Chapitre III
Les acteurs du négoce : les emboucheurs (fin xixe-milieu xxe siècle)
p. 103-146
Texte intégral
1Les échanges de bovins au sein du circuit du bétail vif mettent en scène trois catégories d’acteurs : les emboucheurs, qui achètent les bovins maigres, les engraissent à l’herbe avant de les revendre pour la boucherie, les maquignons, qui parcourent les campagnes, les foires et marchés, à la recherche d’animaux, maigres ou gras, qu’ils valorisent à court terme, et les cultivateurs, qui les font naître. Dans cette étude dédiée aux intermédiaires, ces derniers ne sont appréhendés que dans les relations qu’ils entretiennent avec les commerçants. Si tous ont contribué au développement du système d’élevage, l’action des emboucheurs et des négociants a été déterminante. Au contact des producteurs et des « seigneurs de la viande1 », ce sont eux qui, par leur position particulière dans la filière, ont mis en place des circuits d’écoulement du bétail. Il est donc essentiel de mieux les connaître d’autant que la bibliographie les concernant est peu abondante. Longtemps décriés parce qu’ils occupent une place intermédiaire et constituent, juge-t-on, un maillon de trop dans la chaîne, les emboucheurs comme les maquignons n’avaient, jusqu’à présent, fait l’objet d’aucune enquête historique selon les méthodes de la prosopographie. La thèse en a posé le fondement et a livré les premiers éclairages sur le quotidien de ces individus.
Les emboucheurs : l’élite de la société rurale brionnaise ?
2Occultés par les catégories usuelles des sources classiques de l’histoire sociale, habituellement utilisées par les chercheurs comme point de départ à l’étude prosopographique, les emboucheurs échappent à l’historien qui débute ses investigations par la consultation du recensement ou de l’état civil. Les listes de membres du Syndicat des emboucheurs, disponibles entre 1887 et 1907 puis, sporadiquement, pour les années 1940-1960 et le recensement du bétail d’embouche, effectué en 1917 en vue des réquisitions pour l’armée2, en servant de base à l’enquête, ont permis de surmonter l’obstacle. Le corpus ainsi constitué se compose d’emboucheurs demeurant à Saint-Christophe-en-Brionnais et dans quatre communes du canton de La Clayette : Baudemont, Saint-Laurent-en-Brionnais, Vareilles et Vauban, où le couchage en herbe a été précoce comme l’a montré l’étude du cadastre de 19173. Il rassemble plus de 60 familles ayant au moins un membre présent dans l’une des deux sources – listes des adhérents du syndicat, recensement du bétail d’embouche de 19174 (fig. 40).5
Fig. 40. Composition du corpus d’emboucheurs5.

3Les individus choisis ont fait l’objet d’un suivi dans les sources classiques de l’histoire sociale : listes nominatives de recensement, état civil, listes électorales, matrices cadastrales, actes notariés, etc. Des généalogies de ces familles brionnaises ont été établies. Il s’agit d’observer les mécanismes économiques et sociaux à l’œuvre dans ce groupe et de répondre au questionnement sur l’embouche. Dans quel cadre socio-économique s’exerce l’embouche ? Qui sont les emboucheurs ? Qu’est-ce qu’une exploitation d’embouche ? L’emboucheur est-il propriétaire ? Comment se transmettent les fermes ? Comment se finance l’activité ? L’emboucheur se différencie-t-il du paysan et peut-il être qualifié d’élite au sein de la société rurale contemporaine ?
Diversité des profils et importance de la pluriactivité
4Les individus qui embouchent du bétail maigre sur les pâtures du Brionnais sont plus nombreux que les seuls membres du syndicat. Certains n’adhèrent pas à l’organisation et seraient exclus de fait du corpus si les seules archives du syndicat étaient mises à contribution. Alors que l’embouche s’étend dans la première moitié du xxe siècle, elle se démocratise. Elle n’est plus le monopole de quelques spécialistes mais est désormais à la portée du plus grand nombre, mettant en scène une multitude d’individus aux profils variés. Sa diffusion au sein de la population des cultivateurs s’observe à Saint-Laurent-en-Brionnais, où une hausse importante du nombre d’adhérents au syndicat se produit entre 1887 et 1907 (quatre) et 1957 (18). Celle-ci peut s’expliquer de deux manières. Soit l’embouche s’est effectivement répandue dans la commune, soit les herbagers se sont mis à adhérer à l’organisation. Dans les listes nominatives de recensement, un seul des 18 adhérents de 1957 apparaît comme emboucheur, Augustin Dubreuil, également commerçant en bestiaux. Les autres sont qualifiés de cultivateurs, même les Ducarre, qui figurent pourtant parmi les plus gros emboucheurs de Saint-Laurent-en-Brionnais. À Vauban et Vareilles le nombre d’adhérents au syndicat est sensiblement le même aux deux époques. ÀVauban, ils sont dix à cotiser entre 1887 et 1907 et 16 en 1957. À Vareilles, ils sont dix entre 1887 et 1907 et huit en 1957. La très légère baisse est liée à la diminution de la population durant cette période. À Baudemont, une légère hausse de l’effectif se produit entre 1887 et 1907, où ils sont six à adhérer, et 1957, où ils sont neuf.
5De plus en plus de cultivateurs font de l’embouche. Des artisans-commerçants la pratiquent aussi en complément de leur activité principale. Les 71 individus figurant dans le recensement du bétail d’embouche de Saint-Christophe-en-Brionnais en 1917 comme propriétaires de bovins d’embouche et domiciliés dans la commune ont fait l’objet d’un repérage dans le recensement de 19116. Ils sont cultivateurs, propriétaires cultivateurs ou propriétaires exploitants. Un seul est qualifié d’emboucheur : Étienne Polette. Sept sont artisans-commerçants au bourg et finissent quelques bovins : Michel Dreux, entrepreneur de voitures, Jean Fayolle, horloger, Jean Gaget, fabricant d’huiles, Jean-Antoine Lapraye, tailleur, Georges Lacroix, épicier, Jean-Claude Turret, menuisier et André Vermorel, boucher. L’embouche ne concerne donc pas seulement des paysans mais aussi des membres d’autres professions qui mettent des bêtes dans les pâtures dont ils disposent. Un marchand de bestiaux, Barnabé Augros, est présent dans la liste. 32 emboucheurs, non résidants à Saint-Christophe-en-Brionnais, exploitent des prés dans cette localité et y engraissent des bovins. Ce sont des emboucheurs des communes voisines – Charles Vernay, de Briant, Jean Place, de Vauban, Martin, de La Chapelle-sous-Dun, par exemple – ou des commissionnaires en bestiaux – Marcellin Roy et Claudius Benon, de Lyon, notamment. Les 71 résidants embouchent 818 bovins, soit une moyenne de 12 chacun. Les 32 non résidants en détiennent 302, soit une moyenne de neuf chacun. Le recensement donne le nombre de bovins présents dans les embouches en juin 1917, moment de l’année où l’effectif est théoriquement à son maximum. Les herbagers n’ont sans doute pas encore sorti beaucoup d’animaux puisque les premières ventes interviennent au début de l’été, mais ils ont aussi pu recharger leurs prés plus tard dans l’année. Le graphique suivant (fig. 41) présente la répartition des emboucheurs en fonction du nombre de bovins possédé7. Il s’agit surtout de petits emboucheurs. 68 % détiennent moins de dix bovins et ils ne sont que trois à en avoir plus de 50.
6Ce phénomène s’observe de la même façon dans les autres communes. À Saint-Laurent-en-Brionnais, 15 emboucheurs résidants détiennent 201 bêtes, soit une moyenne de 13 chacun. 13 herbagers ont moins de 20 bovins. Seuls Antoine Laurent Ducarre, qui en possède 40, Antoine et Antoine Claude-Marie Ducarre, qui en détiennent 30 chacun, engraissent des effectifs plus importants. 19 non résidants ont 118 bêtes en pâture dans la commune, soit une moyenne de six chacun. Tous disposent de faibles quantités, variant entre deux et dix animaux. Le maximum, 18 bovins, est détenu par Jean Corneloup, de Baudemont. À Vauban, 71 emboucheurs détiennent 474 bovins, soit une moyenne de sept chacun. À Baudemont, sept emboucheurs résidants possèdent 236 bovins, soit une moyenne de 34 chacun. Au sommet de la pyramide, Jean Lavenir en a 75. Les herbagers de Baudemont sont peu nombreux mais ont de vastes exploitations. Parmi les individus identifiés dans ces listes figurent des commissionnaires en bestiaux lyonnais, fréquentant le marché de Saint-Christophe-en-Brionnais et louant des prés d’embouche dans le Brionnais. Claudius Benon, de Lyon, a sept bovins à Vareilles et cinq à Baudemont. Marcelin Roy, de Lyon, en possède 30 à Baudemont. Le groupe des emboucheurs se caractérise ainsi par sa grande diversité.
Fig. 41. Répartition des emboucheurs de Saint-Christophe-en-Brionnais en fonction du nombre de bovins en 1917.

7Après avoir saisi l’embouche à l’échelle communale, la recherche a été affinée au niveau individuel. Les biographies familiales ont été reconstituées en pratiquant une histoire à rebours. Bien qu’ayant ses limites, cette méthode s’est imposée compte tenu des sources disponibles. À partir des membres du Syndicat des emboucheurs en 1957, il a fallu remonter dans leur ascendance pour savoir d’où ils venaient. Sont-ils issus de lignées d’emboucheurs ? Leurs ancêtres sont-ils cultivateurs ? Sont-ils les héritiers des herbagers de 1917, ou de ceux exerçant entre 1887 et 1907 ? Pour savoir s’ils ont ou non transmis l’activité à leurs enfants, des recherches ont été menées dans leur descendance, dans la mesure où cette démarche a été rendue possible par la présence de témoins disposés à fournir les informations nécessaires, la proximité temporelle excluant l’accès aux sources écrites. La même démarche – généalogie à la fois ascendante et descendante – a été entreprise pour les personnes figurant dans le recensement du bétail d’embouche de 1917. Au terme de l’analyse du corpus, trois grands types d’emboucheurs sont apparus : les cultivateurs emboucheurs, les artisans-commerçants emboucheurs et les emboucheurs spécialisés.
Les cultivateurs emboucheurs
8Le corpus est principalement composé de cultivateurs emboucheurs, engraissant des effectifs réduits de bovins dans leurs petites exploitations de polyculture-élevage. Les biographies familiales permettent de faire connaissance avec ces familles qui, aux côtés des artisans-commerçants emboucheurs et des emboucheurs spécialisés, ont contribué à l’extension de l’embouche en Brionnais. Ces individus n’auraient jamais pu être identifiés comme emboucheurs sans les listes de membres de leur syndicat. En effet, ils ne sont pas qualifiés d’emboucheurs dans les listes nominatives de recensement et l’état civil, contrairement aux herbagers spécialisés, qui le sont parfois. Si les archives du syndicat avaient été détruites, ils disparaissaient pour toujours en tant qu’acteurs de la spécialisation vers l’embouche.
9Qui sont les emboucheurs figurant dans le recensement du bétail d’embouche de 1917 ? Principalement des cultivateurs emboucheurs issus de familles de la polyculture comme l’atteste cet exemple, tiré des biographies familiales de Saint-Laurent-en-Brionnais8. Jean-Marie Buttet, né le 15 août 1855 à Saint-Laurent-en-Brionnais9, où il est propriétaire cultivateur, loue à Marguerite Raquin, de Ligny-en-Brionnais, un pré de 3,5 hectares dans lequel il embouche quatre bœufs. Il épouse le 29 avril 1884 à Saint-Germain-en-Brionnais10 Françoise Mommessin (16 mai 1857, Saint-Germain-en-Brionnais-5 janvier 1947, Saint-Laurent-en-Brionnais11), fille de Georges (né le 7 octobre 1826 à Saint-Julien-de-Civry12) et de Madeleine Renaud (née le 5 septembre 1832 à Buffières13), propriétaires cultivateurs au lieu-dit l’Argolay à Saint-Germain-en-Brionnais. Les époux Buttet-Mommessin adoptent le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts14. Outre le linge à son usage, Jean-Marie Buttet apporte 1 700 francs de mobilier et 12 000 francs d’immeubles provenant de la succession de sa mère, le tout grevé d’un passif de 5 400 francs. Les parents de Françoise Mommessin lui donnent un trousseau estimé 664 francs et une somme de 1 000 francs. Quatre enfants naissent de leur union (Jean Georges, le 21 septembre 1885, Claude-Marie, le 10 mai 1889 – décédé le 24 août 1890 –, Antonin Joanny, le 16 août 1890 et Claude-Marie Antoine, en 189915). Les parents de Jean-Marie, François Buttet et Claudine Turret, étaient propriétaires cultivateurs à Saint-Laurent-en-Brionnais, comme ses grands-parents paternels, Pierre Buttet et Claudine Duvernay et maternels, Antoine Turret et Jeanne Marie Mammessier.
10Les biographies familiales témoignent de l’existence d’un large groupe de cultivateurs emboucheurs. Ces herbagers de circonstance, qui se lancent dans une période d’extension et de démocratisation de l’activité – dans le sens où l’embouche est désormais à la portée du plus grand nombre et plus seulement réservée à quelques privilégiés –, ces finisseurs de complément, qui cherchent à améliorer leurs revenus en s’essayant à un commerce jugé lucratif, ces individus qui ne font qu’un peu d’embouche contribuent, aux côtés des spécialistes, à faire du Brionnais un pays engraisseur.
11Qui sont les emboucheurs adhérents au syndicat en 1957 ? Comme ceux que dévoile le document de 1917, des cultivateurs emboucheurs, descendants de familles de cultivateurs, tel Claude Marie Marcel Bajard, né le 13 décembre 1899 à Vareilles, cultivateur à Saint-Laurent-en-Brionnais16, fils de Jean-François Bajard et Augustine Antoinette Emorine, cultivateurs à Vareilles. Ses grands-parents paternels, Claude Bajard et Antoinette Laforêt, étaient cultivateurs à Mussy-sous-Dun au milieu du xixe siècle et ses grands-parents maternels, Louis Emorine et Marie Denis, cultivateurs à Vareilles, à la même époque.
12Au moment où est produite la liste des membres du syndicat, l’embouche connaît son apogée. Les effectifs sont à leur maximum. Les adhérents de 1957 ne sont pas tous fils, gendres, petits-fils ou arrières petits-fils de membres des années 1887-1907. Au contraire, les effectifs se sont renouvelés et se composent d’une majorité d’individus appartenant au monde des éleveurs polyculteurs, qui associent l’embouche, l’élevage et les cultures.
Les artisans-commerçants emboucheurs
13Aux côtés des cultivateurs emboucheurs, les artisans-commerçants emboucheurs sont progressivement devenus emboucheurs ou font une petite embouche en conservant comme principale activité l’artisanat ou le commerce.
14ÀSaint-Christophe-en-Brionnais, par exemple, sept habitants du bourg apparaissent dans le recensement du bétail d’embouche de 1917. Parmi eux, Jean-Claude Turret, né le 6 décembre 188017, menuisier, possède huit bêtes. Il descend d’une lignée de menuisiers : son père, Jean, son grand-père paternel, Claude, l’ont été avant lui. L’artisan est certes en contact avec la population agricole qui l’entoure et pour laquelle il travaille, mais aucun lien apparent n’existe entre l’embouche et la menuiserie. Pourquoi finit-il des bovins à l’herbe ? Peut-être parce qu’il possède des prés qu’il préfère mettre en valeur lui-même plutôt que de les louer à des paysans ou pour se procurer ainsi un complément de revenus.
