Chapitre II
Méthodologie et outils de collecte
p. 185-216
Texte intégral
1Les étapes d’élaboration entreprises pour la collecte de données font partie intégrante du processus de recherche. Malheureusement, elles sont trop souvent absentes des écrits finaux qui tendent à faire disparaître les multiples procédés mis en œuvre, les tâtonnements du chercheur au profit d’analyses construites, élaborées et abouties. Pourtant, ces éclairages contribuent pleinement à la compréhension de la manière dont chaque chercheur s’empare de l’objet étudié. Les réajustements et les modifications dans le processus de recueil illustrent la dimension « fastidieuse » de la recherche, étape qui, pour un souci de clarté et d’intelligibilité, semble occultée au profit d’analyses lissées dans la restitution finale. Sans s’enfermer dans une forme d’« honnêteté » de la recherche, sorte d’humilité obligée fixant les points forts et les points faibles de l’étude, la restitution des étapes d’élaboration de la collecte de données vise d’une part à fournir des clefs de compréhension des choix entrepris et des résultats finaux car dans toute recherche, on décide d’éclairer et de mettre l’accent sur tels ou tels phénomènes sociaux ; d’autre part à rendre compte du travail d’élaboration méthodologique car cela participe pleinement en retour à un travail de mise à distance sur ses propres données et sur la manière dont on se les ait procurées puisque les cheminements suivis sont rarement en ligne droite et qu’ils font l’objet d’allers et retours entre la collecte, les lectures, le terrain et les questions principales de recherche.
2Plusieurs dimensions seront évoquées1 : la construction des âges des enfants et des adolescents dans l’enquête ; la position méthodologique et les phases de collectes ; l’organisation de la recherche.
Construction sociale des âges dans l’enquête
3En s’intéressant à l’enfance et l’adolescence comme constructions sociales et culturelles, il s’agit d’éviter deux écueils : d’une part, la fausse évidence de l’enfance conçue comme réalité naturelle ; d’autre part, l’illusion de l’homogénéité de l’enfance (Delalande, Danic et Rayou, 2006). En l’occurrence, il s’agit de prendre de la distance par rapport aux modèles abstraits et universels de l’enfant en psychologie piagétienne du développement car ces derniers ne prennent pas en compte la diversité des enfants d’une culture à l’autre, d’un milieu à un autre, pourtant déjà révélée par la perspective wallonienne ou par les anthropologues tels que Mauss (1937) et Mead (1930).
4Enfance et adolescence peuvent être appréhendées comme des constructions socio-historiques définies par l’âge. Les découpages des âges de la vie sont fonction d’une organisation sociale et peuvent être repérés dans les systèmes éducatifs, les univers juridiques, médicaux ou encore marchands.
5Deux modes de construction des âges relatifs au fait alimentaire ont été retenus.
6La définition de l’échantillon quantitatif a été élaborée à partir d’un concept qui, bien que la littérature soit peu abondante sur ce sujet, semble néanmoins faire consensus chez nombre de chercheurs en psychologie et en sociologie de l’alimentation. Il s’agit du concept de néophobie alimentaire. Cette dernière se manifeste auprès de tous les omnivores (Rozin, 1976 ; Fischler, 1990) et prend une forme particulièrement poussée durant une partie de l’enfance, les enfants refusant massivement d’apprendre à goûter de nouveaux aliments. Apparaissant avec les progrès moteurs (entre 2 et 3 ans) et se terminant vers l’âge de 7 ou 8 ans selon les enfants, la néophobie concernerait, de façon universelle, l’ensemble des enfants : à table, ils deviendraient plus difficiles. Il peut s’agir d’une constante anthropologique au même titre que l’attirance innée des nourrissons pour les saveurs sucrées et grasses expliquée par leur forte densité énergétique. Dans une perspective développementale, le comportement néophobique constitue non un trouble du développement mais une phase normale intervenant à un moment où les capacités d’apprentissages de ces populations sont considérables. La néophobie est contournée par la socialisation progressive de l’enfant avec la familiarisation à de nouveaux aliments, les contraintes sociales pesant sur lui et déterminant en partie, par effet pochoir, son répertoire alimentaire ou encore au travers de ses expériences alimentaires individuelles. La néophobie chez l’enfant s’expliquerait par le fait que ce dernier apprend à structurer et à opérer des choix plus qu’à essayer de diversifier son alimentation (Fischler, 1990), ce processus lui permettant de s’approprier les goûts et les dégoûts de sa culture et de son milieu, mais aussi de s’en différencier par l’affirmation de ses propres goûts. La perspective développementale proposée dans ce concept n’écarte néanmoins aucunement les différences individuelles entre enfants en matière de néophobie qui dépendent de facteurs tant physiologiques (les enfants pouvant être normo, hyper ou hypogueusiques par exemple), que psychologiques (angoisse de l’incorporation, estime de soi, etc.) ou sociologiques et culturels (milieux d’appartenance, cultures alimentaires, ordre du mangeable, registre de la comestibilité, expériences, pluralité des modèles alimentaires, etc.).
7Cette diversité des attitudes néophobiques, se retrouvant dans la durée et dans l’intensité, constitue un domaine de recherche socio-anthropologique intéressant.
8Cependant, concernant le choix des âges des enfants enquêtés, l’idée générale d’un comportement néophobique enfantin a été acceptée sans tenir compte des spécificités néophobiques (et néophiles) pour chaque enfant, ceci impliquant d’en réduire au maximum les biais possibles. Le critère de sélection des enfants porte donc pour les plus jeunes d’entre eux sur l’âge de 7 ans car a priori la période néophobique est révolue. Cette sélection de l’échantillon se poursuit jusque l’âge de 17 ans, limite d’âge retenue pour permettre de faire le lien avec des enquêtes portant sur les représentations et les pratiques alimentaires auprès de personnes majeures (Poulain et al., 1995, 1997, 2003). À la suite de la construction de ces âges pour l’enquête quantitative, des découpages en classes d’âges ont été réalisés dans la phase de traitements et d’analyses. Plusieurs variables ont été créées pour tester ces catégories en trois ou quatre classes d’âges en procédant par tâtonnements pour voir comment les résultats, les liens statistiques et les corrélations « bougeaient » en fonction de ces diverses catégories. La construction de ces classes d’âge dans l’enquête quantitative repose sur les données. Nous appelons « Enfant » ou « Enfants et adolescents » la population enfantine en général par rapport à la population parentale ou la population de référence. Lorsqu’une différence est posée dans cette population, nous qualifions d’« enfants » les individus âgés entre 7 et 11 ans et d’« adolescents » ceux âgés entre 12 et 17 ans. Aucune hiérarchie entre les pré-adolescents, les adolescents et les post-adolescents est introduite car ces catégories peuvent être discutées.
9Concernant les âges de l’enquête qualitative, le choix résulte de l’articulation entre une construction sociale et historique des âges de la vie et des systèmes de restauration scolaire. En France, aucune législation fixe un règlement sur le choix des types de restauration que sont la cantine, le scramble2 (d’apparition plus récente) ou le self service. Ce choix est lié à de multiples variables que sont des aspects liés à l’espace, au mode de préparation des repas (confection sur place ou livrée), à la durée prévue pour chaque repas, à la gestion des vagues d’enfants et d’adolescents pendant la prise de déjeuner, aux coûts logistiques ainsi qu’au mode d’encadrement du repas et du service. Cependant, force est de constater qu’en règle générale, le self service est le type de restauration privilégié à partir du collège et que la cantine avec service à table reste majoritaire en primaire. Rares sont les écoles proposant le self ou le scramble qui semble plus adapté (ergonomie des postes alimentaires, disposition des aliments et des plats pour faciliter les choix, comptoirs isolés les uns des autres).
10Le dispositif du self repose sur un principe fondamental qu’est la responsabilisation et l’autonomisation des enfants à qui on laisse la liberté de choisir parmi plusieurs items ce qu’ils souhaitent manger, ainsi que comment, où et avec qui le faire. Le présupposé d’un encouragement par ce mode de restauration du développement de l’enfant repose aussi implicitement sur une manière de se représenter l’enfance et l’adolescence. Puisque dans ce cas de figure les mangeurs construisent individuellement leur choix à partir d’une offre relativement ouverte (même s’il peut y avoir du mimétisme entre enfants et que l’organisation de l’offre proposée a été sélectionnée en amont par les professionnels de la restauration scolaire, le corps enseignant, un diététicien et de plus en plus des représentants de parents d’élèves), il n’empêche que les systèmes de distribution en libre service sont des dispositifs participant au déplacement de la décision alimentaire des adultes vers les enfants, ce qui contribue aussi à produire les enfants, à les socialiser différemment : sentiment de choix et de liberté, augmentation de la réflexivité liée à la décision, appropriation de nouveaux espaces et de nouvelles formes du manger, etc.
11Dans les cantines par contre, l’offre est plus limitée et la quantité dans l’assiette, l’emplacement des enfants et la prise de repas davantage contrôlés. Ce mode de distribution est non seulement présent dans les petites, moyennes et grandes sections (3 à 6 ans) mais aussi le plus souvent pour les sections des écoles primaires.
12Interroger par entretiens des enfants en fin d’école primaire (CM2) et en début de collège (6e) consistait moins à s’accorder sur le découpage institutionnel des âges de la vie en fonction d’une organisation sociale et de conceptions découpant les âges de la vie de l’enfant (les conditions d’autonomisation alimentaire des enfants sont liées dans une large mesure aux manières dont les adultes dans les institutions pensent leurs lieux de restauration scolaire : ces lieux construisent les enfants et les produisent) mais davantage à pouvoir analyser les effets inhérents de ces constructions sociales et culturelles de l’enfance sur leurs modalités de restauration et les conséquences au niveau des processus de socialisation.
