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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Des messages reçus différemment par les adolescents selon le contexte de diffusion Des messages utilisés par les adolescents dans des optiques différentes selon les contextes et les personnes présentes Une diffusion possible dans la famille à différentes conditions Conclusion Notes de bas de page Auteur

    La juste mesure

    Ce livre est recensé par

    • Sandrine Knobé, Lectures, mis en ligne le 30 janvier 2019. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12008 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12008
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    Table des matières

    Les usages sociaux des messages nutritionnels par les adolescents1

    Aurélie Maurice

    p. 317-348

    Texte intégral Des messages reçus différemment par les adolescents selon le contexte de diffusion Les quatre messages de l’INPES : un effet anxiogèneDes injonctions diversement relayées par les enseignants et l’infirmière Des messages utilisés par les adolescents dans des optiques différentes selon les contextes et les personnes présentes Jouer au bon élève ou parler de ses préférences devant les adultesUtiliser les messages pour se valoriser auprès de ses pairs Une diffusion possible dans la famille à différentes conditions Un profil d’élève assez opposéLa relation au groupe de pairs, déterminante dans le rapport des adolescents à l’alimentationLa relation parent-adolescent comme facteur jouant sur la communication de ce qui est appris à l’école Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Avec un slogan comme « Pour bien grandir, mange au moins cinq fruits et légumes par jour », diffusé pendant les programmes destinés aux enfants voire aux adolescents, les pouvoirs publics visent les enfants pour atteindre leurs parents, en charge de nourrir leur famille. L’enfant est donc assigné au rôle d’intermédiaire entre le Programme national nutrition santé (PNNS) et sa famille. Ce statut particulier de l’enfant ne va pas de soi. Il mérite d’être étudié de plus près et questionné d’un point de vue sociologique. La sociologie de l’enfance ouvre cette possibilité puisqu’elle érige l’enfant en acteur social2 qui agit et réagit face au monde qui l’entoure. L’enfant n’est plus seulement une cire molle sur laquelle on imprime ce que l’on veut lui inculquer, il dispose d’une agency3, c’est-à-dire d’une capacité d’agir par lui-même. Ainsi, théoriquement, l’enfant pourrait être porteur de messages prônant une alimentation « saine et équilibrée » et pourrait éduquer lui-même sa famille, puisqu’il peut agir sur le monde qui l’entoure. Cependant, il se peut que cet enfant ne soit pas sensible à ces messages ou ne veuille pas en être le porte-parole dans sa famille. Bernard Lahire développe l’idée d’un acteur pluriel, soumis à « des modèles de socialisation différents, concurrents, contradictoires4 », et qui se comporte différemment selon le contexte dans lequel il est. L’enfant n’agit et ne réagit donc pas de la même manière dans toutes les situations et ne donnera pas forcément des leçons à ses parents sur comment bien manger.

    2Ce chapitre porte essentiellement sur l’école en tant que source de messages d’éducation alimentaire. Nous nous intéressons au rôle potentiel de go-between5 que peut jouer l’enfant entre la famille et l’école. Par « école » et « enfant », il faut entendre plus précisément collège et adolescent, voire préadolescent (en classe de 5e). Des conseils, des informations sur une alimentation « équilibrée » sont délivrés au collège. Le collège n’est pas un lieu anodin et les conditions de réception de ces messages sont particulières. L’adolescent y est entouré de ses pairs. Ce groupe de pairs, omniprésent au collège, représente une pression très forte pour l’adolescent. Une pression de conformisme : « Pour être soi, il faut d’abord être comme les autres6 » et une pression pour s’y intégrer. Les adolescents font face à un véritable défi : « Chacun doit ressembler à l’autre et s’en distinguer à la fois7. » Donc des informations véhiculées par l’école et dans l’école ont un statut bien particulier pour l’élève, puisqu’il se joue au collège la place de l’adolescent dans son groupe de pairs. Il convient ainsi d’examiner les contextes précis de diffusion de ces messages d’éducation alimentaire et de leur réception par les élèves.

    3La majorité des adolescents étudiés ici (les différents terrains d’enquête sur lesquels je m’appuie sont présentés dans l’encadré 1) font tous partie de la même classe de 5e d’un collège accueillant une population de milieu très défavorisé. Les élèves enquêtés sont la cible d’une action d’éducation alimentaire conçue par le Conseil général8 du département où se trouve le collège. Il s’agit d’un département de la région parisienne (petite couronne) ; cette action est donc mise en place dans plusieurs collèges du département. L’objectif principal est « d’aider [les adolescents] à mieux maîtriser leurs choix en matière d’achat et de consommation de produits alimentaires9 », et il est bien précisé que « ce programme s’inscrit dans le cadre du PNNS10 ». Elle se décompose en plusieurs séances assurées par l’équipe enseignante tout au long de l’année scolaire, qui ont pour objectif d’aider les adolescents à mieux maîtriser leurs choix en matière de consommation alimentaire en « exerçant [leur] esprit critique face à la diversité de l’offre11 ». L’action consiste en une petite dizaine de séances animées par les professeurs de la classe (EPS12, mathématiques, SVT13, français, physique-chimie), et dont le contenu a été élaboré avec mon aide et en s’inspirant de ce qui avait été fait les années précédentes. Les thèmes abordés étaient notamment : apprendre à lire des étiquettes alimentaires, découvrir leur sens, réfléchir sur l’équilibre alimentaire, connaître les groupes d’aliments, exploiter statistiquement un questionnaire rempli en classe, etc. De plus, dans le cadre de cette action, les élèves de la classe participent également aux « commissions menus » lors desquelles sont décidés les menus de la cantine pour le mois à venir. En plus de ce dispositif précis que nous étudierons ici, il ne faut pas oublier que les adolescents sont baignés dans un discours médiatique normatif sur l’alimentation, par exemple les quatre messages sanitaires introduits dans les publicités alimentaires depuis 2007, à l’initiative de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), dont le célèbre « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour. »

    4Les initiateurs de ces programmes d’éducation alimentaire (l’INPES entre autres), dont le programme EPODE est le plus emblématique, postulent que les enfants peuvent jouer le rôle d’intermédiaires dans leurs familles en « éduquant » leurs parents et ainsi « favoriser un mode de vie familiale plus favorable à la santé14 ». Ce postulat est questionné ici par l’analyse de la réception des messages par les enfants, de leur restitution à différentes personnes et du fonctionnement familial ouvrant ou non un espace de parole pour l’enfant. La question qui se pose ici est celle de la restitution par les adolescents de ces discours, provenant à la fois de sources « directes » (au collège) et « indirectes15 » (notamment à la télévision). Qu’en font-ils à l’école, face à leurs pairs ou aux adultes, chez eux, face à leurs parents ?

    5La méthodologie utilisée consiste en une immersion pendant une année scolaire dans une classe de 5e d’un collège situé en zone sensible/prévention violence de la région parisienne. Le premier volet de la méthode est donc ethnographique, par observation participante, en cours, à la cantine, dans la cour de récréation. En parallèle, j’ai mené une série d’entretiens avec les parents d’une part et l’enfant d’autre part, élève dans la classe de 5e observée. Mon statut dans le collège était assez ambigu, puisque j’étais d’un côté, pour les enseignants et l’infirmière coordinatrice du projet, une aide à la mise en place de l’action (ce qui était une condition de l’accès au terrain), donc une adulte voire une experte, et d’un autre côté je jouais (à) l’élève puisque je m’asseyais à côté des élèves en cours16, je mangeais à la cantine avec eux (d’ailleurs, les surveillants avaient beaucoup de mal à comprendre pourquoi je n’allais pas dans la salle réservée aux professeurs). Ma double casquette a gêné un certain nombre d’adultes du collège, comme la professeure d’arts plastiques qui, un jour, a trouvé que j’avais perturbé son cours et que j’avais l’air d’être « copine avec les élèves17 ». Mon statut était alors source de méfiance pour elle : de quel côté étais-je ? Du côté des enseignants ou des élèves ? Pour les élèves également, mon statut était ambivalent : parfois ils me considéraient comme une élève (ils me tutoyaient, cachaient mon stylo pour rire, me confiaient que « dans ce collège, ils interdiraient les élèves s’ils le pouvaient18 »), parfois, à l’inverse, ils me voyaient comme une adulte (ils m’appelaient « la dame », ils n’avaient pas envie que je mange à leur table à la cantine, car « on peut pas parler de ce qu’on veut comme vous êtes là19 »). Mon statut d’adulte-élève était instable, je passais de l’un à l’autre au gré des événements. Il me fallait à la fois gagner la confiance des adultes et celle des élèves : des adultes, en leur montrant que j’étais de leur côté, par exemple en ne répondant pas lorsqu’un élève m’adressait la parole en cours ; des adolescents, en leur montrant que je réagissais différemment des autres adultes, ne les reprenant jamais s’ils parlaient mal ou se comportaient mal (en cours ou ailleurs), refusant ainsi « d’exercer de l’autorité sur les enfants20 ». D’autre part, j’ai voulu m’éloigner d’un statut d’experte en nutrition21 en ne diffusant aucun discours nutritionnel aux élèves, en évitant absolument des remarques comme « C’est bien de manger ça » ou « C’est pas bon pour toi. » En d’autres termes, j’ai cherché à rester neutre sur ce sujet. Cet effort a l’air d’avoir porté ses fruits, puisque les élèves ne m’ont presque jamais posé de questions sur l’alimentation et n’ont pas hésité à me parler librement de leurs préférences alimentaires, détachées des normes nutritionnelles qu’ils connaissent par ailleurs très bien.

    présentation des différents terrains d’enquête
    - Enquête de master recherche (nommée ici « enquête 1 ») : entretiens semi-directifs avec les parents (le plus souvent la mère) et un enfant de trente familles fréquentant deux collèges en ZEP (zone d’éducation prioritaire).
    - Pré-enquête de ma thèse (nommée ici « enquête 2 ») : observations en cours de SVT et à la cantine pendant deux mois dans deux classes de 5e, ainsi qu’entretiens semi-directifs avec les parents (la mère) et l’enfant en 5e de neuf familles d’un collège prévention violence.
    - Premier terrain principal de ma thèse (nommée ici « enquête 3 ») : observations dans tous les cours et à la cantine d’une classe de 5e pendant toute l’année scolaire, ainsi qu’entretiens semi-directifs avec les parents (la mère ou le père) et l’enfant en 5e de dix familles d’un collège zone sensible/prévention violence différent du précédent. Le second terrain principal de ma thèse, dans un collège plus favorisé, est en cours ; je ne l’évoquerai ici qu’en conclusion.
    Bien que l’entrée reste la même – le collège –, ma méthodologie ainsi que ma problématique n’ont cessé d’évoluer au cours des différentes enquêtes. Si l’on compare le dispositif d’enquête à un microscope (on est au niveau des individus, donc du micro-social), l’objectif de l’appareil fixé au départ sur les familles s’est rapproché à chaque étape des préadolescents. L’approche devient de plus en plus ethnographique, elle vise à comprendre ce qui se joue à l’école et dans la famille pour chacun des préadolescents étudiés pour pouvoir analyser les mécanismes à l’origine d’une transmission ou d’une non-transmission de discours nutritionnels dans les familles. L’étude des enjeux familiaux autour des questions d’alimentation et de santé s’est approfondie et affinée : dans mes premières enquêtes, il était davantage question de la perception des messages nutritionnels, alors que, dans les suivantes, l’objectif était surtout de comprendre les relations parents-enfants autour des prises alimentaires. Mon positionnement par rapport aux enquêtés a lui aussi évolué : je suis passée d’un statut d’experte en nutrition, représentante d’un projet d’éducation alimentaire, à un statut plus neutre d’étudiante en sociologie, d’ethnographe, grâce à une évolution personnelle de prise de distance par rapport aux discours nutritionnels normatifs.

