Comment passer du stationnel au continu, puis du continu au discontinu, ou quelques réflexions sur la “petite dialectique” du naturaliste
p. 373-391
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
2Note portant sur l’auteur2
« Les romanciers et les moralistes d’aujourd’hui renseigneront très bien la postérité sur nos habitudes et notre sensibilité, très peu sur les connaissances et les interprétations répandues dans la société actuelle au sujet du monde physique et des forces naturelles. Or ces connaissances et ces interprétations sont les éléments de la petite philosophie de l’Univers que chacun se fait plus ou moins obscurément »
(C.V. Langlois, 1911 cité par Y. Chatelin, 1979)3.
3Au sein de cette petite philosophie de l’Univers, la petite philosophie du savant, “principalement faite de toutes les habitudes de pensée, de tous les acquis bons ou mauvais, formés dans le passé, et qui persistent sans que l’on y prête beaucoup d’attention” (Y. Chatelin, l.-F. Richard, G. Riou, 1986)4 s’observe à l’analyse des pratiques engagées. Dans les sciences du sol, elle s’exprime essentiellement par un recours à l’analogie avec le fonctionnement du vivant et par un besoin d’ordre qui se traduit principalement par la quête effrénée d’une “classification universelle”. L’existence d’un “individu-sol” parfaitement délimité, tant dans ses contours que dans ses attributs, s’impose absolument : une pensée “continuiste” exclurait à l’opposé toutes formes de taxo-chorologie. C’est en ce sens que le besoin de découper l’espace, la “choromanie”, participe de cette “petite philosophie”.
4Il existe néanmoins dans nos disciplines naturalistes un second élan qui produit un effet contraire : la quasi-totalité de nos données (à l’exception de quelques informations satellitales), sont rassemblées selon un mode idiographique. Cette modalité, impérieuse, est le résultat de l’impossibilité d’ordre technique (et non conceptuel) de connaître le phénomène étudié en tout point de l’espace. Elle contraint à la mise en œuvre de procédures de collecte, plus ou moins valides sur le plan statistique, souvent mal adaptées car empruntées là encore au monde du vivant.
5Dans une démarche scientifique dont le but ultime est la prévision, il s’agit ensuite de passer par des systèmes de généralisation, de lissage, d’interpolation, de ces données localisées... et par essence discrètes... à une production de données cette fois continues. Ces données ne sont certes pas indépendantes, encore moins nouvelles : elles prolongent spatialement les données premières. Par la suite on tranchera selon les besoins (et les seuils que l’on se donne) et les partitions qui s’en suivent seront l’objet de nouvelles classifications.
LA “PETITE DIALECTIQUE” DU NATURALISTE
6Continuité et discontinuité participent comme tant d’autres duettistes célèbres (inerte et vivant, homogène et hétérogène, unité et diversité, froid et chaud, plat et pentu, bas et haut, etc.) à un mouvement dialectique.
7Il s’agit là d’une “petite dialectique” qui ne dit pas ses présupposés et parle peu d’elle-même. Cette dialectique ne s’articule pas selon le modèle classique par lequel la thèse (ici celle du continu ou son contraire) et l’antithèse (ici le discontinu ou son contraire) se résolvent en une synthèse. La synthèse est impossible, faute d’un ordre supérieur. “Continuité” et “discontinuité” sont généralement pensés dans les termes de la négation : ils sont niés l’un par l’autre. À ce stade, les protagonistes se répartissent déjà : les tenants du partage d’un coté, ceux du passage de l’autre. Le sol, la végétation, le climat sont pensés, soit continus, soit discontinus. De ces énoncés a priori dépendent les pratiques. Les méthodes et techniques engagées sont subordonnées au postulat initial : là la recherche des seuils, la classification et la carte, ici l’analyse des processus dont on sait qu’ils se chevauchent ou se relaient, articulant pôles et intergrades. Une telle dialectique des contraires portent en elle les germes de sa propre destruction : pas de progression ni de va et vient entre les termes...
8Or le sens commun nous dit bien que tel phénomène apparaît plus ou moins continu, ou plus ou moins discontinu dans l’espace (ou dans le temps !), que c’est une question de point de vue, dans tous les sens, altitude, angle de vue, éloignement et sans doute projet - la limite devient floue lorsque l’on cligne des yeux.
