Chapitre III
La grotte des Balmes à Sollières-Sardières (Haute-Maurienne, Savoie)
p. 95-106
Texte intégral
Présentation générale du site
1La Maurienne est une grande vallée transversale des Alpes où s’écoule la rivière l’Arc (fig. 1). Orientée sud-ouest puis nord-ouest, elle est bordée au nord par le massif de la Vanoise et de la Lauzière et au sud par les Alpes Grées, les massifs du Mont-Cenis, des Cerces, d’Arvan-Villards, des Grandes Rousses et de Belledonne. On distingue traditionnellement deux ensembles géographiques : la Basse-Maurienne et la Haute-Maurienne, qui commence après la barrière de l’Esseillon (commune d’Aussois).
2Le site des Balmes est localisé sur la commune de Sollières-Sardières, sur le flanc oriental du verrou rocheux qui constitue la terminaison aval du petit bassin de Termignon, où se rencontrent les eaux de deux rivières : le Doron de Termignon, issu du massif de la Vanoise et l’Arc dans laquelle il se jette. Ces deux vallons permettent l’accès au nord de la vallée de la Tarentaise, par Entre-Deux-Eaux et le col de la Vanoise vers Pralognan. La jonction avec l’Italie nord-occidentale est accessible depuis les Balmes par plusieurs voies, notamment par le col du Mont-Cenis qui culmine à 2 081 mètres et celui de Sollières à 2 639 mètres. Le site est actuellement à la limite entre l’étage de végétation montagnard et subalpin, soit entre la série intra-alpine du sapin et la série subalpine du pin à crochets, accompagné du mélèze et de l’arolle. Le versant opposé est occupé par la série mésophile du pin sylvestre. La Haute-Maurienne a un climat continental et sec favorable au développement de cette espèce.
3La grotte des Balmes est située en rive gauche de l’Arc, au cœur d’un édifice rocheux détaché de l’ubac, qui en est séparé par un replat d’axe nord-nord ouest/sud-sud est, offrant ainsi une topographie propice à l’implantation humaine. La cavité qui abrite le site est à une quinzaine de mètres sous la ligne de crête du promontoire, qui culmine vers 1 370 mètres. Elle occupe ainsi une position dominante par rapport à la rivière, qui s’écoule à une centaine de mètres en contrebas, à 200 mètres de distance (fig. 13).
4Le réseau de cavité des Balmes est orienté suivant le même axe que le promontoire rocheux. Il comprend une partie supérieure constituée de deux salles en enfilades (salles I et II), dont les parois convergent vers une étroiture ménagée parmi une accumulation de blocs. La seconde diaclase, côté vallée, forme un troisième élargissement plus conséquent (salle III). Ce réseau connaît ensuite un prolongement sur plus de 25 mètres (fig. 14). Les salles I et II sont séparées par une grande dalle oblique (GDS) de plusieurs dizaines de mètres cube, qui en abrite une seconde de taille plus réduite. Elles se sont toutes deux détachées anciennement de la voûte où l’on observe le négatif de leurs contours. La salle I forme un quadrilatère irrégulier de sept mètres sur six, tandis que la salle II s’allonge en un trapèze de neuf mètres de longueur pour une largeur comprise entre trois et six mètres (fig. 14).