13Le passage de la cantine au self service est une modalité explicative et compréhensive des processus de socialisations alimentaires différenciés résultant de modalités d’investissement multiples de l’espace social lié à l’alimentaire. L’appropriation des espaces au travers de tout ce qui a trait à l’alimentation mérite l’attention des chercheurs : occupations des lieux, marquage des espaces et démarquages par des styles et des modes spécifiques de consommation. Dans ces moments de repas se jouent des sociabilités, des marqueurs temporels et spatiaux, des comportements de consommation tout à la fois socialisants et socialisateurs. L’hypothèse principale est que l’espace du self service est une étape où l’adulte reconnaît l’autonomie de l’enfant, lui offre les conditions d’affranchissement de son regard et lui octroie des droits dans la manière de vivre et expérimenter son alimentation. Ce passage de la cantine au self contribue au processus d’autonomisation de l’enfant ainsi que d’individuation. En effet, il correspond au passage du non-choix (l’enfant mange ce qu’on lui sert) à un contexte d’hyper-choix (l’enfant choisit parmi plusieurs items comment composer et structurer son repas).
14Mais les spécificités du self suscitent de nombreuses interrogations dans le débat actuel sur l’obésité infantile : ce système de restauration y est remis en cause. La délégation de la décision serait porteuse de risque. De plus en plus d’acteurs, issus aussi bien de l’univers de la santé et de la protection infantile que de l’éducation et de l’animation, considèrent que les sociétés contemporaines ont péché d’un trop plein de permissivité laissant un pouvoir décisionnel aux enfants et aux adolescents trop conséquent. Les contextes sociaux, politiques, économiques, médicaux, éducatifs façonnent et construisent les représentations de l’enfance, des âges de la vie et des expériences qui lui sont associées. Indépendamment de ces débats, il est possible de proposer une réflexion sur la construction des âges et la manière dont ils sont segmentés sur un double axe « autonomie-dépendance » et « prise de décision-décision déléguée aux adultes » dans la restauration scolaire des enfants et des adolescents. Ainsi, nous avons voulu interroger des enfants relativement proches en âge et en formation scolaire se retrouvant confrontés à deux situations et univers de socialisation distincts qui peuvent, chacun, avoir des incidences différentes sur leurs processus de socialisation alimentaire. D’une part, en CM2, l’enfant se retrouve le plus grand de l’école primaire, ce qui lui confère un certain pouvoir (dans la cour de récréation et à la cantine notamment) vis-à-vis de ses camarades d’autres sections plus jeunes. Inversement, l’arrivée en 6e renverse cette position de major, les enfants se retrouvent alors comme étant les plus « petits » de l’établissement. Quels impacts ces rapports au pouvoir dans la cantine ou dans le self peuvent-ils avoir ? Quelles sont les formes d’initiation alimentaire ? Enfin et surtout, dans les processus de socialisation, quelles seraient les effets sur les enfants et les adolescents du déplacement de la décision alimentaire ?
Positions méthodologiques et phases de collecte
15Dans la description de la phase de recueil de données il convient de présenter l’articulation entre les hypothèses de recherche et l’élaboration, puis la collecte des données dans une sorte de méthodologie appliquée3. Le premier mode d’investigation repose sur un appareil méthodologique conjuguant des entretiens semi-directifs individuels ou groupés (focus groupe) et des phases d’observation auprès d’enfants à l’école ou dans la famille, ainsi qu’auprès d’acteurs des institutions familiales, extra-familiales, scolaires et extra-scolaires : parents, grands-parents, animateurs socio-éducatifs, assistants d’éducation, professeurs des écoles ou de collèges, conseillers d’éducation, cuisiniers de la restauration scolaire, professionnels de la restauration collective, médecins généralistes et psychologues. Ce travail engage une multiplicité de relations, de sphères d’apprentissages et d’actions. Il a été envisagé de telle sorte à respecter le plus possible le point de vue des enfants et pas seulement celui des institutions et fonctions du système éducatif. En effet, les compétences enfantines et les expériences sociales ne sont pas un objet positif s’observant et se mesurant de l’extérieur comme une pratique ou un système d’attitudes. Elles résultent d’un « travail des enfants-acteurs » (Sirota, 2006 ; Danic, Delalande et Rayou, 2006) qui définissent leur monde, une situation d’achat ou de consommation et élaborent des choix dans les aliments proposés, leur quantité ou leur présentation. Les enfants procèdent à un travail normatif et sémantique qui suppose une distance à soi et un effort de subjectivation, dimension favorisée par les relations inter-enfantines et/ou celles des enfants avec des adultes.
16Le second mode de recueil relève d’une enquête quantitative avec l’élaboration de trois questionnaires : un pour les populations d’enfants et d’adolescents âgés entre 7 et 17 ans, un autre pour leurs parents et un pour une population de référence basée sur les critères de la population nationale française.
Temporalité de la collecte de données
17Durant la recherche, deux types de collecte, l’une qualitative, l’autre quantitative, ont été menées.
18La collecte de données qualitatives a débuté en mars 2006 et s’est terminée en juin de la même année. Un travail de prise de contact avec des établissements scolaires a été entrepris en même temps que se déroulait une première phase d’entretiens auprès de parents puis d’enfants dans des familles ainsi qu’auprès de professionnels de l’enfance. Idéalement, nous souhaitions interroger des enfants dans les cadres scolaire et extra-scolaire (centre de loisirs associés à l’école, maisons de quartiers) et dans le cadre familial. Pour des raisons de gestion d’emploi du temps, le domaine extra-scolaire a été très vite écarté, bien que les animateurs socio-éducatifs évoluant dans ce domaine soient des acteurs essentiels dans la socialisation de l’enfant. Plusieurs échanges menés auprès de personnels de crèche et d’animateurs au contact de la petite enfance ont dévoilé les rôles, fonctions et statuts (formels et informels) de ces personnes dans l’alimentation des enfants4.
19Un travail de terrain « pré-exploratoire » visant à tester la faisabilité d’une recherche menée auprès de populations enfantines avait été réalisé au préalable. Il s’est agit à partir de questionnaires et d’entretiens de faire varier les contextes d’interaction pour s’emparer au mieux de la parole de l’enfant. Ce travail a permis d’anticiper plusieurs événements : éloigner les personnels enseignants ou les parents durant la phase des entretiens avec les populations enfantines tout en les intégrant à la démarche globale de la collecte, respecter le choix de l’enfant d’être interrogé seul ou en groupe, multiplier les échanges avec les mêmes enfants en faisant varier les conditions de la rencontre (seul puis avec la fratrie ou d’autres proches adultes : parents et grands-parents). L’objectif était aussi de mesurer ce qui semblait le mieux fonctionner, à savoir mettre à l’aise le plus possible l’enfant, favoriser sa concentration, garantir des qualités d’écoute ainsi que de retours dans l’échange et rassurer le parent. Le mode d’investigation relationnel et transactionnel apparaissait dès lors comme étant le procédé le plus opportun pour mener à bien un travail discursif avec des populations enfantines.
20Parallèlement, nous avons travaillé à la mise en place du protocole de l’enquête quantitative dans la continuité de précédentes enquêtes en charge de comprendre les relations entre nouveaux comportements alimentaires et surcharge pondérale notamment (Poulain et al., 1999, 2003). L’enquête quantitative s’est étalée du mois de juin 2006 pour la prise de contact jusqu’au mois d’avril 2007 pour le retour des résultats saisis. D’avril 2007 jusque juin 2009, nous avons procédé à l’analyse des résultats.
Position méthodologique
21Conception « primitiviste » à l’égard de l’enfance, répartition disciplinaire léguant l’enfant à la psychologie, poids du paradigme du conditionnement sur les perceptions d’un enfant-clone de ses parents et de son groupe social d’origine ou également crainte de rencontrer des enfants « silencieux », « immatures » ou « perroquets », mimant en cela les dires du chercheur sont encore de facture courante en sociologie. Le premier obstacle à la production d’une connaissance sur l’enfant, ainsi que l’ont souligné les sociologues de l’enfance, ce sont les pré-notions qui habitent à la fois le sens commun et aussi le sens savant. Les représentations de l’enfance s’articulent autour des notions d’immaturité et de dépendance. Les enfants sont appréhendés comme « socialement et cognitivement incompétents et incapables de devenir des informateurs fiables », ils sont de « mauvais analystes » de leurs expériences sociales propres et sont pétris de « pensées d’emprunt » (Danic, Delalande et Rayou, 2006). Ces présupposés résultent de conceptions adultocentriques puisque peu de divergences, d’après ces chercheurs, existeraient entre la collecte de données auprès d’adultes et celles réalisées auprès d’enfants.
22Enquêter auprès de populations enfantines, c’est devoir composer avec une logique triangulaire entre les enfants, les adultes les entourant et le chercheur. Il faut parvenir à créer une double relation avec les enfants d’abord, en gagnant notamment leur confiance et en montrant l’intérêt qu’on leur porte (et la raison de cet intérêt), avec les adultes ensuite, en les mettant en confiance vis-à-vis du contact et du type de relation noué avec l’enfant et en les rassurant sur le non jugement des qualités éducatives qui sont les leurs (Danic, Delalande et Rayou, 2006). Une des difficultés rencontrées est que cela suppose de parvenir à mettre en place un échange avec les enfants malgré les adultes (parents ou encadrants) qui souvent veulent organiser ou faciliter l’interaction. Il faut gérer le poids d’une double domination des grandes personnes à l’encontre des enfants : les parents ou personnels éducatifs et le chercheur. Les adultes intermédiaires s’immiscent de fait dans la relation que l’on cherche à créer avec les enfants. Cela peut entraîner des biais de présentation notamment dans un cadre scolaire où il n’a pas été rare d’observer que les enfants pouvaient en amont être briefés sur les perceptions des buts de l’enquête ou encadrés au travers de règles limitant aux enfants les conditions d’échanges et de relations avec le sociologue et par effet retour celles de ce dernier en lui donnant l’autorisation de rencontrer les enfants dans un lieu et un horaire préalablement définis par l’autorité compétente.
