Chapitre VI
Dessiner les repas
p. 279-316
Texte intégral
1Vers midi et 18 h, les restaurants se peuplent, les terrasses s’emplissent, les pelouses se recouvrent de pique-niqueurs, la vie journalière de l’Exposition entre dans une nouvelle phase alors qu’une multitude de bouches mastiquent en chœur. Pour le temps des repas, les usagers exploitent les lieux différemment, des socialités se créent, des liens entre visiteurs émergent et des témoins observent la scène qui se joue devant eux. L’acte de s’alimenter sur le site des Expositions universelles, que ce soit sous la forme d’un pique-nique au Champ-de-Mars ou d’un repas au restaurant, marque alors dans le déroulement d’une journée un moment spécifique de formation ou de reconfiguration des socialités : des familles se regroupent autour d’une nappe, des amis se retrouvent autour d’un bock, des étrangers partagent un banc public à l’heure du vin rouge et du saucisson. La foule s’arrête pour manger et boire, elle utilise le site autrement, et le paysage se transforme. Les allées se garnissent de dîneurs, les bruits de conversations, d’ustensiles et de vaisselles peuplent la scène, les effluves de vin et de saucisson se répandent. Une socialité sensorielle se dessine1.
2Au sens propre du terme. Pour une description des pratiques alimentaires aux Expositions universelles les sources les plus riches (et les plus amusantes) sont les journaux illustrés à teneur humoristique, tels que le Journal Amusant, la Vie Parisienne, ou le Monde illustré, qui s’intéressent hebdomadairement aux cocasseries des vicissitudes quotidiennes du Parisien et de l’Étranger. Les petites histoires, celles qu’on ne retrouve pas dans les grands quotidiens, celles des bouillons renversés sur la robe de Madame au restaurant ou des yeux baladeurs de Monsieur au café, sont relatées dans le détail, décrits par chroniqueurs amusés et caricaturés sous le crayon de dessinateurs facétieux qui profitent du matériel offert par le grand laboratoire social à ciel ouvert que constitue l’Exposition universelle.
Le charme pittoresque des agapes populaires
3Nous ne disposons d’aucune information précise sur le nombre quotidien de pique-niqueurs qui ont pu occuper les sites des Expositions de 1889 et 1900. On ne sait s’ils étaient plus nombreux que les consommateurs aux restaurants et on n’a aucune idée précise de leur proportion approximative par rapport à l’ensemble des visiteurs. Cependant, leur présence sur les pelouses, bancs publics et marches d’escaliers, attire les regards et active les plumes des témoins. Une chose est sûre, de tous les mangeurs et buveurs présents aux expositions, ce sont les plus visibles, ceux qui occupent l’environnement visuel et sensoriel de l’espace public en investissant les parterres à leur guise, et éventuellement, sous le poids de leur nombre, en laissant leurs traces de repas et en détériorant momentanément les lieux. Exposés, ils le sont, sans doute trop au goût des défenseurs de l’ordre social ou gastronomique. « Tour du monde en 80 minutes », l’Exposition universelle devient, à l’heure du dîner, un voyage au centre du peuple, dans ce pays étranger dont la réalité charnelle déplace les perceptions et les conceptions que le lieu impose avec son ordre encyclopédique. C’est le « vrai peuple », dit-on, dans toute sa spontanéité, celui qui, par l’activité du pique-nique, refuse la tyrannie des restaurateurs, soigne son portefeuille, contrôle son temps et son espace, place son objet en opposition à l’exposition des apparences, au monde des masques de la société bourgeoise républicaine qui s’autocongratule sous les palais de pierre et de verre érigés en plein Paris. Nappe sur les genoux, postérieurs sur le gazon, jambes qui s’appuient sur les arceaux pour laisser traîner les pieds dans l’allée, l’incontournable baguette et l’éternel litre de rouge, les figures archétypales ne manquent pas pour le plaisir des caricaturistes qui veulent illustrer la culture du peuple.
4L’alimentation fait société plutôt que l’inverse, pourrait-on défendre. À l’Exposition de 1889, elle répartit spatialement, verticalement, les classes si l’on accepte le découpage social de l’alimentation magnifiquement illustré par le journaliste Vital Meurysse : « Les millionnaires ont la ressource des restaurants de la tour Eiffel, où le prix du homard atteint des hauteurs supérieures à celle du monument lui-même, où le chateaubriant aux pommes se paie son poids de billets de banque. Les bourses plus modestes se rabattent sur les bouillons Duval, à la porte desquels une queue famélique rappelle les plus beaux jours du siège. Le peuple, lui, dîne en plein air ; il a bien raison2. » Les nantis au ciel, les bourses moyennes aux tables et le peuple sur la pelouse.
5« Il a bien raison » : le voyage au pays du peuple, c’est la redécouverte de certaines vertus présentées comme intrinsèquement populaires, pour le meilleur ou pour le pire selon la perspective du commentateur. Le pique-nique exprime la valorisation des « vraies choses », de la réalité réelle, la vérité nue du sens pratique opposée aux paillettes et artifices des cérémonies officielles et des conventions bourgeoises. Le sociologue Claude Grignon défend que : « Comme toutes les pratiques dominées, [le casse-croûte] se prête à une célébration d’inspiration populiste, à une “mythologie affaiblie” qui visent à en faire un objet poétique et fabuleux3. » En se constituant comme l’opposé du repas normatif, la torsion des règles de conduites imposées par les concepteurs du site, le pique-nique se voit investi d’une poétique sociale, l’incarnation d’une stratégie de positionnement contre des hiérarchies symboliques4. La fresque de Paul Varelli sur « les ventres à l’Exposition » est à cet effet une belle illustration des vertus populaires qui s’expriment à l’occasion de la plus quotidienne des activités. Les paysans pragmatiques (en haut à gauche), les démunis qui « se moquent de l’encombrement » et sacrifient leur confort pour la paix (en haut à droite), font preuve de leur savoir-faire pratique, par opposition au couple aisé attablé à la terrasse d’un restaurant (au milieu à droite) qui illustre « ceux qui paient le plus cher et qui s’amusent le moins ». Cependant, le contraste entre ces différentes scènes dessinées par Varelli n’est réellement évident que lorsqu’on s’attarde à ce que le lieu fait, au rôle du site fait dans la construction de la situation. Les faciès mornes des consommateurs installés à la terrasse ou au restaurant populaire (au centre) ne s’expliquent-elles pas par la lourdeur de l’atmosphère qui leur est imposée aux tables populeuses des Bouillons ou aux tables guindées des restaurants de luxe ? En tant que laboratoire social, l’Exposition donne à voir, elle produit des situations visibles qui conduisent à l’interprétation et à l’inscription typologique d’observateurs attentifs. La description des scènes de repas se traduit en opérations de catégorisations sociales. Trois « traits du peuple » ou trois éléments constitutifs d’un savoir-faire populaire se dégagent : le sens pratique, l’insubordination et le plaisir. Nos observateurs nous montrent comment, lorsqu’il est temps de se repaître, les visiteurs savent faire preuve de pragmatisme, n’hésitent pas à défier les normes sociales et trouvent facilement de quoi égayer leur passage à l’Exposition. Ils utilisent le site, fabriquent leur espace, et le portrait de leurs habilités est l’illustration des capacités à composer avec les contraintes du cadre de l’Exposition. Le peuple qui mange et qui boit tel que présenté dans les documents que nous avons rassemblés, c’est avant tout le peuple qui sait le mieux tirer avantage des situations spatiales dans lesquelles il évolue.
Les traits du peuple
6Le sens pratique. Les descriptions minutieuses du rituel vespéral de l’installation des pique-niques sur le site de l’Exposition nous conduisent au cœur des contingences spatiales, des conditions corporelles et des objets matériels impliqués dans l’organisation de ces repas qui demande un certain savoir-faire. Le sens pratique du peuple qui se déploie dans l’utilisation créative des journaux comme des feuilles d’arbres et dans l’habileté à vivre sur le site sans se laisser trop affecter se traduit ainsi comme une capacité naturelle à s’adapter aisément au contexte difficile de poussière et d’affluence à l’Exposition universelle. Le pique-niqueur qui vit au plus près des choses ne fait pas partie de la masse de touristes qui se font écorcher par des restaurateurs profitant de l’affluence pour gonfler insidieusement leurs prix. Il connaît ses moyens, sait apprécier la juste valeur d’un repas et prévoit sa visite à l’Exposition en conséquence, en poussant parfois la prévoyance jusqu’à l’absurde.
7C’est ainsi que les dimanches, jours où les travailleurs investissent les lieux, deviennent l’occasion pour des journalistes de sonder les événements témoignant de la raison pratique du peuple. Il n’est pas exagéré de souligner que cette valorisation du savoir-faire populaire à la fin du xixe siècle survient dans un moment où c’est l’appréciation du public qui devient la première variable déterminant le succès d’une telle manifestation. La démocratisation culturelle à laquelle participent les Expositions universelles conduit alors des observateurs à considérer de plus en plus les comportements de la foule dont l’association avec un certain état de nature génère évidemment des craintes dans de nombreux cas, mais aussi des attentions positives lorsqu’elles deviennent une force d’opposition aux conventions et aux masques de la bonne société :
Ce jour-là l’Exposition présente un aspect différent et c’est pour cette raison que dans notre série « journée de l’Exposition » nous lui consacrons un article particulier.
Nous ne nous occuperons donc que du public, ce bon public populaire que nous aimons et dont le jugement toujours droit consacre les grands succès, et il a consacré celui des grandes assises internationales par sa franche et naïve admiration. Il ne recherche pas les causes, ne tient pas compte des précédents, mais ce grand juge dit : C’est ou ce n’est pas bien, en ne suivant que son impression, ce qui fait de lui le meilleur de tous les juges.