5Découverte en 1972, les salles II et III de la grotte ont fait l’objet d’une première série de fouilles en 1973 et en 1974 sous la direction de René Chemin. Les sédiments très charbonneux ont livré un abondant mobilier céramique de l’âge du Bronze final, entre 1300 et 1100 av. J.-C. environ (Bocquet et Chemin, 1976). Entre 1980 et 1990, sous la direction de Françoise Ballet et de Pierrette Benamour, la fouille se concentre dans la salle I, sur une surface comprise entre 35 et 40 m2. Après 11 campagnes de fouilles, il demeurait une ambiguïté à propos des observations stratigraphiques et chronoculturelles. En 1994, Joël Vital réalisa un sondage d’environ un m2 dans la même salle (fig. 14), dont le but était de comprendre la structuration spatiale liée à une dynamique sédimentaire restée floue (Vital et Benamour, 2012). Dans la salle I, l’occupation du site débute à la fin du Néolithique moyen ou au début du Néolithique final et se poursuit jusqu’à la fin de l’âge du Bronze. Par la suite, la grotte est occupée de façon sporadique. Au cours du Néolithique final, l’intensité de l’occupation est la plus marquée. À l’endroit du sondage de 1994 réalisé par Joël Vital, des niveaux de bergerie ont été reconnus. Les résultats de l’analyse sédimentologique, menée par Jacques-Léopold Brochier (Brochier et al., 1999) mettent en évidence des faciès à sphérolithes et à phytolithes et des faciès mixtes où les cendres et les microcharbons jouent un rôle plus important. Certains niveaux à sphérolithes brûlés indiquent que le brûlage des « fumiers » était pratiqué. Les trois facteurs principaux de la dynamique sédimentaire sont : le parcage du bétail, qui engendre des dépôts limoneux minéralisés ; les foyers, qui entrainent la production de cendre, de microcharbons et de « fumiers » brûlés ; le déplacement des bêtes qui provoque un transport de cailloutis et de sable depuis l’entrée ainsi qu’un remaniement des « fumiers » plus anciens. On retrouve ici un peu la même dynamique qu’à la Grande Rivoire. On notera que la faune est dominée au Néolithique par le mouton et/ou la chèvre, ainsi que les bovins et les porcins en moindre quantité. Les restes archéozoologique attribués aux espèces sauvages sont peu nombreux, mais diversifiés et dominés par le bouquetin (Olive, 2012). L’accumulation de dépôts de bergerie semble se réduire à l’âge du Bronze ancien entre 2000 et 1700 av. J.-C. Des restes osseux humains plus fréquents ouvrent la possibilité d’une utilisation de la salle I à des fins funéraires. Enfin, durant l’âge du Bronze final la fonction de bergerie ne semble être plus qu’occasionnelle et la salle II est occupée de façon durable et fréquente (Vital et Benamour, 2012).
Fig. 13. Les Balmes. Vue de l’entrée principale de la grotte (grille, en bas du cliché) au sein de l’édifice rocheux détaché de l’ubac. En arrière-plan, la haute vallée de l’Arc et les contreforts du massif de la Vanoise. [Cliché P. Benamour]

Fig. 14. Les Balmes. Topographie des salles I, II et III. Les flèches blanches indiquent les passages étroits entre les salles I et II. Les prélèvements sont indiqués en grisé (récipient et G6), le carré noir indique l’emplacement de la bande témoin fouillée par J. Vital en 1994. GDS : grande dalle inclinée supérieure. [Illustration J. Vital tirée de Vital et Benamour, 2012, p. 23]

Chronologie et horizons culturels des niveaux néolithiques
6Les niveaux néolithiques des Balmes ont été reconnus dans la salle I au cours des fouilles de Pierrette Benamour, entre 1980 et 1990, puis lors de la fouille témoin de Joël Vital en 1994. Les campagnes de terrain entreprises entre 1980 et 1990 ont permis de produire trois coupes synthétiques et d’identifier sept couches parmi lesquelles trois sont datées du Néolithique : la couche C4 est très noire et comprend de nombreux foyers ; la couche C5 est plus claire, caillouteuse et contient peu de charbons et quelques restes osseux ; la couche C6 est constituée d’un foyer très étendu composé de cendres grises sous lesquelles un couche très charbonneuse a été identifiée, riche en matériel archéologique (dont un récipient en écorce, cf. infra) et en graines carbonisées. En 1994, la fouille d’un témoin conservé entre deux dalles inclinées a permis d’individualiser une vingtaine d’unités sédimentaires datées entre le Néolithique final et le Bronze final.
7Le site des Balmes a fait l’objet de douze datations radiocarbones pour le Néolithique. Trois ont été réalisées à l’occasion des fouilles de Pierrette Benamour entre 1980 et 1990. Sept autres ont été réalisées à l’issu de la fouille témoin de 1994 par Joël Vital et deux ont été faites à notre demande en 2009, lors de la reprise de l’étude carpologique, afin de préciser le contexte des découvertes de concentration de graines carbonisées.
