La question du continu et du discontinu à l’épreuve de la dimension technique des sociétés
p. 409-416
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
INTRODUCTION
2Peut-on dire que dans le monde humain, il en va des limites comme il en va des limites dans le monde physique ou biophysique ? Au travers de cette question, qui n’est pas anodine pour le géographe dans sa quête d’une unité entre les deux versants physique et humain de sa discipline, on cherche en fait à mieux comprendre l’état actuel de notre rapport au monde, inerte ou vivant, et de notre rapport aux autres. Y répondre devrait aider à faire le point et c’est l’un des enjeux du présent débat.
3Il apparaît, dans ce débat, que la pensée de la limite cherche à s’élargir. Elle se sent trop à l’étroit dans le carcan dualiste et pourtant, elle peine à le faire sauter. Elle peine à inventer un au-delà du dualisme continu-discontinu.
4J’inscris néanmoins ma tentative à cet endroit, en formulant la question initiale de la manière suivante : peut-on dire que l’espèce humaine spatialise ou territorialise de la même manière que n’importe quelle autre espèce vivante, ou bien s’y prend-elle autrement ? Cette nouvelle formulation présente en effet deux avantages :
- elle invite à s’interroger sur ce qui spécifie le monde humain, et à désigner alors la technique et le langage. En effet, jusqu’à aujourd’hui du moins, on s’accorde à peu près sur le fait que la technique et le langage sont les éléments constitutifs d’une discontinuité forte entre l’espèce humaine, homo faber-sapiens, et les autres espèces vivantes. Les artefacts étant inséparables de l’hominisation, c’est dans ce sens que le fait technique est placé au cœur de la présente réflexion.
- elle permet par ailleurs d’inscrire la dimension technique des sociétés sur le plan de la spatialisation humaine2.
5La question du continu et du discontinu est mise à l’épreuve de la dimension technique des sociétés selon deux perspectives :
6Il s’agira d’abord d’explorer les frontières réticulaires, un artefact contemporain emblématique d’un au-delà de la dualité continu-discontinu. La dualité est matérialisée par les figures du réseau et de la frontière, et son au-delà se présente alors comme un alliage de frontières et de réseaux. Le terme de frontière réticulaire, qui exprime cet alliage, désigne en fait des artefacts fort banals et bien ordinaires, ceux que les sociologues qualifient de non-lieux de la sur modernité et qui ne sont autres que les ports, fluviaux ou maritimes, les gares routières ou ferroviaires, les aéroports, les plates-formes logistiques.
7Les artefacts considérés par cette première perspective ont trait à la mobilité artificielle. Ils mettent en jeu les rapports humains à l’étendue spatiale, appréhendée en tant que distance et substance. Dans cet exemple, la mobilité relève du continu et ce qui lui fait obstacle relève du discontinu.
8L’artefact qui sera examiné dans un second exemple -un dispositif d’éclairage urbain - met en jeu les rapports humains au milieu cosmique, à ses cycles, jours, nuits et saisons, à propos de la clarté. Dans cette seconde perspective, c’est la réversibilité du cycle cosmique qui relève du continu. Il conviendra alors d’examiner en quoi et dans quel sens le dispositif d’éclairage -et au-delà de lui, toutes espèces d’artefacts - matérialisent le discontinu.
I - UN ARTEFACT EMBLÉMATIQUE D’UN AU-DELÀ DE LA DUALITÉ RÉSEAU-FRONTIÈRE : LES FRONTIÈRES RÉTICULAIRES
1 - LA DUALITÉ ENTRE RÉSEAU ET FRONTIÈRE
9Pour planter le décor de cette réflexion, nous prenons appui sur deux figures le réseau et la frontière. Lorsqu’on confronte les traits les plus permanents d’un réseau et d’une frontière, entendus comme concepts, comme objets géographiques ou bien encore comme faits sociaux, ils se présentent respectivement comme une figure de la continuité et comme une figure de la discontinuité.
En tant que concepts
- le réseau est une figure de la continuité au sens où il ne fait qu’ouvrir des accès. Un réseau n’a pas de destination finale et ne possède aucun terme. Au double sens du mot, un réseau est sans fin. Il n’a d’autre fin que celle de se connecter toujours et encore. Une connexion en appelle toujours une autre et le réseau ouvre, de proche en proche, à tous les autres réseaux,
- inversement, la frontière est d’abord une figure de la discontinuité : elle sépare et arrête, contrôle et filtre, parce qu’elle a pour caractéristique de protéger un intérieur contre des agressions de tous ordres. Son franchissement présente un caractère plutôt exceptionnel, associé à l’idée d’épreuve, de danger mais aussi de défi pour celui qui, malgré tout, brave et transgresse l’interdit.