    Des messages reçus différemment par les adolescents selon le contexte de diffusion

    6Les adolescents, cibles des pouvoirs publics, reçoivent des discours nutritionnels provenant de différentes sources et dont le contenu varie. Leur perception de ces messages est fonction de leur émetteur, de la teneur du message et du contexte dans lequel il est émis, sans oublier le récepteur : l’adolescent, dont les caractéristiques (sociales, entre autres) jouent sur la réception.

    Les quatre messages de l’INPES : un effet anxiogène

    7À la télévision, à la radio, dans la presse et sur les affiches publicitaires, quatre messages sanitaires sont diffusés avec les publicités alimentaires :

    Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour.
    Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière.
    Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé.
    Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas.22

    8Personne ne peut échapper à ces injonctions. Les adolescents sont fortement touchés, puisqu’ils sont pour la plupart de grands consommateurs de télévision.

    9Ces messages sont très bien connus des adolescents, et rares sont ceux qui ne peuvent en citer au moins un. Le message « cinq fruits et légumes » est le plus célèbre23, et il suscite des interrogations notamment concernant son application. Par exemple, Émilie réfléchit à voix haute lors de son entretien24 : « Cinq fruits et légumes par jour, ça ne veut pas dire cinq fruits et cinq légumes, c’est pas cinq haricots. C’est cinq portions, donc ça peut être cinq fraises par exemple, c’est des portions, c’est pas cinq haricots. »

    10Cependant, il semble difficile pour les adolescents de dire pourquoi les fruits et légumes sont importants, souvent les jeunes interrogés répondent : « Je ne sais pas25. » Ne sachant pas à quoi sert un fruit, à part se nourrir, ils ne comprennent pas la raison pour laquelle on leur répète à la télévision d’en manger : « AM : Et pourquoi les fruits et légumes ça permettrait de pas devenir obèse ? Mohand : Je sais pas moi, aucune idée26. »

    11À l’analyse, l’on s’aperçoit que ces messages entraînent des sentiments variés chez les adolescents : inquiétude, indifférence, rejet. Inquiétude entraînée par le message sur les fruits et légumes qui peut être source de questionnements, sur les portions par exemple : qu’est-ce que cinq fruits et légumes ? Indifférence de certains jeunes qui ne se sentent pas concernés et considèrent que ces messages ne leur sont pas destinés parce qu’ils n’ont pas de problèmes de poids. Rejet pour d’autres, qui s’érigent contre ces messages jugés irréalistes. Comme le montre M.-P. Julien dans ce même ouvrage, ce sentiment est partagé par les plus grands, les lycéens. Globalement, les adolescents ont du mal à se positionner par rapport à ces messages, ne sachant pas vraiment en quoi leur alimentation peut être dangereuse pour leur santé ; de plus, ils se projettent peu dans un avenir proche ou lointain : « L’adonaissant […] célèbre “la messe du temps présent”27. »

    12Quand, en entretien, je demande aux jeunes adolescents ce qu’ils pensent des messages, ils me répondent qu’ils sont inutiles et qu’ils ne modifient pas leurs comportements : « Je m’en fous moi de ce qu’ils disent28 », lance Salim. Maxime explique : « Ces conseils, la plupart du temps on les écoute pas29. » Ashton s’exclame : « C’est abuser30 ! » Bien qu’ils les connaissent parfaitement « et que certains d’entre eux restituent les prescriptions entendues à la télévision avec une précision surprenante31 », les jeunes rencontrés ne sont pas sensibles à ces messages.

    13Le rapport des adolescents aux messages apparaît cependant plus complexe pour certains, comme le montre la réponse de Viviane :

    AM : Et les fruits et légumes t’en penses quoi du message ?
    Viviane : Ça me gêne parce que je suis difficile, je n’arrive pas si… J’sais pas pourquoi ça… Ça rentre pas dans la tête. Tu vois ? Ça passe d’une oreille, ça ressort de l’autre aussitôt tu vois donc… Donc voilà. Ça passe pas ! Donc quelques fois je me dis oh mince j’ai oublié, ou des fois je me dis c’est pas grave une prochaine fois. Tu vois ? Donc des fois je m’en fous un peu mais des fois je m’en veux un peu aussi. Parce que j’aurais pu en prendre. Donc voilà. C’est un peu grâce aux pubs que des fois j’en prends. Parce que je te dis des fois je vois des pommes, des fruits, tout. C’est là que ça donne envie.

    14Viviane exprime une certaine ambivalence par rapport aux messages : elle dit à la fois qu’elle ne les intègre pas : « Ça rentre pas », qu’elle y pense et qu’ils la conduisent à manger davantage de fruits.

    15D’autres adolescents expriment une certaine opposition. Jade cherche à prendre de la distance par rapport à ces messages qui ne sont pas respectés chez elle. Lorsqu’elle cite les fruits et légumes comme étant des aliments essentiels, elle ajoute : « C’est la pub qui l’a dit ! » En associant ces messages à de la publicité, Jade se positionne en observatrice critique et les abaisse au rang de publicités commerciales. Elle ne se place pas en émettrice de ces messages, elle ne les intègre pas à son discours, ils restent extérieurs à elle. Sa mère commente : « Oui, mais la pub… » : il faut s’en méfier, elle peut être trompeuse. Ainsi, les messages nutritionnels perdent leur légitimité : cette famille considère qu’ils suivent des modes (« avant c’était le lait, maintenant c’est les fruits et légumes32 ») et qu’à ce titre il est inutile de les suivre. Le fait que ces messages soient diffusés avec les publicités alimentaires peut porter à confusion, car certains adolescents ne font pas automatiquement la différence entre les divers types d’injonction et, de ce fait, ne comprennent pas pourquoi on leur montre une barre chocolatée en leur disant de « ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé ».

    16Globalement, les filles apparaissent comme moins réfractaires aux messages que les garçons, elles considèrent plus souvent qu’ils sont utiles mais déplorent leur difficulté à les mettre en application :

    AM : Qu’est-ce que tu penses du message il faut manger cinq fruits et légumes par jour ?
    Livia : Ben c’est bien mais c’est dur à respecter.33

    17Elles se sentent plus concernées que les garçons. Samir soutient que « la pub » ne lui sert à rien : « Si, je vais regarder la pub mais après elle me servira à rien34 », on voit encore une fois l’assimilation des messages à de la publicité. À l’inverse, Livia déclare : « Ben j’essaie de faire attention à ce qu’ils disent. »

    Des injonctions diversement relayées par les enseignants et l’infirmière

    18Au collège, il apparaît que les enseignants (et l’infirmière) ne mènent pas de la même façon une séance d’éducation alimentaire destinée à des adolescents. Certains ont un discours très normatif, moralisateur et responsabilisant, d’autres ont un discours davantage centré sur la liberté individuelle, la pluralité des goûts, la découverte de ces goûts. Les messages sont soit diffusés de façon frontale et unidirectionnelle, soit en faisant participer l’élève et en partant de ses idées. Dans un cas, l’élève est vu comme un récepteur passif ayant une conduite réprouvable à corriger, dans l’autre comme un acteur qui peut trouver en lui des réponses, ses réponses. L’intermédiaire de diffusion des messages, ici les enseignants, joue sur la teneur des messages et la façon dont ils sont diffusés – ces messages sont pourtant au départ les mêmes, ceux du PNNS. Cette idée rejoint les conclusions développées par Philippe Cardon dans cet ouvrage sur les aides à domicile et la façon différenciée dont elles s’approprient le rôle « d’aidant préventeur » dicté par le PNNS.

    19Je prends ici l’exemple de deux séances de l’action conçue par le Conseil général et coordonnée par l’infirmière du collège où s’est déroulée l’enquête. Elles sont très différentes l’une de l’autre, puisque la première valorise le plaisir de manger, le goût des aliments, et la seconde est un discours très normatif sur ce qu’il faut manger et l’activité physique qu’il faut avoir. La séance « Analyse sensorielle » a pour but de développer l’attention que les élèves portent à leurs cinq sens lors de la consommation alimentaire. Elle s’est déroulée en plusieurs étapes. La première consistait à goûter une eau salée et évaluer le goût de cette eau : est-il neutre, moyen ou fort ? L’objectif était de montrer aux adolescents que chacun a sa propre perception du goût des aliments : certains trouvent l’eau très salée, d’autres non. Quelques filles se sont mises à rire en goûtant l’eau salée, en se mettant la main devant la bouche. Elles sont déstabilisées par le goût de cette eau et ont besoin de partager ce ressenti avec leurs pairs. Quand on leur demande d’en tirer une conclusion, au bout de quelques interventions, quelqu’un déclare : « Tout le monde n’a pas les mêmes goûts. » L’infirmière en profite pour faire passer le message suivant : « Plus on mange salé, plus on va s’habituer au goût, plus ça va paraître peu salé. » Il ne faut donc pas s’habituer à manger trop salé, c’est un des messages du PNNS35.

    20La seconde étape de la séance comporte deux gobelets contenant un yaourt parfum noix de coco coloré en rose et l’autre non coloré. Les élèves doivent noter leurs impressions avant de goûter, puis après. L’objectif est de montrer que la vue joue un rôle très important dans notre perception des aliments. Les élèves associent le yaourt rose au parfum fraise et l’autre au parfum ananas ou noix de coco ou lait. Finalement, une élève trouve : « Les deux c’est le même Yop, noix de coco. » Un élève se sent trompé par les adultes : « Pourquoi vous avez fait ça ? » Une élève déclare : « Faut mettre les haricots verts en rose comme ça on les mangera ! » Le message « Mangez cinq fruits et légumes par jour » est présent dans l’esprit de cette élève qui utilise l’expérience pour trouver une astuce pour faire manger des légumes aux enfants. À nouveau, un message pédagogique par l’infirmière : « Ça doit vous faire réfléchir sur la vue qui vous influence. Des choses qui ne sont pas très belles peuvent être très bonnes. » Donc des légumes ou un plat qui n’a pas l’air très appétissant peuvent être très bons. L’infirmière cherche ici à se servir des découvertes sensorielles des élèves pour les conduire vers une alimentation qu’elle pense plus saine. Les élèves semblent avoir apprécié la séance. Une élève s’exclame : « C’est plus intéressant que d’habitude ! » L’aspect très vivant, expérimental de la séance, leur a plu.

    21La seconde séance est réalisée par le professeur de mathématiques sur l’analyse statistique d’un questionnaire auquel les élèves avaient répondu au début de l’année. Les élèves avaient fait un traitement statistique de quelques questions par Excel, et la séance que je vais décrire visait à commenter les résultats obtenus (des diagrammes circulaires).

    22D’après le diagramme sur la prise de soda, 41 % des élèves de la classe boivent des sodas plusieurs fois par jour, et 25 % une fois par jour. Les élèves commentent : « Plusieurs fois par jour c’est la majorité de ce qu’on boit du soda. » Le professeur martèle : « Je vous pose une question, est-ce normal ? » Un élève répond immédiatement : « Non », une autre ajoute : « C’est beaucoup. » L’enseignant entre ainsi dans un discours très normatif sur ce qui est bien ou mal. Il continue son blâme : « C’est bien ça pour vous ? », une élève répond : « Non. » Le professeur d’ajouter : « Vous allez changer ? M. Bélard ? », l’élève ne comprend pas le reproche : « Quoi ? » Quentin traduit malicieusement ce que vient de dire le professeur : « Est-ce que tu vas arrêter de grossir ? », un autre ajoute : « C’est pas bon pour la santé. » Les élèves commencent à s’inquiéter : « Monsieur, on va devenir obèses ? », s’interroge une jeune fille. Cette séance prend donc une tournure anxiogène pour les élèves et très moralisatrice par rapport à leurs comportements alimentaires jugés par le professeur comme étant « mauvais » ; il parle de « malbouffe », du modèle américain où presque tous les enfants sont obèses. Il utilise la peur comme moyen pour faire réagir les élèves. Ceux-ci cherchent par moments à se défendre, à le contredire, par exemple :

    Le professeur : Ceux qui boivent de l’eau tous les jours, ils sont pas morts que je sache ?
    Samia : Ceux qui boivent du soda non plus !

