Introduction deuxième partie
p. 171-173
Texte intégral
Concevoir la sociologie comme un effort de description raisonné du monde social, de résolutions d’énigmes, d’élucidation de mécanismes constitutifs, de mise à l’épreuve des schèmes interprétatifs permet de définir un vecteur épistémologique commun, irréductible sans doute à une unification théorique, mais suffisant pour circonscrire un espace de problématisation partagé. Approfondir cet espace par l’épuration et la comparaison réglée des grands programmes de la sociologie, favoriser des modes de cumulativité critique procèdent non par simple addition ou intégration mais par indexation claire des résultats à des référentiels confrontables.
Berthelot, 1998, p. 13. Poulain & Corbeau, 2002, p. 144.
1La polysémie caractérisant le plaisir rend l’objet complexe à analyser sur le plan sociologique. Le plaisir, les mangeurs ont du mal à le cerner et à le définir : on ne sait où il commence et où il s’arrête, on le définit tantôt comme quelque chose qu’on désire ou qu’on doit dompter, on l’exprime à travers les goûts et les préférences, le registre de la sensorialité ou celui de la symbolique, du sens, des appartenances, des affects et de l’amour. Tous ces niveaux apparaissent quand on interroge sur le plaisir alimentaire. L’exploration des formes du plaisir permet de décrypter des composantes comme autant de marqueurs variant selon la qualité (il existe des plaisirs dits de grands ou petits, féminins ou masculins, etc.) ou selon l’intensité (des grands ou des petits plaisirs, des plaisirs éphémères ou des plaisirs durables).
2Dès la première partie, la composante bio-psycho-socio-culturelle du plaisir alimentaire a été soulignée ainsi que les questionnements relatifs aux découpages disciplinaires et épistémologiques en découlant. Circonscrite à une perspective uni-paradigmatique et uni-disciplinaire, l’étude du plaisir dans la socialisation alimentaire enfantine aurait consisté à considérer le plaisir comme un objet de transmissions de valeurs, de normes et d’attitudes, façonné socialement, approprié et incorporé par les enfants. L’approche multi-paradigmatique proposée, dans la filiation avec une certaine tradition sociologique, permettra d’une part d’intégrer les dimensions sociales et culturelles du plaisir alimentaire dans leurs formes incorporées, que l’on peut résumer par les processus de socialisations au(x) plaisir(s) alimentaire(s) et d’autre part de considérer le rôle du plaisir dans le processus de socialisation alimentaire des enfants et des adolescents.
3Pour éclairer ces dimensions, la grille de lecture en termes d’échelle proposée par Desjeux (1996) puis utilisée par Poulain (2002) pour inventorier certains travaux de sociologues de l’alimentation servira de trame. Décrire avec précision les processus de construction théorique des données permettra de comprendre leur confrontation empirique lors de l’analyse et de l’interprétation des résultats. Il ne s’agira pas d’une forme de justifications a posteriori du recours à plusieurs méthodes dont il faudra reconstruire la cohérence, mais bien d’éclairer le choix des cadres analytiques et des découpages théoriques effectués qui résulteront de diverses échelles d’observation, car les théories sociologiques sairont des phénomènes sociaux à des échelles différentes, ce qui impliquera que chacune d’entre elles peut laisser des points aveugles. Les éclairages apportés devront être compris et expliqués par l’articulation des connaissances recueillies sur l’objet à partir de ces divers niveaux d’observation.
4Le niveau macro-social, qui décrit et cherche à expliquer les déterminants et les différenciations sociales au niveau des agrégats statistiques, est adopté dans l’enquête quantitative pour saisir les régularités statistiques des pratiques et des représentations alimentaires ainsi que des formes du plaisir et des styles éducatifs parentaux.
5Le niveau méso-social analyse les relations entre les acteurs : il est présenté d’une part à partir des interactions observées au cours des entretiens réalisés pour comprendre leurs rôles sur les processus de socialisations alimentaires et sur les formes de rencontre du plaisir, sur les imaginaires de l’incorporation, sur les conditions structurant les actes de consommation ou sur les formes de sociabilité ; d’autre part, à partir des réflexions proposées sur l’articulation entre les enjeux de la modernité (au niveau des modes d’alimentation et des modes d’éducation) et la thématisation du plaisir, il s’agit de tenter de comprendre les modes d’élaboration des liens entre ces questions sociales (à partir de la demande sociale) et leur déploiement dans l’organisation sociale de la filière alimentaire et de la société dans son ensemble, perspective déployée principalement dans la première partie.
6 Le niveau micro-social se concentre sur l’individu et porte sur les processus décisionnels. Raisonnements, arbitrages, négociations, prises de décision et processus cognitifs sont ici retenus. À partir des entretiens réalisés, la focale porte sur l’analyse des modes d’appropriation, d’incorporation et d’actualisation en situation d’inclinations à manger, à préférer ou à rejeter certains aliments. Les expériences individuelles et subjectives du plaisir et leurs modalités d’appropriation sont présentées notamment au regard de leurs effets sur le plan de la construction identitaire.
7Enfin, le niveau biologique et le niveau psychologique permettent de considérer le plaisir comme une sensation et comme un acte de sens pour regarder ce qu’il produit sur le plan physiologique, cognitif et psychologique en termes de bien-être, de réponses hédoniques à des effets sensoriels, en termes de conséquences sur le plan développemental au niveau moteur et, sur le plan identitaire, sur ce qu’il produit au niveau de la construction de la personnalité.
8Diverses techniques (entretiens, observations et questionnaires) sont combinées pour apporter de multiples éclairages sur cet objet complexe qui, longtemps déconsidéré par la sociologie, implique d’apporter des réponses à la fois à des préoccupations sociales contemporaines faisant l’actualité de ce thème de recherche (et la difficulté de l’aborder), mais aussi devant relever le défi de sa dimension transdisciplinaire en tentant d’apporter un double éclairage bio-psycho-sociologique et sociologique uniquement. En effet, à la croisée de différents champs disciplinaires et champs sociologiques, étudier les processus singuliers de socialisations au(x) plaisir(s) alimentaire(s) et le rôle de celui-ci dans les processus de socialisation alimentaire doit se faire dans une articulation fine et méthodique devant garantir l’ouverture à l’interdisciplinarité et la préservation de l’autonomie du social.
9Seront présentés dans un premier temps les éléments théoriques constitutifs de l’approche retenue puis, dans un second temps, les choix et la constitution des outils sur le plan méthodologique.
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