23Par exemple dans le milieu scolaire, les enfants contraints par les adultes encadrant de « jouer le jeu » en participant à l’enquête n’ont pas été interrogés, car pour nous il était inconcevable de réaliser une enquête sans l’accord de ceux-ci. À l’inverse, les enfants souhaitant être interrogés mais ne bénéficiant pas de l’autorisation parentale n’ont pas été interviewés.
24Pour beaucoup d’adultes, la parole de l’enfant « libre » semble peu maîtrisable du fait d’une immaturité leur empêchant de « lire entre les lignes », de décoder, voire de désamorcer, les « pièges tendus » par un sociologue « fouineur ». De plus les adultes n’ont pas beaucoup de prise sur cela. C’est pourquoi, en qualité de parents, de proches, d’enseignants ou d’animateurs ils peuvent avoir peur de ce que l’enfant va dire et du jugement par le chercheur de leurs pratiques éducatives. Plusieurs fois, à la suite d’entretiens menés auprès d’enfants dans des familles, les parents demandaient ce que l’enfant avait dit de telles ou telles habitudes familiales pour s’assurer qu’ils n’étaient pas perçus comme de mauvais parents. Plusieurs d’entre eux ont aussi contrecarré les positions enfantines, adoptant ainsi une posture défensive vis-à-vis d’un adulte pouvant potentiellement les condamner. Il fallait là aussi faire preuve de prudence et de vigilance pour détendre l’atmosphère ou rassurer.
25Il faut impérativement composer avec tous ces aléas du terrain, essayer de déconstruire les cadres formels de passation des entretiens et désamorcer les biais éventuels sur les objectifs de l’enquête. Sans dévoiler complètement les buts scientifiques de l’étude, il convient d’être précis quand les enfants le demandent. C’est montrer par exemple que ce n’est pas pour rapporter aux parents les dires et faire des enfants, mais dans un but de travail, d’intérêt pour ce qu’ils vivent (les guides d’entretien, le dictaphone, les grilles d’observation et carnets de notes, de même – dans l’échange – que les jeux de questionnements et de relances sont autant de preuves de l’intérêt qu’on leur porte). En qualité d’observateurs, les enfants avaient tout à nous apprendre. Ne pouvant annuler la « relation dissymétrique entre le sociologue et les enfants », il s’agit d’essayer de proposer des attitudes affranchies le plus possible de toute autorité en mettant en exergue la particularité du statut de chercheur qui cherche à « inventer une relation inhabituelle basée sur l’intérêt et le respect » de ce qu’ils sont, de ce qu’ils disent et de ce qu’ils font. Dans ce cas de figure précis et inédit, c’est l’adulte qui vient apprendre de l’enfant (Danic, Delalande et Rayou, 2006).
26Nombre d’enfants aimaient « voir ce que ça fait » en réécoutant quelques secondes leurs paroles ou en tenant le dictaphone pour parler près du micro. Comme pour les populations adultes, il s’agit d’un pacte passé où l’on garantit à l’enfant l’anonymat et la confidentialité et où l’on propose d’avoir un retour sur les éléments observés. Nous avons systématiquement proposé aux enfants et aux interlocuteurs, sans lesquels la collecte n’aurait pu aboutir, d’organiser une séance récapitulative sur les éléments observés et analysés. Il ne s’agissait pas de délivrer l’analyse aboutie du travail de terrain mais de confier des éléments pouvant aussi les intéresser et les gratifier. Comme nombre de chercheurs ont pu déjà le suggérer, les échanges engagés ne doivent pas être un pillage mais une relation, et le contre-don semble fondamental dans le respect des personnes interviewées qui ont donné de leur temps, de leur savoir, de leurs connaissances.
27En milieu scolaire, pour tester l’interférence de la présence de l’enseignant au cours des modalités de passation, un questionnaire relativement court composé de questions fermées et de questions ouvertes a été proposé auprès de 63 enfants5. Ce questionnaire était proposé en classe pour en observer les modes de passation. S’il est possible de lire dans la documentation scientifique que les enfants ont tendance à répondre en fonction de ce qu’ils pensent que les adultes (et notamment l’instituteur par les relations engagées) attendent d’eux, nous avons observé qu’un certain nombre d’enfants s’affirmait en allant parfois à l’encontre des avis de l’adulte référant (l’institutrice).
28Un autre aspect observé a été celui des échanges entre pairs. Ceux-ci, s’ils formalisent l’expérience d’entretiens et risquent de canaliser certaines réponses, ont par ailleurs l’avantage de mettre l’accent sur certains phénomènes en les cristallisant. Limiter ces effets inhérents à l’échange sur l’expérience vécue à la suite des premiers entretiens passés s’avère vaine ; ces paroles enfantines sur l’expérience qu’ils ont eue et celle qui les attend a aussi pour principale fonction d’informer et de rassurer. Il n’était pas question de les faire disparaître.
Organisation de la recherche
Le protocole de l’analyse qualitative par entretiens et observations
29Les entretiens semi-directifs ont porté sur des aspects de la collecte pour lesquels l’utilisation d’une approche compréhensive était nécessaire. En effet, ils ont constitué un outil permettant soit de regarder certains niveaux du fait alimentaire à partir d’une série de questions posées sur des périodes différentes de la vie de l’enquêté (comme les goûts et dégoûts au croisement des dimensions d’âge), soit en aidant à reconstruire, à partir de souvenirs alimentaires, des situations de consommation spécifique. L’organisation récursive des entretiens a également était adoptée.
Loin d’être simplement conçu pour obtenir de « bonnes réponses », un entretien doit aussi permettre de formuler de nouvelles questions (ou de reformuler d’anciennes questions) […] on pourrait parler de la récursivité de l’entretien de terrain, en ce qu’il s’agit de s’appuyer sur ce qui a été dit pour produire de nouvelles questions.
Olivier de Sardan, 1995, p. 84
30La récursivité a été davantage pratiquée au cours des entretiens en établissements scolaires. À l’école ou au collège, les enfants se parlent, s’expliquent le protocole d’enquête par curiosité et pour se rassurer. Il fallait déjouer une absence de nouveauté attendue dans les thèmes abordés pour les derniers enfants rencontrés en modifiant certains aspects du guide initial ou en mettant en place un nouveau canevas d’entretiens faisant écho à des questionnements nouveaux émergeant au fil de l’enquête. En fin d’enquête, l’ (in) validation des hypothèses est possible en amenant les enfants à se positionner et à réagir sur celles-ci. C’est une technique dont nous ne nous autorisons l’usage qu’en fin de recueil de données, lorsque les effets de saturation et les redondances sont importants, de sorte à tester les interprétations et analyses produites.
31Au final, 97 entretiens ont été réalisés dans cette phase de collecte de données. 68 d’entre eux sont individuels : 23 enfants, 28 mères, quatre pères, une psychologue, une spécialiste de l’éducation sensorielle, deux médecins généralistes, trois instituteurs, un conseiller principal d’éducation, un cadre de la restauration collective scolaire, deux animateurs en centre de loisirs et enfin deux personnels de la cantine. Pour 29 personnes, en l’occurrence ici des enfants, les entretiens ont été menés collectivement par groupe de deux ou trois enfants maximum6.
32Parallèlement, plusieurs phases d’observations flottantes ont été conduites de façon assez spontanée du fait de notre présence en milieu scolaire pendant plusieurs journées ou demi-journées ou du fait d’échanges engagés dans les familles au moment des goûters. Elles ne sont pas exhaustives puisque nous n’étions pas munie d’une grille d’observation ou d’un journal de terrain. Il s’agissait d’une attention flottante portée à ce que l’on observait en dehors des phases d’entretiens réalisées ou des échanges avec les classes.
33Dans le contexte scolaire, plusieurs contextes d’observation ont été recensés. Majoritairement, il s’agit de ceux représentant les rythmes à l’école ponctuant et structurant les journées : arrivée le matin et départ en fin d’après-midi, récréations s’accompagnant souvent de prises alimentaires, pauses du midi avec temps de repas et temps de récréation et moments plus rares (comme la confection de truffes au chocolat pour la fête des pères).
34Dans le contexte familial, quelques entretiens ont été précédés par une prise alimentaire : l’invitation à prolonger la discussion dans le cadre d’un contexte ritualisé – proposer au convive une boisson – s’est souvent transformée, en apéritif ou, par l’intervention des enfants, en goûter.
Processus d’appropriation et d’affirmation identitaire
35Les entretiens ont été élaborés pour s’exprimer sur les divers processus d’appropriation alimentaire par les enfants. Il s’agissait de comprendre comment certaines expériences passées avaient été vécues, voire s’imposaient comme des moments de plaisir ou de déplaisir. C’était à la fois reconstruire avec eux, sur la base de souvenirs, leurs histoires personnelles des goûts et dégoûts façonnant leur répertoire alimentaire – au sens où l’entendent les psychologues du goût (Chiva, 1979, 1992 ; Rigal, 1996) – et appréhender leurs attitudes et leurs perceptions sur l’alimentation et le plaisir.