    23Mais, dans l’ensemble, les élèves adhèrent à ses propos et renchérissent.

    Le professeur : Y a le jus pressé.
    Quentin : Les autres, c’est du chimique.

    24Au cours de ces deux séances, les élèves ont bien participé, se sont intéressés au sujet. Laquelle des deux est la mieux perçue par les élèves ? Il apparaît dans le questionnaire que j’ai administré aux élèves, à la fin de l’année, pour faire un bilan des différentes séances qu’ils ont préféré l’analyse sensorielle, bien qu’un bon nombre d’élèves dit avoir apprécié l’analyse du questionnaire également. Mais certains sont catégoriques : « C’était nul », « J’ai pas aimé. » La seconde séance ne fait donc pas l’unanimité : elle a dérangé certains élèves. Il apparaît donc que la façon de transmettre des messages PNNS est très différente d’une séance à l’autre : lors de la première séance, la transmission se fait de façon beaucoup plus implicite que lors de la seconde, qui est culpabilisante et inquiétante pour les élèves. Selon la personne qui diffuse le message, celui-ci peut prendre un tout autre sens : de quoi provient cette vision différente du rôle de l’enseignant dans l’éducation à la santé ? C’est quelque chose que creuse Philippe Cardon à propos des aides à domicile par entretien avec elles. Pour ma part, je n’ai fait un entretien qu’avec l’infirmière, mais j’ai assisté à plusieurs cours de chaque enseignant, donc j’ai une idée assez précise de leur façon d’enseigner et de voir les élèves. Par exemple, le professeur de mathématiques n’hésite pas à rabaisser les élèves : « Si vous voulez que je vous dise en un mot, c’est mauvais36. » Quant à l’infirmière, elle a une formation d’éducation à la santé, où on lui apprend qu’il est bon de partir de ce que le public a à dire, connaît, pour le sensibiliser à des questions de santé.

    Des messages utilisés par les adolescents dans des optiques différentes selon les contextes et les personnes présentes

    25Les messages transmis et reçus sont plus ou moins incorporés et interprétés par les adolescents, et en retour ceux-ci peuvent avoir ou non des répercussions sur leurs discours ou sur leurs comportements, lorsqu’ils sont auprès de leurs pairs ou des adultes de l’établissement. Nous allons montrer que les adolescents instrumentalisent les normes alimentaires de façon complètement différente selon qu’ils ont affaire à leurs pairs ou à des adultes du collège, car les objectifs divergent. Dans un cas, les élèves cherchent à se faire bien voir des professeurs, à trouver les bonnes réponses. Dans l’autre, il s’agit de se faire bien voir des autres, d’apparaître comme un rebelle, défiant les règles établies, les normes. Cependant, les adolescents que j’ai rencontrés ne se montrent pas tous en opposition avec les messages devant leurs pairs. Ceux qui sont en marge de la classe peuvent, pour certains, obéir davantage aux normes du PNNS, puisqu’ils ne cherchent pas avec la même ferveur à se faire reconnaître en tant que membres de la culture adolescente, permettant d’accéder au groupe-classe. La relation aux adultes peut être également vue sous ce prisme : tous les adolescents ne se comportent pas de la même manière avec les adultes du collège, cela dépendant de leur position dans la classe.

    Jouer au bon élève ou parler de ses préférences devant les adultes

    26Au collège, j’ai pu observer des moments où les adolescents restituent les messages entendus (à la télévision ou lors d’une séance du projet alimentation) devant des adultes. Dans une situation formelle, en cours, face à un enseignant, les élèves récitent leur leçon et veulent se faire bien voir des adultes. Dans une situation plus informelle, face à des personnes qui ne les évaluent pas, les élèves peuvent tenir des discours non conformes aux normes qu’ils connaissent. En effet, leurs préférences vont souvent vers une alimentation qui n’est pas celle préconisée par le PNNS. Ces préférences sont en grande partie construites socialement : comme nous le verrons après, elles correspondent à une culture adolescente très valorisée par le groupe de pairs. Les adolescents sont donc confrontés à une tension entre les discours nutritionnels qu’ils connaissent très bien et leurs goûts alimentaires, souvent à l’opposé de ces discours.

    27La leçon faite par le professeur de mathématiques semble avoir eu des répercussions et, au moins devant l’enseignant, les élèves changent leurs habitudes en réponse à ce qui a été dit lors d’une séance du projet. En effet, quelques jours après la séance, le professeur organise un goûter pendant son cours, puisque c’est la fin de l’année. Les garçons étaient tenus d’apporter à boire et les filles à manger. Un élève a apporté, entre autres, du jus de pomme 100 % pur jus, sujet qui avait été en débat pendant la séance du projet alimentation et où il était ressorti qu’il vaut mieux boire du jus pressé. Deux filles ne boivent que de ce jus de pomme pendant le goûter. Je suppose qu’elles ont été influencées par le sermon du professeur et qu’au moins pour un temps elles changent leurs habitudes. C’est d’ailleurs ce que dit une autre jeune fille quand je l’interroge sur le bilan des séances : « Ça m’a donné envie de faire plus de sport, de boire plus de jus pressé, moins de limonade. » Ce message, véhiculé par la peur, porte donc ses fruits, au moins dans une certaine mesure.

    28Concernant l’analyse sensorielle, l’enseignante de français revient sur la séance un mois plus tard en cours. Elle cherche à tester la mémoire des élèves. Certains se souviennent très bien, d’autres beaucoup moins. Julie, élève très sérieuse et ayant de bons résultats, intervient plusieurs fois et donne des réponses très précises : elle a très bien retenu la séance. Une autre élève, Jennifer, a plus de mal à restituer la séance, elle hasarde : « On sent par le nez », ce qui n’est pas si éloigné du contenu de l’atelier, puisqu’il était question du rôle de l’odorat dans la perception de l’aliment en bouche. Globalement, je remarque une bonne participation de la plupart des élèves : cela confirme l’idée qu’ils ont apprécié la séance. Un autre élément qui joue est leur rapport à cette enseignante qui est plutôt bon. Donc, en cours, les élèves cherchent à montrer à l’enseignante – qu’ils apprécient – qu’ils ont bien retenu une séance qui leur a plu : jouer au bon élève, même dans un collège réputé difficile, fait partie des rôles qu’endossent les adolescents.

    29À propos des messages sanitaires vus à la télévision, un exemple est celui de la préparation du petit-déjeuner servi aux 6e. Cet exemple montre que les adolescents se servent de leur connaissance précise des messages pour se faire bien voir des enseignants et apparaître comme un élève docile, sérieux et travailleur. Ce petit-déjeuner est l’un des derniers événements du projet alimentation. Les élèves de la classe qui sont volontaires passent deux heures au réfectoire un mercredi matin pour servir un petit-déjeuner « complet et équilibré37 » aux élèves de 6e. Les 5e sont chargés de donner des conseils aux « petits » sur ce qu’il faut prendre sur leur plateau (un laitage, un féculent, un fruit, une boisson, etc.). Une préparation à ce petit-déjeuner a eu lieu la veille, pendant laquelle l’infirmière et la professeure de SVT ont rappelé quels sont les groupes d’aliments et comment équilibrer son petit-déjeuner. À un moment donné, les deux adultes demandent aux élèves quels aliments il faut manger pour être en forme. Jennifer demande à passer au tableau et écrit : « Manger cinq fruits et légumes par jour. » C’est donc la première chose qui lui vient à l’esprit, et elle est fière de pouvoir l’écrire au tableau, comme une leçon qu’elle a bien apprise. Médina récite d’une voix claire : « Ne pas manger trop gras, trop sucré, trop salé. » À nouveau, l’un des messages sanitaires, qui est donc bien connu et qui peut être mobilisé à tout moment. Puis Quentin déclame : « Manger trois produits laitiers par jour. » Ce message ne fait pas partie des quatre recommandations, il est donc moins médiatisé, bien qu’il fasse partie des neuf repères énoncés par le PNNS. Ainsi, l’on voit que ces messages sont non seulement connus, mais aussi répétés par les adolescents, devant des adultes, comme une leçon. D’autres chercheurs ont relevé la présence des messages dans la bouche des adolescents : Meriem Guetat parle du message sur les fruits et légumes : « Ce message ressurgit d’une manière spontanée38. »

    30Face aux adultes, les élèves ne font pas que répéter docilement les leçons qu’on leur a apprises, ils peuvent également faire part de leurs préférences alimentaires, qui vont parfois à l’encontre des normes nutritionnelles. C’est arrivé lors d’une commission menu : il s’agit d’une réunion pour décider des menus de la cantine pour le mois à venir en présence de différents adultes du collège (la chef cuisinière, l’infirmière, le principal, etc.), une diététicienne du Conseil général et trois élèves de la classe de 5e réalisant le projet alimentation. L’infirmière explique aux élèves comment se passe la réunion, elle les prévient :

    L’infirmière : On peut pas mettre des frites à tous les repas. C’est trop gras.
    Sami s’agite sur sa chaise.
    L’infirmière : Qu’est-ce qu’il y a Sami ? Pourquoi tu tapes ton voisin ?
    Sami : Je veux des frites à chaque repas.
    L’infirmière : Tu n’as rien écouté alors Sami.

    31L’infirmière ne cherche pas à comprendre l’avis de Sami et lui reproche de ne pas avoir écouté ce qu’elle venait de dire sur l’équilibre alimentaire. Un écart se creuse entre les adultes et les élèves, qui ne se sentent pas écoutés. La plupart des propositions faites par les élèves pendant la réunion sont refusées, et l’une des élèves me dira plus tard qu’elle n’a pas du tout apprécié la commission menu parce qu’« on proposait mais à chaque fois ils disaient non. Donc après on disait plus rien39 ».

    32Les préférences des élèves sont donc souvent éloignées des normes véhiculées à l’école et dans les médias. À l’école, on ne les écoute pas, et à la maison, cela dépend des familles : certains parents choisissent de faire ce que les enfants aiment (pâtes, frites, pizzas) pour éviter d’avoir à se bagarrer avec eux pour qu’ils finissent leur assiette : « Je me dis pâte et riz, comme elle le veut, comme elle demande, c’est bon. Je vais pas chercher plus loin40. »

    33Il apparaît donc que les élèves réagissent différemment face aux adultes selon la situation dans laquelle ils se trouvent. L’idée d’une adaptation de l’adolescent aux différentes situations auxquelles il est confronté est également traitée par Marie-Pierre Julien dans cet ouvrage.

    Utiliser les messages pour se valoriser auprès de ses pairs

    34Le groupe de pairs compte énormément dans la vie d’un jeune adolescent et l’image de soi face aux autres est souvent primordiale. Comme le remarque François de Singly : « Dès l’entrée au collège, le garçon ou la fille devient tout autant “membre de sa classe” d’âge que “membre du groupe familial”41. » Au lieu de parler du groupe de pairs, il faudrait parler des groupes de pairs. En effet, dans une classe de collège, plusieurs groupes bien distincts cohabitent. Dans la classe observée, pour simplifier, l’on peut dire qu’il y a un ensemble d’élèves principal : le groupe-classe, qui contient les élèves « intégrés », ceux qui sont populaires (parfois dans tout le collège) – le délégué, les fortes têtes et leurs amis. Ce groupe est plus ou moins coupé en deux, avec les filles d’un côté (le « groupe des six ») et les garçons de l’autre (ils sont sept). Ensuite, les autres élèves de la classe sont en marge et peuvent même être exclus. Ils restent en petits groupes (de deux à trois élèves) ou même seuls. La position d’un élève par rapport à ces groupes joue dans sa façon de se comporter et de s’exprimer en classe.

