Chapitre V
La restauration des corps éreintés
p. 253-277
Texte intégral
1Le Paris post-haussmannien de la fin du xixe siècle a un nouveau décor, il impose de nouveaux rythmes, une nouvelle expérience de la vitesse et, chemin faisant, de nouvelles fascinations et de nouvelles craintes devant un paysage urbain et surtout devant une faune urbaine qui se transfigure1. Pour quelqu’un comme Walter Benjamin, la croissance urbaine exceptionnelle de la fin du xixe siècle, sous l’impulsion du capitalisme industriel, se traduit dans l’expérience quotidienne de nombreux citadins par un choc traumatique provoqué par une hyperstimulation sensorielle2. Un tel portrait, s’il a un certain charme apocalyptique qui fait écho à de nombreux témoignages littéraires de l’époque, néglige pourtant un autre aspect coextensif de l’urbanisation au tournant du siècle, qui est l’émergence de contre-pratiques et de dispositifs destinés précisément à reposer les sens et à ralentir le temps de la ville.
2Prenons l’exemple de quatre réclames pour une marque d’alcool de menthe publiées dans le Petit Parisien à l’été 1889 :
Si vous parcourez les jardins au grand soleil, emportez de l’alcool de Menthe de Ricqlès, pour combattre les commencements d’insolation. Dépôt, 41, rue Richer et palais des Enfants.3
L’alcool de menthe Ricqlès est le plus énergique réactif à employer lorsque, les yeux fatigués de voir tournoyer des volants, courir des pistons étincelants, on quitte la galerie des machines le cœur noyé et la tête ballante. Dépôt, 41, rue Richer et palais des Enfants.4
La galerie des machines est un lieu dangereux pour les personnes dont l’estomac est délicat. Rien n’est plus efficace que l’alcool de menthe Ricqlès, 41 rue Richer et palais des Enfants.5
Dans la galerie des machines, la chaleur incommode beaucoup de visiteurs, il faut donc se munir d’alcool de menthe Ricqlès, qui est souverain contre le moindre malaise. On en trouve à l’Exposition, au palais des Enfants, – rue Richer, 41, et partout.6
3Chacune de ces publicités décrit des maux potentiellement vraisemblables qui peuvent affecter les visiteurs dans leurs déambulations à l’Exposition universelle et qui découlent de cette hyperstimulation sensorielle évoquée plus haut : l’insolation, la fatigue, les problèmes gastriques, la chaleur excessive des galeries. L’écosystème de l’Exposition n’est pas toujours tendre envers les corps qui l’habitent, mais l’alcool de menthe Ricqlès prétend, selon ses réclames, avoir la capacité de redonner vie aux corps qui doivent subir les dures épreuves des longues visites à l’Exposition.
« Quand l’œil et les jambes sont bien fatigués »
Après huit jours de cette vie,
Les jambes finissent par se fâcher,
Elles vous disent je te laisse Paris
Moi je commence à détaler ;
Puis force est de leur obéir
Vous vous apprêtez à partir.
Vous n’avez vu qu’une portion
De cette grande Exposition.7
Les statisticiens ont jusqu’à ce jour négligé de nous apprendre combien un homme, jeune et bon marcheur, devrait faire de kilomètres, s’il entreprenait de tout voir l’Exposition. Le calcul sera fait un jour ou l’autre, n’en doutons point. En attendant qu’il nous arrive, nous avons pu constater de nos yeux et de nos jambes que l’espace à parcourir est excessivement vaste.8
4Circulez, circulez, car il y a bien à voir : on y expose, on s’y expose, mais à force de circuler, il faut bien qu’on s’y repose. L’avidité de l’œil finit par éroder la vitalité du corps9. L’étalement toujours plus grand des sites d’Exposition – 96 hectares en 1889, 120 hectares en 190010 – avec l’établissement définitif de la formule pavillonnaire à la fin du xixe siècle qui implique la présence de grandes allées à ciel ouvert, concorde avec l’importante floraison de guides qui proposent une visite efficace de l’Exposition pour permettre au public de voir le maximum de choses essentielles en un minimum de temps.
5C’est pourquoi le format des guides ne doit pas être pris à la légère, si l’on nous permet ce facile jeu de mots. Le Guide-conseil du touriste pour l’Exposition de 1889 et The Express Guide to the Paris Exposition 1900 peuvent chacun se vanter d’être « petit et pratique11 » et « handy in size12 ». Les visiteurs technophiles peuvent d’ailleurs profiter d’un chemin de fer électrique aux Expositions de 1889 et de 190013 pour se déplacer d’un site à un autre. Cela n’empêche pas l’écrivain-flâneur André Hallays à l’Exposition de 1900, de déplorer la qualité de l’organisation des services de transport et prendre la parole au nom des marcheurs éreintés : « Il n’y avait point, dans l’Exposition, un seul moyen de transport qui fût vraiment pratique. Le petit chemin de fer électrique aurait pu rendre quelques services ; mais ses stations étaient trop éloignées les unes des autres. Il fallait marcher, toujours marcher. À trois heures de l’après-midi, tous les promeneurs de l’Exposition avaient déjà la mine fourbue14. » On peut évidemment soupçonner Hallays, comme de nombreux autres écrivains et chroniqueurs qui seront cités ici, de donner dans la surenchère plaintive pour donner du sel au témoignage. Les marchands d’aigreur ne manquent pas dans le monde littéraire du Paris fin-de-siècle. Mais si ce témoignage n’est pas forcément représentatif de l’expérience générale du public en 1889 et 1900, il a l’avantage de rappeler la présence continuelle dans le vécu de l’Exposition, d’une constellation d’épreuves corporelles qui mettent au jour la texture du quotidien de l’événement. Les expériences personnelles de quelques témoins qui s’expriment sur le sujet avec la richesse de leurs sensibilités et de leurs subjectivités permettent de toucher à cette réalité souvent invisible des grands événements : l’importance du moment de consommation alimentaire à l’Exposition dans le recouvrement des forces épuisées et, incidemment, le rôle du restaurant comme lieu de restauration au sens littéral du terme15.
6Autant en 1889 qu’en 1900, dès les premières semaines, voire dès les premiers jours de l’Exposition, un battement quotidien des pratiques s’établit dans lequel l’heure du repas s’inscrit comme le moment où le visiteur peut reposer momentanément ses jambes et ses yeux avant de repartir en excursion sur le site, à travers les pavillons et les attractions. Le lendemain du soir d’inauguration de l’Exposition de 1900, le reporter de l’Aurore se fait l’interprète des cris de son estomac à la suite d’une première longue journée de visites aux pavillons et de contemplations de cortèges officiels : « Il est six heures, il faut se préoccuper du dîner : après les jouissances visuelles, l’estomac, en tyran impérieux, s’apprête à revendiquer ses droits16. » Rétablir l’équilibre corporel de la visite : le ventre finit par imposer son temps qui doit se substituer à celui des yeux et des jambes. L’enchaînement de ces différents moments est évoqué dans la relation d’une visite organisée de corporations ouvrières le 22 juillet 1900, alors que la pause du midi permet la récupération de l’énergie nécessaire pour une nouvelle exploration pédestre planifiée en après-midi : « Vers midi, ils déjeunèrent gaiement, les uns autour des bars, les autres autour des victuailles apportées et, leurs forces réparées, – car ils étaient partis de bon matin et il s’agissait de se donner des jambes – ils continuèrent leurs explorations, avec des yeux émerveillés, jusqu’au soir17. »
7Pour le visiteur étranger ou provincial qui découvre la capitale à l’occasion des Expositions universelles, le phénomène peut être transposé sur l’ensemble de la ville de Paris18. Prenons l’exemple de la voyageuse bretonne Noémie Dondel du Faouëdic qui, après avoir cheminé dans plusieurs pays d’Europe et en France avec sa servante Georgette, relate son passage à l’Exposition de 1889 dans ses Voyages loin de ma chambre19. Après une matinée au musée et au palais du Luxembourg, elle se prépare à assister au spectacle de Buffalo Bill et des « Peaux-Rouges » en après-midi : « Nous sommes rentrées, l’appétit bien aiguisé. Le fait est qu’à Paris on se dépense tant, qu’on a besoin de renouveler confortablement ses provisions de forces et de santé, pour garder son équilibre. Deux heures viennent de sonner, en route pour le Mexique20 ! » Joies de la dépense physique couronnées par la récompense du repas, dons et contre-dons des énergies corporelles dans l’économie du spectacle international : ces quelques témoignages sur la fatigue et l’alimentation permettent de remettre en évidence le caractère physique de la pratique de la promenade, une dimension qui serait peut-être trop souvent occultée chez les exégètes des récits de grands marcheurs21.