10En tant qu’objets géographiques, le réseau et la frontière sont deux modalités de spatialisation humaine inverses et exclusives l’une de l’autre :
- le réseau crée artificiellement de la proximité là où il y a de la distance,
- inversement la frontière crée artificiellement de la distance, là où il y a de la proximité.
11En tant que faits sociaux enfin, maints exemples ordinaires témoignent du caractère antinomique de la frontière et du réseau :
- en Europe occidentale, par exemple, et jusqu’à aujourd’hui, les frontières étatiques ont toujours tenu les réseaux à distance. En témoigne le manque d’accessibilité des régions frontalières qui le déplorent, telle Strasbourg qui inaugure à peine son deuxième pont sur le Rhin, et dont les TGV n’en finissent pas de ne pas arriver. En témoigne plus généralement la nécessité de politiques incitatives et le besoin d’aides européennes pour combler les manques d’accessibilité des régions frontalières d’Europe en réalisant des connexions transfrontalières souvent difficiles, coûteuses et pas forcément rentables,
- à l’inverse, les discours s’accordent pour qualifier les réseaux “d’effaceurs” de frontières. Quand ils ne les effacent pas, dit-on, ils les vident de leur substance, les périment ou bien les brouillent. Autre expression encore de la continuité des réseaux, exclusive de la discontinuité frontalière : les discours anti-mondialisation qui dénoncent leurs effets destructeurs de toutes spécificités, particularismes ou discontinuités.
Le décor est planté
12À dessein, j’ai un peu forcé le trait de cette dualité exclusive entre continu et discontinu telle qu’elle se manifeste dans la figure du réseau et de la frontière. Pourquoi ? Parce qu’à présent je vais mettre à mal cette première représentation et lui en substituer une autre.
13La représentation nouvelle, à laquelle j’invite, m’est suggérée par l’alliage un peu étrange de frontières et de réseaux au sein d’un dispositif commun que j’appelle frontières réticulaires3.
14Les frontières réticulaires se nichent au cœur des grands réseaux de transports de marchandises, d’hommes ou d’informations, en s’y invisibilisant au point de se faire presque oublier comme frontières. Elles se greffent sur leurs principaux nœuds, aéroports ou ports, maritimes ou fluviaux, plates-formes logistiques, gares routières ou ferroviaires, portails informatiques sous la forme de codes, et en définitive elles se localisent là où se concentrent aussi tous ces “terminaux” : dans les principales concentrations urbaines. Ainsi les frontières se réseautisent tandis que les réseaux se métropolisent.
15À l’image des réseaux et des flux qu’ils mettent en mouvement, ces frontières sont très spécialisées et technicisées. Comme eux et avec eux, elles s’inventent depuis un demi-siècle sur fond de mondialisation de l’économie et de libéralisation des échanges, eux-mêmes portés par les mutations dans les technologies de transport et de communications. Pour toutes ces raisons, les frontières réticulaires sont des artefacts qui sont appelés à se généraliser, elles sont des frontières d’avenir. Elles révèlent qu’en réalité, frontières et réseaux, loin de s’exclure, aujourd’hui s’attirent. Nous allons montrer comment le continu rencontre le discontinu au cœur de ces frontières réticulaires, en quoi ces deux dimensions sont inséparables l’une de l’autre ; en quoi consiste leur alliance et comment la continuité des réseaux conditionne la discontinuité des frontières et réciproquement.
2 - QUELQUES EXPRESSIONS DU MIMÉTISME ENTRE RÉSEAUX ET FRONTIÈRES
16Comment frontières et réseaux coopèrent-ils au sein de ce dispositif commun, comment en viennent à faire corps ensemble au point de ne plus savoir très bien si l’on a affaire à du réseau ou à de la frontière, et au point d’affirmer qu’il y a un devenir-réseau de la frontière et un devenir-frontière du réseau ? Par mimétisme.
