Chapitre I
Transmettre les modèles alimentaires et le plaisir
p. 227-363
Texte intégral
1L’alimentation des enfants et des adolescents est au cœur de nombreuses réflexions du fait des alarmes sur la diffusion de l’obésité et du surpoids chez l’enfant. Ces dernières ravivent les craintes d’une massification des goûts des jeunes populations vers des produits gras et sucrés qui les feraient grossir. Elles réactivent de plus les peurs d’un défaut de transmission des règles et des savoirs, notamment par les parents. Les relations d’autorité, produites principalement à travers des rapports de négociation dans les nouvelles formes éducatives, suscitent de vives interrogations en ce qui concerne l’augmentation de la liberté d’expression des enfants et des adolescents, doublée d’une tendance à les pousser à affirmer ce qu’ils désirent consommer. Dans ce contexte, les aspects bénéfiques de la commensalité et de la convivialité sont avancés au motif qu’ils favoriseraient le maintien d’un ensemble d’usages et de rites sociaux réglant et encadrant l’alimentation des individus (Rozin et al., 1999, 2006 ; Poulain, 2002 ; Fischler et Masson, 2008). Ces dimensions auraient une fonction sociale : celle de limiter l’érosion des modèles alimentaires en maintenant et en transmettant les rythmes, les lieux et les moments des repas pour garantir les formes de sociabilités à table. La présence de dimensions commensales1, cohérentes à la fois dans les comportements et les représentations sur l’alimentation ainsi que dans les formes du plaisir alimentaire, pourrait sans doute favoriser chez les enfants l’apprentissage de se conformer à des conventions et à des modèles d’interaction (manières de table, règles d’hygiène et de partage, temporalités, échanges) non seulement stables, mais aussi routiniers et habituels, ce qui faciliterait l’incorporation et l’appropriation. Le repas familial, par exemple, reste aujourd’hui l’un des principaux univers de socialisation des enfants car il conserve encore la caractéristique de garantir le rassemblement au cours duquel il se joue bien autre chose que le seul fait de se nourrir. Il dépasse la dimension nutritive et permet d’éduquer, de transmettre et de construire l’identité à partir du partage de mêmes codes, règles, voire aliments devenant la référence principale chez les enfants en matière de normes culturelles et sociales. Il peut aussi être vecteur d’autorité en favorisant les formes du contrôle parental : à table, les enfants sont surveillés, contrôlés dans leurs prises et les adultes veillent sur eux. En cela, il contribue à construire l’identité du groupe et/ou l’identité familiale. C’est, à ce niveau, qu’il est probablement le plus approprié de parler du repas familial comme d’un rituel d’intégration ou d’incorporation contribuant à la construction de l’identité du groupe et de la famille.
2Dans cette partie, nous nous intéressons aux liens entre la problématique de la socialisation alimentaire et celle de la socialisation au plaisir pour réinterroger simultanément les notions de transmissions intergénérationnelles et les enjeux en termes de régulation, d’organisation sociale et d’identité.
3Plus précisément, les analyses macrosociologiques sont faites en trois temps.
4Le premier niveau s’intéressera aux modèles alimentaires en étudiant plusieurs de leurs dimensions. Le décryptage systématique pour les trois populations de la composition et de la structure des prises ainsi que de leur organisation en termes d’horaires, de contextes sociaux, de lieux, de durée et de position corporelle de même qu’en fonction des variations entre les normes et les pratiques à l’échelle du groupe ou de l’individu, permettra de procéder à des analyses comparatives. Ces dernières seront menées au niveau des populations2, puis au niveau de l’individu (variations entre les normes et les pratiques) et, enfin, au niveau dynamique, avec la comparaison de ces résultats avec des études antérieures. L’accent sera mis sur les déterminants culturels et sociaux observés notamment chez les jeunes mangeurs tout en en montrant les spécificités qui les caractérisent, ces dernières pouvant déboucher sur différentes interprétations en matière de permanence ou de changement des modèles alimentaires, de niveaux de socialisation ainsi que de présence de répertoires alimentaires enfantins relativement autonomes des modèles des adultes. L’analyse de déterminants culturels sera complétée par une approche sur les déterminants sociaux pour les dimensions de l’alimentation les moins homogènes seulement : en effet, plus les résultats sont massifs, moins les déterminants sociaux s’expriment.
5Le second niveau concernera les dimensions du plaisir dont on a précisé les contours au niveau d’attitudes, d’opinions, de comportements et de contextes représentés ou reconstruits en termes de produits alimentaires, de moments, de lieux et de contexte social. Le plaisir sera donc ici appréhendé comme une expérience émotionnelle et comme un objet de transmission construit culturellement et socialement autour de valeurs, de normes, de règles et de symboles. C’est la dimension déterministe de la socialisation au plaisir en termes de produits, d’effets, de résultats qui sera présentée puisque ce sont les éléments les plus structurants dans la socialisation au plaisir qui seront retenus.
6Les résultats portant sur le plaisir ne seront pas interprétés de façon isolée mais à la lumière des interprétations fournies sur les comportements alimentaires du premier niveau. En partant des dimensions les plus caractéristiques de ce qui est identifié comme appartenant au « modèle alimentaire français » et à la place qu’y occupe le plaisir commensal, nous avons élaboré un protocole d’enquête permettant de comparer les représentations et les pratiques alimentaires ainsi que leur contextualisation, avec des opinions, des attitudes, des représentations et des expériences vécues du plaisir alimentaire, y compris dans ses dimensions de contextes. Les sociabilités au cours des prises alimentaires et dans les formes du plaisir seront comparées pour voir si elles ressortent de façon massive, ce qui pencherait en faveur d’une détermination culturelle. Le repérage de liens statistiques significatifs selon le sexe, les classes d’âge ainsi que selon les milieux sociaux, le positionnement social et les dynamiques sociales permettra d’analyser des différenciations sociales et des déterminants sociaux impactant les formes du plaisir. Ces dernières seront analysées chez les enfants et les adolescents en fonction des caractéristiques de leurs parents. À l’instar des prises alimentaires, l’hétérogénéité observable entre les réponses enfantines et les réponses des deux populations adultes sera interprétée comme le résultat de divers niveaux de socialisation, plus ou moins rigide ou souple, laissant ou non s’exprimer les goûts enfantins ou comme le résultat de l’existence de répertoires alimentaires enfantins.
7Enfin, nous nous intéresserons aux styles éducatifs parentaux et aux effets des attitudes parentales et familiales sur les pratiques et les représentations des enfants. Nous procéderons d’une part à des analyses des formes de tension éducative relative aux styles éducatifs parentaux abordés de façon structurelle et interactionniste et d’autre part à des analyses comparatives entre les parents et leurs enfants (comparaisons intergénérationnelles) et les enfants et leurs frères ou sœurs (comparaisons intragénérationnelles).
8À chaque fois, nous interrogerons la transmission à partir d’un cadrage serré des réponses : plus les réponses des trois populations en matière de comportements et de représentations seront concordantes et homogènes, plus cela signifiera que la transmission entre les générations opère. À l’inverse, plus les réponses seront éclatées et discordantes entre les populations ou les individus eux-mêmes, plus cela signifiera que la socialisation ne s’effectue pas sur un contrôle serré des jeunes générations par les plus âgées, ou de l’individu par le groupe. L’hétérogénéité dans les réponses n’implique pas nécessairement un défaut ou une absence de socialisation mais plutôt le passage d’un cadre strict à un niveau plus souple qui laisse s’exprimer des particularités individuelles notamment dans les goûts. C’est le passage de l’hétéronomie à l’autonomie dans l’alimentation. L’analyse des écarts entre les normes et les pratiques permettra d’étayer cette dimension. De même, l’analyse de liens statistiques selon l’âge des enfants offrira la possibilité de réinterroger l’existence d’un répertoire alimentaire enfantin distinct de celui des adultes et pouvant expliquer les écarts de réponses entre les générations.
Socialisation intergénérationnelle et modèles alimentaires
L’heure à laquelle on déjeune ou celle à laquelle on dîne, le temps que l’on consacre aux différents repas, l’ordre dans lequel ceux-ci se succèdent au cours de la journée, leur fréquence, la répétition quotidienne de cet horaire, ses variations au cours de la semaine ou de l’année, sont inséparables des lieux où les repas sont pris, de la compagnie dans laquelle on les prend, des activités et des contextes sociaux entre lesquels ils servent de séparateurs et de transition, de leur composition, de l’importance et de la signification qu’on leur accorde et du nom qu’on leur attribue.
Grignon, 1993, p. 275. Sobal, 2000.
9En France, les conséquences de la modernité sont analysées tantôt en mettant l’accent sur les changements des représentations et des pratiques alimentaires renvoyant les mutations à des mécanismes de déstructuration et de désorganisation sociale, tantôt en s’intéressant à leur maintien, et dès lors les permanences sont vues comme des phénomènes de protection ou de résistance de modèles « traditionnels commensaux » contre les changements. Il est difficile de trancher cette question sans doute parce que les deux phénomènes cohabitent dans l’alimentation contemporaine.
10Une voie plus consensuelle apparaît néanmoins sous la forme d’articulations « positives » de ces deux tendances. Elle est incarnée par les métissages alimentaires (Corbeau, 1994) et s’illustre à travers la gestion des modes d’alimentation multiculturels alternant entre traditions et innovations métissées, comme les phénomènes de créolisation alimentaire à La Réunion (Poulain et Tibère, 2000 ; Tibère, 2005).
11Dans une approche différente, des analyses macrosociologiques sur les cohérences et les décalages entre les normes et les pratiques alimentaires, ont, dans le courant des années 1990, d’abord servi à expliquer les mutations à l’œuvre dans les comportements, à partir du décalage opéré entre les normes et les pratiques des mangeurs (Poulain et al., 1996, 1999). Renouvelées sur plusieurs années, ces analyses ont été remobilisées depuis dans une perspective dynamique identifiant la présence conjointe d’une stabilisation de certaines dimensions du modèle dit « traditionnel commensal » et d’une mutation opérant surtout dans les structures des repas (Poulain et al., 2009).
12Après cette précision, il est possible d’expliciter l’intérêt que peut revêtir le modèle « traditionnel commensal ». Si de nombreux sociologues ont évoqué les dimensions socialement et historiquement construites de celui-ci, ceci apportant une perspective relativiste, l’importance qu’il continue à avoir se retrouve jusque dans leurs préconisations et dans l’accompagnement qu’ils font de leurs résultats dans la sphère publique et médiatique (Poulain, 2001 ; Fischler et Masson, 2008 ; Corbeau, 2008). Cette attitude peut être lue comme une manière de donner à voir les enjeux sociaux – en matière de remodelage et de réorganisation sociale – des modes de régulation sociale à l’œuvre dans les périodes de transition.
13Que signifie finalement ce fort attachement social au modèle « traditionnel commensal » ? Son ancrage historique, sa normalisation sociale, sa régularité et sa routinisation favorisent l’homogénéité de ses formes et, ainsi, des modes de transmission, à l’inverse de formes plus anomiques nécessairement moins intégratrices. Plus encore, l’unité de temps mais aussi de lieu, de contexte et d’action caractérisant la commensalité favorise la coopération, les sociabilités et les solidarités en diminuant – voire en contrôlant – le libre choix en matière d’alimentation et d’affirmation des préférences individuelles. L’attrait pour ce modèle correspond à une tentative de réponse contre l’anomie, la « gastro-anomie » (Fischler, 1979) induite par la modernité alimentaire dont les effets sur les mangeurs renvoient à l’absence de repères normatifs stables les aidant et les guidant dans leurs choix et leurs comportements.
14La problématique de la socialisation est directement liée à la problématique de l’anomie. Il convient dès lors de s’interroger sur la force et la pérennisation des normes culturelles et sociales du modèle « traditionnel commensal » dans le façonnement des jeunes générations car celui-ci pourrait être la garantie de leur meilleure intégration. Cette perspective est corrélée, en ligne d’horizon, à la dimension de régulation, voire de contrôle social, permettant a priori de réduire l’expression d’un « individualisme alimentaire » (Kaufmann, 2005) ou d’un certain type d’hédonisme. En ce sens, une partie des réponses pouvant être apportées ne semble pas si éloignées de la perspective durkeimienne relative aux conséquences des situations anomiques sur l’ordre social, et les propositions faites pour les combler et assurer le vivre-ensemble. La modernité alimentaire étant à l’origine de différenciations sociales, il reviendrait alors aux sociologues, plus sollicités que jamais sur ces questions, de réfléchir aux mécanismes d’intégration (supra partie 1, chapitre 1).
15Pour commencer, il est essentiel de revenir sur la notion de « déstructuration » dans l’alimentation. Celle-ci est à prendre en compte à partir de deux significations issues de la sociologie ou de la nutrition (Poulain, 2002).
16Dans la première, la déstructuration renvoie aux comportements ne respectant pas les codes sociaux et les règles et ne tenant pas compte de la dimension ritualisée des prises alimentaires (Herpin, 1988) alors que leur ritualisation est la traduction de logiques de fonctionnalité sociale et de contextes correspondant à des formes spécifiques de l’appareil normatif alimentaire (Corbeau, 1992 ; Rivière, 1995). « Manger n’importe comment » signifie « mal se comporter », « ne pas se comporter comme il faut », soit comme la norme sociale en vigueur. Cette déstructuration dans les comportements a une série de conséquences sur la synchronisation alimentaire, les liens sociaux, les lieux.
17Dans la seconde, « manger n’importe comment » revient à ne pas respecter les règles diététiques et normes nutritionnelles, comportement souvent envisagé dans l’univers médical comme le résultat indirect des conséquences de la déritualisation sociale, c’est-à-dire du comportement qui se fait en dépit des conventions.
18Cette double dimension est explorée à partir de questionnements et protocoles de recherche résumés dans le tableau suivant :
Tableau 2. Questions de sociétés et questions de recherche sur les prises alimentaires.


19Nous avons procédé à un inventaire des normes et des pratiques alimentaires pour les trois échantillons3.
20Principalement, quatre dimensions des prises alimentaires posent question dans la société et se traduisent plutôt en questionnements négatifs. Nous les étudierons sous deux angles distincts. Le premier différenciera les prises alimentaires pendant les repas et en dehors des trois repas principaux ; le second analysera en premier lieu les compositions et les structures des prises, puis en second lieu les formes de contextualisation en termes de lieu, de moment, de sociabilité. Si les étapes seront distinguées dans un souci de clarté des analyses, elles seront systématiquement articulées entre elles car l’on ne pourra envisager de décrire les structures et les compositions des repas ou des hors repas sans en décrire les formes en termes de contextes de préhension.
21Le premier point portera sur les formes de journées alimentaires et leurs compositions en termes de natures des prises. En arrière-fond sera posée la crainte que les populations, notamment les plus jeunes, mangent « n’importe comment ». Nous étudierons pour cela la composition des repas et des prises en dehors des repas, leurs structures ainsi que les décalages ou les cohérences entre ce que les populations pensent qu’il faut manger et ce qu’elles mangent réellement. C’est également le thème de l’expression de goûts plus individuels qui sera signifié et la question de l’importance de l’hédonisme sensoriel qui sera posée dans le choix des produits consommés et à laquelle nous tenterons de répondre, car les comportements alimentaires des enfants sont souvent envisagés comme étant guidés par cette seule dimension du plaisir de la sensorialité et non, par exemple, par les notions d’équilibre ou de variété.
22Le deuxième élément s’intéressera à la synchronisation en termes d’horaires ou de moments. La crainte à laquelle on a voulu répondre est celle de l’idée que les populations mangeraient « n’importe quand », ce qui sous-tend fortement l’idée d’une désynchronisation alimentaire qui résulterait principalement de l’augmentation des prises en dehors des repas au cours de la journée.
23La désynchronisation alimentaire serait issue également de l’augmentation de l’individualisation des prises et d’un bouleversement du contexte social. Nous regarderons si le repas en famille a disparu au profit de prises alimentaires solitaires. En arrière-fond, il ne s’agira pas de perdre de vue que la commensalité et la convivialité inscrites dans les dimensions du plaisir de manger ensemble sont toujours les fers de lance du modèle français.
24Enfin, c’est en décrivant les lieux des consommations durant les repas comme au cours des prises en dehors des repas que nous répondrons à la crainte d’un basculement du « commensalisme » au « vagabondage alimentaire » (Fischler, 1979 ; Poulain, 1985 ; Corbeau, 2005). La préoccupation sociale se traduirait par la peur d’un développement du « manger n’importe où » accentuant les risques de dérives dans les autres dimensions : produits consommés, rythmes, durées et contrôles sociaux.
25Cet état des lieux des différentes dimensions du fait alimentaire visera à décrire en termes de moments, de contextes sociaux et d’endroits les diverses prises pour les objectiver et, le cas échéant, en désamorcer certains des présupposés préoccupant la société.
26Cette description a une autre ambition : celle de compléter la problématique du maintien et de la transmission des modèles alimentaires par la commensalité.
27Comment rendre compte de la socialisation à partir de cet état des lieux ? Deux niveaux permettront de le faire.
28Le premier procédera à une comparaison des résultats entre les trois populations et une précédente étude (Poulain et al., 2003) pour savoir si les populations enfantines et adolescentes sont traversées par les mêmes tendances que les populations adultes (parents et population de référence) en termes de mutations ou de permanences des comportements alimentaires. En effet, plus les résultats seront homogènes entre les trois populations, plus serait exercé un contrôle serré sur la socialisation des enfants et des adolescents. À l’inverse, plus les réponses seront éclatées et discordantes, plus cela signifierait que la socialisation ne s’effectue pas sur un contrôle coercitif des jeunes générations par les plus âgées, ou du groupe sur l’individu, ce qui déboucherait sur l’existence soit de formes encourageant la libre expression individuelle, soit de modèles et répertoires enfantins qui diffèreraient de ceux des adultes.
29Le second niveau considèrera que les cohérences ou les décalages, entre ce que les enquêtés disent qu’ils devraient manger et ce qu’ils mangent réellement, permettront de révéler des niveaux différents dans les formes de transmission4. En effet, si certains produits, aliments, moments, contextes ou lieux apparaissent dans les normes mais pas dans les pratiques (ou inversement), ce que l’on appelle la dissonance cognitive, cela interrogera l’existence de déterminants culturels, sociaux ou matériels pesant de façon plus ou moins importante sur les systèmes de représentation ou les comportements.
30Les discussions sur les permanences et les mutations des modèles alimentaires pourraient alors être en partie renouvelées par l’apport de ces questionnements.
Les structures des repas et leur composition
31Les structures des repas ainsi que leur composition seront proposées successivement pour le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. Pour chacun de ces repas, une comparaison sera menée au niveau des trois échantillons puis, pour la comparaison dynamique, avec les données d’une autre étude (Poulain et al., 2003).
32Une comparaison entre les normes et les pratiques permettra de déceler des cohérences ou dissonances cognitives à un niveau global puis à un niveau individuel.
33Cette analyse donnera lieu à une réflexion sur la socialisation au niveau d’une part de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité des réponses selon les populations ; d’autre part au niveau des écarts entre les normes et les pratiques.
34Enfin, nous procéderons à des analyses de corrélations chez les enfants et les adolescents en fonction de variables socio-descriptives des enfants et de leurs parents pour mettre l’accent sur les déterminants sociaux en termes d’âge, de sexe ou de positions sociales.
Le petit-déjeuner
35Les données collectées sur le petit-déjeuner portent aussi bien sur ce que les individus considèrent comme « un vrai petit-déjeuner » que sur « les petits-déjeuners réellement consommés ». Qu’il s’agisse des normes ou des pratiques, ils peuvent faire l’objet d’un double traitement en étant abordés à travers leur composition ou à travers leur structure. C’est à partir de la collecte sur une présentation d’une liste d’aliments (17 catégories et une modalité « autre ») pour la norme et de la saisie en spontané pour la pratique de la veille que ces variables ont été recodées. Ce traitement permet soit le calcul des fréquences de présence des différents aliments solides et liquides pour la composition, soit le regroupement d’aliments pour en dégager des structures. Six modèles ont été identifiés, sur la base de précédentes études (Poulain et al., 1993, 1995, 2003).
Le petit-déjeuner « continental classique 1 » est composé d’une boisson chaude et de pain pouvant être accompagnés d’un complément de type beurre/margarine/confiture/miel et éventuellement d’un jus de fruit, d’un fruit ou d’un yaourt.
Le petit-déjeuner de type « continental classique 2 » est presque identique au précédent à l’exception du pain remplacé par une viennoiserie, un biscuit ou un gâteau.
Le petit-déjeuner « continental modernisé » est composé d’une boisson (chaude ou froide) et de céréales de petit-déjeuner. Il peut y être ajouté d’autres compléments (pain, viennoiserie, yaourt, boisson chaude, fruit).
Le modèle « anglo-saxon » comprend une boisson chaude et un complément salé tel que des œufs, du jambon ou du fromage auxquels peuvent s’ajouter d’autres éléments (fruits, pain).
Le modèle « simplifié » comporte une boisson (chaude ou froide).
Enfin, d’autres formules apparaissent telles que la consommation d’un yaourt ou d’un fruit à laquelle peut s’ajouter une boisson.
« Vrai » petit-déjeuner et petit-déjeuner « vraiment » consommé
36Le petit-déjeuner « continental » (1 et 2) renvoie, à une échelle récente de l’histoire, à la norme « traditionnelle » complète du petit-déjeuner, retrouvée dans toute l’offre hôtelière par exemple. Il correspond à la norme nutritionnelle-médicale lorsqu’il est composé de pain. D’autres formules complètes sont apparues en France plus récemment comme celle composée de céréales de petit-déjeuner, plus ou moins valorisées selon le type de céréales par les campagnes nutritionnelles et se repérant à travers une gamme étendue de produits céréaliers sur les étals des supermarchés ; celle enfin, plus rare en France, du petit-déjeuner appelé « anglo-saxon », qui mêle le bacon et les œufs. Ces dernières sont également façonnées par les pratiques quotidiennes et les déterminants matériels pesant sur elles en termes de gestion des emplois du temps et des espaces, ce qui contribue parfois à simplifier, voire à « sacrifier » le petit-déjeuner au profit d’une formule « simplifiée » ou d’un petit-déjeuner différé dans le temps. Il peut être pris pour les adultes sur le lieu de travail ou à proximité de ce dernier et, pour l’essentiel, être composé d’une simple boisson chaude. Tout comme pour les enfants, il peut être consommé à l’école ou sur le chemin de l’école sous forme de « boisson-briquette » ou produit sec.
37Les normes du petit-déjeuner des enfants résultent-elles des modèles parentaux sachant que ces jeunes mangeurs sont soumis à l’influence des modèles issus des discours médicaux ainsi que des médias et des marchés ? En quoi ces multiples influences sont-elles décisives sur les comportements des jeunes mangeurs ? Sous quelles influences normatives se retrouvent-ils et quelles pratiques mettent-ils réellement en œuvre ?
38En ce qui concerne la formule « continental classique 1 », 24 % des enfants la pratiquent mais 37 % d’entre eux pensent qu’ils devraient le faire. L’écart s’explique par un report d’une norme « continental classique 1 » à une pratique « continental classique 2 » ou « continental modernisé ». En effet, la formule « continental classique 2 » est pratiquée par 25 % des enfants mais seuls 13 % d’entre eux considèrent qu’il s’agit d’un « vrai » petit-déjeuner. Ceci montre l’impact de la présence des viennoiseries et des brioches sur le petit-déjeuner. Le petit-déjeuner « continental modernisé » est consommé par 41 % des enfants contre 26 % d’entre eux le mentionnant dans leurs normes : les céréales de petit-déjeuner sont importantes. Le modèle « anglo-saxon » est consommé la veille par seulement 1 % des enfants et aucun d’entre eux ne le nomme dans les normes. Le modèle « simplifié » qui comporte une boisson uniquement a été pratiqué par 2 % des enfants (à l’inverse des parents ou des adultes représentatifs) mais ils sont 8 % à le signaler dans la norme. Enfin, d’autres formules apparaissent telles que la simple consommation d’un yaourt ou d’un fruit. 7 % des enfants adoptent ce petit-déjeuner mais ils sont tout de même 16 % à s’y référer dans les normes.
39Dans tous les cas, même si des différences apparaissent entre les normes et les pratiques des enfants et des adolescents, leur petit-déjeuner renvoie principalement à des structures de repas complets, fidèle en cela aux recommandations nutritionnelles.
Fig. 6. Structure des petits-déjeuners pour les enfants et les adolescents : normes et pratiques (en % ; N = 1 002).

40Pour leurs parents, une logique de simplification des petits-déjeuners opère dans les pratiques. En effet, si 57 % d’entre eux citent comme « vrai » petit-déjeuner la formule « continental classique 1 », ils sont 34 % à la pratiquer réellement. Un report est observé en faveur d’une formule « simplifiée » (10 % dans la norme mais 21 % dans la pratique) ou « continental modernisé » avec 7 % seulement dans les normes mais 28 % à la pratiquer. 9 % des parents pensent que le « continental classique 2 » est un « vrai » petit-déjeuner et ils sont 11 % à le pratiquer. Le modèle de type « Anglo-saxon » est comme pour leurs enfants peu prééminent : 2 % dans les normes comme dans les pratiques. Enfin, 15 % des parents mettent en valeur une norme « autres formules », soit un yaourt ou un fruit avec éventuellement une boisson, mais ils sont seulement 4 % à le faire. Notons la forte présence des céréales de petit-déjeuner dans les pratiques qui penche en faveur d’une interprétation en termes de socialisation inversée des enfants à l’égard de leurs parents par l’introduction des céréales sur la table familiale.
Fig. 7. Structure des petits-déjeuners pour les parents : normes et pratiques (en % ; N = 624).

41Ces structures parentales de petit-déjeuner ressemblent-elles à celles de la population de référence ? Les adultes ont, pour le petit-déjeuner, des normes et des pratiques plus cohérentes que les parents. En effet, pour la formule « continental classique 1 », 44 % d’entre eux la considèrent comme un « vrai » petit-déjeuner et ils sont 47 % à la pratiquer. En ce qui concerne le modèle « continental classique 2 », 8 % le citent dans leur norme et 14 % le pratiquent. Le « continental modernisé » n’apparaît qu’à 4 % dans les normes et ils sont 7 % à l’adopter dans leurs pratiques. Dans des tendances identiques aux trois populations, la formule de type « Anglo-saxon » est faiblement représentée : 1 % dans les normes et 4 % dans les pratiques. Pour ce qui a trait à la formule « simplifiée », 13 % la mentionnent dans leurs normes et 16 % la pratiquent. Enfin, un écart très important est identifié dans une norme de type « autres formules » de l’ordre de 30 % tandis que 12 % d’entre eux la pratiquent.
Fig. 8. Structure des petits-déjeuners pour la population de référence : normes et pratiques (en % ; N = 902).

42En récapitulant pour les trois populations en termes d’écarts entre normes et pratiques, on constate que les adultes de la population de référence sont les plus cohérents d’entre toutes. Les écarts s’observent chez eux surtout au niveau d’une norme tendant à la simplification des petits-déjeuners avec des formules de type « simplifié » ou « autres formules » (yaourt ou fruit et/ou boisson) de l’ordre de 43 % au total contre une pratique moins simplifiée puisqu’au total elle est de 28 %. Leurs pratiques se reportant plutôt dans les formules complètes de type « continental » (1 et 2). Pour ce qui concerne les enfants, les écarts sont moins importants que leurs parents et opèrent principalement au détriment de la formule « continental classique 1 » (-13) au profit de la « continental classique 2 » remplaçant le pain par les viennoiseries (+12) ou de la « continental modernisé » en faveur des céréales (+15). Enfin, les parents présentent les écarts entre les normes et les pratiques les plus forts avec une norme « traditionnelle » de type « continental classique 1 » réduite dans les pratiques (-23) au profit de la « modernisé » (+21) ou de la « simplifié » (+11).
Tableau 3. Écarts entre les normes et les pratiques pour le petit-déjeuner.

43La consommation de céréales de petit-déjeuner chez les parents est liée à la présence des enfants puisqu’elle ne se retrouve pas chez les adultes de la population de référence. Pour s’assurer que ces résultats n’étaient pas biaisés par des effets de sexe ou d’âge compte tenu de la structure de l’échantillon parental, des analyses de corrélation en fonction de ces variables pour la population de référence (car elle est représentative) ont été réalisées5. Il en résulte une corrélation en fonction du sexe : le lien est très fort mais la corrélation opère dans les formules « continental classique 1 » et « continental classique 2 ». Une légère surreprésentation des femmes est visible toutefois dans la « continental modernisé » à l’inverse des hommes. En ce qui concerne les classes d’âge, le lien est aussi très fort et les corrélations sont présentes dans les formules « continental classique 1 » et « continental classique 2 ». Elles se retrouvent entre les plus jeunes et les plus âgés de l’échantillon de la population de référence. Il est possible de considérer que la présence de céréales de petit-déjeuner ne dépend pas du sexe ou de l’âge mais davantage du fait d’être parent.
Tableau 4. Liens entre la structure du petit-déjeuner de la veille selon le sexe et l’âge de la population de référence.

Note6
44Pour finir, contrairement aux parents, les adultes de référence sont plus cohérents dans leur petit-déjeuner puisque 59,9 % d’entre eux ont une norme de petit-déjeuner identique à leur pratique et 40,1 % d’entre eux sont dissonants.
45Comparativement à l’enquête de 2003 portant sur un échantillon représentatif des adultes de la population nationale, on constate des différences assez fortes avec les populations de notre enquête. Elles jouent principalement autour d’une faible présence dans les normes de la formule de petit-déjeuner « modernisé consistant » et du modèle « anglo-saxon » dans les échantillons d’adultes, sauf pour les enfants qui sont concernés par la présence de céréales dans les normes. Par contre, la pratique simplifiée est présente dans des proportions assez identiques chez les parents et la population de référence.
Fig. 9. Structures des petits-déjeuners pour la population nationale : normes et pratiques (en % ; N = 1 423).

D’après Poulain et al., 2003
46Des écarts apparaissaient également en faveur d’une simplification des petits-déjeuners dans les pratiques ainsi qu’en témoigne le tableau suivant.
Tableau 5. Écarts entre les normes et les pratiques du petit-déjeuner.

D’après Poulain et al., 2003
47Détaillons un peu plus la nature de ces formules de petit-déjeuner en termes de compositions.
La composition du petit-déjeuner : interpréter les différences entre les normes et les pratiques
48Dans le souci d’apporter un éclairage sur la compréhension de la socialisation des enfants et des adolescents, seuls les résultats dans la composition du petit-déjeuner de ces derniers sont présentés.
49Il s’agit ici de mesurer les taux de présence des produits et de comparer ces taux entre la norme et la pratique, ceci montrant le taux de pénétration de certains aliments.
50Des écarts apparaissent entre ce que les enfants considèrent comme les aliments composant le vrai petit-déjeuner et ceux qui composent leur petit-déjeuner de la veille.
51En premier lieu, les boissons chaudes se repèrent avec un écart de près de 10 % entre la norme et la pratique : elles sont citées dans des proportions moindres dans les pratiques. L’écart s’explique en partie par l’apparition des sodas placés dans la catégorie « autres produits ». Cette dernière, très peu présente dans les normes, intègre aussi des produits comme les barres chocolatées.
52En deuxième lieu, le pain qui est cité dans la norme à plus de 40 % diminue de près de 10 % au profit des viennoiseries, des gâteaux et des biscuits (plus de 11 %). On mesure une différence assez nette dans les taux de pénétration des viennoiseries au profit du pain dans les pratiques.
53En troisième lieu, les produits laitiers, les céréales et les fruits ou les jus de fruits sont légèrement surreprésentés dans les normes.
54En quatrième lieu, la catégorie « complément sucré » (beurre, confiture, miel, pâte à tartiner) apparaît dans les pratiques de petit-déjeuner des enfants et des adolescents. Nous interprétons ce résultat moins en termes de pénétration nouvelle de ces produits mais davantage en terme d’omission dans la norme, ces catégories pouvant être implicitement présentes sur le pain.
55Ces résultats penchent en faveur d’une norme de petit-déjeuner transmise qui met en valeur la présence de boissons chaudes, de pain, de céréales, de produits laitiers, de fruits et de jus de fruit. Elle correspond aux normes nutritionnelles en vigueur. Sa transmission semble bien coïncider avec les pratiques (homogénéité des réponses), à l’exception de la valorisation plus forte des viennoiseries dans les pratiques de consommation et de l’apparition de nouvelles catégories d’aliments plaidant soit pour une plus grande liberté des enfants dans le choix des produits composant le petit-déjeuner réellement consommé, soit pour des pratiques simplifiées (barres de céréales et sodas pouvant être consommés à l’école ou sur le chemin y menant).
Fig. 10. Comparaison entre la norme et la pratique pour la composition du petit-déjeuner des enfants et des adolescents (en % ; N = 1 002).

Cohérence ou décalage norme et pratique pour le petit-déjeuner
56Si les différences entre les normes et les pratiques ont été présentées de façon globale dans la partie précédente pour chacune des trois populations, elles font l’objet ici d’une analyse plus détaillée des réponses : pour chaque individu, nous comparons sa norme avec sa pratique. De façon massive pour les trois populations, les individus dissonants, c’est-à-dire ayant une pratique divergeant de leur norme, représentent plus de la moitié des échantillons.
57En effet, au total, 49 % des enfants ont une norme de petit-déjeuner cohérente avec leur pratique et 51 % d’entre eux sont dissonants. Parmi les « cohérents », ils sont majoritairement situés dans la formule « continental modernisé » (22,8 %) suivis de la formule « continental classique 1 » (16,2 %), puis du petit-déjeuner de type « continental classique 2 » à hauteur de 7,4 %. En ce qui concerne les « dissonants », on les retrouve majoritairement dans le passage d’une norme « continental classique 1 » à une formule « continental classique 2 » (10,6 %) ou dans le « continental modernisé » (7,4 %). Dans la pratique des petits-déjeuners, les viennoiseries et les céréales sont plus présentes que dans les normes. Aucune corrélation selon le sexe et l’âge des enfants n’existe concernant ces aspects.
Tableau 6. Comparaison entre la norme et la pratique pour les formules de petit-déjeuner des enfants et des adolescents (en % ; N = 1 002).