15À Vauban, le boulanger Émile Migeat, né le 11 novembre 1913, adhère au Syndicat des emboucheurs en 1957. Pluriactif, il est qualifié de cultivateur-boulanger ou d’agriculteur-boulanger dans les recensements. Son père, Claude-Marie Étienne Félix, et son grand-père, Jean-Marie, sont boulangers à Vauban. D’après les sources, le premier est pluriactif, à la fois boulanger et cultivateur, tandis que le second est qualifié de boulanger. Les aïeux d’Émile Migeat possèdent, outre leur demeure, plusieurs parcelles à Vauban. Son grand-père détient 3,60 hectares en 1922 – dont 2,73 hectares de pré, 1,50 are de jardin, 8,52 ares en sol, bâtiment, cour, et 10,10 ares en vigne – et son père 11,22 hectares en 1934 – dont 11,52 ares en sol, bâtiments, cour, 14,50 ares en jardin, 9,62 hectares en pré, 40 ares en terre, 70 ares en bois et 25 ares en vigne18. Dans une société rurale où la pluriactivité domine, le cas du menuisier ou du boulanger emboucheur n’a rien de surprenant, surtout en Brionnais.
16La présence du boucher de Saint-Christophe-en-Brionnais, dans le recensement de 1917, s’explique plus facilement. Ce commerçant, qui vend des bovins issus de l’embouche, peut lui-même en engraisser sur les pâtures qu’il exploite, 2 hectares en 191419, même si celles-ci lui permettent surtout de laisser reposer les animaux quelques jours avant leur abattage. André Vermorel, né le 22 janvier 1855 à Saint-Igny-de-Vers20, détient six bovins. Marié à Maria Grizard, ils ont deux enfants. Marie-Louise, née le 6 mai 1885 à Saint-Christophe-en-Brionnais, épouse un marchand de bestiaux, Antonin Claudien Augros, originaire d’Oyé, le 18 juillet 1904. Antoine Téodore, né le 22 juillet 1890, qui apprend le métier de boucher, décède à l’âge de 17 ans et demi, le 28 mai 1908.
17Aux côtés des cultivateurs emboucheurs, les artisans-commerçants emboucheurs participent à l’extension de l’activité dans la seconde moitié du xixe et la première du xxe siècle.
Les emboucheurs spécialisés
18Contrairement aux deux groupes précédents, les emboucheurs spécialisés se consacrent presque uniquement à l’embouche, pas exclusivement car la spécialisation n’est jamais totale. Moins nombreux que les polyculteurs, les professionnels de l’embouche élèvent comme eux du menu bétail pour l’autoconsommation familiale ou la vente au marché, mais ils s’occupent de leur commerce et délèguent les autres tâches à leur personnel.
19La famille Ducarre est restée dans la mémoire locale comme la famille emblématique sinon représentative de l’embouche à Saint-Laurent-en-Brionnais. Plusieurs témoins l’ont citée en référence durant les entretiens lorsqu’ils ont été amenés à différencier les emboucheurs des cultivateurs. Deux de ses membres adhèrent au Syndicat des emboucheurs entre 1887 et 1907 : Benoît et Laurent. Trois figurent au recensement du bétail d’embouche de 1917 : Antoine Joseph, Antoine Laurent et Antoine Claude-Marie. Ils possèdent les plus gros effectifs de bovins de la commune. Antoine Joseph a 20 bœufs dans ses fonds de l’Étang et des Guérins (7 hectares), des Molières (2 hectares) et du Sarraud (5 hectares). De plus, il loue à Joanny Montmessin, de Saint-Laurent-en-Brionnais, le pré de la Maison de 4 hectares, où il engraisse dix vaches. Antoine Laurent embouche 40 bœufs dans ses prés qui s’étendent sur 28 hectares au lieu-dit Chéry. Antoine Claude-Marie en possède 30 dans le Grand Pâquier et d’autres prés, d’une contenance totale de 22 hectares. Trois membres de la famille Ducarre adhèrent au Syndicat des emboucheurs en 1957 : Antoine Joseph, Pierre et Laurent Jean Henri Joseph.
20Tous descendent du couple formé par Antoine Marie Ducarre et Marie Ducarre. Antoine Marie est originaire de Mussy-sous-Dun (fig. 42). À la suite de son mariage avec Marie, le 10 septembre 184621, il s’installe à Saint-Laurent-en-Brionnais, où cette dernière demeure avec ses parents. Il est qualifié de marchand, comme ses parents, dans son acte de mariage. Marie Ducarre donne naissance à trois garçons et une fille (Claude-Marie, qui s’établit au bourg de Saint-Laurent-en-Brionnais, Marcelline Eugénie, Antoine Laurent, qui se fixe à Chéry à Saint-Laurent-en-Brionnais et Benoît Joseph, qui s’installe aux Chevennes à Saint-Laurent-en-Brionnais). Elle meurt le 17 mars 1877. Le mobilier inventorié après son décès est estimé la somme de 4060 francs22. La succession se monte à 23 139 francs. Les époux Ducarre possèdent, pour les avoir acquis durant leur mariage, 8,86 hectares en pré, terre et bois à Saint-Laurent-en-Brionnais. La défunte détenait 10,54 hectares en pré et terre à Saint-Laurent-en-Brionnais. Son époux, Antoine, décède le 14 mai 1886. Sa succession se compose d’un mobilier estimé 10 000 francs et d’une propriété de 10,39 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais23.
Fig. 42. Extrait de la généalogie de la famille Ducarre, Saint-Laurent-en-Brionnais.

21Le 26 octobre 1886, les enfants Ducarre procèdent au partage des biens laissés par leurs parents. L’acte de partage24 indique que Marcelline Eugénie Ducarre, lors de son mariage avec Alexis Raquin, a reçu une somme de 16 000 francs en avancement d’hoirie25. Antoine a donné, par un partage anticipé effectué le 7 octobre 1879, à ses quatre enfants, à part égale, divers immeubles à Saint-Laurent-en-Brionnais, Varennes-sous-Dun et Chassigny-sous-Dun, c’est-à-dire le pré des Molières (1,74 hectare), le pré du Doge (2,92 hectares), la pâture des Craies (2,34 hectares), le pré Bouchafour (3,32 hectares), une maison, une écurie et un jardin de 7 ares ainsi que du mobilier d’une valeur de 1 000 francs, des bovins, un cheval et une voiture, le tout d’une valeur de 7 000 francs plus 2 000 francs d’argent et de créances. Chaque enfant reçoit un lot. Le premier, attribué à Claude Marie, se compose de 49 ares en bâtiments d’habitation et d’exploitation, cour, jardin et terre à Saint-Laurent-en-Brionnais, le pré de Saint-Laurent d’1,70 hectare, le pré de l’Étang de 2,62 hectares, la pâture du Guérin de 5,46 hectares, la terre appelée le Haut des monts de 83 ares, un fonds en pâture et terre appelé les Gonneaud de 50 ares, la broussaille des Carottes de 65 ares, le pré des Molières de 1,75 hectare et la terre des Pâtureaux de 63 ares. Le deuxième lot, échu à Antoine Laurent, comprend le Grand pâquier de 6,05 hectares, la terre en Bourguignon d’1,15 hectare, une pâture à Montailloux de 2,80 hectares, la pâture Berraut de 39 ares, la friche en Combrenaudon de 50 ares, les broussailles de la Borcelle de 65 ares et le pré Bouchafour de 4,29 hectares. Le troisième lot, revenant à Benoît Joseph, comporte le pré de la Crost de 5,90 hectares, la pâture en Charmon de 2,43 hectares, un fonds en pâture et terre aux Places de 2,06 hectares, le bois de Chassignol de 59 ares et du mobilier d’une valeur de 4 060 francs. Le quatrième lot, destiné à Marcelline Eugénie Ducarre, se compose du pré du Doge de 2,92 hectares, de la pâture appelée la Craie de 2,33 hectares et de 10 000 francs de mobilier. L’ensemble des biens, évalués pour la perception des droits d’enregistrement, s’élève à 160 000 francs.
22Claude-Marie fonde la branche Ducarre, du bourg, avec son épouse Joséphine Barbin, fille d’Antoine et Françoise Pharizier, cultivateurs aux Molières à Saint-Laurent-en-Brionnais. Marcelline Eugénie épouse Benoît Alexis Raquin, emboucheur à Ligny-en-Brionnais. Antoine Laurent est à l’origine de la branche Ducarre, de Chéry, avec sa femme Claudine Mommessin, fille d’Antoine et Étiennette Françoise Roux, propriétaires à Saint-Laurent-en-Brionnais. Benoît Joseph commence la branche Ducarre, des Chevennes, avec Octavie Louise Angélina Fayolle, fille de Louis et Jeanne Claudine Garnier, propriétaires à Saint-Laurent-en-Brionnais.
23L’histoire de la famille Ducarre permet de préciser la temporalité de l’accession à l’embouche. Les parents de Marie n’étaient que de simples laboureurs à Saint-Laurent-en-Brionnais dans la première moitié du xixe siècle. Ceux d’Antoine Marie pratiquaient peut-être déjà l’embouche. En effet, lors de son mariage, son père est qualifié de marchand. Ce sont les individus issus de la génération née à la fin du xixe siècle qui se spécialisent dans l’activité. Antoine Claude-Marie et son cousin Laurent Jean Henri Joseph sont de vrais emboucheurs. Ils ne font pas naître de bovins, n’hivernent pas de bêtes et finissent une centaine de bêtes par an achetées avec leur propre argent.
24La famille Montmessin-Perroy, de Saint-Laurent-en-Brionnais, fait aussi partie de l’élite de l’embouche. Jean-Marie Montmessin26, dit Joanny, est membre du Syndicat des emboucheurs entre 1887 et 1907. Il figure aussi sur le recensement du bétail d’embouche de 1917 en tant que propriétaire. Il loue à Benoît Larue deux prés – la terre du Puits et les Gouttes – de 6 hectares dans lesquels paissent 12 bœufs ; à Antoine Ducarre le pré de la Maison de 4 hectares où se trouvent dix vaches ; à Jean Corneloup, de Baudemont, les prés de Chéry et des Guernes de 11 hectares où 18 vaches sont présentes et à Benoît Pacaud diverses parcelles d’une contenance totale de 5 hectares où pâturent quatre bœufs et deux vaches.
25Jean-Marie Montmessin épouse le 12 novembre 1879, à l’âge de 42 ans, Marie Marguerite Clémentine Dupont de Dinechin, âgée de 28 ans, à Fleury-la-Montagne27. Deux frères de l’épouse sont témoins : Marie Camille Joseph, ingénieur des arts et manufactures, et Marie Joseph, élève à l’école polytechnique, de même que deux frères de l’époux : Claude-Marie Auguste et Antonin, propriétaires à Saint-Laurent-en-Brionnais. Les époux adoptent le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts28. L’époux apporte 67000 francs en meubles, créances, chevaux, etc., et l’épouse un trousseau estimé 3 000 francs ainsi que le cinquième de la propriété de Dinechin à Fleury-la-Montagne et Saint-Bonnet-de-Cray provenant de la succession de son père, composée d’un château, de bâtiments d’exploitation, terres, prés, vignes, grevé de l’usufruit de moitié de la veuve, et évalué à la somme de 45 000 francs.
26Les parents de Jean-Marie, Jean-Claude Montmessin et Marie Claudine Augay, sont propriétaires à Saint-Laurent-en-Brionnais. Jean-Claude Montmessin a d’ailleurs été maire de cette commune au milieu du xixe siècle. Emboucheur spécialisé, comme l’attestent ses archives, il est souvent qualifié de marchand emboucheur, en particulier dans les actes de l’état civil. Il décède le 22 juin 1863 dans sa voiture à cheval en face de la future gare de La Clayette. Trois enfants lui succèdent : Claude-Marie, notaire à La Clayette, Antoine et Joanny, propriétaires à Saint-Laurent-en-Brionnais. Son mobilier est évalué à la somme de 38 634 francs29. Il possédait avec son épouse des terrains dans plusieurs communes : 8 hectares à Vauban, 25 à Amanzé et 15 à Gibles, soit un total de 48 hectares et un capital de 171 980 francs. Il détenait, en propre, 66 ares sur Amanzé et 42,47 hectares sur Saint-Laurent-en-Brionnais, soit un capital de 71160 francs. Sa succession s’élève à la somme de 183 624 francs.
27La famille Montmessin-Perroy se démarque par son originalité dans le monde de l’embouche. Jean-Marie Montmessin, dont les parents, Jean-Claude et Marie Claudine Augay, sont d’importants propriétaires fonciers à la tête d’une centaine d’hectares au milieu du xixe siècle, épouse une châtelaine. Alors que Jean-Claude Montmessin se livrait lui-même à la pratique de l’embouche tout en laissant à d’autres le soin d’exploiter une partie de ses fonds, ses descendants vivent du revenu de leurs domaines.
28Joanny Elie Lavenir, né le 1er novembre 1890 à Curbigny30, membre du Syndicat des emboucheurs en 1957, fait partie des gros emboucheurs. Son petit cousin en témoigne : « Le père Lavenir, dans le moment c’était un grand emboucheur, parce qu’il mettait plus de 100 bêtes au pré, dans les années [1930-1940], c’était déjà quelqu’un, tandis que maintenant 100 bêtes ce n’est plus rien. » Ses parents, Jean-François Lavenir et Marie-Louise Corneloup, sont cultivateurs à Curbigny, dans la ferme des Colas dépendant du château de Drée, alors propriété de la famille de Croix, puis à Baudemont. Ses grands-parents paternels, Jean-Marie Lavenir et Françoise Delangle, sont cultivateurs à Curbigny dans la seconde moitié du xixe siècle, dans la même ferme. Ses grands-parents maternels, Jean Corneloup et Marie Denis, sont propriétaires cultivateurs à Curbigny à la même époque31. En 1932, Joanny Lavenir possède 54,74 hectares à Baudemont32 dont le champ du Moulin, de 11 hectares d’un seul tenant, acheté par son père et dont il a hérité en 1921. Les autres parcelles sont progressivement acquises jusqu’en 1932. En 1920, il achète au comte Xavier de Noblet33 une petite propriété à Curbigny de 17,90 hectares dont deux prés de 13,30 et 4,16 hectares situés au Bois de La Clayette34 où est aujourd’hui implanté le centre d’allotement de Robert Corneloup35. À travers les sources utilisées pour reconstituer son environnement familial et professionnel, Joanny Lavenir apparaît comme un individu audacieux, qui développe progressivement son entreprise dans la première moitié du xxe siècle. Comme les Ducarre, il se consacre exclusivement à l’embouche.
29Au sein du groupe des emboucheurs spécialisés, les profils sont multiples et reflètent les aspirations différentes des individus qui le composent. Certains, tels les membres de la famille Ducarre ou Joanny Lavenir, s’apparentent à des entrepreneurs conquérants étendant leurs propriétés et augmentant ainsi les effectifs de bovins finis. D’autres, disposant de vastes domaines, se démarquent en s’affranchissant du travail et en louant leurs terrains à des cultivateurs.
