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    Plan détaillé Texte intégral Les halles, lieu d’un pacte républicain entre Paris et la province ?Organiser la représentation à distance des producteursMarché officiel et marché libre Notes de bas de page

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    Table des matières

    Chapitre II

    Représenter la province : le nouveau régime des halles centrales de Paris

    p. 61-88

    Texte intégral Les halles, lieu d’un pacte républicain entre Paris et la province ?Les dysfonctionnements du marchéOrganiser la représentation à distance des producteursLiberté du commerce et/ou représentation statutaire ?Quelles sont les capacités réelles des producteurs ?Les contrôles des agents et des ventesMarché officiel et marché libreLa multiplication des catégories d’acteursLe marché et son double Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Le 11 juin 1896, le parlement français adopte, après des années de débats, une loi « tendant à réglementer les halles centrales de Paris ». C’est la première fois qu’on légifère pour réglementer spécifiquement un marché qui, comme les autres marchés de denrées alimentaires en France, est un marché municipal. Cette volonté du législateur de réglementer les halles centrales de Paris tient à ce que l’on pourrait appeler la dualité du marché. Même si ce n’est pas nouveau, la région parisienne n’est pas autosuffisante en matière alimentaire, et la croissance rapide de la population de la capitale oblige celle-ci à acheter sans cesse plus de denrées en provenance de toutes les régions de France. Marché local, les halles de Paris sont en même temps considérées comme un marché national. Autrement dit, les halles constituent à la fois une place de marché, au sens classique du terme, un espace physique que l’on peut contrôler par des mesures de police, et un lieu où doivent être représentés les intérêts non seulement des habitants de Paris mais aussi d’un espace économique, social et politique beaucoup plus vaste, la province et sa paysannerie. Incidemment, ceci signifie qu’on entend régler un problème national à partir de la seule situation parisienne.

    2Les parlementaires confèrent ainsi à cet espace économique des halles la mission de garantir un pacte politique entre Paris et la province1. Le problème central qui se pose, dans cette perspective, est celui de la représentation des agriculteurs provinciaux sur le marché parisien. Autrement dit, le problème qui structure les débats dont on retrace ici le cheminement est celui de l’absence. Au-delà des profonds désaccords qui opposent les protagonistes de ces débats, ils partagent la représentation d’une solution idéale aux abus et dysfonctionnements observés qui permettrait au producteur de venir vendre lui-même ses produits à Paris. Mais cette solution n’est en général pas praticable. Dès lors, la question se pose de savoir comment rendre présente malgré tout cette figure absente de l’échange, de mettre en place une représentation à distance du producteur de province à Paris. Mais en quoi cette représentation pose-t-elle problème ? Quelles sont les solutions envisagées et quelles sont les solutions effectivement mises en œuvre ?

    3Les débats se focalisent sur la « fraude » autour des ventes, en particulier les pratiques de ventes successives (et fictives) à l’intérieur même du marché parisien. Les producteurs de province n’ont pas de prise directe sur ces pratiques qui, d’après les partisans d’une loi, leur portent tort. S’il existe un consensus relatif sur la nocivité de ces pratiques, il n’existe pas a priori d’accord sur les mécanismes à mettre en œuvre pour les faire cesser. En première instance, les débats semblent opposer des partisans d’une réglementation stricte, instituant un statut unique de vendeur aux halles, révocable et fortement contrôlé par l’administration du marché, à ceux qui misent plus volontiers sur la liberté du commerce et la concurrence pour éliminer les comportements opportunistes. Mais au-delà de cette opposition, il apparaît que les protagonistes ne partagent pas du tout la même représentation du marché, en particulier de ses espaces et de ses frontières, ni des capacités réelles des producteurs de province. En outre, les halles ne sont pas qu’un marché, mais aussi un sous-ensemble de l’espace urbain, et posent à ce titre des problèmes structurels d’encombrement et de circulation. Dès lors, se pose la question de savoir s’il est plus opportun d’agir sur les comportements des acteurs ou bien sur leur environnement matériel. Le texte de loi finalement adopté ne tranche pas entre ces différentes représentations, maintient ou réintroduit une hétérogénéité d’espaces et de statuts, et entretient un certain flou sur les frontières du marché. Sous le double effet de cette hétérogénéité des espaces marchands, de l’augmentation constante de la population parisienne et du volume de marchandises circulant aux halles de Paris dans la première partie du xxe siècle, les halles de Paris voient se multiplier des catégories nouvelles d’acteurs, qui jouent sur la porosité des frontières entre les différentes zones du marché. Se pose alors la question d’étendre une réglementation unique à l’ensemble des sous-espaces du marché. Comme on le verra, cette question sera centrale dans les débats qui amèneront à la création des MIN en 1953. C’est qu’en effet, on touche là au problème structurel de toute réglementation de places de marché, la définition des frontières du marché2.

    Les halles, lieu d’un pacte républicain entre Paris et la province ?

    4En avril et mai 1876 se tiennent, aux assises de la Seine, les deux procès de « l’affaire des halles ». À cette occasion éclate au grand jour la pratique généralisée de la corruption sur le marché de la volaille et du gibier. Lors du premier procès sont jugés les délits commis sur le marché à l’amiable où les marchands forains réalisent eux-mêmes les ventes, en principe sous la surveillance des facteurs3. Durant le second procès sont inculpés uniquement des agents de la préfecture de Police et de la préfecture de la Seine, soupçonnés de s’être rendus coupables de fraude, d’abus de confiance et de vols sur le marché à la criée. Le marché à la criée sert à vendre les marchandises des éleveurs et expéditeurs de province qui ne peuvent se rendre eux-mêmes aux halles pour y commercialiser leurs produits. Ce sont ceux-là mêmes qui sont censés vendre ces produits pour le compte des éleveurs et expéditeurs provinciaux qui les ont trompés. Mais les conflits d’attribution entre la préfecture de la Seine et la préfecture de Police ont favorisé le développement de la fraude et de la corruption sur les taxes ad valorem perçues sur les marchandises entrant aux halles. Dans un cas comme dans l’autre, les facteurs (qui sont au nombre de 8 en tout et pour tout sur les halles), agents officiels des ventes (directement dans le cas de la criée, indirectement – par surveillance des transactions – sur le marché à l’amiable) sont accusés d’être devenus les maîtres du marché, et de favoriser voire d’organiser la fraude, qui pénalise à la fois les producteurs et la ville de Paris (perception de l’impôt). Lors du premier procès, un témoin déclare ainsi :

    J’ai longtemps été commissionnaire au marché de la Vallée ; j’ai été scandalisé des abus qui s’y commettaient et dont la responsabilité, selon moi, remonte aux facteurs qui payent peu leurs employés ; cela force ces derniers à se payer d’une autre manière, ce que les facteurs n’ignorent pas.
    Je n’ai jamais vendu à l’amiable, mais seulement à la criée. Là, quoi que je fusse présent, j’ai été victime, de la part de tous les employés des facteurs et de l’administration de la préfecture de Police, […] de vols nombreux et manifestes. Les expéditeurs de province étaient victimes sur une échelle bien plus grande.4

    5« Quoi que je fusse présent, j’ai été victime » : cette déclaration souligne paradoxalement que le principal problème à régler est celui des absents qui ne peuvent directement faire valoir leurs droits et sont de ce fait « victimes sur une échelle bien plus grande ». Ainsi, ces procès mettent en question le fonctionnement même du marché parisien et les relations qu’il entretient avec la province : la croissance de la population de la capitale et l’augmentation progressive des salaires réels dans la seconde moitié du xixe siècle exercent une forte pression sur l’offre de produits alimentaires. Paris y répond par un élargissement de ses zones d’approvisionnement. Le développement des chemins de fer permet cet élargissement et cet accroissement du trafic de marchandises vers la capitale, avec par exemple, la ligne Paris-Lyon-Méditerranée mise en service dans les années 1850. À mesure que se généralise la pratique du commerce à distance, le problème de la représentation des éleveurs, producteurs et expéditeurs de province devient sans cesse plus épineux, sans parler de l’encombrement du centre de Paris que suscite l’afflux de marchandises. Lors du premier procès, les défenseurs des marchands forains inculpés ont mis en cause la lourdeur des contrôles administratifs, responsable selon eux de la fraude. Mais il s’agit là de l’argument de marchands qui vendent eux-mêmes les denrées qu’ils ont envoyées vers Paris. Le second procès pose directement la question de l’élaboration d’un « nouveau régime » des halles, à même de clarifier à la fois le statut des vendeurs et les attributions respectives des préfectures de police et de la Seine.

