Chapitre II
L’embouche, un système de production et de commercialisation des bovins gras (fin xixe-milieu xxe siècle)
p. 49-101
Texte intégral
1Les emboucheurs ont deux types d’approvisionnement en bétail maigre. Le premier, local, se réalise sur les foires et marchés du Brionnais-Charolais. Les effectifs de bovins mis en vente lors de ces manifestations étant insuffisants pour garnir leurs herbages, ils se rendent dans le Massif central pour réaliser leurs acquisitions. Les flux de bétail maigre entre les pays d’élevage et la zone d’embouche témoignent d’une intense activité économique. Une fois ramenés au « pays où l’on cultive le bifteck », les animaux maigres sont engraissés à l’herbe, avant d’être vendus au marché de Saint-Christophe-en-Brionnais ou sur d’autres places marchandes.
Des pays naisseurs aux pâtures brionnaises
Les foires locales : un approvisionnement de proximité
2Les informations fragmentaires collectées dans la série M « Foires et marchés » des Archives départementales et dans les mairies du Brionnais-Charolais permettent de reconstituer le réseau de foires et marchés maillant le territoire à la fin du xixe siècle. Le calendrier agricole est ponctué de foires annuelles, mensuelles ou bimensuelles qui, pour la plupart d’entre elles, ont un rayonnement et une activité limités.
Un réseau commercial dense (fin du xixe siècle)
3En 1852, 73 foires se tiennent annuellement dans les quatre cantons du Brionnais1. Comme dans de nombreuses régions françaises2, leur nombre s’accroît fortement dans la seconde moitié du xixe siècle en raison de l’essor de l’élevage et de la croissance de la demande urbaine de viande. À une époque où les animaux voyagent à pied ou sont acheminés par le train, un dense réseau de foires est nécessaire pour les regrouper à destination des centres de consommation.
4En 1897, 146 manifestations se répartissent dans 27 communes3 (fig. 10). Les chefs-lieux de canton – La Clayette, Marcigny, Chauffailles et Charolles – disposent d’un ou deux rendez-vous mensuels, tandis que les autres localités en ont un nombre moindre. Saint-Christophe, qui n’est pas chef-lieu de canton, se distingue par ses 12 manifestations par an. En plus des foires, les chefs-lieux de canton possèdent un marché hebdomadaire. Les cantons du Brionnais-Charolais ne sont pas uniformément pourvus et l’activité est très variable d’une localité à l’autre et, dans un même lieu, d’une date à l’autre. Si certaines foires sont très fréquentées, d’autres paraissent, dès le début du xxe siècle, à bout de souffle4.
Fig. 10. Les foires du Brionnais-Charolais en 1897 et 1947.

© D. Fayard, 2013
5Dans le canton de Semur-en-Brionnais, les foires du chef-lieu sont négligeables. La plus importantes des quatre, le quatrième mardi de mars, accueille dix paires de bœufs, 40 vaches et 50 porcs. En outre, ces animaux ne trouvent pas tous preneurs. ÀIguerande, seul le rendez-vous du lundi suivant le 4 septembre est jugé important. À Ligny-en-Brionnais, la manifestation qui se déroule au lieu-dit Les Trois Croix, le 6 juin, depuis les années 1870, n’accueille qu’une cinquantaine d’animaux. À Saint-Julien-de-Jonzy, la foire du 5 mai accueille quelques veaux d’élevage, des cochons de lait et des moutons. À Oyé, celle du quatrième mercredi d’octobre est « la seule importante ». Dans le canton de Semur, les foires de Saint-Christophe-en-Brionnais, le troisième jeudi du mois, ont une importance économique sans commune mesure avec celles des environs. De juin à novembre, 500 bovins sont en moyenne vendus sur le champ de foire. De surcroît, chaque semaine se tient le marché au cours duquel des effectifs de bovins gras semblables sont échangés.
6Dans le canton de La Clayette, l’activité des foires de Bois-Sainte-Marie varie d’une manifestation à l’autre. La foire du 1er avril est jugée « très importante », celles des 30 avril et 31 mai « importantes », celles des 10 janvier et 25 novembre d’une « importance moyenne » et celles des 10 février, 3 août et 8 septembre « peu importantes », sans qu’il soit fait mention du nombre d’animaux échangés. Les foires de La Clayette, qui se tiennent le premier mardi du mois et le 16 août, sont « assez importantes en général » et « très importantes en hiver ». Des bovins, des porcs et des chevaux y sont commercialisés (fig. 11 pl. I). À Colombier-en-Brionnais, les foires des 23 mars, 23 mai et 17 novembre sont « à peu près nulles ». Créées par arrêté préfectoral des 24 octobre 1876 et 19 septembre 1879, elles ne se sont que très faiblement développées. Au contraire, les six foires de Gibles, instituées le 19 février 1879, ont pris de l’ampleur. Les échanges portent principalement sur des porcs gras, engraissés dans les fermes de la commune grâce aux plantations de pommes de terre. 1 800 porcs sont ainsi échangés le 21 janvier. Ces manifestations sont stimulées par l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Chalon-sur-Saône à Pouilly-sous-Charlieu (Loire), en 1889, et la mise en service de la gare de Gibles. Mais Gibles ne profite que peu de temps des avantages du chemin de fer puisque la ligne est fermée au trafic des marchandises le 4 janvier 1943 entre La Clayette-Baudemont et Clermain, après l’avoir été à celui des voyageurs le 2 octobre 19385.
7Dans le canton de Marcigny, les foires d’Anzy-le-Duc des 3 mars et 4 novembre, qui existent depuis 1882, sont jugées « peu importantes ». Celle d’Artaix, créée le 9 mars 1873, regroupe 450 bœufs et 150 vaches, dont environ 80 % trouvent preneur. À Bourg-le-Comte, les manifestations des 29 septembre et 12 novembre accueillent 1 000 porcs, 200 bœufs, 500 vaches et 100 chevaux. Sur les cinq foires que compte cette localité, trois sont antérieures à 1789 (20 juin, 29 septembre et 12 novembre) et deux ont été autorisées le 26 septembre 1884 (20 mars et 20 mai). Sur les trois foires dont dispose Céron, seule celle du 27 février est « assez importante ». 100 paires de bœufs, 60 vaches et 300 porcs y sont apportés. Lors des rassemblements de Chambilly, le 1er mars et le 1er avril, 200 bœufs, 150 vaches et 150 porcs sont présentés et respectivement 180, 120 et 80 vendus. ÀChenay-le-Châtel, parmi les quatre foires, celle du 3 août est la plus animée. 200 bœufs, 200 vaches, 30 chevaux et 1 500 porcs y sont apportés, mais les invendus sont de l’ordre de 70 %. Les rendez-vous commerciaux du chef-lieu de canton, Marcigny, ne sont guère achalandés puisque 150 bêtes à cornes et 150 porcs sont présentés lors des foires de janvier, avril, juin, août et décembre (fig. 12 pl. I). L’activité des quatre rendez-vous de Melay n’est pas précisée. ÀMontceaux-l’Étoile, 400 veaux sont amenés et vendus à la foire du 30 avril, qui reçoit aussi 200 bœufs ou vaches, 600 porcs et 100 moutons.
8Dans le canton de Chauffailles, les foires de Châteauneuf semblent les plus approvisionnées. Les transactions, sur la place des marronniers, portent sur des bovins, des moutons et des porcs. Chaque lundi de Pâques et le quatrième mercredi d’août sont amenés 300 gros bovins. Comparativement, les foires de Chauffailles et de Coublanc ont une activité moindre. À Chauffailles, la foire la plus importante a lieu le premier jeudi de septembre. En moyenne, 60 gros bovins, 80 veaux, 110 porcs et 30 moutons sont échangés. ÀCoublanc, le 9 mai et le 9 novembre de chaque année depuis 1892, une quarantaine de bovins et une soixantaine de porcs sont commercialisés.
9Dans le canton de Charolles, les foires aux bestiaux du chef-lieu se tiennent le deuxième et le quatrième mercredi du mois. Une foire aux veaux d’élevage est organisée le quatrième jeudi d’octobre. Lors des rendez-vous d’octobre, quelque 400 bêtes à cornes sont échangées. À Saint-Julien-de-Civry, la réunion la plus approvisionnée, le lundi après le 28 août, accueille 200 porcs. Il n’est pas fait mention de la présence de bovin. À Ozolles, « les [cinq] foires sont de peu d’importance, les porcs sont les seuls animaux objets de transactions ». ÀVendenesse-les-Charolles, les rassemblements des 2 octobre et 3 novembre sont « peu importants, sauf pour les porcs gras », « il ne s’y vend à peu près jamais d’autres bestiaux ». La foire de Viry du 18 octobre est « insignifiante ». 30 porcs et dix chèvres sont présentés.
10Les foires du Brionnais-Charolais sont donc très inégalement approvisionnées et polyvalentes. Elles regroupent des animaux des espèces bovine, ovine, caprine, porcine et chevaline, répondant ainsi au désir des cultivateurs d’écouler les produits de leur polyélevage. Parmi ces rassemblements, ceux de Charolles et de Saint-Christophe-en-Brionnais se distinguent par leur orientation bovine. Charolles se spécialise dans le commerce des bovins d’élevage, en particulier des veaux, alors que Saint-Christophe-en-Brionnais écoule le bétail gras produit en Brionnais.
Un réseau commercial en déclin (milieu du xxe siècle)
11Entre la fin du xixe et le milieu du xxe siècle, l’absence de mercuriales6 ne permet pas de suivre l’évolution économique. Au lendemain du second conflit mondial, les rendez-vous commerciaux sont moins nombreux. Beaucoup ont disparu. L’exemple du déclin des foires de Bois-Sainte-Marie est révélateur des difficultés que connaissent, dès la fin du xixe siècle, nombre de lieux d’échange. Leur décadence est liée à l’ouverture de la gare de Gibles, en 1889, et à la suppression de l’étude notariale. Dès 1891, « les foires qui se tiennent à Bois-Sainte-Marie, les 10 février, 30 avril, 3 août et 8 septembre perdent de leur importance7 ». Les manifestations des 10 janvier, 1er avril, 31 mai et 25 novembre perdurent. La concurrence entre les foires anciennes, comme celles de Bois-Sainte-Marie, et celles qui se créent encore dans la région contribue à réduire l’activité de nombre d’entres elles, ainsi que le note le conseil municipal de Bois-Sainte-Marie :
Le grand nombre de foires créées dans la région depuis quelques années a eu pour résultat de diminuer l’importance des foires anciennes et de les réduire à la proportion de simples marchés. Dans ces conditions elles ne remplissent plus leur rôle qui est de faciliter les transactions en évitant aux intéressés des déplacements trop fréquents et par suite onéreux.8
12En 1901, les foires de Bois-Sainte-Marie tombent en désuétude. « La commune était autrefois par ses foires un centre d’importantes transactions, nulles aujourd’hui, par suite de l’exploitation de la ligne de Roanne à Chalon, déplaçant au profit de la commune de Gibles tout son commerce et lui supprimant les ressources créées par les droits de place aux foires9. » Le conseil municipal décide que les droits de place sur les animaux amenés aux foires seront perçus pour la dernière fois le 1er avril 191010. Les rassemblements continuent encore quelques années avec une activité quasi nulle.
13Dans la première moitié du xxe siècle, une réduction significative du nombre de foires et une concentration de l’activité s’opèrent au profit des places marchandes les plus dynamiques et les mieux situées par rapport aux réseaux de transport. Cette évolution est favorisée par le développement du chemin de fer à la fin du xixe siècle puis la diffusion des camions, dans la première moitié du xxe siècle, qui facilitent les déplacements du bétail et des hommes.
14En 1947, sept communes – Semur-en-Brionnais, Saint-Christophe-en-Brionnais, La Clayette11, Marcigny, Montceaux-l’Étoile, Chauffailles et Charolles – conservent une activité commerciale, dont les cinq chefs-lieux de cantons qui concentrent des transactions auparavant dispersées. Digoin, Paray-le-Monial et Saint-Bonnet-de-Joux, chefs-lieux des cantons situés sur les marges du Brionnais-Charolais, complètent le réseau (fig. 10).
Des foires inégalement approvisionnées
15Quelques rares mercuriales, datées des années 1940-1950, sont conservées aux Archives départementales. Elles permettent d’appréhender l’activité des foires au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que le marché de la viande est contrôlé par l’État. Sous le régime de la taxation, ces documents servent au calcul des prix de détail de la viande par le comité des prix et les services de la préfecture. Le régime de la taxation de la viande, mis en place en 1939, qui impose des prix auxquels les acheteurs sont tenus de se conformer, ne prend fin qu’en novembre 195312. À une époque où la circulation des produits et leur répartition par le jeu normal des marchés n’étaient plus possibles, l’État est intervenu pour tenter d’assurer à chacun le minimum d’aliments indispensables à son existence et empêcher que les tensions sur les prix ne deviennent insupportables. Les prix, fixés de façon impérative, ne montent donc que fort progressivement pendant toute la durée de la guerre, d’autant que les Allemands font pression sur les autorités françaises pour que leurs prélèvements soient réglés au taux le plus bas possible13. Le gouvernement détermine de manière autoritaire le niveau des prix et mène parallèlement une politique de contrôle total des transactions. En 1947, le rationnement se poursuit. L’intervention de l’État reste nécessaire pour éviter les abus résultant de la pénurie. En effet, la production de viande n’a pas retrouvé le niveau d’avant-guerre14. Pour assurer l’approvisionnement de la population, des achats prioritaires sont effectués par le Ravitaillement général. Les transactions ne peuvent s’opérer librement. Les achats de bétail de boucherie sont par exemple interdits dans les fermes sauf aux bouchers de Saône-et-Loire. De même tout achat à la ferme comporte obligatoirement l’établissement d’un bon de circulation délivré par le Ravitaillement général15.
16L’importance des manifestations commerciales est, comme un demi-siècle plus tôt, variable d’une commune à l’autre16. Si les foires de Semur-en-Brionnais (18 bovins présentés le 20 février 1947) et Montceaux-l’Étoile (63 bovins le 30 avril 1947) sont insignifiantes, celles de Paray-le-Monial accueillent, en revanche, un nombre de bovins important (620 le 18 février 1947). La ville bénéficie de sa position de frontière entre les pays d’élevage et la zone d’embouche. Les emboucheurs du Brionnais viennent s’y approvisionner en bétail maigre.
17En 1947, les foires de La Clayette n’ont qu’une très faible activité : cinq bovins maigres apportés le 4 février, 32 le 4 mars, 15 le 1er avril, trois le 5 mai et 16 le 3 juin. Un ancien se souvient : « Les foires de La Clayette ne comptaient pas. Les Ducerf amenaient des normandes, deux marchands de vaches laitières en amenaient. C’étaient des petites foires de rien. » Le commerce des veaux de boucherie est plus actif : « Il y avait peut-être bien 100 veaux de boucherie lors de la foire, tous les premiers mardis de chaque mois. » En effet, les effectifs de veaux échangés en 1947 sont nettement supérieurs à ceux du gros bétail : 62 veaux le 1er avril, 59 le 5 mai, 168 le 3 juin et 162 le 1er juillet. Le rayonnement est local, les acheteurs viennent d’une cinquantaine de kilomètres à la ronde.
18À Digoin, la foire du 8 mars 1947, consacrée à la vente du bétail maigre, accueille 325 bovins, achetés par une cinquantaine d’emboucheurs du Brionnais et des départements limitrophes. Comme Paray-le-Monial, Digoin se trouve à la limite entre les zones d’élevage, au nord et à l’ouest, et la zone d’embouche, au sud-est. La foire du 14 juin 1947 est bien différente. Les transactions portent sur des bovins finis destinés à la boucherie. Les acheteurs sont des marchands de bestiaux ou des chevillards de Roanne, de Lyon, du Midi et du Nord. Certains se déplacent eux-mêmes, comme Joseph Giraud, de Toulon-sur-Mer, qui achète 12 bovins, tandis que la plupart recourent aux services d’un marchand local qui expédie le bétail vers les lieux de consommation. Gaspard Meunier, de Montceaux-l’Étoile, envoie par exemple 14 bovins à Blache et Didier, à Nice. Les foires de Digoin sont donc organisées en fonction du cycle de l’embouche.
19Celles de Saint-Bonnet-de-Joux se tiennent le premier et le troisième vendredi du mois. L’approvisionnement est local. Le bétail est expédié vers Montceau-les-Mines, Mâcon et Lyon. L’activité est principalement consacrée à la vente des veaux de boucherie produits dans les fermes des environs. Au printemps les éleveurs y conduisent leurs gros bovins maigres qu’ils cèdent aux emboucheurs (fig. 13 pl. II).