    35Quel discours tiennent les préadolescents à propos de l’alimentation devant leurs pairs, selon le groupe auquel ils appartiennent ? C’est ce que nous allons chercher à mettre au jour à travers trois scènes. Ces scènes montrent que les adolescents du groupe-classe sont tenus de se présenter aux autres comme intégrés à la culture adolescente, culture qui guide un certain nombre de leurs comportements, et notamment de leurs discours sur l’alimentation. Ils doivent se montrer indifférents voire en opposition par rapport aux discours nutritionnels véhiculés par les médias et l’école. En effet, ces élèves mettent tout en œuvre pour conserver leur place de choix dans le groupe-classe. À l’inverse, les élèves en marge de la classe sont, d’une certaine façon, plus libres d’exprimer un discours s’éloignant de celui dicté par la culture adolescente. Ayant pour la plupart renoncé à faire partie du groupe-classe, ils cherchent moins à susciter l’adhésion voire l’admiration de leurs pairs.

    36La première scène que je vais décrire prend place à la cantine. Nous sommes dans un autre contexte que la salle de classe, les adultes ne sont pas là, la cantine est un moment entre pairs (d’ailleurs, j’ai souvent des difficultés à me faire accepter à la table des filles ou des garçons du groupe-classe). Les langues sont donc déliées, on peut parler librement, « rigoler avec ses potes ». Je suis à la table des filles, en face de Jennifer qui fait partie du « groupe des six ». Le matin même, nous avons fait une séance sur les étiquettes alimentaires : comment les décoder, que trouve-t-on dessus, etc. :

    AM : Vous pouvez lire les étiquettes maintenant ! (Je montre un yaourt.)
    Jennifer : Je m’en fous de ça. C’est des féculents.
    AM : Non !
    Jennifer : Si.
    AM : Non c’est des laitages. Les féculents c’est des pâtes, du riz42.
    Jennifer : Je m’en fous de toute façon.

    37J’aborde un sujet scolaire : le cours de physique-chimie où il a été question d’alimentation. Ce faisant, je reprends mon statut d’adulte. Jennifer se rétracte tout de suite et déclare que cela ne l’intéresse pas le moins du monde. Elle peut me répondre franchement, sans retenue, du fait de mon statut ambigu d’adulte non autoritaire. Est-ce parce qu’elle est à table avec ses copines (les autres membres du « groupe des six ») ? La situation modifie donc le discours que tiennent les adolescents sur l’alimentation. Il est primordial de la prendre en compte, comme l’avait relevé Howard Becker en affirmant que « chaque activité s’opère en réaction à une situation donnée43 ».

    38La seconde scène que je vais décrire prend place durant une séance en SVT sur l’équilibre alimentaire. Les élèves devaient calculer leurs dépenses et leurs apports énergétiques d’une journée, et tenter d’équilibrer leur repas au cours de cette journée. L’enseignante, pour appuyer un tel cours, a donné à faire l’exercice suivant : les élèves devaient choisir un menu fictif de type fast-food, puis rentrer leur menu dans un logiciel qui en calculait les calories. L’illustration suivante représente les menus de Sabrina et Jennifer (que nous venons de mentionner), deux jeunes filles très bien intégrées dans le groupe-classe. Elles font partie du « groupe des six ».

    39Elles ont pris chacune trois produits protéiques, qui sont d’ailleurs les mêmes : Big Mac, Double Cheeseburger et Chicken Mac Nuggets (l’une est plus gourmande que l’autre sur le nombre), des frites, de la sauce barbecue, du Coca, et puis deux desserts chacune : un milk-shake pour les deux, puis l’une un sundae caramel, l’autre un chausson aux pommes. Sabrina a composé un repas à 3 327 kcal et Jennifer à 2 624 kcal, alors qu’elles ont calculé que leur dépense énergétique journalière est de 2 100 kcal. Donc, en un repas, elles dépassent largement leurs besoins énergétiques de la journée. Pourquoi ont-elles choisi un tel repas gargantuesque ? Je suppose que c’est l’effervescence d’être toutes les deux, de s’imaginer à McDonald’s et de pouvoir choisir tout ce qu’elles veulent sans limite financière. Elles veulent montrer qu’elles aiment McDonald’s au point de vouloir manger tout ce qu’il y a « en vente ». C’est un acte transgressif, qui renvoie une certaine image d’elles-mêmes aux autres. On remarque qu’elles ont presque pris la même chose : on peut parler de mimétisme entre copines, comme en primaire, ainsi que l’a relevé Géraldine Comoretto à la cantine44. Donc, lors d’une séance sur l’équilibre alimentaire, ces jeunes filles ne se gênent pas pour composer un repas complètement déséquilibré. Choisir un menu McDonald’s les fait dériver vers le jeu, en plus la séance a lieu sur les ordinateurs, ce qui représente une situation ludique aux yeux des élèves. Certains élèves ont fait comme ces deux jeunes filles : les plus intégrés dans le groupe-classe. Les jeunes filles sérieuses ont choisi un menu dans les normes et certains garçons en surpoids ont choisi des menus assez légers avec une salade (ces différents élèves ne font pas partie du groupe-classe). Cette observation montre bien que les garçons eux aussi peuvent faire attention à leur poids et se restreindre. Cette scène dévoile également la diversité du rapport aux normes – ici alimentaires – selon la position des adolescents dans la classe voire dans le collège. Des adolescentes dominantes dans la classe peuvent se permettre de les transgresser, alors que des adolescents plus dominés, et pour certains stigmatisés du fait de leur poids, se sentent contraints de les respecter.

    Extrait du devoir maison de SVT : « Mon alimentation d’une journée est-elle équilibrée ? »

    Image

    40Enfin, la dernière scène concerne le petit-déjeuner organisé avec les 6e en mai. L’infirmière demande à Mamadou de dire à quoi sert le petit-déjeuner à une table d’élèves de 6e qui lui ont posé la question. Elle repart s’occuper d’autre chose.

    Mamadou : Tu sais ça sert à quoi le petit déj ?
    Il laisse un temps d’arrêt pour augmenter l’effet comique puis s’exclame : À rien !
    Les élèves éclatent de rire. Sa blague a fonctionné. Il part, satisfait.
    Il revient, content de sa trouvaille. Mamadou : Bonjour, vous voulez savoir à quoi ça sert le petit déj ?… Je sais pas !
    L’infirmière a cette fois entendu le petit manège de Mamadou et le gronde.

    41Mamadou transgresse le principe de ce petit-déjeuner qui est de donner des conseils aux plus jeunes. Il se rebelle contre l’ordre établi par les adultes et cherche à amuser la galerie, à se faire remarquer. Il apprécie tellement le rire qui éclate chez les 6e qu’il recommence, avec le risque d’être entendu. On peut noter que ma présence ne gêne en rien son petit jeu. En effet, mon statut n’est pas celui d’un adulte comme les autres, d’ailleurs, je n’interviens pas, au contraire : je souris à l’écoute de sa blague. Mamadou détourne la mission qui a été confiée aux élèves de la classe pour en faire un instrument de son image face au groupe de pairs, groupe qui est facile à séduire puisqu’il est composé d’élèves plus jeunes que lui, donc plus admiratifs d’un « grand45 ».

    42Ces différentes scènes étudiées nous montrent que le discours tenu devant les adultes et celui tenu devant le groupe de pairs sont complètement différents l’un de l’autre. Dans un cas, les élèves veulent montrer aux professeurs qu’ils connaissent leurs leçons, à savoir les normes du PNNS pour ce qui nous intéresse ici. En effet, même dans un collège très difficile, les élèves ont envie d’avoir de bonnes notes, d’être félicités par leurs professeurs. Donc, face aux adultes, un discours très normatif ressort, sauf exceptions : la commission menu où on leur demande de choisir des plats qu’ils aiment, leur préférence allant vers les frites. Ce sont les élèves les plus intégrés qui font part de leurs envies, à la fois parce qu’ils ont une plus grande aisance pour parler aux adultes du collège et, de surcroît, pour donner un avis contraire à ce qui est attendu ; et parce qu’ils sont les plus soucieux de montrer leur appartenance à la culture adolescente. De plus, l’on peut souligner que cette commission a lieu dans un autre cadre, moins formel qu’un cours. Devant les pairs, le discours diffère, notamment pour les élèves bien intégrés dans le groupe-classe. Il s’agit dans cette situation de se faire bien voir des autres, d’apparaître comme un rebelle, défiant les règles établies, les normes. C’est pourquoi j’ai très souvent entendu des élèves me dire : « On veut du McDo à la cantine ! » ou : « J’ai faim je voudrais un grec ! » L’alimentation est un facteur d’intégration dans le groupe de pairs. C’est un bon moyen de gagner en popularité : manger des hamburgers et des kebabs signifie « être cool ». Ainsi, étudier les discours et les comportements en lien avec l’alimentation permet de distinguer les élèves d’une classe et de mettre au jour un rapport aux normes différent du fait d’une volonté d’intégration différente. Les élèves en marge de la classe – ayant pour certains renoncé à s’intégrer – peuvent tenir un discours différent du discours dominant (celui de la culture adolescente) et donc respecter les normes en vigueur.

    Une diffusion possible dans la famille à différentes conditions

    43La question que nous allons nous poser en dernier lieu est : que font les adolescents des discours nutritionnels quand ils sont chez eux ? En parlent-ils avec leurs parents ? Nous allons voir que c’est très variable d’un enfant à l’autre, d’une famille à l’autre. Trois éléments jouent dans la transmission potentielle de messages nutritionnels de l’enfant à ses parents, illustrés ici à partir des exemples de Julie et de Quentin, qui sont diamétralement opposés du point de vue de la transmission. C’est la principale raison pour laquelle j’ai retenu ces deux cas.

    44Julie, qui est une jeune fille grande et fine, d’origine française, vit seule avec sa mère (42 ans), en instance de divorce depuis plusieurs années. Sa mère, Mme Copelle, est secrétaire, elle a un CAP sténodactylo. Julie et Mme Copelle sont très proches. Cette jeune fille a une très bonne copine dans sa classe, Viviane, avec qui elle passe le plus clair de son temps au collège. Elle parle très peu avec les autres élèves : elle est plutôt en marge de la classe. Julie a de bons résultats scolaires, est très sérieuse, se place au premier rang, fait bien ses devoirs et participe activement en classe. Elle est externe, elle rentre chez elle le midi, sa mère n’est pas à la maison mais lui laisse des pâtes ou des pommes de terre et du jambon. Julie ne mange pas à la cantine parce que sa mère préfère qu’elle ait « quelque chose dans l’estomac46 » : elle pense que sa fille ne mangerait rien le midi à la cantine parce qu’elle est « très difficile ». Julie n’aime pas la viande, elle a peur d’attraper des maladies en en consommant et mange peu de légumes.

    45Quentin, grand et très mince, est lui aussi d’origine française, il vit avec son père (50 ans) et sa sœur (17 ans). Sa mère est décédée quand il avait 6 ans. Son père est technicien de diffusion, il a un bac + 2 (DUT). À l’école, Quentin est bien intégré : il fait partie du groupe des garçons populaires. Ses résultats sont moyens, il est plutôt dissipé mais participe assez souvent. Il fait peu ses devoirs – « j’ai un peu la flemme47 ». La plupart du temps, et surtout lorsqu’il parle aux adultes ou qu’il est en cours, il a un visage renfermé et une voix peu enjouée. Quentin est demi-pensionnaire, il n’aime pas trop la cantine : il trouve qu’il y a trop de légumes. Je l’ai vu y faire des sandwichs, comme la plupart des garçons, avec de la viande et du fromage ou de la salade. La particularité de Quentin est qu’il est le seul élève de la classe à manger bio chez lui. Son père s’est tourné vers l’alimentation biologique depuis trois ans et la quasi-totalité des aliments présents à la maison est étiquetée AB48. La justification que le père donne à ce changement d’alimentation est la peur d’« empoisonnement », puisque l’« alimentation industrielle49 » entraîne des cancers. Quentin, obligé de manger beaucoup de légumes, des soupes et des biscuits bio, vit cette situation avec amertume et en veut à son père.