58Concernant les parents, ils sont moins cohérents que leurs enfants puisque 42,9 % d’entre eux ont eu une formule de petit-déjeuner la veille équivalente à leur norme et ils sont 57,1 % à être dissonants. La cohérence s’effectue principalement sur la formule « continental classique 1 » puisque 21,2 % à l’avoir consommée la considèrent comme un « vrai » petit-déjeuner. Dans les cohérents viennent ensuite les modèles « simplifiés », pour 8 % d’entre eux, suivis de la formule « continental modernisé » (6,7 %) et « continental classique 2 » à hauteur de 5 %. Dans les formes dissonantes, elles apparaissent surtout dans le décalage entre une pratique avec présence de céréales de petit-déjeuner « continental modernisé » (10,7 %) et une norme complète « continental classique 1 ». Ceux qui ont une norme « continental classique 1 » peuvent aussi avoir pratiqué une formule « simplifiée » (5,6 %). Enfin, les écarts se retrouvent chez ceux qui ont une norme « continental classique 2 » et qui ont pris un petit-déjeuner « continental classique 1 » (5,6 %) ou « continental modernisé » (4,6 %).
Tableau 7. Comparaison entre la norme et la pratique pour les formules de petit-déjeuner des parents (en % ; N = 624).

59Enfin, pour les adultes, 59,9 % d’entre eux sont cohérents contre 40,1 % dissonants. Il s’agit de la population dont les individus ont les réponses les plus conformes entre normes et pratiques. La cohérence se retrouve principalement dans la formule « traditionnelle » avec 32,7 % des adultes adhérant au type « continental classique 1 ». Ils sont suivis par 9,5 % d’adultes adoptant la formule « simplifiée » puis 7,6 % choisissant la « continental classique 2 ». Notons enfin que 6,1 % des adultes adoptent une norme traditionnelle avec des viennoiseries « continental classique 2 » et privilégient dans les pratiques une formule avec pain.
Tableau 8. Comparaison entre la norme et la pratique pour les formules de petit-déjeuner des adultes de la population de référence (en % ; N = 902).


Perspective dynamique
60Dans l’enquête de 2003 (Poulain et al.), il apparaît que 63 % de la population nationale de référence est en cohérence contre 37 % en décalage. Parmi les mangeurs en situation de cohérence, une majorité d’entre eux (48 %) le sont pour les formules « continental classique 1 et 2 ».
Tableau 9. Comparaison entre la norme et la pratique pour les formules de petit-déjeuner (en % ; N = 1 423).

D’après Poulain et al., 2003
61Parmi les 37 % en décalage, 11 % annoncent des normes de type « continental classique 1 et 2 » alors qu’ils simplifient dans les pratiques, et 9 % ont un modèle « continental modernisé » avec des pratiques de type « continental classique 1 et 2 ».
62Au regard de la comparaison avec les résultats, auprès de la population d’adultes (parents et population de référence), nous voyons que les modèles « continental » dominent toujours le petit-déjeuner. Ils montrent aussi une légère accentuation du phénomène de simplification observable à partir de la cohérence « simplifiée » ainsi que de la cohérence « autres formules ».
Le déjeuner et le dîner
63La norme du déjeuner et du dîner est étudiée à partir de deux questions : la première, « pour vous, un vrai repas de midi/un vrai repas du soir, c’est… » (en assisté), s’intéresse à la structure du repas et la seconde, « pour vous, un vrai repas de midi/du soir doit comprendre… » (en assisté), précise la composition de chacun des repas. Les pratiques sont obtenues à partir de la question sur la reconstruction de la journée alimentaire de la veille de l’enquête. Afin de rendre comparable la composition dans la norme et dans la pratique des déjeuners et des dîners, nous avons utilisé la liste proposée aux personnes enquêtées dans les normes comprenant 20 catégories d’aliments pour recoder les réponses obtenues dans le codage des prises alimentaires de la veille, identifiées comme appartenant au déjeuner et au dîner.
64Six structures de déjeuner et de dîner ont été définies, en référence à une structure ternaire organisant le repas. Elles combinent une partie introductive (entrée ou soupe), une partie centrale (plat protéique et garniture) et une partie conclusive (dessert ou fromage). Une septième modalité apparaît auprès de la population de référence, l’absence de repas, visible dans les pratiques reconstruites de la veille.
651/ Le repas « traditionnel » :
entrée + plat garni + fromage + dessert ;
entrée + plat garni + dessert ou dromage ;
entrée + plat garni + 2 terminaisons de repas (lactées ou non).
662/ Le repas « modernisé consistant » :
entrée(s) ou grosse entrée + hamburger/frites ou pizza + fromage + dessert ;
entrée + hamburger/frites et/ou pizza + plat garni + fromage et/ou dessert ;
entrée + hamburger/frites et/ou pizza + 2 desserts ;
hamburger/frites et/ou pizza + plat garni + 2 desserts.
673/ Le repas « autres formules » :
plat garni + 2 terminaisons de repas (souvent 2 desserts).
684/ Le repas « plat garni + 1 item » :
entrée + plat garni ;
plat garni + dessert.
695/ Le repas « plat unique » :
plat garni de type steak/frites ; pizza ; pâtes, etc.
706/ Le repas « simplifié » :
grosse salade + terminaison de repas ;
sandwich + terminaison de repas ;
sandwich ou entrée ou dessert (fruit ou yaourt le plus souvent).
71Dans l’interprétation de ces résultats, la première structure est nommée « repas complet » ainsi que celle de type « modernisé consistant ». Toutes les autres sont des structures qualifiées de « simplifiées ».
72La structure « modernisé consistant » se distingue de celle du repas « traditionnel ». La première étant significativement plus prégnante chez les enfants et les adolescents, dans leurs normes comme dans leurs pratiques, l’hypothèse d’un modèle enfantin ou adolescent est testée. Elle repose sur la logique ternaire ou quaternaire traditionnelle du repas mais y intègre, voire cumule des éléments à haute densité énergétique ou d’apparitions plus récentes dans les habitudes de consommation. Ceci semble faire apparaître des logiques de transmission – car les réponses sont calquées sur une organisation ternaire ou quaternaire – ainsi que des logiques de métissages avec l’apparition de produits de consommations plus récentes ou moins ancrés dans les conceptions « traditionnelles » du repas français.
Les structures des déjeuners et des dîners : normes et pratiques
73Pour les enfants et les adolescents, si la surreprésentation est notable dans les normes pour le modèle de repas traditionnel (60 % au déjeuner et 66 % au dîner), force est de constater que dans les pratiques, près de la moitié d’entre eux sont dissonants. Cette dissonance joue en faveur d’une pratique simplifiée avec un report dans les pratiques soit vers la formule « plat garni + 2 terminaisons de repas », à hauteur de 9 % pour le déjeuner et de 6 % pour le dîner (tandis que cela n’apparaît pas dans la norme), soit, comme les adultes, en faveur de la formule « plat garni + 1 item » qui passe de 17 % dans les normes à 38 % dans les pratiques du déjeuner et de 11 % dans les normes du dîner à 38 % dans les pratiques. Enfin, la cohérence entre la norme et la pratique de près de 20 % de l’échantillon pour chaque repas du modèle « modernisé consistant » est à souligner.
Fig. 11a et b. Comparaison entre les normes et les pratiques du déjeuner et du dîner pour les enfants et les adolescents (en % ; N = 1 002).

74Ceci autorise à formuler l’hypothèse d’une transformation générationnelle dans le choix des produits composant les repas des enfants et des adolescents avec des modèles intégrant le hamburger, la pizza, le kebab, voire leurs associations au cours d’un même repas, ce qui questionne en retour le rôle des préférences et/ou du plaisir dans l’élaboration des répertoires alimentaires. Cette transformation, si elle doit être regardée avec prudence, suscite néanmoins des questionnements qu’il conviendrait d’éclairer dans des recherches futures (au travers d’un repérage plus systématique auprès de ces populations et des populations plus âgées pour des comparaisons). Après vérifications, il est possible de préciser que ces réponses ne concernent pas un biais lié à l’âge avec une éventuelle incompréhension de la question que cela pourrait supposer.
75Ce résultat peut s’interpréter comme étant le fruit d’un mélange entre une éducation « conservatrice » concernant la structure « traditionnelle » des repas en France, doublée d’une éducation plus « souple » en matière de produits composant cette structure, soit d’un respect plus fort des goûts individuels notamment pour ces produits.
76Ceci peut aussi signifier un contournement des normes par les enfants et les adolescents qui les intègrent et se les réapproprient différemment, opérant ainsi une dialectique entre « héritage et créativité ». L’héritage renvoie au respect de la structure ternaire ou quaternaire, la créativité s’illustre dans le choix de certains produits ou dans la combinaison originale de plusieurs d’entre eux (association de pâtes et de kebabs dans un même repas).
77L’ensemble de ces résultats témoigne d’un attachement à la norme « traditionnelle » avec des structures de déjeuner et de dîner complets alors que dans les pratiques, le déjeuner et le dîner se simplifient considérablement au profit des formules « plat garni + 1 item » et « plat garni + 2 items ». La transmission de la norme sociale7 a bien opéré chez les enfants et les adolescents, et ce même si leurs pratiques sont dissonantes. Soulignons qu’exception faite de la structure de type « modernisé consistant », ils adoptent dans le domaine des normes et des pratiques du déjeuner comme du dîner des comportements identiques non seulement à leurs parents, mais aussi aux adultes de la population de référence. Ces pratiques vont un peu à l’encontre de la norme nutritionnelle pour les enfants et les adolescents recommandant des repas complets le midi comme le soir.
78En effet, pour les adultes de la population parentale et ceux de celle de référence, les tendances pour le déjeuner comme pour le dîner sont presque identiques. Dans les normes, l’attachement à des structures de déjeuner et de dîner complets de type « traditionnel » est important et dans des proportions assez proches de celles des enfants. 56 % des parents le plébiscitent au déjeuner et 43 % d’entre eux le font encore pour le dîner. Chez les adultes, 57 % d’entre eux le mentionnent au déjeuner et ils sont 40 % à le faire pour le dîner.
79Dans les pratiques, les deux repas se simplifient considérablement au profit des plats uniques et des repas de type « simplifié ». Concernant le plat unique, 12 % des parents le pratiquent pour leur déjeuner et 24 % d’entre eux le font pour le dîner. De même, les adultes adoptent le plat unique au déjeuner pour 12 % d’entre eux, et au dîner pour 10 %. En ce qui concerne la formule de type « simplifié », les parents sont 16 % à la pratiquer pour le déjeuner et 8 % pour le dîner ; pour les adultes, ils sont 10 % à l’adopter au déjeuner et 17 % tout de même à la pratiquer au dîner. Plus que les enfants et les adolescents, parents et adultes sont un peu plus de 30 % à adopter une forme « plat + 1 item » dans leurs normes comme dans leurs pratiques du déjeuner et du dîner.
Fig. 12a-d. Comparaison entre les normes et les pratiques du déjeuner et du dîner pour les parents et la population de référence (en % ; parents = 624 et population de référence = 902).

80Ces résultats montrent une tendance à la simplification des repas dans les populations étudiées et ce, bien que les structures de ces deux échantillons soient différentes. Cette simplification concerne aussi les populations les plus jeunes puisque les enfants, dans des proportions légèrement moindres, suivent les mêmes tendances.
81Tout comme dans les recherches précédentes (Poulain et al., 1996,1999, 2003), le point le plus marquant est la quasi-inversion entre les normes et les pratiques du rapport entre le repas complet nommé « traditionnel » et les autres formes de repas plus simplifiés.
82Cependant, au déjeuner, si pour les enfants et les adolescents, le report de la norme traditionnelle s’effectue sur les formules « autres », soit un plat garni et deux items (+9) et un plat garni et un item (+21), pour les parents et les adultes, la simplification est plus massive et se joue principalement sur les structures de type « plat unique » et « simplifié ».
Tableau 10. Écarts entre les normes et les pratiques pour le déjeuner.

83Pour le dîner, les enfants et les adolescents observent les mêmes tendances simplificatrices que lors du déjeuner mais de façon plus forte avec un écart de - 38 pour la norme traditionnelle et un écart de +27,5 pour la structure « plat garni + 1 item ». Les parents et les adultes adoptent pour leur dîner des formes différentes de la population enfantine. Si la logique est aussi à la simplification, celle-ci est plus poussée chez les parents car ceux-ci affichent un écart de -19 dans la norme traditionnelle au profit d’une pratique « plat unique » (+20). Les adultes dans la population de référence sont plus cohérents. Ils n’enregistrent aucun écart dans la structure de type « traditionnel ». À noter simplement que la formule « autre » (plat garni + 2 items) prend 8 points.
84Les écarts observés chez les parents entre une norme « traditionnelle » et une pratique « simplifiée » peuvent s’expliquer moins par la présence des enfants et par le rôle éducatif qui les pousseraient à adopter une norme traditionnelle (puisque les normes sont déjà simplifiées dans près de 60 %), mais davantage en raison de la structure de l’échantillon, essentiellement composé de mères. Les femmes, le soir, simplifient davantage leurs repas que les hommes, pour répondre à des normes « diét-esthétiques » prônant les repas légers [Poulain, 2001 ; Hubert (dir.), 2004].
Tableau 11. Écarts entre les normes et les pratiques pour le dîner.

85En comparant les résultats avec ceux de 2003, le constat d’une simplification des pratiques de repas pour le déjeuner et le dîner est non seulement avéré mais il est plus fort qu’en 2003. En effet, si les tendances pour le dîner sont similaires, nous repérons cependant, dans les échantillons, que la simplification du déjeuner y est un peu plus conséquente, surtout pour les parents et pour les adultes.
86Ces résultats tendent à montrer la pérennisation de la simplification des repas de midi et du soir dans les pratiques, et plus encore, une accentuation de la simplification des repas dans les normes. Bien que le modèle dominant reste la norme « traditionnelle », elle semble perdre de son importance dans le dîner comme au cours du déjeuner, enfants et adolescents y compris.
87Une lecture dynamique, comparant les données obtenues sur plusieurs années des normes et des pratiques de déjeuners entre 1995 et 2002 montre des tendances fortes à la simplification du déjeuner (Poulain et al., 2003).
88Les tendances à la simplification ainsi que les écarts entre les normes et les pratiques ont été décrits au niveau global. Qu’en est-il pour chaque individu ?
Fig. 13a et b. Comparaison entre les normes et les pratiques du déjeuner et du dîner pour la population nationale (en % ; N = 1 423).

D’après Poulain et al., 2003
Tableau 12. Écarts entre la norme et la pratique pour le déjeuner et le dîner.

D’après Poulain et al., 2003
Fig. 14. L’exemple du déjeuner : évolution des pratiques sur plusieurs années.

D’après Poulain et al., 2003
Le décalage entre les normes et les pratiques
89Si une large majorité des mangeurs des trois populations affiche une norme de déjeuner et de dîner « traditionnelle », la simplification dans les pratiques est pourtant très répandue. Une analyse sur les décalages cognitifs entre les normes et les pratiques de chaque individu fait apparaître quelques tendances.
90En ce qui concerne les formules de déjeuner, 31,1 % des enfants et des adolescents seulement sont cohérents dans leur norme et leur pratique contre 68,9 % dissonants. Aucune corrélation en fonction de l’âge ou du sexe n’a été observée. Les formes de cohérence et de dissonance jouent principalement dans le rapport que les enfants et les adolescents entretiennent avec la norme de déjeuner de type « traditionnel » : 27,7 % des enfants citant cette norme l’adoptent réellement dans leurs pratiques de déjeuner de la veille mais 20 % d’entre eux privilégient la formule « plat garni + 1 item », et enfin 8,5 % d’entre eux la formule, elle aussi complète du déjeuner, qu’est la « modernisé consistant ». Puis, dans la tendance à la simplification, 7,5 % des enfants et des adolescents citant la « modernisé consistant » adoptent une pratique « plat garni + 1 item ». Notons que 7,2 % d’entre eux sont cohérents en adoptant une norme et une pratique « plat garni + 1 item ». Si l’on rassemble les types « traditionnel » et « modernisé consistant » comme structures de déjeuner complet, on ne trouve que 37,3 % des enfants et des adolescents enregistrant une cohérence « traditionnelle » contre 27,5 % de dissonants qui vont passer d’une norme complète à une pratique « plat garni + 1 item ». Soulignons enfin la présence d’une pratique intermédiaire dans la simplification des déjeuners avec 5,3 % des enfants à adopter la formule « plat garni + 2 items » dans leurs pratiques contrairement à la norme « traditionnelle ».
Tableau 13. Comparaison entre les formules de déjeuner chez les enfants et adolescents (en % ; N = 1 002).

91Pour le dîner, le phénomène de dissonance chez les enfants et les adolescents est massif. Au total, 26,1 % d’entre eux sont cohérents tandis que 73,9 % ont une norme et une pratique de dîner différentes. Aucune corrélation n’a été observée en fonction du sexe ou de l’âge. Si 18,6 % de ces jeunes mangeurs ont une cohérence dite « traditionnelle », ils sont, si on les additionne avec les enfants citant la formule complète « modernisé consistant », 39,5 % à avoir une cohérence « traditionnelle » (contre les 26,1 % de départ). Par contre, la cohérence « simplifiée » est plus faible que lors du déjeuner puisque seuls 3,6 % d’entre eux s’y inscrivent.
92L’autre principale tendance observée est celle de la dissonance cognitive avec une norme complète, de type « traditionnel » ou « modernisé consistant », et une formule simplifiée, de type « plat garni + 1 item », avec 25 % pour les normes traditionnelles et 8,2 % pour les normes « modernisé consistant », soit en tout, 33,2 %. Cela peut être interprété comme l’intériorisation de la norme nutritionnelle et sociale du repas complet le soir pour des enfants en croissance, mais se traduisant par des logiques de simplification dans les pratiques. Enfin, comme pour les déjeuners, les enfants adoptent une pratique intermédiaire : 4 % d’entre eux adoptent la formule « plat garni + 2 items » dans leurs pratiques contrairement à la norme « traditionnelle ».
Tableau 14. Comparaison entre les formules de dîner chez les enfants et adolescents (en % ; N = 1 002).

93Chez les parents, 21,3 % d’entre eux sont cohérents dans leur norme et leur pratique de déjeuner contre 78,7 % dissonants. Les parents sont plus fortement dissonants que leurs enfants, et les décalages n’opèrent pas au même niveau. Seuls 7,4 % d’entre eux adoptent une cohérence « traditionnelle », à laquelle on peut ajouter 3,5 % de « modernisé consistant » soit, en tout, 10,9 %. Par ailleurs, ils sont en tout 14 % à être dans la cohérence « simplifiée » (soit 9,6 % auxquels on additionne les 3,4 % et les 1 % de diverses structures simplifiées). Les parents se retrouvent essentiellement dans un modèle dissonant avec l’adoption d’une norme de type « traditionnel » et une pratique de type « plat garni + 1 item » à 25,2 %, de type « plat unique » à 14,7 % ou « simplifié » à 2,6 %, soit au total 42,5 % de dissonants « norme traditionnelle » et « pratique simplifiée ».
Tableau 15. Comparaison entre les formules de déjeuner chez les parents (en % ; N = 624).

94La proportion de parents cohérents pour le dîner est de l’ordre de 23,6 %, tandis qu’ils sont 76,4 % à être dissonants. Comparativement au déjeuner, la dissonance « norme traditionnelle et pratique simplifiée » s’avère être moindre. En effet, si 7,2 % des parents adoptent une cohérence « traditionnelle » (à laquelle on peut ajouter les 4 % de « modernisé consistant », soit au total 11,2 %), la dissonance de « norme traditionnelle et pratique simplifiée » retombe au total à 27,3 % (contrairement aux 42,5 % de dissonants dans le déjeuner). Par contre, 16,3 % au total (13,3 % + 1,9 % + 1,1 %) ont une cohérence « simplifiée », ce qui est plus important qu’au déjeuner, mais, surtout, 13,5 % des parents adoptent une dissonance « simplifiée », c’est-à-dire que leur norme du dîner est déjà simplifiée (« plat garni + 1 item ») mais que leur pratique l’est encore plus (« plat unique »).
95Ces résultats montrent que les parents sont plus dissonants que leurs enfants, surtout qu’ils tendent à adopter des logiques de simplification de leurs repas du soir comme du déjeuner.
96Ceci penche pour un phénomène de mutation dans leurs comportements, voire d’adaptation au regard des autres consommations de la journée, car non seulement la simplification du dîner est attestée dans sa comparaison avec d’autres travaux sur ce sujet (Poulain, 2001), mais en plus elle augmente dans les déjeuners.
Tableau 16. Comparaison entre les formules de dîner chez les parents (en % ; N = 624).

97En ce qui concerne les adultes, 40,5 % d’entre eux sont cohérents contre 59,5 % à ne pas l’être. Des trois populations de l’enquête, il s’agit de celle comportant les individus les plus cohérents. En règle générale, leurs pratiques sont soit plus simplifiées au profit de la formule « plat garni + 1 item » (14 % de cohérence « simplifiée »), soit complètes pour 24,8 % des individus à consommer une formule « traditionnelle ». En additionnant les pratiques simplifiées, on constate que 25,3 % (15,4 % + 5,2 % + 4,7 %) d’entre eux adoptent une dissonance « norme traditionnelle et pratique simplifiée ». Comme chez les enfants, la présence d’une pratique intermédiaire dans la simplification des déjeuners est présente chez les adultes avec 5,8 % d’entre eux adoptant la formule « plat garni + 2 items » dans leurs pratiques contrairement à la norme « traditionnelle ». Enfin, soulignons la présence de dissonants « norme simplifiée et pratique traditionnelle » avec 8,6 % des adultes (6,5 % + 2,1 %).
Tableau 17. Comparaison entre les formules de déjeuner chez la population de référence (en % ; N = 902).

98Ce résultat peut être interprété par le fait que la norme sociale « simplifiée », à l’instar des parents, se propage dans les déjeuners. Ce résultat se retrouvant aussi pour les dîners, il est impossible de considérer que les pratiques de type « traditionnel » soient uniquement liées à la nature de l’offre des restaurants fréquentés pour le déjeuner (restauration collective par exemple).
99Pour le dîner, les adultes sont dissonants à 63,7 % et cohérents à 36,3 %. Soit, comme les deux autres populations, ils passent d’une norme « traditionnelle » à une pratique simplifiée, comme la formule « plat garni + 1 item » à hauteur de 8,5 % suivie de la formule « plat unique » (2,9 %) et de la formule « simplifiée » (3,9 %), donc au total 15,3 %, soit ils passent d’une norme « simplifiée », comme la formule « plat garni + 1 item » ou la formule « simplifiée », à une pratique consistante avec une formule « traditionnelle » respectivement à hauteur de 9,2 % et 8,7 %. Cependant, plus cohérents que les parents, ils sont tout de même 19,8 % à adopter une cohérence « traditionnelle » ou à légèrement simplifier leur pratique (4,4 % dans la formule « plat garni + 2 items ») et, en tout, 18 % à être dans la cohérence « simplifiée » (8,2 % de « plat garni + 1 item », 1,2 % de « plat unique » et 8,6 % de « simplifié »).
100Ces résultats montrent l’existence de deux tendances : une cohérence de nature « traditionnelle » et une autre de nature « simplifiée ».
Tableau 18. Comparaison entre les formules de dîner chez la population de référence (en % ; N = 902).

Synthèse des comparaisons et perspective dynamique pour le déjeuner et le dîner
101Les résultats apportent trois informations.
102La première, commune aux trois populations, témoigne de phénomènes de mutations alimentaires importants venant confirmer et prolonger les apports d’études antérieures (Poulain et al., 1995, 1997, 2003). Deux formes de cohérence entre les normes et les pratiques des mangeurs cohabitent : l’une est « traditionnelle » et repose sur le modèle du repas complet et d’une structure ternaire ou quaternaire ; l’autre est de nature « simplifiée » et renvoie essentiellement aux formules « plat garni + 1 item » ou « plat unique » ou consommation de type « simplifié ». Dans la même tendance, on voit se dessiner, dans les pratiques uniquement, l’apparition d’une forme simplifiée de type « plat garni + 2 items », le plus souvent deux desserts. Ces éléments sont de nature à renforcer les mutations à l’œuvre dans les structures de repas, en faveur d’une simplification de ces dernières.
103Les résultats montrent des tendances à la simplification quasi identiques entre les deux repas, ce qui permet de considérer l’existence d’une norme sociale simplifiée. Les décalages entre une norme traditionnelle et une pratique simplifiée ainsi que les cohérences « simplifiées » reflètent alors les mutations en cours dans les modèles alimentaires. L’hypothèse la plus vraisemblable est que cette norme sociale « simplifiée » se propage et se retrouve renforcée par certains discours nutritionnels – de nature différente de ceux qui préconisent le modèle traditionnel – en faveur d’un allègement des consommations au cours des repas. Il est construit au regard de l’abaissement des besoins physiques résultant des formes nouvelles prises dans les configurations professionnelles, dans des sociétés hautement tertiarisées, ainsi qu’en raison de l’augmentation des prises en dehors des repas qui modifie le nombre de prises alimentaires et la répartition calorique au cours de la journée. Ces phénomènes adaptatifs conduisent à repenser l’équilibre alimentaire pour ne pas risquer des surconsommations.
104La deuxième information porte sur le maintien de phénomènes de dissonance organisés principalement autour d’une norme « traditionnelle » et d’une pratique « simplifiée ». Cette information vérifie les tendances antérieures (Poulain et al., 1995, 1997, 2003), et ce bien que le calcul des cohérences et des dissonances repose sur des recodages différents. Cette différence de méthode peut expliquer en partie les écarts avec nos propres résultats puisque nous avons comparé la norme et la pratique avec les structures de départ sans les recoder en variable de types « traditionnel » ou « simplifié ». En effet, dans les enquêtes antérieures, le modèle simplifié correspond à toutes les structures ne renvoyant pas à un modèle traditionnel. Ainsi, avec des traitements distincts, on trouve 40 % de dissonants pour le déjeuner, 36,1 % pour le dîner en 2003, contre 59,5 % au déjeuner et 63,7 % au dîner dans la population de référence en 2007. Mais pour les adultes, avec un codage identique à l’étude de 2003, on constate que, pour le déjeuner, 58 % sont cohérents et 42 % dissonants, tandis que 60 % sont cohérents pour le dîner et 40 % en décalage. Les résultats, avec les mêmes codages, sont donc identiques.
105Par ailleurs, si la dissonance est plus massive chez les parents, elle est néanmoins présente dans des proportions assez élevées chez les enfants et les adolescents, plus d’ailleurs que chez les adultes de référence, ce qui peut s’expliquer en partie par une conséquence de la socialisation des enfants par les parents. La dissonance renvoie à un mécanisme de distorsion cognitive largement étudié en psychologie, mais qui a aussi donné lieu, dans le domaine de l’alimentation, à une analyse en termes de conséquences de la prolifération des messages à contenus nutritionnels ou diététiques engendrant une « cacophonie nutritionnelle » (Fischler, 1990). Ces messages, plus ou moins bien compris par les mangeurs, changeants en fonction des progrès de la nutrition, provoquent une confusion dans l’esprit des consommateurs. L’un des effets en découlant correspond à ce décalage entre ce que les mangeurs pensent qu’ils devraient faire pour être conformes à la norme nutritionnelle et/ou à la norme sociale et les pratiques qu’ils mettent réellement en œuvre (Poulain, 2001).
106Les risques de développement de troubles du comportement alimentaire résultant de ce processus commencent à être pointés du doigt, notamment lorsque la dissonance s’élabore en lien avec une restriction cognitive, même si cette dernière est « souple ». En somme, c’est moins la nature des compositions des repas qui est en cause ici, comme facteur aggravant de l’obésité ou de troubles du comportement alimentaire (Herman et Polivy, 1975 ; Treasure, 1990 ; Polivy, 1996 ; Westenhoeffer et al., 1993 ; Apfeldorfer et Zermati, 2001 ; Zermati, 2000) que le niveau de cohérence ou de décalage dans les décisions, individuelles comme collectives et sociales.
107On aurait pu s’attendre à davantage de cohérence « traditionnelle » entre la norme et la pratique chez les enfants et les adolescents mais les résultats montrent, d’une part, que la dissonance se transmet d’une génération à la suivante et, d’autre part, qu’elle se transmet plus fortement que la cohérence, ce qui invite à être attentifs à ce phénomène, d’autant que la dissonance peut être source d’anxiété, voire de culpabilité. Ces données permettent aussi de déceler chez les jeunes générations un phénomène de mutation se construisant autour d’une simplification des repas.
108Cela autorise à envisager deux tendances futures. La première, optimiste, considère que les changements du repas sont en cours de simplification (notamment avec l’observation de normes simplifiées plus fortes dans ces échantillons que dans l’enquête de 2003) et qu’il s’agirait d’une période de transition ; la seconde, pessimiste, s’intéresse à la massification de phénomènes de dissonance cognitive pouvant être retraduits par une augmentation des troubles du comportement alimentaire, y compris chez les enfants et les adolescents.
109La troisième information apportée par les résultats permet de revenir sur la problématique de la socialisation. Si l’on reprend à notre compte la métaphore de la « bouteille à moitié pleine et à moitié vide » pour rendre compte des résultats du baromètre nutrition santé (Poulain et al., 2009), on peut mettre l’accent soit sur ce qui se maintient dans les normes et qui renvoie davantage à une forme de repas « traditionnel », soit sur ce qui change et s’inscrit dans des logiques de simplification des repas. En effet, on constate que, pour les déjeuners comme pour les dîners, deux normes sociales cohabitent et sont transmises aux enfants. La première est plutôt de type « traditionnel » avec des structures de repas complets et se retrouve chez les enfants sous la forme du repas « traditionnel » ainsi que du repas « modernisé consistant » : ceux-ci adoptent la formule telle quelle ou alors la déclinent à partir d’une variation entre héritage et invention, ce qui témoigne de mécanismes différenciés d’appropriation. La seconde norme sociale leur étant transmise est celle d’une structure de repas simplifié organisée surtout à partir de la structure de type « plat garni + 1 item ». Enfin, les populations d’enfants et d’adolescents adoptent des tendances similaires à leurs aînés en étant traversés par des phénomènes de dissonances cognitives. Nous y reviendrons.
110Il convient de s’intéresser à l’alimentation consommée en dehors des repas, et ce d’autant que l’augmentation des prises en dehors des repas semble avoir une incidence sur la simplification des repas.
L’alimentation en dehors des repas
111Les prises alimentaires hors repas sont étudiées à travers trois questions. Les deux premières étudient le hors repas déclaré et la fréquence quotidienne déclarée des prises hors repas : « Entre les trois repas (petit-déjeuner, déjeuner et dîner) vous arrive-t-il de : manger seulement ; boire seulement ; les deux, manger et boire ; vous ne mangez et buvez jamais entre les repas (à l’exception de l’eau et de bonbon, de chewing-gum) » et « Si oui, combien de prises alimentaires en dehors des repas prenez-vous ? ». La troisième question est une variable recodée à partir de la reconstruction de la journée alimentaire de la veille de l’enquêté distinguant ce qui est de l’ordre des repas dans les prises de l’enquêté de ce qui ne l’est pas. Par conséquent, le classement d’une prise en « hors repas » n’a pas été réalisé arbitrairement mais selon les critères propres aux enquêtés. L’apéritif peut tout aussi bien être considéré par certains comme une prise en dehors du repas ou par d’autres comme faisant partie du repas. Cette question permet de collecter des pratiques traitées en termes de fréquence et de nature.
Ce que l’on déclare manger entre les repas
112La comparaison entre les trois populations au niveau de ce qu’elles affirment manger montre des différences importantes entre enfants et adolescents d’un côté et adultes (parents et population de référence) d’un autre côté. Ces distinctions jouent sur les taux de déclaration à consommer et la nature des prises.
113Les deux populations adultes déclarent consommer entre les repas dans des proportions assez proches de celles de l’étude de 2003. En effet, à cette date, 63,1 % de l’échantillon disaient consommer entre les repas, et 36,9 % ne pas le faire. En additionnant les réponses (« mixte », « solide », « liquide »), on constate que pour les parents, 69 % d’entre eux disent consommer et 31 % ne pas le faire, de même que pour les adultes de référence, 70 % d’entre eux disent consommer et 30 % ne pas le faire.
114Ces résultats traduisent une stabilité dans les déclarations des consommations en dehors des repas des adultes entre 2003 et 2007.
115Par contre, les résultats au niveau de la population enfantine témoignent de différences nettes par rapport à leurs aînés s’expliquant par la normalisation, chez ces populations, du goûter ainsi que de la collation du matin, comme quatrième et cinquième repas. En tout, 89 % des jeunes déclarent consommer entre les repas et 11 % ne jamais le faire.
116Enfin, des distinctions dans les types de prises entre population enfantine et populations adultes apparaissent de façon évidente : si 75 % des enfants déclarent consommer des prises mixtes, soit liquides et solides, ils ne sont que 36 % chez les parents et 35 % chez les adultes à affirmer le faire. En effet, dans la nature des prises, 29 % des parents et 31 % des adultes déclarent consommer des prises liquides (comme le café et le thé).
117Par rapport à l’étude de 2003 (Poulain et al.), nous avons fait, au niveau déclaratif, et non pas uniquement au niveau des pratiques reconstruites, la distinction sur la nature des prises alimentaires en dehors des repas. Ayant des échantillons de populations distinctes, nous postulions le fait que les enfants auraient des prises essentiellement « mixtes » tandis que les parents et les adultes auraient des prises principalement « liquides ». Les résultats font apparaître que parmi les adultes (parents et population de référence) déclarant consommer entre les repas, un peu plus du tiers d’entre eux disent consommer à la fois une boisson et un produit à manger.
118Concernant le nombre de prises en dehors des repas déclaré par les enquêtés, trois éléments apparaissent. Les pourcentages d’individus à déclarer une à deux prises par jour sont les plus forts (81 % pour les enfants et les adolescents ; 70 % pour les parents et 71 % pour les adultes de référence). Puis, les réponses des populations adultes (parents et de référence) sont quasiment identiques. Enfin, avec 10 % d’enfants en plus à déclarer 1 à 2 prises par jour, comparativement aux adultes, on constate que leurs prises alimentaires hors repas sont probablement encadrées et normalisées autour du goûter et de la collation matinale, ce qu’il faudra vérifier dans les pratiques. Les populations adultes ont, de ce fait, des pourcentages de fréquences de consommation plus importants que les populations enfantines.
Fig. 15. Consommation entre les repas déclarée.

