Les systèmes fluviaux et leurs bordures : continuité ou discontinuité ?
p. 181-191
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur1
INTRODUCTION
2La particularité des milieux alluviaux, est qu’ils sont associés à l’écoulement concentré des cours d’eau. Ils sont donc a priori, organisés autour d’un élément linéaire dynamique. C’est ce que reflète la réflexion qui a conduit au concept de continuum fluvial (Vannote et al., 1980) élaboré pour les cours d’eau des latitudes élevées (Hynes 1975, Minshall et al. 1985, Naiman et al., 1987).
3Cependant, Junk et al. (1989) ont également proposé, en réponse à ce concept de continuum fluvial, et à la lumière de leurs observations sur les milieux équatoriaux, un autre concept reposant sur l’idée d’un milieu transitionnel entre les systèmes aquatiques et terrestres. Ils ont qualifié ce milieu transitionnel de littoral mobile, car ici la “solidarité longitudinale” décrite quant à l’écologie des systèmes fluviaux des hautes latitudes, prévaut transversalement depuis la berge vers l’intérieur des plaines inondables : la limite entre milieux aquatique et terrestre y est d’autant moins perceptible que la plaine alluviale est large, et ce littoral mobile s’étend sur de vastes superficies de part et d’autre des écoulements majeurs (Junk 1989, Carling & Petts, 1992).
4On est donc en présence de deux conceptions opposées du système fluvial : l’une fondée sur la perception d’une discontinuité le long des systèmes d’écoulement (latitudes élevées), l’autre sur l’absence de perception de limites, qui conduit à une conception aréolaire des plaines inondables dont les bordures évoluent dans l’espace de façon graduelle et continue vers les interfluves (basses latitudes).
5En reprenant ce binôme : hautes latitudes/atitudes équatoriales, on peut donc s’interroger sur les éléments du milieu qui conduisent à cette perception bien distincte d’un phénomène fondamentalement identique - l’écoulement d’un cours d’eau entre ses berges -, par l’observation des dynamiques fluviale et végétale, et de leur expression combinée dans l’espace et dans le temps, variable en fonction de la latitude.
LA RÉPONSE DES VÉGÉTATIONS À L’ÉDIFICATION DES PLAINES ALLUVIALES
6La géomorphologie des plaines alluviales se caractérise sous toutes les latitudes par l’existence de levées alluviales drainées, parallèles aux cours d’eau, séparées par des dépressions argileuses plus longuement inondées, et à drainage déficient (Sternberg, 1957, 1960 ; Michel, 1963 ; Hickin, 1974 ; Hickin et Nanson, 1975 ; Nanson, 1980 ; Michel et Sall, 1984 ; Salo et al., 1986 ; Kalliola et Puhakka, 1988 ; Lamotte, 1990, 1993 ; Kalliola et al., 1993). Du fait de l’allongement des méandres, les reliefs sont de plus en plus anciens au fur et à mesure que l’on pénètre à l’intérieur des terres le long de l’axe de cet allongement. Les variations à grande échelle de la végétation sont contrôlées par un complexe de gradients associés au temps, et à l’élévation des terrains sous l’effet de la sédimentation induite par les crues.
7Sous les hautes latitudes, les levées et les dépressions sont suffisamment contrastées pour donner lieu au développement en bandes distinctes de végétations repérables sur photographie aérienne (Kalliola et Puhakka, op. cit.). Mais la construction des levées est lente, les dépôts peu volumineux, et effectués au sein d’une dynamique fluviale peu active (courants et charge sédimentaire faibles) (Nanson, 1980). Les reliefs sont étroits, la durée de leur formation puis de leur évolution est longue, la durée d’inondation peu constrastée d’un site à l’autre. Ils sont rapidement masqués par le développement d’une végétation peu différenciable sur le terrain (Nanson, 1980). Les dépressions sont identifiées par leur drainage déficient caractéristique, mais les levées ne sont plus mentionnées en tant que telles, et seulement qualifiées de “well-drained floodplain areas” (Kalliola et Puhakka, op. cit.). L’ensemble constitue des zones humides limono-argileuses, tapissées de dépôts fins indicateurs d’une dynamique modérée.