36Les situations reconstruites au cours des entretiens visaient à recueillir les conditions d’appropriation et d’actualisation par les enfants de schèmes cognitifs et comportementaux ainsi que leurs modalités de transmission par des instances socialisatrices. Le postulat de variations intra-individuelles dans les goûts et dégoûts suppose des processus nombreux et continus de socialisation, rendus possibles par les influences de multiples expériences, univers de socialisation et relations accessibles à chaque individu (supra partie 1, chapitre 2). Chaque apprentissage alimentaire est lié aux espaces relationnels, sociaux et culturels accessibles à l’enfant. Si ce présupposé ne néglige en rien les effets de critères biologiques et psychologiques sur la question du goût, il implique néanmoins de s’emparer de dimensions sociales et culturelles pertinentes, permanentes ou fluctuantes afin de détailler les raisons des variations intra-individuelles. Toutefois, pour mettre en œuvre un tel dispositif, il semble que le suivi sur de longues périodes de plusieurs mangeurs s’impose. Cette sociologie favorisant la multiplication des contextes d’interactions avec des mangeurs permet de saisir finement des itinéraires et des trajectoires de mangeurs pluriels. Ne pouvant mettre en œuvre le suivi de mêmes personnes, dans la durée (sur plusieurs semaines ou années) et dans des contextes de prises alimentaires différents, la méthode d’investigation a opté pour une reconstruction de situations. Pour comprendre la pluralité individuelle de chaque mangeur, nous avons tenté de spécifier ou reconstruire avec chacun, pour chaque situation spécifique de l’acte de manger ou d’avoir du plaisir à manger, les lieux, les moments, les produits et les contextes sociaux. L’objectif était de parvenir à saisir les conditions de variations des dispositions, des inclinations, des inhibitions, voire des rejets, à manger ou à avoir du plaisir à manger en fonction soit du contexte social, soit du moment, soit du lieu, soit du produit, soit de plusieurs de ces éléments réunis. C’est en reconstruisant avec les enfants certaines situations tels les souvenirs des premières expériences relatives au piquant, à l’amertume, ou à l’histoire des goûts et dégoûts, du plaisir et du déplaisir, d’une réaction affective d’acceptation ou de rejet de l’aliment, que ces conditions ont été identifiées. Pour mettre en œuvre une telle démarche, le mode discursif s’impose.
37En ce qui concerne les thèmes principaux évoqués dans les guides d’entretien passés auprès des enfants et auprès des parents, des questions sont communes aux deux populations simplement les parents devaient s’exprimer du point de vue de leurs enfants7.
38Pour le guide des enfants, outre les composantes socio-descriptives, cinq thèmes principaux l’ont structuré.
39Premier thème : histoire des socialisations alimentaires et culinaires passées. L’enfant était interrogé sur l’organisation des tâches domestiques et parentales liées à l’alimentation et aux soins, sur les recettes familiales, la place de l’alimentation dans la famille, les règles liées à l’alimentation, l’hygiène, la répartition des rôles au cours des repas ou avant/après les repas, la journée alimentaire type de la semaine et type du week-end ou des vacances (temporalité, lieux, cadres), les modèles et références dans les goûts et dégoûts (de qui l’enfant se sent-il proche ? Père, mère, grands-parents, fratrie, camarade, autres ?), les rapports de contrainte ou de négociation autour de l’alimentation, la liberté dans le choix de produits, les rapports aux courses puis à la cuisine, dans la famille et par l’enfant.
40Deuxième thème : permanence ou changement dans les goûts et les dégoûts de certains produits. Il s’agissait ici de revenir sur les modifications possibles du répertoire des goûts et des dégoûts pour comprendre par exemple dans quelle mesure le contexte socio-affectif pouvait jouer un rôle dans ces renversements en venant modifier jusque sur le plan cognitif l’attirance ou le rejet des enfants pour certains aliments.
41Troisième thème : les socialisations alimentaires et culinaires aujourd’hui. Ici, les propos étaient orientés vers des thèmes proches du premier, simplement nous demandions à l’enfant de se positionner sur le temps présent pour continuer d’analyser les cadres socialisateurs. Cela permettait ainsi de revenir sur les deux premiers thèmes lorsque des contradictions se faisaient jour. Il s’agissait aussi de repérer par exemple des changements dans les comportements de l’enfant pour ce qui a trait à l’organisation autour des courses et des repas, aux variations dans les tensions éducatives parentales au niveau des règles alimentaires, etc. L’objectif était d’identifier les contextes, les relations socio-affectives favorisant le passage de rapports de contrainte à des rapports de coopération.
42Quatrième thème : il était demandé à l’enfant de s’exprimer sur ses ressentis, ses émotions (positives ou négatives) concernant l’acte de manger dans certaines situations. Le mode des associations libres a été proposé pour s’emparer de normes et valeurs du plaisir et/ou d’éléments de contextes et tenter de reconstruire des situations alimentaires porteuses de plaisir ou de déplaisir, voire des deux. Ainsi, l’on demandait aux enfants de raconter spontanément les liens entre « plaisir » et « aliment », « moment », « lieu » puis « contexte social ». Si la mesure de la sociabilité et de la nature des contextes apparaissait comme fondamentale pour comprendre comment l’échange et le partage peuvent affecter les rapports au plaisir, nous voulions aussi interroger les enfants sur la manière dont, de façon plus individuelle, étaient prises les décisions de manger tels ou tels produits, de reproduire telles ou telles sensations agréables. Y avait-il une motivation hédonique ? L’aliment faisait-il l’objet d’une valorisation et d’une légitimation forte dans le groupe de l’enfant ou le groupe auquel il aspire à appartenir ? Quelles sont les distinctions qui sont signifiées dans l’affirmation de l’attirance ou le rejet pour un produit ou tel autre ? Est-ce que certains aliments sont vecteurs d’un plaisir de la prise de risque ou d’un plaisir de la transgression ? Quelles formes de plaisir l’enfant adopte-t-il et sont-elles liées à son milieu socio-culturel, aux contextes ? Il s’agissait de reconstruire ce que voulaient dire les décisions de manger ou de ne pas manger en termes de plaisir et de déplaisir. Dans quelle mesure les aliments valorisés et légitimés dans une culture peuvent-ils apporter du plaisir et conduire l’enfant à les choisir ? Ces questions ont permis de repérer les logiques de différenciation et/ou d’intégration, puis d’identification à des formes de plaisirs alimentaires. Nous voulions explorer et saisir des représentations et des attitudes relatives au plaisir de manger ou de ne pas manger et tenter d’en préciser les contours en termes d’univers de socialisation, d’« espace social alimentaire » (Poulain, 1997) et de relations émotionnelles et affectives accessibles. Pour cela nous avons essayé de voir si l’enfant différait ou limitait certaines consommations ou au contraire s’il répétait certaines absorptions chaque fois pour rechercher le plaisir ou écarter le déplaisir. Les règles, les normes, les morales du plaisir ont été abordées pour mesurer les processus de socialisation et leur caractère normatif. En somme, comment les normes de ce que doit être le plaisir de manger se transmettent-elles ou s’imposent-elles à l’enfant, ce que l’on pourrait identifier comme « les bons usages » du plaisir ? Comment l’enfant reçoit-il des représentations utilitaristes du plaisir ? Qu’en fait-il ? Comment se les approprie-t-il ou au contraire comment les rejette-t-il ? Quels sont les plaisirs de conformité qu’il adopte ? A-t-il aussi des plaisirs d’individuation ? Enfin, comment chaque enfant gère-t-il les ambivalences plaisir-déplaisir, l’aliment pouvant être porteur des deux, selon la nature de sa préparation, la manière dont il est mangé, le contexte, le moment ou le lieu de sa consommation ?
43Cinquième thème : la place de l’alimentation dans la famille et pour l’enfant. Nous voulions explorer les liens entre l’alimentation, la cuisine, le plaisir, la nutrition, la santé, la temporalité, l’identité, l’histoire, en somme les modèles alimentaires s’illustrant dans chaque univers de socialisation familiale. Cette exploration continue devait permettre de comprendre quels rapports l’enfant entretenait-il à l’alimentation et comment ceux-ci s’élaboraient-ils. L’alimentation était-elle un sujet de discussion dans la famille et quelles formes les échanges prenaient-ils ? Nous faisions l’hypothèse que certaines caractéristiques sociales – un haut capital social et culturel, le fait d’être citadin ou rural, d’avoir connu une trajectoire de migration ou de mobilité, d’avoir été malade ou d’avoir un proche malade, d’avoir un membre de la famille agriculteur, fermier, cultivateur, éleveur, artisan ou restaurateur – pouvaient impacter fortement le rapport à l’alimentation. Il s’agissait de saisir des héritages comme des transmissions symboliques et de comprendre le sens attribué, par chaque enfant, à ce qu’il reçoit. Ceci implique, pour l’enfant, des opérations cognitives assez complexes pour – ainsi que le souligne Attias-Donfut (1988) à propos du don – « ressentir, extraire de la relation et symboliser » l’héritage de sociabilités familiales, de comportements alimentaires, d’histoires et recettes de cuisine, de règles au cours des repas. Ce travail peut consister à transformer ce que l’enfant reçoit de ses proches pour mieux se l’approprier dans une espèce de « continuité symbolique » (Bloch et Buisson, 1994).
44De plus, décrypter les échanges sur l’alimentation dans la famille pouvait permettre de reconstruire des rapports, des trajectoires, des épisodes de rupture, des angoisses liés aux conséquences de la modernité alimentaire. Les relations à l’alimentation sont-elles, dans les familles, complexes, anxiogènes, voire pathologiques ? Ou au contraire sont-elles sereines et apaisées ? Font-elles l’objet de revendications liées à une appartenance culturelle, sociale, géographique ? Des familles sont-elles concernées par des logiques patrimoniales ou d’histoires familiales qui pourraient marquer la socialisation des enfants et leurs processus d’appropriation symbolique dans les goûts et les dégoûts ?
45Dans le guide d’entretien proposé aux parents, les thèmes étaient identiques à ceux des enfants sauf que nous leur demandions de se positionner à propos de leurs enfants : nous voulions pouvoir comparer les dires de chacun au sein d’unités familiales. D’autres questions, relatives aux idéaux de transmission dans l’alimentation (ceux qu’en tant que parents ils souhaitent ou souhaitaient transmettre à leurs enfants) en lien avec le thème de l’éducation et de l’autorité, ont été proposées pour éclairer les objectifs, les sentiments de réussite ou d’échec des parents dans le processus de socialisation alimentaire de leur enfant de même que pour dévoiler des positionnements similaires ou différents dans les modèles alimentaires (les goûts de l’enfant sont-ils proches de ceux d’un membre de la famille ? En quoi ressemblent-ils ou divergent-ils de ceux du parent interrogé ?).
