Chapitre III
Lieux différenciés, marchés pluriels
p. 123-186
Texte intégral
1Dans les discours sur la présentation des aliments et des cuisines du monde aux Expositions universelles, ceux-ci se laissent difficilement réduire aux grandes entreprises de classification et d’identification propres à ces événements de la fin du xixe siècle. Les choses sont réelles car elles résistent, comme nous l’apprend la sociologie irréductionniste. Mais aux Expositions universelles, la comparaison des produits et des traditions culinaires n’a-t-elle pas justement pour objectif paradoxal de montrer à quel point certaines sont incomparables ? La mise en équivalence marchande des aliments et des mets sur les étalages, les menus et les autres dispositifs d’exposition a pour corollaire l’émergence et la diffusion d’un discours publicitaire qui vante les qualités exceptionnelles des produits. Notons à cet effet que les trois chapitres alimentaires dans les Lieux de mémoire de Pierre Nora, « La vigne et le vin » de Georges Durand, « la gastronomie » de Pascal Ory et « Le café » de Benoit Lecoq se retrouvent tous dans une section intitulée « Singularités ». Et quand la France invite le monde chez elle, elle ne se prive pas de lui rappeler en quoi elle est singulière.
2Le sociologue Lucien Karpik a montré dans un livre récent que l’expansion culturelle de l’économie de marché engendre l’émergence de produits complexes qui sont difficilement intégrables dans les modèles théoriques de l’économie néo-classique. Dans cette situation, il ne s’agit pas tant de produits culturels qui résisteraient au processus de marchandisation et de standardisation dans le capitalisme mondialisé, mais de marchandises dont la valeur tient à leurs qualités incommensurables1. En récupérant la métaphore de biographie des objets proposée par l’anthropologue Igor Kopytoff2, on pourrait la prolonger en affirmant que pour ces marchandises, l’Exposition universelle constitue leur instant de gloire, le moment tant attendu où elles surplombent le régime de l’équivalence généralisée du prix et brillent par leur singularité devant le public massé pour les admirer et les consommer. Au milieu d’un bruyant théâtre de machines, de spectacles et de consommateurs qui contribuent à établir leur exceptionnalité, les marchandises alimentaires présentées aux expositions, que ce soit dans les comptoirs de dégustation aux palais de l’Alimentation, dans les cafés-concerts, dans les bars des salles de spectacles ou dans les restaurants exotiques, semblent toujours poussées à outrepasser les austères lois de l’offre et de la demande et de la maximisation de l’utilité. Pour dire les choses autrement, la consommation alimentaire aux Expositions universelles nous mène toujours sur un autre terrain que celui de l’économie. Un commentateur de l’époque, Gabriel Tarde, nous invite d’ailleurs à interpréter les Expositions universelles de la fin du siècle comme un témoignage du « mélange intime des affaires et des plaisirs3 ». Capitalism is fun. Les imprécations des moralistes évoquées au chapitre précédent nous confirment justement qu’à leur grand désarroi, les Expositions universelles de 1889 et 1900 ne sont pas simplement un lieu d’achat et de vente de marchandises ou une réunion informative sur les derniers progrès de l’industrie. Elles sont devenues un gigantesque marché de sensibilités, une économie internationale des affects. Le développement mondial de l’économie de marché qui s’actualise tout en s’autocélébrant lors des grandes expositions ne conduit pas tant à une rationalisation généralisée des formes culturelles selon leur valeur d’échange4 qu’à la mise en relation de « rationalités locales » qui ont leurs propres psychologies, leurs propres normes et leurs propres modes de valorisation.
3Aussi, en plus d’un discours publicitaire qui fait la promotion des qualités des mets et aliments, le marché des singularités alimentaires ne peut exister que par son incarnation dans des espaces de consommation distincts, qui produisent chacun leur propre champ d’expérience, génèrent un horizon d’attente chez le consommateur et se traduisent matériellement par des expériences sensibles différenciées. Énumérons quelques exemples pour illustrer la chose : la dégustation d’une bière dans la galerie des Machines au cœur des fûts et des robinets, la consommation d’un bock au bar du pavillon du théâtre des Bonhommes Guillaume après une représentation, la consommation d’une gaufre à un kiosque du Champ-de-Mars, d’une crêpe au village breton, d’un café au café maure, d’un déjeuner au restaurant roumain, d’un repas au restaurant français sur le premier palier de la tour Eiffel. L’une des raisons pour lesquelles il est difficile de mettre en équivalence chacun de ces actes selon un seul critère objectif réside en ce qu’ils sont tous indissociables des différents lieux dans lesquels ils s’effectuent, lesquels ont chacun leurs objets, leurs atmosphères, leurs significations, leurs temporalités, leurs rythmes et leurs sensorialités. Chacun de ces lieux se distingue par son ambiance (le bruit des machines du palais de l’Alimentation, la musique au restaurant roumain), le discours qu’il imprime sur les aliments et les mets (la démonstration des nouvelles avancées techniques dans la production des aliments, la mise en valeur d’un savoir-faire local, la présentation de traditions culinaires nationales), et le rapport au temps qu’il propose à sa clientèle (la comparaison en série de nombreux échantillons à déguster, la pause pour une collation au Champ-de-Mars au milieu de la visite, le moment de socialisation après la représentation théâtrale, l’événement du repas gastronomique). Aux restaurants, il est question de cuisine, aux comptoirs de dégustation de produits industriels, il est simplement question d’alimentation. D’une certaine manière, la pluralité des lieux incarne le rapport que l’Administration voudrait harmonieux entre le savoir culinaire et la production alimentaire, entre l’art et l’industrie, entre la culture et le capital. La coexistence d’espaces différenciés sur le même site des Expositions universelles tend alors plutôt à montrer que, loin d’aplanir les singularités culturelles par la logique productiviste de l’industrie moderne ou la logique commerciale du capitalisme urbain, les expositions participent plutôt à mettre en valeur du même coup autant la gastronomie que les produits manufacturés en les répartissant dans des lieux qui ont leurs ambiances, leurs discours et leurs logiques propres.
4Les trois sections de ce chapitre peuvent être considérées comme autant d’articulations spatiales entre un champ d’expérience et un horizon d’attente gravitant autour de trois régimes d’authenticité qui ont chacun leur fonctionnement spécifique et qui tous dépendent, d’une manière ou d’une autre, des contingences matérielles et sensorielles du lieu de consommation dans lequel ils s’incarnent. La première section de ce chapitre aborde les rapports entre alimentation et technologie aux Expositions universelles, et étudie précisément la mise en valeur des aliments par l’exposition de leurs dispositifs techniques de production. La seconde section aborde la question de l’identité alimentaire française, tiraillée entre les hauteurs de la gastronomie et le bruit et la fureur des nouvelles productions industrielles. La troisième se concentre sur les restaurants étrangers en insistant sur l’importance de l’ambiance entourant la pratique de consommation pour garantir la perception de l’authenticité.