Or, il est intéressant à ce point de vue, pour l’observateur, de se mêler à la foule qui envahit chaque dimanche le grand espace qui a pour limites : l’entrée de la Concorde, les Invalides, le quai, l’École Militaire, l’avenue Suffren, et la place du Trocadéro.5
8En somme, les dimanches à l’Exposition apprennent aux Parisiens à se connaître et à se reconnaître. Le peuple qui s’expose en cette « véritable Exposition qui est l’Exposition où l’on dîne », s’interprète alors pour Georges Lenôtre comme l’expression spontanée et digne d’admiration de la sagesse populaire des Parisiens qui ont développé cette intelligence particulière pour la constitution spontanée d’un repas :
De tout ce que les étrangers qui peuplent les villages des colonies, Sénégalais, Javanaises, coolis [sic], Touaregs, Pahouins, Malais, Cochinchinois, ont pu voir d’inusité à Paris, ce qui les émerveille le plus, évidemment, c’est le talent inné qu’ont les Parisiens d’improviser n’importe où une salle à manger. Voici le problème : étant donné trois chaises, en faire une table et des bancs. Ce prodige s’opère chaque soir, dix mille fois – avec des variantes, – dans l’enceinte de l’Exposition ; on se tasse, on s’arrange, on s’accroupit, les genoux deviennent dressoirs, les journaux forment nappes, les feuilles des arbres servent d’assiettes, et l’on festine tranquillement dans la poussière et dans la foule, comme on le ferait sous l’ombre la plus fraîche, au fond du bois le plus désert et le plus épais.
C’est un don que possèdent seuls les Parisiens d’apporter à ces repas en plein air une si franche gaieté, un sans-façon si bon enfant, que ce triomphe hebdomadaire de la charcuterie en devient pittoresque et donne chaque dimanche à l’Exposition l’aspect joyeux de noces de Gamache gigantesques : le peuple de Paris est débrouillard, c’est un fait depuis longtemps constaté.6
9À exposant, exposant et demi, Lenôtre suggère en fin de compte que les colonisés des exhibitions humaines peuvent eux et elles aussi bénéficier de leurs leçons de choses sur la vie quotidienne des indigènes locaux. Les Parisiens seraient leur zoo humain, leur exposition ethnographique qui respire et qui parle. À chacun ses types. Nous savons avec Erving Goffman que la réalité du réel (ou l’inverse) n’est jamais quelque chose de totalement défini ou consensuel dans l’expérience des interactions7, et la pluralité sociale de l’Exposition universelle tend à le mettre en évidence.
10L’insubordination. Cette pluralité implique donc parfois une contestation de la part des consommateurs sur les cadres des situations qui leur sont imposées. Le regard sur le peuple est traversé d’attentions pour son caractère insubordonné, sa spontanéité vivante et son authentique simplicité : « On ne se gêne pas ; on s’est procuré des vivres sur la terrasse, en dévalisant des kiosques de marchands de comestibles ; on est en partie de plaisir ; on dîne gaiement de morceaux de hasard8. » Il est sans gêne, il dévalise les kiosques, et notons aussi qu’il ne mange pas des mets, ou même des aliments, mais des comestibles. Le retour aux basses fonctions corporelles, à « la jouissance inférieure grossière, vulgaire, vénale, servile, en un mot naturelle9 », serait évidemment le lieu privilégié de la distinction sociale et du discours misérabiliste pour les tenants du sacré culturel et des plaisirs raffinés. En conclusion d’un article sur la laiterie anglaise à l’Exposition de 1889, l’auteur décrit l’ambiance des soirées quand sonne l’heure du dîner : « De tous les côtés s’étalent des groupes de dîneurs vulgaires. Une forte odeur de charcuterie flotte dans l’atmosphère en même temps que de bastringue redoublent de brutalité. […] L’Exposition prend son aspect de grande kermesse internationale, paradoxal rendez-vous de tous les bourgeois en goguette10. » Les caricatures d’Henriot évoquent déjà un ton de parole attribué au peuple, une manière de dire qui serait le reflet d’une manière d’être : celle de la force d’inertie du bon sens qui s’érige avec un gant d’assurance et une touche d’orgueil devant les règles imposées soit par les restaurateurs sur leurs menus ou par les gardiens aux guichets d’entrée. Dans un cas, le pique-niqueur lui fait entrevoir l’affront symbolique de « boulotter » la « mangeaille » de son panier en face de son établissement ; à la guerre de l’inflation menée par les stratèges-restaurateurs, l’homme populaire, en bon tacticien, répondra par l’occupation de l’espace visuel, la souillure, selon les termes de Mary Douglas11, c’est-à-dire la disposition de matières dans un lieu qui ne leur est pas symboliquement attribué. Les Dineurs sur l’herbe d’Henriot nous montre les jambes du dîneur qui font fi des arceaux séparant allées et pelouses, ignorant le découpage fonctionnel des lieux et, au passage, raillant d’un mot d’esprit les prescriptions d’un représentant de l’ordre. S’il n’a ni les sous, ni la patience pour se soumettre à l’autorité commerciale des concessionnaires de restaurants, il répliquera avec ses propres armes : le panier, la baguette, le saucisson, le litre de rouge, son corps exposé, le nombre.
11L’occupation anarchique du site par la foule de pique-niqueurs est justement ce qui fait sourciller, voire grincer des dents, certains témoins tout comme des membres du comité organisateur, peu satisfaits des contrecoups matériels du mouvement de repas improvisés lors des soirées de grande affluence, notamment le dimanche. En ce jour : « [l]es visiteurs dominicaux prennent de plus en plus l’habitude d’apporter des victuailles à l’Exposition ; aussi faut-il voir quel spectacle présentent le lundi matin les plates-bandes des jardins. Partout ce ne sont que papiers gras, bouteilles vides et débris d’aliments12. » La dispersion de déchets alimentaires sur le site et l’utilisation des pelouses sont ainsi les deux activités des dîneurs de passage dénoncées pour leurs effets sur l’environnement de l’Exposition, tant en 1889 qu’en 1900. Le journal féminin La Fronde critique alors ces libertés matérielles prises par le public qui se concrétisent par des confrontations avec les représentants de l’ordre, rencontres sans doute peu féroces mais illustrant à tout le moins cet esprit d’insubordination populaire : « Les déjeuners sur l’herbe ont aussi donné lieu à quelques petites altercations, car les surveillants ont l’ordre de ne pas laisser endommager les pelouses nouvellement poussées et ils obéissent à leur consigne ; il est fort regrettable qu’ils aient à le faire et que tout le monde ne comprenne pas qu’il y a quelque mauvais goût à détruire inutilement des choses qui ont été faites pour contribuer à l’harmonie générale et charmer les yeux de tous13. » Cet exemple nous indique que le comportement des pique-niqueurs est déjà en soi un enjeu central pour l’administration de l’Exposition. Les (mauvaises) habitudes des usagers mettent en perspective la question de l’ordre du site et du confort sensoriel qu’il procure en opposant l’intérêt particulier, celui des pique-niqueurs qui bénéficient de la fraîcheur de l’herbe et de leurs propres victuailles, à ce qui est perçu comme l’intérêt général, celui des visiteurs qui ne veulent pas que les allées et pelouses de l’Exposition subissent trop lourdement le passage des dîneurs.
12La problématique se complique cependant du fait que les pique-niqueurs constituent eux-mêmes une partie significative du public, et que leur comportement ne peut ainsi être trop durement réprimé de la part des organisateurs si ceux-ci en appellent à l’intérêt général. De plus, à cela, s’ajoute l’utilisation de certaines parties du site n’étant pas destinées a priori à accueillir une masse de dîneurs comme les marches d’escaliers14, les bancs publics, les socles des statues, les trottoirs de même qu’une partie de l’équipement de l’exposition de l’histoire de l’habitation de Charles Garnier sur la colline du Trocadéro en 1889, qui offre un recoin ombragé pour qui veut se protéger du soleil de midi : « Quelques-uns avaient eu l’idée de pénétrer dans les huttes primitives de l’histoire de l’habitation et d’y étaler leurs victuailles sur le sol ; d’autres transformaient en tables à manger les dolmens de pierre, tous dévoraient de grand appétit les provisions promenées depuis le matin et complétées par la bouteille de bière ou de vin qu’on allait chercher au restaurant le plus proche15. »
13Ce désordre causé par l’appropriation du site par le peuple reçoit donc la dénonciation, non pas tant de l’Administration, mais de chroniqueurs, journalistes et écrivains contrariés par les effets des libertés du peuple sur l’ordre visuel de l’Exposition. Après tout, la France se montre au monde et prétend être le phare de la civilisation moderne. Pour certains, l’Exposition universelle n’est peut-être pas le meilleur lieu pour y laisser s’exposer en public les traits les moins nobles de la culture parisienne16. Le très caustique écrivain et publiciste Pierre Véron déplore ainsi, quelques semaines après l’ouverture de l’Exposition 1889, à la mi-juin, le manque d’initiative de la part de l’Administration pour garder le déploiement alimentaire de la population sous contrôle :
C’est au début qu’il fallait songer à discipliner le torrent. La première mesure à adopter était d’interdire la boustifaille en plein-vent. Il ne fallait pas tolérer que chacun pût apporter dans son morceau de papier sa côtelette de porc frais ou son fromage d’Italie. Il n’y avait rien de tyrannique à dire :
– Vous mangerez avant d’entrer ou en sortant, mais l’Exposition ne peut devenir un dépotoir gastronomique.17
14À ces voix, s’ajoute celle du grand chef Auguste Escoffier, sensible s’il en est un devant cette « exposition » de l’anarchie alimentaire, lui qui aura travaillé à cette même époque à l’émergence des exhibitions culinaires mettant en valeur le talent artistique des cuisiniers et établissant par le fait même la légitimité de leur professionnalisation18. On comprend alors son aversion pour ces casse-croûte qui dénaturent l’art culinaire :
Tous les jours les allées de l’Exposition sont converties en réfectoires, les pelouses sont autant de salles à manger, et la direction paie cher, la faute de n’avoir su prévoir.