46Enfin, les entretiens auprès des professionnels ont donné lieu plutôt à des échanges informels visant à recueillir les problématiques auxquelles ils sont confrontés à propos des modes d’alimentation enfantine. Il s’agissait d’un regard croisé sur leurs perceptions de l’alimentation enfantine contemporaine et leur métier en lien avec les problématiques actuelles de l’enfance et de l’alimentation et leurs changements. Quels regards portent-ils sur ces dernières ? Se sentent-ils concernés et acteurs de la socialisation alimentaire ? Comment leur échappe-elle ? Comment gèrent-ils les demandes des enfants, celles des parents et celles de leur direction ? Quelles sont leurs expériences professionnelles passées sur cette question ? Considèrent-ils que leur métier a changé ? Trouvent-ils que les consommations enfantines se sont modifiées ? Quelles sont les formes nouvelles rencontrées et comment les vivent-ils, les gèrent-ils ? Comment reçoivent-ils certaines nouvelles réglementations ou recommandations ? Si ces directives sont perçues comme des changements importants, comment ces derniers remodèlent-ils leur métier ? Quelles prises pensent-ils avoir sur ces décisions (se sentent-ils démunis ? Sont-ils sereins ?) ? Comment s’adaptent-ils ? À quelles contradictions sont-ils soumis (injonctions médicales, éducatives, parentales et enfantines) ?
47Si ce dispositif d’enquête avait été mis en œuvre afin de multiplier les regards sur des mêmes enfants ou groupes d’enfants (les moyens d’investigation à partir des enfants « recrutés » en école devaient nous permettre de les suivre dans divers univers de socialisations alimentaires comme dans la famille), il n’a pas été possible de s’entretenir avec les parents des enfants interviewés dans le milieu scolaire malgré plusieurs relances à l’instar de ce qui a été réalisé dans l’enquête quantitative. Les parents interrogés sont des parents rencontrés à partir de nos propres réseaux sociaux puis par la technique du bouche à oreille. Là est la principale limite du mode de recueil car il n’est pas possible de reconstruire fidèlement des univers de socialisation alimentaire dans la famille nous éclairant sur les positions identitaires adoptées par les enfants sur certaines questions, sur la place de l’alimentation dans la famille, sur les idéaux de transmission, sur le rapport à l’éducation alimentaire dans les foyers et enfin sur tout autre élément de la vie familiale utile pour mieux comprendre certaines postures enfantines sur la question du plaisir.
48Pour préparer l’enquête tant qualitative que quantitative, nous avons proposé à l’ensemble des enfants de CM2 et de classes de 6e de répondre en plus à un questionnaire exploratoire suivant la méthode de l’auto-saisie : 70 enfants y ont répondu. Cette pré-enquête avait pour objectif, d’une part de renseigner certains éléments descriptifs dans une logique d’économie de temps, d’autre part de tester quelques questions apparaissant centrales pour l’enquête plus vaste que nous nous apprêtions à mettre en œuvre et ce, même si les modalités de passation s’avèreraient différentes (méthode auto-saisie dans la pré-enquête et saisie par un enquêteur dans l’enquête quantitative).
49En renseignant préalablement certaines dimensions avant les entretiens par les enfants que nous allions interroger, ce procédé a permis un gain de temps non négligeable du fait des contraintes temporelles auxquelles la situation d’enquête en établissement scolaire peut conduire (emplois du temps serrés pendant leurs pauses ou heures de permanence). De plus, cette démarche – si elle s’est avérée pertinente pour le choix de la formulation ou reformulation de questions – a dégagé conjointement des aspects de mise en forme des questionnaires pour en permettre une meilleure lisibilité et compréhension.
Organisation générale de l’enquête quantitative
50Une enquête quantitative auprès d’un échantillon de 2 528 individus a été conduite pour documenter et expliquer les modèles alimentaires enfantins et les formes de plaisir s’y déployant en comparaison avec leurs parents ou des adultes représentatifs de la population nationale.
51Le questionnaire est un outil permettant de collecter d’importantes quantités de données.
52L’interrogation en face à face et au domicile des enquêtés, pour laquelle nous avons optée, est probablement la méthode la plus fiable et la plus riche car elle offre la possibilité de creuser certaines questions presque sur le mode de l’entretien semi-directif et parce qu’elle rend envisageable des questionnements élaborés et complexes. Elle présente néanmoins deux inconvénients. Le premier porte sur le coût de cette investigation : la durée de la prospection, puis des enquêtes (deux mois ont été nécessaires pour la collecte), ainsi que le déplacement des enquêteurs au domicile des personnes qu’elle suscite entraînent de fortes dépenses8 ; le second est la nécessité d’associer des enquêteurs formés à de tels modes de recueil : guides d’enquête et sessions de formation sont impératifs pour les y familiariser. Cette préparation rend plus maîtrisable la manière de se présenter et de poser les questions dans l’objectif de réduire les biais entraînés par le statut d’enquêteurs trop perçus par les usagers comme des prospecteurs employés par des sociétés dans le cadre de sondages en marketing. La mise en garde de ces professionnels contre toute forme de jugement de valeur aux réponses apportées a constitué un aspect primordial dans les formations de même que leur préparation à ne pas anticiper et proposer de réponses dans les questions ouvertes mais à accompagner, en s’appuyant sur des procédés habituels dans les techniques d’entretiens semi-directifs. Cette méthode autorise des questionnements qu’une enquête téléphonique ou auto-administrée ne permet pas : c’est le cas de la reconstruction de la journée alimentaire de la veille avec les outils d’anamnèse. Cette méthode est chronophage : elle a impliqué trente minutes d’échanges avec l’enfant seul, soixante minutes en tout si l’enquêteur interrogeait une fratrie ainsi que quarante minutes pour le parent, soit au total entre 1h10 à 1h40 passée par l’interviewer dans chaque famille. L’obligation d’interroger les personnes séparément a été incluse dans le cahier des charges pour éviter les biais de réponses entre parents et enfants et entre frères et sœurs face à l’enquêteur.
53La collecte des données de l’enquête s’appuie sur trois questionnaires administrés en situation de face à face entre l’enquêteur et l’interviewé9. Le terrain s’est déroulé entre fin janvier et mi-mars 2007, tous les jours de la semaine exceptés les dimanches et les lundis dans le but de ne collecter que des données de comportement alimentaire hors week-end.
Présentation des questionnaires
54Trois questionnaires ont été élaborés, le premier pour des parents d’enfants âgés entre 7 et 17 ans, le deuxième s’adresse aux enfants et adolescents de l’échantillon parental, le dernier concerne la population âgée entre 18 et 70 ans. Un lien de filiation existe à deux niveaux : entre parent et enfant et entre enfants (374 fratries). Ces questionnaires se décomposent respectivement en quatre grandes parties pour les questionnaires « adultes » et « enfants » et cinq pour celui des « parents ». La première porte sur le thème des permanences et des mutations des modèles alimentaires ; la deuxième aborde les formes de plaisir alimentaire ; la troisième revient sur la contextualisation des repas et des situations de plaisir alimentaire ; la quatrième dresse l’inventaire de l’organisation domestique sur l’alimentation et la cinquième traite de l’organisation parentale et des styles éducatifs.
Permanences et mutations alimentaires : l’approche par les normes et les pratiques, ainsi que les comparaisons dynamiques
55Comment les transformations actuelles du paysage alimentaire affectent-elles les modèles alimentaires ? Le débat qui concerne les conséquences de la modernité alimentaire se situe dans l’accentuation tantôt des mutations à l’œuvre dans les comportements alimentaires, tantôt de ses formes stables ou stabilisées.
56Grâce à l’étude du fait alimentaire adoptée depuis plusieurs années (Poulain et al., 1993, 1995, 1997, 2003) sur laquelle nous nous sommes appuyés, il est possible d’appréhender de façon dynamique – par des comparaisons avec les précédentes données – des résultats portant sur les représentations alimentaires ainsi que sur les pratiques reconstruites. Les données reconstruites au travers de la remémoration de la journée alimentaire de la veille permettent, dans leur comparaison avec des données de représentation, de mesurer des écarts dont Poulain a montré la pertinence analytique dans l’explication des effets de la modernité alimentaire sur les modèles des mangeurs au travers des nuances apportées au registre de la cognition et de la pratique.
Fig. 2. Les niveaux du fait alimentaire. [D’après Poulain, 2001]

57Les données reconstruites, mobilisées auprès des trois populations, ciblent les pratiques effectives. Elles sont obtenues à partir de la remémoration par chaque enquêté de sa journée alimentaire de la veille. Cette technique de collecte, proche de l’entretien semi-directif, implique que chaque enquêteur soit formé et armé d’une grille permettant d’aider l’enquêté dans son travail d’anamnèse, en passant systématiquement en revue pour chaque prise décrite par l’enquêté différents descripteurs tels que l’heure, la durée, la position, le lieu, le contexte social, la composition, la définition de la prise. Sur des échantillons suffisants, les réponses décrivent une régularité statistique.
58Les pratiques déclarées renvoient à ce que les sujets disent faire ou prétendent avoir fait. Il s’agit de données comportementales rapportées. Ce niveau du fait alimentaire est le plus utilisé dans les enquêtes sur les comportements car il est le plus facile à obtenir. Cependant, il se heurte à des écueils qui, s’ils ne sont pas contrôlés, peuvent biaiser les analyses. En effet, la déclaration de certaines pratiques se trouve en quelque sorte « télescopée » par le poids des normes, de ce qu’il convient de faire pour être conforme à des principes moraux, religieux, identitaires, symboliques, culinaires et diététiques. Les « pratiques déclarées » permettent le plus souvent d’avoir accès non au domaine des pratiques mais à celui des dimensions cognitives dans la production de sens, la transformation, la déformation mises en œuvre par l’enquêté pour « coller » ses pratiques à ce qu’il pense qu’il devrait faire.