8Dans ce lot de datations, on constate une certaine homogénéité entre les dates provenant de la fouille témoin de 1994 et les plus récentes, réalisées en 2009. Elles placent les niveaux d’où proviennent les échantillons étudiés dans une fourchette comprise entre 3400 et 2900 av. J.-C., c’est-à-dire durant le Néolithique final.
9Pour la couche C6, les trois dates obtenues sont plus incohérentes : la première est en décalage avec les autres dates et se place dans la deuxième moitié du ive millénaire, à la fin du Néolithique moyen, entre 3800 et 3350 av. J.-C. La deuxième couvre près d’un millénaire, entre 3950 et 3000 av. J.-C. ; si cette date est peu précise, elle n’est toutefois pas incompatible avec les résultats d’une datation réalisée plus récemment sur la même couche. Les deux datations radiocarbones obtenues sur les graines de la couche C6 la situent donc soit entre 3700 et 3500 av. J.-C., soit entre 3400 et 3100 av. J.-C.
10Pour le Néolithique final, les cinq autres dates issues de la fouille témoin de 1994 fournissent un ensemble cohérent entre 2900 et 2500 av. J.-C. (Vital et Benamour, 2012).
11Dans la couche C6, la seule à avoir livré des dates radiocarbones du Néolithique moyen 2, les artéfacts mis au jour sont : une meule entière de dimensions 49 x 35 centimètres, trois lames polies en roche alpine (éclogite) achevées et utilisées, un petit éclat en quartz hyalin et les fragments d’un récipient en écorce (Vital et Benamour, 2012). Ces éléments ne nous fournissent pas d’indications culturelles, c’est pourquoi il nous est permis de douter du rattachement de ce niveau à la fin du Néolithique moyen. L’ensemble du Néolithique final daté entre le xxxiiie et le xxxe siècle avant notre ère, a des affinités avec la sphère culturelle nord-alpine Horgen et Sipplingen (fig. 3). Parmi les différentes composantes identifiées, c’est le groupe le plus oriental, de Sipplingen, qui prédomine aux Balmes. En revanche, les parures en matière dure animale renvoient pour leur grande majorité à la sphère méridionale du Ferrières. Il y aurait plusieurs explications, qui seraient selon Joël Vital « soit une alternance des occupations, avec des individus d’origines géographiques opposés, soit à des porteurs de parures de cultures différentes. Et pourquoi pas les populations pour la céramique et certaines bêtes pour tout ou partie des parures ? Ces dernières sont en effet le plus souvent noyées dans des couches denses de fumiers minéralisés et dans des zones parfois difficiles d’accès à l’homme. » (Vital et al., 2008, p. 91) À la fin du Néolithique final, la culture matérielle présente des influences encore majoritairement de Suisse avec le Lüscherz et l’Auvernier-Cordé, associées à une parure d’influence méridionale (Vital et Benamour, 2012).
Méthodologie
12La fouille de la grotte des Balmes s’est déroulée en plusieurs temps, ce qui a notamment entrainé une disparité dans les prélèvements étudiés pour l’analyse carpologique. Les lots d’échantillons sont de nature variée et proviennent tous de la salle I. Ils ont été prélevés soit durant les fouilles de 1980 à 1990, soit en 1994. Trois types de prélèvement ont été réalisés. Le premier comprend les restes végétaux récoltés ponctuellement lors des fouilles entre 1980 et 1990, à la suite d’un tamisage à sec sur des mailles de 2 ou de 3 millimètres ; le volume de sédiment prélevé et tamisé n’est pas connu. Le deuxième type se compose d’unités sédimentaires très organiques prélevées en bloc, également lors des fouilles entre 1980 et 1990, tamisées à l’eau en laboratoire sur des mailles de 2 et de 0,5 millimètre ; ces « lentilles organiques » concernent cinq échantillons provenant du contenu probable d’un récipient en écorce (1 275 grammes) et d’un épandage de graines (deux litres et 230 grammes) probablement connectés, ainsi qu’un échantillon dans un autre secteur (un litre). Le troisième type consiste en un ensemble d’échantillons prélevés sur une bande témoin en 1994, dont la surface fouillée varie de 1 à 1,5 m2, suivant la profondeur ; le sédiment intégralement prélevé représente un volume total de 520 litres. Il a fait l’objet lors des fouilles d’un tamisage par flottation sur une maille de 0,5 millimètre.