Espaces techniques, temps des aliments : de la production à la dégustation
5L’une des caractéristiques des Expositions universelles, qui les distingue à cet effet d’autres événements commerciaux, est leur vocation à « faire apparaître les progrès5 », car, à la différence des simples foires, elles ont des « prétentions plus hautes », dont celle d’être une « œuvre d’enseignement6 » qui dépasse les pures considérations économiques. C’est d’ailleurs l’un des enjeux qui conduit à la création du Bureau international des expositions en 1928 pour réglementer la tenue d’Expositions universelles qui, au début du xxe siècle, se multiplient et prennent de plus en plus la forme de foires populaires en évacuant les grands principes humanistes qui animent les pionnières du xixe siècle. Évidemment, si la distinction entre la fête foraine et l’œuvre d’enseignement est claire dans les puretés de la théorie, elle l’est beaucoup moins en pratique7. L’histoire des Expositions universelles nous montre que la présentation des progrès techniques va de pair avec la fabrication d’œuvres monumentales ou insolites qui témoignent de nouvelles possibilités techniques de l’époque ou de l’inventivité bricoleuse de certains particuliers, mais qui demeurent d’une utilité pratique questionnable. Sur ce tableau des curiosités, le Canada brille avec la confection d’un fromage géant d’une circonférence de 28 pieds pour l’Exposition universelle de Chicago en 18938 et d’une statue en beurre du Prince Édouard à l’Exposition impériale britannique de 1925. Dans un registre comparable, on peut citer, pour 1889, la Vénus de Milo en chocolat érigée au pavillon des États-Unis. Curiosité, disions-nous, qui susciterait celle des papilles de certains visiteurs : « Les visiteurs poussant la curiosité jusqu’à la gourmandise, ne se font pas faute de gratter avec leur couteau le piédestal de la statue, pour bien s’assurer qu’elle est en chocolat9. » Vivre l’Exposition dans tout ce qu’elle a d’insolite, c’est aussi littéralement goûter à ses monuments et cette anecdote illustre une fois de plus le caractère mouvant et vivant d’un tel événement, alors que le passage du public affecte inévitablement son cadre matériel qui se consomme dans tous les sens (et sensibilités) du terme. On se doute d’ailleurs qu’une telle attraction ne fasse pas l’unanimité. Émile Monod fait remarquer à propos de cette statue que : « En somme, l’impression qui nous est restée de notre visite est que les Américains du Nord sont un grand peuple d’enfants-prodiges qui, tantôt nous frappent par des inventions d’une hardiesse admirable, et tantôt nous font sourire par de gigantesques puérilités10. » Les voies de la modernité ont leur code de conduite. En alimentation foraine, les pâtissiers français, se contentent plus humblement et plus commercialement de créer un « gâteau tour Eiffel » qui est « très demandé », des liquoristes créent la « liqueur Eiffel », et certains « mettent en devanture une bouteille de verre, haute d’un mètre, qui figure la Tour elle-même et qui renferme de l’eau colorée ou du cognac » et plusieurs autres objets représentant la tour de 300 m comme un panier à liqueurs Eiffel11. En 1900, nous pouvons mentionner sur le même tableau la confection d’un pain géant de 5 m fabriqué à la Villette pour souligner la tenue de la grande exposition12.
6Mais les réalisations les plus impressionnantes restent probablement, pour chaque Exposition, les tonneaux de champagne géants. Celui de Mercier en 1889, que certains vont jusqu’à qualifier de « clou » de l’Exposition, peut contenir plus de 200000 bouteilles13 et contient effectivement du champagne offert aux visiteurs pour dégustation14. Il n’est pas le plus grand tonneau du monde, car à Heidelberg les rivaux teutons en ont construit un qui peut contenir 236 000 bouteilles15, mais peu importe selon un témoin de l’époque qui écrit dans le Livre d’or de l’Exposition, car de toute façon, « le vin du Rhin ne vaut pas notre champagne16 ». Si les prouesses techniques n’arrivent pas à égaler celles des opposants nationaux, la victoire se transpose ultimement sur les qualités inimitables du produit. La réalisation de cette fabrication d’un objet exceptionnel par sa grandeur démesurée de même que l’accomplissement notable de transporter l’immense foudre vers la capitale est alors mise en valeur comme un témoignage de l’avancement industriel de la production champenoise. Déjà peut-on y voir l’association entre la présentation d’un savoir-faire local et traditionnel en demande de reconnaissance, celui des producteurs de champagne, et l’exhibition des capacités techniques de ces producteurs, au diapason de l’âge industriel. L’objet est assez puissant symboliquement pour être utilisé dans les publicités 11 ans plus tard à l’occasion de l’Exposition de 1900 alors qu’il est dessiné, surplombant le paysage parisien, même si en 1900, c’est un autre entrepreneur, Adolphe Fruhinsholz de Nancy, qui construit un nouveau foudre encore plus gigantesque, d’une contenance de 43 000 hectolitres et présenté dans un pavillon spécialement aménagé avec quatre étages de comptoirs de dégustation17.
7Toujours dans le second tome de sa Psychologie économique, Gabriel Tarde dit que les Expositions universelles : « établissent entre les États une comparaison au point de vue de l’invention industrielle beaucoup plus qu’au point de vue de la prospérité industrielle, c’est-à-dire de la propagation imitative des inventions. Aussi le classement des nations, dans ces grands concours internationaux, est-il bien différent de celui que suggère la lecture des statistiques de l’industrie et du commerce18 ». L’investissement de Fruhinsholz pour la confection de son grand foudre qui aura coûté près de dix années de travail se traduit lui-même par des dividendes honorifiques qui dépassent les considérations purement financières et retrouve le monde des « intérêts passionnés ». L’importance économique des Expositions universelles réside ainsi non seulement dans la production matérielle de biens économiques et dans la circulation de capitaux qu’elle engendre, mais également dans la production de perceptions, d’émotions, d’affects qui sous-tendent le fonctionnement commercial de l’entreprise : frapper l’œil, toucher les esprits, séduire les sens19. Dans un essai datant de 1902 sur les conséquences économiques des Expositions universelles, l’auteur Georges Gérault défend l’idée que pour l’industriel français qui n’arriverait pas à convaincre sa clientèle de la qualité de son produit, les expositions offriraient : « un système de réclame excellent : bien plus que les prospectus, bien plus que les annonces, plus même que les voyageurs de commerce », car « elles sont susceptibles d’agir sur l’esprit de la clientèle possible, et de produire une profonde impression sur l’acheteur étranger qu’elles mettent en contact avec le produit, lui permettant d’examiner et de comparer des produits qu’il ignorait et ignorerait toujours sans elles20 ». L’espace de publicité de l’Exposition est instrumentalisé pour la mise en valeur de l’inventivité des industriels qui peuvent bénéficier de l’affluence du public pour renouveler ses perceptions en lui présentant de nouveaux produits. Mais le passage indique aussi que cette attention aux effets sur l’« esprit de la clientèle » est constitutive de la mise en place d’une expérimentation publique permettant l’évaluation de la réception des produits chez les consommateurs et les investisseurs.