    46Les deux adolescents diffèrent en ce qui concerne la diffusion de discours nutritionnels dans leurs familles ; cela peut s’expliquer par plusieurs éléments. Ces différences se comprennent au regard des rapports différenciés qu’ils entretiennent à l’institution scolaire (discours scolaire et groupes de pairs) ainsi qu’à l’institution familiale.

    Un profil d’élève assez opposé

    47Ces deux élèves ont un rapport à l’école et aux enseignements très différent. L’école est au centre des préoccupations de Julie et de sa mère. Mme Copelle la suit de très près depuis toute petite : « Depuis la maternelle, je suis derrière elle50. » La réussite scolaire de Julie est l’objectif prioritaire de la mère. Mme Copelle est dans une logique d’ascension sociale : ses parents n’avaient pas fait d’études, ils étaient chauffeurs d’autobus à la RATP, elle et ses frères ont passé un CAP, et elle pousse Julie à aller plus loin encore. D’ailleurs, Julie est très ambitieuse : elle voudrait devenir médecin. L’école est vue par la mère comme une institution légitime et tout ce qui vient d’elle est respecté et suivi à la lettre. La mère comme la fille ont un rapport de docilité face au discours scolaire. Mme Copelle était d’ailleurs l’une des rares présentes à la réunion parents/professeurs du début de l’année, elle est même intervenue lorsque je me suis présentée, en bonne élève. Je pense qu’elle m’a reçue chez elle car j’étais légitimée par mon lien avec l’institution scolaire. Elle m’a d’ailleurs dit à la fin de l’entretien : « Vous allez voir toutes les familles ? Ça serait mieux ! C’est pour votre thèse, c’est pour vos études, c’est lié à l’école, donc c’est normal qu’on vous aide. » Julie montre une application en classe assez hors norme. Chez elle, elle me montre un dossier qu’elle a décoré dans lequel elle a rangé tout ce qui concerne le projet alimentation. Cela n’avait pas été demandé par les enseignants. Elle prend soin de tout ce qui vient de l’école, puisqu’elle y attache une grande importance. Ainsi, les messages délivrés pendant les séances sur l’alimentation sont imprimés en elle, comme tous les cours. On se rappelle que, lors du cours de français dans lequel la professeure avait testé la mémoire des élèves sur la séance d’analyse sensorielle, Julie avait donné des réponses très justes et précises. Elle écoute donc d’une oreille très attentive tout ce qui est dit en cours. Du fait de la légitimité accordée au discours scolaire, Julie adhère complètement aux normes véhiculées par l’école, donc aux normes en vigueur, entre autres les normes alimentaires. Elle les retient et les incorpore. « Si je mange McDo, ben je me tape plus de 10000 cal. Et… je me suis rendue compte que c’est beaucoup trop. Parce que… après si j’ai trop d’énergie, la prof d’SVT elle a dit qu’on va grossir ben… » Ce que dit l’enseignant est parole d’évangile et Julie s’approprie son discours.

    48En ce qui concerne Quentin, la situation est très différente : il est en conflit avec le discours scolaire. Il n’aime pas les professeurs :

    AM : Et ton prof préféré ?
    Quentin : J’en ai pas. C’est tous des profs que j’aime pas.
    AM : Ah ouais ? Tous ?
    Quentin : Presque ouais… oui.
    AM : Même Mme Chappes ou M. Durand ? M Durand il était sympa je trouve !
    Quentin : Bof.

    49Il arrive parfois en retard en cours, alors que Julie est toujours parmi les premiers à entrer dans la salle. Cet élève ne se comporte pas très bien à l’école, bien qu’il ne se fasse pas souvent remarquer : il ne fait pas partie des éléments perturbateurs de la classe. Cependant, il n’écoute pas toujours en cours, par exemple, une fois, en SVT :

    Mme Chappes : Quentin t’es capable de dire ce que vient de dire Julian ? Quentin : J’ai pas entendu.51

    50Par contre, il prend très mal les sanctions, il les vit comme une injustice : « Amar c’est à cause de toi que j’ai été viré ! » Peut-être a-t-il peur de la réaction de son père, une fois rentré à la maison. En effet, son père est très impliqué au collège. Il est le seul parent délégué FCPE de la classe. Il était lui aussi présent lors de la réunion parents-professeurs. Il suit donc la scolarité de Quentin de près, ce qui est peut-être source de conflits avec son fils. En effet, Quentin fait rarement ses devoirs : « Je m’allonge, je fais autre chose et je sais pas, j’ai pas envie de travailler, je sais pas pourquoi52. » Il a parfois des mots dans son carnet : ce n’est pas l’élève modèle. Son père a beaucoup de difficultés à sensibiliser Quentin aux attentes scolaires, il a plus ou moins abandonné et se résigne face au manque de motivation de son fils.

    51Le rapport au discours scolaire, qui peut être soit en opposition, soit, au contraire, très docile, joue, dans les deux exemples traités ici, sur la réception des messages d’éducation alimentaire. Les adolescents intègrent davantage les messages s’ils y sont attentifs et qu’ils y accordent du crédit. Par ailleurs, le cas de Quentin montre qu’il ne suffit pas que les parents soient impliqués scolairement pour que les enfants le soient également. La socialisation dans le groupe de pairs a elle aussi son rôle à jouer dans l’attitude des enfants face au discours scolaire, ou, pour prendre un autre exemple, face au travail de l’apparence, comme l’a montré Martine Court : « la socialisation des enfants se déroule en partie en dehors de la famille53 » ; « [les individus] sont exposés tout au long de leur vie à une pluralité d’instances de socialisation54 ». La présentation de ces deux cas pourrait laisser croire à un schéma très stéréotypé fille docile/garçon rebelle ; en réalité ce schéma ne doit pas être généralisé. Dans cette classe, l’élève le plus perturbateur est une fille, qui passe d’ailleurs en conseil de discipline à la fin de l’année. Il apparaît tout de même que, pour les garçons, une attitude non conforme aux attentes scolaires est largement valorisée, et que l’ensemble des garçons de la classe a un rapport distancié à l’école. C’est ce que remarque Dominique Pasquier chez les lycéens : « Pour devenir populaire, un garçon doit […] affirmer son autonomie face aux demandes des adultes (ce qui implique une certaine distance à l’égard de la norme de réussite scolaire)55… »

    La relation au groupe de pairs, déterminante dans le rapport des adolescents à l’alimentation

    52Comme nous l’avons déjà vu plus haut, la relation de l’élève au groupe de pairs et notamment sa volonté d’intégration au groupe-classe est un élément important de compréhension du discours que peut tenir un préadolescent sur l’alimentation. Les exemples de Quentin et de Julie sont, sur ce point, diamétralement opposés. En effet, ils ne font pas du tout partie du même groupe d’amis dans la classe. Quentin est bien intégré, alors que Julie est en marge de la classe. Quentin fait partie du groupe-classe, comme le montrent ces indices lors d’une séance de sport :

    – Sabrina, l’une des leaders du « groupe classe », sort une boisson de son sac pendant le cours de sport. Elle n’en donne qu’à ses amis, dont Sami et Quentin.
     – Quentin fait son exposé de français, qui doit se faire en binôme, avec le délégué, Sami.

    53Il arrive cependant que Quentin soit en marge de ce groupe, presque rejeté :

    Vers la fin de l’année, je remarque que Quentin a changé de coupe de cheveux. Nous sommes en EPS, nous nous rendons au gymnase.
    Moustafa : T’as un truc blanc dans tes pics [à Quentin]. Ça doit être le gel.
    Quentin marche tout seul, Moustafa se rapproche de lui.
    Moussa : Moustafa viens ! Qu’est-ce que tu fais avec « Cumba
    Cla56 » ? [Quentin]

    54Les garçons de son groupe d’amis lui ont trouvé un surnom moqueur, et il n’est pas bon de rester avec lui, ce jour-là en tout cas. Il est arrivé plusieurs fois que, pendant un jour ou quelques heures dans la journée, Quentin soit tout seul, le visage renfermé, l’air boudeur. Son rapport à ses amis n’est donc pas très stable. Quentin a très peur d’être l’objet de moqueries, comme il me le dit en entretien :

    AM : En SVT, t’as compris ce qu’il faut faire ? [Il s’agit d’un devoir maison où les élèves doivent décrire les prises alimentaires d’une journée en collant les étiquettes des aliments consommés.]
    Quentin : Oui, il faut coller les étiquettes. Mais moi je vais pas le faire, je veux pas coller des étiquettes AB57. Parce que sinon y a certains qui vont m’embêter.
    AM : Laurent ?
    Quentin : Non pas Laurent.
    AM : Alex ?
    Quentin : Non plus.
    AM : Moussa ?
    Quentin : Oui peut-être.
    AM : Mais c’est ton ami Moussa58.
    Quentin : Eh ben des fois, on se vanne entre nous, j’aime pas quand c’est contre moi.

    55Quentin ne veut pas qu’on sache qu’il mange bio à la maison, car il a peur que cette particularité se retourne contre lui et que ses amis l’excluent parce qu’il est différent. Comme je l’ai déjà énoncé plus haut, l’alimentation a un rôle intégrateur dans le groupe de pairs, il faut « s’afficher59 » comme un consommateur et un amateur de fast-foods et de kebabs pour être bien vu.

    56La situation de Julie est complètement différente. Julie est toujours au premier rang en classe, ce qui la catégorise immédiatement comme « première de la classe ». Sur Facebook60, un élève a posté une image représentant la classe et il a nommé « Julie » la fille au premier rang, en train de prendre des notes, avec de grosses lunettes : Julie est étiquetée « la bonne élève » de la classe. Mais Julie accepte ce statut et cela ne l’empêche pas de participer en classe, de reprendre les autres s’ils font une faute, de se considérer comme la meilleure, la plus mature, ce qui lui permet, en cours d’EPS sur le chemin du gymnase, de lancer à Laurent : « T’es qu’un bébé toi ! »

    57Une autre fois, elle demande à Nathan s’il vient au séjour ski organisé par le collège, il répond non, elle s’exclame : « Heureusement que vous venez pas [Nathan et Laurent], vous auriez été ingérables ! » Julie se considère presque comme une adulte, une enseignante qui voit les autres élèves comme des adolescents immatures et indisciplinés.

    58Cette jeune fille ne se laisse pas faire, elle n’a pas la langue dans sa poche et est tout de même respectée des autres. Son statut marginal dans la classe ne la dérange pas, elle passe son temps avec Viviane, une autre très bonne élève, qui est sa meilleure amie. Elles ne cherchent pas à être intégrées au groupe-classe, elles vivent en autarcie et ont très peu d’interactions avec les autres, ce qui ne leur pose pas problème apparemment. Ainsi, Julie et Viviane sont libres de dire ce qu’elles veulent, de participer en classe, de donner les bonnes réponses, de jouer aux « lèche-bottes » et, aussi, de manger ce qu’elles veulent et d’avoir des goûts « affichés » différents des autres. Elles restent tout de même des préadolescentes qui aiment les frites et n’apprécient pas beaucoup les légumes. Viviane me confie une fois qu’elle voudrait plus de frites à la cantine. Mais avec le logiciel McDo, les deux jeunes filles peuvent choisir un repas raisonnable, puisqu’elles ne cherchent pas à se faire bien voir des autres et à s’intégrer au groupe-classe.

    59Le rapport au groupe de pairs de Quentin et de Julie est donc très différent. Quentin fait très attention à l’image qu’il renvoie au groupe-classe de peur d’en être exclu ou du moins d’être la risée de la classe. Il cache ses différences qui le distingueraient de la culture de son groupe de pairs, notamment concernant l’alimentation. Julie ne se pose pas la question de son intégration dans le groupe-classe, elle assume son statut de « première de classe » et en est même fière. Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds et est ainsi plus libre d’exprimer ses propres avis.