30Au terme de cet essai de typologie, les lacunes des sources, en particulier des tables des successions, rendent difficile l’évaluation du niveau de fortune de chaque individu. Le travail accompli a cependant le mérite de révéler un niveau de fortune des emboucheurs bien supérieur à celui de la paysannerie et de mettre au jour, par le biais des inventaires, d’importantes différences entre les membres du groupe. L’aisance économique des emboucheurs spécialisés est incontestable. Les montants des successions de Jean-Claude Montmessin, 180 000 francs en 1863, ou d’Antoine Ducarre, 160 000 francs en 1886, l’attestent. À l’opposé, la précarité des cultivateurs est réelle. Benoît Gaillard laisse seulement 244 francs à son décès en 1889 et son épouse 333 francs l’année suivante. La succession de Pierre Perrier ne se monte qu’à 1 000 francs en 1871. Entre ces extrêmes, le niveau de fortune varie. Philomène Pacaud, épouse de Benoît Larue, transmet plus de 8 000 francs à ses héritiers à sa mort en 1890. La mère de Benoît Marie Pacaud, Benoîte Verchère, pourtant fermière pour Joanny Montmessin, laisse environ 38000 francs à ses enfants en 1891. L’analyse des contrats de mariage témoigne, elle, du rôle déterminant des alliances dans l’accroissement du capital. Les emboucheurs ont besoin d’argent pour acheter du bétail maigre. Les dots des épouses, surtout si elles comprennent du numéraire, sont donc les bienvenues. Étiennette Vernay apporte, par exemple, 5800 francs à Benoît Gaillard en 1872, Philomène Pacaud 2400 francs à Benoît Larue en 1883 et Joséphine Tevenet 3 420 francs à Benoît Marie Pacaud en 1892. Ces espèces ont-elles servi à acquérir des bovins36 ?
Le rapport à la terre : des exploitations dominées par l’herbe
31Qu’ils soient petits ou grands propriétaires, artisans-commerçants emboucheurs, cultivateurs emboucheurs ou emboucheurs spécialisés, leurs exploitations sont dominées par les surfaces en herbe. La proportion des prés est forte et augmente entre le milieu du xixe et le début du xxe siècle dans chaque exploitation, comme cela a été observé au niveau communal. Le phénomène concerne toutes les familles étudiées. À Saint-Christophe-en-Brionnais, par exemple, l’évolution des propriétés des familles Polette, Lamotte, Lorton et Gay est significative. En 1869, Jean-Marie Polette possède 26,40 hectares dont 63 % de pré et 32 % de terre. En 1902, il est à la tête de 52,56 hectares dont 74 % de pré, 23 % de terre, le reste étant composé de 2 % de taillis, 0,8 % de vigne, 0,4 % de sol, bâtiments, cour et 0,1 % de jardin. Il a donc doublé la surface de son domaine et la proportion des prés est passée des deux tiers aux trois quarts. En 1887, Jean Lamotte détient 52,72 hectares dont 69 % de pré et 27 % de terre. En 1897, son fils Jean Victor, possède 20,92 hectares dont 87 % de pré et 12 % de terre37. En 1886, Claude Lorton est propriétaire de 23,79 hectares dont 64 % de pré, 22 % de terre et une part non négligeable de taillis de 12 %. Son fils Louis Marie, qui lui succède, possède en 1914 11,20 hectares dont 91 % de pré et 5 % de terre38. Le suivi de chaque parcelle entre les deux cadastres indique que la plupart des terres ont été converties en prés. Les taillis qui occupaient une superficie importante du domaine du père ont été coupés et remplacés par de l’herbe. La prédominance des pâturages est encore plus visible sur les petites exploitations. En 1914, la propriété de Claude Gay est composée de 82 % de pré et 17 % de terre. À la même date, Jean Lévèque possède 8 hectares dont 88 % de pré et 11 % de bois. Son fils Claude ne possède que des prés en 192239.
32Les artisans-commerçants emboucheurs sont aussi acteurs du couchage en herbe. Jean-Claude Turret, menuisier, achète en 1882 à Louis Antoine Bouchacourt six petites parcelles, soit au total 2,70 hectares de pré, 1,52 hectare de terre et 33 ares de vigne. En 1888, il hérite d’1,48 hectare appartenant à son père dont 80 ares de terre, 65 ares de taillis, un bâtiment, une cour et un jardin. En 1892, il achète une terre de 61 ares à la veuve Labrosse, du bourg. En 1914, il possède 6,65 hectares dont 6,57 hectares en pré40. Le menuisier a donc converti tous ses fonds en prés. Les 2,89 hectares de terre sont désormais en herbe. Les trois petites parcelles de vignes ont été arrachées. Le taillis a été défriché. À son échelle, le menuisier a participé activement au couchage en herbe qui s’opère entre le milieu du xixe et le début du xxe siècle.
33Les exploitations des emboucheurs spécialisés sont dominées par l’herbe. L’étude des propriétés de la famille Ducarre en témoigne. En 1913, Claude-Marie Ducarre, du bourg, possède 33,34 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais dont 26 hectares en pré (78 %), 5,58 hectares en terre (17 %), 87 ares en bois, 31 ares en vigne, 25 ares en sol, bâtiments, cour, 14 ares en jardin et 12 ares en étang. En 1924, son fils Joseph possède 36,57 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais dont 30,85 hectares en pré (84 %), 3,65 hectares en terre (10 %), 99 ares en bois, 40 ares en vigne, 33 ares en jardin, 30 ares en sol, bâtiments, cour. En 1926, son père lui transmet 19,40 hectares dont 16,57 hectares en pré (85 %), 2,44 hectares en terre (13 %), 14 ares en jardin, 13 ares en sol, bâtiment, cour et 12 ares en étang. En 1928, il acquiert 4,60 hectares, dont 14 ares en sol, bâtiment, cour, 7 ares en jardin, 15 ares en bois, 18 ares en terre et 4 hectares en prés (88 %). Il est à la tête de 41,17 hectares. En 1929, il laisse 1,15 hectare, dont 74 ares de bois et 41 ares de vigne, et en 1930 2 hectares de pré. Il possède à cette date 38 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais41.
34Antoine Laurent Ducarre, de Chéry, possède en 1913 58,61 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais dont 56,23 hectares en pré (96 %), 1,63 hectare en terre (3 %), 34 ares en bois, 18 ares en sol, bâtiment, cour, 14 ares en vigne et 9 ares en jardin. Ces immeubles passent à son fils Antoine Claude-Marie en 1925. En 1928, Antoine Claude-Marie acquiert 65 ares dont 10 ares de vigne et 55 ares de terre. En 1929, il achète un pré d’1,20 are. En 1931, il acquiert 4,21 hectares dont 2,08 hectares en pré (49 %), 2,07 hectares en terre (49 %), 3 ares en sol, bâtiment, cour et 2 ares en jardin. En 1934, il achète une terre de 86 ares42. Parallèlement Antoine Laurent Ducarre est propriétaire de terrains dans les communes voisines43. En 1913, il possède 6,30 hectares à Vauban dont 5,93 hectares en pré et 37 ares en vigne. En 1921, Antoine Laurent Ducarre acquiert à Amanzé deux prés d’une contenance totale de 3,57 hectares qu’il revend en 1925. En 1934, Antoine Claude Marie et son épouse Marie Claudine Mathieu héritent de la ferme de la Charnée, appartenant au père de cette dernière, Jean-Marie Mathieu, de Bois-Sainte-Marie, soit 41,38 hectares dont 19,78 hectares en terre (49 %), 13,42 hectares en pré (32 %), 7,88 hectares en bois, 7 ares en mare, 14 ares en sol et cour, 8 ares en jardin et 1 are en friche. Située à Gibles, à l’extrémité orientale du Brionnais, cette ferme n’a pas la même configuration quant à l’occupation du sol que les fermes détenues par la famille Ducarre à Saint-Laurent-en-Brionnais. À la Charnée, orientée vers la production porcine, les terres dominent et les prés n’occupent que le tiers du domaine.
35Benoît Joseph Ducarre, des Chevennes, possède en 1913 48,81 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais dont 41,32 hectares en pré (85 %), 4,75 hectares en terre (10 %), 1,63 hectare en bois, 41 ares en vigne, 33 ares en jardin et 32 ares en sol, bâtiment, cour. En 1914, il acquiert une terre d’1,34 hectare et en 1923 un pré de 75 ares. Il possède en 1914 58 ares à La Chapelle-sous-Dun dont 13 ares en pâturage et 45 ares en pré. Ces immeubles sont transmis à ses enfants, Laurent Jean Henri Joseph et Alice Anne Marie, en 192444.
36Les cultivateurs emboucheurs consacrent aussi une part importante de leurs exploitations aux herbages. La plupart sont de très petits propriétaires fonciers. Jean-Marie Buttet possède, par exemple, à Saint-Laurent-en-Brionnais, en 1913, 4,72 hectares dont 3,50 hectares en pré (74 %), 1,13 hectare en terre (24 %), 2 ares en bois et 7 ares en jardin, sol, bâtiment, cour. Il est propriétaire d’un pré de 24 ares à Vauban. En 1921, il reçoit de son beau-père Georges Mommessin 4,47 hectares dont 3,53 hectares en pré (79 %), 92 ares en terre (20 %), 2 ares en sol, bâtiment, cour, situés à Saint-Germain. En 1922, il achète à Henry Janillon, menuisier, 14 ares de vigne sur Amanzé qu’il revend en 193245.
37Outre les fonds qu’ils possèdent, certains cultivateurs emboucheurs, et ils sont sans doute nombreux, louent des prés appartenant à des propriétaires non exploitants ou à des propriétaires exploitants qui ne mettent pas en valeur eux-mêmes leurs fonds. Le recensement du bétail d’embouche de 1917 l’atteste mais les tables des baux n’ont pas livré de contrats de location de pâture passés par des emboucheurs. Les locations de terres se font le plus souvent verbalement entre les propriétaires et les preneurs. Les listes de créanciers dans les faillites d’emboucheurs ne mentionnent que très rarement des baux passés devant notaire, alors que la mention « affermé verbalement » est plus fréquente.
38La famille Montmessin-Perroy se distingue par l’étendue de ses propriétés46, certains de ses membres vivant des rentes versées par les cultivateurs qui les exploitent. En 1913, Joanny Montmessin possède à Saint-Laurent-en-Brionnais 93 hectares dont 81,97 hectares en pré (88 %), 4 hectares en terre (4 %), 2,78 hectares en bois, 2,75 hectares en friches, 81 ares en jardin, 56 ares en sol, bâtiment, cour et 13 ares en étang. En 1914, il vend un pré d’1,11 hectare. En 1924, la propriété passe à son gendre. Ce dernier acquiert en 19292 ares en jardin et en sol, bâtiment, cour. En 1931, il achète une propriété appartenant à Antoine Mommessin, du Peray, de 73,40 hectares dont 64,93 hectares en pré (88 %), 5,42 hectares en terre (7 %), 2,22 hectares en bois, 52 ares en sol, bâtiment, cour et 31 ares en jardin. Joanny Montmessin possède des terrains sur d’autres communes. En 1914, il est propriétaire de deux fermes à Gibles, la Gravière et la Tour, soit 85,11 hectares dont 43,40 hectares en terre (51 %), 27,69 hectares en pré (33 %), 11,54 hectares en pâture (14 %), 1,50 hectare en bois, 55 ares en étang, 33 ares en sol, bâtiment, cour et 10 ares en jardin. En 1924, les fermes de Gibles passent à son gendre Marie Joseph Téodore Perroy. En 1925, 2 ares de sol, bâtiment, cour et 21 ares de terre sont vendus. Joanny Montmessin détient aussi 2,31 hectares sur Bois-Sainte-Marie dont 1,41 hectare en terre et 90 ares en bois. Ces parcelles font partie des fermes de Gibles. En 1915, il acquiert un pré et une terre de 4 et 78 ares. En 1924, ces fonds sont transmis à Marie Joseph Téodore Perroy qui hérite de 3,13 hectares. En 1927, une terre d’1,12 hectare est vendue. En 1914, Joanny Montmessin possède un pré de 10,63 hectares d’un seul tenant, appelé pré de l’hôpital, sur Amanzé qui passe en 1924 à son gendre. En 1913, il possède à Vauban 10 hectares en pré dont une parcelle d’un seul tenant de 7 hectares, appelée le Vignot. En 1924, ces propriétés sont à son gendre.
Stratégies foncières et alliances matrimoniales
39Les successions sont souvent synonymes de division des fermes d’embouche. Ce phénomène s’observe dans plusieurs familles du corpus, par exemple chez les Lamotte, de Saint-Christophe-en-Brionnais. La génération des pères, représentée par Jean Lamotte (1812-1894), s’emploie à étendre l’héritage reçu des parents. La volonté et la possibilité d’agrandir les domaines ne se retrouvent pas à la génération des fils, incarnée par Jean Victor Lamotte (1846-1908). En outre, les successions provoquent un émiettement des propriétés. Marie Raquin, veuve de Claude Lamotte, détient 20,16 hectares à Saint-Christophe en 1835. Trois ans avant sa mort, en 1844, elle partage son domaine et en lègue 93 % à ses deux enfants. Jean reçoit 11,78 hectares (les deux tiers) et Jeanne, épouse d’Antoine Farnier, de Poisson, 6,89 hectares (un tiers). Marie Raquin conserve 7 % de sa propriété, dont un pré, une pâture, une terre, un verger et des bâtiments pour sa subsistance. Trois ans après sa mort, en 1850, ces biens reviennent à sa fille et à son gendre, à l’exception de la pâture qui est vendue. Jean Lamotte succède à sa mère à Ponay. Il débute avec 11,78 hectares en 1844 et accroît ce patrimoine par des acquisitions jusqu’en 1887. À cette date, il est à la tête de 52,72 hectares47. Deux ans après son décès, en 1894, son domaine est partagé entre ses quatre enfants. Marie Noémie reçoit 15,80 hectares (30 %), Jean Victor 13,52 hectares (26 %), Henri 3,64 hectares (7 %) et Marie Clothilde 19,76 hectares (37 %). La plus grosse part des terres revient donc à cette dernière qui, avec son mari Laurent Polette, s’installe à Ponay. Jean Victor, le fils aîné, s’établit à Ronzière, ferme provenant de l’héritage maternel. Une stratégie de transmission du patrimoine immobilier apparaît, consistant à favoriser l’enfant qui reste sur l’exploitation du père, les lots étant équilibrés par des biens mobiliers. Même si les superficies sont différentes, la valeur de chaque lot est sans doute égale. L’aîné n’est pas avantagé, d’un point de vue foncier. La fille cadette reçoit la part foncière la plus importante peut-être parce qu’elle est l’épouse de Laurent Polette, héritier d’une famille d’emboucheurs. Il y a sans doute une volonté de rapprocher deux exploitations. Néanmoins, le grand domaine constitué par Jean Lamotte est démembré. Le maintien des fermes semble difficile à assurer. Les enfants doivent s’employer à faire fructifier leur héritage s’ils veulent retrouver le statut de grand propriétaire qui était celui de leur père. Les alliances sont importantes pour l’agrandissement de l’exploitation. L’emboucheur cherche une épouse bien dotée du point de vue pécuniaire et foncier.