8Nous savons que les Expositions universelles américaines ont pu être un lieu de diffusion de nouveautés alimentaires, telles que le San Antonio Chili à l’Exposition de Chicago en 1893 ou le hot-dog et le cornet de glace à l’Exposition de Saint-Louis en 190421. Comparativement, les Expositions universelles françaises ne sont pas aussi fertiles en innovations. Le goût du nouveau se matérialise plutôt dans la mise en scène de techniques permettant une meilleure production et une meilleure distribution de produits déjà présents sur le marché. En ce qui concerne les aliments quelque peu « futuristes » qui y sont présentés, notons la popularité des aliments condensés tels que les extraits de viande de la compagnie Liebig en 1889, dont il est dit d’ailleurs que « la consommation se généralise de plus en plus dans le monde entier22 », le lait condensé Nestlé23 et les bouillons concentrés du fabricant suisse Maggi en 190024. Comme dans les Expositions universelles américaines et britanniques de la même époque, on y retrouve des éléments de projection d’un futur alimentaire optimiste qui s’inscrit dans un récit progressiste articulant un enchaînement logique entre les progrès techniques accomplis au fil du siècle et les innovations présentes ouvrant la voie vers demain25. Pour chaque produit présenté aux Expositions de 1889 et 1900, l’abondante prose des rapports des jurys internationaux offre une mise en perspective des évolutions techniques de l’industrie par rapport à ce qui a été constaté à l’Exposition universelle précédente. C’est d’autant plus le cas en 1900 alors que chaque classe d’exposants a son exposition rétrospective de « Musées centennaux » retraçant et écrivant le « bilan du siècle ». L’exposition des produits à déguster se couple alors à une exposition des machines et des procédés de production. L’intégration des espaces de dégustations aux expositions industrielles permet ainsi de reconstituer un passage immédiat et transparent entre la production et la consommation, et ces environnements scénographiques participent à la mise en valeur de leurs qualités. Pour Georges Crouigneau, c’est l’exposition des « manipulations successives que l’on fait subir à la matière première avant de la livrer à la consommation » qui garantit l’entreprise scientifique de la dégustation : « grâce à l’aimable attention des différents exposants, qui nous permettent de mettre leurs produits au pillage, nous goûtons à toutes ces gourmandises, et plus d’une petite main finement gantée a bravé sans hésiter, – au nom de la science, – les inconvénients de cette étude approfondie et pratique26 ». D’une certaine manière, l’articulation de la production et de la consommation sur un même lieu permet à ces expositions de répondre à la fois leur rôle d’éduquer le citoyen sur l’état des progrès techniques, d’informer le consommateur sur les caractéristiques des aliments, et de divertir le visiteur par un spectacle tridimensionnel et vivant au sein duquel il peut voir et sentir les produits et les mets en train de se faire. La galerie anglaise au palais des Produits alimentaires de 1889, qui propose « un étalage de gâteaux et de pains anglais tels que les Bath buns, les cottage leaves et les pan leaves » est ainsi appréciée parce qu’elle est « en même temps l’exposition de toute une série de machines capables de faire mécaniquement la boulangerie et la pâtisserie en évitant toute manipulation de la part des ouvriers27 ». L’Exposition universelle aurait-elle en fait déjoué le fétichisme de la marchandise en dévoilant le travail de la main ouvrière et de la machine productrice ? Ou, comme le propose l’anthropologue Michael Taussig, la levée du voile sur la main productrice est elle-même constitutive de la puissance des croyances et des émotions qui s’investissent28.
9L’importance fondamentale de la répartition matérielle et spatiale de ces expositions de la production et de la consommation de produits alimentaires apparaît d’ailleurs d’autant plus évidente lorsqu’elle se situe au cœur d’une controverse, comme quand certains industriels désirent se faire accorder davantage d’espace pour la mise en place de leurs comptoirs de dégustation. Les artisans français qui présentent leurs produits à l’Exposition de 1889 sont fermement insatisfaits de l’espace concédé par l’Administration au palais de l’Alimentation qui ne permet que difficilement l’installation d’un équipement nécessaire à la fabrication sur place des produits. Selon ce qu’en dit Cornet, président du Syndicat de la boulangerie de Paris et du Syndicat général de la boulangerie française, l’Administration n’a pas pris en considération :
1o que nos produits, pour être appréciés à leur juste valeur, demandaient à être consommés à la sortie du four ; 2o que l’exposition muette de ces produits ne pouvait offrir aucun intérêt pour le visiteur ; 3o que, au contraire, la démonstration de notre fabrication serait un attrait pour le public, qui, pour la plus grande partie, en ignore les détails ; 4o que c’était pour lui, public, l’occasion de juger, d’apprécier le perfectionnement de l’outillage et la qualité des matières premières employées ; 5o que, en permettant la vente de ces produits qui auraient été consommés sur place, c’était favoriser la fabrication en grande quantité, le renouvellement fréquent, la bonne qualité.29
10L’aire, les machines, les artisans, les matières premières, les outils, les visiteurs : l’ensemble doit se tenir pour garantir la réussite de l’opération, pour qu’autant le visiteur que l’exposant y trouvent leur compte. Autrement dit, l’organisation spatiale de l’Exposition n’est pas seulement une entreprise de rationalisation économique de biens culturels, ou une mise en ordre visuelle du monde, mais aussi la construction matérielle d’un lieu où évoluent en face à face des corps qui sentent et des objets qui bougent. Les gravures qui nous montrent les plus sérieux de tous les goûteurs, dont bien entendu les jurys, semblent d’ailleurs nous dire que cette activité ne pourrait s’accomplir adéquatement que par une abstraction du monde environnant.