Les foires de Charolles
20Au début du xxe siècle, Charolles organise un marché hebdomadaire, dont deux foires mensuelles, et une foire spéciale aux veaux reproducteurs en octobre (fig. 14 pl. II). Les archives disponibles n’autorisent que quelques éclairages ponctuels. Les apports de gros bovins sont en baisse du début du xxe siècle à l’entre-deux-guerres17 (fig. 15). Le nombre de bœufs de boucherie est divisé par deux entre 1904 (3 239) et 1925 (1 455). Les vaches grasses connaissent un recul moindre, de 40 %, passant de 3 722 en 1904 à 2 241 en 1925. Les bœufs et les vaches de travail ainsi que les laitières disparaissent du foirail après la première guerre mondiale. L’effectif des veaux de boucherie décline d’un tiers entre 1904 (5 305) et 1925 (3 434). Celui des veaux d’élevage chute de moitié, passant de 1 611 en 1904 à 815 en 1925. Dans le même temps, les apports de moutons diminuent de 20 % (3 132 en 1904 et 2 475 en 1925) et ceux des porcs de 64 % (5 560 en 1904 et 1 990 en 1925). L’activité commerciale est donc en net recul au cours des premières décennies du xxe siècle, alors qu’à la même époque les apports de bovins sont en progression de 40 % à Saint-Christophe-en-Brionnais, passant de 15 367 en 1907 à 21 210 en 1924. L’activité porcine diminue dans les mêmes proportions sur les deux places marchandes et la réduction de l’effectif ovin est plus importante à Saint-Christophe-en-Brionnais.
21Comme pour Saint-Christophe-en-Brionnais, des courants d’échange sont attestés entre Charolles et le sud de la France. Franza, de Nice, vient par exemple s’approvisionner lui-même à Charolles, en mai 194718. Il emmène 15 moutons dans son camion et s’en fait livrer six ainsi que 20 bovins par le chemin de fer. Certains chevillards ont recours aux services d’un commissionnaire, comme Joannès Clemenceau, de La Clayette, qui expédie 15 bovins à Pierre Alberti, à Nice, ou Jean Benon, de Lyon, qui en envoie 14 à Rumeau et Corneille, à Perpignan, par le train, en août 1947.
Fig. 15. Apports de bétail aux foires de Charolles de 1904 à 2008.

22À partir de 1947 l’activité progresse. Elle culmine dans les années 1970 puis décline jusqu’à nos jours. Au début du xxe siècle, les bœufs et les vaches de boucherie sont nombreux tandis qu’après la seconde guerre mondiale, les rassemblements du chef-lieu d’arrondissement sont surtout approvisionnés en bétail maigre acheté par les emboucheurs19. Charolles se spécialise dans la vente des veaux d’élevage et des moutons20. Les derniers porcs sont commercialisés en 1986. Les apports de moutons régressent de 93 % entre 1970 (35 645) et 2008 (2 084). À partir de 1993, la distinction n’est plus faite entre les gros bovins et les veaux, le montant des droits de place étant identique pour ces deux catégories.
23Aujourd’hui, seules les foires d’automne conservent une réelle activité : foire aux veaux reproducteurs et broutards le quatrième jeudi d’octobre, précédée le mercredi de la foire aux taureaux de 18 mois et bovins toutes catégories, et foire aux veaux reproducteurs et animaux toutes catégories le troisième mercredi de novembre. Les transactions réalisées au parc des expositions de Charolles portent essentiellement sur de jeunes mâles. Les broutards partent dans les ateliers d’engraissement en Italie et les reproducteurs dans les exploitations françaises. Comme à Saint-Christophe-en-Brionnais, les apports de bovins sont en chute libre depuis le début des années 1990. Cependant, le phénomène est nettement plus accusé dans le cas de Charolles. Entre 1993 et 2008, une réduction de 81 % des effectifs se produit (8 901 bovins en 1993 et 1 635 en 2008) alors que la baisse n’est, dans le même temps, que de 46 % à Saint-Christophe-en-Brionnais (69 766 bovins en 1993 et 37 500 en 2007). Par leur inexorable déclin, les foires de Charolles attestent de la marginalisation des foires et marchés dans la commercialisation des bovins.
24Ainsi, la « capitale du Charollais » n’a pas réussi à conserver ses foires et marchés aux bestiaux, contrairement à sa concurrente, Saint-Christophe-en-Brionnais. L’antagonisme entre les deux localités, régulièrement perceptible – comme lors des récents débats relatifs à la mise en place d’un marché au cadran en Brionnais-Charolais –, trouve son origine dans l’histoire de la mise en place de la filière viande. D’un côté, Charolles, avec ses éleveurs naisseurs sélectionneurs, ses concours et ses ventes aux enchères de reproducteurs et la fierté d’appartenir à l’élite de l’élevage. De l’autre, Saint-Christophe-en-Brionnais avec son marché, son bétail de boucherie, ses emboucheurs, ses maquignons. Cette opposition contribue à une dispersion des initiatives préjudiciable à la filière charolaise dans son ensemble.
25Au-delà des foires du Brionnais-Charolais, où les effectifs de bovins mis en vente ne sont pas suffisants pour couvrir leurs besoins en bétail maigre, les emboucheurs vont s’approvisionner dans les zones d’élevage du Massif central.
Le Massif central : le bassin d’approvisionnement de l’embouche brionnaise
La complémentarité entre pays d’élevage et pays d’embouche
26L’embouche s’organise selon un cycle précis qui se répète chaque année. Dès le mois de février ou de mars, les emboucheurs du Brionnais vont acheter du bétail maigre dans les régions d’élevage-naissage de la Saône-et-Loire et des départements voisins, où la qualité des sols et donc l’herbe qui pousse en surface ne permettent pas d’engraisser les animaux, à une époque où les aliments complémentaires ne sont pas utilisés. Ils se rendent aux foires de bétail maigre ou dans les fermes de l’Allier, de la Nièvre, du Cher, de la Creuse, de l’Indre et du nord du département de Saône-et-Loire. Jusqu’au milieu du xxe siècle, les achats se font principalement sur les foires. Ils parcourent celles de Corbigny, Cosne-sur-Loire, Decize, Fours, Moulins-Engilbert ou Neuilly, dans la Nièvre ; Bourbon-l’Archambault, Le Bouchaud, Cérilly, Cosne-d’Allier, Le Donjon, Dompierre-sur-Besbre, Limoise, Luneau, Lurcy-Lévis, Montaiguët-en-Forez, Montluçon, Moulins, Souvigny, Vallon-en-Sully, dans l’Allier ; Saint-Amand et Sancoins dans le Cher21. Ils vont aussi dans celles du nord du département de Saône-et-Loire qui proposent du bétail maigre : Perrecy-les-Forges, Génelard, Paray-le-Monial, Digoin, Charolles, Toulon-sur-Arroux, Bourbon-Lancy, Blanzy et Le Creusot.
27Les bassins d’approvisionnement sont plus ou moins vastes selon l’importance des exploitations d’embouche, les besoins en bétail maigre et les possibilités de déplacement. Les anciens racontent :
Je suis sorti de l’école en 1937, j’ai continué d’aller dans les foires avec mon père qui faisait déjà ce métier d’emboucheur. On allait dans l’Allier, la Nièvre, le Cher et puis un peu dans l’Indre.
J’ai commencé l’embouche en 1947. On avait environ 150 bêtes au pré dans les années 1950 et ces bêtes étaient achetées dans l’Allier, dans le Cher, dans ces régions-là, là où il y avait du bétail maigre. On commençait à la foire de Fours dans la Nièvre le 10 février et puis on avait une foire au Bouchaud qui était le 16, on avait une foire à Sail-les-Bains [Loire], on avait tout un tas de petites foires.
J’ai commencé mon activité en 1952. J’achetais mes bêtes dans le Charolais et l’Autunois pour la Saône-et-Loire, dans l’Allier, un peu dans le Cher, la Creuse, beaucoup dans la Nièvre.
[Entre 1952 et 1956], j’ai été à Dompierre-sur-Besbre, à Moulins et puis petit à petit on avançait, Cosne-d’Allier, Montluçon, Saint-Amand, pour aller pratiquement dans l’Indre, presque jusqu’à Bourges, la Creuse aussi. Il y avait des foires tous les mois où on allait régulièrement, Montluçon, Cosne, Saint-Amand, il y avait d’autres foires plus petites où il y avait peu d’animaux, Vallon-en-Sully.
28D’autres pratiquent un approvisionnement local : « J’ai commencé l’embouche en 1937-1938, j’achetais mes bêtes à Saint-Bonnet-de-Joux, Dompierre-les-Ormes, Aigueperse, Matour, puis après la guerre je suis allé dans l’Allier, à Montluçon, à Lurcy-Lévis. »
29Les animaux acquis dans ces régions sont de race charolaise. Certains emboucheurs, peu nombreux, vont jusqu’en Auvergne acheter des salers : « On allait en Auvergne aussi. On allait dans les salers. […] L’Auvergne, le Cantal, jusqu’à Aurillac. Et puis on allait aussi dans le Puy-de-Dôme, on allait à la foire à Issoire le 26 janvier, il y avait des jaunes, des rouges. » Cette pratique était, semble-t-il, plus répandue à l’extrême fin du xixe siècle : « Ils ont mis quelques salers pendant un temps, mon grand-père et mon père au début de sa carrière. Il allait acheter des salers à Aurillac. »« Des salers c’est du temps de mon grand-père, mon grand-père en mettait, c’étaient oui des “auvergnates”, c’étaient un peu des salers, lui c’étaient les années… en 1880-1890. » L’utilisation du terme « auvergnates » n’est pas anodine. Elle traduit une certaine distance vis-à-vis des animaux venant de l’Auvergne. Par l’emploi de ce mot l’emboucheur désigne des bovins qui lui sont étrangers, qui n’appartiennent pas au bétail qu’il a l’habitude d’emboucher. Dans la seconde moitié du xxe siècle, époque durant laquelle il est en activité, l’embouche brionnaise concerne presque exclusivement des animaux de race charolaise.
30Après la seconde guerre mondiale, les foires de maigre déclinent dans ces régions et la concurrence est très vive. Les emboucheurs sont progressivement contraints à se rendre directement dans les fermes de ces contrées pour s’approvisionner, comme ils le racontent : « Au début c’était dans les foires et puis ensuite on a été obligé d’acheter dans les fermes parce que les foires ont diminué de plus en plus, après la guerre. »« Après ça, le travail se faisait de moins en moins dans les foires mais on allait dans les fermes de ces régions-là. » Si les herbagers se plaignent du déclin des foires qui ne leur offrent plus un choix de bovins maigres suffisant, dès la fin des années 1930, les responsables de ces manifestations commerciales interpellent le Syndicat des emboucheurs pour qu’il invite ses membres à cesser leurs achats dans les fermes. En janvier 1939, par exemple, « la fédération de l’Allier demande qu’une campagne soit entreprise afin de mettre fin à la pratique de la vente à l’écurie, procédé qui porte un gros préjudice aux foires des communes22 ». Les emboucheurs vont dans les exploitations où du bétail leur a été offert par les éleveurs sur les foires : « C’étaient toutes des bêtes qui avaient été offertes, c’était rare qu’on aille faire du porte-à-porte pour demander s’ils vendaient des bêtes. » Certains ont recours à des rabatteurs pour entrer dans les fermes : « Il y avait un retraité qui avait toujours vécu dans la région, qui connaissait le monde des producteurs d’animaux et à qui les éleveurs signalaient des bêtes qu’ils avaient à vendre, il faisait l’intermédiaire. »
Du cheval à la voiture, les déplacements des emboucheurs
31À la fin du xixe et au début du xxe siècle, les emboucheurs se déplacent à cheval ou à pied. Ils vont loin, jusqu’en Auvergne. Leurs déplacements, véritables expéditions, durent plusieurs jours, voire plusieurs semaines, parfois jusqu’à un mois. Ils voyagent en petit groupe pour se défendre en cas d’attaque, car ils transportent avec eux les quelques pièces d’or permettant de payer leurs fournisseurs, et pour ramener le bétail.
Du temps du grand-père [d’un emboucheur] ils partaient à cheval, à pied en Auvergne pour acheter leurs bêtes, ils partaient deux, trois emboucheurs et ils ramenaient des « auvergnates », 30, 40 bêtes. Ils restaient partis une bonne semaine, dix jours […]. Ils ramenaient leurs bêtes là-bas de l’Auvergne avec les chevaux et puis les chiens. Mais l’embouche ne commençait pas avant le 15 mars. Mon grand-père y est allé avec la sacoche d’or [sic] sous la selle pour payer les bêtes.
32Un autre explique que son arrière grand-père et ses collègues, qui effectuaient le voyage à cheval et portaient avec eux de l’or, s’attendaient à Vichy pour traverser ensemble la forêt de la Boucharde, au nord de Randan (Puy-de-Dôme), « repère des bandits [sic] ».
33Plus tard, les emboucheurs prennent le train, la bicyclette ou la motocyclette puis l’automobile. L’un d’eux raconte :
Au début j’ai commencé les premières années d’y aller en vélomoteur, en 1940, 1944. J’ai été à la foire à Cosne et à Bourbon-l’Archambault en vélomoteur. On partait la veille. La foire était le lendemain. On partait vers midi, une heure. À cinq, six heures on était là-bas. On ne mettait pas si longtemps que ça. Il y a 140 kilomètres. Après, j’ai pu acheter une voiture, alors j’y ai été en voiture. […] J’ai dû l’acheter je pense en 1945-1946.
34Lorsque commencent à se répandre les automobiles, dans les années 1930, les emboucheurs sont parmi les premiers utilisateurs de ce nouveau moyen de transport qui facilite leurs déplacements. Ils racontent leurs voyages :
On y allait en voiture si ce n’était pas trop loin, puis on y allait par le train si c’était loin. Par exemple, si on allait sur Châteaumeilland, sur ces coins et puis dans l’Auvergne, on y allait par le train, puis quand c’était comme Fours, dans la Nièvre, tout ça, on y allait en voiture. […] Quand on allait à la foire on y allait à quatre dans la voiture, on y allait avec une voiture complète. […] On partait une journée si c’était dans des régions pas loin. Jusqu’à 100 kilomètres on partait la journée, et plus on partait des fois deux jours.
On y allait en voiture, mon père avait une voiture avant la guerre. Pendant la guerre elle ne servait pas parce qu’il n’y avait pas d’essence et après la guerre il a racheté, ça devait être en 1947, une 4 CV Renault et on y allait en 4 CV.
35La seconde guerre mondiale oblige les emboucheurs à reprendre le vélo et complique leurs parcours, ainsi que le raconte l’un d’eux :
En 1940, tout a changé. On était obligé de prendre la bicyclette pour aller acheter les animaux. […] À bicyclette on partait plusieurs jours […]. On trouvait à manger si on pouvait, parce qu’à ce moment-là… On restait deux, trois jours dans la région de Moulins, où ailleurs. Il y avait des foires encore à ce moment-là mais on voyageait déjà dans les fermes.
36Le témoignage d’un emboucheur illustre la complexité des parcours pendant l’Occupation :
Pendant la guerre de 1939-1945 on allait prendre le train à Roanne en vélo, à 50 kilomètres de Lugny-les-Charolles, pour aller à Montluçon, puis après on reprenait notre vélo pour aller à Saint-Amand. On revenait à Montluçon en vélo, puis on reprenait le train jusqu’à Roanne où nous arrivions vers onze heures du soir, il fallait encore prendre le vélo pour rentrer à Lugny-les-Charolles.
37Après la guerre la généralisation de l’utilisation de l’automobile facilite les tournées des emboucheurs qui peuvent se rendre individuellement dans les fermes des pays d’élevage.
Les bus des foires23
38Sous l’Occupation, le Syndicat des emboucheurs organise des déplacements collectifs en bus pour acheminer ses membres dans les régions où ils ont l’habitude d’aller acheter du bétail (fig. 16). Les trajets sont assurés par la Régie des transports de Saône-et-Loire, de Mâcon. Des véhicules à gazogène sont mis à la disposition des adhérents, moyennant une participation financière. Une vingtaine de personnes peuvent y prendre place. Une liste de déplacements est proposée en début d’année aux membres du syndicat. Faute d’inscription certains voyages n’ont pas lieu. Les départs s’effectuent à Saint-Christophe-en-Brionnais, où stationne l’autocar.