59Enfin, dans les données de représentation, les normes permettent de saisir les règles ou les modèles de conduite largement suivis dans une société ou un groupe social. Les normes alimentaires sont soumises à des influences multiples, leur non observance peut conduire à des sanctions de la part du groupe. Elles vont régir l’organisation alimentaire, les conditions et les contextes de consommation et peuvent être repérées chez chaque enquêté à partir de questions liées à la définition de ce qu’il considère comme un « vrai repas ». La norme sociale des prises alimentaires renvoie à un ensemble de conventions, de règles relatives à la composition structurelle des prises alimentaires des repas et des prises alimentaires en dehors des repas, ainsi qu’aux conditions de leur consommation en termes de contextes, de lieux, de moments, de sociabilités, de positions, de durées. En France, la norme sociale de la structure des repas est une unité constituée de quatre ou trois catégories : entrée, plat garni, fromage, dessert. Considérée comme « repas normal », cette structure de repas se donne à voir dans les menus de nombreux restaurants y compris scolaires (Poulain, 2001).
60La norme a été identifiée dans les enquêtes antérieures (Poulain et al., 1993, 1995, 1997, 2003) autour de la composition structurelle des prises alimentaires durant les repas.
61Cette enquête prolonge la perspective en saisissant aussi les contextes en termes de lieu et de sociabilités. À partir de ces différentes données, il est possible de mener des comparaisons permettant de saisir les cohérences ou les décalages entre données reconstruites, déclarées et représentées. Cette perspective comparative apporte des nuances à l’analyse des mutations des modèles alimentaires : quelquefois, les pratiques changent tandis que les normes sont stables (Poulain, 2001).
62La partie relative aux représentations et comportements alimentaires dans le questionnaire sous-tend plusieurs questionnements : les spécificités des comportements alimentaires des enfants au regard des adultes ; les spécificités de la population parentale comparativement aux adultes de la population de référence.
63En premier lieu, les éventuelles spécificités des comportements alimentaires des enfants au regard de leurs parents ou des adultes de la population témoin. Les populations enfantines et adolescentes sont-elles touchées de la même façon par les effets de la modernité alimentaire ?
64Idéalement, il s’agirait de décrire et de comparer des données sur plusieurs années de ces populations enfantines et adolescentes et de mettre en place des cohortes pour savoir si les éventuelles spécificités de celles-ci s’installent dans la durée, c’est-à-dire à l’âge adulte, ce qui signifierait que les changements à l’œuvre dans les modèles alimentaires sont des effets durables de la modernité alimentaire plutôt que des effets structurels liés à l’âge et à la nature de ces populations. En somme, c’est s’intéresser aux modèles alimentaires des enfants et des adolescents comme laboratoire et lieu d’observation des changements inhérents à la modernité alimentaire en prévision des habitudes alimentaires futures. C’est aussi intégrer d’éventuels effets structurels caractérisant les modèles alimentaires enfantins et adolescents comparativement aux modèles alimentaires des personnes de plus de 18 ans. Simplement, ces analyses se heurtent à deux écueils principaux. Les réponses à ces questions impliquent des comparaisons dynamiques sur un ensemble de mêmes données de pratiques et de représentations. L’« invisibilité statistique » (Qvortrup, 2001) dont les enfants et les adolescents ont fait l’objet dans les enquêtes ne permet pas pour le moment de regarder les mutations éventuelles de ces dernières années avec beaucoup de précisions. De plus, à l’instar des difficultés rencontrées dans les comparaisons avec des populations d’adultes, les enquêtes existantes ne portent pas systématiquement sur des données de nature identique. Les formulations des questions divergent d’une enquête à une autre et, en règle générale, les données déclaratives y sont privilégiées.
65Néanmoins, le protocole mis en œuvre, s’il n’autorise pas les analyses prédictives à propos de comportements alimentaires futurs, permet d’apporter des éclairages sur les modèles alimentaires enfantins et adolescents par rapport à ceux de leurs parents et des autres adultes représentatifs. Et ce d’autant qu’en prenant appui sur les études existantes, notamment à partir de la comparaison avec des modèles de questionnaires identiques, il est possible de repérer de grandes tendances en termes de mutations et de stabilité des modèles alimentaires et d’en tester les corrélations possibles avec les âges ou les classes d’âge pour en (in) valider les causes structurelles.
66De plus, dans chaque famille, la construction du lien social familial s’opère dans la transmission d’un héritage culinaire et alimentaire symbolique ancré sur des pratiques éducatives, des sociabilités familiales, des répartitions dans les activités domestiques et parentales, des rôles qu’il convient de resituer dans des cadres socio-culturels précis. Si des transformations des pratiques alimentaires sont à l’œuvre chez les jeunes générations, y compris dans les héritages alimentaires qu’ils reçoivent des générations adultes (leurs parents mais aussi la société toute entière), cela peut être lié à des effets structurels de génération et d’âge, à des effets conjoncturels (phénomènes de mutations alimentaires observés dans la modernité), mais aussi à ce que font les enfants et les adolescents de ce qu’ils reçoivent. Ainsi que le précise Kaes, « pour que l’héritage soit hérité, pour que la transmission soit transmise, il faut que l’héritage soit pris et transformé » (Kaes, 1985, p. 43). Les comparaisons intergénérationnelles et intragénérationnelles que l’enquête permet dans plusieurs modalités de questionnements offre une perspective intéressante sur l’héritage symbolique des modèles alimentaires familiaux mais aussi sociétaux et sur la façon dont le plaisir s’y déploie. Dans cette direction, les questionnements relatifs aux normes et aux pratiques peuvent être remobilisés dans le cadre d’une réflexion sur la socialisation comme indicateurs de divers niveaux de socialisation.
67En second lieu, l’analyse des éventuelles spécificités de la population parentale comparativement aux adultes de la population de référence. Des travaux portant sur les styles éducatifs alimentaires parentaux montrent que le rôle éducatif des parents a une incidence sur la socialisation alimentaire des enfants. Les parents transmettent des héritages symboliques autour de la relation intersubjective qui se noue entre eux et leurs enfants, qui produisent le lien et l’identité familiale et celle du groupe. À l’inverse, un relâchement dans les comportements alimentaires de parents est apparent lorsque les enfants quittent le foyer familial (Poulain, 1998) : structures et compositions des repas d’une part, implantation horaire des prises alimentaires d’autre part pourraient faire l’objet d’un ancrage moins puissant sur les règles sociales qui – au niveau de l’alimentation mais aussi du mode de vie en général – organisaient et structuraient les journées en présence d’enfants. Ainsi, un éclairage sera apporté sur l’adoption éventuelle par les parents des enfants interrogés de comportements alimentaires spécifiques, voire davantage structurés que les autres adultes, du fait de certains impératifs normatifs et exigences éducatives. En prenant appui sur les résultats et modèles disponibles, cette population sera comparée à l’échantillon d’adultes représentatifs de la population nationale pour mesurer les différences sur un certain nombre de descripteurs et de dimensions inhérentes à l’alimentation.
Le plaisir alimentaire : attitudes, représentations et vécus
68Peut-on s’intéresser au plaisir comme phénomène observable, mesurable, quantifiable et qualifiable ? A priori, la tentation est grande de considérer que le plaisir ne constitue pas un bon objet pour l’investigation sociologique. Pourtant son unité, présente dans sa forme nominale et générique, masque des attitudes et des représentations très différentes de la part des individus et des groupes. Écarter l’évidence de l’unité ou de l’homogénéité du plaisir implique de s’intéresser à son expérience au travers de sa diversité et de sa multiplicité. Mettre en avant la diversité du vécu du plaisir au niveau individuel, c’est risquer de tomber sous l’objection de la radicale différence des plaisirs. De plus, la polysémie du mot rend plus difficile son exploration (supra partie 1, chapitre 3).
69Le repérage de styles de plaisir alimentaire a été envisagé en amont en complément d’une approche interactionniste basée sur les plaisirs vécus. Il s’est agi d’identifier – pour la préparation de certaines questions fermées – diverses attitudes et représentations à l’encontre du plaisir. En effet, en France, si la revendication portant sur l’importance du plaisir, notamment partagé, est bien réelle, nous ne savons pas véritablement comment ces attitudes et ces opinions se découpent à l’échelle des populations et des sous-populations. Le plaisir, comme on le sait, est l’objet d’un processus normatif définissant ce qui est convenable dans chaque groupe par rapport à la manière d’en prendre, d’en donner et d’en recevoir. Différentes normes vont s’articuler et quelquefois entrer en contradiction les unes avec les autres. Pour documenter ces dimensions du plaisir, plusieurs questions ont été proposées aux enquêtés. Certaines d’entre elles n’ont pas été posées aux enfants et aux adolescents en raison de la difficulté de compréhension attendue inhérente à l’effort de conceptualisation. Pour d’autres, au contraire, analyser les pratiques alimentaires des enfants du point de vue du plaisir avait comme ambition de conforter ou nuancer l’apparente uniformité d’un plaisir enfantin qui a été posée dans toute une tradition de la psychologie autour du goût enfantin.
Contextualiser les repas et les situations de plaisirs alimentaires
70Deux objectifs principaux sous-tendent la contextualisation des repas et des situations de plaisirs alimentaires.
71Le premier porte sur un essai de modélisation des situations alimentaires sur le modèle du « triangle du manger » de Corbeau (1994). Comme « événements sociaux » (Douglas, 1979) leur forme structurée est largement prédéterminée par des règles sociales. Nous souhaitions en faire l’inventaire pour pouvoir les comparer selon les populations. À partir des normes et des pratiques reconstruites de chaque individu, les occurrences analysées permettent-elles de modéliser des situations typiques ? Peut-on dire que leur organisation en termes de lieu et de contexte social serait associée à un type d’aliments ou de plats ? L’accès aux aliments est-il circonscrit par les contextes ? Ces situations induisent-elles des « effets pochoirs » (Fischler, 1990) consistant à limiter le champ des expériences ? Existe-t-il des effets de générations, d’âge, de sexe ou de positions sociales pesant sur la délimitation de ces situations alimentaires ?