11La dégustation attentive demande un environnement sensoriel finement ajusté et c’est la raison pour laquelle en 1900, l’Administration accorde un espace le long de la Seine au bas de la colline du Trocadéro pour l’établissement de pavillons d’entreprises privées présentant une exposition de leurs outils de production accompagnée d’un comptoir de consommation. À l’extérieur des bruyantes galeries où tonne l’écho des machines et où l’espace exigu permet difficilement la mise en valeur d’un produit alimentaire alors que les odeurs s’entremêlent, certains producteurs peuvent alors bénéficier de bâtiments particuliers où la construction d’une bonne ambiance de consommation se fait plus librement. La maison Van Houten « où de jolies servantes hollandaises fraîches et roses, les bras nus, vous sollicitent30 » bénéficie déjà d’un tel type d’établissement en 1889 pour la vente de son cacao et les corps des employées chargées de la vente des aliments sont alors un élément non négligeable dans la construction de l’authenticité de l’expérience alimentaire31. En 1900, les berges de la Seine accueillent le phare du biscuitier nantais Lefèvre-Utile, un kiosque pour les biscuits Pernod, et plusieurs autres boulangers présentant leurs fours. Ajoutons à cela deux pavillons dédiés à la fabrication de boissons alcoolisées sur le Champ-de-Mars : le pavillon Mercier, où « M. Mercier fait fabriquer le champagne sous les yeux du visiteur32 » et le pavillon de l’alcool érigé par l’empire de Russie qui abrite un comptoir de consommation et une exposition mettant en valeur l’action de l’État pour la réglementation de la production et standardisation des alambics pour combattre l’alcool de contrebande. L’œuvre est en soi un bel exemple de poussée d’un discours moral et nationaliste appuyé matériellement par une exposition technique où l’on consomme de l’alcool pour combattre l’alcoolisme. Le journal féministe La Fronde trouve d’ailleurs l’exposition particulièrement inconvenante33 et les problèmes que le journaliste soulève permettent de mettre en lumière d’une part la divergence des représentations sur les méfaits de l’alcool, entre un produit de consommation dont les risques qui lui sont associés seraient contrôlés par une supervision étatique de la méthode de fabrication et une stricte réglementation, et un liquide substantiellement néfaste qui n’a pas sa place dans une manifestation publique comme une Exposition universelle. Belle manière de poser l’enjeu central de l’Exposition universelle : la médiation des produits, des savoirs et des valeurs coextensives vers le public ; et belle manière de montrer que les démonstrations technico-morales des Expositions universelles qui demanderaient idéalement la constitution automatique d’un consensus n’emportent pas toujours aisément l’approbation d’un public évoluant dans un autre régime de perceptions.
12Une attention spéciale mérite par ailleurs d’être accordée aux expositions des groupes et classes rattachés à l’industrie alimentaire dans la classification générale des expositions. En 1889 et 1900, alors que convergent une masse de produits et de visiteurs provenant de divers coins du monde, les produits alimentaires qui y sont exposés, dans les pavillons nationaux ou dans les palais de l’industrie alimentaire y sont rigoureusement étiquetés et classés selon leur type et leur provenance géographique. En 1889, le palais de l’Alimentation est situé au bord de la Seine sur la Rive gauche entre le pont de l’Alma et le pont d’Iéna34. L’industrie est représentée par le Groupe VII (Produits alimentaires), qui comprend les classes 67 (Céréales, produits farineux avec leurs dérivés), 68 (Produits de la boulangerie et de la pâtisserie), 69 (Corps gras alimentaires, laitages et œufs), 70 (Viandes et poissons), 71 (Légumes et fruits), 72 (Condiments et stimulants) et 73 (Boissons fermentées), et aussi dans la classe 50 (Matériel et procédés des usines agricoles et des industries alimentaires) du Groupe VI (Outillage et procédés mécaniques). En 1900, les aliments sont exposés pour l’essentiel au Champ-de-Mars dans l’ancienne Galerie des Machines de 1889 et rassemblés dans le Groupe X (Aliments), qui comprend les classes 55 (Matériel et procédés des produits alimentaires), 56 (Produits farineux et leurs dérivés), 57 (Produits de la boulangerie et de la pâtisserie), 58 (Conserves de viandes, de poissons, de légumes et de fruits), 59 (Sucres et produits de la confiserie, condiments et stimulants), 60 (Vins et eaux-de-vie de vin), 61 (Sirops et liqueurs, alcools d’industrie) et 62 (Boissons diverses).
13Cette classification exemplifie l’entreprise moderniste d’ordonnancement et de catégorisation des productions humaines, qui prend des proportions considérables lors des Expositions universelles. Les nations du monde s’y retrouvent pour comparer leurs moyens de production et leurs produits, et ceux-ci sont rigoureusement classifiés et étiquetés selon les catégories proposées par l’Administration. En cela, les Expositions universelles de 1889 et 1900 se situent toujours dans l’héritage de leurs ancêtres, les expositions nationales de l’industrie de la première moitié du xixe siècle. Le monde serait réduit à un ensemble de catégories abstraites et ultimement à l’équivalence généralisée de l’économie capitaliste et industrielle. Mais cette classification ne témoigne-t-elle pas aussi de l’impossibilité de réduire les productions humaines à un nombre fini de catégories ? La modification continuelle de la nomenclature des classes et groupes à chacune des expositions et les difficultés dans la répartition des artefacts exposés montre en fait que le travail de purification des catégories d’une part entraîne toujours des séparations qui ne sont pas toujours commodes pour tout le monde. Ainsi, des boulangers et pâtissiers se plaignent que leur classe 68 soit séparée sur le site de l’Exposition de la classe 50 des Matériels et procédés des usines agricoles et des industries alimentaires, car une fusion aurait permis la présentation adjacente des outils, de leur utilisation et de leurs résultats pour démontrer au visiteur le bon fonctionnement de l’ensemble du processus de production35.
14Mais aussi, avec les développements rapides de l’industrie et du commerce international qui entraînent une diversification des produits de consommation, il se crée inévitablement des restes difficiles à caser dans la détermination des catégories. Les expositions fixent le monde tout en contribuant à le mettre en mouvement, elles sont l’état de l’industrie et sa voie vers le changement, donc il est à cet effet naturel que la réduction aux catégories ne soit jamais parfaite. Prenons en 1900 l’exemple de cette curieuse classe 59 : « Sucres et produits de la confiserie, condiments et stimulants », qui rassemble sous un même toit les chocolats, la confiserie, le thé, le café, le sel, les piments, les vinaigres, les moutardes, la vanille et une nouvelle curiosité japonaise, la sauce de soja (ou shôyu) dont on dit que « dès le début de l’Exposition, amateurs et marchands de japonaiserie se les sont chèrement disputés36 ». De plus, il y a également cette classe intitulée fort peu rigoureusement « Boissons diverses » en 1900, qui comprend la bière, le cidre et les boissons gazeuses. On aura voulu séparer l’immense département du vin de celui, plus modeste, des brasseries et des cidreries, qui en 1889 sont comprises avec le vin dans la classe 73 des boissons fermentées. Pour ce qui est des eaux gazeuses, elles ne font même pas partie du Groupe des produits alimentaires en 1889, mais bien du groupe VI, Outillage et procédés des industries mécaniques, pour se retrouver dans la classe 50, Matériel et procédés des usines agricoles et des industries alimentaires. Les boissons pétillantes non alcoolisées sont donc considérées comme des produits techniques en 1889 et comme des produits alimentaires en 1900, ou, dit autrement, elles sont dans le domaine de la production en 1889 et se retrouvent dans celui de la consommation en 1900. Le Rapport du jury de l’Exposition de 1900 indique d’ailleurs que la consommation annuelle en France, presque inexistante dans la première moitié du siècle, est passée entre les années 1889 et 1900, de 175 millions de bouteilles à 385 millions37, ce qui peut expliquer ce transfert d’une catégorie à l’autre. Mais malgré ce déplacement du produit dans la nomenclature de l’Exposition, ce qui caractérise la présentation des échantillons de boissons gazeuses dans les deux événements, c’est l’exhibition du rapport immédiat et transparent entre la production et la consommation, ce qui rend justement sa classification difficile. Le Rapport du jury indique que c’est grâce à de nouveaux appareils, les sparklets, permettant la production instantanée de toutes boissons gazeuses que : « L’exposition des boissons gazeuses de la Classe 62, superbement installée, a su intéresser le nombreux public qui se pressait autour de ses comptoirs, où fonctionnaient les types de machines les plus perfectionnées38. » La valeur que le produit acquiert auprès du public est ainsi intimement liée non pas spécifiquement à telle ou telle caractéristique, mais à la mise en scène de l’ensemble de la chaîne, des techniques de production au service et à la consommation.