39Les voyages de l’année 1941 se déroulent, semble-t-il, dans d’assez bonnes conditions. Lorsque le véhicule est en panne, un autre le remplace. En 1942, malgré une organisation méticuleuse des déplacements, des incidents techniques surviennent et portent préjudice au travail des emboucheurs, qui manquent certaines foires ou sont obligés de trouver des solutions pour pallier les défaillances du bus. Cela complique leurs voyages et engendre des frais supplémentaires, nuits à l’hôtel, billets de train, etc. Le président du syndicat fait part de ses doléances au directeur de la régie le 25 mars 1942 :
Fig. 16. Bus des foires et chemins de fer de l’embouche.

L’autobus mis à la disposition des emboucheurs a donné pleine satisfaction jusqu’au [jeudi] 19 mars. […] Mais le [vendredi] 20 mars nous devions aller à Saint-Bonnet-de-Joux, or la voiture n’a pu partir et les voyageurs ont manqué la foire. La réparation de la machine commencée à neuf heures du soir n’a été terminée que vers minuit, assez tôt il est vrai pour partir à Montluçon le [samedi] 21 mars. Mais une partie des voyageurs, dans la soirée du 20 mars ne sachant si le départ pourrait avoir lieu, partirent à Montluçon par le train. Les autres voyageurs constatant que leur nombre était insuffisant, renoncent à faire le voyage prévu par l’autobus.
40Les ennuis se poursuivent en début de semaine suivante.
Le [lundi] 23 mars, le voyage d’aller à Lurcy-Lévis a lieu normalement. Mais au retour, une panne se produit à Périgny, à neuf kilomètres de Lapalisse. Les voyageurs tentent de pousser la voiture jusqu’au sommet d’une côte d’où elle aurait pu descendre jusqu’à Lapalisse. Mais ils ne peuvent y parvenir. Ils se rendent donc à pied à Lapalisse. De là ils font téléphoner à Mâcon pour qu’on envoie un autre autobus les chercher. On leur répond que c’est absolument impossible. Ils passent la nuit dans la salle d’attente et le matin prennent le train pour Roanne, un service d’autobus les ramène ensuite soit à Marcigny soit à La Clayette d’où ils rentrent chez eux à pied.
41Dans son courrier, le président du syndicat utilise une image forte, celle de l’autocar poussé par les emboucheurs dans la côte, afin de faire réagir le directeur de la régie des transports de Saône-et-Loire. Il est cependant difficile d’imaginer une telle situation. Ce jour-là, 19 emboucheurs avaient pris place dans le bus. Ces problèmes d’ordre mécanique provoquent le mécontentement parmi les membres du syndicat qui refusent de payer le déplacement de Lurcy-Lévis et annulent leurs inscriptions pour les départs prévus fin mars. Le président demande l’annulation du service de bus. Finalement, l’autocar reste à la disposition des emboucheurs jusqu’au samedi 2 mai 1942. Ce jour-là, « le voyage prévu pour Le Donjon n’a pu avoir lieu. À l’heure du départ, tous les voyageurs étant rassemblés, le chauffeur n’a pu mettre sa machine en marche. »
42La suppression de la ligne de démarcation et l’extension de l’Occupation allemande en zone libre (dont fait partie le Brionnais), en novembre 1942, compliquent davantage les approvisionnements en bétail maigre. En 1943, les déplacements des emboucheurs sont rendus encore plus difficiles. Le président du syndicat relaie le mécontentement de ses collègues auprès de l’ingénieur en chef des ponts et chaussées le 28 janvier 1943 :
La nouvelle réglementation relative à la circulation des véhicules automobiles alarme les emboucheurs par les conséquences qui en résulteront pour leurs achats de bétail maigre. […] Les transports par voie de fer n’existant plus dans la région charollaise, la principale gare restant utilisable dans de nombreuses directions est Roanne, à 50 kilomètres en moyenne du centre des embouches.
43Le service de bus est organisé, pour la troisième année. Le car stationne désormais à La Clayette. Le charbon est à la charge du syndicat, la régie des transports de Saône-et-Loire étant dorénavant « dans l’impossibilité absolue de [se] procurer les quantités de charbon de bois nécessaires ». Le bus n’est pas utilisé en février. L’absence d’autres documents dans le carton consacré à ces déplacements ne permet pas de savoir comment se sont déroulés les parcours prévus en mars et avril 1943.
44Ce dossier, bien que fragmentaire dans son contenu, permet de mettre en lumière l’action menée par le Syndicat des emboucheurs dans le cadre de sa mission de défense des intérêts de l’embouche. Soucieux de maintenir l’approvisionnement en bétail maigre de ses membres, il tente de faciliter leurs déplacements vers les foires des pays d’élevage, mais il se heurte à de nombreux obstacles d’ordre administratif et technique pour ne pas dire mécanique. Si l’usage de ces transports en commun permet aux emboucheurs de se déplacer, l’arrivée massive et simultanée d’un important effectif d’acheteurs à la foire complique les opérations commerciales, comme le fait remarquer un emboucheur : « Il y avait trop d’acheteurs d’un coup. » Une fois le bétail maigre acquis, il doit être amené en Brionnais.
Le retour des animaux au temps du chemin de fer
45Avant la propagation des lignes de chemin de fer dans la seconde moitié du xixe siècle, les bovins sont ramenés à pied par les emboucheurs aidés des toucheurs et accompagnés de chiens dressés à la conduite du bétail. Les plus nombreux – des bœufs de travail encore ferrés habitués à marcher – endurent aisément les déplacements, ainsi que le confirment les herbagers retraités : « À ce moment-là, les bêtes, elles marchaient. »
46La mise en place des lignes principales et secondaires, entre 1850 et 1880, constitue une première étape. Seules les villes les plus importantes sont alors reliées entre elles. La ligne de Moulins (Allier) à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), ouverte en 1867 entre Paray-le-Monial et Digoin, puis en 1869 entre Digoin et Moulins, intéresse particulièrement les emboucheurs du Brionnais et leur permet d’acheminer les bovins achetés dans l’Allier (fig. 16). Mais il faut conduire à pied les bovins des foires jusqu’aux gares de Moulins ou de Dompierre-sur-Besbre. Entre 1880 et 1910, la multiplication des lignes d’intérêt local dans les départements fournisseurs – et en particulier l’Allier, d’où provient une grande partie du bétail maigre – simplifie et accélère le voyage des animaux maigres et en réduit considérablement la fatigue24. Durant cette période, le chemin de fer pénètre véritablement le monde rural grâce à la multiplication des voies ferrées d’intérêt local25. Les localités où se tiennent régulièrement les foires fréquentées par les emboucheurs sont progressivement rattachées au réseau principal. Dans l’Allier, Bourbon-l’Archambault est relié en 1886, Cosne-d’Allier en 1887, Lurcy-Lévis et Villefranche-d’Allier en 1891. Sancoins, dans le Cher, est desservi en 1890. Il faut attendre 1911 pour que Le Donjon soit connecté à Digoin. Ces quelques exemples, illustrant l’extension des voies ferrées dans les campagnes fréquentées par les herbagers, témoignent de la lente constitution du réseau ferré.
47Entre le milieu du xixe siècle et la veille de la première guerre mondiale, l’embarquement des animaux se fait de plus en plus proche du lieu d’achat, à la gare voisine de la foire ou des fermes où ont été achetés les bovins (fig. 17 et 18 pl. III). Les emboucheurs chargent désormais les bêtes maigres dans les wagons à bestiaux qu’ils ont réservés. Bovins et hommes reviennent en train. Le débarquement a lieu dans les gares du Brionnais, Marcigny, Iguerande, La Clayette, Saint-Julien-de-Civry, etc. Les anciens racontent :
On les mettait par le train, alors on les embarquait et puis elles revenaient par le train et on les débarquait à Marcigny, à Iguerande, on allait les chercher à pied. […] On les amenait par le train, à ce moment-là c’était le train, il n’y avait pas de camion.
C’était surtout par fer qu’elles venaient les bêtes, on débarquait à Marcigny ou à La Clayette, suivant comme ça arrangeait et on les ramenait à pied.
48Le chemin de la foire jusqu’à la gare de départ et de la gare d’arrivée à la ferme d’embouche s’effectue toujours à pied, mais les distances ainsi parcourues se réduisent.
49Un emboucheur rapporte par exemple, sous forme de cliché, le retour d’un convoi de bestiaux de l’Allier :
Pendant la guerre, pour ramener les bêtes de Cosne-d’Allier, on prenait le tacot26. On embarquait à Villefranche-d’Allier, à neuf kilomètres de la foire. Il fallait de deux à trois jours pour que les bêtes arrivent à Lugny. On ne serrait pas trop les bêtes dans les wagons. Il y avait très peu d’accidents. Dans le tacot on mettait environ dix bêtes par wagon et il y avait un wagon pour les emboucheurs, où il tenait environ 40 personnes. Comme il n’y avait qu’un seul train par jour les gens payaient le chef de gare pour pouvoir embarquer les bêtes. Un jour où le train était vraiment trop chargé, il n’a pas pu monter dans une côte. Il a fallu que les 40 passagers le poussent pour monter la côte [sic].
50Plus encore que dans le cas de l’autocar transportant les emboucheurs aux foires, relaté précédemment, il est difficile d’imaginer la situation décrite.
L’avènement des camions
51Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les camions se multiplient et remplacent peu à peu le train. Dans un premier temps, le chemin de fer conserve un rôle important dans l’acheminement du bétail car les camions ne peuvent contenir qu’un nombre limité de bovins et les emboucheurs ne s’équipent que progressivement. Certains le font dès la fin des années 1940 : « Quand la guerre s’est terminée en 1945, les années suivantes mon père a acheté un camion, un U 2327, confortable comme une brouette. » Un emboucheur se souvient :
Moi j’ai eu mon premier camion, quand je me suis mis commerçant en 1947. Tout le monde commençait à évoluer. Souvent c’étaient des camions qui venaient d’Amérique. Moi je me rappelle c’était un Ford, un camion américain. Je l’avais fait carrosser là à Cuinzier [Loire]. C’était en 1947. On était tout heureux d’avoir un camion. Dans le camion on mettait une dizaine de bêtes. On en ramenait avec le camion et on en mettait au train s’il y en avait plus. Dans la Nièvre on faisait plusieurs voyages dans la journée.
52D’autres s’équipent un peu plus tard, dans les années 1950 : « Le premier camion que j’ai acheté c’est un Citroën […] en 1953 ou 1954. »« J’ai acheté mon premier camion en 1955, un petit camion de deux tonnes cinq, puis en 1962 un plus gros et le dernier en 1974. »
53Parallèlement au développement des camions individuels, un nouvel acteur fait son apparition dans le monde du commerce du bétail : le transporteur. Disposant de plusieurs bétaillères et employant des chauffeurs, de petites entreprises de transport sont créées. Les emboucheurs font appel à leurs services dès lors que le bétail acheté ne peut être contenu dans leur propre véhicule. « Quand on avait trop de bêtes, on faisait appel au transporteur, à Goyard, de La Clayette. » (fig. 19 pl. IV) Parfois le bétail de plusieurs d’entre eux est nécessaire pour remplir le camion du transporteur. « Après il y a eu les camions, des transporteurs, on groupait les bêtes. » Un ancien énumère les principaux transporteurs installés en Brionnais : « Goyard à La Clayette, Pralut-Delaporte à La Clayette, Mathieu à Marcigny qui avait au moins deux ou trois camions, il y avait Martin à Saint-Maurice qui avait trois camions […]. Il y avait encore Dreux qui m’en a ramenées beaucoup, il les ramenait de Montluçon, j’avais bien un camion mais c’est lui qui les ramenait. » (fig. 20 pl. IV) Certains herbagers n’ont pas de camion et travaillent uniquement avec le transporteur : « [On n’avait pas de camion], le transport des animaux à cette époque-là c’était presque tout Goyard, de La Clayette. » Parfois, les transporteurs se font accompagner par les emboucheurs ne voulant pas être responsables de l’argent.
54Les transporteurs assurent le convoyage du bétail maigre acheté par les emboucheurs dans les zones d’élevage. Certains participent aussi à l’expédition du bétail gras vers les abattoirs. La plupart des petites affaires de transport disparaissent avec l’embouche.
Les flux de bestiaux28
Les états de sortie de bétail maigre à Paray-le-Monial (1941)
55Rédigés en temps de guerre, les états de sortie de bétail maigre à Paray-le-Monial, du 1er février au 30 avril 1941, ne reflètent sans doute pas exactement la situation habituelle, pour laquelle les sources sont muettes. Ils permettent cependant de saisir une partie des contingents de bovins ramenés en Brionnais, passant la frontière entre la zone occupée et la zone libre.
56Entre le 5 février et 30 avril 1941, 3 359 bovins transitent à Paray-le-Monial, soit une moyenne journalière de 39, non représentative du trafic très variable d’un jour à l’autre. 819 bovins ont été ramenés en février, 2 053 en mars et 487 en avril. Les emboucheurs commencent leurs achats dès février, réalisent l’essentiel de leur approvisionnement au mois de mars et ramènent encore des bêtes en avril. Ont-ils effectué d’autres acquisitions de maigre au cours de l’année 1941 ? Peut-être, mais si tel est le cas, il n’y en a pas de trace dans les archives du syndicat. Le graphique suivant (fig. 21) laisse apparaître de fortes variations. Les pics observés résultent du passage d’animaux à la suite des foires. En février, plusieurs jours de forte activité apparaissent : le mardi 18 (108 bovins), le jeudi 20 (89), les lundi 24 et mardi 25 (93 et 95) et le vendredi 28 (161). En mars, une certaine régularité apparaît dans les mouvements d’animaux. L’activité est nulle, ou quasi nulle, en début de semaine, elle augmente progressivement pour atteindre son maximum du mercredi au vendredi, avant de décroître. Durant la première semaine de mars, l’activité est à son maximum le vendredi 7 (198 bovins) et le samedi 8 (124), où se tient la foire du Donjon. Cette semaine-là, ont lieu deux grosses foires, l’une à Fours le mercredi 5, l’autre à Moulins le samedi 8. La deuxième semaine de mars, le nombre maximum de passages a lieu le jeudi 13 (194 bovins), jour de foire à Lapalisse. Le lundi 10 mars voit passer 99 bovins, nombre élevé pour un début de semaine qui s’explique peut-être par la foire à Digoin ce jour-là. La troisième semaine connaît un fort passage les mercredi 19 (208 bovins) et jeudi 20 (217), jours où l’activité est maximale. Cette semaine-là ont lieu des foires à Luzy le 16, à Dompierre le 17, à Decize et Bourbon-Lancy le 19. Enfin, la quatrième semaine de mars connaît son maximum d’activité le samedi 29 (139 bovins). Une foire a lieu le 27 à Fours. En avril, quatre journées se distinguent, le samedi 5 (72 bovins), jour de foire à Moulins, le mardi 15 (58), le lundi 21 (67) et le mardi 29 (46). En l’absence de liste précise confirmant les foires qui ont été effectivement fréquentées par les emboucheurs, il est difficile de déterminer avec certitude la provenance des bovins.
Fig. 21. Passage journalier de bovins maigres à Paray-le-Monial en 1941.

57Le poids moyen des animaux achetés par les membres du syndicat est de 411 kilos pour la période : 440 en février, 406 en mars et 383 en avril. Au fur et à mesure qu’avance la saison des achats, le poids des bovins diminue. Les bêtes les plus lourdes sont achetées dès le début de février. Les emboucheurs doivent ensuite se contenter d’animaux plus légers.
58Le poids moyen des bovins maigres culmine le mercredi 26 mars où les 14 bovins passés pèsent en moyenne 538 kilos et le mardi 22 avril où sept bovins en pèsent 537. Les jours d’intense activité, le poids moyen est nettement inférieur, il est par exemple de 419 kilos pour les 161 bovins du vendredi 28 février, de 402 pour les 198 du vendredi 7 mars, de 458 pour les 124 du samedi 8 mars, de 362 pour les 194 du jeudi 13 mars, de 403 pour les 208 du mercredi 19 mars, de 400 pour les 217 du jeudi 20 mars et de 362 pour les 194 du samedi 29 mars. Le poids moyen est le plus faible les mercredis 19 février et 16 avril (six bovins, 318 kilos). Les sources ne précisent pas systématiquement quels types de bovins ont été achetés. Lorsqu’elles le mentionnent, les emboucheurs ramènent des vaches, des châtrons ou des génisses. Le poids des animaux ne peut être calculé pour chaque catégorie puisque seul figure sur les documents le poids total des bovins quotidiennement passés.