8Cela implique donc, pour les moments de la journée correspondant aux heures des repas, une nouvelle occupation des lieux alors que les visiteurs deviennent déjeuneurs ou dîneurs. Le Bulletin officiel de l’Exposition de 1889 décrit ainsi leurs activités qui se mettent en place en un début de soirée printanière, quand « l’œil et les jambes sont bien fatigués » : « ces touristes du dimanche s’asseyent où ils peuvent, dans les jardins ou les galeries ; vers six heures, ils font sortir les victuailles de leur cachette et se mettent à les attaquer vigoureusement, sans vergogne, les uns sur les marches d’un escalier, les autres sur des poutres, des caisses ou des échelles, laissées là par des ouvriers dont le travail n’est pas encore terminé22. » Ces pratiques spatiales ne sont d’ailleurs pas sans conséquences pour l’état matériel du site, tout particulièrement à la tombée du dimanche, le jour de la semaine qui compte les entrées les plus nombreuses. Les dégâts occasionnés par les pique-niqueurs dominicaux amènent donc certains esprits dans l’administration à considérer en juin 1889 (un mois après l’ouverture) l’éventuelle interdiction de ladite pratique. Protestation immédiate dans la presse : « De ce chef, il y aura la moitié des dîneurs qui ne sauront plus où se caser […] On ne peut pourtant les laisser errer comme des âmes en peine et leur refuser un gîte, un abri, un hangar même, à l’heure où les pieds refusent leur service et où l’estomac crie23. » D’autant plus que les pique-niqueurs ont aussi, ne l’oublions pas, leurs propres aliments à transporter.
9Pour ceux qui arrivent de bon matin sur le site avec leurs propres victuailles, le poids des comestibles pèse en effet non seulement sur leurs bras et jambes mais aussi sur la planification même des visites. Un chroniqueur à l’Exposition de 1900 relate la matinée d’une famille traînant ses provisions avant de s’installer pour le déjeuner sous les platanes du Trocadéro :
Dès dix heures, la famille au grand complet se présente aux guichets ; on a bourré le grand panier de la ménagère, celui qui est destiné à l’achat des provisions du marché. Les vastes flancs contiennent la viande froide traditionnelle et autres compléments ; pour le pain et les liquides, on les achète aux kiosques d’alimentation. Cependant, certains, dans un esprit de méfiance, ne craignent pas de se charger de ce complément. Le panier ne laisse pas de peser son poids ; chacun le porte à tour de rôle. Le malheureux qui est de corvée reste à la porte des attractions, tandis que la bande part en reconnaissance. Si le spectacle en vaut la peine, on relaie le porteur. Enfin l’heure du déjeuner déleste le fameux panier.24
10Pour les consommateurs qui ne s’embêtent pas à transporter leurs vivres, le restaurant devient le lieu d’élection pour quitter l’univers spectaculaire de l’Exposition, tout en demeurant sur le site pour éventuellement assister aux spectacles nocturnes comme l’illumination des fontaines et les feux d’artifices. Quelques semaines avant l’ouverture de l’Exposition de 1900, Jacques de la Forge redoute que « les trois-quarts des visiteurs finiront par ne plus rien voir et par s’affaler philosophiquement dans les bouis-bouis français ou exotiques qui pullulent malheureusement25 ». Ce que les restaurants et cafés proposent en tant que lieu, c’est le passage d’une contemplation active, celle du visiteur qui concentre son attention sur les artefacts et les machines qui lui sont présentés, à une contemplation de nature passive ou distraite sur l’activité générale de l’Exposition. C’est sur cet argument, celui d’offrir un point de vue panoramique sur le mouvement général qui habite l’Exposition, que mise la publicité pour le Café-Restaurant de l’Aquarium de Paris publiée dans le Moniteur de 1900 : « Ainsi, au bord même de la Seine, avec, pour perspective, le mouvement incessant des bateaux pavoisés et l’ensemble pimpant des palais des nations étrangères érigées sur l’autre rive, le public, fatigué des longues promenades à travers l’Exposition, pourra venir chercher là un repos salutaire dans le calme et la fraîcheur qui montent du fleuve26. »
11Ce témoignage recoupe partiellement ce lieu commun des Expositions universelles qui est la combinaison de l’éducation et du plaisir, du musée et de la foire. La division se fait d’ailleurs à l’intérieur des publications périphériques aux Expositions universelles de 1889 et 1900, alors que sont séparés d’office, parfois au sein d’un même volume mais souvent en volumes distincts, la facette muséale de l’Exposition (le catalogue des produits, machines et artefacts exposés) et sa contrepartie foraine qui comprend notamment les spectacles et les lieux de consommation. Dans la publication du témoignage anonyme d’un ingénieur à l’Exposition de 1889, c’est dans le chapitre sur « Les plaisirs à l’Exposition » qu’il est fait mention des restaurants et cafés, et de leurs terrasses d’où les clients peuvent bénéficier d’un coup d’œil sur les jardins et pelouses du site et de cette manière : « repos[er] sur les fleurs et les cascades leurs regards fatigués à la longue de s’attacher sur des objets manufacturés, sur des machines en mouvement ou sur des matières premières27 ». On ne peut que noter l’importance des deux références à la nature dans les deux précédents éloges de la pause : le fleuve et la végétation. À cet effet, les deux Expositions universelles s’inscrivent formellement dans la tradition urbanistique post-haussmanienne qui planifie la construction d’enclaves naturelles en milieu urbain. Le géographe Nigel Thrift nous rappelle d’ailleurs que dans le processus historique général qu’on désigne sous le nom très nébuleux de modernité, l’accélération du temps et de l’espace qui se serait effectuée par le développement des moyens de transport et de communication s’est continuellement accompagnée d’un essor concomitant et contrebalançant des pratiques de pause et de contemplation, d’où le résultat a priori paradoxal qu’au faîte des processus de modernisation, la nature n’est jamais autant présente que dans la civilisation urbaine28. En ce sens, ce qui caractériserait les métropoles de la fin du xixe siècle par rapport aux époques précédentes ne serait peut-être pas purement l’exaltation de la vitesse, mais plutôt l’émergence d’une plus grande pluralité des rythmes29. À cela nous pourrions ajouter une pluralité des manières de regarder, entre l’œil engagé dans la logique d’efficacité muséale de l’Exposition et l’œil détaché qui contemple à distance les battements du site. En répondant à la fois aux besoins de soulager physiquement le corps et de reposer psychologiquement l’esprit des visiteurs, le moment de restauration se trouve donc à structurer partiellement le découpage d’une journée à l’Exposition universelle en affectant parfois ce qui précède l’acte de s’alimenter, comme dans le cas des visiteurs transportant leurs provisions, et parfois ce qui suit, quand la pause des repas permet aux yeux et aux jambes de continuer leurs promenades dans les grandes allées et les galeries des pavillons.
Le temps qu’il fait
L’autre jour, pendant la pluie, quelques visiteurs s’étaient réfugiés dans la maison grecque, rue de l’Habitation humaine.
Une jeune personne, en peplum bleu, profite de l’occasion pour leur offrir des cornets de raisins secs.
– Des raisins de Corinthe… des raisins sans pépins…
– Sans pépin ? Comme nous alors ! Ça va bien quand il fait beau… mais quand il tombe de la pluie… Et on appelle ça des raisins secs !30
12Aux épreuves musculaires et psychologiques, s’ajoute l’impondérable du climat, dont les variations s’abattent parfois lourdement sur le déroulement des expositions. En 1900, les chroniques quotidiennes « À l’Exposition » du Petit Journal et du Petit Parisien s’ouvrent toujours par un bref commentaire sur la météo de la veille car les fluctuations météorologiques chamboulent inévitablement les rythmes d’affluence, les modes d’occupation des lieux et, en bout de ligne, le succès général de l’événement.