    6Pour restituer le rôle à la fois économique et politique que l’on attribue alors aux halles de Paris, on peut se référer au Tour de la France par deux enfants, manuel d’instruction civique étudié dans les écoles primaires sous la IIIe République. Justement parce qu’il vise à inculquer aux futurs citoyens l’idéologie et les valeurs républicaines, ce livre peut être un matériau précieux pour déchiffrer les attentes du pouvoir et le sens commun autour de la définition d’un problème public de l’époque. Le passage suivant est tiré du chapitre 62, où les deux personnages principaux visitent les halles de Paris avec l’oncle Frantz :

    L’oncle se mit à rire de la naïveté de Julien.
    – Une foire ! s’écria-t-il ; mais, mon ami, il n’y en a jamais aux halles ; le bruit et le mouvement que tu vois aujourd’hui sont le bruit et l’animation de chaque jour.
    – Quoi ! c’est tous les jours comme cela !
    – Tous les jours. Il faut bien que ce grand Paris mange. Songe qu’il renferme deux millions et demi d’habitants, dont plus d’un demi-million d’ouvriers qui travaillent avec courage depuis l’aube jusqu’au soir. Tous ces habitants, en revenant du travail, de leurs affaires, de leurs plaisirs, ont bon appétit et espèrent trouver à dîner. […]
    – Mais, dit l’enfant, ce Paris est un Gargantua, comme on dit ; où trouve-t-on tous ces troupeaux ?
    – Julien, dit l’oncle Frantz, ces armées de troupeaux arrivent à Paris de tous les points de la France : Paris a sept gares de chemin de fer ; il a aussi la navigation de la Seine à laquelle aboutissent les réseaux des canaux français. Par toutes les voies les provisions arrivent. Tiens, regarde par exemple cet étalage de légumes : il y a là des choses qui ont passé la mer pour arriver à Paris. […]
    – Oh ! dit Julien, que de monde est occupé en France à nourrir Paris ! – Petit Julien, dit André, pendant que les agriculteurs sèment et moissonnent pour Paris, Paris ne reste pas à rien faire, lui, car c’est la ville la plus industrieuse du monde. Ses ouvriers travaillent pour la France à leur tour, et leur travail est d’un fini, d’un goût tels qu’ils n’ont guère de rivaux en Europe. Et les savants de Paris, donc ! Ils pensent et cherchent de leur côté ; leurs livres et leurs découvertes nous arrivent en province.5

    7Ce texte décrit en quelque sorte un pacte politique entre Paris et la province. Paris est la plus grande ville de France, elle se consacre d’abord aux sciences et aux industries, dont les découvertes et les inventions profitent à tout le pays, tandis que le reste de la France, rural, s’occupe de nourrir Paris. Le problème pratique est d’acheminer ces productions de toute provenance vers cette ville qui est la plus grosse consommatrice de denrées alimentaires mais qui n’en produit pas (ou pas suffisamment). Il faut à la fois mettre en place les conditions d’une bonne circulation des marchandises et faire en sorte que ceux qui en sont chargés ne trichent pas. Il faut que cet échange soit équitable, tant pour le consommateur parisien que pour le paysan de province, faute de quoi le pacte entre Paris et la Province serait rompu. Voilà l’enjeu pour les contemporains : la question de la juste représentation des intérêts de la province dans la capitale. Pour eux, le procès de la Vallée révèle que ce pacte n’est pas respecté :

    Les producteurs approvisionneraient plus complètement notre grand marché national si des déceptions causées par des fraudes fréquemment restées impunies n’avaient point inspiré aux expéditeurs une méfiance trop justifiée dans cette cour des miracles où le rural est taillé sans merci.6

    8Comment qualifient-ils les abus et les dysfonctionnements qui ont lieu sur la place parisienne ? Et que faire de la vieille institution du factorat ?

    Les dysfonctionnements du marché

    9Pour mettre un terme aux abus constatés lors de l’affaire des halles intervient en 1878 un premier décret censé renforcer les contrôles, en particulier sur le factorat. Mais dès le début des années 1890, ce décret apparaît à nombre d’acteurs économiques ou politiques comme insuffisant pour réguler le marché et un député, M. Cluseret7, soutenu par des sociétés d’agriculture qui estiment les producteurs régulièrement floués par les vendeurs parisiens, entreprend de faire voter une loi tendant à la réglementation des halles centrales de Paris. La discussion du projet de loi durera trois ans, avec plusieurs allers-retours entre le Sénat et la Chambre, pour finalement aboutir à la loi qui sera votée le 11 juin 1896.

    10Les deux catégories de fraudes les plus fréquemment mentionnées, à propos des halles centrales de Paris, sont le regrat et la resserre. Le regrat désigne les ventes successives à l’intérieur des halles. Si les parlementaires entendent s’y attaquer, c’est parce que le procès de la Vallée puis des enquêtes de police ont montré qu’ils s’agissaient souvent de ventes fictives : « On présente le lot et, sans que personne ne se soit présenté pour l’acheter, on le porte comme vendu à un prix imaginaire, on le fait disparaître, et, quelques instants après, on le représente de nouveau aux acheteurs réels pour le vendre à un prix supérieur8. » Ensuite, le vendeur indique à son fournisseur le prix de la vente fictive, et garde pour lui la marge entre le premier prix fictif et le prix de la vente réelle. Ce sont parfois les facteurs eux-mêmes qui, profitant des interstices laissés par le décret du 1878, réalisent ces ventes fictives en se portant momentanément commissionnaires. Au-delà du cas des ventes fictives, ce sont plus généralement les ventes successives sur les halles qui sont visées. En effet, si les parlementaires présentent le regrat comme une fraude par vente fictive, le regrat correspond à une pratique ancienne, qui consiste à revendre sur les halles une marchandise achetée sur place. On nomme ainsi « regrattiers » les personnes qui se livrent à cette activité d’achat-vente à l’intérieur du marché lui-même. Les regrattiers sont dénoncés par les porteurs du projet de loi pour une double raison : d’une part, ils favorisent l’augmentation des cours, d’autre part, ils opèrent souvent sur le « carreau des producteurs », espace du périmètre des halles en principe réservé (suite à une ordonnance municipale de 1860) aux producteurs de fruits et légumes de la banlieue parisienne pour qu’ils puissent vendre au détail leurs propres produits. L’empiètement des regrattiers sur le carreau dissuade les producteurs de venir aux halles. Or, la loi vise justement à défendre les intérêts des producteurs, notamment en facilitant leur venue aux halles quand ils résident à proximité de Paris.

    11L’autre type de fraude le plus fréquemment dénoncé est la resserre. Il s’agit là de cacher une partie des stocks réellement détenus pour laisser penser aux acheteurs que l’offre est plus réduite qu’elle ne l’est réellement : « La denrée est-elle abondante un matin ? Les facteurs aux halles ou les commissionnaires […] dissimulent une grande partie de ces envois et, le lendemain, ils les mettent en vente en ayant soin d’écrire aux expéditeurs qu’ils n’envoient plus telle denrée, parce qu’elle surabonde sur le marché ; ou bien encore ils invitent le laboratoire municipal à opérer la saisie des denrées expédiées, sous prétexte qu’elles sont avariées9. » Ainsi, le premier jour, c’est le consommateur qui est lésé, et le second, c’est l’expéditeur. On notera que, dans cette manœuvre qu’est la resserre, les inspecteurs de la police du marché jouent un rôle déterminant. Soit corrompus, ils collaborent activement à la resserre, soit naïfs, ils constatent la détérioration des marchandises et les saisissent. Quoi qu’il en soit, cette donnée appelle une définition ou une précision des conditions auxquelles les denrées entrent et sortent des halles.

    12Ce débat sur les fraudes s’étend aux techniques de vente. Depuis les années 1850 coexistent un marché à la criée et un marché à l’amiable, tous deux censés être surveillés par les facteurs. Le système de vente à l’amiable, qui gagne sans cesse en importance, fait l’objet de critiques récurrentes, qui l’accusent de favoriser les coalitions et les accaparements. Du point de vue de la critique, la vente à l’amiable présente moins de garanties, du fait de son absence de publicité : c’est-à-dire que c’est la présence d’un public (plus que la surveillance d’un agent officiel), témoin impartial des transactions, qui est censé garantir leur loyauté :

    C’est le public du banc de vente qui s’aperçoit immédiatement de la fraude et qui la dénonce à qui de droit. En même temps que l’étiquette porte le prix inscrit en gros chiffres, en caractères nettement lisibles, le vendeur est tenu de l’énoncer, de le proclamer à haute et intelligible voix. Si donc il y a fraude et si, inscrivant un chiffre, il en proclame un autre, tout le monde criera : « Au voleur ! », et il sera immédiatement arrêté dans ses opérations.10

    13Ainsi, le problème tel qu’il est qualifié par les parlementaires est un problème de fraudes sur les transactions, fraudes qui gonflent artificiellement les prix, lèsent les expéditeurs et producteurs de province et dissuadent ceux-ci de jouer le jeu de l’approvisionnement de la capitale car ils sont maintenus dans l’ignorance de ce qui s’y passe. C’est l’opacité des pratiques aux halles, et l’absence de prise des producteurs sur ces pratiques qui motivent l’intervention législative.

    14Un autre phénomène nuit au bon fonctionnement du marché, le manque de place : d’une part les halles ne sont plus assez grandes pour accueillir le volume des échanges qu’elles connaissent à la fin du xixe siècle et d’autre part, à l’intérieur des pavillons, le commerce de détail, admis dans une certaine mesure, s’est développé au point d’occuper quatre pavillons et demi sur dix existant en 1895. Le préfet de police Lépine, nommé commissaire du gouvernement, rapporte même que le développement du commerce de gros est entravé par celui « d’industries qui n’ont qu’un rapport très éloigné avec le commerce de l’alimentation, comme les arlequins, la poterie, la quincaillerie, les couronnes funéraires ». Ces différentes gênes obligent les grossistes à empiler comme ils le peuvent leurs marchandises, à utiliser le moindre espace disponible, ainsi qu’à faire déborder leur commerce hors des pavillons. Il en résulte un manque de clarté des transactions :

    […] la surveillance de la préfecture de Police, le contrôle administratifs, sont rendus extrêmement difficiles par l’encombrement des postes et par la confusion qui en résulte. […] Au point de vue des transactions, croyez-vous que lorsqu’on est obligé d’escalader les mannes, de piétiner le poisson pour se rendre compte de la manière dont les transactions s’opèrent, il n’y a pas là quelque embarras et quelque gêne pour ceux qui sont chargés de ce service ?11

    15Ce dernier point, l’organisation physique du marché, se différencie des précédents en ce qu’il ne porte pas sur le comportement des acteurs, mais sur leur environnement. Il peut toutefois agir comme condition permissive aux fraudes décrites plus haut. Dès lors, il apparaît nécessaire de déterminer sur quelle variable il faut agir pour mettre fin à ces pratiques : le comportement des acteurs ou bien leur cadre d’action ? Pour les uns, ce sont le contrôle administratif et le statut des vendeurs qui doivent discipliner les vendeurs. Pour d’autres, il faut avant tout mettre en œuvre les conditions matérielles nécessaires à l’établissement de la concurrence, afin que puisse naître une discipline de marché. Enfin, le commissaire du gouvernement, préfet de police, occupe une position hybride dans la mesure où tout en souhaitant des contrôles il insiste sur la nécessité d’une transformation matérielle des halles pour que ces mêmes contrôles s’effectuent de manière efficace.