8En revanche, l’étude de la structure des végétations sur les méandres des rivières de haute Amazonie montre l’existence sur les reliefs jeunes de deux grands types de végétations bien distincts structuralement et floristiquement, correspondant à l’alternance des levées et des dépressions (Salo et al., 1986, Lamotte, op.cit., 1996). Les stades pionniers respectifs, graminéens, puis arbustifs, puis arborescents, se déroulent grâce à la présence d’espèces distinctes, adaptées aux conditions édaphiques et d’inondation correspondant soit à celles des levées (sableuses, drainantes, inondées sur de faibles périodes, ou à l’abri des inondations certaines années), soit à celles des dépressions (argileuses, humides voire imbibées, inondées sur des périodes pouvant atteindre plusieurs mois par an).
9Cette alternance des levées et des dépressions se distingue très nettement à travers le paysage végétal, non seulement sur photographie aérienne, mais aussi sur le terrain, et à l’opposé, également sur les images satellitales. Elle est donc suffisamment ample dans l’espace horizontal, pour être visible à toutes les échelles sur de grandes étendues (Lamotte, 199 ; Kalliola et al, op. cit.).
10La réponse des végétations à l’édification des plaines alluviales se manifeste donc à une échelle contrastée entre hautes et basses latitudes. Dans le premier cas, elle est rapidement uniforme, dans le second, elle est fortement différenciée entre les levées alluviales et les dépressions, et le reste pendant des décennies (Lamotte, 1993).
CONTRAINTES ABIOTIQUES ET STRUCTURE FORESTIÈRE
11L’observation des végétations alluviales d’Amazonie permet de mettre en évidence trois situations caractéristiques en fonction de la sévérité des contraintes hydriques. Dans les dépressions longuement inondées, les processus successionnels sont ralentis, voire indiscernables. Les espèces pionnières se régénèrent, faute de compétiteurs. Il n’y a ni émergents, ni sous-bois, et la hauteur des arbres reste faible. En second lieu, sur les levées inondées chaque année, les processus successionnels sont seulement perturbés, ce qui se traduit notamment par le caractère compétitif et grégaire de certaines espèces arborescentes, qui paradoxalement adoptent par ailleurs le statut d’émergents dans les forêts alluviales anciennes (par ex. Ficus insipida, Maquira coriacea, Calycophyllum spruceanum, Pseudobombax munguba.). Enfin, sur les levées inondées occasionnellement (lors des plus fortes crues) ou qui ne sont plus inondées, les processus successionnels aboutissent à la constitution d’une forêt stratifiée composée d’émergents, d’une strate moyenne dense et d’un sous-bois, à l’instar des forêts d’interfluves (Lamotte, 1993, 1996).
12La différenciation structurale des forêts sous les tropiques humides en fonction de conditions édaphiques et hydriques contraignantes est confirmée par les travaux d’Oldeman (1974), Jenik (1976), Kahn (1983) et Laumonier (1991). Elle peut être interprétée comme l’expression d’un contexte écologique précis au sein duquel les contraintes édaphiques entraînent une simplification de la structure et la réduction de la diversité spécifique, d’une façon comparable à celle des contraintes climatiques sur les forêts des hautes latitudes (Richards, 1952).
13Cette situation d’opposition sur le terrain entre levées et dépressions masque évidemment de nombreuses situations intermédiaires, et un gradient d’inondation s’exerce, parallèlement au gradient d’intensité des facteurs abiotiques. Avec l’accroissement des contraintes, les grandes espèces arborescentes disparaissent, supplantées par des forêts de plus en plus basses où les niveaux du sous-bois sont de moins en moins fournis, puis la végétation ligneuse ne se développe plus, remplacée par des herbacées (Lamotte, 1993). Ce gradient structural des forêts interfluviales jusqu’aux forêts alluviales n’est pas sans rappeler d’une part le passage des forêts complexes aux couverts herbacés spécifiquement pauvres, qui se produit avec l’assèchement des climats tropicaux en direction des moyennes latitudes, d’autre part le passage des forêts des latitudes tempérées vers les toundras herbacées des zones froides. On peut ainsi remarquer que l’altération de la structure des forêts avec l’accroissement de la sévérité des contraintes abiotiques (climatiques - froid, sécheresse, rythme saisonnier - ou hydriques) n’est pas un phénomène inhérent à la latitude (Lamotte, 1996).
FORÊT ALLUVIALE - FORÊT D’INTERFLUVE : CLIVAGE OU CONTINUITÉ ?