40Le couchage en herbe saisi au niveau de l’exploitation témoigne de l’extension de l’embouche, de la prédominance des herbages et de la spécialisation. L’herbe est un paramètre décisif dans l’embouche. De son abondance ou de sa rareté, de sa qualité, dépend le résultat de l’opération. Les bons prés sont très convoités. Constituant un enjeu majeur, les pâtures font l’objet d’une spéculation. Les emboucheurs les plus riches sont favorisés par rapport aux cultivateurs. Ainsi, les grands prés sont détenus par une élite alors que les petites parcelles permettent aux cultivateurs d’engraisser quelques bêtes. Les prés de plusieurs hectares et d’un seul tenant se transmettent de père en fils. « Il n’y a qu’une catégorie de gens qui a accès à ces prés-là, n’importe qui dans la commune [ne peut] pas avoir accès à la location ou à l’achat de ces prés-là48. » La raison en est économique. Ces embouches se vendent ou se louent à des prix inabordables pour les paysans qui compensent « l’inégalité agro-écologique par un savoir-faire et beaucoup de travail49 ». Mais les petits prés de fond, qui permettent à toutes les catégories de toucher à l’embouche, sont particulièrement convoités. Jean Lévèque, de Saint-Christophe-en-Brionnais, possède des parcelles de ce type – la terre du Fond, de 27 ares, et le pré Fond noir, de 2,49 hectares –, comme son fils Claude – avec des prés de 86 et 59 ares au Fond noir50. L’opposition entre gros et petits emboucheurs se lit aussi au niveau du financement de l’activité entre ceux qui disposent des capitaux nécessaires à l’achat du bétail maigre et les autres, obligés d’emprunter pour peupler leurs herbages.
Le rapport à l’argent : le financement de l’embouche
Véritable industrie, l’embouche exige un système de crédit et une bonne organisation commerciale.51
41Elle requiert des capitaux pour acheter le bétail maigre et acquérir ou louer des embouches. Les herbagers utilisent différentes sources de financement. Rares sont ceux qui, au printemps, achètent leur bétail maigre avec leur propre argent sans avoir recours à l’emprunt comme le confie un témoin : « En principe, tous les emboucheurs empruntaient une grosse partie de leur argent à part deux, trois gros comme le père Lavenir, les Ducarre, de Saint-Laurent. Ces gens travaillaient avec leur argent mais tous les autres empruntaient à la banque. » L’autofinancement est réservé à une élite qui, grâce à son ancienneté dans l’embouche, à l’importance de son commerce ou à son assise foncière, peut s’affranchir des emprunts. Ce phénomène est par essence même impossible à saisir, n’ayant pas laissé de trace.
42Les emboucheurs ont l’habitude de fréquenter la banque52. Le banquier, compte tenu de la fortune personnelle, de la réputation et de l’étendue des prés de ses clients fixe un montant de crédit et, au fur et à mesure de ses achats, l’emboucheur signe des billets d’embouche remis à la banque pour escompte et retire le numéraire équivalent53. Ceux-ci ont une échéance de trois mois et sont renouvelables trois fois, ce qui fait un délai total de neuf mois correspondant à la durée de la campagne d’embouche54. Un ancien explique :
Vous alliez à la banque et puis vous aviez un cautionnaire. Ça se faisait en famille. Le père, ou le frère, signait et la banque vous faisait des bons. En général les crédits d’embouche duraient six, huit mois. C’est-à-dire que l’argent que vous empruntiez au printemps devait être remboursé à la fin de l’année, donc il fallait tout vendre ce que vous aviez acheté à part quelques bêtes que vous aviez achetées avec votre argent à vous. La famille se portait garante. Les banquiers connaissaient les gens, ils savaient qu’ils étaient propriétaires de ceci ou cela.
43Les emboucheurs font aussi appel aux créanciers particuliers, comme les commerçants. L’emprunt se réalise à différentes échelles55 : la parenté, le voisinage, les réseaux professionnels. Le grand-père Fénéon, par exemple, qui n’avait pas beaucoup d’argent, empruntait aux voisins quand il partait en Auvergne56, ainsi que le racontent ses descendants. Cependant, traiter de la question du financement de l’embouche est difficile en raison de la culture du secret qui règne dans le milieu commercial et pour ce qui touche à l’argent, et de l’absence d’écrits. Dans son récit, Alexis Raquin indique seulement à ce sujet : « On la pratiquait [l’embouche] avec son argent, en empruntant parfois quelqu’argent à des voisins ou à des amis. Le prêt, comme le remboursement, se faisait en pièces d’or57. » Les anciens disent avoir emprunté de l’argent auprès des particuliers ou des banques mais les enquêtes orales ne permettant pas d’approfondir les aspects financiers, il a fallu trouver une autre source d’information : les dossiers de faillite des archives du tribunal de commerce de Charolles, versés en série U aux archives départementales. Ces papiers ne concernent que des faillis, c’est-à-dire des emboucheurs qui ont échoué à un moment donné dans leur activité car si l’embouche a produit des réussites, elle a aussi engendré des échecs. Conservés pour la période allant du milieu du xixe siècle aux années 1930, ces dossiers contiennent divers documents : procès-verbal de vérification et d’affirmation des créances, où figurent les créanciers, bilan portant l’actif et le passif, inventaire des biens du failli, réalisé sur le modèle des inventaires après décès. Leur étude permet de saisir les aspects monétaires de l’embouche et les risques auxquels s’exposent les individus qui la pratiquent.
Une activité spéculative à risque
Les emboucheurs qui ont fait faillite, il y en a des tas, comme il y en a des tas qui ont gagné de l’argent.58
44L’embouche est une spéculation comportant des risques. Outre les dangers encourus lors des déplacements dans les pays d’élevage où ils vont s’approvisionner en bétail maigre en transportant de grosses sommes d’argent, les emboucheurs peuvent subir des pertes de bétail, dès la mise à l’herbe. Certains animaux ne s’acclimatent pas aux herbages du Brionnais, d’autres périssent de maladies ou d’accidents. De plus, une chute des cours du bétail peut s’opérer entre l’achat et la vente. L’emboucheur ne parvient pas toujours à réaliser un bénéfice. Au printemps, il doit donc acheter le bétail au prix le plus bas de façon à se donner une marge de sécurité. Il existe aussi des menaces d’ordre climatique. La sécheresse peut, par exemple, compromettre l’opération, l’herbager comptant sur l’herbe pour nourrir les animaux.
45Dans certains cas, à la suite d’une mauvaise gestion du commerce, de pertes de bétail répétées ou d’une chute des prix, l’herbager peut faire faillite, comme Jean Victor Lamotte, de Saint-Christophe-en-Brionnais, 54 ans, époux de Marie Joséphine Farnier, en 190059.
46Le nombre de créanciers (30) et le montant des dettes (276 335 francs) sont impressionnants. Parmi les créanciers, cinq propriétaires qui louent des parcelles à Jean Victor Lamotte n’ont pas été payés. Quatre d’entre eux lui ont aussi prêté de l’argent. L’emboucheur s’est endetté auprès de parents, voisins ou connaissances et a eu recours à deux prêts bancaires, l’un auprès d’un banquier de Charlieu (Vadon, 89 000 francs) et l’autre auprès de la Société parisienne de crédit (21 690 francs). Trois propriétaires lui ayant vendu du bétail et un domestique n’ont pas été payés. Les prêts d’argent s’effectuent dans un cercle de proximité d’un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour du lieu de résidence de Jean Victor Lamotte (fig. 43). 13 créanciers habitent à Saint-Christophe-en-Brionnais, neuf en Brionnais, quatre dans des localités proches du département de la Loire. Un prêteur, résidant à Saint-Gérand-le-Puy (Allier), est éloigné d’une soixantaine de kilomètres. Joseph Eugène Burelle fait peut-être partie des fournisseurs de bétail maigre auxquels Jean Victor Lamotte achète des bovins. Les deux créanciers lyonnais, Marie Adrien Meaudre et Marie Bouchacourt, sont originaires de Saint-Christophe-en-Brionnais. Seule la société parisienne de crédit est lointaine. Sa présence signifie-t-elle que Jean Victor Lamotte effectue des déplacements dans la capitale ? Peut-être, pour y vendre du bétail. Le prêt a-t-il été fait par l’intermédiaire d’un individu ou d’un organisme du Brionnais ?
Fig. 43. Localisation des créanciers de Jean Victor Lamotte en 1900.

© D. Fayard, 2013
47Les dettes les plus anciennes remontent à 1890, les plus récentes à 1900. À cette date, Jean Victor Lamotte n’est plus en mesure de rembourser tout ce qu’il doit, l’actif n’étant que de 149 195 francs (fig. 4460).
Fig. 44. Les biens de Jean Victor Lamotte en 1900.
Nature des biens | Évaluation (en francs) |
Une propriété : bâtiments, terres, prés et bois à Saint-Christophe-en-Brionnais et Briant | 110 000 |
Trois prés et une vigne à Saint-Christophe-en-Brionnais et Briant | 30 000 |
Quatre vaches et quatre bœufs maigres | 3 000 |
Six vaches et deux bœufs gras | 3 200 |
Cinq brebis | 175 |
Deux chevaux, deux voitures, un char et un tombereau | 1 800 |
Deux cochons | 80 |
Trois chèvres | 40 |
Mobilier et sept pièces de vin | 900 |
Total | 149 195 |
48L’emboucheur explique sa situation par la mévente des bestiaux, de nombreuses pertes et des « charges de famille ». La liquidation judiciaire lui fait perdre presque tous les biens qu’il possède à Saint-Christophe-en-Brionnais. Il va s’installer à Poisson, dans la famille de sa femme. La faillite aurait pu avoir des conséquences plus lourdes si les époux Farnier-Lamotte ne s’étaient pas mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts61, ce qui a permis au couple de conserver les biens de l’épouse.
49Un autre dossier de faillite, particulièrement riche, concerne Claude Henri Ducray, emboucheur à Saint-Laurent-en-Brionnais.
Claude Henri Ducray : récit de vie d’un failli
Le poids des héritages familiaux
50Claude Henri Ducray naît le 30 prairial an 13 à Saint-Laurent-en-Brionnais62 où ses parents, Barthélemy et Étiennette Mommessin, sont laboureurs propriétaires. Il a une sœur aînée, Marie, née le 23 pluviôse an 11, et un frère aîné, Barthélemy, né le 20 nivôse an 12. Viennent ensuite une sœur, Claudine, née le 17 février 1808, et un frère, Louis, né le 18 février 1810. Le 24 juin 1819, Barthélemy Ducray décède, laissant derrière lui d’importantes dettes. Sa succession ne sera jamais liquidée de façon complète63. Le 17 juillet 1837, Claude Henri, âgé de 32 ans, se marie avec Antoinette Mommessin à Prizy64 où la jeune épouse, âgée de 23 ans, habite avec sa grand-mère, Antoinette Roux, veuve de Claude Mommessin. Le contrat de mariage est rédigé le même jour à ce domicile65. Les époux adoptent le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts. Claude Henri apporte sa part dans la succession de son père, grevée d’importantes dettes. Antoinette, orpheline, apporte, outre une somme de 4 000 francs, sa part dans les successions de ses parents et de son grand-oncle, Antoine Mommessin, et un trousseau.
51Antoinette Mommessin, née le 29 juin 1814 à Prizy66, a perdu sa mère le 24 février 1825 alors qu’elle n’avait que 11 ans, quelques jours seulement après la naissance de son petit frère Antoine, le 13 janvier 1825. Son père décède trois ans plus tard, le 12 mai 1828. Elle n’a que 14 ans. Antoinette est l’aînée des cinq enfants du couple formé par Claude et Claudine Mommessin, propriétaires aux Bouffiers à Prizy67. En 1828, à la mort de leur père, leur grand oncle, Antoine Mommessin, devient leur tuteur. Ce dernier rédige son testament à leur profit le 20 juillet 1828. Il décède en 1836. Un autre grand-oncle, Charles François Mommessin, prêtre à Prizy, proche d’eux, fait aussi son testament en leur faveur. Antoinette perd sa sœur Claudine, puis son frère Claude, emboucheur à Prizy. Sa sœur Marie épouse Jean-Claude Mommessin, propriétaire à Lugny-les-Charolles. Son frère Antoine épouse Étiennette Françoise Roux, le 18 septembre 1851 à Vauban.
52Le 25 janvier 1844, aux Mathys à Saint-Laurent-en-Brionnais, au domicile de Claude Henri Ducray et Antoinette Mommessin, les trois enfants Mommessin, Antoinette épouse de Claude Henri Ducray, Marie épouse de Jean-Claude Mommessin et Antoine, partagent les biens laissés par leurs parents, Claude et Claudine Mommessin, leurs frère et sœur, Claude et Claudine Mommessin, leurs grands-oncles, Antoine et Charles François Mommessin et leur grand-mère Antoinette Roux68. Ils font appel à Jean Delangle, de Baudemont, adjoint au maire, et à Jean Monnet, de Saint-Symphorien-des-Bois, maire, pour former trois lots69. Dès lors, les créanciers du père de Claude Henri Ducray, voyant que ce dernier s’enrichit grâce à sa jeune épouse, s’adressent à lui pour être payés. Il rembourse avec les biens de sa femme une grande partie des créanciers de son père. Le couple vend peu à peu les propriétés dont a hérité Antoinette Mommessin : des prés à Saint-Germain-des-Bois au docteur Jacquier, 37 000 francs ; plusieurs parcelles à Amanzé à Jean-Marie Mommessin, 4 000 francs, le 6 janvier 1848 ; un pré à Amanzé à François Page, 2 600 francs, le 7 mars 1848 ; des parcelles à Amanzé à Claudine Mommessin, de Prizy, 2 500 francs, le 25 février 1850 ; des parcelles à Prizy à Antoine Mommessin, propriétaire à Saint-Laurent, 15 000 francs, le 17 septembre 1851 ; des parcelles à Amanzé à Claude-Marie Mommessin, 400 francs, le 8 septembre 1852 ; une terre à Amanzé à Benoît Delaye, propriétaire, 1100 francs, le 24 décembre 1855 ; une terre à Amanzé à Claudine Devers veuve d’Antoine Mommessin, 600 francs, le 4 mars 1856 ; un pré à Amanzé à André Grizard, syndic de commerce demeurant à Lyon, 9000 francs, en 1863 ; un pré à Amanzé à la veuve Leclerc, propriétaire à La Clayette, 4 000 francs, en 1863 ; des bois en indivis avec les frères et sœurs d’Antoinette Mommessin, 15 000 francs ; deux ventes de bois appartenant à Antoinette Mommessin, 13 000 francs. La somme de 104 200 francs, ainsi réalisée, est affectée au remboursement des dettes du père de Claude Henri Ducray70.
La vie à la maison des Mathys
53Dans le même temps, entre 1838 et 1858, dix enfants naissent dans leur foyer, à Saint-Laurent-en-Brionnais71. Claude Henri Ducray élève une famille nombreuse. Malgré l’insuffisance de ses revenus, il ne néglige pas l’éducation de ses enfants, en envoyant certains dans des pensionnats, des collèges ou des séminaires. D’importantes dépenses, évaluées annuellement à 2 400 francs (soit sur dix ans 24 000 francs), en résultent72.