    La relation parent-adolescent comme facteur jouant sur la communication de ce qui est appris à l’école

    60Julie et Quentin vivent tous les deux dans une famille monoparentale, mais la relation qu’ils ont avec leur parent est complètement différente. Julie a une relation que l’on peut qualifier de fusionnelle avec sa mère. Voici un extrait de l’entretien avec Mme Copelle qui montre bien la proximité entre la mère et la fille (Julie étant présente pendant l’entretien). Nous discutons du séjour ski organisé par le collège auquel Julie a participé : c’était la première fois qu’elle partait seule. Mme Copelle raconte que Julie est « partie difficilement ». Sa mère lui a beaucoup manqué, elle l’appelait tous les soirs :

    Julie : Et en fait maman c’est comme si t’es… comme si t’es mon gros pilier. Et il fallait pas que je parte. C’est comme par exemple le phare pour les bateaux.
    Mme Copelle : En fait moi je suis ton univers pour que tu puisses avancer.
    Julie : Voilà. Sans toi ouoh ! Je patauge. J’arrive quand même à me débrouiller mais, c’est mieux quand y a maman.
    Mme Copelle : Quand tu étais petite c’est pareil hein, quand tu étais petite, y avait que toi qui, voilà, hein.
    AM : Qui comptait ?
    Mme Copelle : Ah oui, oui, oui. Oui parce que je l’ai vraiment voulue, voulue désirée, donc quand elle est arrivée… Voilà.
    Julie : Alléluia !

    61C’est encore une enfant par certains côtés, elle emploie le mot « tototte » pour parler de sa tétine qu’elle avait donnée à un lapin quand elle était petite, elle suce encore son pouce, etc. Julie, l’adulte à l’école, est en fait encore une petite fille, qui a besoin de toute l’attention de sa maman. Mme Copelle est donc la confidente de Julie, et comme elles attachent beaucoup d’importance à l’école, le collège constitue l’un de leurs principaux sujets de discussion. Julie raconte par le menu tous ses cours de la journée. Pendant l’entretien, elle est d’ailleurs déçue de voir que sa mère a oublié ce qu’elle lui avait dit plusieurs mois auparavant :

    AM : Alors est-ce qu’elle vous a parlé de séances ?
    Mme Copelle : Elle a dû m’en parler mais… (Elle rit).
    Julie : Oh super.
    Mme Copelle : Ben c’est au moment qu’elle me parle que je suis fatiguée de ma journée. Je me déconnecte un peu comme vous voyez y a pas de bruit, y a rien, donc elle a dû sûrement ça c’est sûr parce que moi elle me raconte tout ce qu’elle fait à l’école. Tous les cours.
    Julie : Ça fait plaisir.
    Mme Copelle : Je suis désolée nénette. Je préfère être franche. J’ai pas souvenance. Il suffit qu’elle me parle au moment où je fais peut-être quelque chose, ou que je suis fatiguée, que je suis pas en train de me connecter avec elle voilà…
    Julie : Ça veut dire les autres jours que je te raconte mes cours en fait tu piges que dalle ?
    Mme Copelle : Ah si attends ! Si si, je t’écoute mais il suffit que tu me parles sur un moment où voilà…

    62Finalement, en lui rafraîchissant la mémoire, Mme Copelle se souvient bien de la discussion. Julie parle donc énormément avec sa mère, ce qui n’est pas le cas de Quentin.

    63Quentin et son père ont une relation beaucoup plus distanciée que celle de Julie et de sa mère. Quentin paraît avoir honte de son père : il a très mal vécu le fait que je vienne chez lui. Lors de ma première venue, Quentin n’était pas à la maison, mais le père me fait comprendre que Quentin était très énervé quand il a appris que j’allais venir. Il raconte :

    AM : Et donc Quentin il était pas content que je vienne c’est ça en gros ?
    M. Tiber : Oui oui. Oui parce que… Ben il veut pas que… comme je suis parent d’élèves61 donc le seul dans la classe, déjà l’année dernière, ça fait deux ans que je suis, cette année de nouveau je suis tout seul en parent d’élèves. Vous savez les parents d’élèves ?
    AM : Oui oui.
    M. Tiber : Au conseil de classe, je fais que le conseil de classe. Et comment dire, je suis le seul dans la classe, bon ben ça le gêne, parce que je me mets en avant, je sais pas comment ils disent, je me souviens plus le mot, s’afficher. S’afficher ou… Ben voilà quoi, c’est…
    AM : Il aime pas être…
    M. Tiber : Parce que lui pourtant quand il parle en général, je crois
    qu’il parle assez fort, donc il s’affiche aussi, fin voilà quoi c’est…

    64Quentin a peur du regard des autres sur son père, donc sur lui-même. J’imagine qu’il n’avait pas envie que je découvre ce qu’il mange (du bio) et peur que j’apprenne des choses sur sa vie personnelle et que je le raconte à toute la classe. Une barrière est tombée quand il a vu que j’étais complètement silencieuse après ma première visite chez lui. Puis la glace s’est vraiment rompue au moment de ma deuxième visite, pendant laquelle j’ai discuté avec lui. Il était très renfermé au départ, il n’avait pas du tout envie de me parler et je voyais clairement que ma présence le gênait, puis il s’est détendu et sa langue s’est déliée : je suis finalement restée deux heures avec lui.

    65Outre la honte que ressent Quentin pour son père, leur relation est assez conflictuelle, en tout cas concernant l’alimentation. Le début de l’entretien a été assez ardu et a bien mis en évidence la tension entre le père et le fils et le rejet de Quentin pour les repas que cuisine son père :

    AM : Y a quoi comme légumes que t’aimes pas ?
    Quentin : Mmh. Le salsifis bizarre. Le chou, tous les trucs là je sais pas.
    AM : Les épinards ?
    Quentin : Tout ce qu’il fait j’aime pas. Ses soupes et tout.
    M. Tiber : T’en as mangé hier de la soupe.
    Quentin : Y en a aucune qui est bonne.
    M. Tiber : Elle était pas bonne hier ?
    Quentin : Non elle était pas bonne, soja et…

    66Quentin rejette en bloc tout ce que cuisine son père. À ce moment précis, il était particulièrement énervé du fait de ma venue.

    67Les discussions entre M. Tiber et son fils ont l’air assez rare, et abordent très rarement l’école. M. Tiber semble voir l’école avant tout comme un moyen d’avoir un travail, et transmet à son fils la peur d’être au chômage :

    AM : Et il pense que l’école c’est important tu crois, il te parle beaucoup de l’école ?
    Quentin : Ouais. Sinon après j’aurai… Je serai au chôm…, j’aurai pas de travail.
    AM : Toi aussi tu penses que c’est important ?
    Quentin : Oui mais je prends pas trop au sérieux.

    68Pourtant, Quentin me pose à la fin de l’entretien beaucoup de questions sur mes études, mon travail : il s’inquiète pour son avenir. M. Tiber explique que Quentin lui parle très peu, et encore moins de ses cours :

    AM : Et il vous parle de ses cours ? Il vous raconte ses cours ? L’école ou…
    M. Tiber : Euh… non non, non il pense qu’à ses jeux, rentré ici, il pense qu’à ses jeux. Il pense qu’à ses jeux, sa télé, son émission Les Simpsons, ses jeux et puis… le foot.
    AM : Il vous parle pas trop de ce qu’il vit ?
    M. Tiber : Non, de temps en temps il va… Non c’est rare quoi mmh.
    AM : Il vous parlera pas d’un cours, ce qu’il a fait en cours ou…
    M. Tiber : C’est rare mais… Si du tabac l’autre jour. Si si, le tabac l’autre jour si si.
    AM : Il vous a dit qu’il avait vu à l’école ce que c’était ?
    M. Tiber : Il m’a parlé d’une chose qui l’a marqué, le tabagisme passif [il rit]. Autrement c’est assez rare quoi. Mais ici il révise pas quoi il…

    69Quentin ne parle pratiquement jamais de ses cours, mais il y a une exception : le tabac. M. Tiber fume, ce qui est paradoxal pour un homme qui a une telle peur des cancers. En cours de SVT, j’ai vu Quentin interpeller ses amis pour leur dire : « Tu sais qu’il y a du goudron dans les cigarettes ? » Il avait l’air traumatisé. Quentin a perdu sa mère d’un cancer, ce qui l’a sans doute sensibilisé à ces questions. Qui plus est, son père lui parle continuellement de l’« épidémie du cancer » et du danger que cela représente.

    70En définitive, ces deux adolescents, en partie du fait des éléments soulevés ici, ne transmettent pas les discours nutritionnels de la même manière. Julie joue à l’enseignante avec sa mère et lui récite les leçons qu’elle a apprises. J’ai eu la chance d’assister à cette transmission ascendante pendant mon entretien chez elles :

    Mme Copelle : Donc vis-à-vis des fruits et des gâteaux, qu’est-ce qui est le meilleur pour moi ?
    Julie : Qu’est-ce qui est le meilleur pour toi ? Ben les deux parce que tu peux pas vivre sans glucide et sans vitamine.
    Mme Copelle : D’accord. Que moi j’aurais préféré que ça soit plus les fruits, que le sucre.
    Julie : Non mais c’est pas pareil parce que si t’as pas de glucides…
    Mme Copelle : Dans les fruits y a moins de sucre que dans les gâteaux ?
    Julie : Oui oui non mais, c’est pas ça, c’est que forcément y a moins de sucre, mais…
    Mme Copelle : On rentre dans un débat d’enfer.

    71Julie est donc une adolescente qui diffuse les discours nutritionnels dans sa famille, du fait, en partie, d’un rapport docile au discours scolaire, d’une relation distanciée au groupe de pairs et d’une relation fusionnelle avec sa mère.

    72Quentin a consciencieusement rempli la fiche bilan sur le projet alimentation, ce qui montre que son rapport à moi a évolué après notre entrevue chez lui. Il répond systématiquement « non » à la question « Est-ce que tu en as parlé à tes parents ? » pour l’ensemble des séances. Il n’a donc pas dit un seul mot à son père au sujet du projet alimentation. On voit bien ici la situation inverse : Quentin ne transmet pas de discours nutritionnel à son père, du fait d’un rapport en opposition au discours scolaire, d’une recherche d’intégration au groupe de pairs et d’une relation conflictuelle avec son père, les trois éléments étant évidemment liés les uns aux autres. D’autant que son père suit déjà les recommandations du PNNS, alors que Quentin voudrait manger la même chose que ses copains. Quentin mange donc beaucoup plus de légumes que Julie : en soupe, en salade, etc. La famille de Julie est très proche du discours légitime : autant la mère, qui récite sa leçon (« Ah oui ben ce qu’il faut manger c’est des fruits, que moi je mange pas62 »), que la fille, intégrant très bien le discours scolaire et le transmettant à sa mère. Mais cette famille suit beaucoup moins les recommandations du PNNS. En effet, le soir, Julie mange très souvent de la raclette. La mère est bien consciente de l’écart entre son discours et ses pratiques alimentaires, mais elle ne sait pas bien comment l’expliquer. Jean-Claude Kaufmann observe quelque chose de similaire à propos des activités ménagères : « Yann est là aujourd’hui, travaillé par la question de l’entretien du sol, entre sa tête qui voudrait, et son corps qui refuse encore63. » On peut émettre l’idée qu’il y a une différence entre ce que l’on pense, qui est de l’ordre du cognitif, et ce que l’on fait, qui est de l’ordre du geste, de l’habitude corporelle, comme le remarque Marcel Mauss : « je ne peux pas me débarrasser de ma technique64 ». Il est très difficile de se débarrasser de ses habitudes : « L’objet disparaît dans le monde invisible de la routine tout simplement parce qu’il est incorporé au sens strict65 », écrit J.-C. Kaufmann. Mme Copelle l’exprime assez bien en parlant des courses : « Je vais faire ma liste, de tout ce qu’il va manquer, mais je vais pas marquer “fruits” et c’est parce que voilà je suis pas habituée, pourtant… » Dans la famille de Quentin, le père a vécu des événements qui l’ont bouleversé (notamment la mort de sa femme d’un cancer du pancréas) et qui ont été suffisamment forts pour changer ses habitudes (« je cuisinais pas avant, je faisais des pâtes, j’étais66… »), petit à petit, jusqu’à atteindre des pratiques très différentes : beaucoup de fruits et légumes et du bio. Quentin est donc contraint de manger ce que lui donne son père : une nourriture très différente de ce que mangent la plupart de ses amis. Il en a donc honte et le cache à l’école. Peut-être inconsciemment Quentin sent qu’il ne provient pas du même milieu socioculturel que ses amis : dans le groupe des sept garçons, il est le seul « blanc » et son père est le plus diplômé des parents de la classe. C’est peut-être pour cette raison qu’il est dans un équilibre instable par rapport à son intégration dans le groupe. L’alimentation dans sa famille est un révélateur de son milieu socioculturel qu’il cherche à dissimuler. Ainsi, l’alimentation est source de conflits avec son père. C’est assez logique que Quentin ne parle pas des séances du projet alimentation à M. Tiber, puisque les messages véhiculés par ce projet vont dans le sens de ce que fait son père et que cela légitimerait des pratiques familiales qu’il désapprouve.