14L’étendue de l’inondation dans les forêts alluviales amazoniennes est considérable, puisqu’elle peut multiplier la surface en eau par sept (Lopez-Parodi et Freitas, 1990 ; Lamotte 1993) et atteindre 26000 km2 dans la région d’Iquitos, au Pérou (ONERN, 1980). Elle varie également d’une année à l’autre. Dans la zone intermédiaire du “littoral mobile”, se trouvent donc en mélange les espèces de la plaine alluviale et celles des interfluves. Car s’il existe des plantes particulièrement tolérantes à l’inondation, et d’autres totalement intolérantes, certaines espèces moyennement tolérantes germeront à la faveur d’une succession d’années “sèches”, dans des secteurs d’où elles seraient absentes en cas d’inondation régulière, tandis que des plantes disséminées par l’eau seront absentes de ces sites où leurs graines n’auront pu dans ce cas être déposées. Il existe par conséquent un gradient dans la répartition des espèces, parmi lesquelles il est bien difficile de séparer nettement les espèces d’affinité ripicole des autres, sauf dans le cas de hiatus topographique important (failles encadrant la plaine alluviale par exemple, cf. Dumont et al., 1988, 1990). Huber (1910), Ducke et Black (1953), Aubréville (1965), séparaient nettement la flore alluviale de la flore d’interfluves, tandis que Gentry (1986, 1992) démontrait un net clivage entre les flores par type d’habitat (forte diversité b) et que d’autres inventaires recensent des espèces communes aux interfluves et à la plaine inondable (Pires, 1978 ; Klinge et al., 1990). Les investigations systématiques menées avec C. C. Berg (Store Milde, Norvège) sur le genre Cecropia (Moraceae) ont montré des tendances évolutives divergentes entre plaine alluviale et interfluves chez une même espèce (C. membranacea), qui semblent renforcer les assertions de Huber (op. cit.) qui décrivait au début du siècle la diversification spécifique de ce même genre à partir d’un ancêtre commun, entre la plaine alluviale et les interfluves..
15Des forêts inondables aux forêts interfluviales d’Amazonie, se manifeste donc un gradient continu, à la fois écologique, physionomique et floristique, correspondant au concept de “littoral mobile”.
DIMENSIONS SPATIO-TEMPORELLES DES SYSTÈMES DE MÉANDRES
16En dépit de nombreuses études menées de façon approfondie sur le développement des systèmes fluviaux (Reineck et Singh, 1980 ; Carling et Petts, 1992 ; Bravard et Petit, 1997), les données disponibles sur les dimensions spatiales et la périodicité de formation des levées, durant la migration latérale des rivières, sont à notre connaissance particulièrement rares. Nanson (1980a) et Lamotte (1993) fournissent des données pour deux situations latitudinales contrastées : la rivière Beatton (Canada) et la rivière Ucayali (Amazonie) (Tableau 1).
17Les dimensions spatiales (d) et temporelles (p) sont bien distinctes entre les deux situations, reflétant la différence d’amplitude des phénomènes géodynamiques, en accord avec les caractéristiques climatiques et géographiques des latitudes respectives. La distance entre les levées varie dans un rapport de 1 à 10 en faveur des basses latitudes, l’amplitude topographique varie dans un rapport de 1 à 8, tandis qu’une nouvelle levée se forme en moyenne tous les 27 ans pour la rivière Beatton, et tous les 4,5 ans sur les berges de la rivière Ucayali (rapport de 6 à 1). La similitude du rapport d/h, est par ailleurs remarquable, qui est très probablement le reflet de l’équilibre nécessaire entre les forces et lois physiques à l’œuvre au sein des systèmes fluviaux. Ces chiffres mettent en évidence une opposition entre une dynamique lente donnant naissance à des reliefs peu prononcés et spatialement peu différenciables (Canada), et une dynamique rapide mettant en place des reliefs étendus et relativement contrastés topographiquement, et bien différenciés dans l’espace (Amazonie).
18Étant donné leur rareté, ces données sont à considérer avec prudence. Néanmoins, elles apparaissent en cohérence avec d’autres données d’ordre plus global : l’étendue des grands bassins hydrographiques tropicaux, associée à de forts volumes de précipitations et à une forte capacité d’altération des roches, ainsi qu’à l’absence d’hiver, se révèlent capables de mettre en place des systèmes géomorphologiques aux dimensions particulièrement développées, par opposition à ce qui se passe dans les régions des hautes latitudes (Scandinavie, Canada). Or, c’est précisément sous ces hautes latitudes, que le concept de continuum fluvial a vu le jour, tandis que celui de littoral mobile émane directement des travaux sur l’Amazonie.