Fig. 16. Nombre de prises hors repas déclaré (% de répondants à avoir dit consommer).

119Chez les adultes (parents et population de référence), la stabilité des déclarations de consommations en dehors des repas observée à partir de la comparaison des données de 2003 (Poulain et al.) traduit une normalisation des consommations hors repas permettant d’envisager une forme de journée alimentaire modale organisée autour de trois repas principaux et de deux prises en dehors des repas.
120Cette journée alimentaire modale concerne les enfants et les adolescents dans des proportions plus importantes que les adultes. Cette information est essentielle au regard des présupposés relatifs aux modes d’alimentation enfantine. Même si l’on reste au niveau du déclaratif, il s’avère que les prises hors repas sont encadrées puisque 81 % de l’échantillon des enfants déclarant consommer ne le font qu’une à deux fois par jour, ce qui est massif lorsqu’on le rapporte aux 89 % de la population enfantine totale à déclarer consommer entre les repas.
121Ces résultats viennent en partie nuancer certaines idées reçues relatives à la prolifération des prises alimentaires en dehors des repas chez les enfants et les adolescents.
122Les résultats des pratiques en dehors des repas de la veille présentés ci-après vont corroborer ou infirmer ces éléments de réflexion.
Ce que l’on mange entre les repas
123Précisons d’ores et déjà que les résultats qui suivent correspondent à des pourcentages issus des prises alimentaires et non des enquêtés8 ou des répondants. Dans l’ensemble des prises alimentaires consommées la veille en dehors des repas, le premier constat que l’on peut faire est que les parents comme les adultes de référence ont des résultats presque identiques. Essentiellement, les prises consommées la veille par ces deux populations correspondent à des prises liquides (café ou thé le plus souvent) : 61 % des prises parentales et 58 % des prises des adultes. Puis viennent les prises mixtes, respectivement 24 % et 28 %, et enfin les prises solides uniquement à hauteur de 15 % et de 14 %. Le second constat correspond aux différences (comme dans les déclarations) entre les réponses des enfants et les réponses des parents et des adultes. Bien qu’on soit en nombre de prises, les prises de la veille des enfants sont à 61 % mixtes, suivies à 31 % de prises solides uniquement. Seuls 8 % des prises enfantines en dehors des repas sont liquides.
124La nature des prises enfantines semble indiquer des types correspondant au goûter et/ou à la collation du matin (un casse-croûte et une boisson) tandis que celle des adultes semble se référer davantage à la pause café du matin et/ou de l’après-midi.
Fig. 17. Types de prises hors repas de la veille (en % des prises).

125Qu’en est-il des produits consommés en dehors des repas au cours de chaque prise ? Pour les trois populations, les produits principaux sont les boissons et les viennoiseries et biscuits. Ces derniers consomment peu de pain : chez les enfants, le pain représente 16 % des prises et il est quasiment absent de celles des adultes. De même, les fruits ne correspondent qu’à 10 % des prises enfantines, 11 % chez les adultes et 13 % dans les prises parentales. Enfin, les produits laitiers sont présents chez les enfants dans 19 % des prises en dehors des repas. De manière générale, les prises enfantines sont plus diversifiées que celles des adultes, même si, comme elles, elles sont à dominantes de boissons et de produits de biscuiterie.
Fig. 18. Produits consommés au cours des prises en dehors des repas (% des prises).

Synthèse sur les consommations en dehors des repas
126Les boissons et les viennoiseries/biscuits/gâteaux/brioches sont les deux catégories de produits dominantes. Le pain, les fruits et les produits laitiers, aliments pourtant les plus recommandés par les normes médicales, sont nettement moins présents dans les pratiques de la veille.
127Les déclarations comme les pratiques de hors repas de la veille se normaliseraient et traduiraient des attitudes déculpabilisées de la part des trois échantillons au regard de ce qui a longtemps et de ce qui reste encore perçu comme du « grignotage ». Organisées différemment, les prises hors repas des enfants semblent normalisées autour du goûter et de la collation du matin, tandis que celles des adultes correspondent davantage aux « pause-café ». Ces différences laissent penser que la nature des hors repas enfantins et adolescents relève probablement d’un « modèle enfantin » pouvant être amené à disparaître au profit de boissons uniquement, en avançant en âge, sauf si la modification des journées alimentaires au profit du maintien de ces quatrième et cinquième repas – encas et goûter – persiste à l’âge adulte.
128Après avoir documenté les structures et compositions des prises alimentaires au cours de la journée, il convient de décrire la façon dont ces prises sont organisées en termes d’horaires, de moments, de contextes sociaux, ainsi que de durée, de lieux et de positions corporelles.
Contextualisation des repas et hors repas : normes et pratiques
129À quelle heure mange-t-on ? Où mange-t-on et avec qui ? Comment mange-t-on ? Nous l’avons vu en introduction, ces questions suscitent nombre de réponses le plus souvent en termes de déstructuration, de vagabondage, de solitude et de désorganisation.
130Qu’il s’agisse des repas ou des prises en dehors des repas, nous avons repéré les situations de consommation, les contextes sociaux, les lieux de prises traçant les frontières entre l’alimentation dans la sphère domestique et celle de l’univers de la restauration, ainsi que les implantations horaires dessinant le tempo alimentaire scandant la journée des mangeurs, la durée des prises ou également leurs positions pour manger. Cette partie analyse l’ensemble des éléments contextuels régissant l’organisation des journées alimentaires. Tout comme pour la composition et la structure des repas et des prises en dehors des repas, cette partie est motivée par des enjeux scientifiques relatifs aux incidences de la modernité alimentaire sur les comportements et les représentations des mangeurs.
131Au travers des résultats d’études comparatives menées dans plusieurs pays de niveau de développement similaire (Rozin et al., 1999, 2006 ; Poulain, 2002 ; Fischler et Masson, 2008), la France semble présenter des particularités reposant sur un ensemble d’usages et de rites sociaux réglant et encadrant l’alimentation des mangeurs. On mange à certaines heures, plutôt en étant accompagnés et selon certaines règles. La dimension régulatrice, structurée et valorisée par les mangeurs français, des éléments contextuels régissant l’organisation de leurs journées alimentaires peut être alors présentée comme bénéfique ou fonctionnant comme un « impensé organisationnel ».
132Cette partie n’a pas pour ambition de trancher sur la véracité de l’effet de la composante avantageuse du modèle alimentaire commensal comparativement à d’autres modèles (supra partie 1, chapitres 1 et 3), mais de continuer à décrire et documenter certaines de ses dimensions pour savoir si elles perdurent. L’objectif consiste à réaliser un état des lieux de la situation en 2007 dans une perspective de comparaison dynamique avec les résultats d’une étude antérieure (Poulain et al., 2003). Ce niveau d’analyse comparée contribue à observer les formes de permanences ou de mutations dans les modèles alimentaires observées entre 2003 et 2007 : ce qui a bougé et ce qui est resté stable depuis 2003.
133En plus de la perspective dynamique, cette recherche apporte deux éléments nouveaux.
134Le premier réside dans le fait que le corpus d’enquêtés est composé de trois échantillons distincts dont une population enfantine et jeune pour laquelle les présupposés de « déstructuration » de l’alimentation contemporaine sont prégnants dans les discours. Il s’agit de renseigner les éléments de contextes pour ces jeunes mangeurs et de les comparer aux résultats des adultes, pour interroger les formes de la transmission intergénérationnelle de ce que l’on appelle le « modèle alimentaire français » basé sur la commensalité. En arrière-plan, nous voulons mesurer la pérennisation ou la césure de ces éléments pour les générations futures. Plus les résultats sont homogènes entre les populations, plus il y aurait pérennisation dans la transmission. Par contre, lorsque les résultats sont hétérogènes, l’interprétation peut se faire à trois niveaux : l’hétérogénéité intragénérationnelle est soit le fruit de mutations dans les contextes de consommation, soit le fruit de l’expression d’un répertoire enfantin, soit enfin la combinaison des deux.
135Le second élément repose sur la complexification de l’étude des contextes comparativement à d’autres enquêtes (Poulain et al., 1996, 1999, 2003) au travers de questions faisant la distinction entre les normes et les pratiques des contextes pour les trois repas principaux que sont le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. En effet, dans les précédentes études, les niveaux de contexte étaient présentés uniquement au travers des pratiques reconstruites de la veille.
136Deux raisons motivent l’intégration de ces niveaux pour les normes : d’une part, il s’agit – à l’instar du procédé présent dans la composition et la structure des repas – de repérer des niveaux de cohérence ou de décalage des mangeurs entre les contextes composant un « vrai » repas et les contextes réellement mis en œuvre au cours des repas pour documenter la stabilité ou la mutation dans les contextes et d’éventuels phénomènes de dissonances ; d’autre part, il s’agit, pour la population enfantine, de saisir des niveaux différents dans la socialisation avec soit des formes cohérentes entre les normes et les pratiques des contextes dits « traditionnels », soit des écarts de contextes entre ces deux niveaux car tous deux sont des indicateurs de la socialisation des jeunes mangeurs à ces modèles alimentaires.
137Ainsi, l’implantation horaire des prises de la veille sur la journée, leur durée, leur contexte social (au niveau des normes et des pratiques pour les repas), leur lieu (au niveau des normes et des pratiques pour les repas) et leur position vont être, dans cette partie, présentés comme autant d’indicateurs de ce qui se joue et de ce qui se transmet dans le contexte de la modernité alimentaire.
Implantation horaire des prises de la veille sur la journée
138La description de l’implantation horaire de chaque prise alimentaire au cours d’une journée permet, sur des échantillons suffisamment importants, de se faire une idée, lorsqu’il y a des pics horaires, de la synchronisation des emplois du temps, ou, au contraire, de l’étalement tout au long de la journée des prises alimentaires. Cet état des lieux, les comparaisons entre les trois populations et les comparaisons dynamiques permettent de répondre à la crainte du « manger n’importe quand » et, en arrière-fond, à l’idée d’une perte de liens que cela implique. En effet, le « manger n’importe quand » signifie souvent dans l’imaginaire collectif, une absence d’organisation et une grande liberté d’actions représentant un frein aux retrouvailles et aux situations de partages. Pourtant, l’augmentation des prises alimentaires au cours de la journée n’induit pas nécessairement qu’elles se fassent sans un minimum de sociabilité et de régularité.
139Les horaires des prises des trois repas principaux ainsi que des prises en dehors des repas des enfants sont dans l’ensemble peu dispersés. Leurs plages horaires du petit-déjeuner sont comprises pour plus de 80 % d’entre eux entre 7h00 et 9h00, mais pour près de 15 %, le petit-déjeuner est pris entre 10h00 et 11h00, ce qui peut être expliqué par le fait que 16,1 % des petits-déjeuners ont été consommés le mercredi matin, certains enfants n’étant pas à l’école ce jour de la semaine. Ensuite, la quasi-totalité des déjeuners (plus de 90 %) est prise en l’espace de deux heures entre 12h00 et 13h30. Enfin, les horaires des dîners ont aussi une amplitude de deux heures, avec plus de 90 % des enfants et des adolescents mangeant entre 19h00 et 21h00.
140Pour les prises alimentaires en dehors des repas, deux pics de consommation sont localisés. Le premier se situe en fin de matinée pour plus de 50 % des consommations prises entre 10h00 et 11h00, et le second se retrouve en milieu d’après-midi avec 80 % des consommations entre 16h00 et 18h00. Le reste des prises en dehors des repas est étalé dans de faibles proportions tout au long de la journée. Une forte concentration des prises en dehors des repas se repère au moment du goûter. L’explication la plus probable réside du fait des mesures prises par le gouvernement en milieu scolaire dans la lutte contre l’obésité infantile et le surpoids9. Depuis le 1er septembre 2005, les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires au sein des écoles ont été interdits. À cela se sont ajoutées des recommandations concernant les collations matinales. Non obligatoire, cette mesure a pu conduire certains établissements à interdire la collation du matin10 (supra partie 1, chapitre 2).
Fig. 19. Implantation horaire des différentes prises sur une journée chez les enfants et adolescents (en %).

141Concernant les prises en dehors des repas11, en fonction du type de prises alimentaires, la distribution se fait de façon légèrement différente l’après-midi avec un pic des consommations mixtes (à plus de 50 %) entre 16h00 et 17h00, correspondant aux prises du goûter. Viennent ensuite, dans le même créneau horaire, les prises solides ou liquides à hauteur chacune de 30 %. Le matin, un pic apparaît entre 9h00 et 10h00 avec 20 % de prises solides, presque 15 % de prises liquides et un peu plus de 5 % de prises mixtes. Un petit pic de près de 5 % apparaît enfin en soirée, entre 21h00 et 22h00 comportant des prises liquides.
Fig. 20. Implantation horaire des prises hors repas en fonction du type de prises chez les enfants et adolescents (% des prises).

142Pour les parents, les horaires des prises des trois repas principaux ainsi que des prises en dehors des repas sont dans l’ensemble peu dispersés. Toutefois, ils le sont davantage que ceux de leurs enfants.
143Les plages horaires du petit-déjeuner sont comprises pour plus de 90 % d’entre eux entre 6h00 et 10h00 ; elles sont plus étalées que celles de leurs enfants. La quasi-totalité des déjeuners (plus de 90 %) est prise en l’espace de deux heures entre 12h00 et 13h30 comme pour leurs enfants. Enfin, les dîners ont une amplitude légèrement plus grande que pour les enfants puisqu’elle est de trois heures, avec plus de 90 % des parents mangeant entre 19h00 et 22h00.
144Trois pics de consommation sont repérés pour les prises en dehors des repas ; ils sont plus dispersés que ceux de leurs enfants. Le premier est observé en fin de matinée : 30 % des consommations sont repérées entre 9h00 et 11h00. Le deuxième se situe en milieu d’après-midi, avec 70 % des consommations entre 15h00 et 18h00. Enfin, le dernier est repérable entre 21h00 et 23h00, avec près de 20 % de prises en dehors des repas effectuées dans ce créneau horaire. Le reste des prises en dehors des repas est étalé en faibles proportions tout au long de la journée. On remarque ainsi qu’à la différence des enfants qui ont deux pics de consommation, leurs parents en ont trois et que ces derniers ont des consommations beaucoup plus étalées tout au long de la journée.
Fig. 21. Implantation horaire des différentes prises sur une journée chez les parents (en %).

145Pour les types de prises en dehors des repas, la distribution se fait différemment de celle de leurs enfants. En effet, les prises « liquide » ou « solide » sont étalées tout au long de la journée, avec deux pics correspondant à la pause du matin, entre 9h00 et 11h00, ainsi qu’à celle de l’après-midi, entre 16h00 et 18h00, et enfin le soir entre 21h00 et 23h00, ce qui probablement met au jour une pratique consistant à déplacer la terminaison de repas en fin de soirée ou traduit la consommation d’infusions ou de thés avec des bouchées chocolatées. Un léger pic d’une amplitude de deux heures entre 13h00 et 15h00 concerne la prise de liquides, le plus souvent de boissons chaudes comme le café après le repas de midi. Notons enfin un pic étalé sur une amplitude horaire de deux heures, entre 16h00 et 18h00, au cours duquel les prises de type « mixte » ou « solide » s’élèvent à 40 %, ce qui renvoie à la prise de goûter. Un léger pic est observé entre 18h00 et 20h00 concernant des prises « mixtes » ; il correspond à des pratiques apéritives ou de consommations avant les repas.
146Pour les adultes de référence, les horaires de prises des trois repas principaux ainsi que des prises en dehors des repas sont, comme ceux des parents, dans l’ensemble peu dispersés. Toutefois, ils le sont davantage que ceux des populations enfantines.
Fig. 22. Implantation horaire des prises hors repas en fonction du type de prises chez les parents (% des prises).

147Les plages horaires du petit-déjeuner sont comprises pour plus de 95 % d’entre eux entre 6h00 et 10h00 ; elles sont un peu moins étalées que celles des parents. La quasi-totalité des déjeuners (près de 100 %) est prise en l’espace de deux heures entre 12h00 et 14h00 comme les deux autres populations. Enfin, les dîners ont une amplitude plus grande que celle des enfants et des adolescents, à l’instar des parents, puisqu’elle est de trois heures, avec plus de 95 % des adultes mangeant entre 19h00 et 22h00. Dans l’ensemble, pour les trois repas principaux, les tendances en termes de plages horaires sont assez identiques à celles de la population parentale tout en étant légèrement plus fortes dans les pics de consommation.
148Trois pics de consommation hors repas sont identifiés, comme pour les parents. Ils sont plus étalés que pour les enfants et les adolescents. Le premier est repéré en fin de matinée : 50 % des consommations le concernant sont situées entre 9h00 et 11h00. Le deuxième se situe en milieu d’après-midi avec 90 % des consommations entre 15h00 et 18h00. Enfin, le dernier est repérable entre 21h00 et 23h00, avec près de 30 % de prises en dehors des repas. Le reste des prises en dehors des repas est étalé en faibles proportions tout au long de la journée. Comme les parents, les adultes de référence ont trois pics de consommation plus étalés dans les amplitudes horaires que chez les enfants et les adolescents.
149Pour les prises en dehors des repas, en fonction de leur nature, la distribution se fait de façon différente de celles des parents et des enfants. En effet, les prises de type « liquide » sont étalées tout au long de la journée, avec trois pics correspondant à la pause du matin entre 9h00 et 12h00, à celle de l’après-midi entre 16h00 et 18h00 et à celle du soir entre 20h00 et 23h00, sachant que les prises liquides restent présentes quasiment tout au long de la journée. Un pic d’une amplitude de deux heures entre 13h00 et 15h00 concerne la prise de liquides, le plus souvent de boissons chaudes comme le café après le repas de midi. Les prises solides se concentrent sur trois amplitudes horaires, le matin entre 10h00 et 11h00 qui correspond à la pause, l’après-midi de 15h00 à 18h00 et qui se prolonge jusqu’à 19h00, puis cela remonte de 21h00 jusque 23h00. Les prises mixtes suivent à peu près les mêmes amplitudes que les prises solides, notamment le matin, pour la pause de 11h00, sauf que l’après-midi, les taux sont plus forts notamment entre 16h00 et 17h00, ceci évoquant le goûter.
Fig. 23. Implantation horaire des différentes prises sur une journée chez la population de référence (en %).

Fig. 24. Implantation horaire des prises hors repas en fonction du type de prises chez la population de référence (% des prises).

150En conclusion, l’analyse penche pour une forte synchronisation alimentaire dans les journées des jeunes mangeurs. Les deux prises principales du hors repas constituent une pratique courante dans les consommations alimentaires. Il convient d’y être attentif car elles modifient les apports nutritionnels sur la journée et se définissent à partir de produits spécifiques (notamment de biscuiterie-viennoiserie). Il faut cependant préciser que contrairement à l’idée répandue de moments de hors repas déstructurés et non encadrés, ces prises hors repas enfantines font l’objet d’une forte « régularité dans les rythmes horaires » (Volatier, 1999). L’augmentation des prises alimentaires en dehors des trois repas principaux peut également avoir comme incidence une modification dans la structure des repas et de leur composition même si les changements dépendent aussi d’autres facteurs (nature et structure de l’offre, contraintes temporelles, etc.).
151Les adultes de la population parentale ou de référence observent les mêmes tendances que les enfants et les adolescents concernant les trois repas principaux, même si des distinctions apparaissent concernant les amplitudes horaires car elles sont plus étalées dans le temps que celles des jeunes mangeurs. Les différences sont visibles surtout au niveau des prises en dehors des repas qui, d’une part, sont étalées sur une amplitude horaire plus importante que celles des enfants et adolescents et, d’autre part, s’illustrent à travers trois pics, de moins forte intensité (notamment pour le goûter), au lieu des deux du modèle alimentaire enfantin.
152Intéressons-nous dès lors à la durée des différentes prises alimentaires.
Durée des prises de la veille
153La durée des repas ainsi que celle des prises en dehors des repas est un indicateur supplémentaire du temps que les mangeurs consacrent à leur alimentation et de l’importance qu’ils lui accordent au cours de la journée. L’expérience, à travers d’autres études ou d’autres terrains comme notre enquête qualitative, montre que le repas, surtout celui du soir ou du week-end, a valeur de rassemblement et de cohésion familiale. La durée qu’on accorde à ces diverses prises est un élément de compréhension supplémentaire des rythmes, des tempos au cours de la journée et surtout de l’importance accordée aux prises alimentaires en fonction de leur nature. Prendre le temps de manger dépend du temps qu’on a de disponible mais est aussi tributaire de l’importance qu’on donne à l’alimentation.
154De plus, si la durée des repas renvoie à une idée de régularité, il n’en est pas de même des prises hors repas à l’exception du goûter qui tendrait à s’imposer, notamment chez les diététiciens, comme un quatrième repas surtout quand il concerne les enfants. Les autres consommations hors repas restent considérées comme étant prises dans la précipitation, sans prendre le temps de le faire, sans temps de partage, un peu comme un acte compulsif solitaire. Qu’en est-il réellement ?
155L’estimation de la durée des repas et des moments de hors repas s’avère difficile pour les enfants comme les adultes. Dans une étude portant entre autres sur l’évaluation de la durée du dîner par des enfants âgés entre 10 et 11 ans, Fischler rapporte que les enfants ont tendance à appuyer leurs réponses sur des repères temporels fiabilisés par les rythmes scandant les émissions et les séquences télévisées (Fischler, 1996c). Pour cette recherche, la comparaison entre les trois populations est un gage de la fiabilité des estimations. Des tendances homogènes entre adultes (parents et population de référence) se dessinent. Pour les enfants, les tendances sont identiques mais moins longues.
156Concernant le petit-déjeuner, pour les trois populations, un pic est observé avec près de 40 % des mangeurs de chaque groupe à le prendre dans une durée oscillant entre 5 et 15 minutes, puis cela redescend dans des proportions assez identiques.
157Pour le déjeuner et le dîner, les enfants et les adolescents observent un pic plus fort que les adultes pour les repas pris entre 20 et 30 minutes. Pour les parents et la population de référence, le pic est lui aussi compris entre 20 et 30 minutes, mais il est moins fort que pour les enfants puisque, bien que dans des proportions moindres, le déjeuner et le dîner de certains de ces adultes se déroulent entre 30 et 45 minutes ou entre 45 minutes et 1 heure.
158Enfin, pour les prises hors repas, le goûter chez les jeunes observe un pic important, presque 60 %, pour une durée entre 15 et 20 minutes tandis que les prises de goûter des adultes (parents et population de référence) s’illustrent à travers deux pics, de proportions moins élevées : l’un d’une durée comprise entre 5 et 15 minutes ; le second entre 15 et 20 minutes. Par ailleurs, pour les autres prises en dehors des repas, la durée des enfants est plus proche de celle des adultes de référence : ces prises alimentaires sont surtout comprises comme celles des parents entre 5 et 15 minutes mais certaines sont d’une durée de 15 à 20 minutes. En tous les cas, on observe une différence nette chez les jeunes mangeurs entre la durée du goûter et celle des autres prises hors repas, les premières étant plus longues que les secondes, ce qui tend à vérifier l’hypothèse des goûters comme quatrième repas.
159Si les repas et les goûters sont un peu plus longs que les autres prises alimentaires en dehors des repas, c’est bien souvent parce qu’ils se déroulent dans des contextes de sociabilité où les échanges engagés prolongent la durée des repas.
Fig. 25a-c. Durée des repas et des hors repas de la veille pour les trois populations (en %).

Contexte social : norme et pratique
160L’alimentation, de manière générale, et la convivialité et la commensalité, en particulier, sont des facteurs de cohésion et d’intégration sociale. Paradoxe fondamental de l’alimentation souligné par Georg Simmel (Kaufmann 2005, p. 136) que l’acte essentiellement individuel de se nourrir et d’en retirer plaisir soit, en même temps, un acte rassembleur, catalyseur de la vie sociale. Manger seul n’est pas valorisé dans certaines cultures et n’entre pas dans la définition de ce qu’est un « vrai repas ». C’est le cas dans la culture française.
161En effet, en France, la socialisation12 des prises constitue un élément essentiel du modèle alimentaire. D’après plusieurs études, le partage du repas avec d’autres convives reste très présent lors du dîner et du déjeuner surtout ; le petit-déjeuner étant plus souvent pris seul (Fischler, 1996c ; Volatier, 1999 ; Poulain, 2001 ; Corbeau et Poulain, 2002 ; Poulain et al., 2003 ; Guilbert et Perrin-Escalon, 2004 ; Fischler et Masson, 2008 ; Poulain et al., 2009).
162Les résultats ne sont pas présentés à partir des différences entre la commensalité et la convivialité, la première correspondant au fait de manger simultanément avec une ou d’autres personne(s) et la seconde supposant, selon nous, que les convives soient plutôt des proches13, impliquant une intensité différente dans la relation et les échanges (Corbeau, 2005), qu’une enquête par questionnaire aurait du mal à qualifier. Le contexte social est analysé au sens large pour tenter de répondre aux présupposés d’une « désaffiliation sociale » et/ou d’une « individualisation des prises » croissante(s) chez les jeunes générations. En effet, dans cette grille de lecture, fréquemment illustrée dans les programmes télévisés ou les articles de presse, il est supposé que les jeunes mangeurs sont livrés à eux-mêmes dans le choix comme dans la consommation des produits alimentaires. Si les aspects de la commensalité sont bien documentés pour les populations adultes (ainsi que l’indiquent également les références citées plus haut), l’état des lieux pour la population enfantine est peu renseigné, de même que les divers niveaux pouvant jouer dans la socialisation des jeunes générations à ces dimensions commensales et conviviales.
163La socialisation au cours des repas identifiée dans cette enquête s’apparente à la commensalité. Cette dernière traduit une synchronisation des emplois du temps permettant aux individus de se retrouver à table. La synchronisation très forte des repas ainsi que des prises hors repas, notamment du goûter, chez les adultes comme chez les enfants et les adolescents, présentée précédemment, donne un premier niveau de réponse. La durée des repas et des prises hors repas constitue également un bon indicateur des sociabilités.
164La socialisation à table est mesurée à partir du contexte social référencé avec des questions ouvertes. Ces dernières sont recodées notamment en deux possibilités, la première consiste à manger « seul », la seconde à le faire « en compagnie » pour distinguer, selon le modèle proposé par Jeffrey Sobal, des « unités commensales ». Chacune d’elles représente un groupe d’individus (deux ou plusieurs) se réunissant dans le cadre d’une prise alimentaire, qu’il s’agisse d’un repas ou d’une prise en dehors des repas. La famille, dans le cadre de l’alimentation, en constitue la plus fondamentale (Sobal 2000).
165De plus, toujours dans l’objectif d’analyser au mieux les divers niveaux de la socialisation enfantine14, avec les formes de cohérence ou de décalage entre les normes et les pratiques, nous avons demandé aux enquêtés de s’exprimer sur ce qu’ils considèrent comme étant le contexte social du « vrai petit-déjeuner », du « vrai déjeuner » et du « vrai dîner ». Les écarts de réponses entre le contexte social dans la norme et celui pratiqué sont de bons indicateurs de phénomènes de transmission et du maintien ou de la rupture des sociabilités dans le « modèle alimentaire français ».
166Pour les enfants et les adolescents, les trois repas principaux sont fortement socialisés dans la journée de la veille et la socialisation est plus forte dans leurs normes des « vrais » repas. Le petit-déjeuner est le repas le moins socialisé, et cela est valable dans les normes comme dans les pratiques. La norme y est tout de même plus socialisée, passant de 72 % dans les pratiques d’enquêtés à avoir mangé accompagnés à 81 % dans la norme (soit +9). Pour le déjeuner et le dîner, les écarts entre la norme et la pratique sont moins importants que lors du petit-déjeuner puisque dans la pratique, ces repas sont déjà fortement socialisés. On passe ainsi de 96 % de la population enfantine à avoir mangé en compagnie le midi à 98 % à penser que cela correspond au contexte social du « vrai » déjeuner. Pour le dîner, seul 1 % des enfants et des adolescents mangent seuls et estiment que cela correspond à un « vrai » repas du soir.
Fig. 26. Contexte social des repas pour les enfants et les adolescents : norme et pratique (en %).

167Concernant leurs prises alimentaires en dehors des repas, à l’instar de la durée des prises, la distinction entre le goûter et les autres formes de prises est maintenue en supposant que celui-ci est plus socialisé que les autres prises. En effet, si le goûter est socialisé, dans des proportions plus fortes que les autres prises hors repas, on peut être surpris de constater que ces dernières sont elles aussi plutôt socialisées, contrairement aux présupposés d’individualisation qu’on associe à ce type de prises. 66 % des goûters sont pris en compagnie, et 59 % des autres prises hors repas le sont en étant accompagnés. Cela implique quand même que 34 % des enfants prennent leur goûter seuls, et que 41 % des autres prises hors repas sont faites seules. Il faut préciser que 254 enfants sont des enfants uniques, et 748 d’entre eux ont des frères ou sœurs (374 fratries). Ainsi, 25 % des enfants n’ont pas de fratrie, ce qui explique en partie la plus forte propension d’enfants à consommer seuls lors de ces prises alimentaires. Les repas, par contre, sont pris soit en famille, soit avec les camarades à la cantine, ce qui implique d’une part la présence de commensaux et, d’autre part, qu’ils soient plus faciles à partager. Le critère de la commensalité dégagé ne permet pas de statuer en faveur ou contre l’hypothèse d’un goûter comme quatrième repas, les écarts avec les prises en dehors des repas n’étant pas suffisants et les analyses étant menées sur des pourcentages de prises et non de répondants.
Fig. 27. Contexte social des prises hors repas pour les enfants et les adolescents (% des répondants pour le goûter et % des prises pour autre hors repas).

168Quand on regarde dans le détail les personnes partageant le goûter (en pourcentages des répondants) ou les autres hors repas (en pourcentages des prises), on remarque qu’il est davantage pris avec les frères et sœurs ou un (ou les) parent(s), ou alors en famille (45 % en tout), soit dans ce que l’on peut appeler une forme de « commensalité familiale ». Les autres prises hors repas privilégient en premier lieu les amis (34 %) comme forme de « commensalité amicale » ou la famille (22 % au total).
Fig. 28. Contexte social détaillé des prises hors repas chez les enfants et adolescents (% de répondants pour le goûter et % des prises pour autre hors repas).

169Au final, ces résultats montrent que les repas comme les consommations en dehors des repas sont fortement socialisés. Ces tendances sont proches de ce que l’on observe chez les adultes. Toutefois, le contexte social pour chacun des repas des enfants s’y avère plus grand que chez les adultes.
170La comparaison entre la norme et la pratique pour les trois repas principaux montre l’importance des contextes sociaux partagés puisque la socialisation y est plus forte dans la norme.
171Tous ces éléments mis bout à bout permettent de dire que les enfants ne sont pas livrés à eux-mêmes dans leur alimentation puisque l’ensemble des consommations est fortement socialisé, ce qui implique une régularité et synchronie des prises.
172Pour poursuivre dans ce sens, l’analyse du contexte social des parents et de celui des adultes de la population de référence dégage des tendances identiques aux études antérieures15. Ces populations ont en pratique un contexte social moins commensal que les jeunes mangeurs.
173Les écarts entre les parents et la population de référence reposent sur l’impact de la présence d’enfant(s) qui représente un « sursaut commensal » (Kaufmann, 2005) et élargit les possibilités d’expression de sociabilités familiales : en effet, dans les deux échantillons, nous sommes en présence de célibataires mais, chez les parents, il s’agit de foyers monoparentaux tandis que chez les seconds, il s’agit de personnes vivant seules. C’est pourquoi les parents sont moins enclins que les adultes de référence à manger seuls, les repas y étant a priori plus institutionnalisés autour de la famille.
174L’analyse des cohérences ou des décalages entre les normes et les pratiques s’avère pertinente dans ce contexte lié à la solitude alimentaire. Si l’on regarde le petit-déjeuner, 48 % des parents le prennent seuls contre 60 % des adultes, et les parents retombent à 21 % (-27) dans les normes contre 35 % (-25) pour les adultes. Ce décalage entre les normes et les pratiques traduit bien l’importance des liens sociaux à table dans les modèles alimentaires en France, toutes caractéristiques sociales et familiales confondues.
175En 2003, la population de référence enregistrait 72 % des repas de midi en compagnie et 78 % des repas du soir, alors que 60,5 % des petits-déjeuners étaient pris seuls, quand 22,3 % de l’échantillon était constitué de personnes vivant seules (Poulain et al., 2003). En 2007, la socialisation dans les deux échantillons y est plus forte et est loin de reculer16. La perspective dynamique entre 2003 et 2007 montre que les liens sociaux à table résistent aux effets de la modernité alimentaire et semblent se renforcer : pour le déjeuner, en comparant 2003 et 2007, ils prennent +11 avec les parents et +3 avec les adultes de référence. Pour les dîners, ils prennent +17 avec les parents et +6 avec les adultes. Pour le petit-déjeuner, enfin, ils prennent +12.5 pour les parents et ne bougent pas pour les adultes de la population de référence (+0.5). Comme l’a montré Corbeau (2001), les logiques différentes d’emploi du temps au sein des familles, ainsi que la gestion de l’espace domestique, contribuent à cette plus faible socialisation du petit-déjeuner. De plus, les deux autres repas, moins installés dans la vie intime, sont plus faciles à partager.
Fig. 29a et b. Contexte social des repas : norme et pratique (en %).