72Le second tente de prolonger les apports de Poulain et de ses collaborateurs dans le domaine de l’analyse des faits alimentaires en sociologie de l’alimentation. Si la norme a été identifiée dans les enquêtes antérieures (Poulain et al., 1993, 1995, 1997, 2003) autour de la composition structurelle des prises alimentaires durant les repas, nous avons souhaité en saisir également les dimensions de contextes en termes de lieu et de sociabilité pour recueillir à la fois ce qui semble « convenable », mais aussi ce qui se pratique dans chaque situation de repas. La comparaison de ces conditions de repas avec celles des pratiques déclarées ou reconstruites devrait permettre d’apporter une contribution nouvelle à la question des permanences et des mutations dans les modèles alimentaires notamment au regard des présupposés existants.
73C’est avec une même logique que nous avons procédé dans la reconstruction de situations de plaisirs alimentaires ou d’associations spontanées sur le plaisir à l’intégration de questions portant sur les contextes10.
74Les éléments saisis devraient permettre de mener une réflexion sur les modèles alimentaires dominants et les formes du plaisir et porter un éclairage sur l’« espace social alimentaire » de ces populations car il peut contribuer au renforcement des actions en matière d’éducation alimentaire (et non uniquement d’éducation nutritionnelle).
L’ organisation domestique dans le domaine de l’alimentation
75Ces questions s’intéressent aux pratiques déclarées sur l’organisation domestique dans le domaine de l’alimentation. La plupart des études menées sur ce thème (infra partie 3, chapitre 1) montre que ces tâches sont encore très inégalement réparties au sein des foyers. Nous faisons l’hypothèse que la répartition des rôles et l’importance des statuts ont une influence non négligeable dans les formes de la socialisation des enfants et des adolescents avec des effets sur la familiarisation à certains produits et la constitution d’habitudes de consommation et de préférences. La charge physique et mentale aurait une incidence sur l’accès aux aliments, le choix des menus ou le rythme des repas pour l’ensemble de la famille.
76Ces questions sont précédées de celles portant sur l’organisation parentale et les styles éducatifs. Leurs traitements ont été, dans l’échantillon des parents, le plus souvent associés.
L’ organisation parentale et les styles éducatifs dans l’alimentation
77Deux dimensions de la parentalité sont appréhendées dans cette partie. La première porte sur l’organisation parentale au sein des foyers pour les activités qui concernent les enfants ou leur sont destinées ; la seconde s’intéresse aux styles éducatifs abordés à partir du rapport aux règles et à l’attention accordée par les parents à leurs enfants.
78En premier lieu, le thème de l’organisation parentale de l’alimentation familiale sera appréhendé à partir des déclarations portant sur la répartition des tâches parentales dans les foyers comme la garde des enfants, le fait de s’en occuper, de les nourrir, de les soigner, etc. La plupart des études montrent qu’actuellement ces tâches se répartissent plus équitablement dans les couples que les tâches domestiques liées à l’alimentation. L’activité parentale des hommes se traduit particulièrement dans l’accompagnement des enfants à l’école le matin. Mais leur contribution semble encore relativement modeste d’après les analyses issues des enquêtes de budget-temps.
79Nous faisons l’hypothèse qu’à l’instar de la répartition des rôles dans les tâches domestiques, celle-ci a aussi une influence non négligeable dans les formes de la socialisation des enfants et des adolescents, et ce d’autant que ce qui est aussi transmis, ce sont ces formes de répartition des tâches au sein du foyer. Si ces questions sont largement développées en entretiens socio-compréhensifs notamment à partir de ceux réalisés avec les mères, nous souhaitions dans cette enquête en quantifier certains aspects.
80En second lieu, nous proposons d’étudier l’incidence des styles éducatifs parentaux sur les comportements alimentaires et les formes du plaisir de leurs enfants. Dans l’alimentation, les styles éducatifs parentaux ou les pratiques parentales suscitent un vif intérêt ces dernières années. La recrudescence des études relatives aux influences parentales sur l’alimentation enfantine est liée aux enjeux de l’alimentation enfantine et cette tendance est d’autant plus forte que le soupçon d’une « mauvaise » influence parentale serait l’une des principales conséquences de l’augmentation de l’obésité infantile (supra partie 1, chapitre 2). Un autre domaine a été concerné par des problématiques similaires : celui de l’échec scolaire. Elles ont donné lieu à des réflexions sur les stratégies éducatives inscrites dans deux familles de pensée. Une première, plus ancienne, considère les relations mécanistes entre les positions structurelles et les orientations éducatives, pédagogiques. L’origine sociale des parents, leur niveau d’éducation, leur profession et leurs revenus exercent une influence décisive sur les valeurs et les buts qui les guident dans l’éducation de leurs enfants ainsi que sur les moyens auxquels ils ont recours pour les atteindre (Gecas, 1979 ; Hess, 1970, cité par Kellerhals et Montandon, 1991). Les parents situés en bas de l’échelle sociale font davantage usage de coercition, de contrainte et de force tandis que ceux qui sont situés en haut de la hiérarchie communiquent avec l’enfant, le raisonnent, le soutiennent et adoptent une attitude plus « démocratique » (Baumrind, 1971). Les processus d’influence sont identifiables, dans ce modèle-ci, par des stratégies au niveau de règles et de modèles de transmission mais aussi au niveau des rôles ou des statuts au sein du foyer, notamment dans la division du travail. Ces effets de structures vont déterminer le type de « structuration familiale » – souple, rigide ou faible – qui traduit chez les familles une tentative d’adaptation de leurs règles de fonctionnement à leurs conditions de vie. En somme, des ressources faibles et des conditions de vie difficiles appellent des règles de vie rigides tandis que des ressources élevées et des conditions de vie faciles induisent une régulation souple. La seconde famille de pensée, d’apparition plus récente, adopte une posture tantôt critique, tantôt distanciée en intégrant dans ses analyses les effets d’interactions. Des relations d’influences jouent un rôle sur le processus éducatif. Contrairement au premier modèle qui observe surtout l’influence parentale, cette perspective intègre dans ces analyses les influences enfantines comme étant au cœur du processus de négociation.
81L’attitude parentale a donné lieu à une appréhension par les styles parentaux. Ils se définissent selon deux dimensions, soit en termes d’exigences parentales imposées aux enfants, soit en termes de sensibilités parentales aux besoins des enfants (Maccoby et Martin, 1983). Selon Baumrind (1971), trois styles parentaux sont repérables : le « style autoritaire » (appelé aussi « autocratique »), le style « démocratique » et le style « permissif » (nommé aussi « laisser-faire »).
82En ce qui concerne le « style autoritaire », il est caractérisé par un niveau élevé de discipline et d’exigence, et un faible niveau d’affection et de communication. Les parents expriment des directives fermes et contrôlent le comportement et les attitudes des enfants selon des règles de conduite fixes, strictes devant être suivies par ces derniers. Les règles sont uniquement décidées par les parents.
83Le « style démocratique » est caractérisé par un niveau élevé de discipline, des limites claires entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit, mais laisse une part importante à la communication. Les parents utilisent l’interrogation et le raisonnement pour guider les enfants dans leurs choix, en respectant leur position et en leur donnant ainsi un peu d’autonomie dans les domaines les concernant.
84Enfin, le « style permissif » correspond à un niveau élevé d’affection et d’attention, mais à un faible niveau de discipline, d’exigence, de contrôle et de communication. Les parents laissent les enfants faire ce qu’ils veulent, ils ont peu de demandes, exercent peu de pressions et consultent régulièrement les enfants dans un contexte de grande tolérance. Selon Maccoby, les parents permissifs peuvent être de types indulgents ou négligents, ce qui a abouti à un repérage d’un style « désengagé ». Il désigne une attitude parentale indifférente à l’égard des enfants se traduisant par une absence de soutien à leur égard et un niveau d’exigence faible (Maccoby et Martin, 1983).
85Dans le domaine de l’alimentation, les styles éducatifs parentaux ont été étudiés en regardant leurs répercussions sur l’alimentation des enfants et les modes d’apprentissage. Les interférences dans le processus d’autocontrôle interne des enfants en fonction du niveau de contraintes et de restrictions des parents (Costanzo, 1985), l’articulation entre les exigences alimentaires (élevées ou moindres) et la sensibilité élevée ou moindre aux besoins alimentaires (Hughes et al., 2005), la disponibilité et l’accès aux aliments (Kremers et al., 2003, cité par Dulude, 2006), l’interaction avec l’enfant dans le domaine de l’alimentation (Birch et al., 1998) ou encore les liens entre les styles parentaux et l’indice de masse corporelle de l’enfant (Brann et al., 2005, cité par Dulude, 2006) sont autant d’aspects appréhendés dans cette perspective.
Tableau 1. Classification des styles alimentaires parentaux.
Sensibilité aux besoins alimentaires de l’enfant | Exigences alimentaires élevées | Exigences alimentaires moindres |
Élevée | Démocratique | Permissif |
Moindre | Autoritaire | Désengagé |
D’après Hughes et al., 2005
86Plus récemment, des études s’intéressant aux rapports entre les styles éducatifs parentaux et le niveau de contraintes alimentaires ou de mesures de contrôle et de pression se sont développées pour comprendre l’influence parentale dans l’adoption par les enfants de comportements alimentaires en faveur d’attitudes que les parents jugent « bonnes » pour la santé et/ou pour la corpulence de leurs enfants. La littérature – plutôt nord-américaine – suggère que le style éducatif autocratique d’une mère a une incidence sur l’alimentation de ses enfants : la restriction alimentaire et la préoccupation du poids de l’enfant par la mère favoriseraient le risque de surplus de poids chez l’enfant et plus encore s’il s’agit d’une fille (Birch et al., 2000 ; Fisher et al., 1999 ; Francis et al., 2001 ; Faith et al., 2004). Certains travaux vont aussi jusqu’à étudier le rapport entre le style éducatif parental et la consommation de fruits ou de légumes des enfants (Cullen et al., 2001 ; Fisher et al., 2002 ; Kremers et al., 2003). Enfin, l’utilisation de la récompense (alimentaire ou non) pour faire manger l’enfant modifierait ses préférences alimentaires (Birch et al., 1982 ; Rigal, 2002). Une étude comparative entre Latino-Américains et Nord-Américains a montré l’importance du lien entre culture et styles éducatifs : les parents latino-américains utilisent la récompense comme une stratégie efficace pour faire manger leurs enfants tandis que dans la culture nord-américaine, cette même pratique aurait une incidence négative (Patrick, 2005).