54En 1855, Antoinette Mommessin tombe gravement malade. Durant quatre ans, Claude Henri Ducray est obligé de « négliger ses affaires pour consacrer tous ses soins et tout son argent à la conservation d’une mère qui pouvait seule surveiller à l’éducation de huit enfants, dont l’aîné atteignait à peine sa dix-huitième année73 ». Le médecin qui la soigne est à Lyon, ce qui entraîne de fréquents voyages au cours desquels Claude Henri accompagne son épouse. En outre, « les eaux de Vichy lui [sont] ordonnées et à chaque saison il [faut] partir [à] deux et rester jusqu’à la fin de la saison ». Il résulte de ces déplacements et de ces absences « des pertes de temps, des grandes dépenses d’argent et des problèmes dans l’administration du ménage ».
55Aussitôt remise, elle doit faire face à la maladie de l’un de ses enfants.
À peine était-elle rétablie qu’elle se vit elle-même obligée de veiller le jour et la nuit et pendant une année entière au lit de l’un de ses enfants qui s’en allait mourant, rongé par une maladie de poitrine qui était venu le frapper lorsqu’après avoir terminé ses études secondaires, il entrait au séminaire des missions étrangères. Pendant plus d’une année que dura cette maladie de langueur, il fallait être à ses côtés pour satisfaire à ses moindres besoins ; dépenses, soins, médicaments, voyages et consultations, tout a été sacrifié à la conservation d’une vie aussi chère à tous.
56Autant de dépenses importantes. Le ton tragique employé par l’officier de justice lorsqu’il décrit la situation dans laquelle se trouve le failli, perceptible dans ces quelques lignes particulièrement émouvantes, vise à attendrir les destinataires du document, en particulier les magistrats à qui il revient de déterminer la part de responsabilité de l’emboucheur dans sa banqueroute.
57La maison Ducray a toujours été ouverte notamment aux pauvres, ainsi que le confient de nombreuses personnes au syndic de la faillite74. Il en résulte des frais considérables qui, ajoutés aux charges onéreuses d’un personnel nombreux et à l’entretien du ménage, représentent une dépense annuelle d’au moins 3 000 francs, soit pour une vingtaine d’années 60 000 francs75.
58La maison se compose de huit pièces, dont une cuisine, un fournier76 qui sert de bassie77, une salle à manger, trois chambres et un petit cabinet servant également de chambre78. Au-dessus se trouve un grenier. La cuisine renferme une cheminée, des ustensiles nécessaires à la confection des repas et à leur consommation (dont une partie est rangée dans un vaisselier), une horloge et sa caisse en noyer, un espace destiné à la prise des repas avec une grande table, un coin utilisé comme chambre avec deux lits. Le fournier, servant de bassie, contient principalement du matériel nécessaire à la confection des fromages et du pain ainsi que des pots pour conserver les aliments. La chambre, à côté de la cuisine, est sans doute utilisée comme salle à manger, en raison de la présence d’une table à rallonges. La chambre exposée au nord renferme un lit, une petite table et une chaise. Le petit cabinet, situé à proximité, comprend un lit, une table de nuit et deux chaises. Le couloir sert de chambre avec un lit, deux chaises et deux armoires, l’une contient le linge de Claude, le fils aîné, et l’autre celui de plusieurs enfants. Une chambre, orientée au sud, se compose de deux lits, un fauteuil à la Voltaire, une table de nuit, une petite table, trois chaises et une commode contenant le linge utilisé par les filles Ducray. La dernière chambre, à l’étage, a deux lits, une petite table de nuit, deux chaises et deux armoires, une en noyer, l’autre en chêne. Le grenier renferme quelques sacs et tonneaux vides. Il n’y reste que quelques vieilles noix. D’après l’inventaire qui en est fait le 17 septembre 1864, la demeure est dépouillée. Ce jour-là, le syndic trouve dans la cour un tonneau rempli de vin rouge, une douzaine d’autres vides et deux cuviers.
59La maison Ducray emploie une importante domesticité. Cinq domestiques sont portés au bilan pour gages impayés : Claude Mathieu, « domestique attaché à la maison », Jean Mathieu, « petit valet attaché à la maison comme berger », Nicolas Comte, employé pour les labours, les moissons, le fauchage, François Mathieu, chargé de la vigne en 1864 et de la culture de la propriété en 1863 et 1864, et Antoinette Petit, qui participe au sarclage et à la moisson du froment.
L’emboucheur devenu chercheur d’or
60Entre 1837 et 1840, Claude Henri Ducray vend le bétail qu’il engraisse sur la propriété de sa femme ; autrement dit il est emboucheur. À partir de 1840, il commence à faire du commerce de bétail. Il poursuit cette activité jusqu’en 1864, où il cesse ses paiements. Pour se procurer les fonds nécessaires à son négoce, il emprunte auprès des banquiers. Ces emprunts sont de plus en plus fréquents au fil du temps. Les intérêts et les frais s’accumulent, représentant 2 500 francs par an79.
61À partir de 1860, Claude Henri Ducray fait exclusivement du commerce. Le rapport du syndic contient une description précise de son activité80. Chaque samedi il fait conduire à Villefranche-sur-Saône ou à Lyon un troupeau d’une vingtaine de bœufs et de vaches. La plus grande partie de ces bovins est achetée à crédit. Avec le produit de la vente, il paye les bêtes à son retour. Ses paiements sont donc toujours en retard d’une semaine. Il achète son bétail sur les foires de Saint-Christophe-en-Brionnais et Charlieu (Loire). Les paysans lui vendent plus cher qu’à d’autres. Achetant à crédit, l’espoir du gain le pousse souvent à conclure des marchés désavantageux. Sur les places urbaines, il est parfois obligé de livrer ses animaux à un prix inférieur à celui de l’achat pour ne pas avoir d’invendus et payer les bêtes acquises la semaine précédente. Il se retrouve ainsi à court d’argent. N’achetant jamais comptant, il est peu à peu discrédité. Il est alors contraint de proposer des prix qu’il ne parvient pas à réaliser sur les marchés de Lyon ou Villefranche-sur-Saône. Son commerce est ainsi compromis. Ses déplacements sont attestés par des dettes laissées chez madame Meunier, aubergiste à Villefranche-sur-Saône, exploitant un commerce appelé « À l’arrivée des Charollais81 », 200 francs pour frais de nourriture d’homme et d’un cheval82.
62Claude Henri Ducray possède une ferme à Saint-Laurent-en-Brionnais, composée de bâtiments d’habitation et d’exploitation, cour, jardin, prés, terres, verger et bois, d’une valeur de 60000 francs. Il tient également la ferme des Revillets, appartenant à la veuve Ducray, née Aufiliatre, exploitée par un granger83, d’un fermage annuel de 1 300 francs84. Il exploite à moitié avec Benoît Robelin, emboucheur à Iguerande, la ferme du Bief à Chassigny-sous-Dun appartenant à Claude Hérard, manufacturier à Saint-Étienne (Loire), presque en totalité en prés d’embouche, d’un fermage de 4 000 francs. Il fait aussi valoir une ferme à Tancon, appartenant à Pierre Glatard, d’Écoche (Loire), d’un fermage annuel de 1 600 francs, un pré à Amanzé, appartenant à André Grizard, syndic de commerce demeurant à Lyon, d’un fermage de 500 francs et un pré à Prizy, appartenant à Louise Joly, veuve Leclerc, propriétaire à La Clayette, d’un loyer de 235 francs.
63Le syndic de la faillite, qui procède à l’inventaire des biens en septembre 1864, visite les fonds exploités par Claude Henri Ducray85. Au Grand pâquier à Prizy, appartenant à Louise Joly, loué verbalement, sont trois vaches, estimées 648 francs, placées sous la surveillance de Claude Lempereur, cultivateur et gardien du pré. Le pré des Batis à Amanzé appartenant à André Grizard, loué verbalement, nourrit trois bœufs, estimés 1 100 francs, confiés à Claude Sarry, garde particulier demeurant à Prizy. Dans les bâtiments d’exploitation du Bief à Chassigny-sous-Dun appartenant à Claude Hérard, le syndic a répertorié la moitié du grain de 225 gerbes d’avoine, 4 000 kilos de foin, dans le pré de la Verchère et celui de Combassot, quatre vaches, dans le Grand Pré et le pré de la Pompe, 11 vaches, ces 15 têtes de bétail étant estimées 4 000 francs. Ces biens sont placés sous la protection de François Roffet, cultivateur. Dans la propriété de Pierre Glatard à Tancon, louée verbalement, le syndic a trouvé dans le Grand Pré neuf vaches, trois génisses et deux taureaux, estimés 2 116 francs et sur les fenils 1 000 kilos de mauvais foin, le tout placé sous la surveillance de Jean Tevenet, vigneron. Dans la propriété de la veuve Ducray aux Revillets, dont Claude Henri Ducray est fermier et Benoît Lapalus, granger ou métayer86, le syndic a dénombré les éléments suivants appartenant par moitié à Ducray et à Lapalus : six bœufs estimés 1 500 francs, trois vaches 600 francs, une génisse 120 francs, un taureau 150 francs, deux truies et 13 cochons 150 francs, 10 hectolitres de pommes de terre, 80 doubles décalitres d’avoine en gerbière, 500 doubles décalitres de froment non battu et en deux gerbières, 200 quintaux de betteraves. Des animaux complètent l’exploitation : deux chèvres estimées 20 francs, un cheval hors d’âge et borgne ainsi qu’une jument de 12 ans 400 francs, quatre bœufs 1 200 francs, deux vaches 600 francs, deux vaches grasses 500 francs, deux taureaux et deux génisses de deux ans 800 francs, quatre veaux de l’année 240 francs, quatre truies et deux jeunes porcs 240 francs, 27 petits cochons 135 francs, quatre brebis et un agneau 100 francs. Quelques volailles, 24 poules, 25 poulets et huit oies vagabondent dans la cour. Au total, quelque 60 bovins pâturent dans les fonds du failli. Le matériel destiné à l’exploitation du domaine se compose de quatre pioches, un trident, deux râteaux de jardin, trois faux, huit faucilles, une bêche et trois pelles, un chariot et des harnais de cheval en mauvais état, un tilbury87, trois chars, un tombereau et une charrue. La grange renferme seulement une petite cuve portative. Des fèves sont entassées sur le grenier, du foin et de la paille sur les fenils. Le froment non battu est amoncelé dans une gerbière à proximité de la maison.
64Au début de l’année 1860, constatant que sa situation devient critique, Claude Henri Ducray se lance dans l’exploitation de mines de plomb argentifère à Monsols et aux Ardillats (Rhône), où il fait creuser un puits et cinq galeries. En 1863, il fait pratiquer des fouilles à Saint-Christophe-en-Brionnais. Un puits d’environ dix mètres de profondeur et une galerie sont aménagés. Cette mine de plomb argentifère est toujours exploitée lorsque survient la faillite88. D’après des expériences faites à Belleville par un ingénieur, le minerai extrait contient 78 % de plomb et 8 % d’argent. Quelques parties d’or y auraient même été découvertes. Pourtant, ces entreprises se révèlent malheureuses. L’emboucheur, désespéré, espérait qu’une découverte lui aurait permis de rétablir ses affaires. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Ses efforts ont été anéantis et il a englouti dans ces mines une somme de 30 000 francs.
La faillite
65Un jugement du tribunal de commerce de Charolles, le 16 septembre 1864, déclare Claude Henri Ducray en faillite. Il n’est pas apposé de scellés à son domicile, mais le failli est placé sous la surveillance du garde champêtre de Saint-Laurent-en-Brionnais. Le syndic explique que certaines personnes, dont il ne cite pas les noms, reprochent à Claude Henri Ducray d’avoir « une bourse et un portefeuille bien garnis et par conséquent d’être un homme malhonnête ». Mais l’homme de loi, qui réalise de minutieuses recherches, ne peut mettre en évidence aucune fraude ni aucun détournement d’actif. Il est convaincu de la bonne foi de l’emboucheur qui, ne voyant plus d’issue pour s’en sortir, s’est décidé à se mettre en faillite en 1864. Claude Henri Ducray déclare n’avoir ni argent, ni valeurs. Comme les commerçants de sa condition, il n’a jamais fait d’inventaire. Il ignorait d’ailleurs que cette obligation était imposée par la loi. Il possède seulement quatre livres, un petit carnet et un répertoire, irrégulièrement tenus. Ces papiers ne permettent pas de déterminer de façon précise sa véritable situation financière.
6657 créanciers se présentent au tribunal de commerce de Charolles dans l’espoir de récupérer l’argent que leur doit le failli. Parmi eux, 34 ont vendu des bovins à l’emboucheur, de l’été 1863 à l’été 1864, et n’ont pas été payés. Ces impayés, qui représentent à peine 8 % du montant total des créances, portent cependant sur une centaine d’animaux. Le commerçant a acheté principalement des bœufs et quelques vaches sur les champs de foire qu’il fréquente. D’après l’estimation qui peut être faite grâce aux données disponibles, il s’agirait d’environ 80 bœufs et de seulement une vingtaine de vaches.
67Les 34 fournisseurs sont domiciliés en Brionnais et, au sud de cette zone, au nord du département de la Loire autour de Charlieu (fig. 45). Les documents ne précisent pas toujours si les transactions ont été réalisées à la foire. Quoi qu’il en soit, trois lieux d’approvisionnement ressortent : Saint-Christophe-en-Brionnais, Charlieu et Charolles. Les bovins sont collectés durant la semaine, et expédiés le samedi vers Villefranche-sur-Saône et Lyon. Claude Henri Ducray apparaît ici comme un simple intermédiaire qui achète du bétail gras et le revend à des chevillards. À partir de 1860, il délaisse l’embouche pour se consacrer à ce commerce. Ses fournisseurs sont vraisemblablement des cultivateurs ou des petits emboucheurs, qui ne traitent pas directement avec les chevillards urbains. Aucun n’a été identifié comme faisant partie du corpus.
68Quatre domestiques qui travaillent pour le failli n’ont pas reçu leur salaire : Nicolas Comte, François, Claude et Jean Mathieu, de Saint-Laurent-en-Brionnais. Deux ouvriers ayant travaillé dans les mines de l’emboucheur sont dans la même situation : Antoine Morel, de Varennes-sous-Dun, et Jean-Marie Grizard, de La Clayette, décédé et représenté par sa veuve. Pierre Glatard, d’Écoche, n’a pas reçu le fermage d’un pré qu’il loue au failli à Tancon. Mais surtout Claude Henri Ducray est dans l’incapacité de faire face aux nombreux emprunts qu’il a contractés auprès de deux banques, l’une à Charlieu, l’autre à Roanne, et chez des particuliers. Ses prêteurs sont domiciliés à Villefranche-sur-Saône, Bourg-de-Tizy (Rhône), Paray-le-Monial, La Clayette, Saint-Laurent-en-Brionnais, sans doute sur ses lieux de passage. L’argent se prête parfois au marché. En mars 1864, Benoît Papillon, propriétaire demeurant dans le canton de Tarare (Rhône), fournit, par exemple, du numéraire à Claude Henri Ducray.
69À l’inverse, Claude Henri Ducray a prêté 1 000 francs à François et Nicole Gauthier, cultivateurs à Champlecy, par une obligation du 23 juillet 1862. François Paperin, d’Amanzé, lui doit 3 250 francs pour des fermages et 240 francs pour une vente d’objets mobiliers. Sur cette somme de 3 490 francs, Claude Henri Ducray a reçu un acompte de 800 francs. François Paperin reste débiteur de la somme de 2 690 francs, mais cette créance est jugée douteuse. Desmurs, de Tancon, lui doit 35 francs pour panage89 de deux bœufs, Auclair, de Saint-Maurice-les-Châteauneuf, pour une vache, 75 francs et Jean Pierre Merlin, de Saint-Laurent-en-Brionnais, pour une génisse, 75 francs90.