Sans doute le pittoresque y a gagné. Et nous ne sommes pas de ceux qui méprisent le spectacle amusant et philosophique de la foule en mal de saucisson et de litre à seize.
Mais nous pensons aussi que le plaisir de manger n’a rien à voir avec de telles agapes, et que ce n’est pas à Paris, capitale du Goût, Reine de la Cuisine et de la Table, qu’une exposition doit ménager de telles exhibitions, dignes d’un peuple de lazzaroni et non d’une nation de gourmets.
Les « repas sur le pouce » sont tolérables aux Bois de Boulogne ou de Clamart, non à l’Exposition.
Ce spectacle nous paraît d’autant plus affligeant que nous y voyons comme la manifestation d’une espèce de méfiance du public envers les restaurants. Méfiance d’autant plus absurde que nous sommes convaincus du faux calcul qui la provoque.
Le panier à provisions du visiteur lui coûte, somme toute, aussi cher (sinon davantage) qu’un repas moyen de maison ordinaire. Et le malheureux mange mal, des mets traînés dans du papier, dans des promiscuités de fromages et de mets écrasés, buvant des vins surchauffés, mal assis, torticolisé, ankylosé.19
15Il est intéressant de constater qu’ici, pour Escoffier, l’échelle dans la valeur de réalité s’inverse. Le prétendu sens pratique du peuple, le pragmatisme économique du travailleur soucieux de son portefeuille ne serait qu’une illusion porteuse d’un éventail d’effets indésirables. Non seulement le public sacrifie son hygiène alimentaire et son bien-être corporel, mais selon les calculs du cuisinier, la prétendue économie ne serait pas significative. Le « malheureux » public mange mal, fait souffrir son corps, et ne retire aucun avantage pécuniaire pour son calvaire. Pourtant, les témoignages graphiques des caricaturistes ne semblent pas aller dans ce sens et les protagonistes populaires qu’ils mettent en scène ne donnent par l’impression de souffrir outre mesure, tant sur le plan alimentaire que corporel ou émotionnel. Différentes économies de la grandeur20 se manifestent ainsi pour établir la justification de leurs pratiques alimentaires. À l’intérieur de ces régimes de justification, se joue précisément le contenu du signifiant « Exposition ». Alors qu’Escoffier défend l’Exposition en tant qu’organisation, espace mis en ordre destiné à informer, éduquer et élever culturellement la population de même que démonstration de la grandeur nationale de la France (« nation de gourmets ») pour appuyer sa dénonciation des repas rapides, les défendeurs du pique-nique mettent en valeur leur Exposition, la manifestation publique ouverte aux déploiements des pratiques quotidiennes populaires.
16Le plaisir. Il est le second enjeu de cette confrontation des économies de la grandeur qui se cristallise dans les appréciations variées des agapes dominicales. Le témoignage d’Escoffier sur le malheur corporel des dîneurs improvisés est curieusement contredit par les sourires habitant les visages des pique-niqueurs sur l’ensemble des caricatures, contrastant avec les mines maussades des observateurs bourgeois ou des dîneurs aristocrates, ceux qui s’amusent le moins aux restaurants gastronomiques. La raison en est que sa propre définition du plaisir de manger s’appuie sur une conception des pratiques alimentaires dont la valeur de jouissance se juge gastronomiquement plutôt que socialement. En d’autres termes, le chef cuisinier fait l’association directe entre le facteur gustatif et le sens des pratiques alimentaires, d’où sa réprobation prévisible des repas formatés des pique-niqueurs, alors que pour ceux-ci le rôle du plaisir gustatif dans la jouissance tirée de l’activité du repas en plein air semble beaucoup moins évident. Lorsqu’à la question « Pourquoi on y allait ? [à l’Exposition] », le caricaturiste Mars répond, entre autres choses, « Pour saucissonner en rond », cela tend à confirmer que la mémoire des repas est plus souvent qu’autrement occupée par la socialisation que par le goût, par l’oreille plutôt que par la bouche21. Si le saucisson est interchangeable avec le jambon ou avec tout autre type de charcuterie, le rond l’est beaucoup moins22.
17La gaîté des dîneurs de passage apparaît ainsi comme un trait dominant dans les dessins et descriptions des agapes dominicales. Et ce plaisir, sans négliger l’élément alimentaire per se, semble se lier davantage à la sociabilité impliquée dans les pique-niques, au cadre sensoriel de l’expérience et au caractère spontané de la pratique qui est interprété soit comme une expression de la vitalité et de l’honnête insouciance populaire ou alors de la prévalence du sens pratique du peuple dans ses activités quotidiennes. Pour Georges Hamon, auteur de clichés du public à l’Exposition de 1900 pour le Mois littéraire, le « vrai peuple » dînant sur les bancs publics, c’est « la bande joyeuse venue pour s’amuser, avec la haine de la gêne23 ». Dans son commentaire sur le dessin de Luis Jimenez reproduit ci-dessus, le journaliste de La Ilustración Española y Americana en visite à Paris pour l’Exposition précise que dans le cadre thermique d’affluence accrue lors des dimanches, l’herbe fraiche de pelouse devient un lieu fort populaire pour une masse de visiteurs concentrés dans un espace exigu :
Naturalmente, el público de Paris se apresura a visitar la Exposicion en los domingos, no solo porque ese público es el mas dominguero del mundo, sino porque la entrada cuesta en tal dias un ticket, ó sea un franco, hasta las once de la noche ; y después de recorrer milliares de visitantes las secciones diversas del gran concurso, invanden los jardines des Trocadero, del Campo de Marte y de la Explanada de los Invalidos, é instalan sobre la fresca hierba sus restaurants familiares en la pintoresca forma que reproduce nuestro grabado de la pag. 25, segun dibujo del natural por el aventajado artista D. Luis Jimenez.24
18L’environnement sensoriel du pique-nique est d’ailleurs lui-même une denrée qui atteint rapidement son seuil de rareté à l’Exposition. Ombres et pelouses sont ainsi recherchées et disputées pour l’établissement des agapes dominicales. « Le parisien est herbophile. […] Le dimanche il rend ses devoirs pieux à l’herbe » nous dit Georges Montorgueil, car « [l]’herbe est à la fois nappe et drap : on dîne dessus et on se couche dedans25 ». Alors que se développent à cette même époque, avec l’essor des réseaux ferroviaires, les habitudes de voyages dominicaux à la campagne26, ce jour de loisir s’institue, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, en « temps pour le corps », repos régénérateur par l’immersion en naturelle à la campagne ou à l’océan27. Le phénomène de l’Exposition universelle qui attire exceptionnellement ces populations de touristes champêtres, ceux : « qui n’ayant pas le temps d’aller à la campagne puisqu’ils consacrent leur dimanche à visiter l’Exposition, n’en veulent pas moins dîner sur l’herbe28 ». D’où l’occupation massive des quelques espaces verts lors des repas du dimanche ; si la pelouse est occupée, d’autres coins d’ombre et de verdure rappellent de près ou de loin les pique-niques champêtres. La gravure d’Édouard Carrier représentant la colline du Trocadéro à l’Exposition de 1900 montre bien la popularité du lieu ombragé sous un arbre pour les repas en plein-air. Le Trocadéro est d’ailleurs déjà un lieu de prédilection pour les pique-niqueurs à la recherche de recoins ombragés avec l’exposition rétrospective de l’habitation humaine, riche en végétation. Charles-Lucien Huard décrit ainsi le lieu dans le Livre d’or de l’Exposition :
L’herbe est rare du côté des préhistoriques, mais elle n’est pas beaucoup plus drue autour des cabanes gauloises qui sont d’abord prises d’assaut, parce qu’elles sont plus voisines des cabarets ; il n’est pas indispensable que le tapis soit vert, pourvu qu’il y ait quelque végétation en l’air, sous forme de branches d’arbres, c’est assez pour qu’on se croie à la campagne et il se forme là des groupes nombreux qui déballent leurs provisions, les étalent sur des tables improvisées avec n’importe quoi, et les absorbent avec cet appétit que les Parisiens contractent tout de suite dès qu’ils font un peu d’exercice au grand air.29
19Cependant au sein de la codification du plaisir corporel recherché dans le repas extérieur, s’intègre également une acceptation de l’inconfort du repas, dû à l’absence de table qui restreint les mouvements des dîneurs préoccupés par exemple par l’équilibre de l’assiette sur les genoux. Comme le souligne André Rauch : « Le déjeuner sur l’herbe établit des traditions alimentaires, des usages ; l’absence de mobilier, l’incommodité de la station assise deviennent des arts de vivre et de se tenir en société30. » D’ailleurs, les dîneurs ne se privent pas de s’« endimancher » pour leur sortie publique, malgré le caractère évidemment salissant des repas en plein air. Moment de détente, activité libératrice et espace-temps de sociabilité, le plaisir associé au repas extérieur expose ses diverses facettes publiques.