9Il semble donc possible de penser “continuité” et “discontinuité” comme attributs d’une unité commune, comme “froid” et “chaud” pour le climat ou “bas” et “haut” pour le relief. Il ne s’agirait donc plus d’une dialectique de la contradiction mais d’une dialectique de la différence. Ce qui est continu ou discontinu, ce n’est ni l’espace, ni le phénomène, c’est la répartition du phénomène dans l’espace... En ce sens, continuité et discontinuité participent conjointement de l’analyse spatiale.
10Pourtant on sait que l’un ou l’autre, l’un et l’autre, sont artifices justifiés par des conventions plus ou moins reconnues par les membres du microcosme scientifique où elles sont utilisées.
11Il y a artifice de la discontinuité lorsque la ligne devient surface, lorsque ce trait qui sépare forêt et savane sur la carte s’avère un écotone large d’une quinzaine de mètres, ou lorsque la surface devient volume, lorsque la surface de la surface du sol devient volume de la surface du sol.
12Il y a artifice de la continuité lorsque l’on passe de la forêt à l’arbre, puis à la branche, puis à la feuille, avec la production dans un ultime zoom, d’une collection d’objets, composants de la géosphère, susceptibles de mesures physiques dont on ne peut guère douter qu’il s’agit bien là d’objets localisés et discrets.
13On voit ici le rôle ambivalent du zoom : dans la continuité forestière, il montre la discontinuité de l’individu ou de l’élément végétal, dans la discontinuité qui sépare les formations, il montre la continuité des passages...
14On pourrait alors imaginer une autre dialectique qui articulerait continuité et discontinuité perçues dans leur antagonisme (le pour et le contre) et continuité et discontinuité perçues dans leur complémentarité (passage biunivoque de l’un à l’autre).
MISE EN ŒUVRE CHEZ LE GÉOGRAPHE, À LA RECHERCHE DES DISCONTINUITÉS CLIMATIQUES…
15Cette “petite dialectique” du naturaliste se développe sans trop d’état d’âme (ou sans les dévoiler) en considérant que toute démarche, parce qu’elle est établie, fait en quelque sorte jurisprudence. Elle est ainsi en action dans le protocole qui vise à caractériser, à partir des données de quelques stations météorologiques, un ou des climats régionaux. C’est cette procédure engagée par l’un de nous (Jean-Charles Filleron, 1995)5 et réactualisée par l’utilisation du logiciel de cartomatique Philcarto (p. Waniez, 1999)6 qui sera ici exposée et commentée.
16Il s’agit de réaliser un plan d’échantillonnage assurant la localisation de stations d’étude du milieu dans le Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire en tenant compte de trois facteurs, nature du substrat rocheux, pression démographique et caractéristiques de la pluviosité.
DES DONNÉES DISCRÈTES ET LOCALISÉES
17On ne peut guère rencontrer données plus discrètes et plus localisées : l’eau de pluie est recueillie dans des pluviomètres dont la section est égale à 136 cm2.
18Toutes les stations étudiées doivent présenter une chronique identique : l’étude traite de la pluviosité entre 1967 et 1978. Ces douze ans constituent la chronique la plus longue repérée dans le plus grand nombre de stations. Quatorze stations sont alors retenues. Ce rapport 12/14 ans est empiriquement acceptable, le territoire étudié couvrant 50 000 km2, la densité spatiale prime sur la densité temporelle.
19On notera comme une curiosité que c’est la pluie recueillie sur une surface totale de 1,9 dm2 qui nous autorise à caractériser la pluviosité sur une superficie de près de 50 000 km2. Le rapport entre superficie échantillonnée et superficie étudiée est donc de 1 à 2,6E11...
20On notera aussi que la localisation des stations pluviométriques (les principales villes ou quelques gros villages accueillant un service agronomique) ne répond à aucun critère scientifique et que c’est abusivement que ces stations sont perçues comme des échantillons... Aucune théorie de l’échantillonnage n’accepte de choisir dans une population par essence non finie. À condition que les sections des vases des pluviomètres soient carrées, il faudrait près de 3 700 milliards de pluviomètres pour couvrir l’ensemble du terrain...