Aux nœuds, discontinuités physiques, techniques et politiques se superposent et se confortent
17Les réseaux ont pour caractéristique d’être désignés par le nom des substances physiques4 qui leur servent de support, tant elles imprègnent ceux-ci de leurs caractéristiques. Les réseaux se spécifient en tant que réseaux de transports aériens, de transports maritimes et fluviaux, de transports terrestres, de transports urbains5. Les différents états de la matière - terre, eau, air ou atmosphère - sont en quelque sorte soulignés et redoublés6 par les différentes espèces de réseaux entre lesquels se créent alors des discontinuités techniques qui se matérialisent dans les ruptures de charges et les interconnexions entre eux.
18Or, c’est précisément en ces lieux de discontinuités physiques et techniques que se localisent aussi, et pour des raisons fonctionnelles et instrumentales évidentes, les discontinuités étatiques que forment les frontières d’État. Ces dernières viennent ainsi redoubler -ou plus exactement retripler - les discontinuités techniques entre réseaux, qui elles-mêmes redoublent les “discontinuités” physiques. En définitive, les discontinuités physiques, techniques, politiques, s’empilent les unes sur les autres, et tendent à se confondre les unes avec les autres. Elles se confortent mutuellement, et s’affirment au cœur même de la continuité du réseau, tout en la servant, si bien qu’en ces lieux de discontinuités maximales, paradoxalement, l’accessibilité y est elle-même maximale elle aussi. Tout se passe alors comme si la mobilité et ce qui lui fait obstacle se co-produisaient et se co-renforçaient !
Des interfaces entre continu et discontinu : les appareils
19Avions, bateaux, TGV sont autant de véhicules qui actualisent - ou réalisent - la continuité réticulaire. Pour autant, ils ont la capacité d’actualiser aussi les discontinuités frontalières : le simple fait d’immobiliser les appareils suffit par exemple à rendre une frontière parfaitement infranchissable. Ce qui ne les empêche pas par ailleurs de construire aussi de la continuité, non seulement par leur mobilité et leur vitesse, mais encore par leur corps double, compatible avec au moins deux éléments qu’ils mettent en relation compatible avec la terre et le ciel pour l’avion, avec la grande vitesse et la petite pour les TGV, avec la vie sur terre et sur mer pour le bateau. Ces appareils matérialisent ainsi l’alliage du continu et du discontinu, l’inséparabilité de ces deux dimensions. Ils définissent en fait une interface entre elles.
20Poursuivons leur examen : appareiller veut dire qu’on largue les amarres, que l’on quitte un monde pour un autre, et que pour franchir une telle discontinuité, un appareil est nécessaire. Dire que les frontières réticulaires sont appareillées, c’est reconnaître que leur franchissement est associé à l’idée d’épreuve et de danger. Pourtant les risques ne sont plus d’origine politique, étatique ou militaire comme au temps des anciennes frontières d’État. Il s’agit des risques physiques ou technologiques auxquels l’appareillage expose : en ce lieux à très hauts risques, l’erreur ne pardonne pas. En devenant des lieux à très haute sécurité, ils sont devenus aussi les hauts lieux de l’accessibilité7. L’accessibilité et les mobilités sont maximales là où précisément, et paradoxalement, est maximal ce qui leur fait obstacle : continuité et discontinuités croissent dans le même mouvement et le paradoxe n’est peut-être pas sans lien avec l’existence d’un défi, toujours associé à l’interdit de la frontière, que l’on brave et transgresse malgré tout. Les frontières réticulaires, comme toutes frontières, sont bien ce point limite où commence l’exposition et la prise de risques et où finit l’assurance.
Les douanes épousent les contraintes de rapidité et de continuité des opérateurs de réseaux
21De même qu’un véhicules “réalise” la continuité dans un réseau de transport, de même les services douaniers sont ce qui “réalise” la discontinuité d’une frontière d’état. Or, l’évolution8 actuelle des services douaniers rend compte elle aussi de jeux mimétiques entre frontière et réseau, entre logique de discontinuité et logique de continuité au sein des frontières réticulaires. Ainsi, par les prestations qu’elles fournissent, elles se transforment aujourd’hui en de véritables partenaires des opérateurs privés que pourtant elles contrôlent, mais elles intègrent leurs exigences de vitesse, de régularité, de compétitivité, de continuité
Une discontinuité de forme réticulaire
22Pour mémoire, on rappellera ici que le réseau n’est pas seulement une figure de la continuité. Fidèle à la métaphore du filet ou de la nasse, il est aussi un dispositif de capture et de collecte, qui rassemble des circulations. En tant que figure de la concentration, le réseau est une forme qui sélectionne et qui sépare. Un geste qui collecte et rassemble est en effet un geste de sélection, d’exclusion et de coupure, qui s’accompagne de la constitution de parois ou de membranes qui isolent et séparent.