13Dans les études sur la culture matérielle, l’air, la pluie et le soleil mériteraient sans doute davantage d’attention, au même titre que tous ces « objets humbles31 » qui peuplent nos milieux de vie et dont la présence est tout autant discrète à notre esprit qu’essentielle dans le déroulement de notre existence32. Souvent effacés de la conscience, l’air, l’humidité, les rayons du soleil imposent rapidement leur présence lorsqu’ils deviennent une source d’inconfort par un trop (… torride, froid, humide, aveuglant, étouffant, ombrageux) ou un pas assez (… chaud, frais, doux, ensoleillé, aéré, ombragé)33. Leur omniprésence sensorielle se concrétise dans la vie quotidienne d’une part par leurs effets sur les pratiques alors que le vent, la boue, les flaques d’eau, la pression atmosphérique ou le soleil qui matraque ont des répercussions directes sur l’expérience de l’Exposition, et d’autre part par la grande variété de dispositifs matériels et techniques qui sont produits pour intervenir sur les effets des climats sur le corps, que ce soit pour mieux le protéger (vêtements, les lunettes de soleil, parapluies et parasols, sans parler des différents types d’abris et d’habitations), ou pour mieux l’exposer aux bienfaits du dehors, comme les terrasses34. À cette liste, s’ajoutent les boissons, chaudes ou désaltérantes, et les quelques lieux de consommation dont certains se vantent d’offrir aux visiteurs un produit très en demande : une atmosphère et une température confortables.
14En 1889, une habitude se met rapidement en place : le pique-nique autour des pavillons de l’exposition de l’habitation de Charles Garnier sur le Trocadéro. La raison pour laquelle ce lieu reçoit l’élection de nombreux « saucissonneurs » en quête d’un emplacement idéal pour leurs dînettes, réside dans la présence et la disponibilité de plusieurs espaces ombragés35. Certains se plaindront d’ailleurs de l’insuffisance de ce type d’espaces en 1900 : « Un coin de verdure et de fraîcheur, où de respirer on ait la liberté, n’est pas une découverte facile à effectuer dans l’enceinte de cette ville cosmopolite appelée l’Exposition36. » Malgré tout, le Trocadéro semble demeurer le lieu de prédilection pour les pique-niqueurs en recherche de verdure et de fraîcheur : « [leur] déjeuner a lieu généralement au Trocadéro, ou du moins les détours du parc sont-ils plus particulièrement recherchés. L’ombre est mieux répandue ; les eaux courantes apportent une fraîcheur fort agréable car le soleil commence à chauffer dur37 ». Il est assurément très difficile de déterminer, à la lumière de quelques témoignages fragmentaires, laquelle des deux expositions offre les meilleurs équipements paysagers pour le confort du public. Ce qui demeure cependant significatif, c’est ce rôle central qui est déjà accordé à la fin du xixe siècle, aux conditions atmosphériques de consommation, et c’est sur ce point que les commerces ne manquent pas de capitaliser.
15Construire et gérer des espaces sensoriels en phase avec les attentes des consommateurs fait partie des principales préoccupations des restaurateurs dans ce moment historique de transformations urbaines du paysage sensible à l’ère du capitalisme industriel. Le corps du public devient un enjeu économique et les entrepreneurs qui l’ont bien compris misent dans leurs réclames sur le confort offert par leur établissement. Alors que Moniteur de 1900 prévoit un bon succès pour la terrasse du restaurant international au Trocadéro : « [p]ar les chaudes journées cette terrasse, abritée par un large vélum, sera l’oasis fraîche et reposante où les visiteurs se réfugieront, la gorge sèche, harassés de bruit et de fatigue38 », le restaurant viennois sur l’esplanade des Invalides vante, lui aussi, ses terrasses extérieures « ombragées à la Robinson39 ». On ne s’étonnera pas que douceur du climat soit incidemment, pour certains clients plus pointilleux, un facteur primordial dans la satisfaction de leur expérience gastronomique. À l’ouverture de l’Exposition de 1900, la revue culinaire le Pot-au-Feu, avertit le public au sujet de « l’humidité des plâtres » et de « l’absence de soleil » des restaurants nationaux situés à côté de la Seine, car ces conditions « y font régner une température glaciale40 ».
16Mais en plus des conditions offertes par les différents lieux de consommation, les événements météorologiques qui frappent les expositions – les ensoleillements, les orages ou la venue des brises automnales dans les dernières semaines – laissent aussi inévitablement leurs marques sur l’effectuation des pratiques alimentaires. Si l’on peut effectivement modérer les effets des aléas du ciel par un éventail de techniques, il n’en demeure pas moins que les caprices de la nature dépassent toujours d’une manière ou d’une autre les prévisions organisationnelles de l’événement. L’expérience du temps de l’Exposition est intimement liée au temps qu’il fait. Il est à ce propos frappant de constater à quel point les anecdotes météorologiques peuvent rester gravées pour de nombreuses années dans la mémoire des témoins. Aux premiers jours de l’Exposition de 1900, Antonin Proust du Figaro nous dit que « L’Exposition de 1889 a joui, pendant le cours de sa trop brève existence, d’une température idéale, exceptionnelle41 » en espérant un même destin pour celle qui vient. Quelques décennies plus tard, au cœur de l’entre-deux-guerres, ce sera au tour de Paul Morand de se souvenir des caprices du ciel en 1900, année où : « les hivers étaient glacés et les étés brûlants42 ». Il faut dire que l’année charnière du siècle est en effet météorologiquement singulière. Bien que l’Exposition soit inaugurée trois semaines plus tôt qu’en 1889, soit le 15 avril comparativement au 6 mai, il se trouve que Paris est à ce moment frappé par une grande vague de chaleur, ce qui pousse une large part du public à l’extérieur des pavillons pour jouir de l’environnement plus agréable des lieux de consommation disposant de terrasses en plein air. Le chroniqueur de L’Aurore délégué à la couverture de l’Exposition, alors qu’il observe la foule autour de la tour Eiffel, remarque le grand succès qu’obtiennent ces établissements : « Qu’il fait chaud ! Sommes-nous déjà en juillet ? On sort des bâtiments, on se dirige vers les cafés43. » Celui de La Croix, également de passage dans les parages en cette même journée, témoigne pareillement du succès commercial que ces exploitants doivent au beau temps : « il y avait foule sous la tour Eiffel et au Trocadéro, où quelques marchands de comestibles ont fait des affaires d’or grâce à la température exceptionnelle dont nous avons été gratifiés hier44 ». Cependant, ces chaleurs printanières qui affectent les corps des visiteurs deviennent éprouvantes lorsqu’elles s’accumulent avec la fatigue physique suivant les longues promenades. Une semaine après l’inauguration, le 22 avril, alors que la température est toujours aussi estivale, le journaliste de l’Aurore Albéric Darthèze, s’arrête à un « kiosque à mangeaille démocratique, à droite de la tour Eiffel, dans l’ombre d’un des piliers » pour déguster un sandwich et une bière alors qu’il est littéralement « [f]ourbu par une déambulation de plusieurs heures à travers le soleil ; les tourbillons de poussière et les palais aux atmosphères humides45 ».
17La quête d’ombre et de désaltérants se poursuit au milieu de l’été quand arrivent les jours de juillet et que la température douce sert son lot de réjouissances pour les pique-niqueurs : « Le soleil brille joyeusement dans un ciel pur, où courent seulement quelques nuages légers. Le vent souffle en brise, il fait doux, il fait beau ; le temps rasséréné a gâté décidément les visiteurs. […] On s’installe gaiement à l’ombre, on déballe des provisions apportées en petits paquets dissimulés dans les poches. On rit, on cause, on échange des plaisanteries, on s’amuse ferme enfin, tout à la beauté du site et à la joyeuseté de l’heure46. » Les réjouissances ne sont cependant pas de longue durée quand dans les deux dernières semaines du mois, une canicule frappe Paris et l’Exposition, au point de causer des insolations mortelles47. Alors que le soleil verse ses puissants rayons, la demande pour les boissons désaltérantes explose et les débitants qui exploitent un kiosque, un café ou un restaurant sur le site s’empressent d’en profiter. Selon les informations fournies par le Petit Journal le 14 juillet 1900 : « […] les brasseurs ont fait des affaires d’or. Ils débitaient sans interruption leurs bocks à 20 centimes, vite engloutis et aussitôt remplis48 ». Dans ces conditions, l’offre et la demande font leur jeu, peut-être pas toujours honnête, sur les prix des liquides rafraîchissants. Le Petit Journal dénonce cette situation le 18 juillet : « Cet état de choses a été déjà mis à profit par d’ingénieux petits commerçants qui vendent de l’eau. Ils arborent des enseignes ainsi conçues : Dégustation, Eau pure, cinq centimes le verre. Leurs débits en plein air sont assez achalandés et leurs affaires paraissent prospérer : la boisson qu’ils vendent leur coûte si peu49 ! » On dira finalement que les plus heureux sous cette intense chaleur, ce sont les « indigènes » africains et asiatiques exhibés dans la section coloniale50.