    16Comme on l’a dit, la question de la définition d’une juridiction est centrale dans le fonctionnement de toute place de marché. Au xixe siècle, la rivalité entre la préfecture de la Seine et la préfecture de Police est de notoriété publique à Paris. Or, le procès de la Vallée a justement abouti au constat que ce sont les conflits d’attribution entre les préfectures qui ont créé de l’irresponsabilité et favorisé le développement de la fraude. Lors d’une audience, un inspecteur de police déclare :

    Aussitôt que je me suis retrouvé renseigné par le personnel sous mes ordres sur ce qui se passait à la Vallée, je fis dresser de nombreux procès-verbaux. Je ne pouvais user de ce moyen que pour les fraudes sur les quantités. Comment faire pour celles sur les déclarations de prix ? Je voulus tenter ; mais je reçus un arrêté de blâme du préfet de police. Depuis 1859, on m’avait défendu de m’occuper des abus relatifs aux perceptions municipales. C’était dans les attributions des préposés des perceptions, et, moi, j’étais inspecteur de police pour la salubrité et l’ordre. Je ne pouvais donc rien contre les abus ; il n’y avait pas moyen d’y remédier.12

    17La conclusion du procès est qu’une institution placée sous une double tutelle, un double contrôle ne peut fonctionner correctement. D’un côté, la municipalité propriétaire du marché (c’est notamment elle qui a financé la construction des pavillons Baltard) bénéficie par définition d’un droit d’administration de son bien, de l’autre, la préfecture de Police jouit du « monopole de la contrainte physique légitime » mais on ne pourrait légalement doter la préfecture de la Seine d’un corps spécial de police du marché. Aussi, les compétences de police du marché devront nécessairement être partagées. L’enjeu implicite du projet de loi est de transférer le maximum possible de compétences à la préfecture de Police (qui peut recourir à la contrainte physique), en particulier la répartition des emplacements sous les pavillons et la surveillance des transactions. Des parlementaires parisiens s’opposent sinon à la loi, en tout cas à tout ce qui pourrait engendrer une perte de prise sur les halles pour le conseil municipal, au motif que « la collectivité n’a pas le droit de priver la ville de Paris de l’administration de sa chose13 ». On leur oppose que désormais les halles centrales ne sont plus seulement un marché d’envergure municipale mais bien nationale et qu’elles mettent en jeu le devenir de toute l’agriculture en France14. Quoi qu’il en soit, il faut souligner qu’on trouve en filigrane de tous ces débats parlementaires le problème du caractère national des halles qui, de marché local approvisionné principalement par les producteurs de la région parisienne, est devenu un marché capable d’attirer des denrées provenant de toute la France. Se pose alors le problème suivant : sachant que les producteurs provinciaux ne peuvent vendre eux-mêmes leurs marchandises, comment peuvent-ils s’assurer de la loyauté de ceux qui seront chargé de vendre leurs propres produits aux halles ?

    Organiser la représentation à distance des producteurs

    Liberté du commerce et/ou représentation statutaire ?

    18Si les fraudes présentées ci-dessus impliquent les différents groupes professionnels qui composent les halles, c’est le groupe des facteurs qui, implicitement, est visé par le projet de loi. C’est donc une survivance de l’Ancien Régime qui meut l’action publique et sert de pivot au projet de résolution des dysfonctionnements observés15. Dans son rapport sur les halles à l’origine de la proposition de loi, Cluseret met en avant le rôle de préservation de l’intérêt général que doivent jouer les halles et conséquemment la nécessité de réserver les opérations de vente à des « jurés-vendeurs16 ». La définition du problème public tourne donc autour de cette figure de l’intermédiaire officiel des ventes, agent assermenté chargé d’assurer le bon fonctionnement du marché mais qui n’est pas lui-même un marchand et à qui il est interdit de pratiquer le commerce « pour son propre compte ». Il s’agit de redéfinir son statut, l’extension de ses prérogatives, de ses droits et devoirs. Ce constat permet de nuancer fortement la vision de la Révolution comme moment de rupture pure et simple avec l’Ancien Régime par l’abolition des corporations (décrets d’Allarde et loi Le Chapelier) et l’affirmation de la liberté du commerce17. Les parlementaires entendent régler le problème de l’accroissement et de l’extension des échanges commerciaux en limitant au maximum la place du commerçant dans ce qui est considéré comme le point central du dispositif national d’échange. Le « pacte républicain » entre Paris et la province s’appuie sur des outils issus de l’Ancien Régime. Pour autant, ceci ne signifie pas que la liberté du commerce constituerait une forme d’impensé. Ceci ne va pas sans créer des situations de tension cognitive et politique assez forte, comme en témoigne par exemple le cas du décret du 22 janvier 1878 :

    Le décret du 22 janvier 1878 en maintenant les facteurs n’a prescrit que des conditions insuffisantes pour leur recrutement et la surveillance de leurs actes. Les dispositions qu’il édicte sont même souvent en contradiction entre elles et favorisent les plus dommageables abus. Une preuve évidente nous en a été particulièrement signalée. L’article 9 porte, dans un premier alinéa :
    « Les facteurs ne peuvent en aucun cas et sous aucun prétexte faire, soit directement soit indirectement, faire commerce des denrées qu’ils sont chargés de vendre. »
    Mais cette règle est rendue vaine par le second alinéa ainsi conçu :
    « Les facteurs ne peuvent, à quel titre que ce soit, sinon comme commissionnaires ou représentants des producteurs, être intéressés aux ventes où ils opèrent officiellement. »
    En vérité, la contradiction flagrante des deux dispositions rend trop facile les capitulations de conscience. Elle permet au facteur de manquer à ses devoirs, de changer de rôle avec la facilité d’un acteur qui se présente sur la scène, sous des aspects et des travestissements divers.18

    19À la faveur des imprécisions de ce décret, les commissionnaires ont pu peu à peu prendre pied à l’intérieur des pavillons des halles et se faire passer facilement pour facteurs auprès des expéditeurs de province. En outre, ils tendent à prendre le pas sur les facteurs en nombre comme en volumes traités. Aussi, quelle catégorie est-il le plus urgent de réglementer, les agents officiels ou les commerçants ? Faut-il conserver la dualité de fait des statuts ou bien faut-il étendre le statut à l’ensemble des acteurs du marché ? Mais alors, que devient la liberté du commerce ?

    20Pour les instigateurs de la loi, les fraudes observées aux halles sont paradoxalement facilitées par le décret du 1878, qui introduit la dualité entre facteurs et commissionnaires. La loi doit donc rétablir l’unicité du statut de vendeur à l’intérieur des halles afin que tous les vendeurs qui y opèrent soient recrutés et surveillés administrativement de la même manière et aient tous des comptes à rendre à leurs expéditeurs sur les transactions qu’ils effectuent. Pour d’autres au contraire, l’attribution d’un tel statut d’agent public aux grossistes reviendrait à constituer un monopole au profit d’un corps de vendeurs qui seraient à même de se livrer sans contrainte à toutes sortes de pratiques monopolistiques. On peut trouver une illustration de cette opposition dans la discussion suivante (Sénat, 18 février 1895) où le rapporteur de la proposition de loi (M. Camescasse) est interrompu par un partisan de la dualité des statuts sur le marché :

    M. le rapporteur. – Prenons un producteur qui envoie ses marchandises à Paris. À qui doit-il s’adresser ? Il a le choix entre […] un agent officiel, le facteur, qui est cautionné et surveillé ; et puis nous avons cet intermédiaire qui s’appelle le commissionnaire. Celui-ci n’offre comme garantie que sa moralité et la situation qu’une clientèle souvent ancienne lui a faite peu à peu. […] Quelle est la conséquence de cette dualité de vendeurs ?
    M. Buffet. – C’est de respecter le libre choix des expéditeurs. M. le rapporteur. – C’est facile à dire. […] Si l’intermédiaire libre, le commissionnaire pour l’appeler par son nom, ne présente pas une garantie suffisante…
    M. Buffet. – Cela le regarde !
    M. le rapporteur. – Il est certain que quand une personne habite à cinquante lieues et qu’elle a besoin d’envoyer sa marchandise aux halles, parce que c’est là le lieu de rassemblement naturel, elle ne sait pas à qui s’adresser.
    M. Buffet. – Elle peut s’adresser aux facteurs si elle n’a pas confiance dans les commissionnaires.

    21L’opposition ne porte donc pas sur le marché comme principe19 mais sur la question de l’unité/dualité du vendeur au sein des halles avec comme enjeu la garantie aux producteurs et expéditeurs de province « d’obtenir un marché loyal et sincère ». Pour le sénateur Buffet (droite, ancien sénateur des Vosges, sénateur inamovible depuis 1876), la meilleure garantie pour le producteur est de pouvoir choisir entre deux types de vendeurs. Le fait de pouvoir les mettre en concurrence constitue le meilleur garde-fou contre les pratiques monopolistiques. À l’inverse, pour ceux qui portent le projet de loi, la dualité des vendeurs a facilité la généralisation de la fraude, y compris après le procès de la Vallée. Pour eux, il importe que le vendeur soit unique et ait un statut officiel qui permette à l’administration de le contrôler et, en particulier, de contrôler les transactions qu’il effectue en l’obligeant à établir un compte-rendu de chaque transaction.

    Quelles sont les capacités réelles des producteurs ?