20L’association entre le peuple et le plaisir dans la représentation des pique-niques se matérialise à la fois dans le caractère nodal des pratiques de consommation alimentaire et dans leur dimension performative31. L’ouverture de l’espace extérieur où se font les pique-niques permet de dégager des libertés dans l’effectuation des pratiques. Les histoires qu’on nous raconte sur le peuple qui s’approprie les lieux nous montrent en fait des consommateurs qui sont continuellement pris dans leurs situations qui imposent toute une série de contraintes qu’on s’efforce de tourner en joie par le caractère convivial de l’événement. C’est la formation effective d’une socialité sensorielle à l’occasion rituelle du repas extérieur qui catalyse l’éruption de bonheur que les observateurs attribuent au peuple sous la mine de leur crayon et la lentille de leurs appareils photographiques. De l’espace pratiqué à la jouissance sensorielle de la socialité massive, le chroniqueur Cleg décrit :
Une croûte humaine couvre le Champ de Mars tout entier, on est serré, tassé, beaucoup de gens assis, beaucoup de gens debout, tous de bonne humeur, les yeux agiles et pointillés d’espoirs de joie, vont et viennent comme en course dans les figures. À chaque pas on marche un peu sur des enfants tirés à bout de bras ; au bord des pelouses, des familles saucissonnent, des bébés tètent, des chiens éreintés tirent la langue, on cause très haut, on rit aux éclats, et ces milliers de plaisirs exprimés font un énorme bruit contenu qui tend son tissu sonore au-dessus de la foule.32
21La multitude de tracas ou les tracas de la multitude sont ainsi intégrés dans l’appréciation générale de l’événement, mais un autre facteur doit être souligné dans l’évocation du plaisir des dîneurs populaires, celui qui en un sens est la cause de la pénurie alimentaire à l’inauguration de l’Exposition universelle de 1889, le Spectacle.
Des gens qui n’ont rien à faire
Viennent se planter devant.
Empoisonnant l’atmosphère,
Faisant reculer le vent ;
Car ils vont dîner sur place
Pour n’en point perdre un détail
À coups de pâle vinasse
Et de saucisson à l’ail.
Ai-je besoin de vous dire…
Mais non, vous le savez bien :
Ce spectacle les attire
Parce qu’il ne coûte rien.
De temps à autre Prudhomme
Sort sa montre et dit : Mon Dieu,
Dans deux, trois heures, en somme
Les fontaines auront lieu.
La vinasse est épuisée,
On n’a plus de saucisson.33
22La raison invoquée pour les attroupements dînatoires populaires lors des soirées dominicales est évidemment le spectacle des fontaines lumineuses qui couronnent la fin de la semaine en 1889 et en 1900. Quand, après avoir absorbé leur repas, « les humbles vont chercher un pain, du jambon, du saucisson, une canette », c’est parce qu’« ils attendent gaiement l’instant où l’illumination générale commencera et où les fontaines lumineuses éblouiront la foule34 ». Il est bien question des « humbles », du « menu peuple » et de « l’humble bourgeoisie » qui « font, à l’Exposition, de vraies parties de campagne. On y vient avec des provisions, on y demeure jusqu’à l’illumination des fontaines35… ». Le dessin de Puce sur le dimanche à l’Exposition de 1900 ne laisse aucun doute sur l’extraction sociale du couple de visiteurs qui attend l’illumination générale. À leur aspect quelque peu négligé et aux tournures verbales qu’il leur attribue (« R’garde ben, ma femme… tu vas vouêr ! Paraît qu’y a rien d’pus biau qu’les fontaines limoneuses »), le caricaturiste range très probablement ses sujets dans « cette foule bruyante et peu raffinée qui cherche surtout à l’Exposition les fortes émotions des fontaines lumineuses, et qui pousse des cris d’enthousiasme au moment où la Tour s’embrase36 ».
Socialité, espace public, types
23La foule bruyante qui vient pour les attractions, les attractions bruyantes qui attirent la foule ; dans la description des sujets et objets dilatant leur présence à l’Exposition, le narrateur, dessinateur, photographe qui relate et illustre son expérience sensible des agapes populaires se retrouve à son tour intégré dans la performance de l’événement, la pratique du temps et de l’espace inévitablement intriquée dans l’acte du témoignage37. À l’exemple du flâneur détaché de la foule turbulente, qui va néanmoins à la rencontre de celle-ci de manière à construire sa propre identité, ou son positionnement dans l’espace social métropolitain pour être plus précis, dans une dialectique de l’attachement et du détachement38. Puisque le casse-croûte est en quelque sorte « [à] l’interface de l’espace public et de la vie privée39 », en ce sens qu’il implique à la fois une exposition au regard public, mais également l’érection d’une frontière symbolique dans la constitution du cercle de ceux qui « saucissonnent en rond », cela tend à confirmer l’idée de la coexistence d’une multiplicité de collectifs mobiles dans l’évanescence de la vie quotidienne. Autant la typologie humoristique des dîneurs écrite par Kitt et illustrée par Sahib dans La Vie Parisienne que les clichés photographiques rapportés par Georges Hamon dans le Mois littéraire mettent en scène de petites sociétés qui sont à la fois retournées sur elles-mêmes et ouvertes sur l’espace public.
24Kitt et Sahib, jouissant des libertés additionnées de l’humoriste et du dessinateur, se permettent évidemment l’établissement d’une taxinomie composée d’archétypes caricaturaux, qui, par leur exagération des traits, illustre justement ce sursaut du particulier dans l’illusion de l’uniformité de la foule. Les Prudhommes sont les prévoyants. Ils se sont installés en milieu d’après-midi pour occuper leurs places de choix devant les fontaines lumineuses. Ils s’efforcent donc à tuer le temps en lisant journaux et prospectus et en mangeant lentement leur repas. La famille Montchabal, formée de bourgeois mondains du quartier de l’Opéra « a vu bien des expositions » et « trouve qu’on ne mange jamais bien dans ces espèces de caravansérails ». C’est pourquoi elle a fait cuire la veille « un fort morceau de veau (on le mangera froid avec sa gelée), des œufs durs, du fromage et des cerises », de plus, ils peuvent aussi goûter un « pâté de volaille-jambon, une gracieuseté du baron Édouard, vous savez, le vieil ami de la sœur aimée40 ». Menu plus que copieux pour ce clan dont les deux filles attireront les regards et la compagnie d’un tirailleur algérien et d’un sous-officier. À l’inverse, Monsieur et Madame de la Harpagonnerie dont le patronyme indique sans faute le caractère, ont un panier très léger : ils ont déjeuné chez eux avant de venir et tendent plutôt à fuir la compagnie humaine. Leur dîner, composé de sandwiches, « deux coûtes de pâté, […] un peu de fromage, deux oranges, une demi-bouteille de vin41 » est expédié rapidement pour de pas perdre de temps. Ailleurs, un groupe dynamique de bruyants cabotins jouit de l’attention publique qu’ils provoque. C’est pourquoi ils ont installé leur table improvisée en un coin passant de l’Exposition et « ont emporté des couverts pour cinq ou six personnes de plus dans le cas où ils rencontreraient des amis qui voudraient bien accepter leur invitation sans façon42 ».
25Inversement, les représentations des consommateurs britanniques en visite se distinguent par l’austérité de leur comportement. Les joies et les plaisirs des Parisiens qui savent profiter du repas, tant culinairement que socialement, sont contrastées par le pragmatisme des Britanniques pour qui la pause alimentaire n’est qu’un moment nécessaire dans la planification d’une journée plutôt qu’une occasion de se détendre et de sociabiliser. Le personnel d’un Boarding-House du quartier des Champs-Élysées, composé surtout de touristes britanniques en court séjour à Paris, tient à rentabiliser son temps de visite, « time étant plus money que jamais » pendant l’Exposition, nous dit Kitt. Ils décident donc de manger sur le pont roulant de la Galerie des Machines de manière à se repaître de leur modeste lunch (« Pain beurré au beurre d’anchois, sandwiches d’œufs durs écrasés et de langue fumée, deux abricots, une tablette de chocolat43 ») tout en observant les exhibitions qui défilent devant eux. Leurs compatriotes, les Miss Old Maid, vieilles filles économes à l’allure interchangeable, qui dorment à quatre dans une chambre pour deux, ne mangent que fruits et salades qu’elles préparent et assaisonnent elles-mêmes, et disposent de tout l’équipement nécessaire pour leur elevenses et leur five o’clock : réchaud à gaz, bancs pliants, théières et petites cuillères.