15La même chose peut être observée à propos de la bière, alors que le succès des robinets de dégustations présents aux deux expositions semble largement tributaire du cadre muséographique qui met en valeur la fabrication des produits. De 88 brasseurs exposants en 1878 provenant surtout de France, de Belgique et des États-Unis, on passe en 1889 à 240 exposants de 26 pays différents et on note surtout que l’installation permet la dégustation successive et comparative d’un grand nombre de bières différentes. Le Rapport du jury affirme que « Dans aucune autre exposition, même en Autriche et en Allemagne, il n’a été offert au public visiteur une aussi grande variété de bières à la dégustation dans les galeries mêmes du Champ de Mars39. » 52 bières différentes sont proposées aux comptoirs de dégustation, et en considérant aussi celles qui ne sont pas exposées mais sont offertes dans les cafés et restaurants, on atteint le chiffre de 60 bières pouvant, comme le souligne le rapport : « être, chaque jour, comparées entre elles par les visiteurs40. » L’Exposition devient ainsi doublement informative auprès des consommateurs qui peuvent d’une part se faire rapidement une idée globale sur les qualités comparatives des différents produits qui leur sont offerts et d’autre part se renseigner sur les évolutions techniques les plus récentes dans la fabrication de la bière tant en France que dans les autres pays du monde. Même en dehors du palais de l’Alimentation, au Restaurant français, la qualité de la bière Tourtel est mise en valeur par de grandes fresques qui montrent les différentes étapes de fabrication du produit. Le chroniqueur du quotidien L’Intransigeant dit à son propos que : « On voit là toutes les phases de la fabrication de la bière, ainsi qu’une vue très exacte des établissements de Tantonville41. »
16Les bières brunes, encore peu répandues sur le marché bénéficient ainsi de l’Exposition pour « rencontrer un public qui les apprécie42 », bien que les blondes conservent en général la faveur tant des brasseurs que des consommateurs. On peut ainsi lire dans le Rapport du jury de 1889 que : « Malgré l’abstention de quelques pays grands producteurs de bière [entendons l’Autriche, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis], l’Exposition universelle de 1889 a présenté, dans un ensemble suffisamment complet, le degré d’avancement de l’industrie de la fabrication de la bière dans le monde entier43. » Le rapporteur de 1889 se permet d’ailleurs de rendre hommage aux industriels étrangers qui ont fait le louable effort de présenter à Paris leur production pour le bénéfice du public international, malgré l’« extrême difficulté que présente le transport des bières44 ». Les caractéristiques de l’exposition brassicole nous font donc voir de quelle manière l’Exposition universelle peut être utilisée dans le domaine alimentaire comme dispositif de jugement, en tant que construction spatiale et matérielle qui répond d’abord à l’objectif de clarifier le marché, c’est-à-dire d’offrir aux consommateurs un contexte idéal où ceux-ci peuvent exercer leur choix et établir leurs préférences en toute connaissance de cause, mais également de l’étendre en créant des goûts pour de nouveaux produits qui bénéficient de l’événement pour s’immiscer dans les habitudes de consommation.
17Il faut cependant souligner que si l’agencement des robinets dans l’espace du palais de l’Alimentation répond à une fonction informative de familiarisation des consommateurs ou des éventuels entrepreneurs et distributeurs avec les différentes marchandises offertes, il ne faut pas non plus sous-estimer l’intérêt corporel, désaltérant, de ces robinets pour le visiteur éreinté par la canicule estivale ou les longues heures de visite. L’Exposition s’adresse autant au « simple visiteur » qu’aux « hommes techniques45 » et la comparaison attendue peut se faire tant sur le plan des techniques de fabrication que sur les qualités désaltérantes du produit.
18En 1900, le phénomène prend de l’ampleur46, notamment pour les brasseurs français, jaloux de la réputation exceptionnelle dont jouissent leurs concurrents d’Outre-Rhin. De 36 robinets en 1889, le nombre passe à 48 en 190047 et Robert Charlie, rédacteur en chef du journal Le Brasseur français et auteur en 1886 d’un pamphlet nationaliste sur la bière intitulé éloquemment Le poison allemand, fait de la présence française à l’Exposition de 1900 un enjeu de fierté nationale48 : « Cachée, dissimulée en 1889, elle trône aujourd’hui à la première place49. » Curieusement, du côté allemand, le passage sur la bière dans le catalogue de l’Exposition de 1900 ne fait aucune mention d’une supériorité allemande en ce qui concerne le « Nationalgetränk der Deutschen » et ne mentionne d’ailleurs à aucun endroit les industries brassicoles étrangères50. Comme quoi les sensibilités alimentaires nationales peuvent être fort variables pour un même produit. Il est à cet effet intéressant de constater à quel point les discours sur la bière se répètent d’une exposition à l’autre. Le Rapport général de l’Exposition de 1889 dit pourtant que : « Aux expositions précédentes de 1867 et 1878, la bière française n’avait eu qu’un rôle modeste et effacé, en face du succès obtenu d’abord par les bières viennoises et Dreher et de Siesing, puis par les bières allemandes, hollandaises et alsaciennes » et que « En 1889, la bière française a pris une revanche éclatante51. » Le choix de vocabulaire sans doute délibéré rappelle que l’Exposition universelle est d’abord, pour certains, une compétition entre nations, toute pacifique soit-elle. Ces rivalités nationales sont bien présentes au gosier et à l’esprit de certains consommateurs, notamment quand Theodore de Wyzewa évoque « les bières salicylatées de l’Allemagne » dont les goûts « dépriment l’imagination52 », rien à voir avec les bières françaises, qualifiées d’« excellentes » et qui inversement la « ragaillardissent ». Le journaliste-dégustateur est cependant lui-même bien conscient de ses biais et n’accorde pas forcément toute sa confiance tant à ses papilles qu’à sa mémoire quand il affirme plus loin que ses impressions sont peut-être attribuables « aux cognacs, que j’ai dégustés ensuite dans une crypte romane toute en bouteilles d’apéritifs, ou aux merisettes, dont j’ai essayé plusieurs sortes en face d’une colonne funéraire uniquement construite en colonnes de digestifs53 ». Mais malgré cette appréciation positive, le diagnostic général de Robert Charlie en 1900 est qu’à la précédente Exposition, la brasserie française : « était reléguée dans un affreux sous-sol, dans une sorte de souterrain où personne ne pouvait la découvrir, et elle passa complètement inaperçue. Elle ne retira rien – absolument rien – de cette exposition, qui fut, par contre, un triomphe pour la bière étrangère54 », que « la consommation y fut absolument nulle55 » et les chiffres « lamentables ». Par contraste, en 1900, la bière française : « a remporté un triomphe sans précédent », et « ceux qui en ont organisé la dégustation ont intelligemment servi les intérêts de la Brasserie nationale56 ».