    22Si le statut des vendeurs aux halles fait autant débat, c’est que les parlementaires n’arrivent pas à s’accorder sur les capacités réelles d’action des producteurs de province sur un marché distant du lieu où ils vivent et travaillent. La solution idéale reviendrait à permettre aux « propriétaires » (c’est-à-dire aux producteurs) de commercialiser eux-mêmes leur production. Le sénateur Le Breton plaide pour une solution de ce genre sachant que, de son point de vue, le manque de place aux halles fera que les vendeurs finiront toujours pas former des coalitions pour fausser le jeu du marché, quand bien même elle serait strictement contrôlée par l’administration :

    Je crois que le plus simple consiste à permettre au producteur de vendre lui-même sa marchandise ; et, s’il ne peut venir en personne, de choisir l’homme dans lequel il aura assez confiance pour le charger de cette opération. Cette mesure est réclamée depuis longtemps par les syndicats agricoles. […] Nous sommes à la veille d’une double transformation par la formation de sociétés coopératives de consommation et de sociétés coopératives de production annexées aux syndicats agricoles.20

    23Mais le commissaire du gouvernement lui répond :

    Le propriétaire ! Nous ne demandons qu’à l’accueillir ! […] Introduire le propriétaire aux halles c’est l’idéal en théorie, mais en fait il y a un malheur : c’est que nous aurons beau l’appeler, il ne répondra jamais à notre appel.

    24Si les deux protagonistes sont d’accord sur le fond – l’intérêt de permettre aux producteurs de commercialiser eux-mêmes leurs marchandises –, leur représentation respective de la réalité du marché les oppose. Pour le sénateur, les producteurs pourront défendre leurs intérêts sans problème et la concurrence éliminera les mandataires véreux. La critique que lui adresse le commissaire du gouvernement (le préfet de police Lépine) pourrait être qualifiée de « réaliste » : la possibilité pour producteurs de vendre eux-mêmes sur les halles centrales ou de choisir des mandataires facilement révocables pour les représenter serait une certainement une très bonne chose, mais dans l’état actuel de la filière, les agriculteurs seraient incapables de sélectionner des mandataires et de leur imposer leur politique commerciale. Les agriculteurs ne sont alors pas encore dotés d’organisations collectives suffisamment puissantes pour traiter autrement qu’individuellement avec les grossistes qui disposent de sources d’approvisionnement assez diversifiées pour toujours être en mesure de passer d’un producteur ou expéditeur à l’autre :

    Je dis que [le mandataire] ne sera pas, comme M. Le Breton le suppose, le mandataire d’un mandant, mais d’un groupe de mandants. Comment voulez-vous que, avec la rémunération que lui offrirait un seul cultivateur, un homme […] puisse vivre ? Comment voulez-vous qu’il retire une indemnité raisonnable et suffisante de la perte de son temps ? Non, il sera le mandataire d’un groupe et pour constituer ce groupe il fera ce qu’ont fait tous les commissionnaires, il lancera des circulaires, il inondera la province de ses offres de services et de ses promesses fallacieuses, il s’engagera à vendre les oies au prix ou les autres vendent les dindes.21

    25Alors que Le Breton voit dans la mise en place de coopératives de producteurs la solution d’avenir au problème des marchés, Lépine répond que dans l’état actuel des choses, les producteurs sont incapables de former un groupe apte à choisir ses représentants pour assurer les ventes. Au contraire, ce sont les commissionnaires qui transformeront les producteurs en groupe à leur insu : non pas en groupe volontairement constitué mais en une masse indifférenciée où l’individu ne peut que difficilement faire valoir ses droits. Le fait que ce soit le commissionnaire qui constitue les producteurs en groupe, loin de les renforcer, les affaiblit. Et dans l’argumentation du commissaire du gouvernement, la circulaire est l’outil par lequel le commissionnaire parvient en profitant de leur isolement à transformer malgré eux les producteurs en masse indifférenciée et non consciente d’elle-même. La circulaire joue un rôle d’entité écran. La circulaire, avec laquelle le commissionnaire va inonder la province, loin de constituer un élément d’information, va lui permettre de créer une « asymétrie de prise22 », de se défaire d’une relation de personne à personne, dans laquelle chacun rend des comptes à l’autre, pour intégrer le producteur dans un groupe plus vaste et le priver de sa singularité en profitant notamment des nécessités du commerce pour mélanger les apports des différentes producteurs :

    Comment empêchera-t-il [le producteur] qu’ayant, par exemple, des marchandises de différents expéditeurs il n’élabore des lots composites avec les pièces les plus présentables, qu’il ne les vende ensuite à un prix moyen et ne répartisse ensuite l’argent à son gré entre les expéditeurs après qu’il aura prélevé, bien entendu, ce qu’il jugera devoir être son bénéficie ?23

    26Ainsi, on peut décrire les circulaires des commissionnaires comme des entités écran au moins à double titre. D’une part, au sens d’un « écran de fumée » : la circulaire permet de tromper l’expéditeur sur ce qui se passe réellement une fois qu’il a envoyé ses marchandises à Paris et sur le prix qu’il peut espérer tirer de la vente aux halles ; d’autre part, au sens où on parle, dans le vocabulaire sportif par exemple, de « bloc-écran » : dans une relation entre deux entités, une troisième est introduite qui empêche la seconde d’accéder à la première. En l’occurrence, la circulaire, ou plutôt les circulaires (grâce auxquelles le commissionnaire peut traiter les producteurs comme un tout indifférencié et notamment mélanger les apports des uns et des autres), permettent au commissionnaire de se rendre inaccessible aux des producteurs. À ce sujet, Lépine précise : « Jamais de la vie l’expéditeur n’a vu son commissionnaire ; il ne connaît que son correspondant et que ses circulaires. » En fin de compte, l’analyse des partisans de la réglementation est que, dans l’état actuel des choses, on ne peut empêcher que s’organise une relation à distance entre le producteur (et l’expéditeur) et le vendeur aux halles. Le problème de cette relation est qu’elle va toujours tendre à devenir asymétrique, en ce qu’elle cesse d’être réellement une relation (une relation directe entre deux personnes), pour devenir une relation entre une personne et un groupe indifférencié de personnes. Le rôle de la réglementation est alors d’instituer un système de représentation, qui contraigne le vendeur mandaté à rendre compte de chacune des transactions, pour que les transactions opérées aux halles se maintiennent dans le cadre d’une relation directe entre un mandant et un mandataire.

    27Il existe toutefois une catégorie de producteurs qui peut à la fois remplir les fonctions de producteur et de vendeur aux halles centrales, ce sont les producteurs maraîchers de la région parisienne. Un secteur des halles leur est traditionnellement réservé depuis une délibération du conseil municipal de la ville de Paris du 13 mai 1880 (qui abrogeait une ordonnance de police du 13 septembre 1865) autorisant la vente au détail des denrées végétales sur le « carreau des halles ». Ces producteurs doivent se limiter à la vente de détail des denrées qu’ils apportent eux-mêmes sur le marché. Ainsi, le carreau constitue une exception à la règle qui veut que le producteur n’a pas la possibilité de venir lui-même vendre ses produits aux halles. Cette exception est garantie par l’organisation d’un espace spécial, réservé (en principe) aux producteurs de légumes de la région parisienne et doté d’une juridiction propre.

    Les contrôles des agents et des ventes

    28Quels arbitrages sont réalisés par le parlement dans le texte final de la loi adoptée le 11 juin 1896 ?

    29En premier lieu, les halles centrales sont définies comme un « marché de première main » de denrées alimentaires en gros. Cette définition exclue d’emblée les transactions successives sur les halles dont le cas avait motivé l’intervention législative. À cette fin, la loi précise qu’un lot vendu doit être immédiatement emmené en dehors du pavillon par un fort. Seuls des mandataires sont autorisés à effectuer ces ventes en gros sous les pavillons des halles24. La loi impose donc le principe de l’unité du vendeur. Les mandataires ne constituent pas un corps dont le nombre est limité par la loi ou règlement d’administration, puisque « toute personne » peut recevoir mandat de vendre de la part des producteurs ou expéditeurs sous réserve de présenter un certain nombre de garanties de moralité et de cautionnement25. Le contrôle de ces agents officiels de vente s’exerce surtout par le fait qu’« il est expressément interdit aux mandataires des expéditeurs d’acquérir pour leur propre compte, les denrées qu’ils sont chargés de vendre ou des denrées similaires et, d’une manière générale, d’en faire le commerce par eux-mêmes ou par personnes interposées et, cela même en dehors des halles ; de posséder à Paris ou en province et à l’étranger, aucun magasin ou entrepôt » (article 3). La loi édicte une série de prescriptions qui doivent empêcher le mandataire d’être autre chose que le représentant des intérêts des producteurs et expéditeurs. Ce caractère de représentant, d’agent officiel contrôlé est renforcé par la précarité de l’occupation des emplacements de vente sous les pavillons dont les mandataires ne peuvent être propriétaires, mais à qui ils sont simplement concédés par la préfecture de la Seine. La préfecture de Police n’a donc pas obtenu la répartition des emplacements, comme cela était initialement prévu, mais peut désormais verbaliser. En outre, un commissaire de police est spécialement affecté aux halles centrales.

    30Concernant le contrôle des ventes, outre l’obligation d’évacuer immédiatement du pavillon tout lot vendu, le mandataire est tenu de consigner chaque transaction sur un carnet à souche muni de deux volants (dont un destiné à l’expéditeur) sur lequel doivent figurer le prix de vente, le montant de la commission ainsi que les frais intermédiaires. Les ventes proprement dites peuvent se dérouler soit à la criée, soit à l’amiable. En revanche, quel que soit le mode de vente, le prix doit être énoncé à haute voix à la suite de toute transaction conclue. Le non-respect de ces exigences de la part des mandataires peut entraîner des sanctions allant de l’avertissement à la radiation définitive par le ministère de l’Intérieur. Même si ce n’est pas dit explicitement dans le texte de la loi, un autre mécanisme de contrôle des ventes est censé jouer : le marché lui-même et le fait que les échanges se concentrent en un seul lieu, Paris. Concevoir une loi spécifiquement pour les halles centrales de Paris, c’est aussi acter le fait que Paris est « le lieu naturel » de rassemblement des marchandises et que cette concentration est une des meilleures garanties contre la fraude. Le marché se voit attribuer un rôle de contrôle objectif des ventes :

    Si un fraudeur peut, sur une marchandise particulière, quelquefois obtenir un cours excessif dépassant la moyenne, il est bien certain que sur la masse cette situation ne se présentera pas ; c’est pour cela que je puis dire que les accaparements et les coalitions, toutes les circonstances qui influent sur des marchés étroits, ne peuvent pas se présenter par la force même des choses sur le grand marché parisien.26

    Fig. 5. Plan des Pavillons Baltard, xixe siècle.