18Mais avec l’inévitable cycle des saisons, les sudations laissent place aux grelottements quand surviennent les vents de l’automne. En 1889, de nombreux colonisés sont déjà rapatriés aux premières semaines de septembre51, mais pour ceux qui sont encore sur le site à la mi-septembre, le commissariat général de l’Exposition distribue des boissons chaudes quatre ou cinq fois par jour52. Paradoxe à la section coloniale, alors que la figuration des villages indigènes se voulait réaliste au point de donner au spectacle de leur vie quotidienne, la valeur d’une réelle expédition ethnographique outremer s’effrite sous les patines météorologiques53. La matérialité des affections biologiques s’impose naturellement sur les exigences de la représentation et aucun témoin ne sera assez tatillon pour questionner l’authenticité culturelle des boissons chaudes servies aux « indigènes ». Mais, on s’en doute, l’automne n’affecte pas que les colonisés. Même si les Expositions de 1889 et 1900 enregistrent chacune de grandes affluences en fin octobre et début novembre, le temps plus frais et surtout plus humide incite de moins en moins de visiteurs à pique-niquer sous le ciel en grisaille. Le 23 octobre 1889, le Petit Parisien fait état de la condition difficile des parterres à la suite de précipitations automnales : « Nous n’insisterons pas sur la physionomie qu’offrait l’exposition avant-hier. C’était celle de tous les dimanches, avec le spectacle des dîneurs en plein-vent en moins. Ça et là, quelques familles provinciales groupées autour de tables improvisées, avaient bien installé le classique assortiment de charcuterie ; mais elles étaient rares, la boue liquide des allées et l’humidité des gazons n’étant guère favorables à ces sortes d’installations54. » Une semaine plus tard, d’autres précipitations ; on ne s’étonnera pas que : « [l]a pluie qui n’a guère cessé de la journée a fortement nui aux repas en plein air. Il a fallu, pour dîner, se réfugier sous les endroits couverts qui sont bientôt devenus trop étroits pour contenir la foule des amateurs55 ». Dans l’espace-temps de l’alimentation à l’Exposition, la météo crée bien des plis et fait surgir des considérations inattendues qui demandent une réponse rapide et spontanée de la part des visiteurs affectés. Et il n’a pas encore été question des cumulonimbus.
19En juin 1889, un violent orage frappe les pique-niqueurs qui se sont installés à découvert, avec les conséquences qu’on devine. Le chroniqueur du Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889, profitant de sa position de surplomb au premier palier de la tour Eiffel et de l’abri que lui procure le Restaurant russe, se permet donc d’observer et de relater la scène avec ce qui ressemble à un mélange d’empathie et d’amusement. Le passage mérite d’être cité dans son intégralité :
Au sortir de l’ascenseur, je fis le tour des Galeries extérieures et je constatai que l’orage était déjà au-dessus de nos têtes. J’étais arrivé devant le restaurant russe lorsque la bourrasque se déchaîna, emportant les tables, les serviettes et la vaisselle des tables installées des deux côtés de ce restaurant. Nous étions à l’abri : mais des deux côtés du restaurant le vent soufflait furieusement, avec un bruit formidable, dans les fers de la tour.
En bas, c’était un spectacle extraordinaire. De toutes les allées et des terrasses du palais s’élevaient des tourbillons de poussière grise, au milieu desquels on voyait fuir les dîneurs en déroute.
Il s’éleva tant de poussière que, finalement, les pelouses, les parterres et les allées disparurent sous ce nuage jaunâtre. Seules, les pointes des édifices et les toitures des maisons émergeaient de ce cahot fantastique. Le tapage était infernal, la tour grondait furieusement, et d’en bas nous arrivaient des cris de gens et détresse et le bruissement des arbres pliés sous l’action d’un vent déchaîné.
Après deux ou trois minutes de cette tempête sèche, l’eau est tombée comme versée du haut des nuages : les masses de pluie passaient devant nous à toute vitesse, poussées par le vent. Ce fut la déroute finale pour les dîneurs d’en bas, le désastre !56
20Un éclair et tout y est, une bourrasque et tout y passe. L’assemblage minutieux des objets matériels explose et se recompose chaotiquement sous la colère du ciel. Les tables, assiettes, couverts et paniers de provisions sont finalement peu de choses quand la nature se déchaîne. Le caractère exceptionnel de la tempête nous fait ainsi apprécier plus que jamais la conjonction physique des éléments qui produisent les variations météorologiques contribuent à façonner les espaces-temps vécus de l’alimentation à l’Exposition universelle. Espaces-temps qui grouillent, s’agitent, se calment aussi, mais qui sont loin d’être statiques ou de n’être que des représentations culturelles. Les lieux de consommation alimentaire des Expositions universelles ont sans doute – certains plus que d’autres, comme les restaurants nationaux – certains comptes à rendre face à un désir d’authenticité effectivement présent pour une partie du public. Mais on ne peut occulter leur fonction corporelle d’abri de prédilection face aux orages, aux canicules ou aux autres éventualités météorologiques. La dite fonction n’est d’ailleurs pas sans sa part d’imprévu quand la masse se précipite pour fuir les ondées : « On imagine la débandade : chacun de se précipiter avec sa chaise sous les velums, sous les galeries couvertes et ouvertes qui, en façade du palais des beaux-arts et du palais des arts libéraux, servent de terrasse aux nombreux cafés et restaurants établis là. Ces galeries, déjà encombrées par de quintuples rangées de tables, regorgent et il est impossible d’y circuler. La foule se réfugie à l’intérieur des bâtiments où la cohue devient inimaginable57. » La foule. Chaude, remuante, suintante, dégoulinante, transpirante, odorante ; somme toute, on n’écrit que sur elle.
« … le coudoiement d’une foule disparate et bruyante »
The only ugly thing at the Exhibition is the public.58
21La troisième affection sensorielle que nous traiterons, c’est celle issue du contact avec la masse des visiteurs, la « plèbe », la « populace », la « multitude ». Produit et effet des métropoles industrielles de l’époque, l’expérience vécue du choc avec la foule acquiert une dimension exceptionnelle à l’occasion des Expositions universelles. En 1889, l’affluence totale aura été de plus de 26 millions de visiteurs, ce qui donne une moyenne quotidienne d’environ 145 000 avec des dimanches atteignant régulièrement les 300 000. En 1900, les chiffres sont plus variables en raison de la météo plus capricieuse, mais l’affluence quotidienne touche le chiffre de 245 000 en moyenne et atteint à de nombreuses reprises les 400000 le dimanche. Un grand succès populaire qui rend beaucoup de gens heureux et en irrite plusieurs autres. Dès le lendemain de l’ouverture de l’Exposition de 1889, Edmond de Goncourt note dans son journal que le « premier symptôme » de l’Exposition est : « une odeur de musc insupportable se dégageant de la foule qui vague, une odeur de musc insupportable dans un café du boulevard, où il n’y a que des hommes59 ». La foule peut déranger quand sa présence devient envahissante et qu’elle impose ses bruits, ses odeurs et sa proximité physique. Une nouvelle expérience des espaces sociaux se dessine quand les grands idéaux de progrès, de civilisation et de libéralisme qui propulsent les Expositions universelles de la fin du xixe siècle s’incarnent en manifestations populaires habitées par la matérialité des corps qui circulent, crient, se rencontrent60. La marée humaine des Expositions universelles ne manque pas d’agir sur les cadres d’actualisation des pratiques de consommation alimentaire lorsqu’elle affecte l’accès aux restaurants, la psychologie de la clientèle et des serveurs, la qualité du service, les réseaux d’approvisionnement, les fluctuations microéconomiques des prix et l’environnement sensoriel général.