19Les dimensions spatio-temporelles comparées entre deux situations latitudinales opposées, expriment donc un contraste important, entre une évolution lente de reliefs de dimensions réduites sous les hautes latitudes, et une évolution rapide de reliefs de grandes dimensions près de l’équateur.
LE SYSTÈME FLUVIAL : GRADIENT LINÉAIRE OU ARÉOLAIRE ?
20L’extension latérale réduite des plaines alluviales sous les hautes latitudes a donc conduit à privilégier la dimension longitudinale des cours d’eau dans l’analyse de ces systèmes. L’évolution des paysages alluviaux y est freinée par le stockage saisonnier de l’eau sous forme de neige ou de glace, simultanément à la baisse des températures et au raccourcissement de la photopériode. Le climat peu agressif pour les sols, la charge sédimentaire et le volume des eaux en circulation relativement modestes, se combinent pour engendrer une dynamique fluviale comparativement peu active. La limite spatiale entre le système fluvial et ses bordures est bien distincte, et elle sépare nettement les deux milieux : fluvial et interfluvial.
21Par contre, les vastes dimensions de la plaine alluviale amazonienne et l’absence de limite entre les forêts d’interfluves et les végétations alluviales, le long d’un gradient qui s’étend des forêts non inondables jusqu’aux populations d’espèces disséminées par l’eau ou les poissons, montrent que ce cours d’eau et ses bordures constituent un système ouvert et dépendant des échanges latéraux avec les milieux adjacents. La forte productivité primaire des eaux stagnantes (Fittkau et al, 1975 ; Howards-Williams et Junk, 1976 ; Rai et Hill, 1984 ; Fisher et al., 1991), et les échanges constants qui ont lieu entre ces dernières et les eaux courantes (Irmler, 1979), confirment cette continuité entre la plaine alluviale et les interfluves.
22Or, si la dynamique des milieux alluviaux se traduit dans le cas des grands fleuves tropicaux par des reliefs de dimensions importantes mis en place sur un temps relativement court, elle est naturellement engendrée par les mêmes lois physiques que sous les hautes latitudes (Leopold et Langbein, 1966 ; Sternberg, 1957).
23Par ailleurs, si à l’échelle locale, les bordures de la plaine alluviale d’Amazonie s’étendent sur de larges distances à partir des chenaux majeurs, jusqu’à former de véritables cuvettes (cf supra) il semble impensable d’occulter le gradient qui affecte le drain principal Ucayali-Amazone de l’amont vers l’aval, à l’échelle du bassin (Lamotte, sous presse). En suivant ce gradient, la dynamique géomorphologique est variable selon les régions, ce qui retentit fortement sur l’écologie des milieux, comme on peut clairement l’observer à travers la colonisation par les espèces pionnières. La distinction spécifique est nette entre les levées et les dépressions de haute Amazonie en raison du contexte hydrologique et climatique de l’amont du bassin (parmi les pionnières, Cecropia membranacea colonise les levées, et C. latiloba les dépressions). Cette distinction est beaucoup moins nette en aval où les modifications des reliefs sont plus lentes et progressives, à la fois dans l’espace et dans le temps. Les extrêmes des conditions fluviales sévères de haute Amazonie (sécheresse édaphique des levées sableuses, hydromorphie des dépressions argileuses, vitesse de déplacement des rives.) sont atténués par le comportement de l’ensemble des affluents (C. membranacea et C. latiloba poussent en mélange en Amazonie centrale). À l’embouchure, la situation est encore bien différente, le rythme impulsé de l’amont par le fleuve étant cette fois remplacé par le battement bi-quotidien des marées atlantiques.
DISCUSSION
- La réponse des végétations ligneuses à l’édification des levées et dépressions des plaines alluviales est uniforme sous les hautes latitudes, différenciée près de l’équateur.
- L’impact des contraintes abiotiques sur la structure forestière est périodique : c’est le rythme des crues, ou des saisons (froides, sèches), ou le photopériodisme. Cette périodicité s’exprime d’ailleurs, sous l’équateur comme sous les hautes latitudes, par la présence de cernes de croissance dans le bois (Worbes, 1989). Dans tous les cas le développement forestier subit un appauvrissement structural et floristique, de plus en plus marqué au fur et à mesure que les contraintes se renforcent. Ce renforcement suit un gradient zonal (saisons, photopériodisme), ou intrazonal (crues). Sous l’équateur, ce gradient s’observe sur de courtes distances, depuis les forêts interfluviales jusqu’aux forêts fortement perturbées par l’inondation (igapôs d’Amazonie).