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    Source : http://exploratricedesaveurs.com/2012/03/12/exposition-doisneau-paris-les-hallesii-parcours-historique-bref-retour-sur-une-longue-histoire/ (consulté le 19 septembre 2013).

    31Pour qu’un texte de loi puisse finalement être adopté, il a fallu faire des concessions et adopter une solution de compromis. En particulier, les instigateurs du projet de loi ont dû revoir à la baisse leurs ambitions initiales concernant la centralisation des transactions par des « jurés-vendeurs ». Mais au-delà de ces compromis, au-delà de ce qui est explicitement négocié, il reste – et le texte final de la loi en porte la trace – cette hétérogénéité des espaces des halles et celle des représentations associées aux halles centrales de Paris. En effet, au-delà de l’opposition nominale entre partisans d’une représentation statutaire et partisans de la liberté du commerce, un point précis doit attirer l’attention, à savoir que lorsque les différents protagonistes du débat parlent des « halles centrales », ils ne parlent pas de la même chose. En effet, selon le contexte ou le locuteur, « les halles » peuvent renvoyer simplement aux pavillons des halles, ou bien au carreau (c’est-à-dire à la zone de vente en plein air située entre et dans le pourtour immédiat des pavillons), ou encore au périmètre des halles (i.e. la zone englobant les pavillons et le carreau mais plus vaste que ces deux ensembles, définie par la préfecture de Police où des règles spéciales de circulation s’appliquent, afin de faciliter le fonctionnement du marché), voire encore plus largement à la zone du centre de la capitale où sont expédiées et échangées des denrées destinées à l’alimentation de la population parisienne. Mais alors, quelle conception des halles centrales de Paris s’applique dans le projet de loi ? Sur quoi s’agit-il de légiférer ?

    32En principe, la réponse est simple, car la loi est un texte juridique. Or, juridiquement, une halle est un marché couvert27, les règles qui s’y appliquent diffèrent de celles d’un marché de plein-vent. Suivant ce principe, la loi ne doit porter que sur les pavillons des halles. En témoigne l’échange suivant où le rapporteur du projet de loi tente de rassurer un parlementaire qui s’inquiète du devenir du carreau étant donné que l’article 1er de la loi définit les halles centrales comme un marché de gros, alors que le carreau est un marché de détail :

    M. le rapporteur. – Le carreau est absolument distinct des pavillons, en fait et en droit. Les pavillons sont réservés aux denrées de première main ; l’espace qui les entoure est rempli par les légumes. Je fais alors remarquer à l’honorable M. Poirrier que nous n’avons pas visé dans la loi l’ensemble des marchandises mises en vente, mais seulement celles qui sont vendues dans les pavillons.
    […]
    M. Poirrier. – L’explication de M. Camescasse, c’est que le carreau ne serait pas compris dans ce qu’on appelle les halles centrales. Cette explication étonnera beaucoup. Quand on dit « les halles centrales » on comprend le carreau aussi bien que les pavillons. M. le préfet de police fait un signe de dénégation. Je puis me tromper, mais dans le public, tout au moins, quand on dit « les halles centrales », on comprend les pavillons et le carreau. On le comprend d’autant mieux que non seulement le carreau se compose des voies avoisinantes, mais qu’il est en partie disposé entre les pavillons dans des espaces qui sont couverts. Il faudrait donc préciser et dire – ce que l’on ne s’expliquera pas bien d’ailleurs : ce projet de loi qui concerne les halles centrales ne comprend pas le carreau qui, cependant, fait partie des halles. Par conséquent, ses dispositions s’appliquent uniquement aux pavillons. S’il en est ainsi, je vous ferai cette objection : à quoi bon faire une loi de réglementation dont on aurait pu se dispenser et qui ne s’appliquerait qu’à une partie des halles et pas à l’autre ?28

    33Si les défenseurs du projet de loi essaient de convaincre leur contradicteur qu’il se trompe quant à l’objet de la loi, ils sont bien obligés de reconnaître que certaines dispositions de la loi portent sur le carreau, ce qui fait que Poirrier (Union républicaine, sénateur de la Seine) maintient son amendement (qui n’est pas adopté). Mais, le texte final de la loi oscille entre ces différents espaces et différentes conceptions du marché. Ainsi, l’article 1er, qui définit les halles centrales, stipule que

    les halles centrales constituent un marché de première main, à la criée ou à l’amiable, des denrées alimentaires de gros et de demi-gros. Ces ventes s’opèrent selon les règles prévues par la présente loi et par le règlement d’administration publique qui sera rendu pour son exécution.
    Le carreau est réservé, dans le périmètre des halles, aux propriétaires de légumes et fruits vendant leur propre marchandise, à l’exclusion des regrattiers.
    À titre transitoire, quelques pavillons resteront réservés à la vente au détail et aux commerces spéciaux de triperie et de charcuterie qui lui sont assimilés.29

    34Au sein même du texte adopté, la définition juridique des halles coexiste avec différentes visions, beaucoup plus extensives des halles, ce qui ne va pas sans soulever d’incertitude quant au champ (physique) d’application de la loi, surtout lorsqu’il est question du périmètre des halles, qui relève d’une simple mesure administrative. En outre, cette pluralité d’espaces est traversée par différentes conceptions du marché et aucune ne s’impose aux autres, ce qui renforce au final l’ambiguïté du texte : les halles apparaissent tantôt comme le marché de détail destiné aux habitants du centre de la capitale, tantôt comme un marché national où les productions locales dominent encore et finalement comme un grand marché national et international (servant seulement de lieu de transit vers l’Europe du Nord) qui, du point de vue de l’origine des marchandises, n’a plus aucun ancrage local.

    35La loi sur les halles centrales, si on la prend du du point de vue des différents espaces qui les composent, dévoile son véritable visage et apparaît moins comme un projet de monopolisation des ventes au profit d’un corps de vendeurs statutaires que comme une entreprise de différenciation des fonctions économiques et de spécialisation des espaces. Il s’agit moins d’interdire purement et simplement certaines pratiques que de différencier des sous-espaces du marché et dire à quelles activités ils sont réservés. Ainsi, les pavillons des halles doivent être réservés à la vente en gros par les mandataires et les commissionnaires en être exclus, tandis que le carreau doit être réservé à la vente au détail de leur propre marchandise par les producteurs de fruits et légumes de la région parisienne. Enfin, il y a cette zone qui jouxte les pavillons et le carreau que les parlementaires évoquent parfois, qui n’est pas l’objet de la loi, mais où s’échangent pourtant des produits alimentaires sous un régime mal défini et dont l’activité affecte forcément le fonctionnement des halles centrales.

    Marché officiel et marché libre

    36À la lumière des développements qui précèdent, la portée de la loi de 1896 peut s’envisager selon un double prisme. D’une part, la question de la spécialisation des espaces marchands : est-il possible de réserver une zone à une seule catégorie d’acteurs et à un seul type de vente ? D’autre part, dans la mesure où elle prétend ne traiter que des pavillons tout en reconnaissant qu’il existe un espace beaucoup plus vaste d’échanges de denrées alimentaires, la loi interroge l’unité du marché, le statut des pavillons par rapport au reste du marché et, in fine, la portée du pacte républicain entre Paris et la province.

    La multiplication des catégories d’acteurs

    37Profitant de l’ambiguïté du terme de « propriétaire », des commerçants ne tardent pas à (re)faire leur apparition sur le carreau. Ils deviennent rapidement assez nombreux pour qu’il soit jugé utile de réglementer par décret le fonctionnement du carreau. Le décret du 8 octobre 1907 élargit le privilège de la vente sur le carreau des producteurs aux « approvisionneurs », catégorie nouvelle qui n’apparaît pas dans la loi de 1896. Toutefois cette disposition du décret du 8 octobre 1907 est déclarée illégale par le Conseil d’État le 7 juillet 1911, puis une nouvelle fois le 3 février 1925. Car sous couvert d’être propriétaire de la marchandise qu’il commercialise, l’approvisionneur s’avère souvent être commissionnaire libre déguisé, comme lorsqu’il procède à une « vente à facture différée », ou à une « vente à condition ». D’où la plainte de mandataires qui s’estiment lésés. D’après Léon Blum, commissaire du gouvernement, les mandataires aux halles sont des « représentants officiels que la loi a donné d’office aux producteurs ». Les mandataires obtiennent gain de cause et l’arrêt du Conseil d’État interdit la présence des approvisionneurs sur le carreau. Mais l’administration du marché se refuse à expulser les approvisionneurs. Elle refuse de considérer comme nuisible l’activité des approvisionneurs car elle permet de faire augmenter le tonnage qui passe par les halles. À la fin des années 1930, les approvisionneurs drainent sur le carreau environ deux tiers des fruits et légumes qui sont vendus sous les pavillons et sur le carreau. En 1935, les mandataires réitèrent leurs doléances et introduisent une action devant le conseil d’État contre la ville de Paris en réclamant dix millions de francs de dommages et intérêts. Face à cela, le gouvernement se sent obligé de réagir et prend un décret le 1er mars 1935 qui réserve le carreau forain des halles aux cultivateurs amenant leurs produits pour les vendre eux-mêmes. Après ce décret qui prévoit l’expulsion des approvisionneurs pour le 30 avril, la Chambre des députés vote le 30 mars une proposition de loi maintenant les approvisionneurs sur le carreau forain. Après cette date, les approvisionneurs sont maintenus par décrets successifs. Mais à cette époque, nombre de cultivateurs ont renoncé depuis longtemps à se rendre sur le carreau pour y vendre leur production, les maraîchers de la région parisienne assurant par exemple qu’« il faut partir à six heures du soir si on veut se placer sur le carreau30 ».