26Comparativement, les études photographiques de Georges Hamon sur les dîneurs de l’Exposition de 1900, si elles se veulent plus réalistes, ont pour objectif avoué de saisir « le geste drôle ou la physionomie représentant un symbole44 ». Ses portraits sont évidemment moins burlesques, contraints dans la construction des types par l’évidence de la pellicule, et l’approche de ses sujets est plus dialogique, ou réflexive pour employer un anachronisme, alors qu’il relate ses interactions avec les protagonistes et les effets de l’appareil sur leurs conduites. Le résultat est considérablement différent esthétiquement et narrativement. Les sourires se font plus rares et l’éventail des mines et des gestuelles qui font le délice des caricaturistes est évidemment beaucoup moins exubérant. Les descriptions laissent moins place, sans en être complètement dénuées, aux extrapolations biographiques baroques, mais l’effectivité du discours demeure sensiblement la même, soit la constitution, à partir des pratiques alimentaires, de figures singulières qui représentent la condition générale d’un segment de population. Il y a les gens de peu qui n’ont pas forcément cœur à la fête, comme la dame seule avec son nourrisson dont la pause du repas n’invite pas au bonheur à en juger par son expression faciale. Elle est « venue de la banlieue ou d’ailleurs », mariée à un ouvrier qui, préférant l’absinthe aux grandes galeries, ne l’a pas accompagné et la laisse ainsi seule dans « leur » Exposition de machines et d’industries qui l’ennuie prodigieusement. Il y a les bourgeois flamboyants, à la recherche de l’œil public pour épater la galerie. Il y a les turbulentes familles nombreuses qui s’accommodent autant que faire se peut du manque d’espace et de confort pour parvenir à organiser leur repas et il y a les grandes provinciales fières de s’exposer au regard du photographe, à l’exception de la plus jeune à gauche qui tourne le dos, incarnant ainsi un autre personnage-type de l’Exposition universelle et aussi, bien entendu, un autre type de rapports interpersonnels. « Elle est jeune, et la vanité rôde encore chez elle, ses deux compagnes le lui disent sans ambages » nous raconte le photographe : « – Ah ben ! ma fille, v’la qu’on te trouve belle et qu’on fait ton portrait ; du coup, tu ne reviendras plus au pays45. »
27La diversité de ces portraits rassemblés par Hamon et Kitt et Sahib est frappante lorsque comparée aux nombreux témoignages – ceux de L’Art culinaire en tête – qui déplorent dans la pratique du pique-nique le signe d’une banalisation et des produits alimentaires et de la dégradation des manières de table. En grossissant sa lentille, l’observateur atteint un degré de détail qui échappe aux jugements généraux et les descriptions qui en découlent permettent ainsi de dégager des significations à partir de regards sur les pratiques alimentaires et les gestes qui y sont associés. Cependant, dans la majorité des illustrations, quelles soient photographies, gravures ou caricatures, il faut admettre que les pique-niques apparaissent très uniformes et codifiés. L’usage généralisé de la serviette sur les genoux, remplacée par un journal dans certains cas, le pain et le litre de rouge qui semblent être présents dans tous les paniers ou presque, du moins ceux des pique-niqueurs français, et le nombre plutôt restreint de dîneurs dans chacun des groupes montrent qu’il existe bien des normes dans l’organisation des cadres de l’expérience du pique-nique. La posture des corps comme l’usage des couverts et des autres objets nécessaires pour la tenue de l’activité en question nous montrent l’importance des contingences spatiales dans la définition des manières de consommer46, constatation qui ne sera que renforcée lorsque la comparaison se fait avec un autre univers matériel de consommation, celui du restaurant.
28Le fait que la pratique soit déjà, à la fin du xixe siècle, établie et structurée par la popularisation des séjours à la campagne47 renforce évidemment cette idée d’un ancrage culturel du pique-nique dominical. Le caractère fragmentaire et très idiosyncratique des sources dont nous disposons ne nous permet cependant pas d’évaluer globalement d’une quelconque manière le degré réel d’uniformité ou de variété des pratiques alimentaires associées aux dîners en plein air aux Expositions universelles de 1889 et 1900. Ce qui transparaît de ces nombreux témoignages, c’est cette socialité, la formation d’un contexte de coexistence avec d’autres personnes48, qui donne signification aux différentes manières de pique-niquer à l’Exposition. La construction d’un discours sur les traits de la culture populaire et la constitution des typologies par Hamon et Kitt et Sahib où les différents types se situent socialement et culturellement les uns par rapport aux autres permet en quelque sorte de rendre commensurable ce qui est autrement perçu comme un processus de massification généralisée. Mais inversement, cette socialité est également reformulée par l’incarnation des pratiques dans le monde social, la dimension performative de l’alimentation alors que le saucisson « favoris[e] par le coude-à-coude des boustifailles, les rapports mondains » et que « [d]’une « société » à l’autre, on échangea de la charcuterie et des adresses, quelquefois des œillades49… »
La socialité bruyante des restaurants
29La popularité des pique-niques est un bon indicateur de la méfiance des consommateurs envers les restaurants de l’Exposition comme du plaisir sensoriel particulier qu’ils peuvent tirer du repas en plein air. La flambée des prix, l’affluence exceptionnelle aux restaurants, les bousculades pour l’occupation des tables et les éventuelles pénuries de nourriture dessinent, entre autres choses, l’ambiance affective de ces lieux de restauration telle que perçue par de nombreux témoins. Cela se traduit sur le portrait des interactions sociales car, comme dans le cas des pique-niques, alimentation et socialité se mêlent dans l’appréciation même des repas50. Les interactions, souvent frictionnelles, ou mettent à tout le moins en scène les différents rapports qu’entretiennent entre eux les propriétaires, les serveurs et la clientèle51. Les conflits et controverses qui ne manquent pas de surgir dans cet espace commercial, ouvert aux regards des autres clients, attirent évidemment le regard des caricaturistes qui recréent ces situations en les reformulant de manière à mettre en exergue des types, qui ne seront pas tant des types personnalisés que des types d’interaction entre clients et propriétaires, clients et serveur (euse) s, ou entre les clients eux-mêmes.
30Les diverses entorses à la moralité, marchande ou charnelle, qui ont lieu aux restaurants d’Exposition activent les crayons des dessinateurs, prompts à reproduire ces scènes qui exemplifient différentes déclinaisons de l’« être-jeté-ensemble » de l’événement. Pour accentuer l’effet comique, les situations litigieuses impliquant les clients de restaurants qui sont illustrées dans la presse humoristique sont évidemment plutôt de nature verbale que physique, de matière à mettre en valeur les talents spirituels des protagonistes. Le raffut généré par les multiples frustrations d’un public payant trop cher, attendant trop longtemps, mangeant mal ou subissant la rouerie des serveurs, est sans doute moins volcanique que les journalistes et caricaturistes, eux-mêmes clients, veulent nous le faire croire.
31Dans l’ensemble des caricatures rassemblées sur les restaurants de l’Exposition, deux thématiques récurrentes peuvent être dégagées : l’abus de la clientèle et le désir charnel, entre client(e) s ou entre client(e) s et employé(e) s. Significativement, ces deux sujets sont déjà fort bien représentés dans les journaux humoristiques de l’époque à l’extérieur du contexte des Expositions universelles. On dénonce allègrement la fourberie des restaurateurs parisiens prêts à tous les subterfuges pour remplir leurs bourses, et on se délecte des tendres tribulations d’une certaine catégorie de clients.
L’abus de la clientèle
32Sur la page frontispice de l’édition du 2 juin 1889 du journal satirique antisémite Le Grelot, l’œuvre du dessinateur Pépin « L’Exposition livrée aux bêtes » nous présente une scène horrifiante, celle de restaurateurs, serveurs et chefs cuisiniers transformés en rapaces qui pourchassent, armés de leurs instruments culinaires, le public de l’Exposition pour le dévorer. Variation sur un thème connu depuis le Marchand de Venise : l’association métaphorique entre le capitalisme sauvage, le cannibalisme non moins sauvage et l’amoralité des Juifs. La présence du café Juifermann à gauche, de la brasserie de Munich au centre, du restaurant « Gloutmaner » à droite et de l’étoile de David qui orne la coiffure de Marianne dénudée laisse transparaître, ou plutôt affiche ouvertement, la couleur politique de l’opuscule, prompt à mettre en cause la « juiverie internationale », puis les dreyfusards en 1900, pour tout ce qui ne tourne pas rond dans la tenue des Expositions universelles. Mais au-delà de ces considérations relatives à l’orientation partisane du Grelot et de ses contributeurs, cette caricature illustre un phénomène en soi particulier, soit le déplacement des rapports de pouvoir sur le terrain de la consommation et incidemment la constitution du consommateur comme sujet de par sa victimisation. Ici, les forces combinées des Juifs et Teutons sont représentées comme une menace vitale pour le consommateur gaulois, tenu en laisse en bas à gauche. Ailleurs, dans d’autres portraits les consommateurs aux restaurants d’Exposition universelle ne seront pas les victimes d’une invasion internationale, mais plus modestement du pouvoir des serveurs et restaurateurs qui, à en croire les caricaturistes de l’époque, en useraient et en abuseraient avec la pire des arrogances.
33Cette attaque bestiale à l’endroit des clients ne peut que contraster avec l’univers de liberté qui semble émaner des représentations de pique-niques. D’ailleurs, la scène anthropophagique ne se déroule pas à l’intérieur des établissements, là où le client serait normalement le plus exposé au lucre des exploitants, mais au grand jour, sur les pelouses de l’Exposition. Il s’agit bien d’une invasion de l’espace public républicain, assiégé par des intérêts économiques étrangers, germaniques ou israélites, et où le futile refuge des consommateurs dévorés reste une Marianne honteuse et moribonde. Si ce cas de politisation de la restauration n’est représentatif ni du corpus de caricatures sur les relations entre clients et employés aux restaurants d’Exposition, ni des témoignages écrits sur le sujet qui, lorsqu’ils expriment des plaintes envers les restaurants, font peu de cas de la nationalité ou de la religion des concessionnaires, il exprime néanmoins une perception fortement répandue lors des Expositions universelles : celle d’un rapport de forces essentiellement inégal entre le public et les restaurateurs ou leur personnel qui profitent de l’événement, de fait qu’ils peuvent bénéficier d’une clientèle massive et éphémère, donc en constant renouvellement durant les quelques mois d’Exposition. Puisque la demande excède outrageusement l’offre et que l’Exposition accueille à chaque jour de nouveaux visiteurs – des touristes pour une grande part – les restaurants ne se priveraient pas d’imposer des prix prohibitifs à cette clientèle vulnérable et passagère et le personnel ne se soucierait pas non plus outre mesure des règles de politesse les plus élémentaires envers les clients. Selon ce que dit un chroniqueur de La Souveraineté nationale en 1900 à propos des serveurs à l’Exposition : « rien ne les arrête, pas même le pourboire. Ils injurient comme ils respirent, c’est une fonction animale52 ». L’Exposition n’arrive donc pas toujours à pacifier le monde social lorsque certains témoins en repartent avec la perception qu’elle devient la scène d’une quête pécuniaire déshumanisante quand l’appât du gain ramène l’être humain aux sombres profondeurs de sa nature.