176Concernant les prises alimentaires en dehors des repas, elles sont moins socialisées que pour les enfants et les adolescents puisque environ la moitié d’entre elles, de la population parentale et de la population de référence, est faite en étant accompagné. Par contre, parmi les parents consommant un goûter, 88 % d’entre eux le prennent en compagnie : la présence d’enfants s’avère être un levier à la consommation d’aliments entre les repas.
177Le partage du repas avec d’autres personnes reste présent dans l’alimentation des trois populations, comme l’attestent les écarts entre les normes et les pratiques du contexte social. Cette caractéristique constitue un élément fort du « modèle alimentaire français », les repas apparaissant comme les moments privilégiés de la convivialité des Français du fait de leur synchronisation, de leur durée et de leur régularité.
178Les règles de la commensalité sont bien transmises aux jeunes générations puisque tous ces éléments y sont représentés dans des proportions plus fortes dans leurs normes que dans leurs pratiques, à l’instar de leurs aînés.
Fig. 30. Contexte social des prises hors repas chez les parents et les adultes de référence (% total pour le goûter et % des prises pour autres hors repas).

179Quels sont les lieux des repas et des prises en dehors des repas de ces populations ? Quels enseignements en tirer pour les modèles alimentaires ? Le domicile reste-t-il toujours l’endroit où les Français prennent majoritairement leurs repas (Baudier et Janvrin, 1994 ; Baudier et al., 1997 ; Guilbert et al., 2001, Poulain, 2001 ; Michaud et al., 2004) ? Y compris pour les jeunes mangeurs (Fischler, 1996c) ?
Lieu : norme et pratique
180Exception faite des déjeuners pris pour près de la moitié à l’extérieur, les repas sont majoritairement pris au domicile pour l’ensemble des trois populations. Pour les enfants et les adolescents, 97 % des petits-déjeuners et 94 % des dîners sont consommés au domicile familial, tandis que seulement 49 % des déjeuners le sont, le reste étant essentiellement pris à la cantine. En 1996, pour les enfants de 10-11 ans, Fischler remarque que 94 % d’entre eux mangent au domicile pour le dîner. Contrairement à certaines idées reçues, le résultat n’a pas changé en 11 ans en faveur d’un modèle privilégiant la restauration rapide chez les jeunes (urbains notamment) qu’on associe souvent aux modes de consommations nord-américains. Les repas du soir se déroulent au foyer et en famille pour la quasi-totalité de la population enfantine et jeune, ce qui penche en faveur du maintien du modèle « traditionnel » du repas du soir à la maison.
181Pour leurs parents, les tendances sont assez similaires à l’exception du déjeuner puisque 53 % des parents le prennent chez eux (ce qui signifie que certains rentrent manger à la maison sans leurs enfants). Pour le petit-déjeuner, 98 % le prennent à la maison et pour le dîner, il est consommé à 96 % au foyer.
182Enfin, pour les adultes de référence, 96 % d’entre eux prennent leur petit-déjeuner à la maison, 55 % leur déjeuner et 91 % leur dîner. Ils sont un peu moins nombreux qu’en 2003 à consommer hors domicile.
183En tous les cas, cette permanence du repas à domicile constitue peut-être un élément important du maintien du modèle traditionnel (Poulain et al., 2009).
Fig. 31a-d. Comparaison dynamiques des lieux de repas.

Source fig. 31d : Poulain et al., 2003
184Concernant l’alimentation en dehors des repas principaux, les prises sont consommées au domicile pour plus de la moitié d’entre elles. Parmi les personnes ayant pris un goûter, 53 % des parents et 59 % des adultes de référence l’ont fait au domicile, probablement en présence des enfants. Pour les enfants ayant consommé un goûter, 75 % d’entre eux l’ont fait au domicile familial.
185Dans le détail des lieux des prises hors repas, une partie des prises enfantines est faite dans la cour de récréation (13 % des goûters et 34 % des prises hors repas) tandis que pour les adultes elles le sont sur les lieux de travail (38 % des goûters et 37 % des autres hors repas pour les parents, 25 % des goûters, 33 % des autres hors repas pour les adultes).
186À partir de l’analyse comparative entre les normes et les pratiques des lieux pour les trois repas principaux, on constate, à l’instar du contexte social, que les enquêtés, toutes populations confondues, mentionnent le domicile familial plus fortement dans leurs normes, alors qu’on aurait pu attendre sur le dîner par exemple davantage de réponses relatives à la restauration hors foyer (restaurants). Par ailleurs, si un resserrement vers le domicile est observé aussi dans les normes du déjeuner des trois populations, celui-ci n’est absolument pas massif, contrairement à ce qui aurait pu être supposé. C’est notamment le cas pour les populations enfantines. Ce résultat va à l’encontre des idées sur le « rejet » de la cantine par les enfants et les adolescents en les nuançant : les produits peuvent susciter de la non appétence voire du dégoût, il n’empêche que la cantine, dans les normes enfantines, reste plébiscitée par 24 % d’entre eux, contre 37 % à y manger (-13). Cela est sans doute lié aux sociabilités enfantines, horizontales, qu’ils y nouent. Manger à la cantine, c’est manger avec les pairs, c’est-à-dire avec les copains.
Fig. 32. Lieux des prises hors repas (% des répondants pour le goûter et % des prises pour hors repas).

Tableau 19. Détail des lieux des prises hors repas.

Fig. 33. Lieux des repas : norme et pratique.

187Pour les adultes (parents et population de référence), la tendance est assez identique, avec des formes de sociabilités horizontales avec les collègues ou des proches à l’extérieur du foyer se maintenant. Cependant, les parents tendent à privilégier un peu plus le domicile familial dans les normes que leurs enfants ou que les autres adultes.
188Enfin, l’homogénéité des réponses entre norme et pratique des repas pour les trois populations fait apparaître des mécanismes de transmission intergénérationnelle concernant l’une des dimensions du modèle alimentaire « traditionnel » français qu’est l’importance du domicile familial, et témoigne aussi – au travers de la perspective dynamique – du maintien de ce modèle. On peut se demander si la crise financière mondiale n’accentue pas le phénomène de resserrement des modes d’alimentation en faveur de la famille, du foyer et du « fait maison ».
189Le dernier critère analysé porte sur les positions adoptées lors des prises alimentaires de la veille car elles sont des indicateurs des modes d’organisation des consommations.
Position lors des prises alimentaires de la veille
190La position corporelle adoptée au cours des différentes consommations de la veille, principalement assise ou debout, éclaire en partie la question du basculement du commensalisme vers le vagabondage alimentaire, ce qui correspond à l’un des bouleversements qui affecterait le comportement alimentaire. En effet, la modernité alimentaire peut opérer une « dé-ritualisation de la transformation de l’alimentation contemporaine » (Poulain, 1997, p. 116) se traduisant par une augmentation du vagabondage ou nomadisme alimentaires au détriment du commensalisme (Fischler, 1979 ; Poulain, 1985, 1993 ; Corbeau, 2005), surtout dans des contextes d’offres alimentaires abondantes ; elle entraîne aussi une perturbation possible des pratiques commensales et de leur appareil normatif. L’individu mangerait où, quand et comme il le veut, solitairement, en se déplaçant et selon ses propres désirs. Le vagabondage se définit par l’idée de prises alimentaires plus fractionnées, pouvant comprendre des repas conviviaux structurés mais, et surtout, organisés de façon individualisée tout au long de la journée. Il comporte une dimension de mobilité, contrairement aux règles de la table imposées par la commensalité « traditionnelle ». En arrière-plan des positions corporelles, c’est donc la question de la structuration et de l’organisation sociale des prises alimentaires qui est posée.
Fig. 34a-c. Position pour les repas et les hors repas de la veille.