87Il est apparu intéressant d’intégrer ces dimensions au regard des configurations nouvelles générées par la modernité alimentaire. Le milieu familial reste sans conteste le premier laboratoire d’apprentissage des habitudes alimentaires sous la responsabilité parentale ; ce sont les parents qui décident en priorité quels aliments sont disponibles à la maison et dans quels contextes ils sont consommés. Les formes de négociations entre parents et enfants observées au cours de la socialisation alimentaire tendent à montrer des mutations (supra partie 1, chapitre 2). Ces changements semblent impacter les systèmes de valeurs concernant les styles éducatifs, valorisant ainsi le style démocratique et reléguant aux oubliettes les styles autoritaire et permissif, et ce bien que le débat sur ces deux dernières postures opère toujours lorsqu’il est articulé avec la problématique de la nécessité ou non de poser des interdits aux enfants ; dimension prenant une acuité considérable dans les débats sur l’éducation à l’alimentation des enfants. Nous tenterons de mesurer les perceptions générales des parents pour voir si le style démocratique est le plus prégnant dans l’alimentation ou si les autres styles sont encore bien représentés. En effet, compte tenu des enjeux actuels sur l’éducation et plus spécifiquement l’éducation alimentaire et nutritionnelle, on peut se demander si cela peut impacter les styles éducatifs de parents tiraillés par des injonctions contradictoires en termes d’affection, de contrôle et de guidance à donner à leurs enfants. Enfin, nous tenterons d’analyser comment les styles éducatifs se distribuent socialement.
88Ce travail est réalisé à partir de questions sur les représentations et les pratiques relatives à l’éducation (y compris alimentaire) des enfants et aux modes d’autorité parentale, à l’imaginaire autour de la transmission (règles, héritages et idéaux), ainsi que la perception des rôles éducatifs (rapports aux règles, aux choix, à l’autorité).
89L’analyse de Montandon et Kellerhals (1991) sur les stratégies éducatives des familles a permis de réfléchir à la possibilité de reconstruire à partir de plusieurs variables des styles éducatifs selon deux modèles : l’un envisage le rôle des parents sur les enfants et s’appuie sur une variable combinée basée sur un mode de relation linéaire ; le second, plus dynamique et interactif, intègre les rôles des enfants et leurs prises dans le processus éducatif dans la construction d’une seconde variable combinée.
Les variables sociodémographiques et socio-descriptives
90Les modèles alimentaires et les formes du plaisir donneront lieu à une description en fonction de dimensions démographiques et sociales. Certaines questions constituent simultanément des variables de quotas : elles ont été prises en compte en amont du questionnaire pour la sélection des échantillons. C’est le cas de la structure familiale, de la catégorie socio-professionnelle, de l’âge des enfants, de la région (7 grandes zones) et du degré d’urbanisation dans le cadre de l’enquête auprès des adultes de plus de 18 ans représentatifs de la population française métropolitaine (hors Corse). Pour l’échantillon des parents, il s’agissait d’un sous-échantillon tiré du premier appareillé de la manière suivante : les personnes enquêtées devaient être parents d’un enfant âgé entre 7 et 17 ans. Pour l’échantillon des enfants, seuls le critère de l’âge (compris entre 7 et 17 ans) et le fait d’avoir un équilibre entre les enfants uniques et ceux issus de fratries (sans demande de représentativité) devaient être respectés. Les quotas ont été calculés à partir des données disponibles de l’Insee sur les recensements de 1999, de 2004 ou de 2005. Pour les personnes ayant refusé de répondre au questionnaire, et entrant dans les critères de quotas, des fiches refus ont été remplies par les enquêteurs (infra annexes).
Fig. 3. Critères d’échantillonnage du cahier des charges.

91L’ensemble des variables permet d’enregistrer les informations de type :
sociodémographique : âge, sexe, commune de résidence ;
socio-économique : profession, niveau de revenus, niveau d’études, situation familiale, composition du foyer ;
anthropométriques : taille, poids, (permettant le calcul de l’indice de masse corporelle) ;
familiales : structure du foyer, nombre enfant(s) ;
ainsi que celles relevant du domaine des pratiques et comportements : activités sportives, loisirs, fréquences de pratiques télévisées.
92Toutes ces variables sont mobilisées au moment des croisements statistiques. Certaines offrent la possibilité de créer des variables combinées, comme le positionnement social. La notion de « position sociale » renvoie à l’idée que les sociétés sont hiérarchisées selon un critère économique, politique ou social (prestige). Elle peut être appréhendée à travers la catégorie socio-professionnelle d’appartenance, le niveau de revenus, le diplôme (variable de position simple) ou leur combinaison à partir de la construction de deux indicateurs :
Niveau culturel et économique proposant des modalités regroupées sur une échelle allant du « faiblement diplômé avec de faibles revenus » au « fortement diplômé avec des revenus très forts ».
Indice de positionnement social construit à partir de la catégorie socio-professionnelle de l’interviewé, de son niveau d’étude, de son revenu net mensuel et des ressources nettes mensuelles du foyer.
93La notion de mobilité sociale rend compte du déplacement d’un individu dans la structure sociale ; elle est dite intragénérationnelle si elle compare la position d’un même individu à deux moments de sa vie (début de carrière et fin de carrière) ou intergénérationnelle si elle met en relation la position sociale d’un fils et celle de son père, d’une fille et celle de sa mère. La mobilité peut être ascendante, descendante ou équivalente selon que le déplacement s’élève, descend ou reste au même niveau de l’échelle sociale (Cuin, 1993).
Les dispositifs de l’enquête quantitative
94L’enquête quantitative menée auprès des trois échantillons (1/ enfants et adolescents ; 2/ parents ; 3/ adultes représentatifs) est composée de plusieurs parties qu’il a fallu isoler afin d’en faciliter les traitements. Le corpus global comprenait trois masques de saisie pour chacun des échantillons avec les modalités de réponses aux variables fermées et les questions ouvertes auxquelles se sont ajoutées des centaines de nouvelles variables (construites, recodées, calculées ou combinées).
95Dans le premier dispositif, trois grandes parties ont été sélectionnées pour chacune des populations. Une première concernant les questions et traitements sur le plaisir alimentaire ; une seconde correspondant aux opérations et croisements réalisés sur les modèles alimentaires ; une dernière portant sur la répartition des tâches (domestiques et/ou parentales) ainsi que sur les styles éducatifs pour les échantillons de parents et d’enfants. Pour ces trois parties, des masques ont été créés afin de fusionner les fichiers des enfants avec ceux de leurs parents ou des enfants avec leur frère ou sœur afin de permettre les comparaisons au sein des unités familiales11. D’usage peu fréquent dans la recherche, cette enquête quantitative prend en compte les liens de filiation intergénérationnels et intragénérationnels : échantillon composé de 374 fratries (soit 748 enfants) et 254 enfants uniques et dont les réponses sont comparées à l’un de leurs parents (au nombre de 624).
96Dans le second dispositif, il s’est agi de comparer modèles alimentaires et dimensions du plaisir pour dégager les réponses concordantes et ainsi interroger la place qu’occupe le plaisir dans les modèles alimentaires en France. Ces perspectives sont présentées dans le dispositif général.
97Enfin, le troisième dispositif appréhendé dans cette étude quantitative a consisté à comparer les données des trois échantillons en ce qui concerne les normes et pratiques alimentaires au niveau de la structure des repas, de la temporalité, de la structure des journées alimentaires, du contexte social et du lieu avec les résultats des enquêtes réalisées sous la direction scientifique de Poulain en 1995, 1997 et 2003.
Fig. 4. Les quatre thèmes de l’enquête quantitative selon les caractéristiques descriptives.

Fig. 5. Dispositif 3 de l’enquête quantitative : comparaison dynamique des modèles alimentaires.

Notes de bas de page
1 Pour connaître en détail le dispositif de recherche et de collecte de données, consulter Dupuy, 2010.
2 Zone libre de circulation en restauration collective où les comptoirs et buffets sont à disposition des clients.
3 Pour connaître dans le détail les conditions du recueil des données par entretiens et questionnaires, consulter Dupuy, 2010.
4 Les dialogues engagés auprès de ces personnels ont fait rejaillir de fortes préoccupations relatives à l’alimentation ainsi que les paradoxes auxquels ils sont confrontés dans la gestion entre les diverses demandes émanant des enfants, des parents, de leur direction ou encore des institutions locales, régionales et nationales.
5 Dupuy, 2004, 2010.
6 Voir annexes pour la description des enquêtés.
7 Les thèmes abordés dans les guides d’entretien étant détaillés dans cette partie, les guides ne sont pas communiqués. Pour les consulter, voir Dupuy, 2010.
8 Étude quantitative dont le financement a été intégralement pris en charge par Ferrero France.
9 Voir Dupuy, 2010.
10 La méthodologie employée sur certaines questions de représentations s’inscrit dans une conception proche de celle de Lahlou (1998) sur les notions de « bien manger » et d’associations spontanées.
11 Au sens donné en statistique.
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Un aliment sain dans un corps sain
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La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
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