34L’animalité a bien une couleur nationale pour certains journalistes. Dans ses articles sur la question des prix aux restaurants de l’Exposition, le Grelot prend pour cible de prédilection les concessionnaires étrangers, « entrepreneurs d’empoisonnement public » qui sont avides de dévaliser le public parisien avec des prix marqués dont « tous les zéros sont cachés par le cadre du menu53 ». En bonne feuille satirique, les impressions livrées par le Grelot tiennent leur efficacité par un sens de l’exagération assumé pour son effet humoristique sans vocation de représenter la réalité des restaurants mais de faire fléchir sur les perceptions du public en exposant sous un jour caricatural les relations de pouvoir qui s’actualisent autour des tables des restaurants. Les situations fictives décrites, où l’année d’un millésime est présentée sur la note comme le prix d’une bouteille et où un garçon au restaurant « prusso-russe » [sic] présente une addition multipliée car, de son aveu, il « compte toujours tout deux fois54 », ont ainsi pour objectif de faire réagir le public parisien devant une situation où il se trouverait prisonnier du jeu des normes sociales. Sur un ton plus sérieux, le journal défend que : « Nous ne sommes plus au temps où les étrangers “nos hôtes” payaient sans vérifier l’addition. Ce sont eux, au contraire, qui épluchent ladite multiplication avec le soin le plus scrupuleux. Car, on a beau dire, ce sont encore les parisiens qui, avec une sainte horreur de l’engueulement et l’effroi d’être traités de pingres, paient toujours sans rechigner55. » Dans les colonnes du Grelot, il n’est peut-être en fait pas tant question d’économie que de sociologie et de politique dans ce qui est perçu comme un rapport de pouvoir illégitime qui s’actualise dans les rapports sociaux entre les clients et le personnel des restaurants. Si exagérées et imaginaires que soient ces chroniques, il n’en demeure pas moins qu’elles reviennent constamment sur la question de l’Exposition comme lieu de consommation où se déploient des relations sociales qui se matérialisent sous diverses formes. Il n’y a évidemment pas dans les faits de conspiration juive ou de détroussement économique massif d’origine russo-germanique, mais il y a bien cet événement du lieu, l’espace matériel, économique et social particulier de l’Exposition universelle qui recompose les rapports sociaux et donne une couleur toute singulière aux luttes de pouvoir tout autant microscopiques qu’acharnées au sein des restaurants d’Exposition entre serveurs et clients.
35« Comment ! 1,5 F une absinthe gommée ? » s’étonne le client au cigare, « C’est pourtant bien simple, vous avez 0,75 d’absinthe et 0,75 de gomme. C’est comme ça dans toutes les expositions » lui répond le serveur, exprimant finalement son impuissance, ou sa fausse naïveté intéressée, face aux lois du marché qui fléchissent sous le poids économique de l’Exposition universelle. La scène du garçon arborant un sourire sardonique devant le client abusé, ou sinon entraîné à subir par la force des choses un éventail de désagréments, est d’ailleurs récurrente dans la presse illustrée de 1889 et 1900. Un coup d’œil sur les expressions faciales des clients et serveurs dans les caricatures nous fait voir la même scène qui semble se répéter indéfiniment, l’œil narquois et le sourire en coin du serveur proférant spirituellement son mot railleur devant l’étonnement des clients contrariés.
36Notons qu’à chacun des dialogues reproduits ici, c’est toujours le garçon qui a le dernier mot. On ne peut que constater la différence dans ces représentations entre l’espace intérieur, fermé, disciplinaire du restaurant et l’espace extérieur, ouvert, démocratique des jardins où se déroulent les pique-niques. Pour les restaurants, l’Exposition conduit à un durcissement des rapports, dans lesquels le consommateur semble perdre de sa liberté. La chose est magnifiquement illustrée dans la scène suivante, tirée encore une fois du Grelot et qui relate cette fois les mésaventures de clients dans les Bouillons Duval, ce qui au passage nous indique que les rédacteurs du Grelot n’épargnent pas non plus leurs concitoyens :
37Il pleuvait à verse. Quelques clients, installés chez Duval, savouraient leur café. Ces messieurs demandent des cigares.
– Il n’y en a pas.
– Alors, dit l’un d’eux, je vais aller en chercher.
– Vous ne pouvez sortir sans payer votre carte, ni rentrer sans prendre une autre carte.
– Mais c’est absurde !
– Naturellement, mais c’est comme ça.
– Mais je vous laisse en gage, mon beau-père, mon oncle et ma sœur.
– Zut ! nous avons bien d’autres chiens à fouetter, c’est-à-dire de client à nourrir, allez au diable !
38Notez que dans ces bouillons, où les servantes vous inondent de sauce et où les gérants sont recrutés aux Halles centrales, on dîne, quand on a faim, beaucoup plus cher que partout ailleurs. Un morceau de poulet coupé à coups de hache, 1,20 F, un artichaut à l’huile, 75 centimes, une pêche, 75 centimes, une poire, 60 centimes.
39Mais les provinciaux s’imaginent qu’ils y gagnent et s’astreignent, sur la foi de la vieille réputation des Bouillons de 1867 et de 1878, à faire une heure de queue afin d’avoir le plaisir de chanter sur l’air de Vézinier dit Racine-de-Buis.
Ell’s n’vous font pas manger d’cheval
Les p’tit’s bonn’s de chez Duval !
40Et quand il n’y a pas de place, et que, désespéré, vous prenez le parti d’aller dîner ailleurs, il faut voir la tête que vous fait le contrôleur, à la porte, quand vous lui remettez une carte vierge.
41Le cerbère vous prend pour un filou.
– Faut-il laisser sortir Monsieur ? crie-il de sa voie la plus ironique.
42Et le gérant répond en riant :
– Laissez sortir Monsieur, Ugène… qui n’a rien consommé.
43Comme c’est agréable de passer pour un Monsieur qui a voulu faire flanelle avec les bonnes de Duval !
44Quant à la carte, il paraît qu’il faut la laisser au contrôle.
45Comme si un consommateur n’avait pas le droit d’emporter son reçu avec lui – et de revérifier dans la rue une carte hiéroglyphique additionnée dare dare et à la diable pendant que vous faites la queue devant le trône des caissières.56
46Dans ces descriptions de situations, l’espace intérieur du restaurant joue un rôle essentiel dans ce qui est perçu comme une entrave à la liberté du consommateur car la distribution des rôles qu’il implique en mettant le serveur en position d’autorité tend à faire pencher la joute verbale au profit de ce dernier. Cette insistance sur la conversation au restaurant de la part des caricaturistes et autres témoins se justifie alors parce que l’échange verbal vient compléter l’expérience vécue par le client sur les plans tactiles et gustatifs dans la mesure il devient l’argument final dans l’évaluation (généralement mauvaise) de la qualité des établissements. Le repas a été mauvais, les chaises inconfortables, et pour terminer, le client doit subir l’arrogance du garçon. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que dans la scène dessinée par Henriot ci-contre, où un consommateur se plaint auprès d’un agent de la paix d’être escroqué par un commerçant, se déroule à l’extérieur, hors du lieu de pouvoir du restaurateur. La position assise des dîneurs par rapport au garçon debout, surplombant la table des convives de son regard condescendant, contribue-t-elle aussi à accentuer l’effet. Mais cette fois, le client révolté, debout et gesticulant en se permettant cette fois de conclure la scène par un mot d’esprit montre un renversement de puissance dès lors que le lieu change.
Visibilités
47Les contingences spatiales des lieux de consommation qui sont propres à l’Exposition, pèsent inévitablement sur les relations de pouvoir qui s’expriment dans les interactions sociales lors des repas. Autant que les parterres des pique-niques, les restaurants peuvent être considérés comme des lieux hybrides publics-privés où les identités sociales se mettent en scène au regard des observateurs présents aux alentours. Le thème du restaurant comme lieu d’observation des activités sociales est d’ailleurs fort présent dans l’imaginaire littéraire du Paris de la fin du xixe siècle où, comme le souligne Joëlle Bonnin-Poirier : « l’établissement met le personnage en état de disponibilité perceptive57 ». Il est à cet effet frappant de constater à quel point le comportement des clients, beaucoup plus que le contenu des mets, est un thème qui revient sans cesse, notamment dans la presse illustrée. Avant même l’ouverture de l’Exposition en 1900, la vue d’« électriciens buvant à la prospérité des plombiers et les peintres fraternisant avec les tapissiers » dans les bars et buvettes montés autour des palais en construction apparaît au journaliste comme de « [t]ouchants spectacles […] cadrant à merveille avec cette glorification de la paix générale qui est l’idée-mère de l’Exposition, mais peu faits, on en conviendra pour activer les travaux d’achèvement58 ». L’Exposition crée une communauté, entre plaisir et alliance sociale d’individus de diverses extractions, mais le commentateur rajoute par la suite que ces agapes sont peu faites pour favoriser la finition rapide des travaux.