191Les figures ci-avant montrent que pour les trois repas principaux, la position assise est majoritaire, puisqu’elle couvre près de 100 % des cas, exception faite du petit-déjeuner des parents et des adultes de la population représentative qui, pour respectivement 8 et 9 % d’entre eux, déjeunent debout. Cette posture, qui sous-tend davantage de mobilité de la part des mangeurs, est surtout pratiquée dans les prises de goûter et plus fortement dans les autres prises hors repas. Comme dans les traitements précédents, nous avons fait la distinction entre les prises relevant du goûter des autres prises, les écarts entre les résultats montrent chez les enfants et les adolescents, ainsi que chez les adultes le pratiquant, que le goûter s’approche des autres repas principaux dans les formes de position corporelle qu’il présente : seuls 12 % des enfants, 24 % des parents et 11 % des adultes prenant un goûter le font debout tandis que dans le hors repas, 31 % des prises enfantines, 34 % chez les parents et 19 % chez les adultes le font.
Retour sur la socialisation alimentaire
192Qu’est-ce qui est transmis aux enfants et aux adolescents ? Que font-ils de ce qu’ils reçoivent ? Quels repérages peuvent traduire des transmissions intergénérationnelles ? Quel est le poids des déterminants sociaux et culturels ? Enfin, la notion de répertoires alimentaires enfantins ou adolescents a-telle une pertinence ? Ce sont à toutes ces questions que nous tentons de répondre dans cette partie.
Permanences ou mutations des modèles alimentaires
193En préambule, quatre questions de société ont été identifiées auxquelles nous souhaitions répondre : la désynchronisation, la déstructuration, l’individualisation et le passage du commensalisme au vagabondage.
194Pour résumer les résultats principaux, la composition et la structure des repas continuent à se simplifier, ce qui penche en faveur d’une mutation du modèle « traditionnel » vers un modèle « simplifié » d’une part, et l’homogénéité des réponses en termes de contextualisation des repas et des prises en dehors des repas plaide en faveur de la permanence du modèle « traditionnel commensal » qui n’est pas sans lien, nous le verrons, avec le plaisir.
195En effet, les compositions et les structures des prises pendant et en dehors des repas sont traversées par des phénomènes de simplifications du modèle « traditionnel » notamment concernant les repas du midi et du soir. De plus, des formes de dissonances cognitives sont observées, y compris chez les jeunes mangeurs, le plus souvent au profit d’une norme « traditionnelle » et d’une pratique « simplifiée ». En prenant appui sur des interprétations déjà existantes relatives aux décalages entre les normes et les pratiques, il est possible de dire qu’elles reflètent les mutations en cours dans les modèles alimentaires (Poulain, 2001 ; Poulain et al., 2003 ; Poulain et al., 2009).
196De plus, l’analyse des compositions et des structures du déjeuner et du dîner traduit le maintien de phénomènes de dissonance organisés principalement autour d’une norme « traditionnelle » et d’une pratique « simplifiée » car elle vérifie les tendances des enquêtes antérieures (Poulain et al., 1993, 1995, 2003). Plus massive chez les parents, elle est néanmoins présente dans des proportions assez élevées chez les enfants et les adolescents, plus que chez les adultes de référence, ce qui s’explique en partie par une conséquence de la socialisation des enfants par les parents. Les résultats concernant les enfants et les adolescents, dont on aurait pu supposer davantage de cohérence « traditionnelle » entre la norme et la pratique, montrent d’une part que la dissonance se transmet d’une génération à la suivante et, d’autre part, qu’elle se transmet plus fortement que la cohérence. Phénomène auquel il convient de rester attentif car la dissonance est source d’anxiété, voire de culpabilité. Ces données viennent renforcer l’interprétation en termes de mutations se construisant autour d’une simplification des repas. Cela permet d’envisager deux tendances futures. La première, optimiste, considère que les changements du repas contemporains sont en cours de simplification notamment avec l’observation de normes simplifiées plus fortes dans ces échantillons que dans l’enquête de 2003 (Poulain et al., 2003) et qu’il s’agirait d’une période de transition ; la seconde, pessimiste, s’intéresse à la massification de phénomènes de dissonance cognitive pouvant se traduire par une augmentation des troubles du comportement alimentaire, y compris chez les enfants et les adolescents. Par ailleurs, la norme complète du petit-déjeuner est maintenue chez les populations enfantines tandis qu’on observe plus massivement des pratiques simplifiées des petits-déjeuners chez les deux populations adultes. La simplification des repas du midi et du soir peut s’expliquer en grande partie par la modification des journées alimentaires au profit de l’augmentation des prises en dehors des repas, notamment lors de la collation matinale et au moment du goûter.
197Par contre, le modèle « traditionnel commensal » se maintient fortement, pour les trois populations, tant dans les normes que dans les pratiques, et finalement de façon plus importante au cours des trois repas principaux. Les prises en dehors du repas, notamment celles du goûter pour les enfants et les adolescents, ne sont pas en reste : si l’individualisation, la mobilité, la durée, le lieu diffèrent quelque peu des autres repas et du goûter, il n’empêche que le modèle « traditionnel commensal » y est bien représenté. Le domicile familial et le repas partagé sont massivement présents et semblent, au travers de la comparaison entre les normes et les pratiques, des composantes essentielles des modèles alimentaires. Ces éléments constituent sans doute un vecteur du maintien de la transmission intergénérationnelle du modèle « traditionnel » français. Si, dans les repas de la veille, le petit-déjeuner pâtit le plus de la dimension sociable et que le déjeuner est pour plus de la moitié pris dans un système de restauration scolaire, en revanche, le « vrai petit-déjeuner » se représente en famille et le « vrai repas de midi » davantage à la maison. Dans une perspective comparative avec une autre étude, on constate qu’en 11 ans, la sociabilité au cours des dîners se maintient (Fischler, 1996c).
198Une double lecture est envisagée. Elle s’intéresse aux permanences et aux phénomènes de mutations dans les comportements alimentaires contemporains, en les articulant à la question des processus de socialisations alimentaires. Des mutations opèrent inexorablement, notamment dans la structure des consommations et des repas (Lambert, 1987 ; Poulain, 2001 ; Poulain et al., 2009), tendant à leur simplification probablement au profit d’une augmentation des consommations en dehors des repas. À l’inverse, les stabilités observées dans la synchronisation alimentaire (Volatier, 1999 ; de Saint Pol, 2007 ; Poulain, 2001 ; Poulain et al., 2009) et dans l’importance accordée au repas socialisé laissent penser que le modèle alimentaire, auquel les français restent attachés (Rozin et al., 1999, 2006 ; Fischler et Masson, 2008 ; Poulain et al., 2009), se maintient. En France, le repas reste « une activité encore socialement protégée » (Lessard, 1998, p. 19).
199Ainsi, la crainte de prises alimentaires, très fréquentes dans la journée, non structurées, non encadrées socialement, voire non contrôlées par les parents, fortement individualisées ne semble pas être fondée au vu des données de cette enquête.
200Toutefois, les phénomènes observés au niveau de la structure et de la composition des repas et des prises en dehors des repas invitent à une révision du discours nutritionnel sur la variété, notamment en réfléchissant à celle des structures de repas plus simples ou à celle se posant dans des échelles temporelles différentes (la prise, le repas, la journée, la semaine). L’étude des mutations nécessite de mieux cerner les incidences des dissonances cognitives sur les individus (en termes de réflexivité, de décision, d’anxiété, de troubles du comportement alimentaire) et implique de repérer d’éventuels processus adaptatifs comme cela a été identifié chez les enfants et les adolescents, principalement autour de la norme des déjeuners et des dîners de type « modernisé consistant » oscillant entre « tradition » et « innovation » en privilégiant une structure ternaire ou quaternaire avec de nouveaux produits.
201Selon nous, il semble primordial de diriger les questionnements sur les processus de socialisation dans l’articulation entre la stabilité ou la mutation dans la transmission de valeurs culturelles et de normes sociales d’une part, et l’expression des préférences et des choix personnels d’autre part, de même qu’il est fondamental de tenter d’en saisir les arbitrages. Les discussions sur les permanences et les mutations des modèles alimentaires pourraient alors être en partie renouvelées par l’apport de questionnements sur la libre expression des goûts et des préférences alimentaires.
202Nous pensons notamment aux moments des petits-déjeuners et des prises en dehors des repas des enfants et des adolescents où peuvent sans doute s’exprimer l’abaissement des contrôles parentaux dans ces domaines. Ceux-ci sont par ailleurs plus forts concernant les modalités temporelles, spatiales, sociales et corporelles de ces prises. Cet aspect est attesté par l’analyse en termes d’homogénéité ou d’hétérogénéité des réponses entre enfants et parents et entre enfants et adultes que nous allons voir.
Homogénéité ou hétérogénéité dans la transmission
203Les résultats font apparaître une plus forte cohérence des réponses des trois populations d’enquête au niveau de la contextualisation des prises alimentaires (en termes de lieu, de contexte social, de durée, d’horaire et de position corporelle) qu’au niveau de leurs compositions.
204Cette homogénéité des dimensions accompagnant l’acte de manger constitue une détermination culturelle dans le sens où elle s’inscrit dans le modèle « traditionnel commensal » et qu’elle est massivement représentée. Elle est transmise aux jeunes générations qui les font apparaître dans leurs normes comme dans leurs pratiques des prises alimentaires. Ces populations enfantines suivent ainsi les mêmes tendances que celles de leurs aînés. Il s’agit d’un premier niveau d’observation de phénomènes de transmission intergénérationnelle.
205Puis, nous avons souligné que l’hétérogénéité dans les réponses était plus observée au niveau des contenus des prises. Les résultats font apparaître des spécificités du « répertoire17 » enfantin et adolescent dans les compositions des repas et des hors repas en faveur de produits ou structures de repas ou de hors repas spécifiques. Ils font aussi apparaître que ces caractéristiques sont plus prégnantes dans les pratiques que dans les normes enfantines, ce qui interroge la transmission. Ainsi, cette dernière fonctionnerait davantage pour les systèmes de représentation (ce qui penche pour une détermination socio-culturelle et un effritement du modèle « traditionnel » relatif) qu’au niveau des comportements. En effet, des écarts avec la norme s’opèrent au niveau des pratiques, probablement du fait de contextes techniques (système d’offres, contraintes temporelles) balançant vers une détermination matérielle. Ce décalage pourrait également trouver sa source dans les formes de transmissions de modèles « simplifiés » de la part des parents (poids de la cohérence norme et pratique « simplifiées » et des dissonances cognitives). Une dernière hypothèse de ce décalage serait celle d’arrangements entre parents et enfants, les parents pouvant assouplir les règles ou laisser exprimer les goûts de leurs enfants dans certaines prises, comme celles du petit-déjeuner celles en dehors du repas.
206Enfin, un autre niveau d’analyse apparaît en étudiant par catégories d’âge les résultats. Même si elles suivent des tendances assez proches, on constate davantage d’hétérogénéité dans les réponses. Les enfants et les adolescents, que cela soit dans leurs normes comme dans leurs pratiques, se réfèrent au modèle « traditionnel commensal » plus fortement que leurs parents et que les adultes de la population de référence.
207Cette dimension peut être interprétée comme une forme plus serrée de l’encadrement des enfants opérant en faveur de la commensalité et des éléments l’accompagnant. Cela résulte probablement des rôles explicites d’agents de transmission et de contrôle qui sont assignés aux parents dans leurs fonctions éducatives. Ces derniers s’accordent plus de libertés avec la norme sociale qu’ils n’en accordent à leurs enfants. Ainsi que nous allons le voir, ce résultat est d’autant plus significatif que les résultats des enfants et des adolescents varient en fonction de critères d’âge : les plus âgés d’entre eux (16 à 17 ans) étant plus proches des modèles adultes que les plus jeunes (7 à 11 ans). L’encadrement parental est aussi plus fort chez les plus jeunes d’entre eux, ainsi qu’en témoignent les perceptions enfantines des styles éducatifs parentaux : permissifs chez les 16-17 ans et autoritaires chez les 7-11 ans.
208Dans l’ensemble les résultats font toutefois apparaître des modèles extrêmement structurés autour de la synchronisation alimentaire, du contexte social et de l’environnement spatial, laissant penser que l’on est loin de l’idée d’une transmission alimentaire « grippée » entre les générations.
209Les analyses de ce qui rassemble, sur le plan de l’homogénéité, permettent d’éclairer des effets macrostructurels en termes de permanences et de changements qui sont en partie culturels, en partie sociétaux et en partie matériels.
210Analysons maintenant plus en détail les spécificités des populations enfantines selon les variables d’âges et de sexe, ainsi que selon les caractéristiques sociales de leurs parents pour tenter d’interroger la question d’un répertoire alimentaire enfantin, c’est-à-dire basé sur des différenciations dans les produits et les aliments plus que dans les éléments de contexte.
Répertoires alimentaires enfantins ou déterminants sociaux ?
211Les populations enfantines et adolescentes étant au cœur de la réflexion, les analyses des résultats en fonction de variables socio-descriptives pour celles-ci uniquement seront privilégiées18. Il s’agit de vérifier l’hypothèse de l’existence d’un modèle alimentaire19 enfantin relativement autonome des variables sociales des parents et des milieux sociaux dont sont issus les enfants.
212Cette partie présente les variables sociales et descriptives liées aux réponses des enfants et des adolescents au travers de l’étude de corrélations statistiques réalisées sur SPSS avec le test du Chi220.
213Parmi les analyses croisées effectuées pour expliquer les variables liées au modèle alimentaire des enfants et des adolescents, la variable « classes d’âge » est la plus corrélée statistiquement. En effet, les valeurs prises par le Chi2 sont très fortes et les différences significatives s’observent principalement entre les enfants les plus jeunes (de 7 à 11 ans) et les plus âgés d’entre eux (de 16 à moins de 18 ans).
214D’autres liens apparaissent concernant le sexe des enfants, la présence de frère(s) et sœur(s), ou en fonction de la présence d’une télévision dans la chambre.
215Enfin, des liens sont observés en fonction des variables de leurs parents, comme le style éducatif parental, le niveau de revenus du parent ou de ressources du foyer, le positionnement social ou la situation matrimoniale. Les valeurs du Chi2 sont moins fortes que pour les classes d’âge et l’interprétation des résultats de ces variables liées statistiquement plus difficile à exprimer.
Les variables socio-descriptives des enfants et des adolescents
216Seront donc successivement abordés les classes d’âge, le sexe, la présence ou non de fratrie, la situation familiale et la présence d’une télévision dans la chambre.
217Concernant les âges, ils ont fait l’objet de deux recodages en trois et en cinq catégories d’âge. Les liens statistiques sont très forts concernant le contexte social des repas et des prises en dehors des repas. Quelques liens sont aussi avérés pour les lieux et pour les structures de certains repas.
218Ainsi, si la plupart des enfants et des adolescents considèrent qu’un « vrai » petit-déjeuner doit se passer en famille, on observe des liens significatifs très forts selon les classes d’âge21. Les enfants âgés entre 7 et 11 ans sont surreprésentés dans la catégorie « famille » (+6,3) et très sous-représentés dans la catégorie « seul » (-21,1), tandis qu’à l’inverse les jeunes âgés entre 16 et 18 ans sont sous-représentés pour la « famille » (-5,6) et fortement surreprésentés pour le fait d’être « seul » (+24).
219Pour le contexte social du petit-déjeuner de la veille, on retrouve des liens significatifs très forts selon les classes d’âge22. Les 7-11 ans sont significativement plus attirés vers la réponse « en compagnie » (+7,4) que vers la catégorie « seul » (-19,4), tandis que c’est la situation inverse pour les 16-18 ans : ils repoussent de manière plus significative la catégorie « en compagnie » (-7,4) et sont attirés vers la réponse « seul » (+19,4). On peut dire que si le contexte social partagé du petit-déjeuner est plus représenté dans les normes comme dans les pratiques que le contexte solitaire, il attire de manière significative les plus jeunes enfants tandis que les plus âgés d’entre eux sont significativement attirés par un contexte solitaire.
220Pour le déjeuner, les tendances sont identiques à celles observées pour le petit-déjeuner, mais les valeurs du Chi2 y sont un peu moins fortes. Au sujet de la norme du déjeuner, le contexte social partagé est, tout âge confondu, le plus représenté, mais on observe une attirance significative23 des plus jeunes pour la « famille » (+3,5) à l’inverse des plus âgés d’entre eux (-5,9).
221Les « amis » apparaissent dans la norme du déjeuner, ceci montrant l’importance des sociabilités horizontales dans le cadre de ce repas, pris pour près de la moitié des enfants à la cantine, avec une attirance significative chez les jeunes de 16 à 18 ans (+9,7) tandis que les « amis » sont sous-représentés chez les plus jeunes avec -5,6 chez les 7-11 ans et -4,1 chez les 12-15 ans. Enfin, le contexte social du « vrai » déjeuner enregistre les écarts les plus forts dans la modalité « seul » : les 7-11 ans y sont sous-représentés (-16,7) tandis que les 16-18 ans y sont fortement représentés (+24,9).
222Le contexte social du déjeuner de la veille traduit-il les mêmes tendances que dans les normes ? Des différences apparaissent puisque la valeur du Chi2 y est moins forte24 et surtout parce que les différences significatives ne se jouent qu’au niveau de la réponse « seul » avec des écarts considérables entre les enfants les moins âgés (-30) et les adolescents (+24,9). En resserrant les groupes d’âge en non plus trois mais cinq catégories, on obtient une valeur du Chi2 un peu plus forte que la précédente25. Les enquêtés ayant déjeuné « seuls » sont plutôt des adolescents âgés entre 14 et 16 ans (+28,1) et entre 17 et 18 ans (+12,9), et non des enfants âgés entre 7 et 9 ans (-17,9), entre 10 et 11 ans (-12,1) ou entre 12 et 13 ans (-11).
223Aucune différence liée à l’âge n’est observée concernant le contexte social des dîners, ceux-ci étant, dans la norme comme dans la pratique, fortement socialisés.
224Les différences en fonction des âges réapparaissent pour les prises en dehors des repas. Pour le goûter de la veille, des différences significatives apparaissent, toujours entre les plus jeunes et les plus âgés. Lorsque les classes d’âge sont triées en trois groupes, le lien est très fort et le pourcentage d’erreur très faible26. Pour la modalité « en compagnie », les 7-11 ans y sont surreprésentés (+4,6) tandis que les 16-18 ans légèrement sous-représentés (-2,6). À l’inverse, dans la catégorie « seul », les 7-11 ans sont sous-représentés (-15,3), tandis qu’on observe une surreprésentation des 12-15 ans (+6,4) et des 16-18 ans (+8,8). Lorsque l’analyse du contexte social du goûter repose sur des classes d’âge en cinq groupes, la tendance est plus forte27. Pour la catégorie « en compagnie », une légère surreprésentation des 7-9 ans est observée (+3) tandis que les 14-16 ans y sont moins représentés (-3,1). Les écarts sont plus avérés dans la catégorie « seul », avec une attirance moins prégnante des 7-9 ans (-9,9), des 10-11 ans (-5,3) mais une attirance des 14-16 ans (+10,2) et des 17-18 ans (+3,4).
225Pour les autres prises en dehors du repas, le contexte social en fonction des classes d’âge suit les mêmes tendances que les repas et que le goûter28. Par contre, les différences significatives ne jouent que dans la catégorie « seul » : pour les 7-11 ans (-10,7) soit de façon resserrée pour les 10-11 ans (-6,4), tandis que pour les 16-18 ans il y a une attirance plus forte vers la solitude (+13,7) soit pour les 14-16 ans (+6,9) et pour les 17-18 ans (+8,3).
226Cela renforce l’hypothèse de l’accentuation de la commensalité (comme une des dimension du modèle alimentaire) chez les enfants pour le petit-déjeuner, le déjeuner, le goûter et les autres prises alimentaires en dehors des repas. Pour les enfants, le modèle alimentaire est plus fortement que pour les adultes associé à la commensalité ; la solitude étant largement plus représentée chez les plus âgés de cette population à l’instar de leurs aînés. Ces résultats montrent que les plus âgés de la population enfantine sont plus proches des modèles incarnés par les adultes (parents et population de référence) que les enfants les plus jeunes.
227Concernant les lieux, les différences selon les âges opèrent uniquement sur le déjeuner, celui-ci étant pris soit au domicile familial, soit hors domicile, c’est-à-dire à la cantine ou dans d’autres lieux. Les plus âgés sont plus représentés dans les autres lieux, les parents laissant davantage de liberté à ces derniers pour se restaurer, tout particulièrement dans le cadre de sociabilités entre jeunes. Ceux-ci s’extraient des lieux de consommation contrôlés par les adultes, que cela soit le foyer ou la cantine, pour développer des pratiques de restauration leur étant spécifiques. Ainsi, pour le déjeuner de la veille29, les jeunes de 16 à 18 ans ont été plus nombreux que les autres à consommer dans ces autres lieux de restauration le midi (+11,7).
228C’est principalement dans les structures du petit-déjeuner que les écarts en fonction des âges se manifestent le plus : dans la norme, tout d’abord, avec une plus forte représentation des 7-11 ans dans le modèle « continental modernisé » constitué de céréales de petit-déjeuner (+7,1) tandis que les 16-18 ans repoussent ce modèle (-6,5) au profit du modèle « simplifié » (+12,6) à l’instar des adultes30.
229Concernant les structures des petits-déjeuners de la veille, cette tendance se vérifie31 avec une attraction des 7-11 ans pour le modèle « continental modernisé » (+6,2) mais un rejet de la formule « continental classique 1 » (-6,8) tandis que les 16-18 ans sont fortement représentés dans le modèle « simplifié » (+18,9). Enfin, il apparaît que les 12-15 ans rejettent légèrement le modèle « continental modernisé » (-3,8), ceci pouvant signifier qu’en grandissant, leurs choix s’orienteraient vers le modèle « simplifié » comme leurs aînés de 16 à 18 ans.
230Des tendances similaires sont observées au niveau du déjeuner de la veille32 ainsi que des comparaisons entre les normes et les pratiques du déjeuner33. Pour le déjeuner de la veille, si les 7-11 ans privilégient la structure de repas « traditionnel » (+7,6), ils rejettent très fortement la formule « plat unique » (-17,3) ainsi que la formule « simplifiée » (-21,8) tandis que leurs aînés âgés entre 16 et 18 ans font l’inverse : on observe un léger rejet de la formule « traditionnelle » (-4,1) s’expliquant sans doute par une attirance pour le modèle « modernisé consistant » (+6,7) qui comporte une structure traditionnelle mais avec des compositions « originales » comme l’association de kebab et de pizza au cours d’un même repas. Les 16-18 ans sont très fortement attirés par le modèle de repas « simplifié » (+18,7) pour l’essentiel composé de sandwich et pouvant être expliqué par la fréquentation – comme celle de sandwicheries, de kebabs ou de bars – chez certains de lieux de restauration en dehors du cercle familial ou scolaire.
231Enfin, des liens sont observés à propos des comparaisons entre les normes et les pratiques du déjeuner34 : les 7-11 ans étant plus cohérents (+7,1) que les 12-15 ans (-5,4). Les plus jeunes étant également moins enclins à être en décalage que les autres (-3,2).
232Pour ce qui relève des consommations déclarées entre les repas, on observe des écarts d’âge importants entre les plus jeunes et les plus âgés avec des liens très forts et aucun risque de se tromper35. Les 7-11 ans déclarent surtout manger (+9,8) et n’être pas enclins à « boire seulement » (-23) alors que les 16-18 ans inclinent à « boire seulement » (+15,2) ou à ne jamais consommer entre les repas (+15) comme les adultes.
233En conclusion, les différences significativement très fortes observées entre les âges, surtout entre les enfants les plus jeunes et les plus âgés, montrent bien la coexistence de deux tendances principales : l’une enfantine penchant en faveur d’un modèle alimentaire enfantin ayant ses dimensions spécifiques, l’autre se rapprochant du modèle des adultes.
234Ces deux formes liées traduisent des éléments inhérents à la socialisation. Les enfants les plus jeunes étant du côté de références « traditionnelles » (davantage de sociabilités, de structure complète dans le petit-déjeuner et de structure traditionnelle), cela laisse supposer un contrôle plus strict de la part des parents et des adultes les entourant, comme nous le verrons plus loin. L’encadrement y est plus fort que pour leurs aînés : en effet, les jeunes « adultes » ont davantage de libertés se traduisant par un relâchement du contexte social en faveur de la solitude recherchée pour certains repas comme le petit-déjeuner et le goûter, des structures de petit-déjeuner et de déjeuner davantage simplifiées et une plus forte représentation dans les autres lieux de restauration (que le domicile ou la cantine) car ils ne sont pas sous la vigilance des adultes.
235En outre, il convient toutefois de s’interroger sur la pertinence d’évoquer un « modèle alimentaire enfantin » et un « modèle alimentaire adolescent » puisque pour le premier, il s’agit d’une accentuation de certaines valeurs du « modèle alimentaire français », dimension que l’on retrouve plus fortement dans les normes des adultes, et pour le second, cela correspond à une conformité aux pratiques observées chez les adultes. Nous reviendrons sur ce point.
236Contrairement à l’âge, les liens avec le sexe sont moins probants. Pour ce qui relève de la contextualisation des prises alimentaires, un lien fort est observé concernant le lieu du déjeuner de la veille36, et un lien très fort au sujet du contexte social des prises en dehors de repas à l’exception du goûter37. Les filles mangent moins à la cantine que les garçons (-5,4) et ces dernières sont moins enclines que les garçons à consommer leurs prises hors repas seules (-14,8).
237Des liens existent selon le sexe pour le dîner de la veille38, les filles simplifient davantage leur repas avec un dîner « simplifié » (+18,6) que les garçons favorisant le « plat unique » (+14,9). Enfin, elles déclarent plus que les garçons « manger seulement » entre les repas (+13,3), ceci signifiant sans doute qu’elles privilégient l’eau comme boisson39, l’eau n’étant pas comptabilisée dans l’enquête à l’exception de celle accompagnée de sirop.
238Très logiquement, la fratrie est liée au contexte social des repas et des hors repas, la présence de frères et sœurs impactant sur les sociabilités horizontales enfantines. Néanmoins, les liens fonctionnent sur les repas de la veille ou leurs contextes uniquement, les normes mettant en valeur la commensalité de façon massive et homogène dans la population enfantine.
239Ainsi, la présence de frères et sœurs joue sur le contexte social du petit-déjeuner (lien très fort), celui du déjeuner (lien très fort) et celui du goûter (lien fort). Les enfants uniques étant plus enclins à prendre leur petit-déjeuner seuls (+7), leur déjeuner (+24,7) comme à aspirer dans leur norme l’être pour le déjeuner (+30,3), et le goûter (+5,9). Ce contexte solitaire n’est pas observé durant les dîners, les repas du soir étant l’occasion pour les enfants uniques de manger en présence de leurs parents.
240Dans les mêmes tendances, des liens sont avérés sur le contexte social de certains repas ou les lieux en fonction de la situation familiale. Les enfants uniques élevés dans des foyers monoparentaux consomment davantage seuls et fréquentent aussi plus que les autres la cantine. C’est le cas pour le petit-déjeuner40, plus souvent pris seul lorsque l’enfant vit seul avec son parent (+4). Pour le goûter, les enfants vivant seuls avec l’un des parents sont plus enclins à le prendre seuls (+5,2) que les autres enfants41. Enfin, pour les lieux, les enfants vivant seuls avec leurs parents mangent plus à la cantine le midi (+2,7), moins au domicile (-2,1), tandis que ceux vivant avec leurs parents et leurs frères et sœurs, privilégient davantage la maison (+7,4) et rejettent la cantine (-5,9) et plus encore les repas à l’extérieur (-9,8), sans doute pour des raisons de coûts et d’organisation familiale. Enfin, les enfants uniques vivant avec un seul des parents vont davantage à la cantine (+1,9) tandis que les enfants ayant des frères et sœurs et vivant avec un seul de leurs parents sont plus enclins que tous les autres à consommer leur déjeuner en dehors du foyer et de la cantine (+9,6). Une liberté plus grande semble leur être accordée en la matière.
241Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette variable a priori anodine donne des résultats intéressants à la fois sur les contextes sociaux de certains repas ou de certaines prises alimentaires en dehors des repas, ainsi que sur la structure de ces prises. Ces résultats sont communiqués non seulement en raison de la force des liens statistiques repérés mais aussi car plusieurs travaux se sont intéressés à l’impact de la télévision sur les formes de sociabilités à table notamment (Watiez, 1992 ; Fischler, 1996c). Outre les dimensions de temps passés devant la télévision, d’effets socialisateurs de programmes, ou de défaut d’attention prêtée à ce que l’on mange et aux quantités ingérées, les incidences sur le type et la qualité des échanges au cours des repas de la présence de la télévision interrogent, même si celle-ci peut s’avérer être un formidable vecteur de conversation à partir des thèmes et des sujets traités dans les programmes télévisés, les uns et les autres convives pouvant être amenés à se positionner sur ces derniers (Poulain et al., 2009).
242Des liens très forts sur le contexte solitaire du petit-déjeuner aussi bien normé (+15,4)42 que pratiqué (+14,4)43 s’expliquent probablement en raison d’un isolement dans la chambre, face au petit écran pour consommer, lorsque les enfants possèdent une télévision dans leur chambre. Des sous-représentations sont aussi visibles : dans les normes, la famille est moins présente chez les enfants possédant une télévision dans leur chambre (-3,3) de même que lors du petit-déjeuner consommé la veille (-5,5).
243Ces mêmes tendances sont retrouvées pour le déjeuner : le vrai « déjeuner44 » et le déjeuner de la veille45 « seuls » sont plus prégnants lorsque l’enfant dispose d’une télévision dans sa chambre (respectivement +33 pour la norme du déjeuner et +19,2 pour le déjeuner de la veille).
244Enfin, des liens sont repérés pour le dîner de la veille, plus souvent consommés seuls lorsqu’il y a une télévision (+23,4) ainsi que pour le goûter de la veille (+5,4).
245D’autres liens apparaissent en relation avec les structures du petit-déjeuner et du déjeuner normé puis pratiqué.
246La présence d’une télévision impacte le choix du modèle « continental classique 2 » (+13,1) et du modèle « simplifié » (+16,3) dans les normes du petit-déjeuner, et les enfants sont moins cohérents entre leur norme et leur pratique du petit-déjeuner (-4). Pour le déjeuner de la veille, la présence de télévision favorise l’attirance pour le modèle « simplifié » (+36,4) et réduit les cohérences entre les normes du déjeuner et les pratiques (-4,8).
247En conclusion, l’étude des tris à plat a permis de montrer une forte homogénéité des réponses entre les trois populations – enfantine, parentale et de référence – pour certaines dimensions de l’alimentation. Cette cohérence traduit une détermination culturelle ainsi que la force de la socialisation pour certaines dimensions du modèle alimentaire français.
248L’étude des tris croisés, relative aux variables descriptives enfantines, apporte un élément nouveau à l’analyse en montrant la prégnance des âges de l’enfance et de l’adolescence sur certaines dimensions du modèle alimentaire. Bien que certains résultats soient massivement partagés, les tris croisés permettent d’identifier des éléments de différenciation principalement basés sur les âges : en l’occurrence, on retrouve les dimensions constitutives du modèle alimentaire français comme la sociabilité ou les structures « traditionnelles » ou « complètes » de façon plus accentuée chez les plus jeunes que chez les plus âgés. Ce résultat permet de s’interroger sur l’hypothèse d’un contrôle plus serré de la socialisation et des niveaux d’éducation et de transmission par les adultes des enfants les plus jeunes.
249Nous allons maintenant focaliser l’analyse des modèles alimentaires chez les enfants et les adolescents à partir des liens repérés avec les styles éducatifs parentaux, puis les variables socio-descriptives des parents pour expliquer le poids des déterminants sociaux sur les enfants, ce qui permettra de réinterroger la force de la socialisation en termes de fixation, de relâchement, analysée à partir des différenciations chez les enfants et les adolescents.
Liens en fonction des styles éducatifs parentaux
250À l’instar des variables sociales enfantines, les styles éducatifs parentaux46 impactent les contextes sociaux des prises alimentaires, le plus souvent en faveur d’un contexte solitaire pour les parents adoptant le style « laisser faire », pour les structures du petit-déjeuner et le nombre de prises en dehors des repas déclaré. En effet, le style éducatif parental « laisser faire » a une incidence forte sur le contexte solitaire du petit-déjeuner, que cela soit dans la norme (+35,4)47 comme dans la pratique, même s’il est moins fort (+7,9)48. Par ailleurs, le style « autocratique » a un effet inhibant sur le contexte solitaire du petit-déjeuner pratiqué (-6,4). Le style éducatif parental « autocratique » repousse le contexte solitaire du déjeuner (-15,1) alors que le style « laisser faire » le favorise (+18,7)49. Enfin, le style « laisser faire » bénéficie au contexte solitaire des prises en dehors des repas, à l’exception du goûter (+10)50.
251Pour les structures du petit-déjeuner, la norme est liée au style éducatif parental avec un lien impliquant néanmoins près de 10 % de risques d’erreur51 en faveur du modèle « continental classique 1 » pour les parents « démocratiques » (+4,1) et en faveur du modèle « continental modernisé » pour les parents de type « laisser faire » (+6,5) alors que les « démocratiques » le repoussent (-19,9). Au niveau du petit-déjeuner réellement consommé, le lien est un peu plus fort que dans la norme52. Le modèle « continental classique 1 » est plus fort pour les enfants ayant des parents « démocratiques » (+6,3), le modèle « continental modernisé » est plus représenté chez les enfants ayant des parents de type « laisser faire » (+4,6) que « démocratiques » (-4,7). Pour le modèle « simplifié », les enfants dont les parents adoptent un style « laisser faire » sont plus enclins à le consommer (+16,7) que les enfants de parents « démocratiques » (-15).
252Enfin, les enfants ayant des parents adoptant le style « laisser faire » sont plus enclins à déclarer consommer entre 3 à 5 prises en dehors des repas que les autres enfants (+25,8)53.
253Si les styles éducatifs parentaux déclarés par les parents sont eux-mêmes liés à leurs caractéristiques sociales en termes de positionnement social, ils sont très fortement liés à l’âge des enfants et des adolescents54. Les parents sont plus enclins à déclarer adopter un style « autocratique » (+12) que « laisser faire » (-7,6) quand les enfants sont âgés entre 7 et 9 ans. Ils sont plus disposés aussi à déclarer être de style « laisser faire » lorsque les adolescents ont entre 14 et 16 ans (+6,6) ou 17 et 18 ans (+5,6). Enfin, ils sont moins enclins à se déclarer « autocratiques » (-12,9) et plus enclins au style « démocratique » lorsqu’ils sont parents de jeunes entre 17 et 18 ans (+7,3).
254La dimension interactionniste des formes éducatives entre parents et enfants est souvent omise de l’interprétation des styles éducatifs du point de vue structurel en fonction des variables sociales et culturelles des parents. Le style éducatif parental s’élabore dans la relation avec l’enfant : les liens selon les classes d’âge des enfants traduisent un relâchement parental progressif en matière de tension éducative, les parents étant plus enclins à adopter le style « permissif » face à des jeunes plutôt qu’à des plus jeunes enfants. Cela indique que les populations adolescentes et enfantines négocient à travers l’interaction entre parents et enfants les règles et les modalités d’encadrement et de contrôle.
255Le résultat précédent permet aussi d’expliquer les autres dimensions observées en fonction des âges des enfants. Nous avions constaté que pour les plus âgés d’entre eux, le contexte social est favorable à la solitude, les lieux au profit du hors domicile et du hors cantine et les structures de repas correspondant à des choix d’aliments en faveur de la simplification. Les jeunes de 17 et 18 ans se différencient des enfants les plus jeunes et des adolescents entre 12 et 16 ans ; les dimensions de leurs modèles alimentaires s’approchant de celles observées auprès des jeunes adultes des échantillons parentaux et de référence.
256Ce résultat traduit sur le plan théorique une double pertinence de l’analyse de la socialisation alimentaire enfantine en fonction des styles éducatifs parentaux : d’une part, la tension éducative n’est pas la même selon qu’on a à éduquer des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes ; d’autre part, l’approche structurelle des styles éducatifs parentaux en fonction de déterminants sociaux et culturels est minimisée par la perspective interactionniste intégrant une différenciation dans les formes éducatives selon les âges de l’enfance et de l’adolescence. Nous y reviendrons.
Liens avec les variables socio-descriptives des parents
257Quelques-unes des variables parentales liées aux modes d’alimentation des enfants sont présentées ici de façon groupée : moins systématiques et moins fortes pour certaines d’entre elles que les précédentes variables, elles sont aussi plus difficiles à interpréter car elles se retrouvent de manière isolée sur un type de repas, de lieu ou de contexte.
258Les revenus mensuels nets du parent interviewé55 ainsi que les ressources mensuelles nettes du foyer56 ont une incidence très forte sur les lieux de restauration du déjeuner des enfants avec 0 % de risque d’erreur. Moins les revenus ou les ressources du foyer sont importants, plus les enfants mangent au domicile familial le midi : lorsque le parent enquêté gagne moins de 760 euros net par mois, le déjeuner de l’enfant se passe davantage au domicile familial (+4) qu’à la cantine (-3,1) ou dans d’autres lieux hors domicile (-5,9), de même que lorsque les ressources mensuelles nettes du foyer sont inférieures à 1265 euros par mois, les enfants prennent leur déjeuner plus fortement à la maison (+2,8) qu’à la cantine (-2,8). Par contre, les enfants dont les revenus du parent enquêté sont les plus forts sont plus enclins à consommer en dehors du domicile familial et de la cantine : +6,5 lorsque le revenu est compris entre 1265 et 1905 euros et +4,9 lorsqu’il est compris entre 1905 et 2590 euros. Enfin, le revenu du parent a une incidence sur la cohérence entre les normes et les pratiques du petit-déjeuner57 avec une inclination à la cohérence plus forte lorsque les revenus sont élevés : +2,1 lorsqu’il est compris entre 1905 et 2590 euros et +1,7 pour les revenus de plus de 2590 euros.
259L’évolution des ressources du foyer depuis 5 ans a un effet sur la structure du déjeuner de la veille58 et sur la comparaison entre la norme et la pratique du déjeuner59. Lorsque ces ressources sont en baisse, les enfants sont un peu moins enclins à consommer un repas de type « traditionnel » (-4,4) mais largement plus disposés à manger un repas « simplifié » (+18,7) ou de type « autres formules » (+10,6). Par ailleurs, lorsque les revenus sont en hausse, les enfants sont plus représentés dans la formule « modernisé consistant ». La cohérence entre la norme et la pratique du déjeuner60 est légèrement plus forte lorsque les ressources sont en hausse importante (+1,9) que lorsqu’elles baissent (-2,9).
260Le niveau d’études des parents opère sur la cohérence entre les normes et les pratiques du déjeuner des enfants61 avec une moindre inclination à la cohérence lorsque le parent n’a pas de diplôme (-4,7).
261Le haut et le très haut positionnement social du parent induisent chez les enfants une surreprésentation dans l’absence déclarée de consommation entre les repas, avec +5,9 pour le très haut positionnement social et +5,1 pour le haut positionnement social. Lorsque le parent interrogé est diplômé et a un haut niveau de revenu, les enfants sont plus enclins à consommer de façon solitaire leurs prises alimentaires en dehors des repas (-10,5).
262Enfin, la situation matrimoniale du parent influe sur les lieux du déjeuner62 : lorsque les parents vivent en couple, les enfants consomment plus fortement au domicile familial (+5,1) que lorsque les parents sont séparés ou veufs (-5,1). Inversement, le hors domicile (autre que la cantine) est plus représenté chez les enfants de parents séparés ou veufs (+10,3) que ceux dont les parents vivent en couple (-10,3).
263En conclusion, le caractère remarquablement homogène, dans les trois populations, des réponses sur les dimensions entourant l’alimentation comme le contexte social, la temporalité, le moment et la durée ou le lieu et la position corporelle doit être interprété comme l’expression de déterminations culturelles puissantes du modèle alimentaire français.
264Les écarts entre les populations, et au sein d’une même population, entre les enquêtés, sont plus importants au niveau des prises alimentaires, que cela soit sur le plan des représentations et des normes comme sur celui des pratiques réellement mises en œuvre ou déclarées. Ces différences sont interprétées comme étant le résultat de déterminants sociaux et/ou l’expression de préférences individuelles, au niveau du choix des aliments consommés et des formes de structuration des repas ainsi que des prises en dehors des repas. L’existence d’un répertoire alimentaire enfantin en partie autonome des répertoires alimentaires des adultes mais en partie aussi lié aux milieux sociaux, et en cela tributaire des caractéristiques sociales des parents, semble se vérifier.
265La transmission intergénérationnelle est bien présente, mais l’homogénéité constatée est à nuancer par rapport à des aspects intra-population. Ils permettent d’analyser des spécificités dans les modèles alimentaires chez les enfants et les adolescents ainsi qu’entre eux, que cela soit en faveur de répertoires alimentaires ou de caractéristiques propres comme le contexte social ou le lieu.
266Si certains résultats témoignent de l’attirance des enfants pour certains produits ou certains types de repas (les céréales du petit-déjeuner, les viennoiseries, etc.), plus forte que celle répertoriée chez les adultes (parents et population de référence), l’analyse des variables liées montre, pour les âges, que ce sont principalement les enfants les plus jeunes qui sont surtout concernés par cette attirance à l’inverse des plus âgés d’entre eux qui semblent privilégier des modèles proches de ceux des adultes (petit-déjeuner et déjeuner simplifiés, boissons pour le hors repas, etc.). Cette information permet de pencher en faveur de l’affirmation de l’existence d’un répertoire alimentaire enfantin (relativement indépendant de celui des adultes) et d’un répertoire alimentaire jeune (en proximité avec le répertoire alimentaire des adultes). Les différences significatives en fonction des variables socio-descriptives de leurs parents ne sont pas massives : parcellisées, elles sont difficiles à interpréter comme facteur déterminant des répertoires alimentaires des enfants et des adolescents.
267Par contre, les liens observés à partir des styles éducatifs parentaux ont permis de dégager le constat que ces derniers sont fortement liés aux âges de la population enfantine. Nuançant ainsi la perspective structurelle des styles éducatifs en termes de milieux sociaux, ces résultats favorisent l’interprétation en terme d’approche interactionniste : la tension éducative est différente lorsque l’enfant est très jeune ou lorsqu’il est plus âgé.
268Ces résultats permettent d’infléchir quelque peu l’hypothèse de répertoires alimentaires enfantin et jeune laissant s’exprimer prioritairement les préférences et les goûts enfantins, tels que cela a été présenté dans de nombreux travaux (Fischler et Chiva, 1985, 1986 ; Fischler, 1990 ; Rigal, 1996) en la nuançant par l’apport d’un nouvel élément.
269La constitution des répertoires alimentaires enfantins et adolescents est fortement liée à la tension éducative entourant l’acte alimentaire. Les mécanismes de la socialisation opèrent à plusieurs niveaux : les déterminants culturels témoignent du fait qu’ils concernent tous les enfants et les adolescents sans exception. Mais l’encadrement et le contrôle pouvant en découler sont plus puissants chez les enfants les plus jeunes que chez les plus âgés d’entre eux, pour lesquels on observe un relâchement parental s’illustrant au travers de plus de liberté. Cette marge de manœuvre dans le système éducatif et dans la régulation parentale s’illustre chez les jeunes en faveur de dimensions qui sont très proches de celles des adultes.
270Si l’on a montré des formes de métissages entre « tradition et innovation » des enfants et des adolescents autour de l’articulation entre une structure traditionnelle de repas composé d’une association originale de certains produits au travers du modèle « modernisé consistant », il n’en reste pas moins que cette illustration reste marginale et faiblement représentée. La liberté octroyée par les parents à leurs enfants les plus âgés ne se traduit pas en termes de « lâcher prise », d’épisodes de « déstructuration » et de « désaffiliation sociale » de ces jeunes, même si ces dimensions sont plus présentes chez eux que chez leurs cadets.
271Non seulement les dimensions traditionnelles commensales du « modèle français » sont largement privilégiées, y compris chez ces jeunes, mais en plus leur marge de manœuvre se concrétise par l’adoption d’attitudes et de représentations similaires à celles observées auprès des adultes.
Synthèse des résultats sur la socialisation alimentaire
272Nous nous sommes intéressés aux répertoires alimentaires enfantins et adolescents en comparaison avec ceux des adultes (parents et population de référence) pour prendre la mesure des mécanismes de la socialisation observables à partir des déterminants culturels, soit de dimensions massivement partagées par l’ensemble des populations.
273La socialisation a ensuite été étudiée à partir du thème des spécificités des répertoires alimentaires enfantins et a mis au jour prioritairement les liens avec les âges de cette population ainsi que les différenciations dans les tensions éducatives qui leur sont inhérentes. En faisant ce choix, nous donnons finalement la part belle aux déterminants culturels et aux déterminants en termes d’âges et de styles éducatifs en minimisant quelque peu l’approche avec les autres déterminants sociaux.
274Une fois les déterminants culturels et les tendances macrosociologiques repérés à partir de l’homogénéité des réponses entre les populations, choisir de mettre la focale sur l’articulation entre certaines spécificités enfantines (observées notamment dans le choix des produits), les âges de l’enfance et de l’adolescence, puis les styles éducatifs, permet de renouveler, selon nous, l’interrogation sur les formes nouvelles de la socialisation. Plus spécifiquement, il s’agit de renseigner les modes de transmission alimentaire entre les générations ainsi que les formes éducatives car elles sont sujettes à de nombreuses critiques dans la vie sociale, en ce sens qu’elles favoriseraient l’expression des goûts et des préférences individuelles tout en réduisant par la même occasion les formes de la régulation sociale et collective.
275Au regard des éléments constitutifs de cette étape d’analyse, il est d’ores et déjà possible de dire que les modes d’encadrement de l’alimentation enfantine opèrent de façon puissante dans le sens où l’on observe une forte homogénéité sociale des réponses dans l’ensemble du corpus d’enquêtés en faveur du « modèle commensal traditionnel » pour les contextes des prises. L’analyse portant sur les normes et les pratiques alimentaires a révélé davantage de différences entre les populations et permis d’enrichir, avec de nouvelles données, l’analyse en termes de stabilité et de mutations des modèles alimentaires.
276Trois tendances principales en matière de structure de repas ont été dégagées, à l’instar de ce qui a été observé dans des études précédentes (Poulain et al., 1993, 1996, 1999, 2003) ; il s’agit du modèle « traditionnel », du modèle « simplifié » et des décalages entre les normes « traditionnelles » et les pratiques « simplifiées ». Ces analyses ont permis de montrer une normalisation du goûter ainsi que de la collation du matin, plus particulièrement chez les enfants et les adolescents.
277Cependant, si les différences pouvaient apparaître comme l’expression de déterminants sociaux, les analyses croisées montrent finalement qu’elles sont davantage liées à l’âge des enfants et aux tensions éducatives dans les modalités de leur contrôle alimentaire par les parents qui découlent de ce dernier.
278Enfin, il apparaît que lorsque le contrôle parental est davantage relâché pour les enfants les plus âgés (entre 16 et 18 ans), la marge de manœuvre de ces derniers n’indique pas de phénomènes de « déstructuration » massifs, les jeunes tendant à s’approprier les mêmes comportements que les adultes.
279Chez les enfants les plus jeunes, pour lesquels le contrôle parental est plus fort, on note que leur répertoire alimentaire s’inscrit plus fortement que tous les autres enquêtés dans les normes et les pratiques du modèle « traditionnel commensal » et du modèle « traditionnel » repéré dans des structures complètes de repas.
280Si divers niveaux de la socialisation apparaissent dans cette perspective macrosociologique dont on peut dessiner les contours, d’autres restent aveugles : il convient alors de les préciser car ils portent finalement probablement sur l’analyse du rôle du plaisir dans la socialisation, celui-ci pouvant être moteur dans la définition des répertoires alimentaires. Ces derniers révèleraient alors des cultures enfantines dans la consommation.
281Les tendances observées dans les structures des repas et les prises en dehors de repas rejoignent le modèle « traditionnel » en ce sens qu’il s’agit de structures complètes de repas ou du fait que les prises hors repas soient circonscrites à deux moments fortement synchronisés, le matin et l’après-midi. Ces deux tendances répondent en grande partie aux recommandations nutritionnelles faites pour les populations enfantines et adolescentes en période de croissance : la norme sociale se confond à la norme médicale.
282Mais l’analyse du choix des produits consommés fait aussi apparaître des écarts de la pratique enfantine à la fois par rapport à la norme sociale mais aussi à la norme médicale en ce sens que, notamment au petit-déjeuner et lors des prises en dehors des repas, les populations enfantines ont une forte attraction pour les produits de biscuiterie et de viennoiserie (ce qui correspond aussi à une offre dense et riche du marché agro-alimentaire), ce qui pourrait faire pencher l’analyse en termes de déterminants matériels.
283Nous n’ambitionnons pas de répondre à cette hypothèse car ce qui nous intéresse, c’est de voir que c’est principalement au moment du petit-déjeuner et des prises en dehors des repas que les écarts à la norme tant sociale que médicale, à la règle, pourrait-on dire, sont les plus forts. Le petit-déjeuner et les prises hors repas sont, d’après de nombreuses études marketing notamment, les prises alimentaires favorisant le plus de liberté dans les choix des produits pour les enfants, les parents l’octroyant pour des domaines qui, selon eux, concernent davantage les enfants, ce qui peut avoir une incidence dans l’adoption de cultures alimentaires enfantines. L’offre du marché agro-industriel, avec les multiples références enfantines, aussi bien au niveau des céréales de petit-déjeuner que des gâteaux et des biscuits ainsi qu’avec le développement de toute une gamme de produits en faveur de la « ludo-alimentation », est bien circonscrite à ces domaines de prises alimentaires.
284Le relâchement du contrôle parental dans ces domaines uniquement est un relâchement consenti, quelquefois négocié avec les enfants (de Singly, 2003 ; Diasio, 2002), souvent préempté comme accepté pour faire plaisir aux enfants tout en leur apprenant à s’autonomiser, les aliments consommés au cours des autres repas étant bien plus encadrés du fait aussi de l’organisation et de la gestion des tâches domestiques et parentales, fonctionnant alors comme des « impensés organisationnels ».
285En matière de modalités de contrôle éducatif dans les domaines de l’alimentation, les différences observées dans le choix des produits de certaines prises alimentaires, entre les populations enfantines d’une part, et les populations parentales et adultes d’autre part, pourraient être la traduction de ce plaisir consenti dans l’éducation alimentaire parentale pour permettre aux enfants de s’autonomiser et de s’épanouir.
286Le plaisir serait ici un levier d’éducation alimentaire activé par les parents dans certains domaines pour permettre partiellement aux enfants de s’affranchir de leurs règles et de leur autorité.
287Les critiques sociales les plus vives se dessinent autour d’une condamnation des nouvelles formes d’exercice de la parentalité qui tendraient à laisser trop s’exprimer les désirs de l’enfant. En permettant d’exprimer les préférences alimentaires enfantines et les goûts individuels, on entend de façon récurrente l’affirmation que les enfants risqueraient de grignoter les espaces de liberté consentis par les parents dans certains domaines, en laissant trop fortement se déployer leur inclination au plaisir. Les publications récentes décrivant l’importance du plaisir de la commensalité dans le modèle alimentaire français apportent déjà bien des nuances à ces critiques se construisant pour l’essentiel dans une angoisse de la perte de contrôle individuel et surtout social que pourrait entraîner la libre expression du plaisir.
288De ce point de vue, nous tenterons de réfléchir dans la prochaine partie à la question suivante : les formes de transmission et d’éducation contemporaines favorisent-elles certains modes d’expression du plaisir, soit plus régulé socialement dans le cadre de pratiques commensales, soit plus individualisé au travers de l’affirmation des préférences et des goûts individuels ?
289Le rôle du plaisir dans le processus de socialisation sera réinterrogé en vue de comprendre l’alimentation contemporaine. En arrière-fond, la fonction sociale du plaisir dans les processus éducatifs, dans les processus d’apprentissages, ainsi que dans les processus de régulation sociale des comportements alimentaires sera questionnée.
Perceptions et comportements sur le plaisir alimentaire
290Historiquement, le plaisir, dans ses formes commensales, est structurant du modèle alimentaire en France. La place qu’il y occupe signifie qu’il a été un vecteur d’adaptation aux contraintes physiologiques et écologiques dans l’« espace social alimentaire » (Poulain, 1997) ainsi qu’un facteur de leur transformation selon les systèmes de valeurs des groupes culturels impliqués.
291Le plaisir n’est pas uniquement une réponse à un besoin biologique : il a une fonction de moralisation, un rôle de marqueur d’identité et de barrière culturelle, une dimension de cohésion sociale et un enracinement dans des structures imaginaire, symbolique et mythologique.
292Le plaisir a également un rôle dans le processus de socialisation alimentaire : les formes de transmission et d’apprentissage de celui-ci participent à la construction de l’identité sociale des jeunes mangeurs (Dupuy et Poulain, 2008). En apprenant à manger avec leurs parents, avec leurs frères et sœurs, avec leurs pairs et d’autres proches, les enfants s’initient aux systèmes de valeurs, de normes, de codes, de rites et de comportements de leur culture. Ainsi, ils s’intègrent à la société. Le plaisir a une fonction sociale dans les processus éducatifs, dans les processus d’apprentissage ainsi que dans les processus de régulation des comportements alimentaires, notamment dans le cadre du plaisir partagé. Les enfants disposent toutefois d’un espace de liberté leur permettant de s’émanciper et de se doter d’une position propre au sein du groupe. Le plaisir ressenti, vécu et incorporé peut être à l’origine de la création de nouvelles normes et attitudes émanant d’une dynamique plus individuelle.
293Dans cette partie, les résultats d’attitudes, de représentations et de comportements associés au plaisir seront comparés pour réfléchir aux questions suivantes : dans quelle mesure les dimensions sociales et culturelles du plaisir sont-elles déterminantes du modèle alimentaire en France ? Quels en sont les déterminants ? Comment ces dimensions et ces déterminants sont-ils transmis aux jeunes mangeurs ? Et, plus généralement, comment ou en quoi l’entrée par le plaisir dans les processus de socialisations alimentaires permet-elle de comprendre l’alimentation contemporaine ? Comment repenser le rôle du plaisir dans les phénomènes de transmissions et plus largement dans les processus de socialisations ? Dans quelle mesure celui-ci doit-il être repensé avec la modernité alimentaire ?
Représentations sur le plaisir et souvenirs de plaisirs vécus
294Nous nous intéresserons ici aux représentations générales du plaisir ainsi qu’à sa caractérisation au niveau d’associations spontanées et de souvenirs. Les résultats seront présentés à partir de la distinction entre ceux se référant au plaisir en termes d’aliments et de produits, puis ceux en termes de contextualisation du plaisir (contexte social, lieu et moment).
« Bien manger » au sens d’avoir du plaisir
295Une première question a pour but de décrire les écarts entre les trois populations dans la hiérarchisation de ce qu’elles considèrent comme essentiels pour avoir du plaisir.
296« Bien manger », au sens d’avoir du plaisir, c’est : 1/ une qualité des aliments ; 2/ une qualité de préparation ; 3/ une bonne compagnie ; 4/ un repas de fête ; 5/ une quantité modérée ; 6/ une quantité contrôlée ; 7/ une quantité importante ; 8/ une qualité nutritionnelle. L’hypothèse de départ repose sur deux jeux d’opposition : le premier entre les enfants et les adolescents vis-à-vis des adultes (parents et population de référence) renvoyant à l’idée de différences entre répertoires adolescents et enfantins et répertoires adultes ; le second, entre les parents et la population de référence, posant le fait qu’être parent peut avoir une incidence sur les choix en termes de qualités recherchées pour leurs enfants.
297Cette question fermée fournit des réponses différentes entre les enfants et les adultes des deux populations, mais pas entre les parents et la population de référence.
298Ce qui prime chez les enfants et les adolescents, c’est avant tout la bonne compagnie (26 %) suivie de la qualité des aliments (20 %), des repas de fête (16 %) et de la qualité de la préparation (14 %). Si l’on associe les réponses « bonne compagnie » et « repas de fête », l’idée de convivialité est très forte, à hauteur de 42 %.
299Pour les parents et les adultes de référence, la qualité des aliments vient en tête (31 % pour les deux groupes), suivie de la qualité de la préparation (20 % pour les parents et 23 % pour les adultes) et de la bonne compagnie (18 % pour les deux populations). Parents et adultes représentatifs ont des réponses identiques ainsi que les représentations graphiques en témoignent.
Fig. 35. À quoi « bien manger » est rattaché chez les enfants et adolescents ?

Fig. 36. À quoi « bien manger » est rattaché chez les parents ?

Fig. 37. À quoi « bien manger » est rattaché chez la population de référence ?

300Des liens très significatifs ont été observés avec une surreprésentation des 7-11 ans de +10 et une sous-représentation des 16-17 ans de -11 à la modalité « bonne compagnie », les plus âgés se rapprochant des réponses des adultes, ce qui va dans le même sens que les analyses portant sur les représentations et les pratiques alimentaires.
Aliments et produits de plaisir
301Pour appréhender les aliments et les produits de plaisir, quelques questions ouvertes ont été posées à chacun des trois échantillons, puis recodées à plusieurs reprises. Elles peuvent être regroupées en deux types de variables : une pratique reconstruite à partir du souvenir de plaisir alimentaire et une donnée de représentation avec les associations spontanées.
302Plusieurs hypothèses étaient sous-jacentes. Pour les populations enfantines et adolescentes, il s’agissait de vérifier l’existence d’un « goût enfantin », c’est-à-dire d’un ensemble d’aliments connus et appréciés de la plupart des enfants les plus jeunes63. Nous voulions aussi vérifier l’attirance plus forte des jeunes envers des aliments forts en goût ou culturellement définis comme des aliments consommés par les « adultes » et pour lesquels l’effet pochoir tend à se réduire du fait d’un relâchement du contrôle parental en faveur de l’ouverture des jeunes à ces produits. Enfin, nous souhaitions tester l’hypothèse de différenciations en fonction du sexe : la plupart des travaux montrent qu’en grandissant, les filles sont plus enclines à rejeter certains aliments caloriques, probablement pour répondre à des impératifs diététiques et des préoccupations esthétiques en termes de corpulence (Fischler, 1990).
303De façon comparative entre les populations enfantines ainsi qu’adolescentes et les populations adultes (parents et population de référence), nous souhaitions voir dans quelle mesure certains produits culturellement identifiés comme « adultes » (comme l’alcool) ressortaient uniquement auprès des adultes. En ce sens, il s’agissait de comparer goûts enfantins et goûts adultes, toujours en ayant cette idée que l’écart avec les adultes tendrait à se réduire chez les jeunes. Dans la même direction, nous faisions l’hypothèse que des références, qu’elles soient symboliques, contextuelles ou culturelles, en termes de représentations, seraient plus présentes chez les adultes tandis que les enfants associeraient plus volontiers à ces questions des réponses en termes précis et concrets d’aliments ou de produits.
304Enfin, concernant les diverses populations et surtout auprès des populations adultes, nous faisions l’hypothèse qu’apparaîtraient des différences – en plus des classes d’âge et du sexe – en fonction des groupes sociaux et de leur position sociale.
305La question visait à recueillir de façon spontanée trois produits alimentaires qui, pour les enquêtés, sont associés au plaisir. Plusieurs phases de recodification ont été réalisées, des plus détaillées aux plus générales.
306En partant de la plus générale, en trois catégories, « aliment sucré », « aliment salé » et « boisson », on remarque que pour les trois produits cités, toutes populations confondues, ce sont des aliments de type salé qui sont mentionnés dans les proportions les plus fortes.
307Concernant les mentions d’aliments sucrés, elles sont dans des proportions plus importantes pour les trois populations lors de la première mention (1er produit). Elles sont aussi plus fortes auprès des populations enfantines.
308Cependant, contrairement à ce que l’on aurait pu envisager, les écarts entre les adultes et les enfants ne sont pas très forts. Spontanément, le produit de plaisir ne renvoie à chaque mention que pour près d’un tiers de l’échantillon enfantin et pour près d’un quart des adultes, à un aliment sucré. Le plaisir n’est pas associé au sucre, à ces « douceurs » qu’on lie volontiers au plaisir tant soumises à la réprobation sociale.
309Avant de centrer les analyses sur les associations entre « plaisir » et « aliment », les enquêtés devaient répondre spontanément à ce qu’est pour eux le plaisir alimentaire.
310En hiérarchisant les résultats en fonction de leurs proportions, on constate que pour 73 % des enfants et des adolescents, la référence au plaisir est basée sur un aliment (salé à 37 % et sucré à 36 %). On remarque aussi que les résultats entre population parentale et population de référence sont quasiment identiques sur cette question. Pour ces dernières, c’est principalement une référence à l’idée de « bonne cuisine », de « gourmandise » qui est associée au plaisir (26 % pour les parents, 30 % pour les adultes) suivis ensuite des aliments salés (respectivement 25 et 26 %), puis des aliments sucrés (respectivement 20 et 17 %).
Fig. 38. Trois produits alimentaires associés au plaisir (en %).