CONTINUITÉ ET DISCONTINUITÉ EN ANALYSE UNIVARIÉE
21L’objectif étant de caractériser la pluviosité en tout point du territoire, la première étape consiste à comparer entre elles les données des stations retenues. Cette comparaison, réalisée par une cartographie exploratoire à l’aide de Philcarto, vise à identifier les différentes valeurs et à juger des relations de voisinage entre les sites.
L’EXAMEN DE LA HAUTEUR DES PLUIES : LES DONNÉES DISCRÈTES
22Une analyse sommaire des chroniques nous renseigne sur la hauteur de la pluviosité. Les caractères, moyenne, médiane, maximum, minimum, étendue, écart-type, rapport maximum/minimum, coefficient de variation, identifient des paramètres qui interviennent dans la dynamique générale de la végétation et de la surface du sol.
23Autant de cartes que de paramètres retenus ont été réalisées. Nous avons ici privilégié, comme cela est de tradition - peut être discutable -, la valeur moyenne de la pluviosité des stations.
24Dans Philcarlo, la discrétisation retenue est le Q6, fondée sur la médiane, les quartiles et les pourcentiles : rien ne nous permet en effet de penser que la distribution des stations relèvent de la loi normale et que la moyenne ait ici un sens.
25Un examen rapide de la carte fait apparaître un gradient est-ouest de l’élévation de la pluviosité. On a noté en outre la singularité de la station de Boundiali dont la hauteur de la pluviosité tranche avec celle des stations voisines.
26Si les modalités de la discrétisation sont modifiées, ici le choix de classes d’égale amplitude, une discontinuité forte apparaît. Deux territoires s’opposent de part et d’autre d’une diagonale NW SE. Le contraste, saisissant, est du à l’absence de stations caractérisées par une pluviosité comprise entre 1 300 et 1 400 mm. Boundiali perd de sa singularité.
27On constate ainsi que la mise en évidence ou non d’une continuité (l’évidence d’un gradient régulier) ou d’une discontinuité (l’existence d’une rupture) dépend essentiellement du choix des paramètres de la discrétisation et non pas des valeurs observées dans chacun des sites.
L’EXAMEN DE LA HAUTEUR DES PLUIES : LA GÉNÉRALISATION
28Après examen de la répartition des caractères associés aux différentes stations, on cherche à qualifier l’ensemble du territoire de façon à prédire les valeurs susceptibles d’être prises par un point quelconque de l’aire. En règle générale, la méthode utilisée est celle de l’interpolation linéaire par triangulation.
29Chaque station constitue le sommet d’un système de triangles qui couvre l’ensemble du territoire. On notera cependant qu’échappe à l’analyse, toute portion d’espace située hors des triangles localisés à la périphérie. Un artifice graphique, fondé à la fois sur une estimation des tendances des isolignes et sur une appréciation esthétique du dessin permet de prolonger le tracé des courbes hors du périmètre de validité et de supprimer les espaces “en blanc”. Lorsque la densité des points cotés le permet, Philcarto propose une “solution heuristique” qui consiste à construire une triangulation “virtuelle” dans l’espace compris entre le système de base et le quadrilatère dans lequel s’inscrit la région étudiée, de produire les isoplèthes puis de trancher à l’emporte-pièce en utilisant la forme du territoire cartographié.
30D’apparence simple, cette forme de généralisation suppose l’adhésion au postulat de l’autocorrélation spatiale selon lequel deux voisins ont plus de chance de se ressembler que deux lieux éloignés. Sans doute cette notion que l’on a qualifiée de “consubstantielle à la géographie”, participe-t-elle de notre petite philosophie...
31Plus prosaïquement, l’utilisation d’une telle méthode suppose l’hypothèse, jamais validée et rarement énoncée, d’une continuité des valeurs entre chacun des sommets d’un triangle. Elle énonce de même l’égale représentativité spatiale de chacun des sites.
32Aucune des valeurs stationnelles n’a été transformée. Sur la carte ainsi obtenue, on remarquera cette fois l’incongruité de l’apophyse dessinée en direction de Boundiali.