    38Les regrattiers font assez rapidement leur retour sur le carreau. Le décret du 8 octobre 1907 interdit de revendre sur le marché des marchandises achetées à l’intérieur du périmètre des halles. Toutefois, cette (nouvelle) interdiction ne suffit pas à faire disparaître cette catégorie d’acteurs, encore fustigés par Léon Blum en 1911 : « Il faut débarrasser [le carreau des halles centrales de Paris] de la catégorie d’intermédiaires marrons qui l’infestent depuis longtemps, c’est-à-dire des regrattiers. […] Avec la complicité des forts des halles, [les regrattiers] viennent occuper sur le carreau, c’est-à-dire sur les emplacements réservés aux maraîchers, les places les mieux en vue. Une fois les places prises, ils se procurent par toutes sortes de moyens, généralement par des procédés peu scrupuleux, les denrées dont ils opèrent ensuite la revente, et qu’ils écoulent plus facilement que les maraîchers pour la raison qu’ils occupent les emplacements plus favorables. » Mais l’attitude de l’administration vis-à-vis des regrattiers n’est pas évidente. La préfecture de la Seine, dans la mesure où la ville de Paris est propriétaire du marché et qu’en conséquence les droits d’abris payés par les usagers du marché constituent pour elle une importante de revenus, peut se montrer clémente à l’égard de regrattiers. Elle tend ainsi à leur réserver une zone à l’intérieur du carreau, même si cette décision est déclarée illégale.

    Fig. 6. L’encombrement des Halles de Paris, souci permanent du législateur. Carte postale « Halles centrales à 6 heures du matin ». Ca. 1910, auteur et éditeur inconnus.

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    39De manière plus surprenante par rapports aux objectifs poursuivis par la loi, les pavillons voient eux aussi se développer de nouvelles catégories d’acteurs. Si la préfecture de la Seine est intéressée par l’augmentation du montant global des droits d’abris qu’elle perçoit, les mandataires, eux, peuvent, dans certaines conditions, souhaiter voir augmenter leur droit d’abri individuel. Il y a deux raisons à cela : d’une part, le montant des droits acquittés détermine la taille de l’emplacement que chaque mandataire reçoit ; ce qui a pour conséquence, d’autre part, de déterminer la valeur de la charge (les ventes de charges ou de parties de charges étant fort courantes à l’époque). C’est pourquoi l’administration et les mandataires ont laissé se développer sous les pavillons une profession non mentionnée dans la loi de 1896 : les représentants vendeurs. Un représentant vendeur est un individu qui effectue des ventes au nom d’expéditeurs provinciaux sur le marché des halles. Pour cela, il occupe une partie du poste d’un mandataire sous les pavillons : le mandataire vend la marchandise qui lui a été expédiée directement pendant que le représentant vendeur écoule celle de sa clientèle. Le représentant vendeur rémunère le mandataire dont il occupe une partie de l’emplacement en partageant avec lui les commissions qu’il perçoit. L’administration tolère la présence des représentants vendeurs, à condition que ces derniers ne se fassent pas envoyer de marchandises directement mais qu’elles soient envoyées aux mandataires, et que leurs propres clients reçoivent leurs comptes des mandataires eux-mêmes. Sous ces conditions, l’administration considère que les représentants ne vendent pas pour leur compte et qu’ils ne commettent pas d’entorse à la loi. En outre, les mandataires eux-mêmes en viennent très vite à sortir des pavillons, au motif du manque de place. C’est ainsi qu’en 1907, lorsque sont ouverts 53 nouveaux postes de mandataires, un marché annexe des fruits et légumes voit le jour à l’extérieur des pavillons. Très rapidement, ce marché annexe devient le lieu principal de vente pour les mandataires qui tendent à délaisser leur emplacement sous pavillon31.

    40Une autre figure devient incontournable dans les halles de la première moitié du xxe siècle : le répartiteur. Ce dernier reçoit de la marchandise, en générale d’origine étrangère ou coloniale (parfois aussi métropolitaine), avec le mandat de la vendre. Mais contrairement au mandataire, il ne vend pas depuis un poste donné : il se déplace dans l’ensemble du marché (sous les pavillons et en dehors des pavillons) et tente d’écouler les produits dont il a la charge chez les uns et chez les autres. Si l’on suit la logique de la loi du 11 juin 1896, l’existence d’un tel personnage est aberrante puisqu’il a accès aux pavillons qui constituent un marché de première main et qui sont réservés aux mandataires. Là encore, certains acteurs se sont saisis de l’ambiguïté des textes régissant le fonctionnement des halles. Par une décision du 7 février 1898, l’administration du marché dispose que « les expéditions devront être accompagnées d’un bordereau collectif qui sera établi par les expéditeurs ou leurs représentants32, et qui contiendra le nom et l’adresse de ceux auxquels est destinée la marchandise ». Il suffit donc au répartiteur de prétendre être le représentant de ceux qui lui ont expédié des produits ; il peut ensuite lui-même déterminer la répartition du colis sur le bordereau collectif (ex post). D’autres types de vendeurs verront encore le jour à cette époque qui, pour établir leur activité, jouent sur les frontières entre les différentes espaces des halles centrales de Paris, tels que les « pieds humides » ou les « terrassiers ». En tout état de cause, on voit que les contrôles définis par la loi du 11 juin 1896 n’affectent qu’une petite partie des vendeurs des halles (au sens large) puisqu’en 1937, pour 400 mandataires, on compte 600 approvisionneurs, 400 commissionnaires, 150 terrassiers, 150 représentants vendeurs, 150 pieds humides et un nombre (très variable selon la saison) de producteurs tournant autour de 90033.

    Le marché et son double

    41Ce déséquilibre du nombre d’acteurs opérant dans ou à proximité des halles en défaveur des mandataires interroge le statut des pavillons. En effet, à l’époque de la discussion de la loi, même si les parlementaires regrettent l’exiguïté des pavillons, ils peuvent raisonnablement considérer ces bâtiments comme le cœur des échanges et le pourtour comme la périphérie du marché, comme une zone marginale. Mais la captation d’une part sans cesse plus importante des échanges par des commerçants situés en dehors des pavillons tend à renverser complètement les rapports entre les halles et leurs alentours. Le centre tend à devenir la périphérie du marché. Dans la mesure où la population de la capitale, les salaires réels et les échanges ont crû sans que de nouveaux pavillons soient construits ni que le commerce de détail soit évacué des halles, cette évolution apparaît comme logique. Tant et si bien qu’il finit par y avoir non pas un mais deux marchés (sans tenir compte du carreau), fonctionnant selon des régimes distincts. Le sens commun de l’époque prend acte de cette évolution, en ce qu’il distingue le « marché officiel » et le « marché libre », constitué par les commerçants exerçant « en bordure des voies publiques comprises dans le périmètre des halles34 ». Pour les mandataires, ce second marché pose un problème de concurrence déloyale étant donné l’importance des devoirs qui leur incombent et des charges qu’ils doivent remplir, devoirs et charges que les commerçants du marché libre n’ont pas subir. En outre, les commissionnaires et négociants n’ont pas à respecter les heures officielles de vente auxquelles sont soumis les mandataires. Ils peuvent donc vendre avant l’ouverture légale du marché officiel, si bien que ce sont eux et non plus les mandataires qui fixent les cours ; et s’ils observent pendant la journée une tendance à la baisse des cours, ils cessent momentanément de vendre pour reprendre après la clôture du marché officiel, lorsque l’offre se sera restreinte. Rien n’empêche non plus les commissionnaires et négociants de pratiquer les ventes successives.

    42Cette dualité de fait du marché amène les mandataires à porter plainte devant juridiction administrative pour non-respect du principe d’égalité de tous face à la loi. Ce contentieux aboutit au Conseil d’État, en 1925. Le rapporteur, M. Hendlé, plaide pour une extension des contrôles à l’ensemble du marché :

    En réalité ces deux marchés n’en font qu’un et, dans cette situation, il apparaît que les mesures de contrôle ou d’interdiction édictées en ce qui concerne le seul marché officiel risquent d’accentuer encore à son détriment, et par suite, au préjudice du consommateur, les avantages déjà considérables que le commerce libre de gros, affranchi de toute réglementation, retire de son voisinage immédiat des halles. Il semble donc qu’il y aurait lieu de rechercher si, en présence d’une situation de fait confondant à la fois les pavillons des halles centrales et leur pourtour, il ne conviendrait pas de considérer l’ensemble des deux marchés comme formant un marché global et d’envisager des mesures législatives permettant d’étendre à tout l’approvisionnement en gros de la ville de Paris les règlements qui, actuellement, ne peuvent s’appliquer qu’aux seules opérations effectuées aux halles centrales.

    43En 1937, le Parlement débat d’un projet de loi destiné à réformer la loi de 1896. À cette occasion, Caillier, représentant de la commission du commerce, développe une conception opposée à celle de Hendlé. Selon lui, la dualité du marché parisien n’est en rien le fruit d’une mauvaise rédaction de la loi mais la conséquence de ce qu’au contraire la loi a fort bien organisé le marché : elle a en effet pris soin qu’une minorité de grossistes (les mandataires) aient un statut spécial, celui d’avoir pour fonction d’harmoniser le marché en établissant des cours officiels qui servent ensuite de référence aux commissionnaires du marché libre. Aussi, il ne faut pas chercher à étendre le statut de mandataire au marché libre, car la vocation du marché officiel n’est pas de concentrer l’ensemble des transactions mais d’offrir un point de repères aux commerçants libres.

