Introduction de la partie I
p. 31-32
Texte intégral
1Le sucre avec le café, l’indigo ou encore le coton, est un produit global ; très lucratif, il est devenu un enjeu pour les grandes puissances atlantiques. Français, Anglais, Hollandais et Allemands se disputent le marché. Dans l’espace atlantique, le sucre a entraîné des bouleversements d’une telle ampleur, dans la production, le commerce et la consommation, qu’une « révolution sucrière » est souvent évoquée1. Les continents africains, américains et européens sont devenus très connectés voire parfois interdépendants au cours du xviie et du xviiie siècles. S’il faut fortement réviser l’idée selon laquelle il existerait une « civilisation atlantique2 », la naissance du commerce triangulaire, l’essor du capitalisme et les grandes migrations humaines ont entraîné la formation de relations denses entre les espaces atlantiques et le sucre est au cœur de ces changements3. Il s’agit donc d’un produit pertinent pour mener une étude d’histoire atlantique, un courant en plein essor depuis les années 19904. Ce courant historiographique est profondément marqué par le slogan médiatique du « village global » et par la nécessité pour les historiens d’en finir avec les cloisonnements construits de manière artificielle entre les historiographies nationales. L’approche permet de s’intéresser davantage aux trajectoires individuelles et aux voyages des marchandises ; les circulations sont le fil conducteur de ces travaux sans pour autant évacuer l’objet et le cadre d’étude « État-nation ». Ainsi, S. Marzagalli, dans un article sur les origines de l’histoire atlantique, observe que le trafic colonial n’a pas eu les mêmes effets sur les croissances économiques du Royaume-Uni et de la France ; il a dynamisé l’économie et l’industrie dans le premier cas tandis que ses effets ont été plus ténus dans le second5. Ces différences s’expliquent par les stratégies des acteurs, simples marchands, consommateurs mais aussi par le choix des États. À travers l’analyse de la redistribution du sucre, c’est le fonctionnement de l’économie atlantique qui s’éclaire en partie. Le point de départ de l’étude se situe à Nantes, l’une des principales portes d’entrée du sucre dans le royaume de France et centre de redistribution vers les marchés européens. Au-delà de la hiérarchisation des principaux ports sucriers européens, c’est davantage la nature, l’intensité et l’articulation des liens commerciaux qui seront mis en lumière. L’étude d’un port permet de saisir finement les réseaux d’exportation d’un produit et de varier les échelles d’analyse, du local au global. Il s’agit de comprendre comment s’est mise en place la filière sucrière et quel est le rôle de chaque acteur dans le commerce.
2Le premier chapitre présente l’essor du trafic sucrier, ses fluctuations et les réseaux de transport empruntés par le sucre, très surveillés par les négociants à cause des risques. Le deuxième chapitre est consacré aux différents marchés sucriers, nationaux et internationaux, et au rôle de l’État dans le commerce. Le troisième chapitre aborde les relations entre les différents intermédiaires de la filière.
Notes de bas de page
1 Higman Barry, « The sugar revolution », The Economic History Review, no 53, 2000, p. 213-236. Le terme de révolution reste controversé : Menard Russell, Sweet Negotiations : Sugar, Slavery, and Plantation Agriculture in Early Barbados, Charlottesville, University Press of Virginia, 2006. Sur le commerce du sucre dans l’espace atlantique, voir entre autres : Schwartz Stuart B. (dir.), Tropical Babylons. Sugar and the Making of the Atlantic World, 1450-1680, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2004 ; Strum Daniel, The Sugar Trade : Brazil, Portugal, and the Netherlands, 1595-1630, Stanford, Stanford University Press, 2013.
2 Dorigny Marcel, « L’Atlantique : un état de la question », Dix-huitième siècle, no 33, 2001, p. 7-9.
3 La traite négrière est en dehors de notre champ d’étude et seuls quelques travaux-clés sont indiqués : Sheridan Richard, Sugar and Slavery : an Economic History of the British West Indies, Eagle Hall, Caribbean University Press, 1974 ; Curtin Philip D., The Rise and Fall of the Plantation Complex. Essays in Atlantic History, Cambridge University Press, 1990 ; Solow Barbara (dir.), Slavery and the Rise of Atlantic System, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 ; Eltis David, The Rise of the African Slavery in the Americas, Cambridge, Cambridge University Press, 2000 ; Pétré-Grenouilleau Olivier, Les traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004 ; Dockès Pierre, Le sucre et les larmes. Bref essai d’histoire et de mondialisation, Paris, Descartes et Compagnie, 2009 ; Cottias Myriam, Cunin Elisabeth, De Almeida Mendes Antonio (dir.), Les traites et les esclavages. Perspectives historiques et contemporaines, Paris, Éditions Karthala et Ciresc, 2010 ; Coquery-Vidrovitch Catherine et Mesnard Éric, Être esclave. Afrique-Amériques, xve-xixe siècle, Paris, La Découverte, 2013.
4 Vidal Cécile, « Présentation », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, actes de la journée d’études L’Histoire atlantique de part et d’autre de l’Atlantique, 2008 (en ligne) ; Games Alison, « Atlantic History : definitions, challenges, and opportunities », The American Historical Review, volume 111, no 3, 2006, p. 741-757.
5 Marzagalli Silvia, « Sur les origines de l’“Atlantic History” : paradigme interprétatif de l’histoire des espaces atlantiques à l’époque moderne », Dix-huitième Siècle, no 33, 2001, p. 17-31.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011