33La seconde méthode, plus sophistiquée sur le plan mathématique, est celle du lissage par réalisation de surfaces de tendance. L’analyse en surface de tendance vise à décomposer un phénomène que l’on estime continu en série de composantes qui résultent d’influences s’exerçant sur des étendues de plus en plus petites. La structuration de l’espace résulterait de processus généraux affectant la totalité de l’espace étudié (également ses voisins les plus éloignés), régionaux couvrant la majeure partie de l’aire étudiée, locaux, ne concernant qu’une portion de l’espace étudié : elle est en cela une “analyse en composantes d’échelle”. Elle est basée sur l’hypothèse selon laquelle la répartition spatiale peut être représentée par des surfaces continues définies par des fonctions géométriques : elle résulte de la combinaison de ces surfaces et d’un terme local, ici la hauteur de la pluviosité. Selon cette hypothèse, il est possible de calculer des estimations, donc de prévoir, sur des coordonnées x, y dans l’ensemble de l’espace et de les cartographier avec des isolignes.
34L’AST peut de ce fait être aussi considérée comme une technique de lissage spatial dont l’objectif est d’éliminer des variations locales pour retenir seulement une surface qui rend compte de la manière la plus fidèle possible de la variabilité régionale.
35On pourra préférer, par une série d’ajustements de plus en plus complexes, examiner la signification géographique du plan puis des surfaces successives et en rechercher les causes.
36La carte produite fait bien apparaître un accroissement régulier de la pluviosité d’est en ouest. En fait, toute carte produite par l’AST, quelle que soit la collection des valeurs utilisées, fera apparaître un gradient régulier même s’il n’existe pas de gradient régulier ! Une fois n’est pas coutume, la lecture de la carte peut entraîner le lecteur à une vision erronée de la répartition du phénomène étudié. C’est l’examen du coefficient R2 %, pourcentage de la variance de la variable de tendance absorbé par la surface de tendance qui permettra de juger de la qualité de l’ajustement. Encore faut-il savoir ce que signifie, pour la variable étudiée, les valeurs du coefficient ! Si le phénomène étudié connaît, par essence, une répartition continue et régulière (le cas des valeurs de la pente d’un glacis, par exemple) un ajustement caractérisé par un R2 % très élevé pourra être jugé médiocre. Dans le cas inverse, celui de la variable décrétée discontinue, un coefficient de corrélation même peu élevé, sera considéré comme heuristique.
37L’interprétation de la qualité de l’ajustement s’inscrit donc dans cette “petite dialectique” du continu et du discontinu qui estime que la répartition d’une variable puisse être plus ou moins continue ou discontinue et qu’il existe une quantité, la variance, qui mesure cette qualité.
38L’examen de la carte des résidus qui localise les écarts entre les valeurs mesurées des stations et les valeurs estimées de ces mêmes stations sur la carte de la surface de tendance permet de repérer les exceptions. Ces écarts, positifs ou négatifs, mesurent régionalement la discontinuité de la variable et localement la spécificité de certains sites.
39Ce système nous renvoie à un discontinu épuré : tout se passe comme si l’AST avait, dans un premier temps extrait des valeurs discrètes initiales la part du continu et du régulier puis proposé une nouvelle lecture des singularités. À la dialectique du continu et du discontinu se superpose donc celle du nomothétique et de l’idiographique.
40Ici quatre stations, Boundiali, Dembasso, Sanhala et Tafiré présentent en valeur absolue un écart entre les deux valeurs compris entre 10 et 20 %. En fait, seule la première s’inscrit en opposition avec le gradient déterminé par l’AST.
41Ceci nous conforte dans l’idée du caractère exceptionnel de ce site dont on a pu aussi juger de la spécificité dans les cartographies des autres caractéristiques de la hauteur de la pluie (médiane, pluviosité maximale, étendue, rapport maximum-minimum, écart-type, coefficient de variation).
42La spécificité de la station a de ce fait été testée en éliminant la station et en produisant une nouvelle carte de la surface de tendance d’ordre 2 : ni la valeur moyenne du gradient, ni sa direction ne change significativement, mais la valeur qui mesure la qualité de l’ajustement passe de 74,55 % à 85,45 %.
43Une interprétation générale de la répartition des pluies peut alors être proposée, qui permet de comprendre le fonctionnement de la répartition. La continuité, exprimée par une diminution régulière de la pluviosité de l’ouest-sud-ouest vers l’est-nord-est, correspond à la direction générale du flux de mousson, perpendiculaire à la côte de Guinée, aux déperditions liées à la distance parcourue et à l’effet orographique produit par les inselbergs du Nohoulou. La discontinuité produite par les stations localisées à la périphérie orientale des monts du Nohoulou, s’expliquent sans doute par la part, dans la pluviosité générale, des perturbations cinétiques provoquées par l’écoulement du jet d’est africain dont les manifestations orageuses sont d’autant plus violentes qu’elles se heurtent ici à la barrière des chaînes d’inselbergs...