19La distinction entre les résultats des deux expositions sur l’industrie brassicole française peut se faire sur le plan quantitatif ou purement monétaire, comme l’évoque Robert Charlie lorsqu’il fait mention de chiffres lamentables. Cependant, nous voyons tant dans le commentaire du flâneur Theodore de Wyzewa que de l’expert Charlie que la réception de l’exposition de la brasserie et de ses kiosques de dégustation est intimement liée aux moyens qui ont été déployés pour la construction d’un environnement matériel et sensoriel propre à valoriser adéquatement les efforts de l’industrie nationale. Alors qu’en 1889, l’appréciation du visiteur dans le « souterrain » est distraite par d’autres présentations gustatives, en 1900, la brasserie française bénéficie d’un important pavillon indépendant construit sous les voûtes de la Galerie des machines et d’un grand hall dégagé pour les robinets de dégustation.
20Ce qui est dit à l’occasion de chacune des expositions indique que leurs prétentions à faire événement impliquent une volonté de surmonter un état où certains producteurs, entrepreneurs, industriels seraient indûment représentés sur les marchés nationaux et internationaux. Ainsi, à l’occasion de l’Exposition le producteur doit se distinguer par la qualité de sa marchandise offerte en échantillons au public de même que par la mise en valeur de ses procédés de production, c’est-à-dire ce qui rend son produit précisément singulier. L’attachement entre l’ouvrier ou la machine produisant et la marchandise produite et exposée aux comptoirs de dégustations afin que le visiteur puisse procéder sur le moment à une comparaison immédiate nous ramène finalement à l’idéal du fonctionnement de l’économie de marché, celui du consommateur informé sur les détails de la production de chaque produit, et mis en situation pour pouvoir porter un jugement éclairé et rationnel sur la qualité de la marchandise57. Cependant, l’Exposition, en principe transparente et utilitaire, détaillant les étapes de la production à la consommation, ne peut pourtant évacuer sa dimension proprement spectaculaire et affective qui est essentielle pour garantir sa popularité. En retournant à notre idée de départ selon laquelle l’activité de goûter implique dans un triangle incertain l’objet consommé, le consommateur et l’ensemble multiple d’actants qui composent le contexte de consommation et contribuent à donner forme à l’expérience gustative sans pour autant la déterminer, une attention pour les caractéristiques matérielles des espaces techniques où se déroulent les activités alimentaires nous fait alors voir la consommation sous un autre jour que celui de la rationalité économique. La monumentalité des grands tonneaux, du phare de Lefèvre-Utile et du pavillon de la brasserie française tend à nous indiquer qu’il y a tout de même quelque chose de plus que la comparaison neutre entre des marchandises en compétition. Alors que la commensurabilité est favorisée par des dispositifs de jugement qui créent un environnement sensoriel optimal pour l’évaluation gustative, l’incommensurabilité est réitérée par des dispositifs publicitaires magistraux et multisensoriels qui n’ont d’autre fonction que de souligner les facteurs de production qui font la singularité des produits.
Mettre en scène la Nation, entre industries et terroirs
21Les fêtes de 1889 et 1900 n’échappent évidemment pas à la règle non-écrite dans l’organisation des Expositions universelles qui veut que la célébration officielle de l’ouverture des frontières et de la communion internationale soit en fait une démonstration de puissance de la part du pays hôte. Ce phénomène est encore bien présent dans les expositions internationales les plus récentes58 et le nationalisme qui se déguise sous les habits neufs du cosmopolitisme a une longue histoire. En remportant la majorité des palmes aux concours des brasseurs, domaine qui était la chasse gardée d’autres puissances quelques décennies auparavant, les industriels français entendent ainsi montrer que leur Nation est aux avant-postes de l’innovation technique et qu’elle a une capacité exceptionnelle d’inventivité industrielle. À cet effet, l’alimentation est probablement le premier secteur de prédilection pour l’expression de la singularité nationale française. Le Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889 indique que l’exposition des produits alimentaires : « donne satisfaction à notre amour-propre national, car tout en rendant justice aux divers pays qui y ont participé, on peut prétendre sans chauvinisme que la nôtre l’emporte de haut par l’excellence et la variété de ses produits. En ce qui concerne les choses de la table, la France conserve son antique suprématie59 ». En 1900, du côté de l’alimentation en conserves, déjà en plein essor au tournant du siècle, les Rapports du jury international soutiennent que, malgré la poussée récente des Américains en la matière : « La supériorité des conserves françaises est incontestable, car elles réunissent tous les progrès dans cette industrie : la perfection de la fabrication et l’élégance dans la façon de présenter les produits60. » Et la perfection et l’élégance ne sont certainement pas des qualités aussi aisément exportables outre-Atlantique que les savoirs techniques. On revient ainsi à cet objectif de comparer les produits pour mieux mettre en évidence le caractère incomparable de certains, et dans une Exposition universelle, quoi de plus comparable et quoi de plus incomparable que l’identité nationale61.
22Pourtant, ces représentations de la supériorité alimentaire française, telles qu’elles s’incarnent dans le cadre des Expositions universelles, sont d’une part empreintes de controverses et s’appuient d’autre part sur la constitution d’un ensemble hétérogène de discours, de supports matériels et techniques, et de sensibilités. Créer et affirmer la Nation républicaine par l’orchestration de grands rituels et la valorisation de traditions inventées, ou plutôt de traditions articulées62, pose en régime démocratique une série d’écueils dérivant de la nécessaire légitimation publique pour la détermination de l’intérêt commun.
Les cuisiniers, les chimistes et les ingénieurs
23Déjà, ce grand déploiement de productivité et de science technicienne ne plaît pas à tout le monde au pays de la gastronomie qui, comme le dit Pascal Ory en introduction de son chapitre sur la gastronomie dans les Lieux de mémoire : « n’a pas un rapport ordinaire à la nourriture63 ». Nul besoin de rappeler que le savoir-faire culinaire tient une place centrale dans les discours sur l’essence de l’identité nationale française :
Oui, certes, cette exposition magnifique est bien l’œuvre immense et commune de tous les peuples civilisés, groupés autour de leur sœur aînée, la France, qui leur donne l’exemple en leur donnant l’hospitalité.