48Le thème le plus présent dans la presse parisienne est cependant celui du rapport de séduction entre hommes et femmes. Le restaurant est d’une part le lieu de prédilection où, dans l’espace populeux et bruyant de l’Exposition universelle, le couple peut reprendre haleine dans un cadre d’intimité relative. Peut-être les tables des restaurants et des cafés sont-elles le meilleur endroit pour qu’un couple se retrouve enfin face-à-face, après avoir regardé ensemble tout ce qu’il peut y avoir à voir à l’Exposition universelle. Mais inversement, avec sa foule anonyme qui opacifie les relations sociales l’Exposition est ainsi souvent dépeinte dans les caricatures comme des lieux où le bourgeois (ou la bourgeoise) peut se livrer aux infidélités conjugales, surtout avec les visiteuses et visiteurs de passage. Dans la Vie Parisienne, une série d’articles de conseils pratiques indique ainsi aux Parisiens les manières de plaire aux étrangères en visite « Puisque, en ce moment, nos Parisiennes sont la proie de l’Étranger, pourquoi ne chercherions-nous pas à nous consoler avec les étrangères59 ? » Pour l’Allemande, le journaliste recommande la chose suivante : « Invitez-la à dîner. Cela ne lui sera pas très difficile, car son mari, pour qui Paris est de plus en plus la Babylone moderne, ne sera pas fâché d’avoir une soirée à lui. Mais, pour plus de sûreté, composez vous-même la petite histoire qu’elle devra conter à son seigneur et maître et faites la lui répéter jusqu’à ce qu’elle la sache bien. C’est plus prudent60. » On doit ainsi noter l’importance du choix du lieu, pas n’importe quel type de restaurant, mais aussi du choix du repas, bref de tout ce qui constitue l’ambiance sensorielle de l’interaction sociale : « Emmenez la dîner, non dans un restaurant très chic, mais dans un établissement de second ou de troisième ordre, le plus libre d’allures que vous connaissiez. Dînez dans la salle commune et n’hésitez pas à lui désigner les habitués de l’endroit comme la fine fleur du monde parisien. […] Pas de gros plats, elle est blasée là-dessus, au contraire une infinie variété de petites galanteries qui l’étourdiront61. » Du côté des Françaises, on fait remarquer la présence de « quelques professionnelles de la galanterie vénale », qui « avec une ardeur que je qualifierais de méritoire si elle eût pris sa source dans un sentiment plus désintéressé, se sont appliquées depuis plusieurs mois à l’étude des langues vivantes62. » Kitt, dans la Vie Parisienne, décrit ainsi les manières d’une femme coquette de province en visite à l’Exposition : « Elle ne se plaint pas des agréables motifs qui l’empêchent d’aller à l’Exposition, dont elle ne connaît et ne connaîtra que les restaurants où ses nombreux flirts la mènent déjeuner et dîner quand ça lui dit63 ». Le thème de la femme attirée sexuellement par les étrangers, et notamment par les Orientaux ou les Africains est d’ailleurs un thème de prédilection pour les caricatures. Aussi, dans un autre article de Kitt :
Elle y va tous les jours, mais ne met les pieds que dans les restaurants… On arrive à midi au palais de la Bouffe qu’on a choisi, on y est encore à trois heures. Vous pensez si on est lourd, si on manque d’enthousiasme pour aller admirer les travaux des enfants des deux sexes du monde entier. Demain, nous commencerons par voir quelque chose et nous déjeunerons après. On n’a que la force de monter dans une voiture et de se faire conduire aux possessions anglaises pour prendre une tasse de thé, il n’y a rien qui repose autant ; là on rencontre du monde, on rapproche les petites tables, on cause, on bavarde jusqu’à ce qu’il soit l’heure de courir chez la couturière essayer la robe dont on a besoin pour la soirée de l’ambassade, ou le dîner offert par quelque aimable président de section de l’Exposition. Et elle reprend encore une tasse de thé pour faire passer ce déjeuner qui l’a gonflée. Dans quel état elle va paraître devant sa couturière.64
49La combinaison du restaurant, lieu intérieur avec un cadre visuel spécialement agencé, avec la présence de nombreux étrangers sur le site des Expositions universelles, génère alors des perceptions sur la circulation des regards, notamment ceux qui ne sont pas légitimes socialement. La disposition des chaises et des tables qui permet la fermeture du cercle de sociabilité dans le face-à-face conjugal engendre également une sensibilité plus accrue sur le poids des regards extérieurs. Dans le contexte de l’établissement de consommation d’Exposition, c’est le client seul, masculin qui est souverain dans l’usage public du regard. Le rapport de séduction entre clients et employés, est incidemment surtout traité en sens inverse, avec les visiteurs qui profitent de leur passage dans les lieux de restauration pour observer et courtiser les serveuses de passage, avec encore une fois une attention particulière aux serveuses étrangères, d’Angleterre, de Hollande ou de Suisse.
50On ne peut que constater avec les différentes caricatures mettant en scène des serveuses que les rapports de pouvoir entre clients et employés se renversent lorsque l’employée est de sexe féminin. Les yeux insistants de clients intéressés et leur posture corporelle, penchée avec assurance, n’expriment évidemment pas le même air désemparé de ceux qui se confrontent à l’arrogance des garçons. Les hommes seuls qui ne sont plus autant soumis aux normes du regard collectif n’ont d’ailleurs pas le même souci des contraintes sociales que les groupes de clients et peuvent plus facilement se livrer sans complexes à leurs activités de séduction. Mais dans un cas comme dans l’autre, nous pouvons nous demander si la situation particulière de l’Exposition universelle a un effet sur la forme des interactions sociales entre clients et employés des établissements de consommation. Ces représentations des interactions sociales à l’intérieur des restaurants ne diffèrent pas sensiblement des scènes que l’on peut retrouver dans les mêmes journaux illustrés en dehors des temps d’Exposition universelle. L’esprit de lucre des restaurateurs parisiens et le commerce des regards lubriques aux restaurants sont déjà à la fin du siècle des thèmes de prédilection pour les caricaturistes de la vie quotidienne. Ces scènes d’Exposition ne sont donc pas étrangères à un ensemble de perceptions propre à la culture parisienne de l’époque sur ces lieux publics de consommation alimentaires. Nous voyons cependant que le contexte spécifique de l’Exposition universelle tend à accentuer ces comportements-types. Le pouvoir des employés sur les clients peut s’expliquer par la demande qui supplante l’offre dans le marché de la restauration aux Expositions universelles et les établissements de consommation étrangers offrent de nouvelles nourritures aux yeux des Parisiens. La première caricature de mars dans cette série s’intitule d’ailleurs « Pourquoi on y allait », nous laissant ainsi avec l’idée que les charmantes employées font aussi partie des attractions de l’Exposition pour un certain public.
51Les contraintes matérielles de l’équipement, les contraintes dans le choix des choses à consommer et les contraintes sociales de l’œil public qui déclinent de manières différentes selon les lieux, ne sont donc pas forcément restrictives dans l’appréciation générale des repas ou le plaisir ressenti par les consommateurs, notamment lorsque ceux-ci profitent de l’établissement intérieur pour se livrer librement à leurs activités de sociabilité. La conversation, peut-être davantage que la nourriture dans un contexte comme l’Exposition universelle où les attentes envers la qualité des lieux de restauration peuvent varier du plus haut au plus bas selon le client, devient ainsi déterminante Il est à cet effet curieux que lorsqu’un aliment est évoqué, c’est souvent parce qu’il pose problème, parce qu’il est mauvais comme la mayonnaise salée et la langouste avariée, ou parce qu’il souille comme le potage renversé. Bien entendu, l’éventualité d’un repas où tout se déroule comme prévu, et où la nourriture ne devient pas problématique mais répond aux attentes du visiteur, ne mériterait probablement dans la presse généraliste de l’époque ni caricature, ni témoignage. La caricature des heurs et malheurs du peuple dans le quotidien de l’Exposition tend ainsi à mettre de l’avant le surgissement impromptu des mésaventures alimentaires plutôt que l’écoulement quotidien des mets consommés sans complications, l’arbre qu’on abat plutôt que la forêt qui pousse. L’ontologie de l’aliment n’est si forte à la conscience que lorsqu’il impose sa présence matérielle sans qu’on lui demande.
Conclusion
52En comparant ainsi l’espace ouvert du pique-nique et l’espace fermé du restaurant, nous revenons à la question posée au départ de l’articulation entre le corps des visiteurs, l’espace de consommation et l’aliment consommé car nous pouvons observer que la socialité dans ces deux contextes se décline de manière fort différente, selon ce que l’on peut en juger à partir des témoignages que nous avons ici rassemblés. Nous voyons ainsi que le type d’aliments tout comme les contraintes ou les libertés corporelles imposées par les caractéristiques physiques du lieu ont un effet direct sur la détermination des rôles et des hiérarchies sociales qui s’expriment publiquement dans le contexte de l’Exposition universelle. Les consommateurs qui traversent les allées de marchandises exposées pour ensuite s’arrêter sur la pelouse, sur un banc public ou aux tables d’un restaurant pour se repaître sont ainsi loin d’évoluer, malgré les apparences, dans un univers où ils peuvent choisir leurs consommations à leur guise, ils doivent plutôt négocier avec un ensemble d’acteurs et de facteurs qui se rassemblent à l’occasion de l’Exposition.
53Les représentations des pratiques alimentaires que nous avons ici abordées tendent par ailleurs à montrer que cette distinction entre l’intérieur et l’extérieur reproduit finalement en grande partie la distinction culturelle entre les classes populaires et les classes aisées. Les pique-niqueurs reconnus pour leur sens pratique, le caractère improvisé de leurs repas et leur peu de considération pour les normes sociales acceptées surtout lorsqu’ils s’exposent au regard public incarnent en somme de nombreux traits distinctifs faisant référence, positivement ou négativement selon l’observateur, aux manières du peuple parisien. À l’opposé, le restaurant avec ses codes, ses normes et ses contraintes, en tant qu’espace disciplinaire où le regard public ne se diffracte pas dans les mouvements de foule, cristallise plus facilement les identités sociales et les rapports de pouvoir. Les visibilités définissent tant la pratique du pique-nique que celle du repas au restaurant car d’un lieu à l’autre, l’économie des regards publics contribue à construire la forme des pratiques de consommation65.
Notes de bas de page
1 J’emprunte le terme à Sarah Pink, « An Urban Tour : The Sensory Sociality of Ethnographic Place-Making », Ethnography, vol. 9, no 2 (2008), p. 175-196 et « Re-thinking Contemporary Activism : From Community to Emplaced Sociality », Ethnos, vol. 73, no 2 (2008), p. 163-188.