L’EXAMEN DE LA SAISONNALITÉ DES PLUIES
44À partir des quatorze chroniques, différents caractères permettent de mesurer la répartition saisonnière de la pluviosité. Ces variables, souvent négligées (dans ce type de “reconnaissance”, on se contente généralement d’examiner les hauteurs des pluies), commandent la phénologie végétale et le régime hydrique du sol.
45Une collection de cartes sont établies selon les variables suivantes : nombre de jours de pluie, nombre de mois à pluviosité nulle, nombre de mois très secs à pluviosité comprise entre 0 et 50 mm, nombre de mois secs à pluviosité comprise entre 50 et 100 mm, durée de la saison sèche en mois).
46Une analyse un peu plus complexe permet le classement des années selon des régimes pluviométriques typiques. Douze types reconnues sont réunis en trois types simplifiés : unimodal typique (alternance d’une saison sèche et d’une saison pluvieuse), unimodal atténué (un mode secondaire apparaît en saison des pluies, mais tous les mois sont humides), bimodal (un ou deux mois secs - petite saison sèche - s’intercalent entre les mois humides).
47Des résultats produits selon une procédure identique à celle qui a été suivie dans l’exploration des données qui mesurent la hauteur des pluies, seront ici brièvement commentés, ceux qui traitent de la répartition de la durée moyenne de la saison sèche.
48L’amplitude de la variation de la longueur de la saison sèche est particulièrement importante sur un territoire somme toute réduit : environ un mois et demi...
49On notera une répartition latitudinale, la durée de la saison sèche s’accroissant du sud vers le nord, et le cas particulier de deux stations à saisons fortement contrastées, Dembasso et Kouto, localisées sur le flanc oriental des monts du Nohoulou.
50L’examen de la carte en AST confirme cette impression, même si R2 %, égal à 56,06 %, est modéré. Un gradient très net se développe du sud vers le nord et s’incurvent vers le nord-est dans le nord-est du territoire.
51Ce gradient pourrait signifier l’influence du déplacement longitudinal de la masse d’air tropical sec qui, engendrée par les Rautes Pressions sahariennes, installe la saison sèche.
CONTINUITÉ ET DISCONTINUITÉ EN ANALYSE MULTIVARIÉE
52L’existence révélée par l’exploration cartographique de continuités contradictoires entre hauteur et répartition saisonnière des pluies impose la prise en compte simultanée des différentes variables de la pluviosité : seule une analyse multivariée semble pouvoir permettre une discrétisation spatiale globale de la variable “pluviosité”, un découpage régional susceptible d’organiser la distribution des sites d’observation des milieux.
53Philcarto propose deux ensembles de techniques susceptibles d’assister dans l’exploration des données, classification ascendante hiérarchique, CAH, d’une part, analyse en composantes principales, ACP, et analyse factorielle des correspondances, AFC, d’autre part.
54Dans la dialectique du continu et du discontinu, ces deux ensembles fonctionnent très différemment.
LA CAH EN ACTION
55La CAH, à partir de données enregistrées sur des points de mesure discrets dans l’espace, produit de nouveaux individus ou “association d’individus” par essence aussi discrets que les précédents... Les typologies emboîtées proposées peuvent être considérées comme des synthèses régionales.
56Deux CAH ont été réalisées sur les deux ensembles de variables, hauteur et saisonnalité des pluies...
57Dans la mesure où les stations appartenant à une même classe sont contiguës, on peut considérer que le principal intérêt chorologique de la CAH est de mettre en valeur des régions que l’on qualifiera d’homogènes vis-à-vis des variables entrant dans l’analyse. Ici les trois classes qui prennent en compte 80 % de la variance du tableau produisent trois régions.
58Il s’agit là encore d’un mouvement dialectique entre une continuité spatiale assurée par la classe unique qui rassemble les quatorze stations analysées - et qui produit une région unique mais qui rassemble une diversité maximale - et une discontinuité totale, à la base de la hiérarchie qui se caractérise par un retour à la discrétisation initiale - autant de régions qu’il y a de stations - avec une homogénéité absolue.