22La réaction d’Edmond de Goncourt est loin d’être exceptionnelle, d’autant plus que les populaires journées d’inauguration marquent fortement les esprits et les nerfs de certains visiteurs. Symptomatiques de la longue attente pour la grande célébration, riches en affluence et en grands spectacles, elles suscitent des témoignages passionnés sur le public qui surgit, découvre le site et assiste aux cortèges et festivités officielles qui signent l’événement. Au lendemain de l’inauguration de l’Exposition de 1889, Le Figaro salue le « courage » du Parisien qui aura été forcé de se faufiler dans la foule et de jouer du coude pour trouver la bonne porte, le bon passage et la bonne position pour contempler le spectacle du soir61. D’autant plus qu’à l’heure du repas, il se trouve confronté à une pénurie de nourriture, les restaurateurs du site tout comme ceux des environs étant malencontreusement dépassés par le déluge de la clientèle : « Comme de simples criquets d’Algérie, deux cent mille visiteurs ont tout dévoré ce que l’on a pu trouver de solide dans les restaurants. À sept heures du soir le pain est venu à manquer. On en est arrivé à « utiliser » les débris de dîners passés. Finalement, il ne restait même plus de miettes. Le radeau de la Méduse, quoi ! Un peu plus, on en serait arrivé à tirer au sort à qui serait mangé le premier. […] Et pas moyen de sortir de là, tant la foule était grande62. » Les tables et les vivres se font rares, et certains qui ne voudraient pas risquer de rater le spectacle nocturne des fontaines lumineuses en s’aventurant hors du site se résignent à jeûner pour cette soirée d’exception63.
23L’événement est très certainement anecdotique à l’échelle historique, mais il permet à tout le moins de mettre en lumière ce qui constitue le nœud de cet article, la dimension non-représentationnelle64, ou « plus-que-représentationnelle65 », de la consommation dans un univers, celui de l’Exposition universelle, qui exalte la représentation de tous côtés avec ses pavillons nationaux et ses spectacles. Une attention aux témoignages de dîneurs qui choisissent d’aller se repaître aux restaurants de l’Exposition, en particulier aux restaurants les plus luxueux, nous amène à constater que certains clients sont guidés par un désir dans lequel se mêlent les imaginaires sociaux et biologiques aux expériences sensorielles, celui de s’évader de la foule. Ces restaurants permettent, notamment aux visiteurs les plus fortunés et aux esprits les plus élitistes ou misanthropes (on sait qu’il n’en manque pas dans le Paris de la Belle Époque) de fuir momentanément le tourbillon humain de la population qui s’approprie et occupe l’espace public républicain, dans tout ce qu’il a de sensible66.
24Il arrive donc que le restaurant se voie attribuer, en quelque sorte, la capacité de permettre une sortie de l’Exposition dans l’Exposition, de devenir une alcôve qui protège de la cacophonie populaire ambiante, d’autant plus que, pour certains, le repas est une activité sérieuse qui demande calme et tranquillité. Les spectacles musicaux présentés dans plusieurs établissements irritent alors ceux qui désirent dîner en paix. Ainsi l’écrivain Jean Lorrain qui exprime son désagrément : « Au restaurant russe, comme chez Dreher, au restaurant de la rue du Caire, comme aux brasseries du Champ de mars, impossible de dîner si on est seul, si on est plusieurs, impossible de causer en dînant67 » ; ainsi le chroniqueur du Bulletin officiel de l’Exposition de 1889 qui se plaint du paysage sonore importun pour les activités dînatoires : « Il m’est arrivé plusieurs fois de dîner dans quelques-uns de ces restaurants où l’on vous met la musique sur la gorge, où l’on va croyant dîner tranquillement et où, d’un coin sombre, comme du coin d’un bois, il vous arrive des notes aiguës, échevelées, enchevêtrées, emmêlées, embroussaillées, confuses, enfiévrées, qui troublent la digestion, manquant de cette limpidité, de cette clarté qui est le charme de la bonne musique68 ». La caricature d’Henriot illustre précisément cette irritation des consommateurs occupés à se repaître et qui désirent se recueillir sans avoir à subir la musique des artistes chargés d’agrémenter l’ambiance. En d’autres mots, les spectacles devraient être laissés au reste de l’Exposition et l’alimentation aux restaurants. Dans ces conditions, ce n’est pas uniquement la foule en soi qui pose problème, mais aussi les divertissements populaires qui lui sont destinés et qui sont tout autant bruyants. Les bas esprits se rencontrent, jurerait-on d’entendre. En fait, le restaurant, espace hybride entre les sphères du public et du privé, où les clients se plongent dans un lieu occupé par une foule de consommateurs tout en fermant leur cercle de sociabilité autour de la table, induit également de la part de ses usagers un horizon d’attente sensoriel spécifique qui peut facilement être déséquilibré par les invasions sonores abusives. L’arrangement matériel et sensoriel du lieu de consommation qui forme l’assemblage de l’ambiance par les restaurateurs est ainsi directement lié à la qualité de l’appréciation gastronomique du repas et à l’événement de sociabilité que constitue le recueillement intime du couple qui se retrouve en tête à tête.
25L’irritation causée par la présence sensible de la foule et à laquelle certains restaurants peuvent remédier, vient évidemment s’ajouter aux deux sources d’épreuves corporelles précédemment abordées, soit la fatigue physique et le climat. C’est ainsi qu’on loue le restaurant gastronomique français de 1889, situé sur les hauteurs du Trocadéro, où : « [d]u reste, ce n’est pas un mince plaisir, quand on a couru toute l’après-midi à travers les galeries des palais ou dans les poussières de l’Esplanade, que de s’installer au frais, à l’une de ces terrasses, et d’y goûter un repos que le calme du lieu rend plus délicieux encore, d’autant que le bruit de la foule qui vous a certainement plus fatigué que la marche et que l’admiration, n’arrive jusqu’à vous que comme un léger murmure69 ». Le voyage métaphorique proposé par l’établissement exotique prend ainsi dans le contexte de fatigue sensorielle de l’Exposition universelle le sens d’une fuite des rythmes métropolitains. Sur l’autre rive de la Seine, le cabaret tyrolien transporte son client : « loin, très loin, à trois cent lieues de l’Exposition, dans une salle d’auberge basse et fraîche70… », qualité à ne pas négliger, car en cette fin de semaine de forte affluence : « La foule piétine. La banlieue grouille, endimanchée, congestionnée, ahurie. Des troupes de gymnastes fourbus errent à la débandade, n’ayant plus la force de lever le nez vers la tour Eiffel. […] On ne distingue même plus le bruit de la foule “expositionnelle”71 ». Étrangement, en 1889, le meilleur endroit pour échapper à l’Exposition et à son public, c’est celui que tous viennent voir, ce qui à l’époque déchaîne les haines et emporte les admirations, ce qui sera son lieu de mémoire, sa signature métallique, son clou.
26Les restaurants du premier palier de la tour Eiffel, où il faut être « quelque peu nabab72 » pour y dîner, sont le refuge de ceux qui sont prêts à délier leur bourse pour payer le prix d’une tranquillité céleste. Émile Zola y dîne le 2 juillet 1889 avec son éditeur Georges Charpentier, Abel Hermant, Armand Dayet et Edmond de Goncourt73, et ce dernier constate « l’immensité babylonienne de Paris74 ». Comme le dit Roland Barthes dans un fameux texte à son propos : « objet lorsqu’on la regarde, elle devient à son tour regard lorsqu’on la visite75 ». La tour permet une prise de distance verticale qui se traduit par le détachement corporel du spectateur qui, par sa position de surplomb, regarde de haut les tumultes de l’Exposition. Deux témoignages d’écrivains fin-de-siècle, tous deux peu reconnus pour leur complaisance envers les activités de la foule, illustrent très bien cette sensibilité. Tout d’abord Jean Lorrain, qui évoque ailleurs dans son œuvre la foule parisienne « goguenarde » avec ses quolibets et ses impertinentes réflexions76. Il nous dit que : « Une fois au Champ de Mars, vous avez le choix pour vous ouvrir l’appétit entre une visite à la rue du Caire, au milieu de la foule hurlante et grouillante des fellahs brodeurs de cuir et des âniers égyptiens, ou une ascension à la tour77. » Mais plus éloquent et le plus acerbe reste l’incontournable Guy de Maupassant au début de son récit de voyage La vie errante. Ses bons mots pour les restaurants de la tour Eiffel sont fort limités, mais l’auteur de Boule de suif reconnaît tout de même, avant de partir réellement pour l’Algérie et la Tunisie, qu’ils sont le dernier lieu d’exil dans l’Exposition pour fuir la présence malsaine de la foule qui attaque son nez, ses oreilles, ses yeux et l’ensemble de son système nerveux :
Dans cette chaleur, dans cette poussière, dans cette puanteur, dans cette foule de populaire en goguette et en transpiration, dans ces papiers gras traînant et voltigeant partout, dans cette odeur de charcuterie et de vin répandu sur les bancs, dans ces haleines de trois cent mille bouches soufflant le relent de leurs nourritures, dans le coudoiement, dans le frôlement, dans l’emmêlement de toute cette chair échauffée, dans cette sueur confondue de tous les peuples semant leurs puces sur les sièges et par les chemins, je trouvais bien légitime qu’on allât manger une fois ou deux, avec dégoût et curiosité, la cuisine de cantine des gargotiers aériens, mais je jugeais stupéfiant qu’on pût dîner, tous les soirs, dans cette crasse et dans cette cohue, comme le faisait la bonne société, la société délicate, la société d’élite, la société fine et maniérée qui, d’ordinaire, a des nausées devant le peuple qui peine et sent la fatigue humaine.