Mais il est un vaste et doux domaine, d’antique et pacifique conquête, un terrain sans cesse agrandi, presque sacré, où notre cher pays règne en souverain maître, c’est le grand art culinaire, c’est la cuisine française.64
24Cependant, les expositions posent problème pour les ardents défenseurs du fourneau, surtout lorsque l’on considère que dans le partage géopolitique des Expositions de 1889 et 1900, les industriels ont tout et les cuisiniers si peu. Anciens et modernes se querellent et les défenseurs de la grande cuisine perçoivent déjà avec crainte que les hiérarchies sociales de la cuisine risquent d’être chamboulées par l’introduction de nouvelles techniques65. Le débat sur l’impact de la technologie sur la culture culinaire n’est pas spécifique aux Expositions universelles françaises66, mais ce n’est en France que le rapport entre identité nationale et alimentation chatouille autant les sensibilités. Dans l’organe de résistance des grands cuisiniers, l’Art culinaire, dont le cheval de bataille est la valorisation du savoir-faire des cuisiniers pour l’établissement de leur professionnalisation67, le cuisinier-poète Achille Ozanne proteste devant la profusion des machines et des laboratoires : « Ô cuisiniers, mes frères, soyez artistes, mais non commerçants ou à moitié chimistes68. » Dans le même périodique, Châtillon-Plessis s’écrie : « Il manque là-dedans un palais exclusivement culinaire ! Il y a bien le palais de l’Alimentation. Mais ce palais ne devrait-il pas n’être que l’accessoire de celui qui manque69? » Il y a bien en 1900 une exposition de livres de cuisine, à laquelle participe M. Garlin, un ancien collaborateur à l’Art Culinaire70, mais c’est à peine si elle retient l’attention de quiconque, et ce n’est en rien comparable aux démonstrations artistiques des chefs cuisiniers lors d’autres événements contemporains tels que les expositions culinaires et gastronomiques annuelles. Les expositions offriraient plutôt à cet effet une vitrine pour la cuisine rapide, ce que déplore Paul Davignon dans le même périodique : « La soi-disant décadence de la cuisine en France doit être également attribuée à l’emploi des conserves dont on fait une si grande consommation dans les restaurants et même dans les maisons bourgeoises71. » Pour ces conservateurs gastronomiques, la Nation a son espace mais elle a aussi son temps et ses rythmes et l’ajustement des pratiques alimentaires sur le tempo de la cuisine rapide ne mène-t-il pas à un effritement de la singularité nationale ? voire à une soumission à l’empire du temps culturellement vide que voudrait imposer le capitalisme industriel ?
25Même les rapports des jurys, pourtant si prompts à vanter l’inventivité des entrepreneurs français, ne peuvent contourner le sujet en constatant la supériorité britannique dans la production de condiments et en expliquant cela par la fadeur naturelle des mets d’outre-Manche qui demandent « l’adjonction de sauces artificielles72 ». Ils peuvent d’ailleurs emprunter à leur colonie indienne « les plus violents des mixtures incendiaires73 », à mille lieux des mélanges de saveurs subtils et raffinés de la gastronomie française. Notons par ailleurs que la subtilité des condiments américains, plus fins et plus complexes, vient du fait : « qu’un certain nombre de perfectionnements apportés en Amérique au goût des condiments sont dus à des cuisiniers français qui ont réalisé cette finesse, cette mesure si difficile à atteindre74 ». Les cuisiniers français demeurent donc le phare de la civilisation, les gardiens des grandes traditions, mais, ironiquement ceux-ci sont absents des Expositions. Si la mission civilisatrice de la France est un élément central du discours sur l’identité nationale tel que mis en scène aux Expositions universelles parisiennes du xixe siècle75, celle-ci ne serait pas suffisamment mise en évidence dans le domaine où elle brille le plus ardemment. Les auteurs de l’Art culinaire sont sans doute très sévères envers l’Exposition, mais ils matérialisent clairement la césure qui divise l’essence de la singularité française en cette fin-de-siècle, transie autant de prophéties apocalyptiques de la décadence de la civilisation que d’homélies sur les potentiels du progrès technique. Les nouveaux équipements culinaires à l’électricité et au gaz comme la multiplication des types d’établissements de restauration conduit à une « désacralisation des cuisiniers », pour le meilleur selon certains, pour le pire selon d’autres76. L’entrée de ces nouveaux objets techniques qui lézardent les hiérarchies sociales et les noblesses culturelles invite à de nouvelles réflexions sur la nature de la composition du corps politique national. La France qui se présente face au Monde, doit-elle se distinguer par son art culinaire ou son génie industriel ? La réponse qui s’impose est évidente : il faut valoriser les deux sans que l’un se fasse au détriment de l’autre, mais les termes du pacte et la juste répartition des rôles doivent être bien définis. C’est pourquoi l’internationalisation des échanges générée par les Expositions universelles invite les cuisiniers traditionnalistes à proposer une répartition internationale des compétences. Pour Châtillon-Plessis, la cuisine industrielle, c’est-à-dire les procédés de conservation, a certes une grande utilité et : « on ne peut que féliciter la Grande-Bretagne de ses efforts ingénieux et pratiques ». Mais il est bien question d’alimentation et pas de cuisine, de biologie et pas de culture : « Avec elle [la Grande-Bretagne], il ne s’agit pas précisément de manger bien, mais avant tout, de ne pas risquer, de ne pas risquer de mourir de faim. Mes compliments. C’est de la nourriture de siège77. » Le discours de la saine répartition nationale des compétences dans le domaine alimentaire est d’autant plus clair en ce qui concerne les Américains :
Le but cherché par eux n’est-il pas digne de la plus haute estime ?… La nourriture des armées, la saine alimentation des classes modestes, tel est le problème atteint grâce à leurs efforts.
Ce n’est pas l’abondance des conserves Américaines qui nuira au développement de l’élevage Français. La viande fraîche et succulente née de notre sol gardera toujours son exquisité et sa valeur.78
26Il faut d’ailleurs souligner que pour les États-Unis, la participation aux Expositions universelles de 1855 à 1900 se présente d’abord comme une démonstration des progrès industriels que le pays a accomplis au cours de la seconde moitié du xixe siècle, avec des délégations toujours plus importantes et une plus grande part de récompenses à chaque nouvelle exposition79. L’articulation entre technique et identité nationale est à géométrie variable selon les nations et le travail de cette articulation est loin d’être évident car la technique n’est pas que le réceptacle matériel des projections sociales et culturelles, elle agit sur l’organisation sociale et redéfinit les frontières de la culture.