Fig. 45. Provenance des bovins impayés par Claude Henri Ducray.

© D. Fayard, 2013
70Le montant total de la débâcle de Claude Henri Ducray, qui s’élève à plus de 356 000 francs, est très nettement supérieur à celui des faillites de maquignons, dont la plus importante se monte, à la même période, à un peu plus de 100 000 francs en 1857.
71La famille Ducray doit quitter la maison des Mathys pour une autre à Joux, dans la même commune, en 1864 ou 1865. Au cours d’une vente aux enchères, le 9 octobre 1864, au bourg de Saint-Laurent-en-Brionnais, sont vendus quatre truies, 29 cochons et la récolte de deux vignes, ce qui produit une somme de 412 francs91. Le syndic de la faillite, en présence de plusieurs créanciers, vend aux foires de Saint-Christophe-en-Brionnais, La Clayette et à Saint-Laurent-en-Brionnais trois bœufs et 28 vaches, ainsi que la moitié du cheptel, des pommes de terres, des carottes, de l’avoine et du grain de la dernière récolte provenant du domaine des Revillets, appartenant à la veuve Ducray, cultivé par le granger Lapalus et dont Claude Henri Ducray est fermier. Ces ventes rapportent 9045 francs. Cette somme est partagée entre une partie des créanciers. Quelques mois plus tard, le 20 juillet 1865, les immeubles de Claude Henri Ducray sont vendus à l’audience des criées du tribunal civil de Charolles92. Son épouse acquiert, moyennant 50 875 francs, cinq lots, qui comprennent la terre labourable Champlumet de 77 ares, le pré de Prenet de 2,58 hectares, un bois de chênes à Chassignol de 29 ares, le pré de Praille de 2,25 hectares, le pré Champlumet de 94 ares, le pré grand Champlumet de 5,04 hectares, le pré Billet, d’1,10 hectare, un autre pré Billet de 82 ares et le pré Devant d’1,84 hectare, soit au total 15,63 hectares à Saint-Laurent-en-Brionnais. Parmi les acheteurs figurent Antoine Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais, qui achète deux parcelles, une terre labourable en Bourguignon d’1,15 hectare et un taillis à Chassignol de 22 ares, moyennant 435,70 francs ; Antoine Barbin, propriétaire à Saint-Laurent-en-Brionnais, pour la terre labourable de Foncély de 32 ares (216,40 francs) ; Laurent Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais, pour la terre labourable de Praille de 45 ares (218,55 francs). Cette vente permet de rembourser les créanciers et de clore sa faillite à l’été 1865. Le rachat d’une partie des terrains par sa femme permet de limiter les dégâts.
72Malgré cela, les époux sont obligés de vendre définitivement une partie de leur propriété et notamment des parcelles rachetées par l’épouse. Le 29 novembre 1866, Antoinette Mommessin cède à Claude-Marie Auguste Mommessin, du bourg de Saint-Laurent-en-Brionnais, la terre de Champlumet de 77 ares moyennant 1 760 francs. Elle aliène ensuite à Antoine Barbin le pré Champlumet de 83 ares moyennant 2 800 francs. Le 17 octobre 1867, elle cède à Claude Merle, de Sarry, la terre de Lamure à Saint-Germain-des-Bois de 25 ares moyennant 240 francs.
73Antoinette Mommessin décède le 8 novembre 1876, à l’âge de 61 ans. Claude Henri Ducray meurt cinq ans et demi plus tard, le 30 avril 1882, à l’âge de 76 ans93. Trois enfants lui survivent : Marie, 39 ans, épouse de Pierre Tiriet, horloger à Charlieu, Louis Joseph, 29 ans, cultivateur à Saint-Laurent-en-Brionnais et Madeleine, 24 ans, épouse de Benoît Vincent Busseuil – l’un des fils de Jean Busseuil, de Vauban, marchand de bestiaux qui fait faillite en 1848 puis en 1857 –, cultivateurs à Saint-Laurent-en-Brionnais. Sa succession comprend seulement une somme de 2 159 francs94.
74Au terme de cette reconstitution biographique, Claude Henri Ducray apparaît comme un marchand de bœufs, intermédiaire entre ses fournisseurs du Brionnais et ses clients de Villefranche-sur-Saône et de Lyon. Après avoir débuté sa carrière dans l’embouche, il s’oriente progressivement vers le commerce avant de s’y consacrer exclusivement. La perspective de profits avantageux, l’affranchissement des contraintes liées à l’engraissement du bétail et du travail manuel nécessaire aux soins des animaux et à l’entretien des pâtures, le prestige attaché à l’exercice d’une activité purement commerciale, sont certainement à l’origine de ce changement d’activité. Les dettes accumulées par son père, auxquelles il a dû faire face après sa mort, ont constitué une sérieuse entrave à sa réussite. En réalisant un mariage lucratif et certainement intéressé avec Antoinette Mommessin, riche orpheline propriétaire à Prizy, il espérait sans doute rétablir sa situation. Mais la conjonction de plusieurs facteurs a précipité son déclin, du fait des charges d’une famille de dix enfants et de la maladie de son épouse. L’exploitation des mines dans laquelle il se lance à partir de 1860, dans l’espoir de trouver de l’or, y a aussi contribué. Bref, Claude Henri Ducray est acculé à la faillite en septembre 1864. La vente de ses biens permet d’éponger une partie des dettes et le rachat par son épouse d’une partie des fonds de « sauver les meubles ».
75Une fois encore la dépendance aux sources disponibles se fait sentir. Les aspects financiers de l’activité n’ayant pas laissé de traces dans les archives quand aucune difficulté ne survient, seuls les dossiers de faillite livrent un apport à l’histoire économique. La présentation de ces deux faillites d’emboucheurs ne prétend pas avoir valeur générale. Elle permet néanmoins de voir vivre les herbagers au quotidien, de mettre au jour les circuits d’échange du bétail et les réseaux locaux du crédit au sein desquels circule l’argent. Les emboucheurs empruntent surtout dans leur voisinage, leur parentèle et leur milieu professionnel. Lorsque cela ne suffit pas à financer leur activité, ils recourent aux services des banques locales. Malgré l’échec, les emboucheurs sont de véritables entrepreneurs dotés d’une culture technique. Alors qu’ils pourraient continuer, comme leurs ancêtres ou leurs contemporains, à cultiver la terre, les herbagers ont l’audace de s’endetter pour acheter du bétail maigre, l’engraisser avant de le revendre avec tous les risques que cela comporte. Ainsi, ils sont des acteurs du désenclavement mental du Brionnais au même titre que les maquignons. Ils participent aussi au désenclavement des réseaux locaux vers Villefranche, Lyon et Paris, grâce aux circuits commerciaux qu’ils établissent avec les chevillards urbains. À travers la recherche de financement ou de débouchés, les emboucheurs font preuve d’une ouverture sur l’extérieur et contribuent à l’insertion du Brionnais-Charolais dans l’économie nationale.
Le rapport à la société : une situation privilégiée
Un travail peu pénible, une domesticité importante
76L’embouche, « source d’aisance95 », exerce une fascination sur le paysan car elle apporte le confort sans donner beaucoup de travail96 : « Un emboucheur est un “monsieur” à la tête de la hiérarchie rurale régionale97. » Parfois comparé au vigneron98, l’emboucheur est considéré par les paysans comme un notable de la terre qui gagne bien sa vie en faisant un travail moins rude, plus noble99. Son statut de propriétaire impose le respect. Il gère une domesticité nombreuse composée de commis, de gardes de prés, de toucheurs, dont l’effectif est fonction de la grandeur du domaine et de l’aisance du ménage.
77Au bourg de Saint-Laurent-en-Brionnais, Téodore Perroy emploie, par exemple, six domestiques en 1921, quatre en 1931 comme en 1936, se distinguant, par le nombre de personnes à son service, des autres chefs de ménage de la commune100. Chez les Ducarre, de Chéry, Antoine Laurent a en permanence une servante et un cultivateur : en 1901, Françoise Dufour, 39 ans, et Jean-Marie Desmurger, 26 ans ; en 1906, Françoise Basset, 20 ans, et Jean-Marie Lapalus, 15 ans, tous deux de Saint-Laurent-en-Brionnais ; en 1911, Françoise Basset, 25 ans, et Jean-Marie Rousseau, de Gibles, 24 ans ; en 1921, Jules Jugnet, d’Aigueperse, 37 ans, et Julienne Fayard, de Gibles, 29 ans. Son fils Antoine emploie en 1931 une servante : Claudine Bourgeon, de Gibles, 39 ans. En 1936, un couple de domestiques polonais est présent dans l’exploitation101. Plusieurs domestiques travaillant pour les Ducarre sont originaires de Gibles ce qui s’explique sans doute par le fait qu’Antoine Claude Marie, suite à son mariage avec Marie Claudine Mathieu, de Bois-Sainte-Marie, devient propriétaire d’une ferme dans cette commune. Chez les Ducarre, des Chevennes, Benoît Joseph emploie aussi une servante et un cultivateur : en 1901, François Dumont, 18 ans, et Marie-Louise Charnay, 22 ans ; en 1906, Étienne Bidaut, de Saint-Racho, 34 ans, et Marie Basset, de Saint-Laurent-en-Brionnais, 18 ans ; en 1911, François Collaudin, de Saint-Laurent-en-Brionnais, 26 ans, et Cécile Simonard, de Mussy-sous-Dun, 22 ans – comme sa veuve, Angélina – ; en 1921, Félix Duvernay, de La Chapelle-sous-Dun, et Françoise Lamborot, de Varennes-sous-Dun, 18 ans – et son fils, Joseph – ; en 1931, Louis Plassard, de Poule-les-Écharmeaux (Rhône), 25 ans, et Eugénie Ducarre, d’Oyé, 22 ans. En 1936, un couple de domestiques polonais est présent dans l’exploitation102. Ainsi, les Ducarre ont en permanence à leur service une servante pour les tâches ménagères et un commis pour les travaux agricoles. Durant les périodes d’intense activité – en hiver lors de l’entretien des pâtures et en été pour la fenaison –, le commis est aidé par des journaliers. Les gros propriétaires participent rarement à ces travaux manuels. Si, parmi les retraités enquêtés, certains entretenaient eux-mêmes leurs prés, d’autres embauchaient des commis pour cette tâche. L’un d’eux confie : « Mon père avait toujours deux commis qui s’occupaient des prés. Je me souviens, ils passaient l’hiver à taper sur les buissons. J’en ai coupé un petit peu mais… » Les cultivateurs emboucheurs, qui exploitent des surfaces plus réduites, emploient un personnel moins nombreux, généralement un commis.
78Les dénombrements de population, qui révèlent la situation du ménage le jour du recensement, ne permettent pas toujours de saisir les saisonniers. Les herbagers peuvent aussi avoir recours à des journaliers. Durant leurs jeunes années, les emboucheurs commencent souvent par travailler à la journée chez d’autres herbagers, selon l’un des témoins : « Je suis allé à mes journées de 13 à 15 ans chez un emboucheur à Baudemont, un cousin qui était emboucheur, et puis chez un autre cousin à Curbigny qui était éleveur et qui faisait un peu d’embouche. J’allais chez le père Dumontet et le père Lavenir. » Un autre faisait « des journées un peu par-ci par-là », notamment chez Julien Lardet, de Varennes-sous-Dun, qui avait une ferme et qui « faisait le marchand en même temps », et il raconte que « quand il y avait des bêtes à vendre il [l]’emmenait avec lui et il [lui] apprenait le métier ». C’est ainsi que se transmet le métier.
79Au sein de ces familles brionnaises, catholiques et pratiquantes, l’aïeul, en patriarche, organise la vie de la maison et de la ferme parfois jusqu’à 70 ou 80 ans. La situation privilégiée de ces dynasties engendre parmi leurs membres une certaine fierté et beaucoup d’orgueil103. Ceux qui parviennent à bien gagner leur vie grâce à l’embouche affichent leur réussite en faisant édifier de belles et grandes demeures.
La maison brionnaise ostentatoire : le témoignage d’une réussite économique
80En Brionnais-Charolais, l’habitat rural est rarement antérieur au Premier Empire104, les mutations du xixe siècle ayant souvent entraîné la démolition des constructions qui ont précédé. La grosse maison de pierre, coiffée d’un toit à quatre pans couvert de tuiles plates brunes et orné d’épis de faîtage ou de girouettes, présentant des ouvertures disposées de façon symétrique sur la façade principale, orientée au sud, s’est imposée comme le symbole de la réussite économique dans l’élevage ou l’embouche105.
81Trois types de fermes peuvent être distingués en Brionnais-Charolais. La locaterie est une petite exploitation où l’habitation et les bâtiments agricoles sont placés sous le même toit (fig. 46 pl. XIV). La ferme dite de l’emboucheur est la plus répandue. L’habitation et les bâtiments d’exploitation sont dans le même alignement, mais le logement n’est pas sous le même toit. Le domaine du gros emboucheur comporte une maison séparée des bâtiments d’exploitation, le tout regroupé en une cour plus ou moins fermée. La maison Ducarre, des Chevennes, à Saint-Laurent-en-Brionnais, édifiée vers 1860, témoigne de l’évolution du mode de vie des emboucheurs qui aspirent à un certain confort lorsqu’ils s’enrichissent (fig. 47 pl. XIV et fig. 48 pl. XV). Plusieurs éléments sont empruntés à l’architecture urbaine : la distribution symétrique des ouvertures sur les façades, la corniche de pierre qui court sous la toiture, le soubassement en pierres apparentes, l’appareillage des baies ou le balcon placé en saillie de la façade méridionale. La maison est désormais séparée du bâtiment agricole, servant à hiverner quelques bovins et abriter le matériel. Celui-ci est fait, dans le cas présent, de belles pierres calcaires taillées. La façade est percée symétriquement d’une petite porte au centre et de deux plus grandes de part et d’autre.
82Imitant les maisons bourgeoises, ces demeures témoignent de l’accès à une réelle aisance grâce au négoce du bétail et constituent des témoignages d’enrichissements familiaux. Mais elles n’ont parfois été qu’un « rêve de pierre », « fantasme d’un mode de vie urbain qui, alors, ne pouvait être le leur106 ». Symbole d’un enrichissement et d’un dynamisme temporaire et passé, la robustesse de ces constructions a par la suite été source de rigidité, les transformations y étant difficiles107. Les trois types de fermes présentés ici disposent de bâtiments agricoles modestes, l’exploitation brionnaise se distinguant ainsi de la charolaise. Si les éleveurs ont besoin de vastes étables pour loger leurs troupeaux durant l’hiver – ce qui a donné naissance à d’immenses abris en pierre couverts de tuiles plates (fig. 49 pl. XV) –, les emboucheurs, n’hivernant que quelques bêtes, se contentent de dépendances modestes : une grange et une étable. Le Brionnais-Charolais se caractérise par une grande diversité de son habitat et les types de fermes définis ici admettent des variantes locales.