27Et il conclut son éditorial lapidaire en rajoutant : « Cela prouve d’ailleurs, d’une façon définitive, le triomphe de la démocratie78. »
28Évidemment, d’autres spectateurs perçoivent l’activité de la foule et son mouvement incessant de manière plutôt positive. En introduction de son essai Masse et puissance, Elias Canetti s’interroge précisément sur l’aversion pour le contact tactile avec l’inconnu qui semble naturelle chez tout homme, mais qui se renverse en consentement dans une foule alors que la proximité intime des autres garantit une sensation de sécurité79. Peut-être ne va-t-on pas jusqu’au sentiment de sécurité en ce qui concerne les regroupements populaires qui se forment au moment des repas à l’Exposition universelle, mais il reste que l’animation du peuple sur le site fait définitivement partie des plaisirs de l’événement pour de nombreux visiteurs. Derrière son existence statistique – c’est-à-dire statique –, le caractère instable, émergent et contingent de la foule déploie des catalyseurs qui ajoutent à l’expérience de consommation un surplus affectif et sensuel pour le bonheur du consommateur80. Dans les conseils qu’il donne au public pour l’occupation d’une journée à l’Exposition de 1889, J. Reney exprime ses réticences concernant le restaurant gastronomique français mentionné plus haut : « L’heure du déjeuner étant arrivée, où aller ? telle est la question. Il y a un restaurant au Trocadéro, mais est-il bien gai de s’y asseoir ? nous ne le pensons pas car dans cette partie de l’Exposition il n’existe pas la même animation qu’au centre, et par conséquent la vue est moins agréable81. » Également, dans ses souvenirs de l’Exposition de 1900, Léon Daudet rappelle comment lui et ses compagnons évitent, pour des motifs politiques, le restaurant allemand, préférant plutôt jouir du : « coudoiement d’une foule disparate et bruyante82 ».
29Car après tout, si la densité de la foule témoigne bien d’une chose, c’est du succès de l’événement. Lucien Victor-Meunier, journaliste au très républicain quotidien Le Rappel s’en réjouit et en jouit. Il se déplace au Champ de Mars le lundi de Pentecôte de 1889, « non pour voir l’Exposition – ce n’eût pas été le jour – mais pour voir la foule83 ». Cette journée de congé supplémentaire se déroule sous « [un] ciel bleu avec de petits nuages blancs, du soleil, une miette de vent ». Le dimanche a été assombri par la pluie, le public profite donc en masse de cette journée de congé supplémentaire, si l’on en croit Victor-Meunier. Celui-ci doit d’ailleurs se rendre à pied à l’Exposition car les omnibus sont complets et les bateaux sont pleins à craquer. Aux guichets d’entrée, il subit les queues interminables, compactes et immobiles ; à l’intérieur, « on se pousse, on s’écrase », « les têtes se touchent », « à chaque instant, quelqu’un vous piétine les talons », on fatigue et on étouffe, incidemment, on a soif. Malheureusement, Victor-Meunier ne pourra pas jouir de son bock désiré dans l’enceinte de l’Exposition. « Tous les cafés sont pleins comme des œufs. On prend les tables d’assaut ; on fait queue pour conquérir une chaise », il devra se résigner à sortir du site. Mais il y revient. Il revient le soir, et il constate que la foule s’accroît encore, et que « partout, sur tous les bancs, dans tous les coins, des « sociétés » s’installaient pour dîner en plein air ». La foule éreinte, la foule irrite, mais elle fait néanmoins partie intégrante des plaisirs sensuels de l’Exposition universelle84. Citons l’écrivain anarchiste Octave Mirbeau, peu suspect de sympathies républicaines ou d’enthousiasme pour les grandes Expositions universelles85 qui dit néanmoins dans le Figaro du 10 juin 1889 que l’Exposition est « admirable » et que la foule est « délicieuse » dans son « tumulte de joie86 ».
30La matérialité anonyme de la foule pèse d’autant plus sur les sensibilités du fait de son opacité. On connaît les difficultés en sciences sociales dans la délimitation de l’objet « foule87 », considérant son caractère mouvant, inévitablement pluriel, souvent imprévisible, en continuel processus de déplacement, formation et fragmentation, et aussi considérant ses constantes interactions avec objets qui peuplent son milieu d’existence, comme le mobilier, les bâtiments ou le parterre du site. Un ensemble de connexions rattachant des personnes, des groupes, des lieux, des objets et des émotions constitue ce qu’on pourrait appeler une foule, en sachant à l’avance que le référent échappe et échappera continuellement au signe. Mais que sa présence soit matérielle ou symbolique, sensible ou imaginaire la foule est bien là ; elle agit sur les conduites des individus et son effectivité est indéniable88. En fait, plutôt que d’opposer les représentations (voire les fantasmes et les phobies) de la foule et sa réalité physique et sensorielle, nous pouvons constater à la lumière des témoignages cités plus haut de quelle manière la profondeur des constructions sociales et historiques des imaginaires et l’immédiateté de l’expérience sensible de la foule s’entrecroisent et s’interpénètrent pour définir les situations de consommation alimentaire89. Ce qu’exprime le dernier témoignage, celui de Victor-Meunier, c’est en fait l’intrication des causes et des effets entre les registres de sensorialité évoqués ici : la présence de cette marée humaine, le climat, l’atmosphère, la fatigue physique et, finalement, l’acte de consommation.
Conclusion
Dans les lieux sacrés vers lesquels les foules s’acheminent, la part du « plaisir » a toujours été réservée. Les fêtes, les fééries, le repos, la joie en commun, les surprises et les émotions douces ou fortes sont comme les haltes nécessaires à l’homme le long du dur chemin qu’il piétine pendant son passage sur cette terre.90
31Les quelques témoignages présentés ici invitent à donner une inflexion charnelle à l’étude des Expositions universelles, c’est-à-dire une attention à ce que les corps font dans le cadre des expositions91 de même qu’à la mise en place sur les sites de nombreux dispositifs qui ont pour effet d’encadrer et de moduler l’expérience corporelle et sensorielle des lieux. Plutôt que de suivre l’hypothèse assez répandue d’une progressive abstraction rationnelle et virtualisation d’un espace urbain92 qui, dans le capitalisme industriel puis « postindustriel », se dessinerait de plus en plus selon les règles abstraites de la logique marchande, il devient alors plutôt pertinent d’explorer, par l’étude microscopique du quotidien de l’Exposition, les processus complexes de matérialisation et d’incarnation de ces lieux symbolique d’un capitalisme industriel triomphant. Cela permet de mieux rendre justice aux temps multiples des expositions dont chaque journée est ponctuée d’innombrables événements, de même qu’au vécu des acteurs qui participent à la manifestation.
32En descendant dans la condition charnelle de ceux qui font l’expérience de l’Exposition, on retrouve des corps vulnérables et limités, en demande de stimulations et d’activités mais aussi en besoin de repos et de passivité, les deux étant évidemment mutuellement constitutifs93. Les rapports entre épreuves corporelles et alimentation font apparaître des générations de temps et d’espaces différentiels par la pratique dans un lieu précédemment balisé, ordonné, quadrillé.
Notes de bas de page
1 Voir Stephen Kern, The Culture of Time and Space, 1880-1918, Cambridge, Harvard University Press, 1983 ; Wolfgang Schivelbusch, Histoire des voyages en train, Paris, Le Promeneur, 1990, p. 196-199 et Christophe Studeny, L’invention de la vitesse : France xviiie-xxe siècle, Paris, Gallimard, 1995, p. 197-215.
2 Walter Benjamin, Paris capitale du xixe siècle, Paris, Cerf, 1989, p. 47. Voir aussi Stéphane Füzesséry et Philippe Simay, « Une théorie sensitive de la modernité » dans Stéphane Füzesséry et Philippe Simay (dir.), Le choc des métropoles : Simmel, Kracauer, Benjamin, Paris, L’Éclat, 2008, p. 13-51.
3 « À l’exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4660 (1889), s. p.