311Cependant, les différences ne sont pas si massives entre population enfantine et populations adultes puisque la « bonne cuisine » et « la gourmandise » sont la troisième proportion (13 %) chez l’échantillon enfantin. Enfin, pour près de 10 % à chaque fois, les populations adultes mentionnent la « convivialité » et « la satisfaction d’un besoin ».
312Chez les parents, la réponse à cette question est statistiquement liée à leur positionnement social64 avec un rejet fort de la référence à des produits sucrés de la part de ceux issus du très haut positionnement social (-12,7), plus enclins à citer la qualité diététique (+10,3) ou la convivialité (+6,5). Aucun lien significatif probant n’a été observé chez les adultes de la population de référence.
313La question recentrant les associations spontanées sur les termes « plaisir » et « aliment » donne des résultats proches de la question sur les trois produits associés au plaisir. Majoritairement, les trois populations citent des produits salés : 62 % des enfants et des adolescents, 69 % des parents et 76 % des adultes de référence.
Fig. 39. Associations spontanées sur le plaisir alimentaire (en %).

Fig. 40. Associations spontanées sur les termes « plaisir » et « aliment » (en %).

314Au niveau des analyses croisées, les jeunes âgés entre 16 et 18 ans sont légèrement plus enclins à citer des produits salés (+3,5) et à rejeter les produits sucrés (-6,3)65. Et contrairement à ce qui aurait pu être attendu au niveau de préoccupations diététiques condamnant les produits sucrés, ce sont les filles qui sont le plus attirées par les produits sucrés (+6)66.
315On retrouve des liens significatifs selon le sexe auprès des parents et des adultes de référence bien qu’il y ait des différences sur les niveaux de sur ou de sous-représentation, sans doute liées à la nature de l’échantillon puisque les parents sont majoritairement des mères. Ainsi, chez les parents, l’écart à la moyenne pesant sur le sucré se joue chez les pères avec une sous-représentation pour le sucre (-9,6)67. Pour la population de référence, on retrouve les mêmes tendances que dans la population enfantine, avec une forte surreprésentation des femmes pour les produits sucrés (+14) puis une sous-représentation des femmes dans les produits salés (-3,7) ; le lien est très fort et le pourcentage d’erreur de zéro68.
316On peut faire l’hypothèse que la réprobation sociale du sucre pour les femmes pesant plus lourdement en raison de préoccupations « diét-esthétiques », l’association spontanée entre le plaisir et le sucre est un peu comme une autre face de cette réprobation, son empreinte en creux.
Fig. 41. Associations spontanées sur les termes « plaisir » et « aliment » selon le sexe (en %).

Fig. 42. Différenciation selon les classes d’âge des enfants pour les associations spontanées sur le « plaisir » et l’« aliment » (en %).

317Enfin, d’autres liens significatifs, relativement faibles, ont été observés dans la population de référence. La population parentale n’en présente pas de significatifs. Le niveau de ressources mensuelles nettes du foyer69 et le niveau de revenu mensuel net de l’enquêté70 ont une incidence sur les aliments sucrés : les bas niveaux de ressources (+7) et les bas niveaux de revenus (+8,8) sont significativement attirés tandis que les hauts niveaux de revenus les rejettent (-5). Les classes d’âge ont aussi une incidence71 : les 18-25 ans sont significativement attirés par les produits sucrés (+11,4) et les 56-70 ans par toutes les représentations générales concernant l’aliment (+4,6).
318En nous intéressant au dernier souvenir de plaisir alimentaire, il s’agissait d’analyser une variable se rapprochant d’une pratique reconstruite. Les résultats vont dans le même sens que précédemment en se resserrant autour des produits salés. Pour 79 % des enfants et des adolescents, 87 % des parents et 90 % des adultes de la population de référence, la dernière fois qu’ils ont eu du plaisir, c’était avec un produit salé.
Fig. 43. Dernier souvenir de plaisir alimentaire (en %).

319Au niveau des liens significatifs, on retrouve les mêmes tendances que lors des associations spontanées sur le plaisir, à l’exception de l’échantillon parental qui n’en observe pas. Au niveau de l’âge72, les jeunes âgés entre 16 et 18 ans ont un rejet significatif des produits sucrés (-8,5). Pour le sexe73, les filles sont fortement attirées par les produits sucrés (+9,6) tandis que les garçons les rejettent. Pour la population de référence les femmes sont significativement attirées par les produits sucrés (+23,1) tandis que les hommes les rejettent74.
320D’autres liens significatifs ont été observés dans la population de référence. Le niveau de ressources mensuelles nettes du foyer75 et le niveau de revenu mensuel net de l’enquêté76 ont une incidence sur les aliments sucrés : les bas niveaux de ressources (+7,5) et les bas niveaux de revenus (+9) sont significativement attirés tandis que les hauts niveaux de ressources (-4,9) et de revenus (-5) les rejettent, comme dans les associations spontanées. Le positionnement social, enfin, est très fortement lié77, le très haut positionnement social est moins enclin à citer un produit sucré (-4,5) que le très faible (+3,9).
Fig. 44. Dernier souvenir de plaisir alimentaire selon le sexe (en %).

Fig. 45. Dernier souvenir de plaisir alimentaire selon la classe d’âge en trois modalités chez les enfants et adolescents.

321Au niveau de recodages larges, on remarque qu’il y a peu de différences entre les trois populations, le plaisir étant plus spontanément associé ou remémoré au travers d’un univers de produits ou d’aliments salés.
322Un recodage plus détaillé – pour chacune des questions précédemment décrite – est proposé pour dégager les différences entre les populations pouvant renvoyer à des goûts enfantins, adolescents, jeunes et adultes. Ils sont présentés dans les trois tableaux suivants.
Tableau 20. Comparatif détaillé des produits de « plaisir » chez les enfants et les adolescents (en % ; N = 1 002).

Tableau 21. Comparatif détaillé des produits de « plaisir » chez les parents (en % ; N = 624).


Tableau 22. Comparatif détaillé des produits de « plaisir » chez les adultes de référence (en % ; N = 902).



323Des différences apparaissent entre la population enfantine et les deux populations adultes : soit les proportions attachées aux catégories de produits diffèrent, soit des catégories de produits apparaissent (ou disparaissent).
324Chez les enfants et les adolescents, six grandes catégories émergent. Sans ordre d’importance, la première est représentée par les produits sucrés comme les gâteaux, les tartes et les biscuits par exemple et apparaît dans les six questions de façon assez forte puisque les proportions varient entre 11,3 % et 18,6 %.
325Ensuite, sans être représentées dans les six questions et plus marginalement, apparaissent dans certaines d’entre elles, la référence au chocolat (de 6,7 à 8 %) et celle aux sucreries et bonbons dans les associations spontanées sur le plaisir (7,2 %).
326La troisième catégorie à émerger, non observée chez les adultes, est la place des sodas dans les associations spontanées sur les trois produits de plaisir (de 6,2 à 7,9 %).
327La quatrième, assez fortement représentée dans l’ensemble des questions, porte sur les pâtes (7,6 à 11 %), la viande (6,1 à 10,5 %), les frites, pommes de terre et purée (6,3 à 11,5 %) puis la pizza (6,9 à 11,3 %) et enfin les plats cuisinés, surtout pour le souvenir de plaisir, à hauteur de 11,2 %. Ces références constituent un noyau que l’on retrouve chez les adultes de façon différente puisque les pâtes, les frites et la pizza, que l’on associe volontiers à des produits appréciés des enfants, font place aux poissons et aux plats cuisinés.
328Une cinquième catégorie apparaît dans l’ensemble des questions et à hauteur tout de même de 17 % dans le souvenir du dernier plaisir et 17,9 % dans les associations spontanées : il s’agit du hamburger (rappelons que ce produit, avec la pizza, apparaissait pour près de 20 % dans les normes et les pratiques alimentaires enfantines). Ce produit n’émerge pas dans les réponses des adultes comme étant associé au plaisir.
329Enfin, une dernière catégorie composée de références qui ne sont pas des produits, identifiée comme « autre que produit alimentaire », apparaît mais uniquement dans les associations spontanées sur le plaisir (sans référence directe à un aliment ou une boisson) : il s’agit de la qualité gustative des produits (12,2 %), suivie de représentations générales sur le plaisir (4,9 %) et de la notion de convivialité (4,5 %).
330Pour les parents et les adultes de référence, les tendances sont assez proches, mais de légères différences apparaissent pour certains produits comme la valorisation des yaourts ou des légumes chez les parents versus la valorisation de l’alcool dans la population de référence qui sont sans doute liées à la structure des échantillons selon le sexe.
331Pour les parents, les produits sucrés sont représentés dans l’ensemble des questions entre 5,4 et 12,5 %, ainsi que le chocolat (de 5,4 à 8 %), tandis que chez les adultes témoins, ce sera surtout la catégorie des produits sucrés (entre 5,8 et 12,1 %), tandis que le chocolat est plus marginal car il n’apparaît pas dans toutes les questions (5,7 à 5,8 %).
332Ensuite, de façon isolée, sur les questions portant sur les associations spontanées pour trois produits de plaisir, les yaourts apparaissent chez les parents (5,4 %), le café (7,7 %), les entrées (6,4 %) et les légumes (6,4 %). Dans la population de référence, on y retrouve le café (5 %) ainsi que les entrées (5,3 %), et on voit apparaître l’alcool (5,3 %) ; les yaourts et les légumes n’émergent pas chez eux.
333Une troisième catégorie, qui, comme chez les enfants et les adolescents, rassemble des proportions importantes et est représentée dans la plupart des questions, même si les proportions varient quelque peu entre parents et population de référence, les tendances restant globalement assez proches, correspond aux viandes (de 9,3 à 15,5 % chez les parents ; de 5,3 à 26,1 % chez les adultes témoins), poissons (de 6,7 à 14,6 % pour les parents ; de 7,5 à 14,6 % pour les adultes témoins) puis plats cuisinés (de 5,1 à 22,4 % dans la population parentale ; de 6,3 à 21,7 % auprès des adultes de la population de référence).
334Au niveau des trois produits alimentaires associés au plaisir, les fromages et les fruits apparaissent dans les deux populations. De 5,8 à 7,5 % chez les parents et de 5,3 à 8,4 % chez les adultes de référence pour le fromage, de 5,1 à 6,4 % pour les parents et de 5,4 à 7,3 % pour la population de référence concernant les fruits. Ces catégories n’étaient pas importantes chez les enfants et les adolescents.
335Une catégorie apparaît non présente chez la population enfantine : celle des plats traditionnels ou exotiques au niveau des souvenirs de plaisir et des associations spontanées sur le plaisir et l’aliment, variant entre 7,9 et 10,7 % chez les parents et 7,2 et 10,5 % chez les adultes référents.
336Enfin, la dernière catégorie correspond aux représentations spontanées sur le plaisir sans référence au produit ou à l’aliment. Principalement, comme la population enfantine, il s’agit de la qualité gustative : 28,4 % chez les parents et 32 % chez les adultes référents ; puis de références au plaisir (10,1 % dans la population parentale et 9 % dans la population de référence). Pour finir, c’est la convivialité qui apparaît à hauteur de 5,4 % chez les parents et 6 % chez les adultes référents, soit à peine plus que chez les enfants.
337En conclusion, lorsque les recodages sont plus fins, des différences émergent entre les populations enfantines et les populations adultes.
338Café, alcool, yaourt, entrée, légume, plat exotique, fromage et fruit sont cités chez les adultes et pas ou marginalement chez les enfants et les adolescents ; bonbon, soda, pâte, frite, pizza et hamburger sont notés comme des catégories signifiantes chez les enfants et les adolescents tandis qu’elles ne sont pas présentes ou alors dans des proportions plus faibles chez les adultes.
339En matière de liens intergénérationnels et intragénérationnels, les produits et aliments de plaisir peuvent être davantage interprétés en termes de « goûts enfantins » et de « goûts adultes » puisque parents et adultes se ressemblent davantage dans le choix des produits, qu’enfants et parents. En l’état, en matière de produits et d’aliments de plaisir, les résultats tendent à se rapprocher de ce que Paul Rozin (1991) appelle le « paradoxe des familles » en matière de similitude des préférences, montrant que les liens entre les préférences de l’enfant et celles de ses parents sont faibles. La reproduction a priori peu fidèle des préférences alimentaires parentales par les enfants semble prédominer en matière de plaisir78.
Contextualisation du plaisir
340Pour mieux comprendre le choix des aliments associés au plaisir, nous avons décidé d’en saisir les contextes en termes de sociabilité, de lieu et de moment. De la même manière que nous avons procédé pour les comportements et les représentations alimentaires, nous avons interrogé les enquêtés sur ces dimensions aussi bien dans les associations spontanées que dans les souvenirs de plaisir, pouvant être respectivement rattachés au domaine des représentations puis des pratiques reconstruites.
341Des liens très significatifs ont été observés dans les questions. Seuls les résultats pour les populations enfantines sont présentés afin d’éclairer la question des plaisirs enfantins et adolescents. Ceux étudiés auprès des parents et auprès de la population de référence sont principalement liés au sexe, aux situations familiale et matrimoniale ainsi que – dans une moindre mesure – aux positionnements sociaux.
Le contexte social du plaisir
342Au niveau des associations spontanées comme des souvenirs, les deux séries de questions étant formulées avec la modalité « avec qui » induisent probablement un biais dans les réponses même si des pourcentages significativement élevés d’interviewés ont répondu « seul » (10 % chez les enfants et les adolescents ainsi que chez leurs parents et 8 % dans la population de référence pour les associations spontanées). Néanmoins, cela donne des informations intéressantes sur le contexte social associé au plaisir ou vécu avec plaisir.
343Toutes populations confondues, les conditions du plaisir sont réunies lorsqu’on se trouve en famille, et cela est plus valable encore chez les enfants et les adolescents.
344En comparant les deux variables, on remarque que les populations adultes, parentales et de référence sont plus cohérentes que la population enfantine. En effet, si 10 % des enfants et des adolescents citent spontanément la modalité « seul » et sont 34 % à citer les « amis », ces modalités retombent dans la pratique, soit le souvenir du dernier plaisir, à respectivement 5 et 22 %. Cet écart joue en faveur d’une plus forte déclaration de la modalité « en famille » pour le souvenir, qui passe de 55 % dans les associations spontanées à 72 %.
345Dans l’univers des représentations des sociabilités enfantines porteuses de plaisir, les relations horizontales avec les ami(e) s sont plus valorisées que chez les adultes, mais la solitude y est représentée de façon équivalente.
346Enfin, au niveau des adultes, les parents sont plus enclins à mentionner la famille que les adultes référents : +9 dans les associations spontanées et +11 dans le dernier souvenir. Les adultes de référence privilégient plus que les parents les relations amicales et, surtout, les relations de couple, ce qui peut s’expliquer par une différence dans les statuts familiaux et/ou matrimoniaux.
347Dans la population enfantine, pour creuser la dimension des sociabilités horizontales, nous avons procédé à des tris croisés qui montrent des liens très significatifs selon les classes d’âge avec des écarts se jouant entre les enfants les plus jeunes et les plus âgés d’entre eux79. Les 7-11 ans favorisent la famille, que cela soit dans les associations spontanées (+19,4) ou dans le souvenir du dernier plaisir (+11,1), tandis qu’ils rejettent plus fortement les amis (-14,8 dans les associations spontanées et -8,3 pour le souvenir). Inversement, les 16-17 ans sont plus enclins à citer les relations amicales (+17,4 pour les associations et +14,5 pour le souvenir), alors qu’ils rejettent fortement la famille (-21,1 et -19,5).
348Ensuite, le style éducatif parental a une incidence sur les associations spontanées aux sociabilités du plaisir80. Lorsque les enfants et les adolescents ont des parents de type « autocratique », ils sont plus enclins à mentionner la famille (+4,7) que les amis (-5,1) ou le fait d’être seul (-9,7), tandis que ceux qui ont des parents de type « laisser faire », sont dans la situation inverse : la famille est plus rejetée (-5,2), et ils sont plus attirés par les amis (+4,4) et surtout par le fait d’être seul (+13). Rappelons que les styles éducatifs parentaux sont fortement liés à l’âge des enfants : les parents sont plus autoritaires lorsque les enfants sont jeunes et plus permissifs pour les plus âgés.
349Contrairement aux comportements alimentaires, il n’y a pas de lien entre les sociabilités du plaisir et le fait d’avoir des frères et sœurs : les enfants uniques ne sont pas plus enclins à mentionner un contexte social solitaire. Si la fratrie augmente la sociabilité des prises alimentaires représentées et pratiquées, en revanche elle n’a aucun effet sur la sociabilité du plaisir.
Fig. 46. Si je vous dis « plaisir alimentaire » et « avec qui », que vous vient-il à l’esprit ?

Fig. 47. La dernière fois que vous avez eu du plaisir à manger, avec qui était-ce ?

350Enfin, d’autres variables socio-descriptives pèsent sur le contexte social, mais les liens sont moins forts que pour l’âge ou le style éducatif parental. Le sexe n’a pas beaucoup d’incidence puisqu’il pèse juste sur la modalité « en couple » avec une inclination plus forte des filles, mais seuls 1,4 % des jeunes la citent (ce qui est selon toute probabilité lié à leur âge). Comme pour les prises alimentaires, ce sont les statuts familiaux et matrimoniaux qui pèsent sur le contexte social. Aucun lien n’a été observé chez les enfants en fonction du positionnement social des parents. Pour résumer, au niveau des associations spontanées, les enfants dont les parents sont séparés, divorcés ou veufs sont plus représentés auprès de la modalité « amis » (+5,4)81 comme ils sont plus enclins à se souvenir avoir vécu « seuls » leur dernier plaisir (+16,6)82.
Les moments du plaisir
351Les comparaisons entre les populations montrent des spécificités pour chacune d’entre elles même si les adultes (population parentale et de référence) sont plus en proximité l’une avec l’autre.
352Pour les enfants et les adolescents, trois moments caractérisent de façon spontanée le plaisir. Il s’agit du « temps du midi » (soit du déjeuner), du goûter de l’après-midi puis du soir (soit du dîner). Le plaisir est plutôt associé à des temps de repas. Un quatrième pic, moins important, se dessine au début de la soirée, ceci pouvant correspondre à une dimension apéritive.
353Pour les adultes, le temps du plaisir s’étale davantage dans la soirée même si le repas de midi, le goûter et le début de soirée sont bien représentés. Dans la population parentale, le goûter est dans des proportions plus fortes que pour la population de référence, ceci pouvant être associé au temps de partage avec les enfants. À l’inverse, les parents tendent également à différer le plaisir tard dans la soirée ; cela peut traduire un moment en dehors des sociabilités avec leurs enfants (seuls ou en couple).
354Pour aucune des trois populations, le plaisir n’est associé à un temps matinal.
355Au niveau des analyses croisées effectuées auprès de la population enfantine et jeune, les liens avec l’âge sont très forts83. Le moment associé au goûter est plus représenté chez les 7-11 ans (+9,7), tandis que les 16-18 ans tendent à le rejeter (-10,3). En début de soirée, on observe une attirance des 12-15 ans (+11) et, enfin, pour les moments du soir, les 7-11 ans sont moins enclins à les citer (-9,4) que les 16-18 ans (+9,7).
356Cela rejoint l’idée que les jeunes entre 16 et 18 ans sont plus proches des représentations des moments du plaisir des adultes que leurs cadets.
357Dans le même sens, les analyses portant sur les styles éducatifs parentaux donnent des informations sur les modalités d’accès représentés (et sans doute réels) à certains moments de plaisir puisque l’on sait que les parents sont plus permissifs lorsque leurs enfants sont âgés. Les enfants dont les parents sont « autocratiques » ont moins tendance à mentionner le soir (-6,2) que ceux dont les parents sont de type « laisser faire » (+5,8). Probablement qu’en plus de l’effet d’âge, les tensions éducatives en termes de contrôle ou de relâchement parental et/ou en termes d’accès et d’effets pochoir ont une incidence sur les moments de plaisir des enfants et des adolescents, un peu comme une empreinte en creux sur les représentations.
Fig. 48a-c. Comparaison entre les populations des associations spontanées : « plaisir » et « heure » (en %).

358Dans la reconstruction du souvenir alimentaire, la modalité « dans quel contexte » fait apparaître d’autres formes de sociabilité.
359Parents et adultes représentatifs ont des réponses extrêmement proches. Les écarts sont plus probants entre adultes et enfants. On retrouve chez les enfants et les adolescents des contextes liés principalement au moment des repas, suivis de formes de convivialité dans le fait de manger avec d’autres personnes (« à un moment où on était tous ensemble »). Ils sont ensuite précédés par des moments de détente ou des moments ordinaires, c’est-à-dire sans occasion particulière (souvent, la réponse est « c’était comme ça »). Pour les adultes, un pic est observé concernant les moments de convivialité, suivi des moments de repas.
360La modalité « pour se faire plaisir » n’y est pas associée ; le dernier plaisir n’est pas caractérisé par un moment réservé à cet effet, extraordinaire, mais bien associé au fait d’être réuni avec d’autres personnes. Ceci traduit bien le fait que les moments de plaisir remémorés ne sont pas définis dans des contextes de solitude. Ceci est d’autant plus signifiant que les moments de repas sous-tendent une forte commensalité.
361En matière de contextes, les enfants semblent rencontrer des difficultés à appréhender le plaisir en terme de convivialité puisque l’on observe notamment dans les analyses croisées avec la classe d’âge84 que « commensalité, manger ensemble » est significativement plus important chez les plus âgés d’entre eux (les 16-18 ans : +9,6) à l’instar des parents et des adultes ; les plus jeunes favorisent des moments de repas ou de hors repas dans la journée (le goûter, le déjeuner, etc.) ou des moments de détente ; les 7-11 ans sont sous-représentés dans la catégorie « commensalité, manger ensemble » (-7,1).
362Un autre résultat apparaît chez les enfants concernant les sur ou sous-représentations dans la modalité « contexte ordinaire » : bien qu’en proportions faibles dans les réponses, le style éducatif parental85, le niveau d’étude du parent86, son positionnement social87 et le positionnement social du foyer88 ont une incidence, en termes de déterminants sociaux, sur les enfants. Une surreprésentation enfantine est observée dans ce contexte sans raison particulière lorsque leurs parents sont autocratiques (+12,7), qu’ils n’ont pas de diplôme (+9,9), qu’ils sont faiblement diplômés avec un niveau moyen de revenu (+11), qu’ils sont faiblement diplômés avec un faible niveau de revenu (+8,6) ou que les deux parents sont faiblement diplômés avec un faible niveau de ressources (+19,7). En résumé, lorsque les enfants sont issus de milieux parentaux ou familiaux plutôt situés en bas de l’échelle sociale (le style autocratique étant lié au bas de l’échelle sociale), ils sont plus enclins à citer des « moments ordinaires ».
363L’hypothèse conservée pour interpréter ces résultats repose sur l’« attitude hédoniste populaire » (Hoggart, 1957). Se souvenir d’un moment ordinaire peut alors traduire l’attitude d’un plaisir pris au jour le jour, sans motif particulier invoqué, tout simplement pour profiter du temps présent.
Fig. 49. La dernière fois que vous avez eu du plaisir à manger, dans quel contexte était-ce ?

364Au niveau des représentations, l’abstraction qu’implique la convivialité dans le cadre de questions ouvertes et d’expressions spontanées semble plus difficile à opérer chez les enfants les plus jeunes ; le « plaisir représenté » au travers de contextes conviviaux s’apprendrait. Par contre, cela ne signifie pas que le plaisir ne soit pas associé à une forme de convivialité chez les enfants. En effet, on a vu dans la question fermée que lorsque la modalité « bonne compagnie » est concrètement proposée, les enfants la mentionnent dans des pourcentages importants. De plus, associer le plaisir à des moments de repas peut aussi en arrière-fond relever de dimensions commensales puisqu’on a vu dans les modèles alimentaires l’importance statistique de la commensalité à table.
Les lieux du plaisir
365La dernière dimension relative à la contextualisation du plaisir a trait aux lieux lui étant associés ou dans lesquels les enquêtés ont eu du plaisir. Le premier constat porte sur l’importance des lieux hors domicile, tant dans les représentations que dans le vécu. Contrairement aux pratiques et aux représentations alimentaires, donnant la part belle au domicile, la situation au niveau du plaisir est bien plus éclatée. En effet, plus particulièrement dans les représentations, le plaisir se passe pour plus de la moitié des enquêtés des trois échantillons en dehors du foyer familial.
Fig. 50. Les lieux du plaisir (en %).

366L’âge, le sexe ainsi que le positionnement social des parents influent sur les lieux du plaisir.
367Avec des catégories plus détaillées que celles présentées en deux modalités (domicile et hors domicile), il existe des liens significatifs très forts selon l’âge. Pour les associations spontanées89, le foyer est sous-représenté chez les 16-18 ans (-4,9) tandis qu’ils survalorisent les fast-foods (+5,9). Pour les 7-11 ans, l’école représente un lieu de plaisir (+16,5), ceci pouvant traduire l’importance des sociabilités amicales ou, contrairement à certaines idées reçues, du plaisir de manger à la cantine, d’autant que dans les pratiques alimentaires, il avait été observé l’importance de la cantine dans les normes alimentaires comme dans les pratiques au moment du déjeuner. Par contre, les restaurants sont sous-représentés chez eux (-10,2). Enfin, ils valorisent les lieux de vacances ou de détente (pique-nique) à l’inverse des plus âgés (+18,3 entre 7 et 11 ans et -13,7 entre 16 et 18 ans).
368Pour le souvenir du lieu de plaisir90, les 16-18 ans rejettent le foyer (-4,4) tandis que les 7-11 ans le valorisent (+3,4). Les plus âgés, à l’instar des adultes de référence, sont surreprésentés dans les lieux de restauration (+10,7).
369Pour le sexe, la différence joue sur l’engouement pour le fast-food : ils sont refusés par les filles dans les associations spontanées (-11,4)91 comme dans les souvenirs (-14,3)92. Cela penche pour une dévalorisation du fast-food sans doute en raison de préoccupations « diét-esthétiques ». Des liens sont aussi observés chez les adultes (parents et population de référence) selon le sexe mais ne vont pas dans le même sens. L’écart joue surtout chez les hommes qui sont plus enclins à avoir eu ou associé le plaisir au restaurant et à rejeter le foyer familial.
370La catégorie socio-professionnelle du parent93 ainsi que son positionnement social94 ont un effet sur le lieu du dernier plaisir. Les enfants d’employés survalorisent le foyer (+3,6), ceux de commerçants et d’artisans, les lieux de restauration (+4,9). Les lieux de fêtes sont plus représentés chez les enfants de cadres moyens (+6) et le fast-food chez les enfants d’ouvriers (+7,2). Enfin, ceux dont les parents ont un positionnement en bas de l’échelle sociale sont un peu plus enclins (+2,1) à avoir pris du plaisir à la maison tandis que ceux dont les parents sont situés en haut de l’échelle sociale sont plus représentés par les restaurants (+13,3).
371Pour conclure, retenons que le plaisir correspond à un produit salé, contrairement à certaines idées reçues, qu’il est fortement socialisé, qu’il se déroule soit dans des moments de repas (probablement avec une dimension commensale implicite), soit dans des moments de convivialité et de partage. Il prend place aussi bien en dehors du domicile qu’à la maison (ce qui distingue le plaisir de l’alimentation).
372Pour les enfants et les adolescents, les variables socio-descriptives les plus significatives sont les classes d’âge, le style éducatif parental et le sexe. Les variables de positionnement social et culturel des parents pèsent de façon inégale et sont significativement moins fortes que les premières.
373Les résultats au niveau des populations adultes indiquent des tendances identiques : les déterminants sociaux sur les associations spontanées sur le plaisir ainsi que sur le souvenir de plaisir vécu ne sont pas probants dans l’analyse sur ces dimensions.
374Si l’on revient sur les résultats les plus forts statistiquement, selon l’âge et le style éducatif parental, ils permettent de pencher en faveur d’une distinction entre des plaisirs enfantins et de jeunes, comme pour ce qui avait été observé sur les modèles alimentaires.
375Cependant, si dans l’alimentation les comportements des jeunes s’approchent de ceux observés chez les adultes (parents comme population de référence), pour le plaisir, cela est plus mitigé. Les résultats montrent des différences comme celle observée dans la surreprésentation pour le fast-food chez les jeunes non retrouvée chez les adultes, ces derniers valorisant plutôt les lieux, disons plus « traditionnels », de restauration. Loin d’être anecdotique, cette illustration montre des particularités enfantines et adolescentes sur le plaisir également soulignées au niveau des produits ou des aliments. On voit s’exprimer, dans les produits ainsi que dans les autres dimensions de contexte, des formes d’expression du plaisir enfantines et d’autres adolescentes se distinguant de celles des adultes.
376De même que dans l’alimentation, les déterminants culturels, comme la commensalité et la sociabilité, sont présents de façon massive, ceci tendant probablement à masquer les déterminants sociaux.
377L’analyse des opinions et des attitudes sur le plaisir qui correspondent à des variables différentes de celles étudiées jusqu’ici permet de dégager des différences sociales et culturelles chez les parents et les adultes de référence, probablement parce qu’à la différence des normes sociales, largement suivies dans une société, les opinions et les attitudes participent, souvent de façon inconsciente, à l’expression du lien social et du sentiment d’appartenance ou de différences sociales.
Opinions et attitudes sur le plaisir
378Les opinions et les attitudes sur le plaisir en général et le plaisir alimentaire en particulier font s’exprimer les adultes95 – au niveau de leurs prédispositions individuelles – sur ce qu’ils pensent de telle ou telle pratique ou valeur, de telle sorte à laisser se déployer un sentiment d’appartenance ou de différenciation sociales comme culturelles. Cette exigence de positionnement – dans le jeu d’inclusion et exclusion d’opinions ou attitudes préétablies – induit logiquement des variations en termes de déterminants sociaux (classes, origines, capital culturel et social). Ces dernières varient plus fortement que dans les pratiques déclarées ou reconstruites, dans les associations spontanées ou les reconstructions de souvenir, ou encore dans les normes largement partagées dans la société.
379Pour aider les enquêtés à répondre au moment du recueil, chacune des questions étaient lues, puis les modalités de réponses étaient proposées sur une liste. Les résultats sont présentés en comparant les deux populations adultes entre elles, puis en faisant varier les liens avec des caractéristiques descriptives.
Les orientations relatives au plaisir
380Dans l’optique de saisir les trois grandes orientations sur le plaisir présentes dans l’univers judéo-chrétien, les enquêtés devaient se situer parmi un ensemble de citations définissant l’ascétisme, la modération et l’hédonisme96. Dans cette enquête, l’ascétisme renvoie à la citation « pour vous, c’est dans la maîtrise que l’on peut trouver le plus grand plaisir de manger » ; la modération à la phrase « pour vous, ce qui compte, c’est la modération dans ce que l’on mange » ; l’hédonisme par « pour vous, tous les plaisirs que l’on trouve dans l’alimentation sont bons à prendre ».
381Premier constat, malgré des différences importantes dans la structure des deux échantillons, les résultats sont proches entre parents et adultes de référence. Les premiers sont à peine plus représentés dans l’ascétisme et la modération. Pourtant, l’échantillon parental étant composé pour l’essentiel de mères, donc de femmes, on aurait pu attendre des résultats en termes d’écarts bien supérieurs entre les deux échantillons. Même si les résultats en fonction du sexe montrent une inclination plus forte des femmes à la modération et des hommes à l’hédonisme, les différences ne sont, au niveau des comparaisons entre les deux populations dans les tris à plat, en rien massives.
382L’hédonisme est l’attitude remportant le plus de suffrage (39 % pour les parents et 43 % pour la population de référence) suivie de la modération (36 % chez les parents et 35 % chez les adultes référents). Enfin, l’ascétisme est présent chez 24 % des parents et 22 % des adultes représentatifs.
Fig. 51. Orientations relatives au plaisir alimentaire (en %).