Des fonctions municipales
83Si un lien systématique ne peut être établi entre la pratique de l’embouche et l’exercice de fonctions municipales, certains emboucheurs s’occupent des affaires de leur commune, comme à Saint-Christophe-en-Brionnais108 où Jean Lamotte fut conseiller municipal de 1855 à 1863, Claude Lorton conseiller de 1848 à 1852 et adjoint de 1852 à 1878, Louis Marie Lorton conseiller de 1894 à 1903 et adjoint de 1896 à 1901, ou Laurent Polette, adjoint de 1878 à 1881 et conseiller de 1881 à 1888. Alexis Raquin, emboucheur, fut maire de 1945 à 1989. Ses origines expliquent l’action qu’il a menée au cours de ses huit mandats successifs en faveur du développement du marché aux bestiaux. Son successeur, Paul Durix (1989-1995), est lui aussi herbager. ÀSaint-Laurent-en-Brionnais109, Jean-Marie Montmessin fut maire en 1871, comme son père Jean-Claude Montmessin qui, en outre, fut conseiller général. Antoine Laurent Ducarre, de Chéry, fut maire de 1888 à 1896 et de 1912 à 1919. Son frère Benoît Joseph, des Chevennes, le fut dans l’intervalle, de 1896 à 1912. Si les emboucheurs sont représentés dans les conseils municipaux, il ne semble toutefois pas qu’ils le soient plus que les autres catégories socioprofessionnelles.
84Ainsi, par leur assise foncière, leur aisance économique et leur influence au sein de la société rurale les emboucheurs apparaissent comme une élite. D’ailleurs, ils « se considèrent comme une aristocratie paysanne évoluée. Leur audience et leur influence sont prépondérantes parmi les populations rurales110. »
Un monde fermé : l’endogamie sociale à travers les généalogies croisées
85Lors de la réalisation des biographies familiales ont été mises en évidence plus d’une trentaine de connexions entre les 80 familles composant le corpus (une soixantaine d’emboucheurs et une vingtaine de commerçants en bestiaux). En effet, en dessinant les généalogies, rapidement des branches communes se greffent sur les différents arbres. Ces liens confirment que les individus se marient dans leur village ou dans les localités voisines mais aussi dans leur milieu. Ainsi, les cultivateurs emboucheurs épousent des filles, des sœurs, des nièces de cultivateurs emboucheurs. C’est par une telle union que la famille Bajard, de Saint-Laurent-en-Brionnais, s’allie avec la famille Perrat, de Vareilles lorsque Claude Marie Marcel Bajard, emboucheur en 1957, épouse dans les années 1920 Marie Benoîte Perrat, sœur de Stéphane Perrat, lui aussi emboucheur en 1957. De même, les familles Durix et Ducray, de Saint-Laurent-en-Brionnais, se rapprochent par le mariage, en 1910, de Claude Marie Joseph Benoît Victor Durix, emboucheur en 1917, avec Marguerite Marie Ducray, sœur d’Antoine Marie André Ducray, emboucheur en 1957. François et Paul Durix, leurs fils, sont aussi emboucheurs à cette date. La famille Gaillard, de Saint-Laurent-en-Brionnais, s’allie à la famille Vernay, de Vauban, par le mariage de Benoît Gaillard, emboucheur en 1917, et d’Étiennette Vernay, en 1872 à Vauban111. Étiennette est une tante de Claude Marie Vernay, emboucheur en 1957, et une grand-tante d’Antonin Vernay, aussi emboucheur à cette date. Une connexion est établie entre les familles Janiaud et Ducray, de Saint-Laurent-en-Brionnais, lorsque François Janiaud, emboucheur en 1917, épouse en 1899 Jeanne Gaillard, fille de Claude Gaillard et de Louise Marie Ducray, cultivateurs112. Jeanne Gaillard est une cousine d’André Ducray, emboucheur en 1957. Les familles Larue, de Saint-Laurent-en-Brionnais, Migeat et Vernay, de Vauban, sont liées. La sœur cadette de Benoît Larue, emboucheur en 1917, Marie Colette, épouse en 1883 à Vauban, Émile Marie Méhu113. De cette union naissent Jeanne Françoise Marie et Marie Louise qui épousent respectivement Claude-Marie Félix Migeat – ce qui entraîne une union avec la famille Migeat, de Vauban – et Claude-Marie Vernay, emboucheur en 1957 – ce qui provoque une union avec la famille Vernay, de Vauban. La famille Larue se rapproche également de la famille Pacaud, des Rebutys à Saint-Laurent-en-Brionnais, puisque Benoît Larue, emboucheur en 1917, s’allie à Philomène Pacaud en 1883, à Saint-Laurent-en-Brionnais114, sœur de Benoît Marie Pacaud, aussi emboucheur en 1917. La famille Larue se rapproche enfin de la famille Pacaud, des Mathys, à Saint-Laurent-en-Brionnais lorsque Philomène Auclair, petite-fille de Benoîte Larue, emboucheur en 1917, se marie dans les années 1930 avec Jean-Louis Joseph Pacaud, fils de Jean-Marie, emboucheur en 1957. Les familles Place et Verchère, de Vauban, sont apparentées. Lucien Verchère, emboucheur en 1957, s’unit à Eugénie Place, petite-fille de Jean Place, emboucheur en 1917 et sœur de Jean Place, emboucheur en 1957. La famille Place, de Vauban, se lie avec la famille Debiesse, de Saint-Laurent-en-Brionnais, par le mariage, dans les années 1920 à Vauban, de Louis Jules Philémon Debiesse, emboucheur en 1957, et de Marie Eugénie Place, fille d’Étienne Benoît, emboucheur en 1917. Les familles Perrat, de Saint-Laurent-en-Brionnais et de Vareilles, sont deux branches d’une même famille. Marcel Perrat, emboucheur en 1957, est le frère de Stéphane Perrat, aussi emboucheur en 1957. Les familles Martin et Perrat, de Vareilles, sont unies par le mariage de Jean Martin, fils de Philibert Martin, emboucheur en 1957, et de Denise Perrat, fille de Stéphane Perrat, aussi emboucheur en 1957. La famille Martin, de Vareilles, est encore alliée à la famille Corneloup, de Baudemont, puisque Philibert Martin, emboucheur en 1957, est le frère de Jeannine Martin qui épouse Paul Corneloup, emboucheur en 1957, père de Robert, commerçant en bestiaux à Curbigny. La famille Corneloup, de Baudemont, est aussi apparentée à la famille Lavenir, de Baudemont. En effet, la mère de Joanny Elie Lavenir – emboucheur en 1957 –, née Corneloup, est la grand-tante de Paul Corneloup. La famille Lavenir se rapproche de la famille Michelet, de Baudemont, quand l’une des filles de Joanny Elie Lavenir, Claudine Francine, devient la femme de Lucien Michelet, emboucheur en 1957.
86Les mariages se font aussi entre les familles d’emboucheurs et celles des marchands de bestiaux. Parmi ces unions, celle des familles Neverre, de Vareilles, et Augagneur, de Saint-Laurent-en-Brionnais. Émile Neverre, emboucheur en 1917, se marie avec Claudine Augagneur, en 1890 à Vareilles115, nièce de Jean-Marie Augagneur, marchand de bétail à Saint-Laurent-en-Brionnais, qui fait faillite en 1880, lui-même neveu de Jean et Claude Augagneur et Jean Tevenard, les trois faillis de 1850. La famille Augagneur est aussi apparentée à la famille Franc, de Vareilles. La grand-mère maternelle d’Alphonse Franc – emboucheur en 1957 –, Marie-Louise Augagneur, est la fille de Jean-Pierre Augagneur et Louise Dumont. Jean-Pierre Augagneur est marchand de bétail à Saint-Laurent-en-Brionnais, frère et beau-frère des trois faillis de 1850. Les familles Busseuil, de Vauban, et Ducray, de Saint-Laurent-en-Brionnais, se rapprochent par l’union, en 1883, de Benoît Vincent Busseuil – fils de Jean Busseuil, marchand de bestiaux et emboucheur qui fait faillite en 1848 et en 1857 –, et de Marie Madeleine Ducray, fille cadette de Claude Henri Ducray, emboucheur en faillite en 1864. De même, la famille Dubost, de La Chapelle-sous-Dun, est apparentée à la famille Dubreuil, de Saint-Laurent-en-Brionnais. Augustin Dubreuil, emboucheur en 1957, est le mari de Joséphine Dubost. Les Dubost sont également alliés aux Lorton, de Varennes-sous-Dun, par le mariage de Claudia Jeanne Marie Dubost et de Pierre Marie Lorton, grand-père de Bernard, commerçant en bestiaux à Varennes-sous-Dun.
87Les enfants des emboucheurs spécialisés se marient entre eux ou avec des enfants de gros cultivateurs. Ainsi, les Gay et les Lamotte, de Saint-Christophe-en-Brionnais, sont apparentés par le mariage, dans les années 1920, de Marcel Joanny Victor Gay avec Juliette Henriette Polette, petite-fille de Marie Clothilde Lamotte, sœur de Jean Victor Lamotte, emboucheur en faillite en 1900. Les familles Mathieu, de Vareilles, et Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais sont alliées. Benoît Alexis Raquin et Marcelline Eugénie Ducarre – fille d’Antoine Marie et Marie Ducarre, sœur de Claude-Marie, du bourg, d’Antoine Laurent, de Chéry, et de Benoît Joseph, des Chevennes, tous les trois emboucheurs à Saint-Laurent-en-Brionnais – sont les parents de Claude-Marie Jules Raquin, beau-père de Philibert Mathieu, emboucheur en 1957. Les familles Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais, Mommessin, de Prizy, et Merle, de Vauban, sont unies par l’alliance d’Antoine Laurent Ducarre et Claudine Mommessin. En effet, Antoine Mommessin et Étiennette Françoise Roux ont deux filles. L’aînée, Antoinette, épouse en 1874 à Vauban, Jean-Baptiste Merle116. Ce sont les grands-parents paternels d’Armand Merle, emboucheur en 1957. La cadette, Claudine, épouse Antoine Laurent Ducarre, emboucheur en 1917. Ce sont les grands-parents de Pierre Ducarre, emboucheur en 1957. Les Merle, de Vauban, et les Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais, sont aussi apparentés aux Ducray, de Saint-Laurent-en-Brionnais. Antoinette Mommessin, épouse de Jean-Baptiste Merle, au syndicat de 1887 à 1907 et emboucheur en 1917, et sa sœur, Claudine, épouse d’Antoine Laurent Ducarre, sont des nièces de Claude Henri Ducray.
88Les mariages contractés par les membres de la famille Ducarre leur permettent de se rapprocher d’autres familles de l’embouche : des Raquin, de Ligny-en-Brionnais puis Saint-Christophe-en-Brionnais, quand Marceline Eugénie épouse Benoît Alexis Raquin le 25 janvier 1873 à Saint-Laurent-en-Brionnais117 ; des Bordat, d’Oyé, lorsque Laurent Jean Henri Joseph épouse Marthe Bordat dans les années 1920 ; des Merle, de Vauban, et des Mommessin, de Prizy, quand Antoine Laurent épouse Claudine Mommessin le 15 avril 1882 à Vauban118. Les Raquin, de Ligny-en-Brionnais, et les Lorton, du bourg de Saint-Christophe-en-Brionnais, sont unis par le mariage en 1908119 de Claude Marie Jules Raquin et Marie-Antoinette Lorton. Les Lorton sont aussi apparentés aux Mathieu, de Vareilles. Marie Lorton, fille de Louis Marie et de Marie Mathieu, est la belle-mère de Philibert Mathieu, emboucheur en 1957.
89Ces mariages, contribuant à accroître le patrimoine foncier de la famille et à resserrer les liens économiques entre acteurs de la même profession, sont arrangés par les parents des jeunes époux. Dans son récit, Alexis Raquin évoque par exemple les manigances à l’origine du mariage de ses grands-parents paternels, Benoît Alexis Raquin et Marceline Eugénie Ducarre, le 25 janvier 1873, à Saint-Laurent-en-Brionnais, et qui lui ont été relatées par sa tante, Marguerite Antoinette Raquin. Voici ce qu’il écrit :
Leur mariage avait eu lieu après la guerre de 1870. L’oncle d’Eugénie, le « Bâlain » (parrain), de Chéry, s’en était occupé. Un jour, dans la maison du bourg de Saint-Laurent, il avait appelé sa nièce : « Viens vite, petite, regarde par la fenêtre celui qui passe sur le chemin, là, devant la porte de l’église. C’est l’Alexis Raquin, de Ligny. Je veux te l’amener. » La petite avait couru se cacher au fond de la maison. Mais le « Bâlain » avait de la suite dans les idées, et c’est ainsi que se faisaient les mariages en ce temps-là. Il avait donc amené Alexis, et le mariage eut lieu le 25 janvier 1873.120
90Les unions peuvent également avoir lieu entre individus issus de professions complémentaires. Par exemple, un boucher mariant sa fille avec un emboucheur ou un marchand de bestiaux s’assurait ainsi un approvisionnement. C’est le cas de Barnabé Augros, marchand de bestiaux à Saint-Christophe-en-Brionnais, emboucheur en 1917, qui unit son fils, Antonin Claudien, à la fille du boucher de Saint-Christophe-en-Brionnais, Marie-Louise Vermorel. Cette union n’est sans doute pas désintéressée et il existe vraisemblablement des liens économiques entre les deux familles, les membres de la famille Augros, marchands de bestiaux, fournissant des animaux au boucher André Vermorel. Barnabé Augros épouse en secondes noces, le 17 mai 1901121, Marie Jacquet, dont l’un des frères, Jean-Marie Jacquet, est boucher à Paris. Le père de Marie Jacquet, Jean-Marie, était lui aussi boucher à Saint-Christophe-en-Brionnais.
91Parmi les alliances qui ont pu être mises en évidence en croisant les généalogies des familles étudiées figure aussi l’origine commune des familles Collaudin, de Vauban, Lavenir, de Baudemont, Montmessin, de Sarry et Curbigny, Michelet, de Baudemont, Lorton et Philibert, de Varennes-sous-Dun, dont les membres descendent tous du couple formé par Jean-François Delangle, laboureur propriétaire – né le 2 décembre 1791 à Saint-Laurent-en-Brionnais, décédé le 14 octobre 1863 à Curbigny – et Benoîte Lamotte – née le 2 floréal an 2 à Bel-Air-les-Foires122, décédée le 29 septembre 1868 à Curbigny. Dans les huit générations descendant du couple précité figurent au moins huit individus appartenant au corpus : Joanny Elie Lavenir, emboucheur en 1917 et 1957, son gendre Marcel Montmessin, emboucheur en 1957, ses petits-fils – Jean Montmessin, emboucheur à Sarry, et Charles, commissionnaire –, un autre de ses gendres, Lucien Michelet, emboucheur en 1957, Bernard Lorton, son fils Steve et Stéphane Philibert, tous trois commerçants en bestiaux. Par alliance entre les familles Lavenir et Corneloup peuvent être ajoutés à cette liste Paul Corneloup, emboucheur en 1957, et son fils, Robert, commerçant en bestiaux.
92L’embouche est donc une affaire de famille, les alliances s’opérant entre individus de même condition.