    Conclusion

    73Les résultats exposés proviennent – il convient de le rappeler ici – de terrains effectués dans des collèges accueillant des élèves issus de milieux défavorisés. Ces résultats valent donc surtout pour les milieux populaires. Pour synthétiser, nous pouvons affirmer que les messages nutritionnels, provenant – comme nous venons de le voir – de sources diverses (médias, professeurs, infirmière, pairs, parents), sont reçus par les adolescents avec plus ou moins d’enthousiasme et d’attention. Les messages sont alors intégrés à différents degrés par les adolescents, qui les réutilisent lors de leurs interactions avec les adultes du collège (ils jouent alors au « bon élève ayant bien retenu la leçon ») ou avec leurs pairs (où l’image de soi compte beaucoup et où il vaut mieux passer pour un « pitre » que pour un « intello67 »). Enfin, arrivés chez eux, les adolescents disposent de leur « culture normative » pour faire la leçon à leurs parents ou pas. Cela dépend de plusieurs éléments, entre autres leur rapport au discours scolaire donc la réception et l’intégration des messages, leur relation au groupe de pairs et leur relation à leurs parents.

    74Julie et Quentin se trouvent dans deux configurations familiales très différentes : Julie et sa mère communiquent continuellement alors que le dialogue est très difficile entre Quentin et son père. Julie est écoutée : elle peut apporter dans sa famille un discours nutritionnel entendu à l’école et faire valoir ses préférences alimentaires pour le choix des repas. Discours et préférences sont en contradiction : au niveau des pratiques, ce sont les préférences qui l’emportent. Quentin, quant à lui, n’a pas son mot à dire concernant le choix des repas : il n’y a pas de négociation possible avec son père. Les messages nutritionnels provenant de l’école iraient dans le sens des pratiques de M. Tiber, donc Quentin se retient bien de les diffuser à la maison. L’étude de ces deux cas particuliers ne permet pas une généralisation à l’ensemble de la classe, encore moins à l’ensemble des adolescents. À l’échelle de la classe, rappelons-le, d’un collège zone sensible/prévention violence, il apparaît que très peu d’élèves véhiculent les messages d’éducation à la santé provenant de l’école. Cela pourrait s’expliquer en partie par le fait que la communication sur le sujet de l’école est assez réduite dans la plupart des familles de cette classe. En effet, lorsque j’ai téléphoné à l’ensemble des parents en février, la majorité n’était pas au courant que leurs enfants réalisaient un « projet alimentation », ni même qu’une étudiante assistait aux cours. L’ignorance des parents montre bien que les adolescents de cette classe racontent chez eux peu de choses sur ce qui se passe au collège. Cela apparaît comme caractéristique des milieux populaires ; en effet, dans un autre collège plus favorisé, qui constitue un autre terrain de mon enquête, les élèves révèlent une grande habitude à parler d’eux (initiée selon moi par leurs parents).

    75En assistant aux différentes séances du projet alimentation, j’ai pu me rendre compte que la réception par les élèves était plus ou moins bonne selon la teneur de la séance, mais également selon la matière dans laquelle était faite la séance. Le cours, réceptacle de la diffusion de discours nutritionnels, a donc son importance dans l’attention portée par les élèves au discours transmis. Des messages venant de sources indirectes, comme la télévision, sont perçus différemment : ils sont enregistrés par les adolescents à force de les entendre, mais ils les laissent dans un brouillard assez épais puisqu’ils n’ont pas pu interagir avec les émetteurs de ces messages : les adolescents sont passifs et abandonnés à leurs propres réflexions. La télévision est un vecteur efficace pour obtenir une diffusion à l’ensemble de la population, mais les publicités alimentaires ne sont pas forcément le lieu le plus approprié pour donner du sens aux messages. À l’école, les élèves peuvent réagir, discuter entre eux, poser des questions à l’enseignant et ainsi mieux s’approprier les discours.

    76La transmission dans la famille des messages venant de l’école est variable d’un enfant à l’autre : cela ne « marche » pas pour tout le monde. Les connaissances acquises par le « projet alimentation » ne sont pas forcément diffusées dans les familles, pas plus que les messages vus à la télévision. Ces deux formes d’éducation alimentaire se cantonnent au niveau cognitif, elles peuvent donc parfois modifier les discours, mais la question de la mise en pratique est encore plus complexe : il ne suffit pas que les enfants ou les parents sachent pour qu’ils fassent. Je peux citer l’exemple de Mme Copelle, qui me dit plusieurs fois pendant l’entretien qu’il est important de manger des fruits, et qui pourtant n’en achète jamais. Sa conduite est donc en contradiction avec son discours : l’habitude est plus forte que la pensée. Isabelle Garabuau-Moussaoui a travaillé sur des problématiques similaires concernant l’énergie et constate, elle aussi, un écart entre discours et pratique : « l’environnement et l’énergie font partie des préoccupations et valeurs familiales, mais […] cela n’implique pas mécaniquement un usage68 ». Elle s’intéresse elle aussi à la question des remontées de discours normatifs des enfants vers les parents et elle remarque que bon nombre d’enfants jouent au « donneur de leçons69 » dans leurs familles, « caftant » les lumières laissées allumées, le robinet laissé ouvert70. Ce rôle d’éducateur de la famille est plus difficile à endosser par l’enfant – ou l’adolescent – concernant l’alimentation, car les jeunes n’apprécient généralement pas les légumes et sont friands de sucré et de salé, en d’autres termes tout le contraire de ce que prône le PNNS. Comme le dit Eleanor : « Si les enfants pouvaient choisir ce qu’ils voulaient, ils choisiraient ce qui n’est pas bon pour eux71. »

    77Les préadolescents utilisent de manière différenciée les messages entendus en cours ou dans les médias selon les objectifs visés et le contexte dans lequel ils se trouvent. Se faire bien voir du professeur lors d’un cours formel en récitant les messages comme une leçon, se démarquer des autres lors d’une séance du projet alimentation en transgressant les normes du repas, s’intégrer au groupe-classe en cachant qu’à la maison on mange bio. Autant de situations et d’instrumentalisations du « nutritionnel » au profit de l’image de soi renvoyée aux autres, adultes ou élèves.

    Notes de bas de page

    1 Ce texte est issu d’un travail de thèse en cours, cofinancée par la Fondation Nestlé France et le département SAE2 de l’INRA, et d’une communication au colloque « Mesure et réforme des pratiques alimentaires (xixe-xxe siècles) », intitulée « Que font les adolescents des programmes d’éducation alimentaire proposés au niveau national et local ? » Je remercie Luc Berlivet, le discutant, pour ses remarques très pertinentes, ainsi qu’Anne Lhuissier, Thomas Depecker et Séverine Gojard pour leur précieuse relecture. Les prénoms ainsi que les noms de famille des enquêtés ont été modifiés dans le souci du respect de l’anonymat.

    2 Sirota R., Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2006, p. 22.

    3 Le terme agency est défini par Alisson James et Alan Prout comme « the creative production of social life » dans James A., Prout A., Constructing and Reconstructing Childhood. Contemporary Issues in the Sociological Study of Childhood, Londres, Falmer Press, 1997, p. 27.

    4 Lahire B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin, coll. « Essais & recherches », 2006, p. 31.

    5 Terme utilisé par Philippe Perrenoud dans son article, Perrenoud P., « Le go-between, entre sa famille et l’école, l’enfant messager et message », Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF Pédagogie/Recherche, Paris, 2004.

    6 Dubet F., Martuccelli D., À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil, 1996, p. 74.

    7 Fize M., Les adolescents, Paris, Le Cavalier bleu, 2009, p. 71.

    8 Conseil général avec lequel je suis sous convention de stage. Je tiens à remercier les membres du service à l’origine de l’action d’éducation alimentaire étudiée. Ce partenariat avec le Conseil général m’a permis d’accéder à des collèges du département et d’analyser la réception et la retraduction d’une action, ce qui est l’objectif de ma thèse.

    9 Citation tirée du document de présentation de l’action du Conseil général.

    10 Ibid.

    11 Lassare D., Accabat A., « Apprendre à manger ou comment modeler les pratiques alimentaires des jeunes ? », La lettre de l’enfance et de l’adolescence, no 65, 2006, p. 22.

    12 EPS : éducation physique et sportive.

    13 SVT : sciences de la vie et de la terre.

    14 Citation issue du programme EPODE.

    15 Cf. Guetat M., « De l’injonction à la réappropriation des messages nutritionnels ambiants », N. Diasio, A. Hubert, V. Pardo (dir.), Alimentations adolescentes en France, Les Cahiers de l’Ocha, 2009, p. 127.

    16 Comme l’a fait Wilfried Lignier pendant sa thèse et qu’il décrit dans Lignier W., « La barrière de l’âge. Conditions de l’observation participante avec des enfants », Genèses, no 73, 2008, p. 20-36.

    17 Propos tenu par la professeure d’arts plastiques lors d’une discussion en salle des professeurs.

    18 Propos tenu par Salim, dans la cour de récréation, après le cours d’EPS.

    19 Mamadou, à la cantine, la première fois où j’ai décidé de manger à la table des garçons.

    20 Lignier W., art. cit., p. 23.

    21 J’aurais pu aisément investir ce statut eu égard à ma formation initiale d’ingénieur agronome.

    22 Il existe également des messages adaptés à la cible « enfants », pendant les programmes télévisés pour enfants, du type « Pour être en forme, dépense-toi bien ».

    23 Guetat M., art. cit., p. 127.

    24 Extrait de l’entretien avec Émilie, en présence de sa mère, enquête 1.

    25 Extraits d’entretiens, enquête 1.

    26 Extrait d’entretien avec Mohand, père au chômage, mère agent de nettoyage de textiles, enquête 2.

    27 Singly F. de, Les adonaissants, Paris, Armand Colin, 2006, p. 58.

    28 Extrait de l’entretien avec Salim, père gérant d’un hôtel, mère sans emploi, formation de chimiste, enquête 2.

    29 Entretien avec Maxime, mère archiviste au Conseil général, enquête 2.

    30 Extrait de l’entretien avec Ashton, mère agent d’entretien, enquête 1.

    31 Lalanne M., Tibère L., « Quand les enfants font craquer les modèles alimentaires des adultes », Enfance, no 3, 2008, p. 275.

    32 Propos tenus par la mère de Jade, en présence de sa fille, père aide-soignant, mère sans emploi, enquête 1.

    33 Extrait de l’entretien avec Livia, père et mère architectes, enquête 1. Cette famille vient donc d’un milieu social plus élevé que les autres familles citées, mais les propos de Livia reflètent bien ceux de la majorité des filles enquêtées, quel que soit leur milieu social.