3 - UN ARTEFACT SYMBIOTIQUE
23Ces formes de mimétismes, par lesquels réseaux et frontières deviennent indissociables et s’indistinguent, n’affaiblissent pas pour autant les dimensions continue et discontinue qui les sous-tendent. Bien au contraire, celles-ci se renforcent.
24Les frontières réticulaires correspondraient-elles à une sorte d’artefact symbiotique, dont les composantes frontalière et réticulaire, telles des symbiotes, se révèlent plus efficaces ensemble que séparément, leur association se réalisant au bénéfice des deux ? L’examen de ces artefacts révèle en définitive que loin de s’exclure, le continu et le discontinu peuvent s’attirer l’un l’autre et se conditionner mutuellement, se co-développer.
25Au-delà de la dualité frontière-réseau, il y a ce que le réseau et la frontière peuvent ensemble à travers leur agencement en cet artefact commun qu’est la frontière réticulaire. Ce qu’ils peuvent ensemble se lit en définitive à travers l’acquisition par les sociétés humaines d’une maîtrise de leurs relations aux distances et aux substances du monde physique, au moyen de la technicité et notamment ici, de mobilité artificielle.
26Cet exemple a par ailleurs permis de mettre en évidence comment la question du continu et du discontinu examinée au travers du prisme de la technique, permettait d’appréhender l’état des rapports humains au monde. On va procéder de la même manière, mais avec une autre forme du rapport humain au monde physique, qui met en jeu cette fois nos rapports à la clarté du monde et non plus à sa distance et à son étendue.
II - DES ARTEFACTS CONSTRUCTEURS DE CONTINUITÉ ET DE DISCONTINUITÉS
27La représentation de la technique comme un lien ou comme un continuum entre monde humain et monde physique, inerte ou vivant, nous est familière : c’est par les outils que nous entrons en contact avec le monde, ils se présentent comme des mixtes d’homme et de monde.
28En revanche, la représentation de la technique comme coupure ou comme discontinuité entre les deux mondes humain et physique est bien moins évidente et bien plus dérangeante. Il est question ici de cette seconde représentation, établie notamment par Leroi-Gourhan en ce qui concerne les artefacts et l’espèce humaine, mais qui fait écho aussi aux théorisations relatives à l’autonomie du vivant.
29L’homme a commencé à se couper du monde, à rompre certaines de ses dépendances par rapport à lui dès lors qu’en fabriquant ses premiers outils, il a commencé à se construire son propre monde. Ses artefacts lui permettent ainsi de tenir le monde à distance, de s’en protéger, mais aussi d’acquérir, au fil du temps et au gré de ses inventions, une certaine maîtrise de ses relations avec lui.
30Un exemple simple9 permet de concrétiser cette représentation. Imaginons un collectif quelconque, ville ou collectivité locale, se dotant d’un dispositif d’éclairage artificiel. Il cesse alors de dépendre uniquement de la clarté naturelle telle qu’elle est distribuée par le cycle cosmique des jours, des nuits et des saisons. En construisant son propre monde de clarté, tout se passe comme si le collectif considéré n’était plus assujetti à une relation nécessaire déterminée par le monde physique et par ses lois. Tout se passe comme s’il était parvenu à s’y soustraire dès lors qu’il a acquis la capacité de s’éclairer comme il veut, quand il veut, où il veut, dans les limites des caractéristiques de son dispositif. Ainsi appareillé, ce collectif a désormais la possibilité de s’éclairer par d’autres moyens que ceux que lui impose sa relation de dépendance nécessaire au milieu cosmique. L’acquisition d’autonomie en matière d’éclairage, matérialisée par le dispositif, lui ouvre la possibilité de faire comme s’il ne dépendait plus des déterminismes cosmiques. C’est l’artifice qui permet de faire comme si, c’est-à-dire de simuler ou de mimer une rupture de dépendance, en inventant une relation de possibilité, là où n’existait auparavant qu’une relation déterministe, nécessaire, entre eux. En d’autres termes, le fait qui signale l’acquisition par le collectif d’une maîtrise de ses relations avec le milieu en matière d’éclairage, c’est l’apparition d’une coupure ou d’une discontinuité entre ce collectif et le milieu physique, matérialisée par la membrane artificielle que constitue le dispositif d’éclairage.