59La destination des animaux est en revanche bien précisée (fig. 22). Les 3 359 animaux ont été achetés par 67 emboucheurs, membres du syndicat. Cependant, ils ne sont pas uniquement destinés à leurs propres embouches. Certains en remettent à d’autres herbagers. Parmi les 67 emboucheurs, Eugène Perrucaud, de Semur-en-Brionnais, se distingue par le nombre de bovins maigres achetés, 322. Dix acheteurs ont fait passer plus d’une centaine de bovins. Dans la majorité des cas, les acquisitions portent sur des petits effectifs (18 emboucheurs ont passé moins de dix animaux, 28 entre dix et 50, 11 entre 50 et 100). Les herbagers ne résident pas tous en Brionnais. Quelques-uns sont domiciliés dans des communes plus ou moins éloignées du centre de l’embouche, dans l’arrondissement de Charolles ou sur ses marges.
Fig. 22. Destination des bovins maigres.

60Berrusson, de Paray-le-Monial, a acheté les animaux les plus lourds, soit 5 bovins pesant en moyenne 580 kilos. À l’opposé, Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry, a acheté les animaux les plus légers, soit 19 bovins pesant en moyenne 325 kilos. Ces deux emboucheurs ont passé peu de bestiaux. Parmi ceux qui ont acquis des lots importants, Jacques Augagneur, d’Oyé (161 bovins, 465 kilos) et Antonin Merle, d’Iguerande (138 bovins, 457 kilos) ont ramené des animaux lourds, Marius Chavannes, de Vaudebarrier (116 bovins, 337 kilos), Alphonse Preynat, de Saint-Christophe-en-Brionnais (223 bovins, 380 kilos) et Eugène Perrucaud, de Semur-en-Brionnais (322 bovins, 390 kilos) ont ramené des animaux légers.
61Parmi les 67 emboucheurs qui ont passé des animaux à Paray-le-Monial, 26 sont des acheteurs délégués qui ont remis une partie du bétail acheté à d’autres herbagers. La destination de 2 223 bovins est connue. Les délégués achètent d’abord pour garnir leurs propres embouches. Claude Pegon et Jean-Marie Fénéon gardent la totalité des bêtes achetées. Quelques-uns, pour lesquels le commerce semble prendre le pas sur la production, n’en conservent qu’une faible part, moins de 20 %, comme Alphonse Preynat, de Saint-Christophe-en-Brionnais (13 %), André Despierres, de Poisson ou Maxime Maillet, de Vauban (19 %).
62Émettant l’hypothèse que l’emboucheur engraisse une moyenne de deux bêtes à l’hectare, il est possible d’estimer approximativement la superficie des pâtures détenues par chaque délégué. Cette superficie est sans doute sous-estimée en raison de la connaissance partielle des achats réalisés (fig. 23).
63La superficie des embouches varie entre 6 et 77 hectares. L’écart est grand entre Jean-Baptiste Clémenceau qui détiendrait 77 hectares et Louis Tevenet qui en exploiterait 34, et qui arrive en seconde position dans le classement d’après les superficies estimées. La majorité des emboucheurs disposerait de 20 à 30 hectares d’herbe.
64La comparaison de la superficie estimée avec celle figurant aux cadastres ne permet pas de vérifier systématiquement l’exactitude de la projection, ceci pour plusieurs raisons. La première est d’ordre chronologique. Les achats sont effectués en 1941 alors que les matrices couvrent la période 1913-1950. Certains emboucheurs ne sont pas propriétaires, les terrains étant encore détenus par leur père. La seconde est liée à l’absence de plusieurs délégués dans la matrice cadastrale de leur commune de résidence et dans celles des localités voisines. Les bovins sont mis à l’embouche sur des pâtures en location. Quand la comparaison est possible, des écarts importants apparaissent entre la superficie estimée et celle inscrite au cadastre. Ainsi, Jean-Baptiste Clémenceau qui, selon l’hypothèse, devrait détenir 77 hectares, n’en possède que 21 à Chambilly en 1941. Il ne figure pas sur les matrices des communes voisines. Plusieurs emboucheurs sont dans le même cas, ils disposent d’une superficie inférieure à celle de l’estimation : Jacques Augagneur, d’Oyé, François Ravaud, de Saint-Julien-de-Civry, Joseph Vernay, de Saint-Julien-de-Jonzy, Lucien Joannel, de Semur-en-Brionnais et Maxime Maillet, de Vauban. Ces herbagers louent donc des pâtures sur lesquelles ils engraissent les bovins qu’ils achètent. À l’inverse, plusieurs individus sont propriétaires d’exploitations plus vastes que ce qui a pu être estimé : Antonin Merle, d’Iguerande, Joseph Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais, Joanny Lavenir, de Baudemont, Henri Dumontet, de Changy, Jean-Marie Fénéon, de Marcigny, Philibert Fénéon, de Saint-Germain-en-Brionnais et André Despierres, de Poisson. N’ont-ils que partiellement chargé leurs embouches ? Louent-ils une partie de leurs propriétés à d’autres ? L’estimation correspond à la réalité saisie pour seulement six emboucheurs sur 26 : Marcel Montmessin, de Sarry, Charles Vernay, de Briant, Philibert Ray, de Saint-Martin-du-Lac, Jean Labrosse, d’Oyé, Marcel Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry et Julien Gautherin, de Martigny-le-Comte. Il ne faut cependant pas exclure le fait que ces herbagers puissent aussi louer des prés.
Fig. 23. Superficie estimée des embouches.

65L’analyse livrée ici confirme la complexité du travail de reconstitution des flux de bestiaux et les limites de la démarche. Les achats réalisés de février à avril 1941 ne sont sans doute qu’une partie de ceux exécutés durant l’année. De plus, ils ne correspondent peut-être pas à ceux des années d’avant ou d’après-guerre.
66D’après les sources, 146 emboucheurs ont reçu 2 223 bovins. Certains ont racheté des animaux chez deux délégués. Antoine Berger, de Saint-Didier-en-Brionnais, a acquis deux bovins ramenés par Marcel Montmessin, de Sarry, et 16 par Louis Tevenet, de Saint-Didier-en-Brionnais. Paul Bordat, d’Oyé, a acheté deux bêtes ramenées par Henri Dumontet, de Changy et huit par Jean Labrosse, d’Oyé, etc. Plusieurs délégués qui ont passé des animaux en ont aussi racheté à des collègues. Marcel Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry, a racheté trois bovins à François Ravaud, de la même commune. Philibert Fénéon, de Saint-Germain-en-Brionnais, en a racheté 16 à François Ravaud. Ces exemples suffisent à illustrer l’extrême complexité des échanges de bétail, la multiplication des intermédiaires et la diversité des situations. Même si l’approvisionnement en maigre étudié ici se déroule pendant l’Occupation, des phénomènes semblables existent en temps de paix, comme l’attestent les sources orales. Un emboucheur qui se rend dans les pays d’élevage pour s’approvisionner en maigre peut, en plus, racheter des animaux à d’autres herbagers. Les herbagers qui ne se déplacent pas acquièrent des bovins passés par d’autres. Les « gros » emboucheurs achètent des quantités de bovins supérieures à celles qui leur sont nécessaires pour garnir leurs herbages et les remettent à des voisins. Les rachats s’effectuent dans la plupart des cas auprès d’emboucheurs de la même commune ou de localités voisines. Le grand-père Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry, raconte par exemple qu’il revendait des bêtes à d’autres herbagers aux foires de Bois-Sainte-Marie, à la fin du xixe et au début du xxe siècle29.
Les autorisations d’achat (1945)
67Dans les archives du Syndicat des emboucheurs sont conservés plusieurs cahiers où sont consignées les demandes d’autorisation d’achat déposées par les adhérents en début d’année 1945. 299 membres ont demandé à se procurer 10 561 bovins. Les destinations où les emboucheurs souhaitent se rendre pour s’approvisionner en maigre sont rarement connues. Claude Bordat et Louis Nigay, de Briant, et François Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry, souhaitent, par exemple, aller dans le Cantal et le Puy-de-Dôme, Paul Bordat, d’Oyé, dans l’Allier, le Cher et la Creuse, Henri et Joanny Dumontet, de Saint-Julien-de-Civry, dans l’Allier, la Nièvre, le Puy-de-Dôme et le Cher et Maurice Bordat, de Sarry, dans l’Allier, le Cher et l’Indre.
68Une minorité d’emboucheurs se distingue par l’importance de l’effectif de bovins achetés, parmi lesquels Claude Chevalier, de Martigny-le-Comte, Jean-Marie Gâteau, de Varenne-l’Arconce (200), Joanny Dumontet et François Ravaud, de Saint-Julien-de-Civry (180 et 173), Antoine Ducarre, de Saint-Laurent-en-Brionnais (160). 20 emboucheurs seulement engraissent 100 bovins ou plus, 45 entre 50 et 100 et 234 moins de 50 (dont 45 moins de dix). L’effectif se compose donc majoritairement d’emboucheurs moyens et petits. En outre, il est intéressant de noter que dans cette liste figurent 17 négociants en bestiaux. Au milieu du xxe siècle, les deux activités d’embouche et de commerce sont donc parfois intimement liées. Une fois amenés en Brionnais, les bovins sont mis à l’herbe et engraissés selon un savoir-faire empirique que se transmettent les emboucheurs au fil des générations.
L’art de finir une bête au « pays où l’on cultive le bifteck30 »
Un savoir-faire transmis au fil des générations
69Le savoir-faire de l’emboucheur consiste à « jouer sur des différences écologiques et sociales et à en tirer le plus grand profit ». Le « grand art » consiste à « réussir l’assemblage des niveaux de complémentarité entre telles souches animales là-bas et l’éventail des prés ici qui en révèlent les potentialités31 ». Ces qualités, subtiles, se transmettent de père en fils et s’acquièrent sur le terrain. « Cette intuition, ce savoir, cette passion innée, en un mot, cette expérience, sont une science ou plutôt un art… qui ne s’apprend pas dans les livres32. » La pratique de l’embouche exige de l’expérience, de l’intuition et une grande finesse de perception. Le zootechnicien Diffloth constate, au début du xxe siècle, que « les emboucheurs possèdent une adresse et une habilité toutes spéciales qui leur permettent de juger à première vue le rendement que l’animal fournira à la boucherie et le temps qu’il mettra à s’engraisser33 ». Il s’agit de déceler si la bête est profitante, c’est-à-dire de présumer, rien qu’en l’observant, si elle va se développer, acquérir de la viande et de la graisse.
70Cette opération délicate s’apprend jeune. Lorsqu’il le peut, l’emboucheur emmène son fils dans ses tournées d’achat34. Ainsi, le métier s’acquiert en observant les anciens comme l’un des témoins, qui « [a] suiv[i] [son] père », en le pratiquant et en faisant des erreurs ainsi que le confie l’un de ses collègues, qui a appris son métier « en faisant quelques bêtises, c’est comme ça qu’on se dresse, quand on achète des vaches qui ne valent pas l’argent alors on s’en rend compte ». Le rôle du père ou de l’aïeul emboucheur est essentiel : « Le père donne beaucoup de conseils, […] ça aide évidemment. »« Pour les relations, quand on a un père qui est connu, on est mieux accueilli dans les fermes. » En outre, les foires constituent un lieu d’apprentissage privilégié car, comme le précise un ancien, « on voit ce que les collègues font ». La connaissance du bétail est indispensable à la réussite de l’embouche de même que l’imprégnation d’un milieu où il est presque indispensable d’être né35. Il faut être capable de trouver la bête profitante qui, une fois mise à l’herbe dans le pré qui lui convient, développe toutes ses potentialités et transforme l’herbe en viande. Car il n’existe pas de théorie incontestable, selon un emboucheur : « Il y a des bonnes bêtes partout, il faut les trouver, il faut les acheter le prix qu’elles valent, il faut qu’elles marchent puis les revendre au maximum. »
La mise à l’herbe : trouver pour chaque bête le pré qui lui convient
71Après avoir choisi soigneusement ses bovins, l’emboucheur doit leur faire prendre de la viande. Il commence à « garnir ses prairies » dès février (fig. 24 et 25 pl. V). Si le temps est mauvais, les bêtes passent d’abord quelques jours à l’étable. Il prend soin de ne pas charger ses prés avant que l’herbe ne soit suffisamment abondante36. Les bovins sont lâchés au moment de la pousse de printemps. L’emboucheur, qui connaît les potentialités de ses pâturages, effectue donc ses achats de bétail en fonction des types de prés qu’il exploite37. Les bonnes pâtures précoces sont peuplées d’animaux plutôt âgés, en bon état. Si l’herbager y place des jeunes bêtes, celles-ci ne font que grandir et prendre de l’os et non de la viande et du gras. L’embouche précoce, de moins bonne qualité, engraisse rapidement les génisses de deux ans ainsi que l’explique un ancien : « Ceux qui ont des prés précoces comme par exemple le long de l’Arconce, ils achètent des bêtes en meilleur état qui partent [c’est-à-dire sont revendues] beaucoup plus rapidement. » Enfin, les prairies où l’herbe pousse plus tardivement conviennent aux jeunes sujets, comme les génisses, ainsi que l’atteste l’emboucheur : « Celui qui a des prés froids, c’est-à-dire qui poussent tard, alors il choisit des bêtes plus jeunes et plus maigres. » Les pâturages qui sèchent rapidement sont consommés les premiers et les derniers alors que les prairies humides sont mangées durant les mois secs après avoir subi une coupe au début de l’été. Chaque embouche est réputée pour engraisser avec succès telle ou telle sorte de bovin. Il existe des crus d’herbe comme il en existe pour les vins38. Ces connaissances, acquises au fil du temps, par l’observation et l’expérimentation, se transmettent de génération en génération. Dès le début du xxe siècle, pour répondre à la demande croissante de viande bovine, les animaux doivent profiter plus rapidement, et donc être en bon état au moment de leur mise à l’herbe. Les herbagers n’achètent plus seulement du maigre, mais des bestiaux en bon état voire mi-gras. Grâce au développement de l’élevage et à l’amélioration du bétail, les emboucheurs trouvent de plus en plus de cheptels de qualité39.
72L’emboucheur doit surveiller ses animaux avec la plus grande attention au cours des semaines qui suivent la mise au pré, et gérer « le choc des contrastes entre la pauvreté de leur région d’origine et la richesse de ses prés40 ». Venant de terrains peu fertiles, les animaux ont parfois des difficultés d’acclimatation et peuvent être sujets à des réactions dues à la plus ou moins grande « force » de la prairie où ils sont placés. L’herbe brionnaise, qualifiée de « violente », qui contient des éléments nutritifs favorisant un engraissement rapide, leur est parfois fatale ; certaines bêtes périssent. Une surveillance quotidienne des animaux est donc indispensable.
73Si l’emboucheur conduit ses animaux au pré au bon moment, il sait aussi les retirer lorsque l’herbe ne pousse plus et que la pâture est surchargée. Un ancien ouvrier d’embouche, résume : « C’est un art de savoir faire manger ses prés. » Le tapis vert doit être bas et très fourni, « laineux » selon le terme usité par les professionnels. Les animaux n’aiment pas la végétation haute qui, en outre, les fait moins grossir. À partir du mois de mai, l’herbe est moins forte. Les bovins deviennent plus ou moins vite « en état », puis en « bonne viande », et enfin gras et très gras. Ils restent de deux à sept mois à l’herbage. Cette période est fonction des conditions climatiques, du terrain, de l’aptitude des animaux à s’engraisser, et de leur état au moment de l’achat.
74L’embouche se fait avec des bovins adultes, de sept ou huit ans en moyenne, mais dont l’âge varie de trois à 15 ans, comme le raconte un ancien :
On prenait des bêtes adultes, on prenait des bêtes en général qui avaient trois ans, parce que comme on les engraissait, à ce moment-là il n’y avait pas d’aliment, rien, c’était que l’herbe, alors une bête jeune, elle grossissait mais elle n’engraissait pas, une bête de trois, quatre ans, elle prend de la viande, elle s’engraisse.
75Le sous-préfet de Charolles dans un rapport qu’il rédige à l’intention du préfet de Saône-et-Loire, en 1944, explique que « de tout temps, tous les emboucheurs ont embouché surtout de préférence des bovins maigres âgés de plus de trois ans, la production en viande et le rendement étant de beaucoup supérieur avec des bovins âgés41 ». Le président du Syndicat des emboucheurs, lors du discours qu’il prononce à l’assemblée générale du 21 décembre 1944, affirme « qu’il est même de notoriété publique que ce sont précisément les animaux adultes et entièrement formés qui profitent le mieux de la qualité des prés d’embouche. Il y a même certains de ces prés où des animaux trop jeunes ne peuvent pas s’acclimater parce que l’herbe y est trop forte et trop violente. »
76Durant l’Occupation, les réquisitions de bétail effectuées dans les pays où vont s’approvisionner les emboucheurs entraînent un rajeunissement des bovins achetés et un temps de présence plus long dans l’exploitation. L’Occupation oblige les emboucheurs « à transformer [leurs] exploitations en exploitations d’élevage ».