13L’analyse archéobotanique fait apparaître une nette différence entre ces trois types d’échantillons. Les prélèvements tamisés finement et triés en laboratoire sont nettement plus riches et plus diversifiés. Le tamisage sur une maille plus grossière entraîne en général la perte de macrorestes végétaux de petites dimensions, notamment les semences de certaines adventices ou de plantes sauvages et les restes de battages des céréales. Par ailleurs, le tri effectué sous binoculaire par une personne formée à la reconnaissance des macrorestes végétaux permet de déterminer un nombre de restes plus élevé par rapport au tri effectué à vue et récoltés ponctuellement lors des premières fouilles. L’étude carpologique repose ainsi sur des données assez disparates ne permettant que peu d’interprétation d’ordre quantitatif.
14Les « lentilles organiques » prélevées lors de la fouille de Pierrette Benamour entre 1980 et 1990 ont fait l’objet d’un sous-échantillonnage en raison de leur grande richesse en macrorestes végétaux. Nous avons utilisé pour cela un instrument qui sépare en deux un échantillon de manière aléatoire et avons « sous-échantillonné » quatre échantillons entre 1/8e et 1/32e selon leur volume et la maille du refus de tamis. Les graines de plantes sauvages ou les individus remarquables – les épillets par exemple – ont souvent été triés dans la moitié, voir l’intégralité de l’échantillon, et non uniquement dans le sous-échantillon de référence. Le nombre de restes est ensuite évalué pour la totalité de l’échantillon en multipliant par un facteur de correction de x 2, x 8, x 16 et x 32 selon la division utilisée.
15Les restes, tous carbonisés, sont généralement bien conservés et peu fragmentés. Ils sont identifiés à l’aide de la collection de référence de l’Ipna de l’université de Bâle, et à la littérature spécialisée déjà citée pour les deux précédents sites.
16Le comptage des macrorestes reprend toujours celui décrit dans le chapitre de la Grande Rivoire, et notamment en ce qui concerne les céréales. Rappelons que nous n’avons pas compté les restes dont la taille est inférieure à un millimètre, et les pièces très fragmentées sont comptées de sorte que quatre restes équivalent à un reste entier. Pour le blé engrain (Triticum monococcum) contenu dans le récipient en écorce, nous avons procédé en utilisant le poids des restes. Nous avons compté le nombre de caryopses contenues dans cinq grammes, puis par une règle de proportionnalité nous avons estimé le nombre de caryopses contenues dans le poids total (104,4 grammes après tamisage et tri).
Résultats de l’analyse carpologique
17Dans l’ensemble, les différents échantillons analysés ont livré plus de 90 000 restes. Nous présentons les résultats en quatre parties, selon leur provenance : le contenu du récipient en écorce et son épandage, l’échantillon provenant du carré G6, les restes botaniques des fouilles de Pierrette Benamour récupérés après tamisage à sec et les macrorestes identifiés dans la fouille témoin de 1994 de Joël Vital.
Le récipient en écorce et l’épandage de graines
18Les prélèvements attribués au Néolithique moyen 2 et/ou au Néolithique final proviennent du contenu d’un récipient en écorce et d’un épandage de graines prélevés lors des fouilles de Pierrette Benamour entre 1980 et 1990. Quatre échantillons forment un ensemble évalué à plus de 60 000 graines pour quelques litres de sédiment seulement. Dans l’ensemble, ils sont composés en très grande majorité de céréales, qui représentent plus de 99 % des restes botaniques (fig. 15). Parmi ces dernières, on observe une nette dominance du blé engrain (pl. I, no 3), accompagné de l’orge (Hordeum distichum/ vulgare), du blé amidonnier (Triticum dicoccum) et du blé nu (Triticum æstivum/durum/turgidum). Les céréales sont plus ou moins bien conservées selon les échantillons : les graines provenant de l’épandage n’ont souvent pas pu être déterminées jusqu’à l’espèce, d’où une forte proportion de Cerealia, de Triticum/Hordeum et de Triticum sp. Dans tous les échantillons, les céréales sont conservées sous forme de caryopses et de résidus de battage comme des bases de glume et d’épillet (fig. 5). L’abondance des glumes de blé engrain nous indique que cette céréale devait être conservée sous forme d’épillets, les caryopses encore vêtus de leurs glumes et glumelles. Le nombre de résidus de battage est même parfois supérieur à celui des semences.