31Cet exemple est généralisable à toute espèce d’artefacts. Ces derniers sont toujours réalisés à partir du milieu, en relation avec lui, mais contre lui. Telles des peaux dans lesquelles véritablement les sociétés humaines s’enveloppent et au sein desquelles elles vivent, ces coupures homme-monde sont réalisées de proche en proche, au fil des temps et au gré des inventions. Elles peuvent en définitive se lire comme autant de membranes artificielles qui progressivement, s’élaborent : elles s’épaississent, s’élargissent, se densifient et se complexifient par imbrications, pliages ou superpositions, dans toutes les directions et à toutes les échelles d’espace et de temps.
32Par ces processus constructeurs de discontinuités, monde humain et monde physique en viennent progressivement à se différencier, à devenir étrangers l’un à l’autre.
33Pour autant, et dans le même mouvement ces dispositifs artificiels n’en sont pas moins autant de ponts construits entre les deux mondes, qui entretiennent entre eux des échanges incessants. Ils constituent par ailleurs autant de points d’appui et de supports susceptibles de relancer, toujours et encore l’exploration du monde, c’est-à-dire en fait la construction d’un continuum artificiel entre monde humain et monde physique.
CONCLUSION
34C’est bien la technique qui, dans les sociétés humaines permet au discret, au fini, de surgir de l’infinie continuité de la matière ambiante et qui dans le même mouvement, produit, sans relâche et sans fin, de la continuité artificielle, ici sous forme de clarté, là sous forme de mobilité, ou bien encore sous toute autre forme, et pourquoi pas sous forme de compréhension, si tant est que la compréhension du monde correspond elle-même à une forme de continuité artificielle entre le monde humain et monde physique.
35Nos artefacts doivent se lire comme autant d’interfaces entre le continu et le discontinu. Par leur intermédiaire, le discontinu permet d’atteindre le continu et réciproquement. D’un côté les artefacts font obstacle au continu et le discrétisent. Mais d’un autre côté ce processus même de discrétisation est ce qui ouvre, et n’a de cesse d’ouvrir toujours et encore de nouveaux passages qui permettent de transgresser toutes espèces de discontinuités, et de créer de la continuité artificielle, qui imite la continuité du monde.
Notes de bas de page
1 CNRS, Laboratoire Image et ville, Strasbourg.
2 En matière de techniques, le débat sur continu et discontinu porte généralement sur la question de savoir si telle invention ou innovation technique s’inscrit dans une évolution continue du changement technique, ou bien si elle correspond à une rupture, à une mutation ou à révolution technique. Il s’agit d’un débat d’histoire des techniques, plus temporel que spatial, animé notamment par les historiens, les anthropologues, les philosophes ou les économistes.
3 Arbaret-Schulz C., 2002, Les villes européennes, attracteurs étranges de formes frontalières nouvelles”, 213-230, in Reitel. B. Zander P., Piermay I.-L., Renard I.P. (dir.) Villes et frontières, Éditions Anthropos-Economica, Collection Villes.
4 Ici, au sens littéral : ce qui se tient dessous.
5 On notera en effet que les agglomérations urbaines qui imbriquent une telle densité inextricable de matérialité physique, technique et humaine, qu’elles constituent elles-mêmes des sortes de supports “artificiels” qui eux-mêmes confèrent aux “réseaux techniques urbains” leurs spécificités : on quitte alors la grande vitesse ferroviaire, autoroutière ou aérienne, pour la petite vitesse des circulations intra-urbaines infiniment variées et complexes - circulations des choses, des signes, des populations humaines, circulations individuelles ou collectives, piétonnes ou motorisées, souterraines, en surface ou en hauteur.
6 Les différentes espèces de réseaux mimétisent leurs supports physiques matériels en ce sens qu’ils leur ressemblent tout en étant différents : ils sont à la fois mêmes et autres.
7 Les coûts exorbitants de ces dispositifs imposent une fréquentation massive et continue des équipements.
8 On se reportera à Arbaret-Schulz C., op. cit. où l’analyse des évolutions des services douaniers au sein des frontières réticulaires a fait l’objet de longs développements.
9 Cet exemple est longuement développé dans Géopoint 1998 sous le titre Ces espaces décideurs qui nous appareillent - le cas de l’éclairage urbain.
Auteur
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Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume 2
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
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2006
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