[Si, ] avant 1939, jamais il ne serait venu à l’idée [de l’emboucheur] de considérer un animal de moins de 300 kilos comme une bête d’embouche, par la force des choses, une transformation s’est produite : l’embouche ne peut se faire que par renouvellement du cheptel, c’est-à-dire que l’emboucheur achète n’importe quelle catégorie d’animaux et les garde beaucoup plus longtemps qu’autrefois. Ainsi les vaches suitées sont gardées plusieurs mois pour nourrir leur veau et ne sont mises à l’engrais qu’après le sevrage du veau. Quant au veau, il sera conservé jusqu’à l’âge de deux ans ou même trois. Enfin, les petits bovins de moins de 300 kilos ne seront vendus qu’après 10, 12, 18 mois de séjour.
77Les jeunes animaux de moins de 300 kilos ont cependant du mal à s’adapter aux prés du Brionnais : « Insuffisamment formés, [ils] ne supportent pas les meilleurs herbages, trop violents pour eux. » Il en va de même des bovins élevés en stabulation, ainsi qu’en témoigne l’exemple suivant tiré des archives du Syndicat des emboucheurs. La sécheresse qui sévit à l’été 1943 dans le sud de la France et entraîne un manque d’herbe et d’eau pour nourrir et abreuver les bovins, conduit le ministre de l’Agriculture à suspendre, le 10 juillet, la délivrance des autorisations d’achat de bétail maigre pour l’embouche, à l’exception de celui provenant de sept départements : Aude, Haute-Garonne, Gers, Lot, Lot-et-Garonne, Tarn et Tarn-et-Garonne. Cette mesure vise à résorber les effectifs bovins dans des territoires où « les étables sont pleines de bétail et les greniers vides de fourrages ». Les Brionnais s’opposent vivement à cette décision comme l’attestent les extraits de la lettre de Joanny Marillier, président, au ministre de l’Agriculture, datée du 29 juillet 1943 :
Le bétail que vous nous proposez est généralement élevé et tenu en stabulation presque permanente, et par suite n’est nullement prédisposé à stationner dans les pacages nuit et jour et par n’importe quel temps. […] Il arrive périodiquement que l’un ou l’autre d’entre nous, attiré par les bas prix du bétail dans certaines régions, veuille en faire l’essai. Mais toujours les mêmes déboires surviennent sans tarder. […] Croyez-en la vieille et sûre expérience des emboucheurs en la matière, le bétail en provenance des sept départements considérés n’est pas herbager et ne peut donner aucun résultat à l’engrais dans nos pâturages. […] C’est une mauvaise politique économique de supprimer ainsi, d’un trait de plume, les courants commerciaux séculaires existant entre les éleveurs de l’Allier, de la Nièvre, du Cher, de la Loire et les emboucheurs de Saône-et-Loire.
78Certains tentent l’expérience, « [achetant] dans les départements du Midi, atteints par la sécheresse, des bêtes maigres, dix wagons environ. Ces animaux [sont] placés dans plusieurs prés éloignés les uns des autres afin de prouver que l’expérience n’est pas faite localement. » Mais « [après] six semaines de séjour, l’expérience [prouve] que ces animaux [ne sont] nullement disposés à séjourner dans les herbages nuit et jour. […] Ils ne s’acclimatent pas du tout chez nous, dépérissent et leurs propriétaires, pour ne pas avoir de plus grands déboires, s’en débarrassent en les livrant au ravitaillement. »
79À sa sortie des herbages brionnais, une vache charolaise atteint, au milieu du xixe siècle, un poids variant entre 500 et 700 kilos et un bœuf pèse entre 500 et 750 kilos42 (fig. 26 et 27 pl. VI). L’herbager choisit le moment le plus favorable pour vendre ses bovins, en fonction des conditions d’engraissement, de la quantité d’herbe disponible, et des cours sur les marchés. Au terme de la période d’embouche, les animaux consomment des rations de céréales et de tourteau de lin et, si le temps est mauvais, de betteraves ou de topinambours43. En outre, l’emboucheur évite de faire brouter complètement ses pâturages. Ainsi, au printemps, la jeune herbe pousse dans la vieille, ce qui la rend moins forte. Les derniers bovins quittent les pâtures lors des premiers froids, au plus tard à la Sainte-Catherine. La végétation est au repos jusqu’au mois de février. La présence d’animaux dans les prés durant l’hiver pourrait les endommager. En effet, le piétinement sur un sol humide provoque un défoncement du terrain préjudiciable à la pousse de l’herbe. L’emboucheur n’hiverne que de rares invendus. Cette trêve hivernale explique l’exiguïté des bâtiments agricoles dans les fermes construites en Brionnais au xixe siècle.
De l’herbe au bifteck
80Les terrains du Brionnais sont couverts d’une herbe qui, à elle seule, permet d’engraisser les bovins. Un ancien témoigne : « C’était le seul pays où on pouvait faire de la viande, engraisser des bêtes sans rien donner, sans rien faire, on les mettait au pré et l’herbe suffisait. » Un autre ajoute : « Bien sûr [le Brionnais] a quand même une qualité au point de vue terrain puisque les animaux qu’on achète dans les départements voisins, du moment qu’ils arrivent à l’herbe ici, ils profitent. » Les emboucheurs exploitent cette particularité en un temps où les farines, les tourteaux et autres concentrés ne sont pas utilisés. Mais cette spécificité, qui a fait la réputation du Brionnais, est mise à mal lorsque les compléments se développent au milieu du xxe siècle. Dès lors, les riches pâturages ne sont plus indispensables, puisque les rations données aux animaux leur permettent de se développer. L’engraissement peut donc être pratiqué sur n’importe quelle prairie, en apportant aux bovins un aliment adapté. Cette pratique se répand aussi en Brionnais, où les emboucheurs accélèrent ainsi le processus de finition du bétail de boucherie. Un emboucheur raconte comment son père distribuait les premières rations à ses bovins :
On était dans les premiers à donner des tourteaux, des compléments au pré, aux animaux, en complément de l’herbe, mais pas le système de nourrisseur qu’il y a maintenant. On portait chaque jour un petit baquet ou même carrément par terre des granulés, pas de la farine, des granulés agglomérés, qu’on portait une fois par jour dans les prés, en allant voir les bêtes.
81Dans les années 1950, les questions d’alimentation des animaux préoccupent les Brionnais. Les articles rédigés à ce sujet dans le Bulletin de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Charolles en témoignent. Il y est expliqué, par exemple, que « l’emploi des aliments concentrés, dont l’utilisation est trop méconnue, est pratiquement indispensable à la réussite de l’engraissement même au pâturage » ou qu’« il faut apporter une alimentation minérale équilibrée pour donner à l’animal en pleine croissance une bonne charpente. […] Il est également nécessaire de favoriser son appétit par une alimentation variée et lui redonner le goût de l’herbe44. » Le complément contribue à la finition de l’animal, rendue plus difficile en raison de la demande de bœufs plus légers que par le passé. Terminer un animal en pleine croissance, « dont la viande est à peine faite », s’avère compliqué. Il convient de « le pousser au maximum pour permettre à la graisse de se former, à un âge où normalement il ne faut pas encore y songer ». La revue plaide pour une ration d’entretien quotidienne. Toutefois, les pratiques évoluent lentement et les emboucheurs continuent à compter sur la richesse de leurs herbages.
Une activité qui marque le paysage
82Au « pays où l’on cultive le bifteck », les pratiques de l’embouche ont laissé leur empreinte dans le paysage. Les haies entourant les parcelles, appelées « bouchures », maillent le territoire. Destinées à enclore les propriétés et à contenir le bétail, elles sont localement nommées « pièssi », signifiant en vieux français « haie tressée », terme qui renvoie à une technique ancienne de clôture des parcelles, le « plessage45 ». Ce procédé consiste à fendre les troncs des arbustes à proximité du sol, avant de les incliner et tresser avec des piquets espacés ou des arbustes laissés verticaux. La haie plessée poursuit sa croissance naturelle, et les arbustes fendus cicatrisent et se dédoublent. La technique du bourrage, qui consiste à renforcer la haie vive avec des branches coupées, insérées obliquement, était préférée en Brionnais. Les haies se sont multipliées avec le développement de l’embouche. Outre leur rôle de clôture, elles ont une utilité écologique. Elles limitent l’érosion des sols et les effets du ruissellement tout en contribuant à alimenter en eau les nappes phréatiques. Elles ont un rôle de régulateur microclimatique, permettent au bétail de se protéger contre les intempéries, et fournissent abri et nourriture à la faune sauvage. Jusqu’au milieu du xxe siècle et à la mécanisation des travaux agricoles, elles sont taillées en partie chaque année, selon des méthodes anciennes. L’entretien se fait à la main avec le « goillâr » également appelé « vouge », termes du patois brionnais désignant un outil à manche long utilisé pour élaguer et tailler les buissons, les branches, les haies46. Les anciens participaient à l’entretien des haies pendant l’hiver, et racontent :
Il y avait tout l’entretien des haies à faire dans les prés ; il n’y avait pas les broyeurs, il fallait tout faire ça à la main.
L’hiver se passait pratiquement tout à entretenir, à couper les haies. […] Il s’en faisait un bout tous les ans dans pratiquement chaque pré, ça faisait du bois de chauffage d’un côté et puis ça entretenait, ça empêchait les animaux un peu de sortir quoi. […] C’était simplement bouché avec des buissons qu’on mettait piqués d’une certaine façon pour que ça soit tressé un peu et que les bêtes sortent pas ou peu. […] C’était fait avec les buissons, buisson noir, buisson blanc, même ce qu’il y avait, ce qui se faisait, on en rit maintenant, c’est qu’on ramassait les buissons, on les triait quand on en coupait et tout ce qu’il y avait de correct, à peu près correct et joli, on les ramassait sur un char et on les emmenait, on suivait les haies pour boucher des trous avec les buissons.
83L’utilisation du fil de fer barbelé, qui vient renforcer les haies vives, se développe en France dans les années 1950. Il était peu répandu jusqu’alors. Un emboucheur a assisté à la pose des premiers barbelés dans les embouches : « J’ai connu la mise en place des barbelés dans des prés où il n’y en avait jamais point eu, dans les années 1950. Il y en avait déjà avant, mais dans la majorité des prés d’embouche il n’y en avait pas ou très peu. »
84L’hiver est aussi la saison propice à l’irrigation des pâtures. Malgré la fertilité des pâturages du Brionnais, l’emboucheur ne peut se contenter de regarder l’herbe pousser. Il lui faut contribuer à accroître sa pousse. L’irrigation améliore les herbages. Les rigoles d’arrosage, appelées « raies47 », sont entretenues à la pioche comme en témoignent les anciens. « L’hiver on faisait les raies pour faire couler l’eau dans les prés. »« Il y avait toutes les rigoles à faire à la pioche. » Elles permettent à l’eau de circuler à travers les parcelles et de détremper le sol pour favoriser la pousse de l’herbe. L’arrosage réalisé au début de l’année contribue à réchauffer le terrain, ce qui permet à la végétation de sortir plus précocement48. Les rigoles, entretenues à l’aide de machines depuis plusieurs décennies, demeurent dans le paysage comme des témoins des pratiques du passé.
La vente du bétail gras : le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais49
85Au centre de la zone d’embouche, le marché de Saint-Christophe-en-Brionnais est le principal lieu d’écoulement des bovins gras destinés à la boucherie, entre le milieu du xixe et le milieu du xxe siècle. Si les herbagers y valorisent une grande partie de leur bétail, certains le vendent sur d’autres places marchandes.
De la rue au champ de foire
86Les origines des foires de Saint-Christophe-en-Brionnais remontent à l’époque médiévale. Certaines chroniques les datent du xe siècle. Cependant, aucun document de cette époque n’est conservé. Si leur origine reste obscure, leur histoire est, en revanche, bien connue depuis le xve siècle. Elles sont mentionnées pour la première fois dans une lettre royale en avril 1488. Charles VIII accorde trois foires au baron de Saint-Christophe, Jean de Tenay, pour le remercier d’avoir participé au rattachement du duché de Bourgogne au royaume de France. Pendant 300 ans, les seigneurs de Tenay contribuent au développement des foires. Laurent de Tenay obtient, en 1627, de Louis xiii dont il est conseiller, la tenue du marché hebdomadaire le mercredi au lieu du vendredi.
87Jusqu’à la fin du xviie siècle, les foires et marchés ont lieu dans les rues et sur les places du bourg, notamment sur les places de la roche et des halles. Dès le début du xviiie siècle, ils se tiennent dans la grande allée aménagée à cet effet. Les animaux sont attachés à des cordes tendues entre les tilleuls plantés de chaque côté. La tenue des foires et marchés dans la grande allée a structuré le bourg : Saint-Christophe est le seul village-rue du Brionnais. De nombreuses constructions ont été faites dans le but de profiter des avantages de ces rendez-vous commerciaux. À la Révolution française, le nom de la commune, faisant référence à la religion catholique, est remplacé par celui de Bel-Air-les-Foires. En 1820, une ordonnance de Louis XVIII fixe les foires au troisième jeudi de chaque mois. Sans doute concerne-t-elle implicitement les marchés. Aucun autre document invoquant le changement du jour du marché n’a été retrouvé.
88L’activité des foires et marchés suit le cycle annuel de l’embouche. En plus des 12 foires, des marchés ont lieu chaque jeudi de la fin mai jusqu’à la fin novembre, période de sortie des bovins gras des pâtures. Au xixe siècle, Saint-Christophe est le centre du commerce du bétail gras charolais vendu pour l’approvisionnement de Paris et de Lyon. 500 bœufs et vaches y sont commercialisés chaque semaine.
89Dès le début du xixe siècle, la municipalité se préoccupe de l’acquisition d’un foirail. Elle souhaite pérenniser et accroître l’activité économique générée par les foires, prévenir les accidents résultant de l’encombrement de la voie publique par le bétail et résoudre les problèmes de circulation dans le bourg. En outre, l’essor de l’embouche et la concurrence des foires des communes voisines incitent la commune à acheter un terrain clos, ce qui faciliterait l’organisation des rassemblements tout en lui assurant un revenu par la perception de droits de place.
90La première initiative municipale en vue de l’acquisition d’un champ de foire date de 1822, mais suite aux manigances d’un conseiller le projet est abandonné. En 1843, l’achat d’un champ de foire est de nouveau à l’ordre du jour. Le projet initial, qui consiste à acquérir la propriété Fouillet, est rapidement concurrencé par l’offre Maurice. S’ouvre alors un long débat au sein de la population, entre les partisans du champ du nord et ceux du champ du sud, qui se solde par un échec, en 1846, après deux ans et demi de tractation. La croissance des foires est telle que la possession d’un foirail devient une nécessité en 1862. Le pré Maurice est choisi par le conseil municipal, mais les prétentions des propriétaires sont trop élevées. Estimant sans doute qu’il n’est pas possible d’aboutir dans de pareilles conditions, la municipalité clôt le débat. Le projet est repris en 1865 par de nouveaux élus. Le champ Fayolle est choisi mais très vite l’hostilité envers cette transaction se fait sentir. Le choix se porte alors sur le pré Maurice. Deux camps s’affrontent à travers des pétitions régulièrement envoyées au sous-préfet et au préfet. Les partisans du champ Fayolle – quelques commerçants du bourg craignant de voir péricliter leur activité – sont peu nombreux contrairement à ceux du pré Maurice – emboucheurs, habitants des hameaux et marchands fréquentant les foires et marchés. L’éloignement des deux parcelles n’est cependant que de 50 mètres. Les emboucheurs, largement soutenus par la population locale, parviennent à faire accepter leur choix puisqu’un vote du conseil sanctionne l’acquisition des 70 ares du pré Maurice en 1868.
91La commune se trouve dès lors en possession d’un champ de foire qu’elle aménage pour le rendre apte à remplir sa destination. Le sol est empierré à plusieurs reprises entre 1872 et 1893. L’espace du champ de foire est délimité par un mur le long de la voie publique en 1874-1875, par des barricades contre les propriétés voisines en 1875, par un nouveau mur le long de l’allée du bourg en 1876 et par le mur Maurice en 1890. Trois préaux sont construits en 1887 pour contenir le bétail vendu avant son départ pour les gares, deux autres en 1890 et un sixième en 1895.