19Trois plantes adventices sont associées à cet ensemble : la vrillée faux-liseron (Fallopia convolvulus), le chénopode blanc (Chenopodium album) et la sétaire verticillée/verte (Setaria verticillata/viridis). Ces espèces sont toutes des annuelles adventices des cultures, probablement arrivées dans la grotte avec le lot de céréales (fig. 15). On notera également la présence d’aiguilles de sapin (Abies alba), de semences de graminées, et dans des proportions beaucoup plus anecdotiques, une graine de pois cultivé (Pisum sativum), deux graines de sureau noir ou à grappes (Sambucus nigra/racemosa) et six caryopses d’ivraie (Lolium sp.) (fig. 15).
Le carré G6
20À la différence des échantillons provenant du récipient en écorce et de l’épandage de graines, l’orge semble ici constituer la principale céréale. L’aspect de la plupart des caryopses d’orge nous fait penser à une forme nue de cette espèce, mais l’échantillon contient aussi quelques grains qui sont typiques de l’orge vêtue (fig. 15). Malgré la prédominance de cette dernière, le blé engrain reste important et représente un quart des céréales. L’assemblage de blé engrain est toujours composé à la fois de caryopses et de bases de glumes, signifiant que ce dernier était conservé sous forme d’épillets. Ce n’est en revanche pas le cas de l’orge dont les restes de battage sont totalement absents. Le blé amidonnier et le blé nu, dans des quantités plus modestes, accompagnent ce corpus. Une seule plante adventice, la vrillée faux-liseron, est associée à cet assemblage.
Fig. 15. Les Balmes. Taxons identifiés dans le contenu du récipient en écorce et son épandage et dans l’échantillon provenant du carré G6.


21Par ailleurs, des aiguilles de sapin, un fragment de coque de noisette et quelques graminées ont également été mis au jour (fig. 15)
22Cet échantillon a été directement daté au radiocarbone sur un ensemble de caryopses d’orge qui le situe entre 3100 et 2900 av. J.-C. Cette datation correspond à la fin de l’occupation du Néolithique final.
Le tamisage à sec, 1980-1990
23Dans les identifications réalisées sur les restes botaniques issus des tamisages à sec (fouille P. Benamour) nous avons principalement trouvé des céréales, soit 690 restes sur 707, dominées par le blé engrain avec 399 caryopses, suivi de 52 caryopses d’orge, 32 de blé nu et huit de blé amidonnier. Ici ce sont les caryopses qui sont majoritaires, car l’utilisation d’une maille de tamis de 2 ou 3 millimètres a dû laisser partir les restes de battages. Il en de même avec les espèces sauvages : seuls quelques fragments de pignons d’arolle (Pinus cembra, pl. III, no 1) et un gland de chêne (Quercus sp.) complètent ce tableau. Toutes les graines dont la taille est inférieure à 2 millimètres ont du être perdues.
Les prélèvements de la fouille témoin de 1994
24Les prélèvements de la fouille témoin de 1994 fournissent une variété de taxons plus importante que pour les tamisages à sec : outre la présence de céréales, les échantillons contiennent des restes d’arbres et d’arbustes, de plantes apophytes, des graines de laiche (Carex sp.) et de légumineuses (Fabaceae). Les céréales représentent plus de la moitié du corpus, avec 194 caryopses sur 376 au total. Le blé nu occupe la première place avec 52 caryopses, suivi de l’orge. Le blé engrain et le blé amidonnier sont quasi-inexistants, mais presque la moitié des céréales n’a pas pu être identifiée précisément (Cerealia et Triticum sp.) en raison d’une mauvaise conservation. On notera enfin la présence de deux pois cultivés.