93L’histoire des emboucheurs s’apparente à une histoire des « vainqueurs », terme emprunté à Jean-Luc Mayaud, du fait de la méthode utilisée qui a consisté à réaliser une généalogie ascendante et descendante des individus choisis parmi ceux qui sont en activité dans les années 1950. Si l’étude réalisée n’est pas exhaustive et mériterait d’être poursuivie et élargie, elle met cependant en évidence la diversité des situations des emboucheurs et permet de les situer dans la hiérarchie sociale. À la fortune bien assise des familles brionnaises qui se consacrent à l’activité depuis plusieurs générations s’oppose la précarité des « bricoleurs » nouveaux-venus qui espèrent améliorer leur sort en finissant des bovins. Pour les uns, l’activité est source de juteux profits, pour d’autres elle est un complément de revenus qui permet l’accession à une certaine forme d’aisance. Le gros emboucheur est propriétaire de ses herbages. Il en loue parfois pour accroître l’effectif de bovins engraissés. Il possède une belle et grande demeure bourgeoise. Il a à son service des domestiques assurant les tâches quotidiennes et plus ou moins ingrates. Il gère son commerce, parcourt les foires de maigre au printemps et hante le champ de foire de Saint-Christophe-en-Brionnais à l’été et à l’automne. Il marie ses enfants dans son cercle de relations, de façon à accroître le patrimoine familial et à développer ou consolider ses réseaux commerciaux. Il bénéficie d’un certain prestige au sein de la société rurale. Il peut s’occuper des affaires municipales. Il participe à la défense de sa corporation par son adhésion au Syndicat des emboucheurs. À l’opposé, le « bricoleur » est souvent un artisan. Il engraisse quelques bêtes sur les petites parcelles dont il dispose. Il vit au bourg, est propriétaire de sa demeure et de quelques fonds. Il complète ses revenus par le négoce. Il vit sur les marges du groupe mais en fait partie. Entre les deux, le cultivateur emboucheur est de loin le plus représenté. À la tête d’une petite exploitation, en propriété ou en location, il a un train de vie certes inférieur à celui du gros emboucheur, mais son activité lui permet de consolider sa position au sein de la société rurale. Il participe à la diffusion de l’activité, délaissant progressivement les cultures pour se consacrer au bétail. Il est le véritable artisan de la démocratisation de l’embouche entre la fin du xixe et le milieu du xxe siècle. Le groupe qui apparaît comme hétérogène est pourtant soudé autour d’une même spécialité. Les membres ont en commun une même culture professionnelle fondée sur la recherche de la bête qui va profiter sur les riches pâturages et « gagner ». Ils partagent un sens commercial très affirmé, en partie inné et cultivé par la fréquentation du milieu. Ils sont des connaisseurs avertis de bêtes. Non moins connaisseurs, les maquignons constituent le second groupe d’intermédiaires intervenant dans le circuit du bétail vif.
Notes de bas de page
1 Girardon J., Le Charolais sous-développé…, op. cit., p. 53.
2 AD Saône-et-Loire, M 2200.
3 L’herbe y occupe respectivement 83, 84, 76, 71 et 72 % de la superficie communale.
4 Archives du Syndicat des emboucheurs ; AD Saône-et-Loire, M 2200.
5 Corpus d’une soixantaine de familles ayant fait l’objet d’un travail selon une approche prosopographique. Baudemont : familles James, Labaune, Lavenir, Michelet, Minjollet et Page. Saint-Laurent-en-Brionnais : familles Augagneur, Bajard, Bidaut, Buttet, Châtelet, Debiesse, Dubreuil, Ducarre, Ducray, Durix, Gaillard, Janiaud, Labrosse, Larue, Pacaud, Perrat, Perrier et Perroy. Vareilles : familles Augagneur, Busseuil, Franc, Gâteau, Neverre, Martin, Mathieu, Perrat et Valorge. Vauban : familles Barnaud, Burdin, Buttet, Christophe, Collaudin, Durix, Gonnet, Grisard, Janiaud, Maillet, Merle, Migeat, Place, Turin, Verchère et Vernay. Saint-Christophe-en-Brionnais : familles Augros-Vermorel, Chenaud, Clément, Gay, Lagenaite, Lamotte, Lévêque, Lorton, Polette, Raquin et Turret.
6 AD Saône-et-Loire, 6 M, Semur-en-Brionnais, 1911.
7 AD Saône-et-Loire, M 2200.
8 Le texte a été allégé et le nombre d’exemples réduit. Voir exemplaire de la thèse déposé au LER.
9 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/7.
10 AD Saône-et-Loire, 5 E 421/10.
11 AD Saône-et-Loire, 5 E 421/7.
12 AD Saône-et-Loire, 5 E 433/4.
13 AD Saône-et-Loire, 5 E 65/4.
14 AD Saône-et-Loire, Q 10678, contrat de mariage reçu maître Jean-Marie Moreau, notaire à Saint-Julien-de-Civry, 24 avril 1884.
15 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/11.
16 AD Saône-et-Loire, 6 M, La Clayette, 1931.
17 AM Saint-Christophe-en-Brionnais, état civil.
18 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale récente, Vauban, fos 323 et 325.
19 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale récente, Saint-Christophe-en-Brionnais, fo 454.
20 AM Saint-Christophe-en-Brionnais, état civil.
21 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/6.
22 AD Saône-et-Loire, Q 11243, table de successions, La Clayette, 4 septembre 1877.
23 AD Saône-et-Loire, 2 novembre 1886.
24 ADSaône-et-Loire, 3 E 37442, partage reçu maître Julien Monnet, notaire à La Clayette, 26 octobre 1886.
25 L’hoirie désigne l’héritage, la succession. L’expression « en avancement d’hoirie » est usuelle dans les écrits notariés, en particulier au xixe siècle.
26 Fils de Jean-Claude Montmessin, dont j’ai étudié les feuilles éparses de son livre de comptes.
27 AD Saône-et-Loire, 5 E 200/11.
28 AD Saône-et-Loire, Q 11744, enregistrement, Semur-en-Brionnais, 12 novembre 1879.
29 AD Saône-et-Loire, Q 11238, table de successions, La Clayette, 22 juin 1863.
30 AD Saône-et-Loire, 5 E 160/9.
31 AD Saône-et-Loire, recensements de la population, 6 M, La Clayette, 1861-1911.
32 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale récente, Baudemont, fo 231.
33 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale récente, Curbigny, fo 203.
34 AD Saône-et-Loire, parcelles nos 208, bois de La Clayette, et 210, pâquier de la route, section A, 2e feuille.
35 Parcelles nos 244, 352, 356 et 358, section A, 2e feuille, du plan cadastral informatisé de Curbigny.
36 D’après les données recueillies dans les dossiers de faillite, le prix moyen d’un bœuf maigre peut être évalué 450 francs vers 1880. Ainsi, Benoît Gaillard pourrait acheter 12 bœufs avec la dot de son épouse (d’après le recensement du bétail d’embouche de 1917, il en engraisse quatre ainsi que deux vaches), Benoît Larue cinq (il en possède 16 en 1917) et Benoît Marie Pacaud sept (il en a quatre ainsi que deux vaches en 1917).
37 ADSaône-et-Loire, matrice cadastrale ancienne, Saint-Christophe-en-Brionnais, fos 450, 455, 194-196 et 414.
38 AD Saône-et-Loire, fos 329 et 384, et récente, fo 252.
39 AD Saône-et-Loire, fo 154, et récente, fos 243 et 472.
40 AD Saône-et-Loire, fos 707, 558 et 492, et récente, fo 452
41 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale récente, Saint-Laurent-en-Brionnais, fos 128, 416- 418 et 436.
42 AD Saône-et-Loire, fo 135.
43 AD Saône-et-Loire, Vauban, fo 160, Amanzé, fo 548, Gibles, fos 338 et 339.
44 ADSaône-et-Loire, Saint-Laurent-en-Brionnais, fos 122-124, La Chapelle-sous-Dun, fo 112.
45 ADSaône-et-Loire, Saint-Laurent-en-Brionnais, fo 70, Vauban, fo 81, Saint-Germain-en-Brionnais, fo 151, Amanzé, fo 276.
46 ADSaône-et-Loire, Saint-Laurent-en-Brionnais, fos 279-283, Gibles, fos 362 et 363, Bois-Sainte-Marie, fo 71, Amanzé, fo 389, Vauban, fo 329.
47 AD Saône-et-Loire, matrice cadastrale ancienne, Saint-Christophe-en-Brionnais, fos 193-196.
48 Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 142.
49 Ibid., p. 141.
50 AMSaint-Christophe-en-Brionnais, matrice cadastrale ancienne, fo 681, récente, fo 472.
51 Houssel J.-P., La région de Roanne…, op. cit., p. 137.
52 Gilberte C., Les concours d’animaux gras à Lyon de 1847 à 1869, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1998, p. 71 ; Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 362 ; Goujon P. (dir.), La Saône-et-Loire…, op. cit., p. 312.
53 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 362.
54 Gilberte C., Les concours d’animaux gras à Lyon…, op. cit., p. 72.
55 Postel-Vinay G., La terre et l’argent. L’agriculture et le crédit en France, du xviiie au début du xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1988, p. 67-68.
56 Picq T., Grasse à la Pâquerette, film cité, interview de Jean-Marie Fénéon, emboucheur retraité, 1995.
57 Archives privées Mathieu, La famille Raquin par Alexis Raquin, 1988, p. 21.
58 Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 137.
59 AD Saône-et-Loire, 6 U 1039.
60 AD Saône-et-Loire, bilan, 21 novembre 1900.
61 Contrat de mariage reçu maître Jules Victor Ladous, notaire à Paray-le-Monial, 24 août 1869.
62 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/2.
63 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, rapport du syndic, 1er avril 1865.
64 AD Saône-et-Loire, 5 E 361/5.
65 AD Saône-et-Loire, 3 E 5924/4, contrat de mariage reçu maître Charles Antoine Goin, notaire à Charolles.
66 AD Saône-et-Loire, 5 E 361/3.
67 Elle a une sœur Claudine, née le 4 octobre 1816, un frère Claude, né le 1er juillet 1820, une sœur Marie, née le 18 février 1823 et un frère Antoine, né le 13 janvier 1825. AD Saône-et-Loire, 5 E 361/3 et 4.
68 AD Saône-et-Loire, 3 E 13091, partage reçu maître Jean Monnet, notaire à Saint-Laurent-en-Brionnais.
69 Le premier revient à Antoine Mommessin (20,86 hectares), le deuxième à Antoinette, épouse de Claude Henri Ducray (26,36 hectares), le troisième à Marie, épouse de Jean-Claude Mommessin (24,17 hectares).
70 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, bilan, 15 septembre 1864.
71 Claude, 27 novembre 1838, Louis, 16 avril 1840, Antoine Henry, 26 octobre 1841, Marie, 18 octobre 1843, Benoîte, 5 novembre 1845, Claudine, 15 avril 1847, Claude-Marie, 23 novembre 1848, Étiennette, 18 septembre 1851, Louis Joseph, 5 septembre 1853 et Marie Madeleine, 21 juillet 1858. AD Saône-et-Loire, 5 E 437/5, 6 et 7.
72 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, rapport du syndic, 1er avril 1865.
73 AD Saône-et-Loire, bilan, 15 septembre 1864.
74 Le syndic d’une faillite est le représentant légal, désigné par le tribunal, des créanciers du failli dont il gère et liquide les biens et au nom duquel il agit en justice.
75 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, rapport du syndic, 1er avril 1865.
76 Version francisée du « forni » désignant dans le patois local le fournil.
77 Arrière-cuisine ou souillarde.
78 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, inventaire, 17 septembre 1864.
79 AD Saône-et-Loire, bilan, 15 septembre 1864.
80 AD Saône-et-Loire, rapport du syndic, 1er avril 1865.
81 Le nom de cette auberge laisse supposer que Claude Henri Ducray n’est pas le seul marchand à conduire ses bêtes au marché de Villefranche-sur-Saône. Si un établissement porte ce nom c’est que les Charolais viennent en nombre y écouler leurs bovins.
82 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, bilan, 15 septembre 1864.
83 Métayer qui tient une ferme et partage le produit des champs avec le propriétaire, souvent par moitié.
84 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, bilan, 15 septembre 1864.
85 AD Saône-et-Loire, inventaire, 17 septembre 1864.
86 Le métayage est un mode d’affermer un domaine agricole à moitié fruits. Le propriétaire apporte les terres, le bétail, les semences, et le métayer, ses outils et sa force de travail. Le propriétaire reçoit généralement la moitié de la récolte, mais il ne peut en prendre que le tiers ou le quart quand le métayer apporte des améliorations aux fonds.
87 Voiture à cheval à deux places ou charrue à siège qui se manœuvre au moyen de leviers. Le terme désigne vraisemblablement ici une voiture.
88 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, rapport du syndic, 1er avril 1865.
89 Pâturage. Utilisé comme synonyme de pension, « prendre des bovins en panage ».
90 AD Saône-et-Loire, 6 U 1000, bilan, 15 septembre 1864.
91 AD Saône-et-Loire, rapport du syndic, 1er avril 1865.
92 ADSaône-et-Loire, 3 E 13113, mainlevée d’inscription reçue maître Jean Monnet, notaire à Saint-Laurent-en-Brionnais, 17 novembre 1866.
93 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/10.
94 AD Saône-et-Loire, Q 11246, table des successions, La Clayette, 1er avril 1884.
95 Révérend du Mesnil, De la race bovine charollaise, op. cit., p. 13.
96 Houssel J.-P., La région de Roanne…, op. cit., p. 137.
97 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 362.
98 Ibid., p. 359.
99 Houssel J.-P., La région de Roanne…, op. cit., p. 134.
100 AD Saône-et-Loire, recensements de la population, 6 M, La Clayette.
101 AD Saône-et-Loire, recensements de la population, 6 M, La Clayette.
102 AD Saône-et-Loire, recensements de la population, 6 M, La Clayette.
103 Synthèse des informations recueillies lors des entretiens.
104 Tinlot F., Maisons paysannes de Bourgogne, Paris, Éditions Berger-Levrault, 1983, p. 90.
105 Pour une description précise voir Meiller D. et Vannier P., Une race mondiale, le Charolais…, op. cit., p. 60 ; Bucaille R. et Lévi-Strauss L., L’architecture rurale française. Bourgogne, Die, Éditions A Die, 1999, p. 84 et 107.
106 Ibid., p. 184.
107 Benoist P., L’avenir des exploitations agricoles du Charollais et du Brionnais, mémoire de stage, préfecture de Saône-et-Loire, décembre 1962, p. 15.
108 AM Saint-Christophe-en-Brionnais.
109 AM Saint-Laurent-en-Brionnais.
110 AD Saône-et-Loire, W 1014, lettre du sous-préfet de Charolles au préfet de Saône-et-Loire, 25 février 1952.
111 AD Saône-et-Loire, 5 E 561/9.
112 AD Saône-et-Loire, 5 E 483/8.
113 AD Saône-et-Loire, 5 E 561/12.
114 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/11.
115 AD Saône-et-Loire, 5 E 553/10.
116 AD Saône-et-Loire, 5 E 561/11.
117 AD Saône-et-Loire, 5 E 437/9.
118 AD Saône-et-Loire, 5 E 561/11.
119 AM Saint-Christophe-en-Brionnais, état civil.
120 Archives privées Mathieu, La famille Raquin par Alexis Raquin, 1988, p. 21.
121 AM Saint-Christophe-en-Brionnais, état civil.
122 Nom révolutionnaire de Saint-Christophe-en-Brionnais.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011