4 « À l’exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4674 (1889), s. p.
5 « À l’exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4680 (1889), s. p.
6 « À l’exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4703 (1889), s. p. On peut aussi citer du même journal deux publicités pour des eaux curatives disponibles à l’Exposition : « Nous recommandons aux personnes sujettes aux maux de cœur et aux étouffements l’Eau des Carmes de Boyer qui est distribuée gratuitement à l’Exposition, kiosques 38 et 42 ». « À l’Exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4631 (1889), s. p. « Mesdames, si vos enfants sont incommodés, donnez-leur à prendre l’eau des Carmes de Boyer, gratuitement kiosques 38 et 42 ». « À l’Exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4658 (1889), s. p.
7 Léon Bastide, Les étrangers à l’Exposition universelle et le départ, Nice, Pierre Conso, 1889, s. p.
8 Edgard Troimaux, « Les fauteuils roulants », L’Exposition de Paris (1900), vol. III, no 15 (1900), p. 113.
9 Ce n’est pas un hasard que le dernier chapitre des Tableaux de Paris du grand observateur Louis-Sébastien Mercier s’intitule « Mes jambes ».
10 En 1900 il y a aussi une annexe de 110 hectares à Vincennes où se déroulent les compétitions sportives des Jeux Olympiques de 1900.
11 Paris 1889 Exposition du Centenaire, Guide-conseil du touriste, Paris, P. Mouillot, 1889, p. 1.
12 Frederic Mayer (dir.), Express Guide to the Paris Exposition 1900, Paris, Express Guide, 1900, s. p.
13 Pour 1900, mentionnons également le très couru « Trottoir roulant ». Le guide publié par le journal La Patrie pour l’Exposition de 1900 consacre d’ailleurs une page à la « circulation sans fatigue » qui énumère les moyens de transport à l’intérieur de l’Exposition qui sont mis « à la disposition du visiteur désireux de s’épargner les fatigues d’une marche à travers l’immense ville, ou obligé, faute de temps, à se contenter d’une promenade rapide ». La Patrie à l’Exposition de 1900 : guide du visiteur avec 5 plans spéciaux, Paris, La Patrie, 1900, p. 5.
14 André Hallays, En flânant… À travers l’Exposition de 1900, Paris, Perrin, 1901, p. XIII.
15 Jean-Robert Pitte, « Naissance et expansion des restaurants » dans Jean-Louis Flandrin (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 767-778.
16 Charles Malato, « Le soir », L’Aurore, 4e année, no 4 (1900), p. 2.
17 « L’Exposition universelle », Le Petit Journal, 38e année, no 13723 (1900), s. p.
18 Timothy Mitchell a utilisé le témoignage de visiteurs égyptiens à l’Exposition universelle de 1889 pour montrer que selon leur vision des choses, la rue du Caire reconstituée au Champ-de-Mars apparaît plutôt comme un archétype de la culture parisienne des nouveaux grands boulevards, avec ses cafés-concerts et spectacles de variétés qu’une représentation de l’Égypte. Timothy Mitchell, « The World as Exhibition », Comparative Studies in Society and History, vol. 31, no 2 (1989), p. 217-236.
19 Le premier chapitre sur l’Exposition universelle s’intitule « Journal d’une Campagnarde à Paris pendant l’Exposition ».
20 Noémie Dondel du Faouëdic, Voyages loin de ma chambre, Redon, A. Bouteloup, 1898, vol. 2, p. 108.
21 Voir Anne D. Wallace, Walking, Literature and English Culture : The Origins and Uses of Peripatetic in the Nineteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 1993. Voir aussi Catherine Bertho-Lavenir, La roue et le stylo : comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 77-78.
22 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 9 (22 mai 1889), p. 1.
23 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 24 (6 juin 1889), p. 2.
24 « Nos gravures », L’Exposition de Paris (1900), vol. III, no 10 (1900), p. 71.
25 Jacques de la Forge, À travers l’Exposition, St-Dizier, O. Godard, 1900, p. 16.
26 P. Philippon, « Les Grands Cafés-Restaurants de l’Exposition : Café-Restaurant de l’Aquarium de Paris et Bar des Bonshommes Guillaume », Le Moniteur de 1900, organe de l’Exposition, no 13 (avril 1900), p. 212. La publicité pour le Café-Restaurant de l’Algérie situé sur le Trocadéro en 1900 est également caractéristique de cette attention des restaurateurs pour la mise en valeur du cadre confortable et du point de vue panoramique sur l’activité générale à l’Exposition : « Situé dans l’avenue centrale du Trocadéro, il est l’un des établissements les plus confortables de l’Exposition. Sa vaste terrasse, dominant le Champ-de-Mars, est fort bien disposée le soir, lorsque la tour Eiffel, le Château d’Eau, le palais de l’Électricité sont embrasés, il n’est pas de panorama plus féerique. » Paru dans La Patrie à l’Exposition de 1900 : guide du visiteur avec 5 plans spéciaux, Paris, La Patrie, 1900, p. 18.
27 L’Exposition de 1889 et la tour Eiffel, d’après les documents officiels par un ingénieur, Paris, Gombault et Singier, 1889, p. 144-145.
28 Nigel Thrift, Spatial Formations, Londres, Sage, 1996 et « Still Life in Nearly Present Time : The Object of Nature », Body & Society, vol. 6, no 34 (2000), p. 34-57. La question est abondamment traitée dans Alain Corbin (dir.), L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Aubier, 1995. Sur cette insertion de la nature en milieu urbain, voir aussi Nicholas Green, The Spectacle of Nature : Landscape and Bourgeois Culture in Nineteenth-Century France, Manchester, Manchester University Press, 1990.
29 Mike Crang, « Rhythms of the City : Temporalised Space in Motion » dans Jon May et Nigel Thrift (dir.), TimeSpace : Geographies of Temporality, Londres, Routledge, 2001, p. 187-207. Sur le caractère pluriel de l’espace-temps des villes modernes, voir aussi Kevin Hetherington, The Badlands of Modernity : Heterotopia and Social Ordering, Londres, Routledge, 1997.
30 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 118 (11 septembre 1889), p. 2.
31 Daniel Miller, Material Culture and Mass Consumption, Oxford, Basil Blackwell, 1987.
32 Voir Michael Taussig, The Nervous System, Routledge, New York, 1992.
33 Bruno Latour, « Air » dans Caroline A. Jones (dir.), Sensorium : Embodied Experience, Technology, and Contemporary Art, Cambridge, MIT Press, 2006, p. 105-107.
34 À propos du rôle de la température dans la culture matérielle, voir Simon Carter et Mike Michael, « Here Comes the Sun : Shedding Light on the Cultural Body » dans Helen Thomas et Jamilah Ahmed (dir.), Cultural Bodies : Ethnography and Theory, Malden, Blackwell, 2004, p. 260-282 et Steve Rayner, « Domesticating Nature : Commentary on the Anthropological Study of Weather and Climate Discourse » dans Sarah Strauss et Benjamin S. Orlove (dir.), Weather, Climate, Culture, Oxford, Berg, 2003, p. 277-290.
35 « Entre l’habitation humaine et le chemin de fer Decauville, il y a des coins délicieux pleins de fraîcheur et d’ombre. C’est là que vont se cacher les gens avisés ». Vital Meurysse, « L’Exposition dîne » dans Charles-Lucien Huard (dir.), Le livre d’or de l’Exposition. Journal hebdomadaire illustré, Paris, L. Boulanger, 1889, p. 271.
36 Jean Alesson, « Chronique de la quinzaine », L’Exposition en famille, no 4 (1900), p. 50.
37 « Nos gravures », L’Exposition de Paris (1900), vol. III, no 10 (1900), p. 71.
38 G. Levaux, « Les Grands Restaurants à l’Exposition : Le Restaurant international », Le Moniteur de 1900, organe de l’Exposition, no 14 (mai 1900), p. 239.
39 Exposition universelle de 1900 : les plaisirs et les curiosités de l’Exposition, Paris, Chaix, 1900, p. 60.
40 Jean-Louis, Le Pot-au-feu, « À travers l’Exposition », 8e année, no 9 (1900), p. 136.
41 Antonin Proust, « L’Exposition de 1900 », Figaro illustré, 18e année, 2e série, no 121 (1900), p. 75.
42 Paul Morand, 1900, Paris, Flammarion, 1931, p. 111.
43 Albert Goullé, « Autour de la tour Eiffel », L’Aurore, 4e année, no 910 (1900), p. 1.
44 « À travers l’Exposition », La Croix, 21e année, no 5216 (1900), p. 2.