92À l’écoute des acteurs fréquentant le marché, la municipalité entreprend en 1898 un grand projet d’aménagement et d’embellissement qui répond à la demande des usagers désirant que le bétail soit attaché. Il comprend l’établissement de barres d’attache, la démolition et la reconstruction des murs de clôture, la mise en place de nouveaux portails, la pose de trottoirs, le pavage du sol, la plantation de tilleuls autour du champ de foire. 900 gros bovins peuvent être accueillis et attachés sur le champ de foire nouvellement aménagé (fig. 28 et 29 pl. VII).
93Le développement du transport de bétail par camions dans l’entre-deux-guerres rend nécessaire la construction de quais d’embarquement. Un quai est fabriqué, avec parc attenant, en bordure du chemin de Saint-Christophe à Loury. Celui-ci s’avère vite insuffisant. Plusieurs projets sont étudiés à partir de 1935, mais abandonnés en 1937 à la suite du désaccord du préfet. Le second conflit mondial suspend les aménagements.
Un marché de bovins gras
94Les chiffres relatifs aux apports de bétail sont rares pour le xixe siècle. En revanche, il est possible de retracer l’évolution économique pour la quasi-totalité du xxe siècle50 (fig. 30). Saint-Christophe s’est spécialisé très tôt dans les bovins contrairement aux autres marchés de la région. En 1865, date la plus ancienne pour laquelle des chiffres sont disponibles, la part de ces animaux représente 57 % des apports, soit 11600 bovins amenés durant l’année. Cette proportion est ensuite en augmentation constante. En 1867, elle est de 60 %, en 1886, de 75 %. L’acquisition du champ de foire, en 1868, est vraisemblablement à l’origine de cette forte croissance. En 1939, les bovins représentent 89 % des apports. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la proportion se stabilise autour de 95 %. Les années 1950 sont marquées par la disparition des apports de menu bétail, porcs et moutons. À partir de ce moment, l’activité du marché de Saint-Christophe est exclusivement consacrée aux échanges de bovins.
Fig. 30. Apports de bétail aux marchés de Saint-Christophe-en-Brionnais de 1907 à 2007.

95De 1907 à 1940, les apports de gros bétail oscillent entre 9 126 bovins en 1914 et 25 989 en 1929. La guerre interrompt le déroulement normal des transactions, les animaux étant dirigés vers la réquisition. En 1946, le marché accueille 9 734 bovins, puis 20 272 l’année suivante. À partir de 1948, les chiffres connaissent une ascension fulgurante (voir chapitre 6).
96De la fin du xixe siècle aux années 1960, les principaux animaux marchandés sur le foirail sont des gros bovins destinés à la boucherie – bœufs de travail, réformés à quatre, cinq ans ou plus, vaches de trait ou reproductrices, âgées de deux à 15 ans, génisses, châtrons – engraissés à l’herbe51. Après quelques mois passés dans les embouches du Brionnais, les bovins sont vendus à la foire puis dirigés à l’abattoir. Ainsi, Saint-Christophe est historiquement un marché de bovins finis.
Une société temporaire qui se forme chaque semaine52
97Le marché met en scène trois catégories d’acteurs : les emboucheurs qui viennent vendre le bétail gras, les marchands de bestiaux qui l’achètent et la municipalité qui accueille et organise le rendez-vous commercial.
98Chaque jeudi matin, Saint-Christophe attire une foule nombreuse d’emboucheurs et de marchands de bestiaux venant des communes et cantons alentours. Le déplacement au marché constitue une rupture dans le temps quotidien et, bien souvent, l’un des seuls déplacements hors du village. « Une fois par semaine pour le marché, plusieurs fois par an lors des foires, une nouvelle communauté [se crée], celle du marché ou de la foire53. » Les hommes revêtent la blouse noire, appelée « gaban », indispensable au contact des animaux, et tiennent à la main un bâton nécessaire à la conduite des bestiaux. Ces objets font ressortir le caractère de représentation du rassemblement54 et expriment l’appartenance à la communauté des acteurs du commerce du bétail.
99Le départ pour le marché s’effectue dans la nuit, en fonction de la distance à parcourir. Les bêtes viennent d’un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Saint-Christophe. Elles quittent le matin même le pré où elles ont été embouchées, comme l’explique un témoin : « On emmenait les bêtes à pied. On partait à deux heures du matin pour être dans le pré, pour les trier, les sortir […]. On allait les chercher à Amanzé. » Un autre témoigne : « On avait une exploitation le long de la Loire, à côté de Marcigny, on allait les chercher le jeudi matin. » Elles sont conduites au marché à pied par les emboucheurs aidés des toucheurs. Jusqu’à l’utilisation des camions, après la seconde guerre mondiale, l’acheminement du bétail à la foire constitue une véritable expédition. Au fil du parcours, la progression des bêtes ralentit. Les toucheurs ajustent la vitesse de marche en fonction de la distance à parcourir. Les bêtes doivent atteindre le champ de foire dans le quart d’heure qui précède l’ouverture des transactions. Pour deux raisons essentielles. La première tient au fait que, jusqu’à la construction des préaux de livraison en 1887 et 1890, leur installation sur le foirail doit s’effectuer juste avant les transactions. La seconde concerne la bonne présentation des animaux. La marche fait transpirer les bêtes et la couleur de leur pelage vire au roux. C’est l’une des caractéristiques de la race charolaise. Cette couleur rousse, très prisée des acheteurs, atteste du bon état d’engraissement des bovins. Le gras est à l’époque, contrairement à aujourd’hui, très apprécié des consommateurs. Les chevillards et les bouchers recherchent les bovins gras. Les toucheurs les font donc ralentir si elles sont en avance et les font accélérer si elles sont en retard. Emboucheurs et toucheurs se transmettent ce savoir-faire qui leur permet de présenter les bêtes sous leur meilleur jour. Tandis que les toucheurs conduisent les bêtes à Saint-Christophe, les emboucheurs viennent au marché en voiture à cheval. Le vrai emboucheur ne mène pas ses bêtes à pied au marché. Il engage des toucheurs pour le faire à sa place.
L’installation du bétail sur le champ de foire
100Les animaux sont exposés dans la grande allée jusqu’en 1867, date à laquelle la commune loue le pré Maurice avant de l’acquérir en 1868. À partir de 1867, le gros bétail est placé sur le champ de foire qui n’est alors qu’un pré. Les aménagements de 1898 bouleversent les pratiques. La mise en place des barres d’attache impose de nouvelles règles concernant l’arrivée des bestiaux et leur installation sur le foirail. Le bétail est attaché suivant un ordre précis de façon à assurer la libre circulation dans toute l’étendue du foirail. Les préaux doivent être entièrement garnis au fur et à mesure de l’arrivée du bétail. Le garde-champêtre et les marqueurs – employés par la municipalité pour assurer la perception des droits de place et marquer les bêtes dont les propriétaires se sont acquittés de la taxe – indiquent aux vendeurs l’ordre dans lequel ils doivent exposer leurs animaux. Les bêtes sont attachées par catégorie sur le foirail. Les bœufs sont placés le long de la grande allée où huit travées leur sont réservées ; les vaches sont exposées dans le reste du champ de foire ; les taureaux sont installés le long du mur du côté de la route de La Clayette à Marcigny. Les animaux sont attachés à l’aide de cordes de chanvre ou de chaînes durant les transactions (fig. 31 et 32 pl. VIII). La municipalité, dans un souci de sécurité des personnes, organise donc de façon très précise la répartition des animaux sur le champ de foire. Les allées ne doivent pas être utilisées, sauf absolue nécessité, de façon à éviter les accidents. Une logique d’organisation veut que chaque catégorie d’animal possède un espace réservé afin de faciliter le travail des marchands de bestiaux qui n’ont pas à parcourir le champ de foire dans tous les sens pour comparer des animaux de même catégorie. Sécurité et organisation concourent ainsi au bon déroulement et donc au succès du marché.
101Le champ de foire est, au xixe et dans la première moitié du xxe siècle, un lieu réservé aux hommes, à qui il revient de vendre le gros bétail : « Hors des étables et des écuries, ce sont eux qui commandent exclusivement au bétail55. » Les enfants sont nombreux sur le foirail et à ses abords (fig. 33 pl. IX). Les fils accompagnent leur père. Le champ de foire constitue pour eux un lieu d’apprentissage des valeurs, « celle de l’argent et de la parole donnée en premier lieu56 ». Ils y apprennent à vendre le bétail. Ils n’interviennent pas dans les transactions mais ils observent le jeu du marchandage entre les vendeurs et les acheteurs.
Les transactions
102Les transactions portent sur des bovins charolais. Au printemps, des salers sont présentes. À dater de l’acquisition du champ de foire par la commune, le début des transactions est annoncé par le signal de la cloche. Les acheteurs sont autorisés à entrer sur le foirail. Chacun s’empresse alors de repérer les meilleures bêtes. Les marchands passent et repassent dans les rangs serrés. Ils examinent « la croupe, le dos, les reins des bêtes. […] Ils vont, ils viennent, comparent, discutent, reviennent57. » Les transactions prennent parfois des allures théâtrales. Elles peuvent s’éterniser si l’acheteur et le vendeur ne sont pas d’accord sur le prix. Une fois l’entente trouvée, l’acheteur sort de sa poche une paire de ciseaux et coupe une touffe de poil sur la queue de l’animal, signe de l’engagement pris. L’évaluation du poids des bêtes se fait au jugé ; elles ne sont pas pesées. L’acheteur doit savoir apprécier au coup d’œil le poids de l’animal et la qualité de la viande. Il doit redoubler de prudence et faire preuve de « perspicacité et d’acharnement » et, comme son interlocuteur, « d’un soupçon de vice afin de déjouer les pièges que peuvent tendre des vendeurs pas toujours scrupuleux58 ». L’accord conclu demeure irréversible. Ainsi, même si l’opération s’avère mauvaise pour l’acheteur, celui-ci n’a quasiment aucun recours pour faire casser la vente. Le fait de dissimuler un défaut ou d’exagérer la valeur d’une marchandise fait partie des négociations entre vendeurs et acheteurs.
103Le règlement des transactions s’effectue sur le mur entourant le champ de foire, où s’échangent les liasses de billets. Les acheteurs – chevillards, marchands de bestiaux, commissionnaires – se placent à l’extérieur et les vendeurs à l’intérieur (fig. 34 pl. IX). Cette pratique, qui se maintient jusqu’aux années 1960, et à l’apparition des chèques, a valu au mur entourant le champ de foire la dénomination de « mur d’argent ».
Le retour du marché
104Une fois les transactions terminées, chaque marchand regroupe les bovins qu’il a achetés en lot (fig. 35 pl. X). Avant la mise en place du chemin de fer, les bovins étaient acheminés à pied jusqu’à Villefranche-sur-Saône. Il fallait cinq jours pour effectuer ce parcours de 70 kilomètres. Des relais existaient le long du chemin avec des parcs où pouvaient se reposer les animaux. ÀVillefranche, les bovins étaient embarqués sur des bateaux et descendaient vers Lyon sur la Saône. En 1854, la ligne Paris-Lyon permet d’embarquer les bœufs à Belleville. Le voyage est ainsi réduit à trois jours et à 59 kilomètres. En dépit d’un projet qui ne vit jamais le jour et des avantages qu’il aurait pu susciter, le chemin de fer n’est pas passé à Saint-Christophe. À partir des années 1880, le bétail est conduit à pied aux gares de La Clayette59 (fig. 36 pl. X) et Marcigny60, distantes chacune d’une dizaine de kilomètres du champ de foire, où il est chargé dans des wagons à destination des centres urbains. Les emboucheurs rentrent chez eux en voiture à cheval. Le retour a lieu en fin de matinée pour les plus pressés mais il s’effectue généralement l’après-midi après un copieux repas à l’auberge.
105Jusqu’aux années 1970, le train reste un mode de transport incontournable pour acheminer le bétail sur les lieux de consommation. Vers 1976-1977, environ 40 % des bêtes vendues à Saint-Christophe sont expédiées par le chemin de fer61. À partir des années 1920-1930, le transport du bétail par camion se développe. Les bovins sont chargés dans des bétaillères qui les conduisent directement sur les lieux de consommation. Les acheteurs sont les premiers à utiliser ces véhicules, contribuant ainsi à la diffusion du progrès au sein du monde rural. Le chargement dans les premiers camions a vraisemblablement représenté un spectacle attractif pour les foules de curieux. Et, bientôt, les marchands de bestiaux des campagnes et les emboucheurs suivent leur exemple. Cependant, comme beaucoup d’innovations, les camions s’imposent lentement dans les usages. Ils se généralisent après la seconde guerre mondiale.
Enjeux et conflits
106Le champ de foire est le théâtre de conflits – 139 de 1890 à 1940 – que les archives de la justice de paix mettent au jour62, révélant ainsi les intérêts des différents acteurs. Deux types de conflits dominent. Entre les acheteurs et les vendeurs qui tentent de réaliser la meilleure opération possible, la municipalité intervient souvent en tant qu’arbitre ; dans d’autres cas, elle est à la fois juge et partie, elle entend faire respecter son droit. Mais toujours, elle apparaît comme la garante du bon déroulement du marché, du respect des règles qui assurent une certaine équité des transactions afin que vendeurs et acheteurs continuent de faire le succès du marché de Saint-Christophe.
107Le non-respect des horaires d’ouverture constitue le délit le plus courant. Dans ce cas précis, la municipalité joue un rôle d’arbitre. Cependant, malgré une réglementation sévère, les infractions sont nombreuses et certains acheteurs parviennent à acquérir, par des moyens détournés, des animaux avant l’heure prescrite. 31 cas d’achats avant l’heure d’ouverture légale des transactions ont été recensés dans la justice de paix du canton, pour la période 1890-1940. Ils mettent en cause des marchands de bestiaux qui s’introduisent sur le champ de foire avant l’heure d’ouverture pour acheter du bétail. Cette pratique est assez répandue et tous les contrevenants ne sont vraisemblablement pas verbalisés. Certains peuvent passer outre la surveillance exercée par le garde-champêtre et les gendarmes. Il s’agit sans doute, pour les contrevenants, d’acheter les meilleures bêtes avant les autres marchands. Mais c’est aussi une façon de contester les horaires d’ouverture. En effet, les demandes des acheteurs sont fréquentes pour modifier l’heure d’ouverture de la vente. L’heure d’ouverture de la vente des taureaux est, par exemple, un motif de conflit permanent entre vendeurs et acheteurs. La multiplication des arrêtés du maire montre que les marchands de bestiaux profitent de l’heure avancée de la vente des taureaux pour entrer dans le champ de foire et acheter d’autres animaux.
108Les lieux de vente et d’achat sont délimités par la municipalité. En 1868, l’acquisition du champ de foire entraîne une réorganisation des expositions de bétail. Les bœufs, vaches, taureaux et génisses sont installés dans le pré Maurice, les moutons, boucs et chèvres, au bord de la rue principale, les veaux, au bas du bourg, et les cochons près du poids public. L’exposition, le marchandage et la vente du bétail ne peuvent donc se faire que dans les limites déterminées par l’autorité locale. La municipalité cherche ainsi à éliminer le désordre et la confusion, à faciliter la perception des droits de place et à limiter les fraudes. Les règles sont régulièrement rappelées, ce qui laisse à penser qu’elles sont souvent enfreintes ; cependant, l’étude des affaires de la justice de paix a révélé seulement six cas entre 1890 et 1930. Le premier date du 18 décembre 191963. Un commissionnaire en bestiaux de Lyon est surpris par le garde-champêtre à 7h45 en train d’acheter du bétail sur la voie publique, à proximité de la cour d’un habitant du bourg. Ce marchand enfreint ainsi l’arrêté municipal du 31 mars 1908. Il est passible d’une amende d’un franc comme le propriétaire qui l’accompagne. Ce dernier reçoit, de surcroît, le bétail dans sa cour, ce qui est interdit par le même arrêté. Cinq autres cas concernent des marchandages ou des achats de bétail sur la voie publique à proximité du champ de foire. Les acheteurs essaient ainsi de faire l’acquisition des meilleures bêtes avant les autres. Quant aux vendeurs, ils espèrent ne pas avoir à s’acquitter des droits de place. Les cas sanctionnés demeurent rares car cette pratique est difficile à poursuivre : en effet, si le garde-champêtre ainsi que les gendarmes surveillent les abords du champ de foire et les rues principales du bourg, ils ne peuvent être partout à la fois. En outre, ces achats peuvent se faire plus loin du foirail. La répression ne peut donc qu’être limitée.