    Cet homme officiel [le mandataire] investi de la confiance de l’autorité, a une mission. Dans le cadre de la loi de l’offre et de la demande, il va établir chaque jour une moyenne qui s’appelle le cours normal des marchandises, cours normal qui va, par le fait même de la loi de l’offre et de la demande qu’il règle officieusement, s’imposer à tous ceux qui se trouvent dans le périmètre des halles. […] Mais si je suis ici défenseur du commerce libre, je dois proclamer à cette tribune que j’ai intérêt, précisément pour la régularité de ces cours, à ce que vous n’imposiez pas au mandataire, sous prétexte de respect des transactions, une discipline telle qu’à un moment donné sa vie deviendra impossible et qu’il se précipitera vers la commission ; ce jour-là, le rôle d’indicateur officiel des cours, dont j’ai besoins, moi, commerce libre, disparaîtra.35

    44Cette citation donne à voir un changement complet de l’interprétation du rôle des mandataires. On passe du mandataire, représentant statutaire des producteurs, au mandataire agent officiel de régularisation des cours et auxiliaire des commissionnaires. Mais si le représentant du commerce fait scandale, il ne fait finalement que s’appuyer sur un état de fait difficilement contestable, à savoir que le marché officiel a été littéralement submergé par le marché libre.

    45Le modèle de la loi de 1896 correspond au mandat comme représentation directe, comme relation bilatérale et sans médiation, entre deux personnes, et par là même facilement contrôlable (par l’administration) et révocable (par le mandant). On a l’impression que ce modèle de représentation est impuissant face à la croissance et la complexification des échanges :

    Un puissant mouvement d’aspiration, qui se fait sentir jusqu’aux coins les plus reculés de la France, fait refluer chaque jour vers la capitale les denrées innombrables et variées nécessaires à sa subsistance. C’est le pays entier, qui, à l’heure actuelle nourrit son chef, chaque région y contribuant selon ses possibilités. […] Accroissement de l’agglomération urbaine, progrès des transports, développement du bien-être dans les classes ouvrières, tels sont, en résumé, les facteurs de l’augmentation énorme des besoins parisiens en fruits et légumes. Si bien qu’actuellement, la France entière ne suffit plus à satisfaire cet appétit ; et c’est maintenant au dehors que nous devons nous adresser, pour des quantités de plus en plus importantes : Algérie, Espagne, Italie, pays tropicaux envoient journellement bateaux et trains entiers vers « le Monstre » insatiable qui demande toujours plus.36

    46On décèle ici une forme d’embarras du législateur face à cette croissance des échanges, cette multiplication des intermédiaires. Mais le problème ne saurait à vrai dire se ramener simplement à l’inadaptation supposée d’institutions héritées de l’Ancien Régime au commerce moderne. En effet, au-delà du cas des mandataires, agents officiels des ventes, l’enjeu dans le contrôle du marché (comme place de marché) est la définition de son espace et de sa juridiction propres. En outre, quand on parle des « halles de Paris », il apparaît dans les années 1930 que ce qui pose problème est « Paris », au moins autant que « les halles ». Toute la rationalité de la loi de 1890 repose sur l’idée que Paris est « le lieu naturel » de rassemblement des marchandises et qu’il importe de recherche un équilibre entre la province et la capitale dans un cadre national. Mais, de plus en plus, les halles de Paris ont une dimension de marché international et Paris n’est très souvent qu’un lieu de transit vers d’autres destinations. L’idée de Paris comme lieu naturel de rassemblement des marchandises, idée qui tient pour allant de soi la centralisation du marché français autour de la capitale, n’est-elle pas justement à l’origine des déséquilibres constatés ? Si le commerce se développe dans toutes les régions de France, ne serait-il pas judicieux d’encadrer l’ensemble des circuits commerciaux et non leur seule destination finale ? Enfin, comme on l’a souligné, la crise de la régulation des halles qui avait amené au procès de la Vallée puis à la loi de 1896 provient de l’élargissement de la zone de chalandise des halles suite à l’essor du chemin de fer. Et, toute la réglementation bâtie en réponse à cette crise repose implicitement sur le modèle du rail. Or les années 1930 voient se généraliser le transport de marchandises par la route37. Les camions envahissent le centre de Paris, ce qui radicalise encore les problèmes de circulation et d’encombrement. Plus généralement, la route et l’automobile permettent de déployer une rationalité très différente de celle du chemin de fer (collectif, planifié, centralisé). C’est ainsi que l’on peut aussi lire les transformations du marché des fruits et légumes et la façon dont on cherche collectivement à le réglementer comme l’histoire d’une lutte entre le rail et la route.

    Notes de bas de page

    1  Ce faisant, ils actent durablement la centralisation du marché national sur la capitale.

    2  La citation suivante, qui fait référence aux halles au Moyen Âge, témoigne de l’ancienneté et de la récurrence de ce problème : « Quelles étaient les limites des halles, de ce marché […] où, à certains jours de la semaine se concentrait le commerce de la capitale ? Il ne semble pas qu’aucun texte les ait jamais fixées avec précision » (Martineau J., Les halles de Paris, des origines à 1789, Paris, Montchrestien, 1960, p. 62).

    3  Le factorat est une institution héritée de l’Ancien Régime. Les facteurs constituaient un corps de vendeurs assermentés, à qui il était interdit de pratiquer le commerce pour eux-mêmes. Un temps supprimée pendant la Révolution, cette corporation est rapidement rétablie, avant même la fin de la période révolutionnaire et perdurera jusqu’à l’adoption de la loi de 1896, où les facteurs sont remplacés par les mandataires.

    4  Archives de la préfecture de Police, DA 375, Le Petit Journal, 10 avril 1876.

    5  Édition de 1923, http://www.demassieux.fr/TDFWeb/TDFWebFull.html (consulté le 18 septembre 2013).

    6  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 26 juin 1893, intervention du rapporteur du projet de loi, M. de Ladoucette (bonapartiste puis monarchiste, député des Ardennes). C’est moi qui souligne.

    7  Le général Cluseret est plus connu pour ses aventures militaires, lors de la guerre de sécession américaine ou pendant la Commune de Paris que pour ses activités d’homme politique. Sous la IIIe République, il fut néanmoins élu à plusieurs reprises député socialiste du Var, et défendit certains projets de loi relatifs à l’agriculture.

    8  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Le Breton (conservateur, président de l’Association des agriculteurs de la Mayenne).

    9  Ibidem.

    10  Annales de la Chambre des députés, 29 février 1896, intervention de M. Lépine.

    11  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895.

    12  Le Petit Journal, « Les fraudeurs des halles », 10 avril 1876.

    13  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 29 février 1896, intervention de M. Goblet (radical-socialiste, député de la Seine).

    14  « Depuis que les relations se sont étendues d’une façon inusitée jusqu’alors entre les départements et Paris, cette question a cessé d’être exclusivement parisienne ; elle est devenue, comme je vous le montrerai tout à l’heure, absolument nationale, ce qui justifie le projet de loi qui est soumis en ce moment à vous délibérations », JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Camescasse (rapporteur du projet de loi, Gauche républicaine, sénateur du Pas-de-Calais, ancien préfet de police de la Seine).

    15  Nota bene : cette loi du 11 juin 1896 reste en vigueur jusqu’en 1953, où l’on décrète la mise en place des MIN. À cette occasion, le vieil objectif de regrouper tous les acteurs du marché sous un statut unique est enfin réalisé, mais c’est un statut de commerçant qui est pleinement assumé cette fois-ci.

    16  Cluseret G., Les halles, Paris, Imprimerie typographique E. Mayer et Cie, 1890.

    17  Cf. Stanziani A., « La construction institutionnelle de la concurrence. Le cas du marché de la viande à Paris au xixe siècle », Cahiers d’économie et sociologie rurales, no 74, 2005, p. 79-107.

    18  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, 23 juin 1893, intervention de M. de Ladoucette.

    19  Au contraire, le marché est ce que les protagonistes du débat ont en partage. De quelque bord qu’ils soient, les fluctuations des prix en fonction des variations de l’offre et de la demande correspondent à leurs yeux au « cours naturel des choses ». Le problème, ce sont les « fraudes », les « coalitions » et les « accaparements » qui éloignent les prix de ce cours naturel. Et c’est ici que les solutions envisagées diffèrent.

    20  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895.

    21  Ibidem.

    22  Chateauraynaud F., « Les asymétries de prise. Des formes de pouvoir dans un monde en réseau », Document de travail, Paris, GSPR/EHESS, mars 2006, http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/16/74/PDF/Les_asymetries_de_prises2006.pdf (consulté le 18 septembre 2013).

    23  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Lépine.

    24  Pendant la discussion du projet de loi, on est progressivement passé du terme de « facteur » à celui de « commissaire aux ventes », puis finalement à celui de « mandataire », ce qui témoigne d’un recul de la logique du corps statutaire par rapport à celle de la liberté du commerce, même si, au final, le mandataire n’a pas le droit de pratiquer le commerce pour son propre compte.

    25  Pour certains parlementaires, cet abandon de la logique de corps est fictif, car si le nombre de vendeurs n’est plus limité en droit, il le sera en fait par la limitation physique du nombre d’emplacements disponibles sous les pavillons : « En effet, le nombre de commissaires aux ventes, bien qu’il ne soit pas limité par le texte même de la loi, le sera forcément par l’espace dont on dispose » (Sénat, séance du 18 février 1895).

    26  Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Camescasse.

    27  Torre-Schaub M., Essai sur la construction juridique de la catégorie de marché, Paris, LGDJ, 2002.

    28  Sénat, séance du 4 mars 1895.

    29  Bulletin des lois, no 1796, Loi tendant à réglementer les halles centrales de Paris du 11 juin 1896. C’est moi qui souligne.

    30  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 2 décembre 1937.

    31  Meynard P., Les modes de vente des fruits et légumes aux halles centrales de Paris, Paris, Sirey, 1942. L’auteur précise que « la décision créant le marché annexe a été prise en contradiction avec l’article 1er de la loi du 11 juin 1896, qui réservait aux propriétaires de légumes et de fruits vendant leur propre marchandise et ne parlait pas des mandataires » (p. 38-39).

    32  C’est moi qui souligne.

    33  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 30 novembre 1937, intervention de M. Maulion (Gauche démocratique, sénateur du Morbihan).