    34 Extrait de l’entretien avec Samir, mère animatrice pour enfants, enquête 1.

    35 « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé », en ligne : www.mangerbouger.fr.

    36 Extrait de carnet de terrain du 17/06/2011, cours de mathématiques.

    37 Mots employés par l’infirmière.

    38 Guetat M., art. cit., p. 127.

    39 Viviane, pendant un repas à la cantine, enquête 3.

    40 Extrait de l’entretien avec Mme Narley, en arrêt maladie, enquête 1.

    41 Singly F. de, op. cit., p. 21.

    42 On peut noter que, lors de cette conversation, j’ai dévoilé une partie de ma science sur l’alimentation, sans pour autant dire ce qui est bon ou mauvais. Néanmoins, ce genre de situations où je me place en connaisseuse a été très rare.

    43 Becker H., Les ficelles du métier, Paris, La Découverte, 1998, p. 87, voir à ce sujet le chapitre de Marie-Pierre Julien dans ce même ouvrage.

    44 Comoretto G., « La “cantine”, lieu privilégié de construction de la sociabilité enfantine », actes du colloque « Alimentation, cultures enfantines et éducation », Angoulême, 1er-2 avril 2010, en ligne : http://cepe.univ-poitiers.fr/index.php/colloquefun-food-2010-93.html.

    45 Dubet F., Martuccelli D., op. cit., p. 152.

    46 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    47 Extrait de l’entretien avec Quentin Tiber, enquête 3.

    48 AB : agriculture biologique.

    49 Extraits de l’entretien avec M. Tiber, enquête 3.

    50 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    51 Extrait du carnet de terrain, enquête 3.

    52 Extrait de l’entretien avec Quentin, enquête 3.

    53 Court M., Corps de filles, corps de garçons. Une construction sociale, Paris, La Dispute, 2010, p. 132.

    54 Ibid., p. 110.

    55 Pasquier D., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Paris, Autrement, 2005, p. 103.

    56 Je n’ai pas bien saisi la signification du surnom donné ici à Quentin.

    57 AB : agriculture biologique.

    58 Laurent et Alex ne font pas partie du groupe-classe, alors que Moussa oui.

    59 « S’afficher » est un terme que les collégiens emploient eux-mêmes fréquemment : « Tu t’affiches » signifie « Tu te montres aux autres » (enquête 3).

    60 Je me suis créé un profil Facebook pour les besoins de l’enquête, et plusieurs élèves de la classe m’ont acceptée comme « amie ».

    61 Il est parent délégué FCPE.

    62 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    63 Kaufmann J.-C., Le cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action ménagère, Paris, Pocket, 2011 [1997], p. 100.

    64 Mauss M., « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1950.

    65 Kaufmann J.-C., op. cit., p. 59.

    66 Extrait de l’entretien avec M. Tiber, enquête 3.

    67 Dubet F., Martuccelli D., op. cit., p. 187.

    68 Garabuau-Moussaoui I., « L’énergie est-elle un enjeu de pouvoir dans la famille ? », S. Barrey, E. Kessous (dir.), Consommer et protéger l’environnement. Opposition ou convergence ?, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 74.

    69 Ibid., p. 82.

    70 Ibid., p. 81.

    71 Extrait d’entretien cité par Curtis P., James A., Ellis K., « Children’s Snacking, Children’s Food : Food Moralities and Family Life », Children’s Geographies, vol. 8, no 3, août 2010, p. 299.

    Auteur

    Aurélie Maurice

    Doctorante, ALISS-SOLAL /INRA (UR 1303) et CERLIS/Paris Descartes (UMR 8070) – ATER, université Paris Descartes

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    1 Ce texte est issu d’un travail de thèse en cours, cofinancée par la Fondation Nestlé France et le département SAE2 de l’INRA, et d’une communication au colloque « Mesure et réforme des pratiques alimentaires (xixe-xxe siècles) », intitulée « Que font les adolescents des programmes d’éducation alimentaire proposés au niveau national et local ? » Je remercie Luc Berlivet, le discutant, pour ses remarques très pertinentes, ainsi qu’Anne Lhuissier, Thomas Depecker et Séverine Gojard pour leur précieuse relecture. Les prénoms ainsi que les noms de famille des enquêtés ont été modifiés dans le souci du respect de l’anonymat.

    2 Sirota R., Éléments pour une sociologie de l’enfance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2006, p. 22.

    3 Le terme agency est défini par Alisson James et Alan Prout comme « the creative production of social life » dans James A., Prout A., Constructing and Reconstructing Childhood. Contemporary Issues in the Sociological Study of Childhood, Londres, Falmer Press, 1997, p. 27.

    4 Lahire B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Armand Colin, coll. « Essais & recherches », 2006, p. 31.

    5 Terme utilisé par Philippe Perrenoud dans son article, Perrenoud P., « Le go-between, entre sa famille et l’école, l’enfant messager et message », Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF Pédagogie/Recherche, Paris, 2004.

    6 Dubet F., Martuccelli D., À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil, 1996, p. 74.

    7 Fize M., Les adolescents, Paris, Le Cavalier bleu, 2009, p. 71.

    8 Conseil général avec lequel je suis sous convention de stage. Je tiens à remercier les membres du service à l’origine de l’action d’éducation alimentaire étudiée. Ce partenariat avec le Conseil général m’a permis d’accéder à des collèges du département et d’analyser la réception et la retraduction d’une action, ce qui est l’objectif de ma thèse.

    9 Citation tirée du document de présentation de l’action du Conseil général.

    10 Ibid.

    11 Lassare D., Accabat A., « Apprendre à manger ou comment modeler les pratiques alimentaires des jeunes ? », La lettre de l’enfance et de l’adolescence, no 65, 2006, p. 22.

    12 EPS : éducation physique et sportive.

    13 SVT : sciences de la vie et de la terre.

    14 Citation issue du programme EPODE.

    15 Cf. Guetat M., « De l’injonction à la réappropriation des messages nutritionnels ambiants », N. Diasio, A. Hubert, V. Pardo (dir.), Alimentations adolescentes en France, Les Cahiers de l’Ocha, 2009, p. 127.

    16 Comme l’a fait Wilfried Lignier pendant sa thèse et qu’il décrit dans Lignier W., « La barrière de l’âge. Conditions de l’observation participante avec des enfants », Genèses, no 73, 2008, p. 20-36.

    17 Propos tenu par la professeure d’arts plastiques lors d’une discussion en salle des professeurs.

    18 Propos tenu par Salim, dans la cour de récréation, après le cours d’EPS.

    19 Mamadou, à la cantine, la première fois où j’ai décidé de manger à la table des garçons.

    20 Lignier W., art. cit., p. 23.

    21 J’aurais pu aisément investir ce statut eu égard à ma formation initiale d’ingénieur agronome.

    22 Il existe également des messages adaptés à la cible « enfants », pendant les programmes télévisés pour enfants, du type « Pour être en forme, dépense-toi bien ».

    23 Guetat M., art. cit., p. 127.

    24 Extrait de l’entretien avec Émilie, en présence de sa mère, enquête 1.

    25 Extraits d’entretiens, enquête 1.

    26 Extrait d’entretien avec Mohand, père au chômage, mère agent de nettoyage de textiles, enquête 2.

    27 Singly F. de, Les adonaissants, Paris, Armand Colin, 2006, p. 58.

    28 Extrait de l’entretien avec Salim, père gérant d’un hôtel, mère sans emploi, formation de chimiste, enquête 2.

    29 Entretien avec Maxime, mère archiviste au Conseil général, enquête 2.

    30 Extrait de l’entretien avec Ashton, mère agent d’entretien, enquête 1.

    31 Lalanne M., Tibère L., « Quand les enfants font craquer les modèles alimentaires des adultes », Enfance, no 3, 2008, p. 275.

    32 Propos tenus par la mère de Jade, en présence de sa fille, père aide-soignant, mère sans emploi, enquête 1.

    33 Extrait de l’entretien avec Livia, père et mère architectes, enquête 1. Cette famille vient donc d’un milieu social plus élevé que les autres familles citées, mais les propos de Livia reflètent bien ceux de la majorité des filles enquêtées, quel que soit leur milieu social.

    34 Extrait de l’entretien avec Samir, mère animatrice pour enfants, enquête 1.

    35 « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé », en ligne : www.mangerbouger.fr.

    36 Extrait de carnet de terrain du 17/06/2011, cours de mathématiques.

    37 Mots employés par l’infirmière.

    38 Guetat M., art. cit., p. 127.

    39 Viviane, pendant un repas à la cantine, enquête 3.

    40 Extrait de l’entretien avec Mme Narley, en arrêt maladie, enquête 1.

    41 Singly F. de, op. cit., p. 21.

    42 On peut noter que, lors de cette conversation, j’ai dévoilé une partie de ma science sur l’alimentation, sans pour autant dire ce qui est bon ou mauvais. Néanmoins, ce genre de situations où je me place en connaisseuse a été très rare.

    43 Becker H., Les ficelles du métier, Paris, La Découverte, 1998, p. 87, voir à ce sujet le chapitre de Marie-Pierre Julien dans ce même ouvrage.

    44 Comoretto G., « La “cantine”, lieu privilégié de construction de la sociabilité enfantine », actes du colloque « Alimentation, cultures enfantines et éducation », Angoulême, 1er-2 avril 2010, en ligne : http://cepe.univ-poitiers.fr/index.php/colloquefun-food-2010-93.html.

    45 Dubet F., Martuccelli D., op. cit., p. 152.

    46 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    47 Extrait de l’entretien avec Quentin Tiber, enquête 3.

    48 AB : agriculture biologique.

    49 Extraits de l’entretien avec M. Tiber, enquête 3.

    50 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    51 Extrait du carnet de terrain, enquête 3.

    52 Extrait de l’entretien avec Quentin, enquête 3.

    53 Court M., Corps de filles, corps de garçons. Une construction sociale, Paris, La Dispute, 2010, p. 132.

    54 Ibid., p. 110.

    55 Pasquier D., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Paris, Autrement, 2005, p. 103.

    56 Je n’ai pas bien saisi la signification du surnom donné ici à Quentin.

    57 AB : agriculture biologique.

    58 Laurent et Alex ne font pas partie du groupe-classe, alors que Moussa oui.

    59 « S’afficher » est un terme que les collégiens emploient eux-mêmes fréquemment : « Tu t’affiches » signifie « Tu te montres aux autres » (enquête 3).

    60 Je me suis créé un profil Facebook pour les besoins de l’enquête, et plusieurs élèves de la classe m’ont acceptée comme « amie ».

    61 Il est parent délégué FCPE.

    62 Extrait de l’entretien avec Mme Copelle, en présence de sa fille, enquête 3.

    63 Kaufmann J.-C., Le cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action ménagère, Paris, Pocket, 2011 [1997], p. 100.

    64 Mauss M., « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1950.

    65 Kaufmann J.-C., op. cit., p. 59.

    66 Extrait de l’entretien avec M. Tiber, enquête 3.

    67 Dubet F., Martuccelli D., op. cit., p. 187.

    68 Garabuau-Moussaoui I., « L’énergie est-elle un enjeu de pouvoir dans la famille ? », S. Barrey, E. Kessous (dir.), Consommer et protéger l’environnement. Opposition ou convergence ?, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 74.

    69 Ibid., p. 82.

    70 Ibid., p. 81.

    71 Extrait d’entretien cité par Curtis P., James A., Ellis K., « Children’s Snacking, Children’s Food : Food Moralities and Family Life », Children’s Geographies, vol. 8, no 3, août 2010, p. 299.

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    Lhuissier, Anne, Aurélie Maurice, et Thomas Depecker, éd. La juste mesure. Tours: Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2013. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.22907.
    Lhuissier, Anne, et al., éditeurs. La juste mesure. Presses universitaires François-Rabelais, Presses universitaires de Rennes, 2013, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufr.22907.
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