109Certains emboucheurs ne respectent pas les lieux où doit être attaché le bétail, espérant peut-être ainsi s’exempter des droits de place. Trois cas ont été recensés dans la justice de paix. Le premier concerne un emboucheur qui refuse de se conformer aux instructions du garde-champêtre, le 21 juillet 1898 à 7h1564. Cinq mois plus tard, lors du jugement, le prévenu fait valoir qu’il se trouvait ce jour-là dans un cas de force majeure : ayant amené au marché des taureaux méchants, il a dû enfreindre le règlement en les attachant dans les allées, hors des préaux, dans le but d’éviter de graves accidents. Il demande que la véracité de son témoignage soit établie par témoin. Le jugement est donc reporté au 28 décembre 1898. Mais, en cette occasion, il n’est accompagné d’aucun témoin. Il reconnaît alors la contravention et sollicite l’indulgence du tribunal. Il est finalement condamné à un franc d’amende. Le deuxième cas concerne un propriétaire de Curbigny qui, le 30 juin 1910, attache ses trois vaches dans les allées du foirail alors que les préaux ne sont pas complètement garnis. Enfin, le troisième prévenu originaire de Ligny-en-Brionnais attache, le 25 juillet 1929, deux vaches hors des travées du champ de foire. Ces deux contrevenants écopent d’une amende d’un franc65.
110Le refus d’acquitter les droits de place a pu être, en une occasion au moins, plus explicite. Le 27 octobre 1927, un propriétaire de Baugy attache deux bœufs dans les allées du champ de foire alors que les préaux ne sont pas complètement garnis66. Il refuse d’acquitter la double taxe de cinq francs par tête de bétail prévue par l’arrêté du 1er août 1927. Il ne se présente pas au jugement de police, le 25 janvier 1928. Le maire de Saint-Christophe se porte alors partie civile contre l’accusé pour obtenir le paiement de la somme de dix francs. Il prie le tribunal de ne pas tenir compte des paroles injurieuses prononcées à son égard par le prévenu, en son domicile à Saint-Christophe où il s’est présenté et a formellement refusé de payer la taxe. À la suite de cette déposition, le tribunal considère qu’il n’y a pas lieu d’admettre des circonstances atténuantes vis-à-vis du coupable mais, au contraire, des circonstances aggravantes à la vue de ses « attitudes coutumières d’insolence et d’intransigeance absolue ». Il le condamne à une amende de cinq francs, à trois jours d’emprisonnement ainsi qu’au paiement de la somme de dix francs à la commune de Saint-Christophe. Le 8 février 1928, l’accusé fait opposition à ce jugement. Il se présente en personne à l’audience du 22 février 1928. Son avocat insiste sur le fait qu’il n’est pas juridiquement établi que, le jour où son client a amené ses deux bœufs au marché de Saint-Christophe, les préaux aient été complètement garnis. L’arrêté municipal du 1er août 1927 ne peut donc être retenu comme base de la poursuite. Le tribunal considère dès lors que la condamnation prononcée manque de base légale. La peine de prison prononcée ne peut l’être qu’en cas de récidive ; or, cette récidive n’existe pas. En conséquence, l’accusé est déchargé de la condamnation prononcée le 25 janvier 1928. Cependant, le maire de Saint-Christophe expose que le 27 octobre 1927, les préaux ne contenaient que 802 bovins, ils n’étaient donc pas complètement garnis. Il demande à obtenir seulement la somme de dix francs due à la commune. Le tribunal annule la peine de trois jours d’emprisonnement. Le coupable est condamné à payer les deux taxes de cinq francs à la commune et, au titre de dommages-intérêts, une somme de 105,50 francs. Par son intervention, le maire de Saint-Christophe a cherché à relativiser la portée de l’affaire. En demandant de ne pas tenir compte des menaces proférées à son égard, il veut éviter de lourdes conséquences pour le prévenu mais sans doute aussi pour la réputation de Saint-Christophe et de ses marchés. Les enjeux financiers sont importants pour la commune et il importe de conserver la notoriété acquise.
111Ce conflit, exceptionnel, met en relief l’importance que revêt le marché pour la municipalité. Elle n’a aucun intérêt à s’opposer aux emboucheurs. Les transactions semblent, en général, se dérouler dans le calme. Même si les petits délits ne sont pas exclus, l’ordre est assez bien respecté. D’ailleurs, chacune des parties a intérêt au maintien de l’ordre, garant du bon déroulement des opérations commerciales et donc du succès du marché. La présence du garde-champêtre et des gendarmes vise à défendre les enjeux économiques communaux. La municipalité doit faire respecter son droit et ne pas décourager les différents acteurs de venir chaque jeudi reformer cette société temporaire qui anime le bourg de Saint-Christophe.
Une confrontation directe entre producteur et abatteur
112Qui vient à Saint-Christophe ? Répondre à cette question n’est pas aisé, compte tenu de l’inexistence de fichiers nominatifs des opérateurs jusqu’à un passé proche. Plusieurs fonds documentaires ont donc été utilisés pour appréhender les acteurs travaillant sur le foirail et leur origine géographique, en particulier les 139 procès-verbaux de la justice de paix des décennies 1890- 1940, déjà cités. Ils indiquent la provenance des usagers en fournissant l’identité des contrevenants mais ne saisissent que la transgression des règles. Les délits, outre ceux qui ont été analysés plus haut, consistent en diverses infractions au code de la route, dans les premières décennies d’utilisation des automobiles67 (fig. 37).
113Les vendeurs sont des producteurs locaux, des emboucheurs et des cultivateurs qui viennent d’une vingtaine de kilomètres à la ronde autour de Saint-Christophe – cantons de Marcigny, Semur, La Clayette, Chauffailles et Charolles – (fig. 38). En un temps où les apports de bestiaux s’effectuent à pied et où le voyage depuis les pâtures se fait le matin même, les vendeurs ne peuvent venir de plus loin. Certains arrivent des départements limitrophes : Allier, Loire et Rhône. L’introduction de l’automobile, dès l’entre-deux-guerres, ne semble pas avoir de réelle incidence sur l’extension de ce périmètre. Jusqu’au début des années 1950, les paysans se déplacent à pied ou en voiture à cheval.
114Les acheteurs sont originaires de toute la France. Le client caractéristique est le chevillard, qui achète la bête sur pied, l’abat, puis la revend en carcasse au boucher. Certains viennent directement, d’autres font effectuer leurs achats par des commissionnaires. Raymond Boivin cite, par exemple, les noms de deux marchands de bestiaux, Jouffre et Bajard, qui, dans les années 1920, « expédient beaucoup à Nice », ainsi que l’identité des principaux acheteurs venant de la région de Saint-Étienne, Freysse, Grillet et Tissier68. L’Est, la Suisse, les centres du sud-ouest sont d’importants débouchés. Ceux-ci évoluent au fil du temps. Les gros bœufs, qui partaient en Suisse avant la première guerre mondiale, se vendent durant l’entre-deux-guerres à La Villette. En outre, chaque région achète de préférence un type de bête. Ainsi, les vaches partent à Marseille ou à Lyon ; les jeunes bêtes, en particulier les génisses, vont à Saint-Étienne et dans une moindre mesure à Lyon ; les châtrons dans le Doubs ; les bêtes de forme, bœufs et génisses, dans le nord de la France.
Fig. 37. Infractions relevées de 1890 à 1940.
Types d’infractions | Nombre de verbalisés |
Défaut de plaque d’immatriculation | 21 |
Défaut de rétroviseur | 8 |
Défaut d’indication du poids à vide et en charge | 7 |
Défaut d’étiquette de désinfection | 15 |
Défaut de permis de conduire | 1 |
Numéro de la remorque différent de celui de la voiture | 9 |
Stationnement non réglementaire | 4 |
Plusieurs infractions concernant le véhicule | 14 |
Non respect des horaires d’ouverture | 31 |
Refus d’acquitter les droits de place | 1 |
Achat hors du champ de foire | 7 |
Attache non réglementaire | 3 |
Défaut de papiers pour les animaux | 10 |
Brutalités sur les animaux | 2 |
Encombrement de la voie publique | 2 |
Total | 135 |
Fig. 38. Aire d’attraction du marché de Saint-Christophe-en-Brionnais.

© D. Fayard, 2013
115Les enquêtes orales sont ici d’une grande utilité. Les témoins qui ont fréquenté les foires depuis les années 1940 s’accordent sur le rayonnement national du marché et les préférences régionales. L’un d’eux raconte :
J’ai 79 ans, j’ai connu pas mal de gens, qui venaient de Lyon, il y avait beaucoup de gens de Saint-Étienne qui venaient pour acheter des jeunes bêtes, des veaux, des génisses, […] il y avait les gars du Midi qui venaient, Marseille, là-bas de ces coins-là, ils achetaient les grosses vaches, des vaches même vieilles, mais grosses, qu’ils emmenaient là-bas c’était le coin où partaient toutes ces grosses vaches.
116Un autre précise :
Beaucoup venaient de Saint-Étienne pour les génisses, du Midi pour les vaches, de Lyon pour les vaches et les génisses, de la Savoie, il y avait l’Isère, Grenoble ; Besançon pour les châtrons, le père Belot qui achetait des châtrons, il en venait de beaucoup de coins de la France. […] En principe les trois quarts des génisses elles partaient à Saint-Étienne à ce moment-là, Lyon en achetait quelques-unes.
117Un autre encore explique que les acheteurs venaient
de toute la France, [qu’] il y en avait beaucoup de l’est […]. Il y avait quelqu’un qui achetait pendant un certain temps des bêtes pour la Suisse. […] C’est tout le Midi qui venait à ce moment-là, de Toulon, de Marseille, de Nice. De Nice, il y avait deux frères qui s’appelaient les Baillet, un des Baillet a été maire de Nice. […] Toulon, il y avait la maison Coulon. […] Le nord venait également, ils achetaient que des bons bœufs. […] La bonne viande allait toute dans les pays ouvriers, c’est-à-dire à Lille, Saint-Étienne.
118L’origine géographique change selon les saisons d’après un emboucheur : « L’été quand il y avait du monde en Savoie, on voyait arriver des Savoyards. » Il en est de même de Vichy en été et des stations méditerranéennes en hiver.
119Parfois, les chevillards ne se déplacent pas jusqu’à Saint-Christophe. Le voyage serait trop long et trop coûteux. Ils rémunèrent sur place des commissionnaires chargés d’acheter du bétail pour leur compte et de l’expédier :
Le père Coiffard, le père Charrier [de Marcigny], ils achetaient pour le Nord, eux. Ils triaient des très bons bœufs ou de très bonnes génisses de forme, ils envoyaient ça à Lille où il y avait beaucoup de charbonnages, ils vendaient la viande cher. […] Jean Benon [de Lyon], il achetait des vaches pour le Midi, il achetait des vaches pour Baillet, de Nice. […] Les Benon n’étaient pas chevillards, ils étaient commissionnaires.
120Un autre témoin ajoute que « Morel, Coiffard, de Marcigny, Berthoud, de La Chapelle-du-Mont-de-France, son gendre Lagenaite, de Saint-Christophe, Meunier » achetaient à la commission sur le champ de foire.
121Lyon est un débouché important, au moins depuis le xviiie siècle comme l’atteste le témoignage de l’abbé Courtépée en 1779 : « La plus grande partie [des] bœufs gras [du Brionnais] sert à l’entretien des boucheries de Lyon69. » Ce débouché se maintient au xixe siècle et prend de l’importance au début du xxe avec l’arrivée des camions. 16 noms de commissionnaires lyonnais ont été recensés dans la justice de paix, entre 1890 et 194070. Les bêtes achetées par ces intermédiaires sont revendues aux bouchers ou aux abatteurs sur les marchés de Lyon-La Mouche et Lyon-Vaise, lieu « abondamment peuplé de bovins charollais71 » dans les années 1920-1930. Selon Raymond Boivin, Benon, Juif, Chovin, Bajard, Bourjaillat et Marcelin Roy sont les principaux marchands lyonnais à cette époque. Dans les années 1950, la plupart des acheteurs lyonnais « chargent » deux fois. Un premier départ a lieu vers neuf heures ; les camions vont décharger et ils sont de retour vers quatorze heures pour un second convoi72. La provenance géographique variée et lointaine « favorise l’emboucheur, car venant de très loin, les marchands ne peuvent se permettre de revenir avec leurs camions vides et sont accommodants sur les prix73 ».
122L’essor du marché entraîne, au milieu du xixe siècle, un développement du commerce local et du bourg de Saint-Christophe, où de nombreux commerçants et artisans s’installent pour profiter du dynamisme économique. Une nouvelle église est édifiée en 1828, remplaçant le bâtiment roman devenu trop étroit. Entre celle-ci et le champ de foire, les constructions se multiplient, d’abord pour répondre aux besoins d’une population qui augmente – 910 habitants en 1801, 1 357 en 1831, 1 329 en 1851, 1 216 en 1891 – puis pour profiter de l’animation commerciale. Alors que le bourg accueille, vers 1830, huit cabaretiers-aubergistes, il en compte 15 ainsi que deux hôtels en 1876. Ces derniers logent les acheteurs s’approvisionnant sur le champ de foire et, en été, les curistes venant profiter des bienfaits de la source hydro-ferrugineuse dans l’établissement thermal situé au lieu-dit les Bains, qui fonctionne dans la seconde moitié du xixe siècle. En 1876, plus de 70 commerçants et artisans sont installés à Saint-Christophe. De nombreuses professions sont représentées : instituteur, percepteur, notaire, vétérinaire, docteur, apothicaire, boulangers, bouchers, épiciers, cordonniers, menuisiers, tailleurs d’habits, forgerons, teinturier, buraliste, coiffeur, barbier, etc. Le marché s’impose aussi comme un lieu incontournable du négoce des bovins de race charolaise au plan national. Accueillant environ 20 000 gros bovins par an, il serait, à la fin du xixe siècle, le quatrième ou le cinquième de France pour le commerce du bétail gras. À la même époque, les apports en provenance du Charolais-Nivernais s’envolent sur les marchés parisiens74, qui n’accueillent toutefois qu’une partie de la production. Ils sont particulièrement importants en été et à l’automne, période de sortie du bétail gras des embouches. Saint-Christophe participe-t-il à cet essor ? Si oui, dans quelle mesure ?
Les autres débouchés : Villefranche-sur-Saône, Lyon et Paris
123Si Lyon constitue le principal débouché du bétail gras vendu à Saint-Christophe, certains emboucheurs livrent leur production sur d’autres places marchandes.
124Selon la tradition orale, avant la mise en place du chemin de fer, à la fin du xixe siècle, les ventes de bovins gras du Brionnais se faisaient à Villefranche-sur-Saône. D’après un emboucheur, « [à la fin du xixe et au début du xxe siècle], mon grand-père revendait ses bêtes à Villefranche ». Ce phénomène est confirmé par l’étude des feuilles dispersées du livre de comptes de Jean-Claude Montmessin, emboucheur à Saint-Laurent-en-Brionnais75. Ces quelques pages, détachées d’un cahier de format A3 qui n’existe plus, minutieusement préservées, couvrent une courte période comprise entre 1842 et 1846. Même si la durée est brève, leur analyse offre un éclairage intéressant. Seuls les achats et les ventes de bœufs figurent sur les documents. L’emboucheur se consacrait-il uniquement à l’embouche des bœufs ? Peut-être, mais il est possible aussi que les transactions portant sur d’autres catégories, vaches, génisses ou châtrons aient été consignées dans des cahiers de comptes séparés. En possession de ces seuls éléments il est impossible d’appréhender l’activité de l’emboucheur dans sa globalité. Néanmoins, certains aspects peuvent être mis en lumière.
125L’étude montre par exemple que les ventes de bœufs de Jean-Claude Montmessin se font quasi exclusivement à Villefranche-sur-Saône, au milieu du xixe siècle. Entre 80 et 90 % de sa production est dirigée vers cette place marchande. Ainsi, il semble que l’activité sur le marché de Villefranche-sur-Saône soit antérieure au développement de celui de Saint-Christophe, dans la seconde moitié du xixe siècle.