    34  Meynard P., Les modes de vente…, op. cit., p. 103. Parmi ces commerçants, on trouve principalement les commissionnaires : « Les commissionnaires en fruits et légumes sont des commerçants libres, régis uniquement par le code de commerce et le code civil. Ils travaillent dans des boutiques dont ils locataires ou propriétaires » (p. 105). Au demeurant, il est très difficile de distinguer clairement dans l’espace physique le marché officiel du marché libre : « Dans la même rue, on trouve un commissionnaire en boutique, avec un petit étalage sur le trottoir, commerçant absolument libre ; devant lui, un mandataire, travaillant sur le marché annexe, vendeur officiel et contrôlé et qui vend exactement les mêmes produits que le vendeur libre » (p. 104).

    35  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 2 décembre 1937. Cet argument est difficile à recevoir complètement dans la mesure où les commerçants libres n’ayant pas à respecter les heures officielles d’ouverture et de fermeture du marché, peuvent commencer à vendre avant les mandataires, de sorte que ceux sont souvent eux qui, en réalité, fixent les cours (cf. supra).

    36  Demangeon S., « L’approvisionnement de Paris en fruits et légumes », Annales de géographie, vol. 37, no 206, 1928, p. 97-121.

    37  Flonneau M., « La coïncidence paradoxale des modernités : Paris et l’automobilisme au début du xxe siècle », Urbanisme, no 351, 2006, p. 81-86.

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    1  Ce faisant, ils actent durablement la centralisation du marché national sur la capitale.

    2  La citation suivante, qui fait référence aux halles au Moyen Âge, témoigne de l’ancienneté et de la récurrence de ce problème : « Quelles étaient les limites des halles, de ce marché […] où, à certains jours de la semaine se concentrait le commerce de la capitale ? Il ne semble pas qu’aucun texte les ait jamais fixées avec précision » (Martineau J., Les halles de Paris, des origines à 1789, Paris, Montchrestien, 1960, p. 62).

    3  Le factorat est une institution héritée de l’Ancien Régime. Les facteurs constituaient un corps de vendeurs assermentés, à qui il était interdit de pratiquer le commerce pour eux-mêmes. Un temps supprimée pendant la Révolution, cette corporation est rapidement rétablie, avant même la fin de la période révolutionnaire et perdurera jusqu’à l’adoption de la loi de 1896, où les facteurs sont remplacés par les mandataires.

    4  Archives de la préfecture de Police, DA 375, Le Petit Journal, 10 avril 1876.

    5  Édition de 1923, http://www.demassieux.fr/TDFWeb/TDFWebFull.html (consulté le 18 septembre 2013).

    6  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 26 juin 1893, intervention du rapporteur du projet de loi, M. de Ladoucette (bonapartiste puis monarchiste, député des Ardennes). C’est moi qui souligne.

    7  Le général Cluseret est plus connu pour ses aventures militaires, lors de la guerre de sécession américaine ou pendant la Commune de Paris que pour ses activités d’homme politique. Sous la IIIe République, il fut néanmoins élu à plusieurs reprises député socialiste du Var, et défendit certains projets de loi relatifs à l’agriculture.

    8  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Le Breton (conservateur, président de l’Association des agriculteurs de la Mayenne).

    9  Ibidem.

    10  Annales de la Chambre des députés, 29 février 1896, intervention de M. Lépine.

    11  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895.

    12  Le Petit Journal, « Les fraudeurs des halles », 10 avril 1876.

    13  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 29 février 1896, intervention de M. Goblet (radical-socialiste, député de la Seine).

    14  « Depuis que les relations se sont étendues d’une façon inusitée jusqu’alors entre les départements et Paris, cette question a cessé d’être exclusivement parisienne ; elle est devenue, comme je vous le montrerai tout à l’heure, absolument nationale, ce qui justifie le projet de loi qui est soumis en ce moment à vous délibérations », JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Camescasse (rapporteur du projet de loi, Gauche républicaine, sénateur du Pas-de-Calais, ancien préfet de police de la Seine).

    15  Nota bene : cette loi du 11 juin 1896 reste en vigueur jusqu’en 1953, où l’on décrète la mise en place des MIN. À cette occasion, le vieil objectif de regrouper tous les acteurs du marché sous un statut unique est enfin réalisé, mais c’est un statut de commerçant qui est pleinement assumé cette fois-ci.

    16  Cluseret G., Les halles, Paris, Imprimerie typographique E. Mayer et Cie, 1890.

    17  Cf. Stanziani A., « La construction institutionnelle de la concurrence. Le cas du marché de la viande à Paris au xixe siècle », Cahiers d’économie et sociologie rurales, no 74, 2005, p. 79-107.

    18  JORF, débats parlementaires, Chambre des députés, 23 juin 1893, intervention de M. de Ladoucette.

    19  Au contraire, le marché est ce que les protagonistes du débat ont en partage. De quelque bord qu’ils soient, les fluctuations des prix en fonction des variations de l’offre et de la demande correspondent à leurs yeux au « cours naturel des choses ». Le problème, ce sont les « fraudes », les « coalitions » et les « accaparements » qui éloignent les prix de ce cours naturel. Et c’est ici que les solutions envisagées diffèrent.

    20  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895.

    21  Ibidem.

    22  Chateauraynaud F., « Les asymétries de prise. Des formes de pouvoir dans un monde en réseau », Document de travail, Paris, GSPR/EHESS, mars 2006, http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/16/74/PDF/Les_asymetries_de_prises2006.pdf (consulté le 18 septembre 2013).

    23  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Lépine.

    24  Pendant la discussion du projet de loi, on est progressivement passé du terme de « facteur » à celui de « commissaire aux ventes », puis finalement à celui de « mandataire », ce qui témoigne d’un recul de la logique du corps statutaire par rapport à celle de la liberté du commerce, même si, au final, le mandataire n’a pas le droit de pratiquer le commerce pour son propre compte.

    25  Pour certains parlementaires, cet abandon de la logique de corps est fictif, car si le nombre de vendeurs n’est plus limité en droit, il le sera en fait par la limitation physique du nombre d’emplacements disponibles sous les pavillons : « En effet, le nombre de commissaires aux ventes, bien qu’il ne soit pas limité par le texte même de la loi, le sera forcément par l’espace dont on dispose » (Sénat, séance du 18 février 1895).

    26  Sénat, séance du 18 février 1895, intervention de M. Camescasse.

    27  Torre-Schaub M., Essai sur la construction juridique de la catégorie de marché, Paris, LGDJ, 2002.

    28  Sénat, séance du 4 mars 1895.

    29  Bulletin des lois, no 1796, Loi tendant à réglementer les halles centrales de Paris du 11 juin 1896. C’est moi qui souligne.

    30  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 2 décembre 1937.

    31  Meynard P., Les modes de vente des fruits et légumes aux halles centrales de Paris, Paris, Sirey, 1942. L’auteur précise que « la décision créant le marché annexe a été prise en contradiction avec l’article 1er de la loi du 11 juin 1896, qui réservait aux propriétaires de légumes et de fruits vendant leur propre marchandise et ne parlait pas des mandataires » (p. 38-39).

    32  C’est moi qui souligne.

    33  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 30 novembre 1937, intervention de M. Maulion (Gauche démocratique, sénateur du Morbihan).

    34  Meynard P., Les modes de vente…, op. cit., p. 103. Parmi ces commerçants, on trouve principalement les commissionnaires : « Les commissionnaires en fruits et légumes sont des commerçants libres, régis uniquement par le code de commerce et le code civil. Ils travaillent dans des boutiques dont ils locataires ou propriétaires » (p. 105). Au demeurant, il est très difficile de distinguer clairement dans l’espace physique le marché officiel du marché libre : « Dans la même rue, on trouve un commissionnaire en boutique, avec un petit étalage sur le trottoir, commerçant absolument libre ; devant lui, un mandataire, travaillant sur le marché annexe, vendeur officiel et contrôlé et qui vend exactement les mêmes produits que le vendeur libre » (p. 104).

    35  JORF, débats parlementaires, Sénat, séance du 2 décembre 1937. Cet argument est difficile à recevoir complètement dans la mesure où les commerçants libres n’ayant pas à respecter les heures officielles d’ouverture et de fermeture du marché, peuvent commencer à vendre avant les mandataires, de sorte que ceux sont souvent eux qui, en réalité, fixent les cours (cf. supra).

    36  Demangeon S., « L’approvisionnement de Paris en fruits et légumes », Annales de géographie, vol. 37, no 206, 1928, p. 97-121.

    37  Flonneau M., « La coïncidence paradoxale des modernités : Paris et l’automobilisme au début du xxe siècle », Urbanisme, no 351, 2006, p. 81-86.

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    • (2022) Markets of Civilization. DOI: 10.1215/9781478023104-003
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    • Chatriot, Alain. (2020) Les révolutions du commerce. France, xviiie-xxie siècle. DOI: 10.4000/books.pufc.20314
    • (2022) Markets of Civilization. DOI: 10.1215/9781478023104-006
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    • Boulestreau, Yann. Casagrande, Marion. Navarrete, Mireille. (2021) Analyzing barriers and levers for practice change: a new framework applied to vegetables’ soil pest management. Agronomy for Sustainable Development, 41. DOI: 10.1007/s13593-021-00700-4
    • Blancaneaux, Romain. (2022) Seasonality as value(s) in organic farming: On the conflict on heating greenhouses in France. International Sociology, 37. DOI: 10.1177/02685809221115959

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    Bernard de Raymond, A. (2013). Représenter la province : le nouveau régime des halles centrales de Paris. In En toute saison (1‑). Presses universitaires François-Rabelais. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24642
    Bernard de Raymond, Antoine. « Représenter la province : le nouveau régime des halles centrales de Paris ». In En toute saison. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, 2013. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24642.
    Bernard de Raymond, Antoine. « Représenter la province : le nouveau régime des halles centrales de Paris ». En toute saison, Presses universitaires François-Rabelais, 2013, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24642.

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    Bernard de Raymond, A. (2013). En toute saison (1‑). Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24597
    Bernard de Raymond, Antoine. En toute saison. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2013. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24597.
    Bernard de Raymond, Antoine. En toute saison. Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2013, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.24597.
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