25Les arbres et les arbustes comprennent 32 fragments d’aiguilles de sapin, 37 fragments de coques de noisettes (Corylus avellana), 15 fragments de pignon d’arolle et 32 graines de raisin d’ours (Arctostaphylos uva-ursi).
26Enfin, quelques taxons sauvages ont été identifiés : une dizaine de graines de chénopode blanc, six graines de gaillet (Galium sp.) et deux graines de vrillée faux-liseron pour les taxons apophytes. Deux graines de laiche et quelques légumineuses complètent cet assemblage.
Synthèse et interprétations
27La grotte des Balmes à Sollières-Sardières nous a fourni des échantillons de nature très différente selon le mode de prélèvement et le tamisage effectué. Deux ensembles très riches en céréales se détachent : l’un constitue le contenu d’une boite en écorce et se compose majoritairement de blé engrain conservé sous forme d’épillets ; l’autre est un mélange d’orge et de blé engrain. Le blé amidonnier et le blé nu accompagnent toujours en quantité plus modeste ces deux céréales. Seul le pois, autre taxon cultivé, a été identifié en quatre exemplaires. De rares plantes adventices, principalement la renouée faux-liseron, sont associées aux céréales.
28Le blé engrain est stocké non décortiqué et nettoyé des mauvaises herbes. Le stockage en épillet a de multiples avantages car les enveloppes assurent une protection efficace des grains contre l’action de divers agents d’altération : humidité, insectes et rongeurs. Par ailleurs, les grains décortiqués des blés vêtus ne peuvent se conserver que pendant une courte période, à cause de la faible épaisseur de leur épiderme constitué d’une strate unique. Le décorticage et la mouture se font donc plutôt au quotidien, au fur et à mesure des besoins (Bouby, 2003 ; Sigaut, 1981). La découverte dans le même secteur d’une meule entière, très utilisée, conforte cette hypothèse.
29L’usage de blé engrain et dans une moindre mesure de l’orge est singulier. Cette céréale rustique est toujours secondaire, à quelques exceptions, dans les sites de plus basse altitude. Le choix de l’engrain pourrait être lié à son adaptation particulière à des milieux plus rudes, comme c’est le cas en milieu montagnard. Nous reviendrons en détail sur cette question au chapitre suivant.
30L’utilisation de la grotte comme bergerie, mise en évidence d’après les analyses sédimentologiques, et comme lieu de stockage de céréales nous permet d’envisager une occupation des lieux par une communauté agropastorale avec son bétail. On notera que récemment, certains paysans de la Haute-Maurienne vivaient dans des espaces exigus avec leurs troupeaux, des « logis-étables ». Ces espaces, occupés durant l’hiver, occupent une surface de 25 à 35 m2, et une hauteur de 180 centimètres à 2 mètres. L’espace du logis abrite une famille parfois nombreuse, et l’étable comprend en moyenne deux à trois vaches, un âne, deux veaux, trois à quatre moutons et chèvres ainsi que quelques poules et lapins (Goldstern, 2007).
31Par ailleurs nos analyses ont mis au jour des restes de chêne, de noisetier, de sureau, de sapin, d’arolle et de raisin d’ours. Les analyses anthracologiques réalisées sur les niveaux néolithiques de la fouille témoin de 1994 montrent un paysage végétal montagnard dominé par le pin sylvestre ou le pin à crochets (Pinus sylvestris/mugo subsp. uncinata, environ 90 % des charbons identifiés). Il est accompagné du sapin, du mélèze ou de l’épicéa (Larix decidua/Picea abies) et de quelques feuillus dont le bouleau (Betula sp.), des rosacées (Rosaceae), l’érable (Acer sp.) et le saule (Salix sp.) (Thiébault, 2012). Les essences présentes dans les macrorestes montrent une récolte opportuniste de certaines espèces, destinée à l’alimentation humaine et/ou à l’entretien du troupeau. Les glands, les noisettes, les baies du sureau et du raisin d’ours, les pignons d’arolle forment le spectre de cueillette. Le sapin peut être utilisé pour le bétail comme litière ou comme fourrage.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011