Attitude hédoniste
383Dans la population de référence, les hommes (+7), les ouvriers (+6), les personnes ayant un très faible positionnement social (+3,5), celles faiblement diplômées (+3,5), celles ayant un bas niveau de revenu (+2), celles ayant eu une augmentation des ressources (+2) et une amélioration de leur vie sentimentale (+4) sont plus enclins à mentionner l’hédonisme. À l’inverse, les femmes (-7), les personnes inactives (-4,5), celles ayant un positionnement social moyen (-4) et enfin celles dont la vie sentimentale s’est dégradée (-5) sont sous-représentées dans l’hédonisme.
384Chez les parents, les hommes sont significativement attirés par l’hédonisme (+6,4).
Attitude modérée
385Dans la population de référence, les femmes (+7), les inactifs (+4), les personnes dont le revenu a baissé (+3), celles ayant un niveau moyen de revenu (+3) et enfin celles déclarant une dégradation dans leur vie sentimentale (+10) ont une attirance significative pour la modération. Les hommes (-7), les ouvriers (-4,5), les personnes déclarant une amélioration de leur vie sentimentale (-8) sont moins enclins à la mentionner.
386Chez les parents, les hommes ne sont significativement pas attirés par la modération (-6,2) et les personnes dont les ressources ont baissé le sont (+4,2).
Attitude ascétique
387Dans la population de référence, les personnes de très haut positionnement social (+3), de haut niveau de revenu (+3), de positionnement social moyen (+4) ou n’ayant pas observé de changement dans leurs ressources (+8) sont plus enclines à mentionner l’ascétisme. À l’inverse, les ouvriers (+4), les personnes ayant un très faible positionnement social (-5), celles ayant une forte baisse des ressources (-6,5), celles ayant un bas niveau de revenu (-7,5), une baisse importante des ressources (-4) ou au contraire une augmentation importante (-4) sont moins disposés à mentionner l’ascétisme.
388Chez les parents, les personnes dont les ressources n’ont pas changé sont significativement attirées par l’ascétisme (+7,5) tandis que celles dont les ressources ont baissé le rejettent (-7,9).
389En résumé, les liens significatifs avec les variables sociales et descriptives sont plus forts chez les adultes de la population de référence, ceci pouvant s’expliquer par la structure des échantillons. Le sexe a une influence sur l’inclination à telle ou telle orientation du plaisir avec une inclination plus poussée des hommes à l’hédonisme et des femmes à la modération. Concernant les déterminants sociaux, on insistera surtout sur l’attirance pour l’hédonisme et le rejet de l’ascétisme pour les populations dont la position sociale ou les ressources sont faibles. Au niveau des dynamiques sociales, une baisse des ressources se traduit par une attitude plus modérée. Enfin, l’amélioration de la vie sentimentale au cours des dernières années induirait une attirance pour l’hédonisme. Cependant la force des liens, à l’exception du sexe, implique de manier ces résultats avec précaution puisqu’on oscille entre 1 à 10 % d’erreur.
Tableau 23. Liens significatifs avec l’orientation relative au plaisir.

Attitudes relatives au plaisir
390Les adultes ont ensuite été interrogés sur leurs attitudes relatives au plaisir. Ils devaient choisir et hiérarchiser deux possibilités parmi onze propositions. Cette question a fait l’objet d’un recodage puisque certaines des modalités étaient très faiblement représentées. Un calcul a permis de combiner les deux choix retenus par les enquêtés. Ils sont présentés de façon groupée et non en fonction des couples de préférences.
391Pour les tris croisés, les modalités ayant remporté le moins de suffrages ont été retirées et considérées comme système manquant. Elles correspondent à des réponses que l’on pourrait associer à l’ascétisme ou à l’esthétisation du plaisir ; cette dernière étant plus inscrite dans la réflexivité, elle a probablement été plus difficilement appréhendée par les enquêtés. Il s’agissait des modalités suivantes : « Le contrôle du plaisir est le plus grand plaisir. », « Le plaisir est à double tranchant. », « Le plaisir est un péché, surtout s’il conduit à la gourmandise. » pour ce qui se rapproche de l’ascétisme ; « Le raffinement de certains plaisirs c’est ce qui distingue l’homme de l’animal. », « La recherche du savoir compte plus que celle du plaisir. » pour le plaisir esthétique.
392Le premier constat est que les réponses des parents et celles des adultes de référence, bien que très différentes dans leurs structures, présentent des résultats assez identiques. Majoritairement, le plaisir est « essentiel à l’épanouissement » surtout chez les parents (25 %) et chez les adultes référents (21 %). Vient ensuite la notion de « plaisir sans remords » (18 % pour les parents et 21 % pour la population témoin) et de « plaisir partagé » avec 18 % de représentation dans les deux populations. Ces trois attitudes peuvent être rapprochées de formes d’hédonisme.
393Suivent ensuite les modalités « juste mesure » (15 % dans les deux populations), puis « bon usage » (12 % chez les parents et 14 % chez les adultes) correspondant en quelque sorte à la modération. Enfin, les enquêtés considèrent que le plaisir est la « satisfaction d’un besoin » (12 % pour les parents et 13 % pour les adultes).
394Si aucun lien n’a été observé chez les parents, on en retrouve deux forts chez les adultes de référence, en fonction du sexe97 et en fonction du positionnement social98, pour ne citer que ceux observés dans la première réponse donnée (les enquêtés devant en choisir deux, mais ces tendances sont vérifiées dans le second choix).
395Les femmes sont plus enclines que les hommes à mentionner la « juste mesure » (+8,9) tandis que les hommes sont plus attirés par « la satisfaction d’un besoin » (+8,6).
396Selon le positionnement social, le haut positionnement est sous-représenté dans la « juste mesure » (-5,6), le moyen positionnement dans la « satisfaction d’un besoin » (-8,6) et le faible positionnement social dans la modalité « essentiel à l’épanouissement » (-7,8). Le « plaisir partagé » est attractif pour le très haut positionnement (+4,2), la modalité « essentiel à l’épanouissement » très attractive pour le moyen positionnement et enfin la « satisfaction d’un besoin » pour le faible positionnement social (+6,5).
Fig. 52. Attitudes relatives au plaisir : combinaison des deux choix (en %).

Tableau 24. Attitudes relatives au plaisir : 1er et 2e choix (en %).

Plaisir et sociabilité
397La dimension commensale dans les formes du plaisir a déjà été soulignée à plusieurs reprises. La question suivante teste la prégnance d’une nouvelle composante en appréhendant les conditions du plaisir en termes de sociabilité. Les enquêtés ont été interrogés sur une échelle allant de 0 pour « seul » à 5 pour « en compagnie ». Les résultats penchent massivement en faveur de la compagnie : près de la moitié des échantillons des deux populations mentionnent le « 5 » (48 % pour les parents et 47 % pour la population de référence). Ils sont ensuite précédés pour le tiers de la population du chiffre « 4 » (34 % pour la population parentale et 32 % pour la population adulte). En additionnant les pourcentages des enquêtés répondant « 4 » ou « 5 » comme conditions du plaisir, on arrive à 82 % pour les parents et 79 % pour les adultes à considérer que pour avoir du plaisir, il faut être accompagné.
398Dans cette question, des liens significatifs très forts sont observés dans les deux populations au regard surtout des statuts familiaux et matrimoniaux, ceci impliquant que la composition du foyer et la vie maritale ont une incidence sur les manières de se représenter le plaisir. Un recodage a été effectué : de « 0 à 3 », les modalités renvoient à « faiblement à moyennement socialisé », « 4 » à « fortement socialisé » et « 5 » à « très fortement socialisé ».
Fig. 53. Échelle de mesure des conditions du plaisir (en %).

399Pour les parents, les situations familiale et matrimoniale sont très liées, ce qui peut avoir une incidence sur la perception de la dynamique sentimentale. La modalité « faiblement à moyennement socialisé » est surreprésentée chez les parents qui sont seuls avec 1 enfant (+6,4), seuls avec 2 enfants et plus (+10), qui sont séparés ou veufs (+16,4), ou pour lesquels la vie sentimentale s’est dégradée (+14,1), ce qui peut traduire des séparations. À l’inverse, les couples (-16,4) et les couples avec deux enfants et plus (-12,7) rejettent plus fortement cette modalité.
400On retrouve les mêmes liens chez les adultes témoins : la famille et/ ou le couple induisent un sursaut de sociabilité dans les représentations des conditions pour avoir du plaisir. Ainsi, les célibataires (+14,8), soit les personnes seules sans enfant, sont plus fortement attirés par la modalité « faiblement à moyennement socialisé » et rejettent le « très fortement socialisé » (-5,8). À l’inverse, les couples sans enfant (-3,7), les couples avec 2 enfants et plus (-7,7) et les couples (-13,3) rejettent la réponse « faiblement à moyennement socialisé » tandis qu’ils sont plus enclins à préférer le « très fortement socialisé » (+5,5 pour les couples avec deux enfants et plus et +7,3 pour les couples). Le très haut (-5,4) et le haut positionnement social (-2,8) rejettent le « faiblement à moyennement socialisé » au profit du « très fortement socialisé » pour le très haut positionnement (+2,4) tandis que le très faible positionnement est bien plus attiré par le « faiblement à moyennement socialisé » (+8,8). C’est le cas aussi des femmes (+7,2) et des personnes n’ayant aucun diplôme (+4,2).
Tableau 25. Échelle de sociabilité comme condition du plaisir selon les liens significatifs.

Plaisir et santé
401Dans la question suivante, il s’agissait d’amener les enquêtés à se positionner sur les liens entre le plaisir et la santé largement débattus (supra partie 1, chapitre 3). Les réponses sont identiques entre les deux populations malgré les différences des échantillons et elles sont univoques.
402Le secret d’une bonne santé est d’« éviter les excès alimentaires » pour 65 % des parents et 61 % des adultes de référence. En lien avec la santé, l’attitude tempérée, proche de la modération, est donc ici préconisée. Suit ensuite la réponse « pas de santé sans plaisir alimentaire » à 19 % chez les parents et à 21 % chez les adultes, pouvant renvoyer à l’hédonisme. Enfin, tout de même 12 % des parents et 13 % des adultes référents considèrent que la santé n’a rien à voir avec le plaisir. Les attitudes considérant que le plaisir est nuisible à la santé sont très faiblement représentées.
403Ces résultats montrent le statut particulier du plaisir alimentaire en France, et ce bien que le processus de nutritionnalisation croissant dans les sociétés contemporaines ait pu stigmatiser le rôle du plaisir sur les troubles du comportement alimentaire.
404Des liens ont toutefois été observés selon certaines caractéristiques sociales qui montrent des écarts.
405Pour les parents, le positionnement social a un lien très fort99. Les parents ayant un très haut positionnement sont attirés par la modalité « la santé n’a rien à voir avec le plaisir » (+10,8), tandis que le très faible positionnement est significativement attiré par la réponse « il n’y a pas de santé sans plaisir » (+8,5) et rejettent un peu l’item « éviter les excès » (-3).
406Pour les adultes de référence, le niveau d’étude va jouer100, l’évolution des ressources101, la classe d’âge102 et surtout le sexe103. Ainsi, les personnes n’ayant aucun diplôme rejettent la modalité « le plaisir est l’ennemi de la santé » (-12,6), les femmes sont significativement attirées par cette modalité (+17,9). La modalité « pas de santé sans plaisir » attire les hommes (+6,4), les personnes ayant un niveau supérieur au bac+5 (+3,3) et les personnes dont les ressources mensuelles nettes du foyer ont augmenté (+7,2). Enfin, les 56-70 ans sont plus enclins à citer « éviter les excès » (+3,1) et non « la santé n’a rien à voir avec le plaisir » (-8,8), à l’inverse des plus jeunes, âgés entre 18 et 25 ans (+4).
Fig. 54. Attitudes relatives au plaisir de manger et à la santé (en %).

Place du plaisir dans la vie quotidienne
407Pour finir, l’attitude des enquêtés à l’égard du plaisir dans la vie en général a été saisie pour décrire la place qu’il occupe dans notre société. Les parents ont été interrogés à deux reprises : une première, identique aux adultes de référence, et une seconde concernant leur attitude à l’encontre du plaisir de leurs enfants. Il s’agissait de mesurer d’éventuelles différences sous-tendues par un principe éducatif pouvant laisser s’exprimer un contrôle plus ou moins fort ou relâché selon les âges des enfants, les positionnements sociaux et les milieux d’origine.
408Comme tous les autres résultats d’attitudes, parents et adultes de référence ont des réponses proches. La tendance principale est celle consistant à ne pas hésiter dans la vie quotidienne à se faire plaisir quand on peut le faire (54 % des parents et 47 % des adultes référents) suivie de « pourquoi attendre pour se faire plaisir ? » (21 % des parents et 25 % des adultes représentatifs). Ces résultats indiquent plutôt une attitude hédoniste de la part des enquêtés : en additionnant les deux, on trouve 75 % pour les parents et 72 % pour les adultes. Suit à 15 % dans la population parentale puis à 12 % dans celle de référence une attitude plus modérée consistant à attendre une bonne occasion pour se faire plaisir.
409Par contre, l’attitude des parents concernant le plaisir pour leurs enfants est un peu plus encline à ne pas attendre une bonne occasion pour le faire (+10).
410Aucun lien statistique significatif chez les parents n’a été observé. On en observe deux chez les adultes de référence : selon le sexe104 et selon la catégorie socio-professionnelle105. Les hommes sont plus enclins que les femmes à mentionner « pourquoi attendre pour se faire plaisir ? » (+8,4) tandis que les femmes citeront plus volontiers la réponse « le plaisir n’est pas une priorité » (+11,6). Les ouvriers sont plus attirés que les autres catégories socioprofessionnelles par la modalité « ne pas hésiter quand on peut se faire plaisir » (+4,2) et repoussent surtout le fait d’attendre « une bonne occasion de le faire » (-8,9) tandis que les commerçants y sont plus enclins (+4,3).
Fig. 55. Et dans la vie, en règle générale, quelle attitude faut-il avoir concernant le plaisir (en %) ?

Fig. 56. Et dans la vie, en règle générale, pour vos enfants, quelle attitude faut-il avoir concernant le plaisir (en %) ?

411En conclusion, au niveau des attitudes et des opinions sur le plaisir, le constat porte sur les similitudes des réponses entre les parents et les adultes de la population de référence, tandis que la structure des échantillons diffère.
412Selon les questions, les échantillons oscillent entre attitude hédoniste ou modérée, rejetant davantage l’ascétisme, privilégient un plaisir socialisé, adoptent la modération ou l’hédonisme vis-à-vis des liens entre plaisir et santé et sont, enfin, enclins à se faire plaisir quand ils le peuvent. Ces tendances massives penchent en faveur de déterminants culturels.
413À notre grande stupéfaction, si les déterminants sociaux sont significatifs dans certaines questions, nous pensions que les liens seraient non seulement plus massifs mais qu’en plus il y en aurait davantage.
414Le sexe est un critère de différenciation stable. Par contre, au niveau des variables de positions sociales et de dynamiques sociales, les résultats sont à considérer avec davantage de prudence du fait de liens moins significatifs et moins systématiques. Logiquement, les déterminants sociaux sont apparus plus fortement dans des tris croisés resserrés autour de quelques résultats. Pour certaines questions, ces recodages généraux n’ont pas été présentés, préférant réduire la force des liens mais conserver les niveaux détaillés. Il semble néanmoins que se dégagent des liens en fonction des haut et bas positionnements sociaux : le haut étant plus attiré par la convivialité, la commensalité et la sociabilité dans les formes du plaisir tandis que le bas l’est dans la satisfaction d’un besoin et l’hédonisme.
Synthèse des résultats sur le plaisir
415Concernant les résultats non envisagés au préalable, la place des produits salés et celle du hors foyer comme inhérentes au plaisir retiennent notre attention, d’autant qu’elles vont à l’encontre de certains présupposés.
416Le faible impact des déterminants sociaux sur les dimensions du plaisir interroge fortement : deux pistes permettent d’interpréter ces résultats.
417La première piste consisterait à approfondir les analyses en dépassant le niveau des corrélations statistiques avec le test du Chi2 auquel nous avons procédé. Sans doute que des analyses multi-variées et des analyses factorielles permettraient d’affiner les résultats en termes de déterminants.
418La seconde, à l’instar de la proposition faite dans les résultats relatifs au modèle alimentaire en France, envisage que sur le plaisir, les déterminants culturels pèsent plus lourdement que les déterminants sociaux. Ainsi, un modèle de plaisir alimentaire fortement socialisé et gravitant autour de l’hédonisme et de la modération serait globalement assez bien partagé par l’ensemble de la population française. Ce résultat semble d’autant plus probant d’un point de vue interprétatif que les résultats entre les parents et les adultes de la population de référence sont quasiment identiques : ils s’inscrivent dans des tendances similaires. Pourtant, la structure des deux échantillons diffère considérablement. Cette correspondance entre les populations adultes n’étant pas attendue, elle renforce l’hypothèse des déterminants culturels.
419En termes d’attentes confortées, la dimension extrêmement socialisée du plaisir ainsi que l’existence d’un goût enfantin sont avérées.
420En effet, le plaisir, toutes populations confondues, est envisagé dans des dimensions de convivialité, d’être ensemble et de sociabilité. Selon les questions (fermées ou ouvertes), les réponses des enfants varient mais la notion de « bonne compagnie » est présente et le caractère « festif » ou l’association à des moments de repas renvoient à de la commensalité, voire de la convivialité. L’importance des sociabilités horizontales chez les enfants et les adolescents a aussi été révélée. Il résulte des analyses que la dimension commensale et conviviale du plaisir en France est avérée, communément partagée et transmise aux générations adolescentes et enfantines.
421Au niveau des produits et des aliments de plaisir, contrairement à ce qui a été observé dans l’alimentation, il existe non seulement des écarts entre les enfants les plus jeunes et les plus âgés d’entre eux, mais en plus les plus âgés se distinguent des adultes. En termes de socialisation au modèle alimentaire, nous avions montré que les jeunes âgés entre 16 et 17 ans tendaient à adopter, dans leurs normes comme dans leurs pratiques alimentaires, les mêmes tendances et choix que les adultes. Cette observation n’est pas vérifiée pour les produits de plaisir mais l’est pour sa contextualisation.
422Ainsi, il est envisageable d’affirmer l’existence d’un goût enfantin et également jeune en matière de plaisir distincts de celui des adultes (parents et population de référence).
423Au niveau de la socialisation des jeunes générations par les parents, on peut dire qu’il y a une représentation non fidèle des plaisirs alimentaires parentaux par leurs enfants.
424Dans la partie suivante, les comparaisons entre enfants et parents d’une part, et entre frères et sœurs d’autre part, devraient affiner ce résultat.
Styles éducatifs et pratiques alimentaires parentales et familiales
425Si l’analyse des relations entre les styles éducatifs parentaux et l’alimentation de l’enfant se développe de façon inédite ces dernières années, notamment outre-Atlantique, aucune recherche n’a permis pour le moment de conclure à un style éducatif déterminant dans l’alimentation des enfants. En même temps, la nature de la relation entre les styles éducatifs en général et les pratiques alimentaires n’est pas toujours très claire car sont croisées des données sur l’éducation générale des enfants (comprenant aussi les domaines scolaire, moral et se référant à l’hygiène) avec des données sur la consommation de certains produits. L’approche des styles éducatifs alimentaires (Hughes et al., 2005) semble pertinente dans le sens où elle circonscrit le domaine éducatif uniquement au champ de l’alimentation.
426Dans cette recherche, l’étude simultanée des styles éducatifs parentaux pour les modèles alimentaires et le plaisir de leurs enfants s’avère intéressante à plusieurs niveaux. Elle a pour ambition d’en analyser les liens selon des dimensions sociales et culturelles d’une part, et en faisant jouer le point de vue du parent sur le style éducatif qu’il déploie et le point de vue de l’enfant sur le style éducatif de son parent d’autre part.
427De plus, une réflexion sur les effets des pratiques alimentaires parentales et familiales sur l’alimentation et le plaisir des enfants et des adolescents est apportée en menant des comparaisons intergénérationnelles et intragénérationnelles dans chacune des unités familiales.
Les styles éducatifs
428Inspirée par la littérature existante sur les styles éducatifs, nous souhaitions inclure des questions permettant un traitement simple au sujet de définitions renvoyant aux trois styles éducatifs (supra partie 2) que sont les styles autoritaire, démocratique et permissif. Ils seront décrits d’un point de vue structurel au niveau des déterminants sociaux.
429Les différences de perceptions des styles éducatifs entre parents et enfants sont ensuite analysées au regard des âges puisque l’impact des styles éducatifs sur certaines représentations et pratiques alimentaires enfantines a été souligné en montrant que styles éducatifs et âges des enfants étaient liés : les parents étant plus permissifs pour leurs enfants les plus âgés.
430En matière de stratégies éducatives des familles (Montandon et Kellerhals, 1991), nous avons réfléchi à la possibilité de reconstruire – à partir de plusieurs variables – une seconde typologie de styles éducatifs selon un modèle interactionniste. Plus dynamique, elle ouvre la possibilité de s’intéresser aux rôles des enfants et leurs « prises » dans le processus éducatif tels qu’ils les perçoivent et tels que leurs parents les définissent. Cette typologie a été réalisée à partir d’un recodage en scores de plusieurs variables. Elle permet des comparaisons, par exemple sur la notion de répertoire et de goût enfantin au regard des styles éducatifs parentaux d’une part ou des manières dont les enfants perçoivent les rapports éducatifs d’autre part.
Positions structurelles et orientations éducatives
431À partir des définitions proposées, comment les parents se perçoivent-ils ?
Fig. 57. Styles éducatifs parentaux : perception des parents.

432Au niveau des perceptions parentales en matière de styles éducatifs, 51 % d’entre elles, soit plus de la moitié, sont situées dans la perspective « démocratique », c’est-à-dire que les parents estiment poser des limites claires à leurs enfants entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit, de même qu’ils respectent la place de l’enfant, sa position au sein de la famille, plus particulièrement dans les domaines le concernant. Ils imposent des règles en matière de consommations alimentaires et de modes de préhension ou de moments, mais ces règles sont expliquées aux enfants et sont ajustables et négociables.
433Sans pouvoir véritablement le justifier, il semble toutefois possible de considérer que le style « démocratique » dans le domaine de l’éducation parentale soit une valeur : il renvoie à des systèmes d’opinions et d’attitudes, assez largement partagés, qui promeuvent la coexistence de limites claires fournies à l’enfant, de repères éducatifs stables le guidant tout en lui assurant la possibilité de s’exprimer. Le plus souvent, dans le domaine de l’alimentation, l’expression des libertés enfantines augmente en ce qui concerne le choix des produits de petit-déjeuner ou de hors repas comme la collation matinale ou le goûter. En témoignent la place des produits de petit-déjeuner et des aliments de hors repas dans les linéaires des supermarchés ainsi que la publicité qui est destinée aux enfants sur ces registres de produits.
434On lui oppose le plus souvent le style éducatif « autocratique », représenté dans l’échantillon parental à hauteur de 20 % qui correspond à des attitudes parentales rigides et strictes en matière d’éducation : les règles sont fixes, décidées par les parents et non discutables. Elles doivent être scrupuleusement suivies par les enfants. Les vertus de ce style ont largement été débattues dans le domaine de l’éducation, entre les partisans de repères stables et imposés aux enfants et ceux défendant une conception plus flexible tout en dénonçant les risques de soumission/domination d’un tel système d’autorité.
435Les styles « autocratiques » et « démocratiques » ont été opposés dans certains travaux relatifs à l’alimentation enfantine. Plus les mères contrôlent les prises alimentaires de leurs filles, plus ces dernières rencontrent des difficultés à ajuster les quantités qu’elles consomment et sont en surpoids ; le contrôle fort doit être évité. L’idéal éducatif serait alors de ne pas risquer de déréguler les capacités d’ajustement calorique des enfants et des adolescents en contrôlant leur état de faim et de satiété (Birch et al., 2000 ; Rigal, 2002 ; Tounian, 2010).
436Le style « démocratique » devient la référence en matière d’éducation alimentaire, notamment lorsqu’y est associée une problématique de santé publique comme celle portant sur l’obésité infantile. Il s’oppose au style « autocratique » car le fort contrôle parental est condamné en raison de son interférence sur l’autonomie et l’auto-régulation enfantine dans le domaine des consommations.
437Enfin, un dernier style éducatif apparaît : il s’agit du style « laisser faire » à hauteur de 29 % de l’échantillon parental. Il consiste de la part des parents à ne pas contrôler l’enfant, tout en lui accordant une grande attention. L’enfant fait ce qu’il veut dans un contexte de grande tolérance ; tout est négociable et matière à discussion. Le niveau d’exigence posé à l’enfant est faible. Dans le contexte d’obésité infantile, ce style « laisser faire » est souvent dénoncé comme symptomatique du déclin de l’autorité parentale (supra partie 1, chapitre 2) car il se traduirait par une trop grande liberté accordée aux enfants dans ce qu’ils mangent.
438Les différences de positionnements des parents dans ces styles vont-elles éclairer ces éléments ?
439Les relations mécanistes entre positions structurelles et orientations éducatives montrent des liens avec certaines composantes sociales : ils ne sont pas nombreux et sont relativement faibles exceptés ceux liés à l’âge du parent.
440Pour le style « démocratique », le plus largement représenté au sein de la population, les liens significatifs sont surtout posés en négatif : en somme les caractéristiques que l’on a le moins de chance de retrouver dans ce profil. Sont concernés les ouvriers (-3,5), les personnes n’ayant aucun diplôme (-3) ou un CAP/BEP (-3), soit faiblement diplômées (-7,3), celles qui ont un faible positionnement social (-5) et enfin celles âgées entre 26 et 35 ans (-14,1). Cela s’explique sans doute par le fait qu’elles ont des enfants assez jeunes (et nous avons déjà montré que les styles éducatifs étaient liés à l’âge des enfants).
441Le style « autocratique » est celui suscitant le plus d’écarts à la moyenne selon les variables sociales : il est surreprésenté chez les pères (+5), les ouvriers (+5), les employés (+5), les personnes n’ayant aucun diplôme (+3,5), celles faiblement diplômées (+4,3) et celles ayant un faible (+5) et très faible (+3,5) positionnement social. Par contre, les cadres supérieurs (-4,5), les cadres moyens (-6), les personnes diplômées (-7,8) sont plus enclines à le rejeter. Enfin, l’âge des parents joue sur ce style avec une attirance des 26-35 ans (+15,2) et une répulsion des 46-55 ans (-6,1), mais cela est sans doute lié à l’âge de leurs enfants : plus de contrôle chez les plus jeunes d’entre eux.
442Enfin, le dernier style, le « laisser faire », attire les pères (+5), les personnes ayant un CAP/BEP (+4) et celles ayant un faible positionnement social (+5) alors que celles ayant un bac+3 à bac+5 (-5) ainsi que celles qui sont situées dans un haut positionnement social (-4) le rejettent.
Tableau 26. Liens significatifs avec le style éducatif parental.
Valeur du Chi2 | Signification asymptotique | Force du lien | |
Sexe | 6,791 | 0,079 | + |
Niveau d’étude | 12,709 | 0,013 | ++ |
Catégorie socio-professionnelle | 20,767 | 0,054 | + |
Positionnement social | 15,711 | 0,073 | + |
Classes d’âge | 16,632 | 0,002 | +++ |
443En conclusion, les écarts jouent surtout auprès des populations masculines faiblement diplômées et situées en bas de l’échelle sociale qui vont rejeter le modèle « démocratique » au profit des deux autres.
444Si on suppose que l’âge des parents est plutôt cohérent avec celui de leurs enfants, alors il peut y avoir une incidence sur l’adoption des styles éducatifs : plus l’enfant est jeune, plus le parent le contrôle et s’inscrit dans une posture « autocratique ».
445Cette dimension semble essentielle à creuser ; le modèle interactionniste des styles éducatifs peut fournir des pistes intéressantes.
Le modèle interactionniste des styles éducatifs : pertinence et limite
446La dimension de l’âge des enfants apparaît essentielle dans l’explication des styles éducatifs en termes de contrôle ou de relâchement éducatif parental. À la suite de réflexions en matière de stratégies éducatives, de milieux sociaux et de types de famille, nous avons tenté d’articuler divers rôles éducatifs à partir des notions de régulation, de discipline et de stabilité ainsi que de communication entre parents et enfants, de partage d’activités (dans les deux acceptions : activités séparées ou communes) et de contrôle et/ou soutien parentaux en lien avec l’autonomie des enfants.
447Le recodage est basé sur des questions fermées portant sur la perception du style éducatif parental, le rapport aux règles en termes d’acceptation, de refus, de négociation ou de transformation par les enfants ainsi que l’opinion sur l’autorité parentale par les enfants d’une part106, la répartition des tâches domestiques et parentales, la communication sur différents domaines concernant l’alimentation et enfin qui décide du choix des menus à table d’autre part107. Chaque modalité de réponse a été scorée : plus le contrôle parental est relâché, et plus l’enfant agit librement, plus le score attribué à chaque question est important et inversement, moins le contrôle parental est relâché et moins l’enfant agit librement, moins le score est fort. La répartition des tâches parentales ainsi que la communication sur les différents domaines qui concernent l’alimentation ont été scorées de telle sorte à faire émerger la distinction entre le modèle « maternaliste » et le modèle « statutaire » car le contrôle parental y est tout aussi important. En additionnant ensuite les différents scores, nous sommes parvenus à déterminer trois types de styles éducatifs intégrant l’activité enfantine : le modèle « statutaire », le modèle « contractualiste » et le modèle « maternaliste », ainsi que les définissent Kellerhals et Montandon (1991).
448Le modèle « statutaire » renvoie à une autorité coercitive et une distance forte entre l’enfant et son parent ; proche du modèle autocratique, les règles sont claires et non négociables. L’enfant et le parent ne partagent pas énormément autour de l’alimentation.
449Le modèle « maternaliste » est symbolisé également par une autorité coercitive, le plus souvent de la mère à l’enfant, où la communication est très forte. Les règles ou les décisions sont expliquées à l’enfant même si ce dernier n’a pas de prise sur ces dernières.
450Enfin, le modèle « contractualiste » repose sur une forte autonomie de l’enfant ainsi que sur une négociation entre enfant et parent des règles et décisions encadrant l’alimentation.
451Ces styles éducatifs interactionnistes sont sans doute le reflet des positions sociales des parents, mais il n’est pas impossible que l’âge des enfants et des adolescents joue un rôle important dans ces formes d’éducation plus négociatrices et fondées sur l’autonomie.
452Le style dominant dans l’échantillon parental est de type « maternaliste » à hauteur de 53,2 %, soit plus de la moitié de la population, suivi dans des proportions assez proches du style « statutaire » (25,6 %) et « contractualiste » (21 %).
453Cette typologie est intéressante à mettre en perspective par rapport à la première, basée sur une variable simple, pour laquelle le style « démocratique » était dominant. En effet, lorsqu’il s’agit de prendre en considération le partage d’activités domestiques liées à l’alimentation, l’organisation des menus, le choix des produits ou le rapport à la règle, les réponses des parents semblent indiquer un transfert du style « démocratique », comme valeur, à des comportements pour lesquels l’enfant a peu de prise sur eux dans le style « maternaliste », soit un style plus coercitif.
454En effet, les parents, en l’occurrence dans cet échantillon, plutôt les mères, gèrent l’ensemble de l’alimentation familiale dans ses modes d’acquisition, d’organisation et de gestion au sein du foyer108. Selon nous, ce transfert d’une valeur « démocratique » à une dynamique « maternaliste » s’explique du fait de l’inégalité dans le partage des rôles liés à l’alimentation dans le domaine domestique et parental.
Tableaux 27a et b. Comparaison entre les deux variables (simple et composée) de styles éducatifs parentaux.
Styles éducatifs : variable simple. | % |
Autocratiques, autoritaire | 20 |
Démocratiques | 50 |
Laisser faire, permissif | 28 |
Styles éducatifs : variables combinées. | % |
Statutaire | 25,6 |
Contractualiste | 21 |
Maternaliste | 53,2 |
455Les tableaux présentés ci-après décrivent la répartition au sein des foyers des tâches domestiques et parentales dans le domaine de l’alimentation : dans les deux cas de figure, ces tâches incombent prioritairement à l’enquêté (sachant que l’échantillon est composé de femmes à plus de 84 %), 55,2 et 51 % des enquêtés s’occupent respectivement des tâches domestiques et parentales. Dans les tâches domestiques, les enfants arrivent en deuxième position (11,7 %), les parents [enquêtés + conjoint(e)] en troisième (11,7 %), ensuite viennent la famille dans sa globalité (10,3 %), le conjoint (7,9 %), puis une autre personne. Pour les tâches parentales, après les enquêtés, les parents arrivent en deuxième position (26,3 %), puis les enfants (15,1 %), le conjoint (5,4 %), la famille (1,7 %) et une autre personne (0,2 %).
Tableau 28. La répartition des tâches domestiques dans le domaine de l’alimentation.

Tableau 29. La répartition des tâches parentales dans le domaine de l’alimentation.