59L’on tranchera dans la partition à un niveau de la hiérarchie que l’on jugera optimal, tant du point de vue taxonomique (importance de la pourcentage d’inertie) que du point de vue chorologique (homogénéité des régions produites par la CAH). À la dialectique du discontinu et de continu s’intègre celle du taxon et du chore.
60Une comparaison entre les résultats des deux CAH à un même niveau taxonomique fait apparaître une plus grande diversité observée dans les classes issues de l’analyse de la saisonnalité. Le pourcentage d’inertie qui mesure l’homogénéité vaut respectivement 52,2 % et 80 %.
61Entre les deux cartes, la différenciation régionale est très faible : seule la station de Sanhala change de statut...
L’ACP EN ACTION
62Les analyses factorielles procèdent très différemment. Quelques facteurs sont extraits de l’analyse de la matrice initiale qui expliquent la variation analysée. En ACP, les individus et/ou les variables sont localisés par projection sur des plans formés par les axes factoriels pris deux à deux.
63La méthode usuelle consiste généralement à délimiter dans l’espace, par essence continu, produit par les facteurs (entre deux sites ou deux variables, il est toujours possible d’imaginer un site ou une variable...) des nuages de points. Philcarto, tout en permettant aussi ce genre d’analyse, libère de cette contrainte en proposant une cartographie des individus fondée sur leurs coordonnées factorielles.
64Les tons bleus désignent les sites dont les coordonnées sur le premier axe apparaissent négatives. Ils s’agglomèrent pour former une région nord-ouest homogène. Les caractères discriminants peuvent être lus sur le plan factoriel. La partie négative de l’axe oppose moyenne pluviométrique forte, régime unimodal typique et nombre important de ours de pluie au reste des variables. La région se caractérise donc par un régime pluviométrique de type tropical et une très forte pluviosité. À l’est, les stations sont déterminées par des régimes souvent de type équatoriaux (fréquence des distributions bimodales) et une moindre pluviosité. La cohérence spatiale est moins soutenue : les trois stations aux valeurs extrêmes, Ouangolo, Dembasso et Tengréla, se répartissent au nord, à l’est et au centre.
65La seconde carte présentée localise les sites en fonction de leur coordonnée sur le deuxième axe factoriel. La discrétisation est plus complexe : l’espace est davantage discontinu et de nombreuses stations voisines (Tengréla, Kouto, Dembasso, Boundiali en bordure est des monts du Nohoulou) présentent des caractères antinomiques. Ici la région se confond avec l’environnement spatial d’un site unique. Et l’on pourra toujours s’interroger sur la représentativité spatiale de telles stations - le kilomètre carré, la dizaine, la centaine de kilomètres carrés, rien ne permet d’en décider... Les partitions se fondent sur l’opposition entre les sites que caractérisent un nombre de mois à pluviosité nulle important, Tengréla, Boundiali, et ceux qu’identifient la forte fréquence des mois secs et très secs : le deuxième facteur exprime l’intensité de la saison sèche.
66Les procédés cartographiques associés à l’analyse en composantes principales sont essentiellement discrétisants. Associant l’examen des ressemblances et des voisinages, ils permettent de mesurer homogénéité et hétérogénéité à la fois dans les rassemblements spatiaux et les contenus descriptifs des sites.
67On constate encore ici une consolidation de la dialectique du continu et du discontinu, renforcée par celle de l’unité et de la diversité.
68Les coordonnées factorielles étant transformées en nouvelles variables dans le tableau des données, il est possible de les utiliser pour tester leur éventuelle continuité. Des cartes en AST sont de nouveau réalisées.
69La première carte illustre parfaitement le gradient déjà perceptible sur la carte dessinée à partir des coordonnées factorielles sur la première composante. Forte pluviosité tant de la moyenne que dans le nombre de jours de pluie et “tropicalité” de la saisonnalité organisent, en opposition avec le reste des variables, une surface continue et régulière.
70Peut être est-il possible de considérer R2 % qui vaut ici 80,8 %, comme l’indicateur de cette continuité climatique ?