126En 1842, 105 bœufs gras sont conduits à Villefranche-sur-Saône pour y être vendus, soit 87 % de l’effectif total annuel qui s’élève à 121 bœufs embouchés. En 1843, 105 bœufs également – 86 %, 122 bœufs – (fig. 39) ; en 1844, 98 – 90 %, 109 bœufs – ; en 1845, 89 – 81 %, 110 bœufs. Les ventes se font principalement le lundi, jour de foire à Villefranche-sur-Saône. Des transactions sont parfois réalisées d’autres jours de la semaine. Deux hypothèses peuvent être avancées. Jean-Claude Montmessin livre peut-être directement des animaux gras à des bouchers de Villefranche-sur-Saône sans passer par la place marchande. L’emboucheur a aussi pu commettre des erreurs dans la transcription des dates de ses échanges commerciaux. Quoi qu’il en soit, il dirige la plus grande partie de sa production vers cette ville, située à une soixantaine de kilomètres de Saint-Laurent-en-Brionnais. Les ventes s’étalent de juin à décembre. Ses déplacements à Villefranche-sur-Saône sont quasi hebdomadaires pendant cette période. Il effectue deux voyages en juin, un à trois en juillet, deux à quatre en août, trois ou quatre en septembre, deux ou trois en octobre et en novembre et un en décembre, excepté en décembre 1845 où aucune vente n’est mentionnée. Il y conduit en moyenne une demi-douzaine de bœufs gras par semaine. Villefranche-sur-Saône représente pour cet emboucheur un débouché important par le nombre de bœufs écoulés, une centaine chaque année, et régulier puisqu’il y vend des animaux durant toute la période de sortie du bétail gras des embouches. Bien que n’ayant pas une portée générale, cette analyse atteste cependant de l’existence du débouché caladois.
Fig. 39. Ventes de bœufs à Villefranche-sur-Saône en 1843.
Date | Nombre de bœufs vendus |
Lundi 5 juin | 6 |
Lundi 19 juin | 7 |
Lundi 3 juillet | 3 |
Lundi 17 juillet | 9 |
Lundi 14 août | 6 |
Lundi 28 août | 7 |
Lundi 4 septembre | 7 |
Lundi 11 septembre | 7 |
Lundi 25 septembre | 7 |
Lundi 9 octobre | 7 |
Lundi 16 octobre | 4 |
Lundi 30 octobre | 6 |
Lundi 13 novembre | 6 |
Lundi 20 novembre | 8 |
Lundi 27 novembre | 10 |
Mardi 5 décembre | 5 |
Total | 105 |
127Les Brionnais conduiraient peu de bovins à Lyon, au marché de Lyon-Vaise, sans doute parce que les acheteurs lyonnais viennent s’approvisionner directement dans le bassin de production des bovins gras, en particulier à Saint-Christophe. L’étude des papiers de Jean-Claude Montmessin montre qu’il conduit « en Vaize » un bœuf, engraissé dans le pré de Ray de société avec Buchet, le 30 septembre 1844 et sept le 24 novembre 1845. Ces échanges sont les seuls qui figurent dans les feuilles conservées de son livre de comptes pour la période 1842-1846, trop courte pour permettre de tirer une conclusion. Toutefois, il semble logique que si les acheteurs lyonnais se déplacent en nombre à Saint-Christophe, comme l’attestent les archives de la justice de paix, les emboucheurs n’aient pas à se déplacer jusque dans cette ville.
128Paris est un débouché lointain, difficile d’accès pour les producteurs brionnais. Certains, parmi ceux qui embouchent le plus de bovins, envoient des animaux sur les places marchandes de la capitale ainsi que l’explique un ancien. « Avant la guerre mon père vendait tous ses bœufs à La Villette, tous. Il ne trouvait pas la vente suffisante à Saint-Christophe. […] Il n’y allait pas toujours, obligatoirement il fallait un commissionnaire qui lui vendait ses bêtes, mais il aimait encore bien faire son travail. Il y allait en train et du moment qu’on embarquait des bêtes pour La Villette on avait un billet gratis. » Le témoin ajoute que « les Fénéon, de Saint-Julien-de-Civry, allaient tous à Paris ».
129Jean-Claude Montmessin vend sept bœufs à Paris le 1er août 1845. Deux y sont également commercialisés le 1er juillet et trois le 11 août 1845. Ces cinq bestiaux ont été engraissés de société avec Buchet dans le pré de Ray. Ces 12 bœufs vendus dans la capitale ne représentent que 7 % de l’effectif total de ceux embouchés en 1845 qui est de 184. Aucune autre vente à Paris n’est mentionnée dans ses papiers. Pourquoi l’emboucheur use-t-il de ce débouché uniquement pendant l’année 1845 ? Au début du xxe siècle, des wagons chargés de bestiaux partent de Marcigny à destination de la capitale76. Cette pratique perdure jusqu’au milieu du xxe siècle comme l’atteste un emboucheur : « Je vendais exceptionnellement à Paris. Dans les années 1960, j’expédiais un ou deux wagons par an pour La Villette. Sinon tout était vendu à Saint-Christophe. […] Dans notre région peu d’emboucheurs conduisaient leur bétail à La Villette, c’était exceptionnel. »
130Les ventes de bétail à Villefranche-sur-Saône, Lyon et Paris existent. Elles sont attestées par les comptes de Jean-Claude Montmessin et les témoignages oraux recueillis auprès des emboucheurs retraités. Elles semblent antérieures au développement du marché de Saint-Christophe, dans la seconde moitié du xixe siècle. Ces transactions ne concernent cependant que les plus gros producteurs capables de fournir régulièrement des animaux gras à leurs clients et de mettre en place le convoyage du bétail. S’agit-il pour autant de débouchés suivis ou ne sont-ils qu’exceptionnels ? Les herbagers écoulent-ils d’importants effectifs sur les places marchandes de ces agglomérations ou directement auprès des bouchers ? Quelle est la part de la production issue de l’embouche brionnaise qui s’en trouve valorisée ? Autant de questions qui demeurent à ce jour sans réponse faute d’archives.
131Le marché de Saint-Christophe apparaît comme le principal débouché du bétail gras produit en Brionnais, du milieu du xixe au milieu du xxe siècle. Il connaît un premier apogée à la fin du xixe siècle, qui coïncide avec le succès de l’embouche, l’apogée des échanges locaux – qui n’exclut pas le désenclavement –, et l’âge d’or des foires et marchés en France. Les champs de foire de Villefranche-sur-Saône, Lyon et Paris sont fréquentés avant ce premier apogée, à une époque où les herbagers ne peuvent écouler localement la totalité du bétail qu’ils produisent. À la fin du xixe siècle, un réseau d’échanges s’organise autour de Saint-Christophe, qui les dispense de ces déplacements lointains. Le chemin de fer joue un rôle essentiel dans cette évolution. Certains emboucheurs continuent à se rendre directement sur les marchés urbains de Villefranche-sur-Saône, Lyon ou Paris, même si cette pratique ne semble concerner qu’une minorité d’entre eux.
132Maîtres du marché, durant la « phase de l’embouche », entre 1880 et 1960, les emboucheurs s’approvisionnent en maigre sur les foires du Brionnais-Charolais mais surtout dans les zones d’élevage du Massif central. Facilités par l’essor des moyens de communication – le chemin de fer puis les camions –, les échanges se multiplient. Les Brionnais trouvent dans ces régions les animaux qui vont transformer l’herbe dont ils disposent en viande. Conscients de la richesse et des potentialités de leurs prairies, ils « exploitent » les paysans dont les fermes se trouvent sur des terrains moins fertiles que les leurs. Mais pour ces derniers, les herbagers ne sont sans doute pas les individus si indésirables que certains voudraient le laisser croire. Ils représentent avant tout la sécurité d’écouler les produits de leur élevage. Cette position privilégiée d’intermédiaire obligé dans la filière, ils la conservent jusqu’aux années 1960.
133Les achats de bétail maigre, l’engraissement des bovins et leurs ventes n’ont guère laissé de traces écrites. Pourtant, l’embouche a forgé l’identité économique et culturelle du Brionnais, a façonné le bocage qui le caractérise et a favorisé le développement du commerce local. Véritable moteur de la vie locale, elle a contribué au désenclavement du pays, surtout à partir de la fin du xixe siècle, en faisant de lui une région de production de viande bovine incontournable et prisée des acheteurs urbains.
Notes de bas de page
1 Goujon P. (dir.), La Saône-et-Loire…, op. cit., p. 313.
2 Aubry-Breton M.-L., « La floraison des foires et marchés au xixe siècle, l’exemple d’un département breton : l’Ille-et-Vilaine », Études rurales, nos 78-80, avril-décembre 1980, p. 169-174.
3 AD Saône-et-Loire, M 2943 et W 612.
4 Le développement qui suit repose sur ADSaône-et-Loire, M 2943, questionnaires communaux, 1902.
5 Bas J.-C., Les chemins de fer dans le Charolais, le Clunysois et la vallée de la Grosne, Buguet-Comptour, Mâcon, 1983, p. 69-70.
6 Liste des prix des denrées sur un marché public.
7 Archives municipales de Bois-Sainte-Marie, délibération du conseil municipal, 30 mai 1891.
8 AM Bois-Sainte-Marie, 15 mars 1896.
9 AM Bois-Sainte-Marie, 17 février 1901.
10 AM Bois-Sainte-Marie, 9 janvier 1910.
11 Un ouvrage retrace l’histoire des foires et marchés de La Clayette : Fayard D., Les foires et marchés de La Clayette, xixe-xxe siècles, Saint-Christophe-en-Brionnais, Éditions du Centre d’études des patrimoines, 2011.
12 AD Saône-et-Loire, W 1014.
13 Gervais M., Jollivet M. et Tavernier Y., La fin de la France paysanne depuis 1914, t. IV, p. 102, in Duby G. et Wallon A. (dir.), Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, 1977.
14 Ibid., p. 113.
15 AD Saône-et-Loire, W 629.
16 Le développement qui suit repose sur AD Saône-et-Loire, W 612, 629 et 948.
17 AMCharolles, 4 F 11, mercuriales (1904-1925) ; ADSaône-et-Loire, W 612, 948, 1014 et 1135 (1947-1960) ; Direction départementale de l’agriculture (1970-2000) ; Association de gestion des marchés de Charolles (1993-2008).
18 AD Saône-et-Loire, W 612.
19 AD Saône-et-Loire, W 1014.
20 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 363.
21 Synthèse des informations recueillies lors des enquêtes orales et dans les archives du Syndicat des emboucheurs.
22 Bulletin de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Charolles, janvier 1939, p. 380.
23 Ce paragraphe repose sur la correspondance conservée dans les archives du Syndicat des emboucheurs.
24 Caron F., Histoire des chemins de fer en France. 1740-1883, Paris, Fayard, 1997, p. 570.
25 Trouillet D., Des étrangers au village : la construction du viaduc de Mussy-sous-Dun, 1892- 1900, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1996, p. 39.
26 Voie étroite, le plus souvent d’un mètre d’écartement entre les rails, installée en accotement des routes, limitant les coûts de construction, où les trains roulent lentement.
27 De la marque Citroën, produit entre 1935 et 1969, charge totale : 2 300 kilos.
28 Sauf indication contraire, ce paragraphe repose sur l’analyse des archives du Syndicat des emboucheurs.
29 Picq T., Grasse à la Pâquerette, film produit par Bourgogne images production, interview de Jean-Marie Fénéon, emboucheur retraité, 1995.
30 Le Journal, 16, 17 et 18 avril 1943. Le développement qui suit a été publié : Fayard D., « De l’art d’engraisser les bovins dans le berceau de la charolaise », Anthropozoologica, no 48-1, 2013, p. 137-151.
31 Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 137.
32 Merle A., « Cette race qu’on dit “charollaise” », Mémoire brionnaise, no 2, 4e trimestre 1999, p. 26.
33 Diffloth P., Zootechnie spéciale. Élevage et exploitation des animaux domestiques, Paris, Baillères, 1908, cité par Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 135.
34 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 360.
35 Ibid., p. 363.
36 Boivin R., La fortune agricole du Charolais, op. cit., p. 188-189.
37 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 360.
38 Bulletin de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Charolles, mai 1956, p. 5-8.
39 Boivin R., La fortune agricole du Charolais, op. cit., p. 188-189.
40 Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 137.
41 Les citations suivantes sont extraites de la correspondance conservée dans les archives du Syndicat des emboucheurs.
42 Ragut C., La statistique de Saône-et-Loire, Mâcon, Dejussieu, 1838, p. 555.
43 Boivin R., La fortune agricole du Charolais, op. cit., p. 79.
44 Mai 1956, p. 5-8.
45 Rossi M., Dictionnaire étymologique et ethnologique des parlers brionnais, Bourgogne du Sud, Paris, Éditions Publibook Université, p. 248-250.
46 Ibid., p. 414.
47 Ibid., p. 356.
48 Lizet B., « L’herbe violente… », art. cit., p. 141.
49 Pour les références d’archives concernant cette partie se référer à : Fayard D., Le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais, 1820-1939 : approche économique et sociale, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine sous la direction de J.-L. Mayaud, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 2002. Deux articles et un ouvrage ont été publiés sur le sujet : Fayard D., « Le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais (milieu xixe siècle-milieu xxe siècle) », Travaux de l’Institut de recherche du Val de Saône Mâconnais, no 6, 2004, p. 39-52 ; Id., « Le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais (xixe-xxie siècle) », in P. Madeline et J.-M. Moriceau (dir.), Acteurs et espaces de l’élevage…, op. cit., p. 307-320 ; Id., Le marché aux bestiaux de Saint-Christophe-en-Brionnais, milieu xixe-début xxie siècle, Saint-Christophe-en-Brionnais, Éditions du Centre d’études des patrimoines, 2010.
50 ADSaône-et-Loire, M 2291 à 2206 (1907 à 1924) ; AMSaint-Christophe-en-Brionnais, registre des entrées sur les foires (1928 à 2007).
51 Synthèse des informations recueillies lors des entretiens.
52 Cette partie a été publiée : Fayard D., « Le marché aux bestiaux… », art. cit., p. 39-52.
53 Tomas J., Le temps des foires…, op. cit., p. 306.
54 Maho J., « Les aspects non économiques des foires et marchés », Études rurales, nos 78-80, avril-décembre 1980, p. 66.
55 Bossis P., « La foire aux bestiaux en Vendée au xviiie siècle, une restructuration du monde rural », Études rurales, nos 78-80, avril-décembre 1980, p. 146.
56 Maho J., « Les aspects non économiques… », art. cit., p. 66.
57 Vincent-Bardollet C., La vie agricole en Brionnais…, op. cit., p. 22.
58 Valla M., Foires et marchés à Issoire (1850-1914), mémoire de maîtrise d’histoire, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, s.d., p. 31.
59 Lignes Pouilly-sous-Charlieu/Chalon-sur-Saône (1889), Paray-le-Monial/Givors (1900), tacot de Monsols (1911).
60 Ligne Paray-le-Monial/Roanne (1882).
61 Du Cray B., Monographie communale, Saint-Christophe-en-Brionnais, un marché aux bestiaux au cœur du Charolais, mémoire de fin d’études, Beauvais, Institut supérieur agricole, 1977, p. 103.
62 AD Saône-et-Loire, 4 U 3173 à 3179.
63 AD Saône-et-Loire, 4 U 3176.
64 AD Saône-et-Loire, 4 U 3173.
65 AD Saône-et-Loire, 4 U 3174.
66 AD Saône-et-Loire, 4 U 3177.
67 AD Saône-et-Loire, 4 U 3173 à 3179. Les infractions concernant les automobiles apparaissent en 1921.
68 Boivin R., La fortune agricole du Charolais, op. cit., p. 191.
69 Abbé Courtépée, Description du duché de Bourgogne, t. IV, Dijon, Causse, 1779, p. 170.
70 AD Saône-et-Loire, 4 U 3173 à 4 U 3179.
71 Boivin R., La fortune agricole du Charolais, op. cit., p. 73.
72 Labasse J., Les capitaux et la région, Paris, Armand Colin, 1955, p. 138.
73 Sivignon M., « Élevage et embouche… », art. cit., p. 364.
74 Garnier B., « Les arrivages de bovins adultes sur les marchés parisiens au xixe siècle, première approche statistique », in P. Madeline et J.-M. Moriceau (dir.), Acteurs et espaces de l’élevage…, op. cit., p. 155-189. En 1907, 17 832 bovins sont vendus à Saint-Christophe. La même année, 5 615 gros bovins – 4 324 bœufs, 906 vaches et 385 taureaux – arrivent sur les marchés parisiens de Saône-et-Loire. De 1908 à 1913 (absence de données pour 1912), Saint-Christophe accueille respectivement 15 480, 20 005, 22 288, 19 699 et 19 969 bovins. Dans le même temps, les marchés parisiens reçoivent 5 627, 6 243, 5 039, 4 079, 7 859 et 6 826 gros bovins du 71. Les bovins commercialisés à Paris représentent 36, 31, 23, 21 et 34 % de ceux vendus à Saint-Christophe.
75 Archives privées Georges Perroy.
76 Bulletin de la Société d’agriculture de l’arrondissement de Charolles, octobre 1908, p. 179-180.
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