2 Vital Meurysse, « L’Exposition dîne » dans Charles-Lucien Huart (dir.), Le Livre d’Or de l’Exposition, Paris, L. Boulanger, 1889, p. 271.
3 Claude Grignon, « Le “je-ne-sais-quoi” et le “faute-de-mieux” » dans Julia Csergo (dir.), Le casse-croûte : aliment portatif, repas indéfinissable, Paris, Autrement, 2001, p. 17.
4 Voir Michael Herzfeld, Cultural Intimacy : Social Poetics in the Nation-State, Londres, Routledge, 2004.
5 J. Reney, « Un dimanche à l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 90 (13 août 1889), p. 6.
6 Georges Lenôtre, « Courrier de l’Exposition », Le Monde illustré, 33e année, no 1685 (13 juillet 1889), p. 22. Souligné dans le texte.
7 Erving Goffman, Frame Analysis : An Essay on the Organization of Experience, Harmondsworth, Penguin Books, 1974.
8 « Fontaines lumnineuses », Revue de l’Exposition universelle de 1889, no 11 (août 1889), p. 341.
9 Pierre Bourdieu, La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979, p. VIII.
10 Thiébault-Sisson, « Laiterie anglaise », Revue de l’Exposition universelle de 1889, no 20 (octobre 1889), p. 212.
11 Mary Douglas, De la souillure : essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, La Découverte, 2001 (1971).
12 « À l’Exposition », La Patrie, 60e année, 12 juin 1900, p. 2.
13 Jeanne Brémond, « L’Exposition de 1900 », La Fronde, 4e année, no 804 (21 mai 1900), s. p.
14 « Rien de curieux comme l’aspect du Champ-de-Mars à l’heure du dîner ; sans parler des restaurants où l’on se disputait les chaises, où l’on attendait une demi-heure pour trouver des places, et où finalement on était obligé de se servir soi-même, on rencontrait, presque à chaque pas, des visiteurs qui avaient apporté leur dîner et qui s’étaient installé sur des bancs, sur des chaises, sur des marches d’escalier et qui dressaient là un couvert improvisé. » Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 9643 (1889), s. p.
15 Ibid.
16 Sur le meme problème mais à propos d’une Exposition universelle contemporaine, voir Richard Maddox, « Intimacy and Hegemony in the New Europe : the Politics of Culture at the Seville’s Universal Exhibition » dans Andrew Shyrock (dir.), Off Stage/ On Display : Intimacy and Ethnography in the Age of Public Culture, Stanford, Stanford University Press, 2004, p. 131-154.
17 Pierre Véron, « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 33e année, no 1681 (15 juin 1889), p. 390.
18 Alain Drouart, Histoire des cuisiniers en France : xixe -xxe siècle, Paris, CNRS, 2004 et « Escoffier, Bocuse et (surtout) les autres… : Towards a History of Cooks in France in the Nineteenth and Twentieth Centuries » dans Marc Jacobs et Peter Scholliers (dir.), Eating Out in Europe : Picnics, Gourmet Dining and Snacks since the Late Eighteenth Century, Oxford, Berg, 2003, p. 215-228.
19 Auguste Escoffier, « Dinettes populaires à l’Exposition », L’Art culinaire, Paris-Gourmand en 1889, supplément II (juillet 1889), p. IX.
20 Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification : les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
21 Voir Alan Warde et Lydia Martens, Eating Out : Social Differenciation, Consumption and Pleasure, Cambridge, Cambridge University Press, 2000. Dans son analyse des associations cognitives à l’acte de manger Saadi Lahlou montre que somme toute, le gustatif semble occuper une place plutôt marginale. Saadi Lahlou, Penser manger : alimentation et représentations sociales, Paris, Presses Universitaires de Paris, 1998.
22 Encore que, La Fronde a consacré le cochon roi de l’Exposition de 1900 : « Il est difficile d’évaluer, fût-ce approximativement, tout ce qu’on lui dut, au cours du semestre, de bonhomie, de belle humeur, d’expansion heureuse, de digestions apaisantes, et dans quelle mesure la satisfaction des appétits légitimes, en un décor de fête, contribua au maintien de la célèbre trève, à la pacification des esprits et des rues. […] c’est le Cochon, phénix de l’étable, sans cesse immolé, sans cesse renaissant qui, à propos de la grande Kermesse, mériterait les honneurs de la place publique, l’hommage du gésier populaire, des estomacs reconnaissants. » Séverine, « Les bêtes à l’Exposition », La Fronde, 4e année, no 1044 (18 octobre 1900), s. p.
23 Georges Hamon, « L’Exposition pittoresque : étude sur les visiteurs », Le Mois littéraire, no 23 (novembre 1900), p. 596-597.
24 Eusebio Martinez de Velasco, « Nuestro Grabados », La Ilustración Española y Americana, 33e année, no 26 (8 juillet 1889), p. 19.
25 Georges Montorgueil, Croquis parisiens : Les plaisirs du dimanche à travers les rues, Paris, Quantin, 1896, s. p.
26 André Rauch, Vacances et pratiques corporelles, Paris, PUF, 1998.
27 André Rauch, « Les vacances et la nature revisitée (1830-1939) » dans Alain Corbin (dir.), L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Flammarion, 2001 (1995), p. 83-117.
28 Charles-Lucien Huard, « Les locataires de M. Garnier » dans Charles-Lucien Huard (dir.), Livre d’or de l’Exposition. Journal hebdomadaire illustré, Paris, L. Boulanger, 1889, p. 290.
29 Ibid.
30 Rauch, op. cit., p. 92.
31 Voir Theodore Schatzki, Social Practices : A Wittgensteinian Approach to Human Activity and the Social, Cambridge, Cambridge University Press, 1996 et Alan Warde, « Consumption and Theories of Practice », Journal of Consumer Culture, vol. 5, no 2 (2001), p. 131-153.
32 Cleg, « Le grand bazar », La vie parisienne, 38e année, no 23 (9 juin 1900), p. 325.
33 Raoul Ponchon, « Fontaines lumineuses », Le Courrier français, 6e année, no 31 (4 août 1889), p. 2.
34 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 9 (22 mai 1889), p. 1.
35 Léon Dussert, « Le Palais algérien », Revue de l’Exposition universelle de 1889, vol. 1 (1889), p. 204-205.
36 Lenôtre, op. cit., p. 19.
37 John-David Dewsbury, « Witnessing Space : Knowledge without Contemplation », Environment and Planning A, vol. 35 (2003), p. 1907-1932.
38 Keith Tester, « Introduction » dans Keith Tester (dir.), The Flâneur, Londres, Routledge, 1994, p. 3-7.
39 André Rauch, « Le cercle des affamés » dans Julia Csergo (dir.), Le casse-croûte : aliment portatif, repas indéfinissable, Paris, Autrement, 2001, p. 26.
40 Kitt, « Le ventre de l’Exposition : quelques paniers », La Vie Parisienne, 17 août 1889, p. 457.
41 Ibid.
42 Ibid., p. 458.
43 Ibid.
44 Hamon, op. cit., p. 587.
45 Ibid., p. 600.
46 Voir Paul Glennie et Nigel Thrift, « Modernity, Urbanism, and Modern Consumption », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 10, no 4 (1992), p. 423-443.
47 Julia Csergo, « The Picnic in Nineteenth Century France. A Social Event Involving Food : Both a Necessity and a Form of Entertainment » dans Marc Jacobs et Peter Scholliers (dir.), Eating Out in Europe : Picnics, Gourmet Dining and Snacks Since the Late Nineteenth Century, Oxford, Berg, 2003, p. 139-159.
48 Pour reprendre la définition de Schatzki, op. cit., p. 171.
49 Séverine, op. cit.
50 Voir Claude Fischler et Estelle Masson, Manger, Paris, Odile Jacob, 2008.
51 La question des rapports de force entre propriétaires, classes d’employés et clients dans le restaurant a déjà été explorée sociologiquement par William Foote Whyte, Human Relations in the Restaurant Industry, Toronto, McGraw-Hill, 1948 de même que plus récemment par Lydia Martens et Alan Warde, « Power and Resistance around the Dinner Table » dans Jeff Hearn et Susan Roseneil (dir.), Consuming Cultures : Power and Resistance, Houndmills, Palgrave-MacMillan, 1999, p. 91-108.
52 « Le duel exotique », La Souveraineté nationale, 23 avril 1900, s. p.
53 « Petit guide à l’Exposition. À bas les empoisonneurs », Le Grelot, 19e année, no 945 (19 mai 1889), s. p.
54 « Gazette de Montretout », Le Grelot, 19e année, no 949 (16 juin 1889), s. p.
55 Ibid.
56 « La dynastie Duval, Bouillon et Cie », Le Grelot, 19e année, no 965 (6 octobre 1889), s. p.
57 Joelle Bonnin-Ponnier, Le restaurant dans le roman naturaliste : Narration et évaluation, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 251.
58 « Notes d’un curieux : Les dernières installations », L’Exposition de Paris (1900), no 8 (1900), p. 54.
59 « Les étrangères et la manière de s’en servir », La Vie parisienne, 22 juin 1889, p. 341.
60 Ibid.
61 Ibid.
62 Charles Malato, « Le soir », L’Aurore, 4e année, no 4 (1900), p. 2.
63 Kitt, « Pas une minute ! », La vie parisienne, 38e année, no 27 (7 juillet 1900), p. 383.
64 Kitt, « Pas une minute ! », La vie parisienne, 38e année, no 28 (14 juillet 1900), p. 383.
65 Voir Gill Valentine, « Food and the Production of the Civilised Street » dans Nicholas R. Fyfe (dir.), Images of the Street : Planning, Identity and Control, Londres, Routledge, 1998, p. 192-204.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011