456Au niveau des liens significatifs avec des variables sociales, les variables de dynamiques sociales sont les plus statistiquement liées aux styles éducatifs.
457Les personnes ayant un bas niveau de ressources (+19,6), celles dont les ressources ont diminué (+8,9), celles dont la situation financière depuis 5 ans est moins bonne (+7,2), celles déclarant une dégradation de la vie sentimentale (+10,9) et enfin celles ayant une famille composée de 4 enfants ou plus (+16,8) sont plus enclines à être représentées dans le style « maternaliste ». Il n’y a pas de liens négatifs, c’est-à-dire de répulsions significatives, d’une catégorie sociale particulière.
458Au niveau du style « statutaire », les personnes ayant un haut niveau de ressources (+10,5), celles fortement diplômées (+5,4), celles n’ayant pas rencontré de changement dans l’évolution de leurs ressources (+4,4), celles dont la situation financière est identique depuis 5 ans (+5,9) et celles dont la vie sentimentale reste inchangée (+4,8) sont plus enclines à y être représentées. À l’inverse, les personnes ayant un bas niveau de ressources (-16,1), celles faiblement diplômées (-6,4), celles dont les ressources ont baissé (-9), celles dont la situation financière depuis 5 ans s’est dégradée (-7,2) et celles dont la vie sentimentale s’est dégradée (-13,5) sont sous-représentées dans le modèle « statutaire ».
459Pour le dernier style, de type « contractualiste », les personnes dont les ressources sont en hausse (+5,4) et celles dont la situation financière depuis 5 ans est meilleure (+5,3) sont plus représentées ici que les autres.
460Enfin, la classe d’âge est liée au style éducatif puisque les parents âgés entre 26 et 35 ans sont sous-représentés chez les « contractualistes » (-8,8), à l’inverse des 46 à 55 ans (+6,6) rejetant le modèle « statutaire » (-5,5).
461Pour conclure sur cette typologie interactionniste, celle-ci mériterait sans doute un approfondissement car le mode de construction en score peut être discuté. Néanmoins, le poids du modèle « maternaliste » qui, à l’instar du modèle « statutaire », s’appuie sur des rôles féminins et masculins très différenciés, montre finalement la place et l’importance des mères dans le contrôle de l’alimentation de l’enfant et plus largement de la famille en lien avec une proximité recherchée avec les membres du foyer et notamment les enfants.
Tableau 30. Signification des liens avec le style éducatif (variable combinée).
Valeur du Chi2 | Signification | Force du lien | |
Niveau d’étude | 7,942 | 0,094 | + |
Ressources mensuelles | 22,126 | 0,000 | +++ |
Situation familiale | 13,321 | 0,038 | ++ |
Dynamique financière | 14,215 | 0,007 | +++ |
Dynamique sentimentale | 20,848 | 0,000 | +++ |
Évolution des ressources mensuelles du foyer | 14,807 | 0,005 | +++ |
Classes d’âge | 9,428 | 0,051 | + |
462Il existe un processus d’influence parentale identifiable par les stratégies (contenus, règles et formes de la transmission) et par la division du travail qu’il implique (rôles, statuts).
463Qu’en est-il des modalités de la perception enfantine et jeune sur les styles éducatifs parentaux ? L’implication de la variable classes d’âge modifie-t-elle les niveaux de perceptions ?
Différences de perception des styles éducatifs entre parents et enfants
464Des différences de perception existent entre parents et enfants mais, au niveau de la variable simple, elles ne sont pas massives. Les enfants et les adolescents perçoivent leurs parents comme étant moins « démocratiques » et « permissifs », et plus « autoritaires ».
465La différence semble plus nette dans la seconde typologie mêlant les relations parents/enfants. En effet, ces derniers soulignent une coercition moindre résultant probablement de leur sentiment de prises dans l’alimentation ainsi que de leurs activités dans les domaines la concernant. Dans les perceptions enfantines et adolescentes, les parents sont nettement moins « statutaires » et encore moins « maternalistes » puisque plus de 61 % des enfants s’inscrivent dans un modèle de type « contractualiste ». Néanmoins, ce résultat ne peut être envisagé que dans l’absence, auprès de la population enfantine, des questions relatives à la répartition des tâches domestiques et parentales. Celles-ci étant pour près de la moitié réalisées par le parent, le modèle « maternaliste » est sans aucun doute plus fortement représenté dans l’échantillon parental.
Tableau 31. Comparaison entre parents et enfants dans les styles éducatifs.

466Indépendamment de ces éléments, la variable classes d’âge enregistre des liens très forts dans l’adoption des styles éducatifs parentaux. Des liens significatifs ont été observés. Plus l’enfant est jeune, plus il y a une attirance envers les styles « autocratique », « statutaire » ou « maternaliste » ; plus l’enfant est âgé, plus il y a une attraction vers les styles « laisser faire » et « contractualiste » ; inversement pour ces deux âges dans la sous-représentation des styles.
467Des valeurs du Chi2 fortes chez les populations enfantines109 montrent que le style éducatif dépend de la tension éducative en termes de contrôle ou de relâchement parental notamment dans le processus d’autonomisation.
468En effet, les jeunes âgés entre 16 et 18 ans sont nettement plus enclins à mentionner le style « contractualiste » (+14,7) et « laisser faire » (+16,7) que les plus jeunes. Les parents confirment cette tendance (+10,3 pour le style « contractualiste » ; +6,4 pour le style « laisser faire ») chez les 16-18 ans. Pour les 7-11 ans, ils sont plus attirés par la réponse « autocratique » (+11,5) ou « démocratique » (+5,5) et « statutaire » (+6,3) ou « maternaliste » (+9,4) et rejettent significativement le modèle « laisser faire » (-12,2) et « contractualiste » (-15,8). Leurs parents abondent dans le même sens avec une attirance pour le modèle « autocratique » (+8,2) et « statutaire » (+7) et un rejet du style « laisser faire » (-5,7) et « contractualiste » (-10,1) pour leurs enfants les plus jeunes. Les enfants de 7 à 11 ans montrent des surreprésentations du modèle « maternaliste » et « démocratique », ce qui n’est pas le cas chez les parents. Enfin, si les écarts observés dans les perceptions parentales jouent entre les enfants les plus jeunes et les plus âgés, au niveau des populations enfantines, les 12-15 ans surreprésentent le modèle « laisser faire » (+6) et « contracturaliste » (+6) au détriment des types « autocratiques » (-3) et « statutaire » (-3,1).
Fig. 58a et b. Différences de perceptions entre parents et enfants sur les styles éducatifs selon les âges (en %).

Fig. 59a et b. Différences de perceptions entre parents et enfants sur les styles éducatifs : variables combinées avec activités et communications avec les enfants selon les âges (en %).

469Ce résultat traduit, sur le plan théorique, une double pertinence de l’analyse de la socialisation alimentaire enfantine en fonction des styles éducatifs parentaux : d’une part, la tension éducative n’est pas la même selon qu’on a à éduquer de jeunes enfants ou des adolescents ; d’autre part, l’approche structurelle des styles éducatifs parentaux en fonction de déterminants sociaux et culturels est de ce fait minimisée par la perspective interactionniste intégrant une différenciation dans les formes éducatives selon les rôles parentaux, fortement orientés par la répartition des tâches et des rôles au sein des foyers et selon les âges de l’enfance et de l’adolescence.
Une double perspective intergénérationnelle et intragénérationnelle
470Pour mesurer les effets des pratiques parentales et familiales sur l’alimentation et le plaisir des enfants, nous nous appuyons sur les comparaisons possibles au sein des unités familiales du corpus d’enquêtés. L’analyse comparative peut être faite de façon intergénérationnelle (les résultats des enfants sont comparés avec ceux de leurs parents) ou de manière intragénérationnelle (parmi les 374 fratries constituant le corpus, les résultats de chaque enfant sont comparés à ceux de son frère ou de sa sœur). L’analyse repose sur l’hypothèse suivante : les ressemblances dans les réponses seraient des indicateurs de la socialisation.
471Au travers de cette comparaison, il est possible d’interroger la notion de « paradoxe des familles » dans le cadre des préférences alimentaires au regard de l’alimentation et du plaisir en termes de structures, de produits ou de contextes. À partir de la littérature existante, on sait que la reproduction a priori peu fidèle des préférences alimentaires parentales par les enfants suggère que ces derniers ne dirigent pas leurs choix en fonction des apprentissages parentaux (Rozin, 1991). De plus, les ressemblances ne sont pas significativement plus fortes entre parents et enfants de même sexe ; par contre, elles seraient plus marquées au sein des fratries, du fait à la fois de mimétisme entre aîné et cadet ainsi que d’effets d’âge et de génération dans la constitution des répertoires alimentaires (Birch, 1980 ; Pliner et Pelchat, 1986).
Au niveau des structures de repas et des produits de plaisir
472Les analyses comparatives suivantes portent sur les structures de repas dont on sait que les pratiques et les normes alimentaires montrent de grandes disparités au niveau des échantillons totaux et au niveau des individus entre les normes et les pratiques.
473Concernant les comparaisons inter et intragénérationnelles relatives aux structures du petit-déjeuner, le premier constat est que les situations de décalage sont en proportion plus importantes que les cohérences toutes comparaisons confondues. Les décalages sont moins forts entre frères et sœurs qu’entre enfants et parents. Des formes cohérentes apparaissent pour le petit-déjeuner classique de type « continental classique 1 » dans les deux populations, mais elles sont plus grandes dans les normes que dans les pratiques. Entre frères et sœurs, une légère cohérence est observée dans la pratique du petit-déjeuner « continental classique 2 ». Enfin, des cohérences sont visibles chez les enfants pour la formule « continental modernisé », dans les normes comme dans les pratiques qu’on retrouve entre parents et enfants au niveau de la pratique puisqu’il y a une consommation de céréales significative chez les parents.
Tableau 32. Comparaisons inter et intragénérationnelles sur les structures de petit-déjeuner (en %).

474Au niveau des comparaisons entre enfants et parents pour les structures des déjeuners et dîners, les situations de décalages entre une structure simplifiée chez les parents et une structure complète chez les enfants s’observent dans la norme comme dans la pratique de façon à peu près équivalente aux situations de cohérence, complètes (dans la norme) ou simplifiées (dans les pratiques).
475On peut faire l’hypothèse que les familles cohérentes complètes dans la norme se retrouvent cohérentes simplifiées dans la pratique car les proportions sont à peu près équivalentes.
Tableau 33. Comparaisons intergénérationnelles sur les structures de déjeuner et de dîner (en %).

476Par contre, chez les enfants, les structures de déjeuner et dîner sont plus cohérentes entre frères et sœurs qu’entre enfants et parents, et la cohérence dans la fratrie est plus forte dans la norme. Ces formes opèrent surtout dans les structures de repas complets. Une cohérence est retrouvée dans les pratiques de repas au niveau des structures simplifiées. Comme pour les comparaisons intergénérationnelles, on peut se demander si un report ne s’effectue pas de la norme complète à un mélange entre pratique complète et pratique simplifiée.
Tableau 34. Comparaisons intragénérationnelles sur les structures de déjeuner et de dîner (en %).

477Au niveau des structures de repas, on observe à la fois des tendances identiques d’un point de vue comparatif entre le passage d’une norme de repas complet à une pratique simplifiée ; cependant, on se rend compte que les enfants, entre eux au sein de la fratrie, sont plus cohérents qu’avec leurs parents : cela se joue principalement dans le décalage entre structure complète chez les enfants et structure simplifiée chez les parents.
478Pour les produits et aliments associés au plaisir ou remémorés, les tendances sont-elles identiques ?
479Les comparaisons ont été effectuées à partir d’un recodage des produits en 15 grandes catégories, afin que les analyses soient les plus fines possibles, plutôt que de comparer avec les quatre catégories qui auraient montré des liens avec la catégorie « produit salé ». Le constat est univoque, les situations de décalages sont les plus fortes toutes populations confondues, que cela soit au niveau des associations spontanées sur les produits et les aliments ou sur les produits de plaisir remémorés. Cependant, les situations de cohérences sont plus fortes entre frères et sœurs qu’entre enfants et parents. Ce résultat est un indicateur penchant en faveur du « goût enfantin ».
Tableau 35. Comparaisons inter et intragénérationnelles sur les produits de plaisir (en %).

Au niveau du contexte social, des moments et des lieux
480L’hypothèse est que sur ces niveaux, les situations de cohérence seraient sans doute en proportions plus importantes qu’au niveau des structures des repas ou des produits de plaisir du fait de la forte homogénéité sociale entre les populations précédemment observées.
481Pour les lieux des repas, à l’exception de celui du déjeuner pour les parents et leurs enfants, les situations sont très cohérentes. Nous avions en effet remarqué que pour le déjeuner, les parents étaient plus enclins à consommer à la maison ou dans un restaurant que les enfants et les adolescents qui prenaient leurs repas dans des proportions fortes à la cantine. C’est pourquoi le décalage entre frères et sœurs pour le lieu du déjeuner est moindre.
482Pour le contexte social des repas, des cohérences massives sont enregistrées pour le dîner, ce qui semble logique au regard de sa dimension extrêmement socialisée dans le cadre du domicile familial. Au cours du déjeuner, les décalages opèrent davantage entre parents et enfants du fait d’un contexte solitaire plus grand chez les parents que chez leurs enfants. Enfin, le petit-déjeuner, bien moins socialisé que les autres repas, est celui qui enregistre les écarts les plus importants entre parents et enfants.
483Globalement, on voit apparaître plus de dissonances au sein des familles pour le contexte du déjeuner mais les écarts sont moins grands au sein des fratries.
Tableau 36. Comparaisons inter et intragénérationnelles sur la contextualisation de l’alimentation (en %).

484Les comparaisons réalisées au niveau des contextes du plaisir montrent qu’à la différence des contextes de repas, plus homogènes, les disparités entre parents et enfants et entre enfants au sein des fratries sont considérables, bien que les comparaisons intragénérationnelles témoignent de proportions cohérentes plus importantes.
485Si l’on revient sur la question de la commensalité alimentaire, on sait que celle-ci implique une organisation pour synchroniser les emplois du temps et harmoniser les lieux pour permettre aux mangeurs de consommer ensemble. Cette gestion est plus importante lorsque les sociabilités à table résultent de la convivialité entre proches : le rassemblement à table nécessite une organisation au sein de la famille ainsi qu’au sein de chaque institution.
486Compte tenu des résultats, il semble que l’association du plaisir avec la convivialité, voire avec la commensalité, en termes d’implication organisationnelle doit être nuancée : les préférences alimentaires ainsi que la hiérarchisation des préférences contextuelles s’expriment dans une dimension plus individuelle.
487En outre, au niveau du contexte social, elles laissent davantage de place aussi à la dimension solitaire.
Tableau 37. Comparaisons inter et intragénérationnelles sur la contextualisation du plaisir (en %).

488En conclusion, le paradoxe des familles (Rozin, 1991) analysé dans le domaine des préférences alimentaires peut être complété par les analyses comparatives intergénérationnelles et intragénérationnelles au sein de chaque unité familiale.
489Les décalages étant plus forts entre parents et enfants qu’entre frères et sœurs, nous proposons plutôt de parler de « paradoxe vertical des familles » et d’une « cohérence horizontale des familles » pour évoquer ces disparités.
490Les réponses les plus cohérentes entre les individus d’une même famille renvoient aux éléments précédemment analysés en termes de déterminants culturels car ils sont fortement homogènes au niveau des populations de cette enquête.
491L’analyse en termes d’homogénéité et d’hétérogénéité et d’écarts entre les réponses reste un indicateur insuffisant dans l’analyse des processus de socialisation, mais il en documente néanmoins certains aspects en montrant par exemple des proportions cohérentes plus fortes entre frères et sœurs renvoyant à des effets d’âge et de génération.
492En ce sens, les interprétations en termes de modèles alimentaires et de modèles de plaisirs enfantins et adolescents, distincts des modèles adultes, se vérifient.
493Enfin, les résultats indiquent aussi des disparités plus massives au sein des familles dans le domaine du plaisir que dans celui de l’alimentation ce qui invite à revenir en conclusion de cette étude quantitative sur les liens entre modèles alimentaires et plaisir.
494Sans revenir dans le détail sur l’ensemble des résultats analysés, nous aimerions réfléchir à la question qui était posée au départ : celle d’un éventuel effet protecteur du modèle alimentaire français en raison de la place qu’y occupe le plaisir commensal contre certains effets de la modernité.
495La commensalité semble être l’une des voies d’explication privilégiée d’une prévalence basse des taux d’obésité enregistrés en France comparativement à des pays de niveau de développement équivalent. Elle apparaît comme étant le sésame permettant de lutter contre les risques d’érosion des modèles alimentaires et de phénomènes d’anomies et de ce fait de ruptures des allant de soi. Elle garantit a priori les liens sociaux et réduit l’individualisme des sociétés contemporaines. En outre, elle permet, semble-t-il aussi, de réguler, voire de contrôler les comportements alimentaires individuels.
496Nous avons à plusieurs endroits interrogé la manière dont se problématise cette question de la commensalité au regard de ses effets protecteurs et de ses conséquences sur la socialisation (en termes de stabilité et de cohérence des modèles proposés aux enfants et aux adolescents).
497Cependant, notre position prend quelque distance avec le discours médiatique sur le « pouvoir » protecteur du manger ensemble et du plaisir partagé en France, même s’il est possible que le « french paradox » ait opéré et continue d’opérer positivement sur les comportements alimentaires et leurs modalités de transmission.
498Si nous ne nions pas l’importance et le maintien massif de la dimension commensale, aussi bien dans les repas que dans les formes de plaisir et du rôle du plaisir dans l’alimentation, les résultats invitent à rester attentifs aux autres conséquences de la modernité sur les comportements et représentations alimentaires notamment des jeunes générations.
499Nous avons montré que si le modèle « traditionnel commensal » se maintient et se transmet fortement, des mutations sont tout de même à l’œuvre dans les compositions et les structures des repas ainsi que dans les formes de journées alimentaires. Pour résumer, on peut manger ensemble mais ne pas manger la même chose, et cela est plus vrai pour le petit-déjeuner et les prises en dehors des repas principaux. C’est ce que nous avons désigné autour des spécificités des modèles alimentaires enfantins et adolescents notamment au regard de leurs répertoires et préférences alimentaires.
500Pour le plaisir, nous avons identifié une importance considérable de la dimension de partage et de convivialité, mais celle-ci s’accompagne aussi d’une dimension individuelle plus probante que dans les modèles alimentaires. On peut donc prendre du plaisir à être ensemble tout en mangeant, et choisir de manger de façon plus personnelle.
501Quant aux styles éducatifs, dimensions de contrôle parental et tensions éducatives, ils opèrent principalement en fonction de l’âge des enfants ; un relâchement parental dans les modalités du contrôle est repéré auprès des jeunes les plus âgés. Si le contrôle parental est plus fort au niveau des dimensions de la commensalité (horaires, durées, lieux, etc.), il s’explique peut-être par un effet d’organisation domestique et parental. Enfin, un relâchement du contrôle parental est plus fort au moment des petits-déjeuners et des prises en dehors des repas ainsi que pour le plaisir, ce qui peut s’expliquer comme étant une liberté consentie par les parents à leurs enfants pour les domaines les concernant ou semblant plus personnels.
502Enfin, nous nous sommes intéressés à la dimension des déterminants culturels et sociaux pour expliquer l’homogénéité ou la différenciation dans les comportements, les attitudes, les systèmes de valeurs, les normes et les représentations. Les analyses ont fait apparaître une forte homogénéité de certaines dimensions pouvant s’expliquer en raison de déterminants culturels.
503Nous avons ainsi présenté une réflexion sur les effets de ces déterminants sur la socialisation enfantine et jeune, plus particulièrement au niveau de la facilitation qu’une telle homogénéité garantit dans l’incorporation et l’appropriation de schèmes de pensée ou de comportements cohérents. À l’inverse, la dissonance et les phénomènes de dissonances cognitives réinterrogent la question de la socialisation et de la stabilité des contenus de la socialisation.
504De plus, les différences observées entre les populations et au sein des unités familiales sont surtout significativement liées à l’âge des enfants plus qu’aux autres composantes sociales. Ces résultats ont permis de réfléchir de façon transversale à l’existence de modèles alimentaires et de formes du plaisir alimentaire enfantins et adolescents.
505En ce sens, les modèles alimentaires semblent moins perméables que le plaisir à la composante individuelle car ils sont fortement impliqués dans la construction et l’entretien des identités sociales et culturelles. Les contextes des modèles alimentaires sont probablement moins perméables à la dimension individuelle que ceux du plaisir alimentaire car leurs dimensions commensales favorisent le maintien des liens et des identités sociales ainsi que culturelles et, dans le processus de socialisation, de la transmission. En outre, ils correspondent à des « impensés organisationnels » sur le plan des tâches domestiques et parentales liées à l’alimentation.
506Pour finir, si l’enquête quantitative laisse de nombreux points aveugles dans les analyses de la place du plaisir dans les processus de socialisation des enfants et des adolescents, quatre pistes intéressantes semblent se profiler sur lesquelles nous réfléchissons à partir de l’analyse qualitative : la question des répertoires alimentaires enfantins et adolescents ; celle des modalités du contrôle parental et des tensions éducatives sur l’alimentation et le plaisir des enfants ; celle de l’homogénéité ou de la dissonance des contenus de la socialisation dans la facilitation de l’appropriation et de l’incorporation des jeunes générations versus la dissonance (car cela interroge les notions d’allant de soi et de réflexivité) ; enfin, celle de la dimension plus individuelle ou personnelle des préférences et des plaisirs alimentaires.
507L’analyse qualitative qui suit permettra, avec des échelles d’observation mésosociologiques et microsociologiques, d’aborder les niveaux des interactions, des relations tant verticales qu’horizontales et les niveaux individuels du plaisir dans la socialisation alimentaire.
Notes de bas de page
1 Le terme de « commensal » est privilégié à celui de « convivial » dans le sens où le second implique une qualité des échanges que ne permet pas de mesurer cette enquête par questionnaire.
2 « Enfants et adolescents », « parents » et « population de référence » que l’on nomme aussi pour simplifier respectivement « enfants », « parents » et « adultes » (au sens d’adultes représentatifs).
3 Dans l’étude du fait alimentaire, il est possible d’appréhender des résultats portant sur les représentations comme sur les pratiques déclarées et les pratiques reconstruites. Pour une description du protocole de recherche, supra partie 2. Pour une description générale, voir Poulain, 2001.
4 La nature des variables ainsi que leur mode de recueil et d’analyse sont expliqués dans la partie 2.
5 Une autre interprétation aurait pu être fournie au niveau de la diversification des céréales de petit-déjeuner lié à l’enrichissement d’une gamme de céréales comme celles issues de l’agriculture biologique pouvant séduire plus de consommateurs. Mais des résultats identiques auraient alors été observés dans la population de référence.
6 P signifie la valeur du Chi2 de Pearson, SA est la signification asymptotique, soit la force du lien, RS est le résidu standardisé (il doit être supérieur à 1,7), et ET est l’effectif théorique (il doit être supérieur à 5).
7 La norme sociale des prises alimentaires est définie dans la partie méthodologie (supra partie 2).
8 Dans le traitement des bases de données sur SPSS, nous avons procédé à des manipulations des variables permettant de trier plusieurs variables, par « wagons », en fonction de la dénomination des prises faites par les enquêtés. Lorsqu’une série de variables (dénomination, composition, durée, horaire, position, lieu ou encore contexte social) avait un dénominateur commun comme « petit-déjeuner », « déjeuner », etc., toutes les variables, à partir de la manipulation effectuée, suivaient et s’ordonnaient. Par exemple, pour l’enquêté 1, sa journée de la veille est composée de la façon suivante : 1re prise (petit-déjeuner), 2e prise (encas), 3e prise (déjeuner), 4e prise (dîner) tandis que l’enquêté 2 aura : 1re prise (petit-déjeuner), 2e prise (déjeuner), 3e prise (goûter), 4e prise (dîner), etc. Nous avons procédé ainsi pour 1002 enfants, 624 parents et 902 adultes de référence. Il fallait ordonner les prises avec chacune des variables lui étant associée (composition, durée, horaire, lieu) en les faisant passer des numéros de prises (1re, 2e, 3e, etc.) à des types de repas ou de hors repas pour chaque enquêté (petit-déjeuner, déjeuner, etc.), et ceci dans chacune des trois bases. Ces traitements ont été possibles pour notre protocole à partir d’une formule mathématique élaborée par Frédéric Rodriguez, statisticien à l’UTM. Cependant, cette dernière ne fonctionnait pas pour les prises en dehors des repas puisque les enquêtés pouvaient en déclarer plusieurs au cours de la journée à l’exception du goûter souvent désigné. Les bases étant extrêmement lourdes à traiter, il aurait fallu effectuer un traitement manuel évalué à plusieurs mois de travail. Nous avons donc, pour les prises alimentaires en dehors des repas, décidé de les traiter par pourcentages des prises et non par pourcentages de répondants. Ces données donnent des indications intéressantes, bien qu’elles ne permettent pas de faire d’analyses comparatives rigoureuses entre les déclarations et les pratiques réellement mises en œuvre.
9 http://www.education.gouv.fr/cid1103/prevention-du-surpoids-et-de-l-obesite.html. Consultation en février 2010.
10 Comme observé dans l’une des écoles sélectionnée pour faire le terrain qualitatif.
11 Par % de prises.
12 Ici, la socialisation est prise dans le sens de lien social par opposition à l’absence inhérente à la solitude dans l’acte de manger.
13 Dans les baromètres santé nutrition depuis 2002, la convivialité est définie à partir de 3 conditions : 1/ la présence d’autres convives (commensalité) ; 2/ un temps suffisant ; 3/ la disponibilité intellectuelle des convives pour échanger. Cette troisième dimension est définie en termes d’absence d’activité concurrente (regarder la télévision, travailler sur un ordinateur, lire un livre, etc.) (Guilbert et Perrin-Escalon, 2004 ; Poulain et al., 2009).
14 Au sens ici de transmission entre les générations.
15 Poulain et al., 1997, 1999, 2003 ; Volatier, 2000 ; Poulain, 2001 ; Corbeau et Poulain, 2002 ; Guilbert et Perrin-Escalon, 2004 ; Fischler et Masson, 2008 ; Poulain et al., 2009.
16 Pourtant, 14,46 % des adultes de la population de référence vivent seuls et 43,27 % des parents élèvent seuls leurs enfants (foyers monoparentaux).
17 Le terme « répertoire » renvoie uniquement aux aliments comme dans d’autres études (Fischler et Chiva, 1985, 1986 ; Rigal, 1996) et ne concerne pas les contextes.
18 Les résultats obtenus auprès des adultes ne seront pas présentés pour ne pas alourdir l’analyse des modèles alimentaires, déjà très dense, et ce d’autant qu’ils présentent des caractéristiques communes avec celles d’études antérieures (Poulain, 2001 ; Poulain et al., 2003 ; Poulain et al., 2009).
19 Ici, nous ne parlons pas de répertoires alimentaires car cela ne se réduit pas aux consommations alimentaires.
20 Pour connaître les tableaux de liens et le détail des traitements nous invitons le lecteur à consulter la référence suivante : Dupuy, 2010. Pour rappel, les valeurs et force des liens sont : – 0,000 ≤ P ≤ 0,01 : lien très fort ; – 0,01 ≤ P ≤ 0,05 : lien fort ; – 0,05 ≤ P ≤ 0,1 : lien modéré.
21 Valeur Chi2 : 90,851 ; SA : 0,000.
22 Valeur Chi2 : 89,488 ; SA : 0,000.
23 Valeur Chi2 : 35,887 : SA : 0,000.
24 Valeur Chi2 : 17,099 ; SA : 0,000 ; lien très fort, pourcentage d’erreur faible.
25 Valeur Chi2 : 24,427 ; SA : 0,000 : lien très fort.
26 Valeur Chi2 : 29,526 ; SA : 0,000.
27 Valeur Chi2 : 31,594 ; SA : 0,000 : lien très fort.
28 Valeur Chi2 : 14,812 ; SA : 0,001, lien très fort pour les classes d’âge regroupées en trois modalités ; valeur Chi2 : 14,254 ; SA : 0,007, lien fort pour les classes d’âge regroupées en cinq modalités.
29 Valeur Chi2 : 11,281, SA : 0,024 ; lien fort.
30 Valeur Chi2 : 17,99 ; SA : 0,055.
31 Valeur Chi2 : 20,477 ; SA : 0,025.
32 Valeur Chi2 : 28,558 ; SA : 0,005 ; lien très fort.
33 Valeur Chi2 : 9,598 ; SA : 0,008 ; lien très fort.
34 Valeur Chi2 : 9,598 ; SA : 0,008 ; lien très fort.
35 Valeur Chi2 : 32,418 ; SA : 0,000.
36 Valeur Chi2 : 6,827 ; SA : 0,033.
37 Valeur Chi2 : 19,945 ; SA : 0,000.
38 Valeur Chi2 : 14,230 ; SA : 0,027.
39 Valeur Chi2 : 9,227 ; SA : 0,026 ; lien fort.
40 Valeur Chi2 : 10,784 ; SA : 0,013.
41 Valeur Chi2 : 12,844 ; SA : 0,005.
42 Valeur Chi2 : 23,294 ; SA : 0,000.
43 Valeur Chi2 : 33,652 ; SA : 0,000.
44 Valeur Chi2 : 9,965 ; SA : 0,019 ; lien fort.
45 Valeur Chi2 : 5,854 ; SA : 0,014 ; lien fort.
46 Définitions dans la partie 2.
47 Valeur Chi2 : 17,392 ; SA : 0,008.
48 Valeur Chi2 : 12,799 ; SA : 0,002.
49 Valeur Chi2 : 7,032 ; SA : 0,030.
50 Valeur Chi2 : 6,891 ; SA : 0,032.
51 Valeur Chi2 : 16,125 ; SA : 0,096.
52 Valeur Chi2 : 17,507 ; SA : 0,064.
53 Valeur Chi2 : 12,952 ; SA : 0,044.
54 Valeur Chi2 : 36,026 ; SA : 0,000.
55 Valeur Chi2 : 42,593 ; SA : 0,000.
56 Valeur Chi2 : 28,985 ; SA : 0,001.
57 Valeur Chi2 : 12,611 ; SA : 0,027.
58 Valeur Chi2 : 25,769 ; SA : 0,012.
59 Valeur Chi2 : 11,559 ; SA : 0,021.
60 Valeur Chi2 : 11,559 ; SA : 0,021.
61 Valeur Chi2 : 11,628 ; SA : 0,009.
62 Valeur Chi2 : 11,682 ; SA : 0,003.
63 Pour éviter les risques d’associations spontanées « plaisir et goût », le protocole ne s’est pas intéressé d’une part aux produits non appréciés et déplaisants caractéristiques de la période de néophobie chez les plus jeunes, d’autre part à ceux identifiés comme dégoûtants voire écœurants à partir de la notion de « dégoût cognitif » chez les plus âgés d’entre eux (Rozin et Fallon, 1987).
64 Valeur Chi2 : 34,149 ; SA : 0,005 ; lien très fort.
65 Valeur Chi2 : 11,838 et SA : 0,019 ; lien fort.
66 Valeur Chi2 : 7,773 ; SA : 0,021 ; lien fort.
67 Valeur Chi2 : 11,823 ; SA : 0,003 ; lien très fort.
68 Valeur Chi2 : 16,473 ; SA : 0,000.
69 Valeur Chi2 : 9,009 ; SA : 0,061.
70 Valeur Chi2 : 8,302 ; SA : 0,081.
71 Valeur Chi2 : 17,371 ; SA : 0,026.
72 Valeur Chi2 : 9,915 ; SA : 0,042 ; lien fort.
73 Valeur Chi2 : 9,009 ; SA : 0,011 ; lien fort.
74 Valeur Chi2 : 15,685 ; SA : 0,000.
75 Valeur Chi2 : 11,517 ; SA : 0,021 ; lien fort.
76 Valeur Chi2 : 12,304 ; SA : 0,002 ; lien très fort.
77 Valeur Chi2 : 21,246 ; SA : 0,007.
78 Les comparaisons inter et intragénérationnelles au sein de chaque unité familiale sont présentées un peu plus loin pour confirmer ou non cette hypothèse.
79 Pour les associations spontanées : valeur Chi2 : 118,585 ; SA : 0,000 ; lien très fort ; pour le souvenir : valeur Chi2 : 75,847 ; SA : 0,000 ; lien très fort.
80 Valeur Chi2 : 24,112 ; SA : 0,000 ; lien très fort.
81 Valeur Chi2 : 6,934 ; SA : 0,074.
82 Valeur Chi2 : 6,326 ; SA : 0,097.
83 Valeur Chi2 : 41,391 ; SA : 0,000.
84 Valeur Chi2 : 24,062 ; SA : 0,002 ; lien très fort.
85 Valeur Chi2 : 16,136 ; SA : 0,040 ; lien fort.
86 Valeur Chi2 : 23,680 ; SA : 0,022 ; lien fort.
87 Valeur Chi2 : 29,511 ; SA : 0,021 ; lien fort.
88 Valeur Chi2 : 36,996 ; SA : 0,002 ; lien très fort.
89 Valeur Chi2 : 35,354 ; SA : 0,000.
90 Valeur Chi2 : 19,144 ; SA : 0,038 ; lien fort.
91 Valeur Chi2 : 14,728 ; SA : 0,012 ; lien fort.
92 Valeur Chi2 : 17,384 ; SA : 0,004 ; lien très fort.
93 Valeur Chi2 : 39,773 ; SA : 0,031 ; lien fort.
94 Valeur Chi2 : 30,638 ; SA : 0,060 ; lien modéré.
95 La formulation des questions en lien avec l’effort de conceptualisation nécessaire pour y répondre ainsi que les contraintes matérielles en termes de durée d’enquête lors des discussions avec le prestataire de l’enquête terrain nous ont conduits à ne pas interroger les enfants et les jeunes sur ces aspects.
96 Une dernière modalité « échappatoire » était proposée mais n’a été que marginalement représentée ; elle était proposée sous la forme « vous n’avez pas ou peu de plaisir à manger ». Nous l’avons donc extraite des analyses.
97 Valeur Chi2 : 11,530 ; SA : 0,042 ; lien fort.
98 Valeur Chi2 : 31,559 ; SA : 0,048 ; lien fort.
99 Valeur Chi 2 : 32,034 ; SA : 0,001.
100 Valeur Chi2 : 20,068 ; SA : 0,066 ; lien modéré.
101 Valeur Chi2 : 10,855 ; SA : 0,093 ; lien modéré.
102 Valeur Chi2 : 18,842 ; SA : 0,093 ; lien modéré.
103 Valeur Chi 2 : 12,989 ; SA : 0,005 ; lien très fort.
104 Valeur Chi2 : 13,599 ; SA : 0,004 ; lien très fort.
105 Valeur Chi2 : 24,364 ; SA : 0,059 ; lien modéré.
106 Questions posées aux enfants et aux parents.
107 Questions uniquement posées aux parents.
108 Sur cette question, infra partie 3, chapitre 2.
109 Styles éducatifs variable simple : perception des parents (valeur Chi2 : 25,435 ; SA : 0,000 ; lien très fort), perception des enfants et des jeunes (valeur Chi2 : 102,651 ; SA : 0,000 ; lien très fort). Styles éducatifs variables composées : perception des parents (valeur Chi2 : 47,630 ; SA : 0,000 ; lien très fort), perception des enfants et des jeunes (valeur Chi2 : 69,257 ; SA : 0,000 ; lien très fort).
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