire adressé à Louis XIV sur le commerce de France, des causes de sa décadence et des moyens de le rétablir, 1701.
81 ADLA C754, s.d.
82 Ibid.
83 Jeannin Pierre, Marchands du Nord…, op. cit., p. 273.
84 Id., L’Europe du Nord-Ouest et du Nord aux xviie et xviiie siècles, Paris, PUF, 1969, p. 71.
85 Le Bouëdec Gérard, Activités maritimes…, op. cit., p. 151.
86 Jeannin Pierre, L’Europe du Nord-Ouest…, op. cit., p. 312.
87 Pourchasse Pierrick, Le commerce du Nord…, op. cit., p. 156.
88 Ibid., p. 197.
89 ADLA C754, mémoire du sieur Descaseaux du Hallay, s.d.
90 ADLAC754, copie de la lettre de M. le marquis de Castries à M. de Sourdeval, Versailles, 6 avril 1783.
91 ADLAC706, 716, 717. On peut estimer, en creux, la part du sucre qui reste à Nantes en mesurant le solde entre les importations et les exportations. Ce n’est qu’une indication car une partie du sucre qui reste à Nantes peut être transformée puis réexportée mais les quantités de sucre raffiné destinées à l’exportation sont minimes.
92 Lorsque les sucres manquent sur la place nantaise, des sucres de La Rochelle et de Rouen sont transportés dans la vallée ligérienne ; toutefois ces envois sont exceptionnels et ont peu d’impact sur l’étude.
93 ADL 11J239 ; ADLA C855, Fermes générales. De 1699 à 1726, seules les années 1714, 1717 et 1718 dépassent le seuil de cinq millions de livres avec respectivement huit, six et sept millions.
94 AN Aix, FM F3/83, 29 octobre 1683 ; ADLA C855, Fermes générales.
95 AN F12/562, État du produit moyen et annuel des raffineries à sucre de la généralité d’Orléans ; AN F12/1502 ; ADL 11J239.
96 ADL 13J539, correspondance Colas, 1781-1786. Lettres du 29 octobre 1782, 30 mars 1782 et du 9 janvier 1783.
97 Le Gouic Olivier, Lyon et la mer au xviiie siècle. Connexions atlantiques et commerce colonial, Rennes, PUR, 2011, p. 132.
98 ADLAC730, Mémoire commun des raffineurs d’Orléans et des représentants du commerce de Nantes, 7 juin 1781.
99 ADLA B3520, rôles de capitation de 1750.
100 ADLA B4714 (1710-1712) et B4719 (1754-1756), enregistrement des congés pour les navires qui naviguent dans la province ; ADLAB4679 (1710-1712), B4692 (1725-1727), B4697 (1750-1752), B4701 (1770-1772), registres de passeports.
101 Le Bouëdec Gérard, « Les petits ports bretons du xvie au xixe siècle », Rives méditerranéennes, no 35, 2010, p. 61-78.
102 ADLA 4E2/758 notaire Fouquereaux, 28 mars 1759.
103 Butel Paul, La croissance commerciale…, op. cit., p. 72.
104 Stanziani Alessandro, Rules of Exchange. French Capitalism in Comparative Perspective, Eighteenth to Early Twentieth-centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 221.
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