71La seconde carte ajuste à une surface les coordonnées factorielles de la deuxième composante qui s’identifie à l’intensité de la saison sèche. Un examen de la forme fait apparaître une zone méridienne centrale axée sur la bordure du Nohoulou fortement corrélée aux valeurs positives de la composante. Au centre de cette dorsale s’alignent les stations caractérisées par le plus grand nombre de mois à pluviosité nulle : 36 mois secs à Boundiali, 31 à Dembasso, 33 à Tengréla.
72Mais la valeur de l’ajustement, R2 % égal à 17,56 %, montre la faiblesse de la corrélation entre la surface ajustée et les valeurs des coordonnées factorielles.
73Tout au long de cette analyse, on a pu mettre en évidence la particularité de la station de Boundiali dont on finit par croire qu’elle ne représente que les 136 cm2 de son pluviomètre.
74Une nouvelle matrice dont Boundiali est exclu est analysée en ACP. Si la première composante n’est guère modifiée, il n’en est pas de même du deuxième facteur. Il reste néanmoins l’expression de la sécheresse saisonnière : à la durée de la saison sèche s’associent le nombre des mois très secs et à pluviosité nulle. Maninian, Sanhala, Tengréla, Ouangolo, s’associent sur l’extrémité négative de l’axe - dont la polarité s’est inversée.
75La surface de tendance offre alors une organisation calquée sur celles des parallèles, plus conforme au fonctionnement saisonnier de la sécheresse dans la région.
76De cette dialectique appliquée du continu et du discontinu à l’aide de la cartographie exploratoire, un des résultats les plus probants est ici l’élimination de la station la plus “discontinue”. Il en demeure une contradiction mal surmontée au sein d’une démarche qui veut que seule une connaissance parfaite de la répartition du phénomène sur l’ensemble du territoire autorise à affecter à chacun des sites une aire d’influence dont la délimitation est nécessaire à la généralisation imposée.
77Selon le principe de l’exhaustivité, la somme de ces aires d’influence doit être égale à la superficie totale de l’espace étudié. Pour en revenir à la perspective initiale de notre analyse, le Nord-Ouest ivoirien a été partagé en trois provinces, province occidentale caractérisée par une pluviosité moyenne supérieure à 1 300 mm, province septentrionale dont la pluviosité est inférieure à 1 300 mm et dont la saison sèche excède sept mois, province orientale dont la pluviosité est inférieure à 1 300 mm et dont la saison sèche est inférieure à sept mois.
78On se place ici dans de la discontinuité a priori bien affirmée.
79Nous avons voulu à travers l’exposé de cette démarche “prétexte” illustrer la “petite dialectique” du géographe lorsqu’il opère dans le continu et le discontinu, ce qui est toujours le cas. Ici, aucune exclusive, un va et vient permanent entre ces deux pôles dans un espace intellectuel sans doute continu... Et ce n’est pas l’un des moindres intérêt de Philcarto que de faciliter ce mouvement grâce à une interface singulièrement commode.
80L’épithète “petite” qui qualifie cette dialectique n’a rien de péjoratif : il exprime les limites, les doutes, voire les incohérences inhérents à nos problématiques, limites, doutes et incohérences que l’on réussit toujours par dépasser par la mise en œuvre de notre raison pratique.
Notes de bas de page
1 Géographe, professeur à l’Université de Toulouse Le Mirail.
2 Géographe, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement, Paris.
3 1911, La connaissance de la nature du monde au Moyen-Âge, Hachette, Paris, 400 p. Y. Chatelin, 1979, Une épistémologie des sciences du sol, ORSTOM, Paris, 151 p.
4 1986, “Du milieu naturel, comme lieu de rencontre du sens commun, de la pensée philosophique et de la démarche scientifique” in 1986, Milieux et paysages, Masson, Paris, 153 p.
5 1995, Essai de géographie systématique : les paysages du Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, Thèse de Doctorat d’État, Univ. Toulouse 2, 4 tomes et annexes, 2 767 p.
6 1999, La cartographie des données sociales et économiques avec philcarto et philexplo, L’Harmattan, paris, 157 p. (Philcarto est en téléchargement libre sur http ://perso.club-internet.fr/philgeo).
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Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume 2
Action concertée incitative Ville. Ministère de la Recherche
Émilie Bajolet, Marie-Flore Mattéi et Jean-Marc Rennes (dir.)
2006
Quatre ans de recherche urbaine 2001-2004. Volume I
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2006