- Un net clivage s’exprime entre les milieux alluviaux et interfluviaux des hautes latitudes, tandis que c’est la continuité qui prévaut aux basses latitudes, à la fois du point de vue écologique, physionomique et floristique.
- L’édification des reliefs est lente et ils gardent des dimensions modestes sous les hautes latitudes, à l’inverse de ce qui se passe près de l’équateur, où leur mise en place est comparativement rapide et de grande ampleur.
- À l’échelle stationnelle, le système fluvial est marqué par un gradient linéaire aux latitudes élevées, et par un gradient aréolaire aux basses latitudes. Mais à l’échelle des bassins-versants, la dimension longitudinale des axes principaux reste fondamentale, même si les limites des plaines alluviales restent floues près de l’équateur.
24En effet, si à l’échelle locale, les bordures de la plaine alluviale d’Amazonie s’étendent sur de larges distances à partir des chenaux majeurs, jusqu’à former de véritables cuvettes (cf supra) il semble impensable d’occulter le gradient qui affecte le drain principal Ucayali-Amazone de l’amont vers l’aval, à l’échelle du bassin (Lamotte, sous presse). En suivant ce gradient, la dynamique géomorphologique est variable selon les régions, ce qui retentit fortement sur l’écologie des milieux, comme on peut clairement l’observer à travers la colonisation par les espèces pionnières. La distinction spécifique est nette entre les levées et les dépressions de haute Amazonie en raison du contexte hydrologique et climatique de l’amont du bassin (parmi les pionnières, Cecropia membranacea colonise les levées, et C. latiloba les dépressions). Cette distinction est beaucoup moins nette en Amazonie centrale où les modifications des reliefs sont plus lentes et progressives, à la fois dans l’espace et dans le temps (C. membranacea et C. latiloba poussent en mélange). Ici, les extrêmes des conditions fluviales sévères de haute Amazonie (sécheresse édaphique des levées sableuses, hydromorphie des dépressions argileuses, vitesse de déplacement des rives.) sont atténués par le comportement de l’ensemble des affluents. À l’embouchure, la situation est encore bien différente, le rythme impulsé de l’amont par le fleuve étant cette fois remplacé par le battement bi-quotidien des marées atlantiques.
CONCLUSION
25Sous les hautes latitudes, la variation spatiale topographique et géomorphologique des terrains alluviaux s’avère insuffisante pour affecter de manière importante le développement des arbres. Les essences colonisatrices sont adaptées aux conditions peu différenciées dans l’espace offertes sur les sites alluviaux, ce qui se traduit par l’uniformité de la couverture ligneuse. Celle-ci est renforcée par la faible diversité spécifique propre aux milieux des hautes latitudes. Les milieux alluviaux sont ainsi colonisés par un petit nombre d’essences qui leur sont inféodées, et se démarquent aisément des milieux adjacents.
26Aux basses latitudes, l’étendue des reliefs et leur variation altitudinale se combinent avec la disponibilité de nombreuses espèces aptes à occuper les niches écologiques diverses qui sont créées. Il en résulte une grande variété de milieux. Cette variété, associée à celle des espèces, et à la gradation spatiale subtile des conditions écologiques sur de grandes étendues de part et d’autre des cours d’eau, créent une continuité entre le système fluvial et ses bordures. Toutefois, cette continuité transversale n’occulte pas l’existence d’un gradient longitudinal à l’échelle du bassin-versant.
27Les dimensions des arbres sont comparables sous toutes les latitudes, mais ce n’est pas le cas des reliefs mis en place au sein des systèmes alluviaux considérés. La disparité des milieux alluviaux qui se manifeste en fonction de la latitude, résulterait ainsi de la variabilité des dimensions spatiales et temporelles des phénomènes géodynamiques, combinée avec l’uniformité relative des caractères biologiques fondamentaux.
28La discontinuité entre le milieu alluvial et ses bordures sous les hautes latitudes, s’opposant à la continuité entre milieux alluviaux et interfluviaux sous l’équateur, peut donc être imputée à la variabilité des échelles spatiales de manifestation des phénomènes. L’échelle est comparable quant aux végétations ligneuses, mais très distincte quant aux phénomènes géodynamiques. Par conséquent, la combinaison de ces échelles disctinctes semble bien être à l’origine de l’opposition entre la discontinuité des hautes latitudes, et la continuité des basses latitudes, qui se manifestent quand on passe des milieux alluviaux aux milieux interfluviaux.
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Notes de bas de page
1 UMR 6012 CNRS-Univ. Montpellier III
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