45 Albéric Darthèze, « L’Exposition », L’Aurore, 4e année, no 916 (1900), p. 2.
46 « À l’Exposition », Le Petit Parisien, 25e année, no 8661 (1900), s. p.
47 « La chaleur », Le Petit Parisien, 25e année, no 8674 (1900), s. p.
48 « L’Exposition universelle », Le Petit Journal, 38e année, no 13714 (1900), s. p.
49 « L’Exposition universelle », Le Petit Journal, 38e année, no 13718 (18 juillet 1900), s. p.
50 Ibid.
51 « Nos adieux », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 125 (18 septembre 1889), p. 1-2.
52 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 151 (14 septembre 1889), p. 2.
53 Paul Arène, « Paradoxe sur l’Exposition », L’Exposition de Paris, no 65 (décembre 1889), p. 194.
54 « À l’Exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4748 (1889), s. p.
55 « À l’Exposition », Le Petit Parisien, 14e année, no 4756 (1889), s. p.
56 C. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 23 (5 juin 1889), p. 2.
57 Jean de la Tour, « L’Exposition : Chronique du Champ-de-Mars », Le Petit Journal, 27e année, no 9636 (1889), s. p.
58 Oscar Wilde, « To Robert Ross, June 1900 » dans The Complete Letters of Oscar Wilde. Edited by Merlin Holland and Rupert Davis, New York, Henry Holt and Company, 2000, p. 1189.
59 Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire III : 1887-1896, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 265.
60 Voir Kristin Ross, The Emergence of Social Space : Rimbaud and the Paris Commune, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1988. La foule devient d’ailleurs à cette même époque, en France, un sujet de prédilection pour les disciplines scientifiques naissantes que sont la sociologie et la psychologie. À ce sujet, voir Susanna Barrows, Miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du xixe siècle, Paris, Aubier, 1990 (1981) et Japp Van Ginneken, Crowds, Psychology & Politics, 1871-1899, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. Raymond Williams nous rappelle d’ailleurs à quel point le contact inédit avec la foule métropolitaine a pu être vécue pour plusieurs nouveaux citadins du xixe siècle comme un véritable choc culturel et sensoriel. Raymond Williams, Politics of Modernism : Against the New Conformists, Londres, Verso, 2007 (1989), p. 40-41.
61 « L’ouverture de l’Exposition », Le Figaro, 35e année, 3e série, no 127 (1889), p. 2.
62 C. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 2 (10 mai 1889), p. 2.
63 « La soirée », La Croix, no 1820 (1889), s. p.
64 Nigel Thrift, « Non-Representational Theory » dans Ron J. Johnston et al. (dir.), The Dictionary of Human Geography, Oxford, Blackwell, 2000, p. 536 et Non-Representational Theory : Space, Politics, Affect, Londres, Routledge, 2007.
65 Hayden Lorimer, « Cultural Geography : the Busyness of Being “More-than-Representational” », Progress in Human Geography, vol. 29, no 1 (2005), p. 83-94.
66 Cela répond bien à la figure du blasé de Georg Simmel : celui qui est écrasé par l’activité sensorielle de la métropole moderne et cherche à se construire des refuges le protégeant d’un monde qui le dépasse. Voir Margo Bistis, « Simmel and Bergson : The Theorist and the Exemplar of the “Blasé” Person », Journal of European Studies, vol. 35, no 4 (2005), p. 395-418.
67 Jean Lorrain, Mes Expositions universelles (1889-1900), Paris, Honoré Champion, 2002, p. 154.
68 « Trop de quêtes », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 49 (2 juillet 1889), p. 2.
69 Justin Cardier, « Le Restaurant de France » dans C.-L. Huard (dir.), Le livre d’or de l’Exposition. Journal hebdomadaire illustré, Paris, L. Boulanger, 1889, p. 310. Nous soulignons.
70 André Hallays, En flânant… À travers l’Exposition de 1900, Paris, Perrin, 1901, p. 89.
71 Ibid., p. 89-91.
72 F. L., « Chronique », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 13 (26 mai 1889), p. 2.
73 Émile Zola, Correspondance VI 1887-1890, Paris, CNRS, 1987, p. 400.
74 Goncourt, op. cit., p. 289.
75 Roland Barthes, « La tour Eiffel » dans Œuvres II, Paris, Seuil, 2002 (1964), p. 534.
76 Jean Lorrain, Le crime des riches, Paris, Baudinière, 1928 (1905), p. 285.
77 Jean Lorrain, Mes Expositions universelles (1889-1900), Paris, Honoré Champion, 2002, p. 45.
78 Guy de Maupassant, La vie errante, Paris, Paul Ollendorf, 1890, p. 5-6.
79 Elias Canetti, Masse et puissance, Paris, Gallimard, 1966, p. 11-12.
80 Don Slater, « Going Shopping : Markets, Crowds and Consumption » dans Chris Jenks (dir.), Cultural Reproduction, Londres, Routledge, 1992, p. 188-209. Voir aussi Christian Borch, « Crowds and Economic Life : Bringing an Old Figure Back In », Economy & Society, vol. 36, no 4 (2007), p. 549-573 et Michèle de la Pradelle, Les vendredis de Carpentras : faire son marché en Provence ou ailleurs, Paris, Fayard, 1996.
81 J. Reney, « Journée à l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 89 (12 août 1889), p. 6.
82 Léon Daudet, Salons et journaux, Paris, Bernard Grasset, 1932, p. 172.
83 Lucien Victor-Meunier, « La foule », Le Rappel, no 7035 (14 juin 1889), s. p.
84 Voir Yi-Fu Tuan, Space and Place : The Perspective of Experience, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2002 (1977), p. 63. En conclusion de son article, Victor-Meunier exprime clairement son sentiment sur les joies sensuelles du bain de foule : « Et je pensais, me laissant bercer par les vagues énormes de cet océan humain, à tous ceux qui ont écrit et dit que ce serait “un four”, qu’il n’y aurait “pas un chat” ; ah ! les pauvres gens ! qu’ils aillent donc, au Champ-de-Mars, un jour de fête, qu’ils aillent, comme je l’ai fait, contempler cette foule phénoménale qui atteste triomphalement le succès de l’Exposition et la prospérité de la France républicaine. » Nous soulignons.
85 Octave Mirbeau, « Pourquoi des expositions ? », Revue des Deux-Mondes, vol. 132 (décembre 1895), p. 888-908.
86 Octave Mirbeau, « Impressions d’un visiteur », Le Figaro, 35e année, no 161 (10 juin 1889), p. 1.
87 Voir Vincent Rubio, « La Foule. Réflexions autour d’une abstraction », Conserveries mémorielles, vol. 8 (2010), http://cm.revues.org/685.
88 Elias Canetti, « Discussion with Theodor W. Adorno », Thesis Eleven, vol. 45, no 1 (1996), p. 5.
89 Sur cette dialectique entre profondeur et immédiateté, voir Richard Shusterman, Surface and Depth : Dialectics of Criticism and Culture, Ithaca, Cornell University Press, 2002.
90 Gabriel Hanotaux, cité dans Revue encyclopédique, vol. X, no 361 (1900), p. 613.
91 Nick Crossley, « Merleau-Ponty, the Elusive Body and Carnal Sociology », Body & Society, vol. 1, no 1 (1996), p. 43-63. On peut aussi se référer au travail tardif de Henri Lefebvre, Éléments de rythmanalyse : Introduction à la connaissance des rythmes, Paris, Syllepse, 1992, et plus récemment à : Jean-Pierre Warnier, « A Praxeological Approach to Subjectivation in a Material World », Journal of Material Culture, vol. 6, no 5 (2001), p. 5-24 ; Kevin Hetherington, « Spatial Textures : Place, Touch and Praesentia », Environment and Planning A, vol. 35, no 11 (2003), p. 1933-1944 ; Nigel Thrift, « Intensities of Feeling : Towards a Spatial Politics of Affect », Geografiska Annaler, vol. 86 B, no 1 (2004), p. 57-78.
92 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974 et Richard Sennett, La chair et la pierre : le corps et la ville dans la civilisation occidentale, Paris, Éditions de la Passion, 2002.
93 Voir Paul Harrison, « Corporeal Remains : Vulnerability, Proximity, and Living on After the End of the World », Environment and Planning A, vol. 40 (2008), p. 423- 445 et « In the Absence of Practice », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 27 (2009), p. 987-1009.
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