Les bouillons populaires
27Signe des temps de démocratisation et d’urbanisation, les traits caractéristiques de la culture française se disséminent et se retrouvent ailleurs, par exemple dans un restaurant populaire comme les bouillons Duval. Ceux-ci, établis à Paris depuis 1854, doivent justement leur développement en tant qu’établissement populaire à la connexion qu’ils opèrent entre le marché de la restauration et la production alimentaire industrielle, de même qu’à l’instauration d’un nouveau mode de gestion pour la distribution des plats permettant un service rapide pour une clientèle numériquement importante (l’historien Eugen Weber les qualifie même de McDonald’s de l’époque80). Les progrès commerciaux de l’entreprise au cours du siècle lui permettent ainsi d’investir dans la location de plusieurs espaces lors des expositions de la fin du siècle pour la construction de larges établissements pouvant concurrencer par leurs prix compétitifs les restaurants nationaux. Duval compte un restaurant situé près de l’École militaire à l’Exposition de 1878, trois établissements à l’Exposition de 1889, situés aux coins du Champ-de-Mars, et deux établissements à l’Exposition de 1900, dont un immense de trois étages situé sur le quai de Billy à l’extrémité de l’exposition du Vieux Paris. Le contexte d’un événement populaire où les concessionnaires d’établissements de restauration gonflent leurs prix – que ce soit pour profiter de la demande exceptionnelle générée par l’affluence ou pour amortir les coûts de la concession – est évidemment un phénomène connu tant des entrepreneurs que du public. À cet effet, la stratégie de Duval est sans contredit un succès alors que leur nombre de clients est exceptionnellement élevé par rapport aux autres établissements présents à l’intérieur des sites.
28Jean Frollo dans le Petit Parisien constate que : « la classe moyenne, la petite bourgeoisie des travailleurs, multitude affairée qui mange dans le quartier où l’ont entraîné ses affaires et n’a qu’une somme relativement modeste à consacrer à chaque repas81 ». Pour illustrer les dimensions de la consommation alimentaire en contexte d’Exposition universelle, le Rapport général de l’Exposition de 1889 présente les chiffres des Bouillons Duval : 2 445 368 repas servis, pour une moyenne de 13 128 par jour82. La socialité sensorielle des Bouillons Duval lui garantit alors un caractère typique et authentique, et l’expérience du repas dans ces établissements peut alors être décrite, lorsqu’elle met en scène un visiteur extérieur à la communauté populaire parisienne, comme l’expérience d’un retour aux sources ou d’une expédition ethnographique dans un univers qui serait grouillant de réalité. La gravure de l’établissement à l’Exposition de 1878 nous montre d’ailleurs dans la promiscuité des corps de consommateurs entassés aux tables exigües, la variété des accoutrements qui indique la mixité sociale de la clientèle. « Types et coutumes » : le titre de l’illustration est lui-même indicatif de la valeur ethnographique du lieu qui propose un concentré des différentes couches de la culture parisienne dans lesquelles le visiteur peut s’immerger. Le guide publié par Flammarion pour l’Exposition de 1900 indique d’ailleurs qu’un repas au Bouillon peut donner : « une idée de ce qu’est à Paris, un de ces grands établissements populaires83 ». À force d’être devenu un lieu typique de la vie Parisienne, une forme d’exotisme social ou de tourisme de classe s’est développé pour une clientèle aisée désireuse de sentir l’authenticité populaire. La situation est d’ailleurs mise en scène de manière caricaturale dans un roman précédant de quelques années l’Exposition de 1889, Née Michon du journaliste royaliste Henri de Pène. Le personnage du père de l’héroïne, aristocrate converti nouvellement aux idées républicaines, soutient que le repas au Bouillons Duval est le « dernier mot du chic et du copurchic » car il permet aux anciennes classes privilégiées de se « retremper dans le peuple84 ». Il est évident que pour de nombreux esprits, « The tourist is the lowest of the low85 », le touriste occupe les derniers rangs dans la hiérarchie sociale des prestiges, il est celui qu’on raille pour sa superficialité et sa consommation ostentatoire.
29Sociologiquement, le caractère ethnologique de la description de certains établissements populaires qu’on retrouve dans les guides parisiens peut remplir deux fonctions, la première étant de marquer une distinction entre le bourgeois et le peuple (l’observateur souverain et l’observé), la seconde étant d’indiquer de manière détournée un établissement moins cher à un public plutôt disposé à exhiber sa noblesse culturelle86. Cette construction du lieu comme microcosme authentique de la vie sociale parisienne doit cependant être prise au sérieux autrement que par les outils de la sociologie critique car la popularité de ces établissements achalandés est somme toute bien réelle. Aux Expositions, la cuisine des Bouillons répond aux attentes d’un public déjà habitué aux mêmes établissements qui servent d’ailleurs des repas qui, selon un guide, « rappellent la cuisine de famille87 », soit essentiellement bœuf, pain, légumes, vin rouge. Un autre guide de l’Exposition de 1889 souligne que : « Pour le Parisien contemporain, être serré est un inconvénient négligeable ; le principal est d’être servi rapidement, bien, et à bon marché, et ces trois avantages se trouvent réunis aux bouillons Duval88 ». Aux coûts abordables de repas et au service rapide qui attirent forcément une clientèle parisienne importante, s’ajoute ainsi la familiarité des goûts et des odeurs qui se combine au caractère local de l’ambiance générale des Bouillons, caractérisée par l’entassement des consommateurs et la rapidité du service qui évoque le rythme de vie particulier des habitants de la capitale, pour produire une authenticité sensorielle qui donne une valeur ajoutée à l’expérience de consommation.
30En près d’un demi-siècle, l’entreprise a su s’établir dans le quotidien d’un grand nombre de citadins et elle a su développer ses propres codes pour s’établir comme un lieu de tradition dans le paysage culinaire parisien. Pour Alberto Capatti, l’immense Bouillon Duval situé au bord de la Seine en 1900 sert de « Valeur-refuge89 » aux visiteurs. Rapport à ce qui est déjà connu et retour à une naturalité urbaine, si l’on peut s’exprimer ainsi, les Bouillons Duval sont alors déjà bien ancrés dans l’ensemble des référents culturels de la capitale française et les guides étrangers les mentionnent donc à la fois pour leurs avantages économiques et leur ambiance typique. S’ils ne renvoient à mille lieues des hauteurs esthétiques de l’art gastronomie célébré dans les pages de l’Art culinaire, ils incarnent cependant la spécificité d’une culture populaire parisienne. L’uniforme des serveuses est déjà en soi un trait distinctif de l’établissement : « avec leurs petites bonnes accortes dans leurs robes noires dont l’austérité quasi-monacale donne tant de piquant à la pittoresque envolée du papillon blanc qui les coiffe90 » et leur aspect comme leur comportement sont garants de la bonne tenue de l’établissement, aux yeux d’un client britannique : « They are strong, clean, and do not aspire to the flirtation nonsense of barmaids91. » Étienne Grosclaude dans son Exposition comique trouve même une valeur « ethnographique », peut-être celle du bon sauvage local, à ces serveuses lorsqu’il dit qu’à l’Exposition de 1889 : « des serviteurs appartenant aux classes les plus éloignées de l’ethnographie s’y coudoient, bonnes de bouillon Duval ou boys du Kampong Javanais92 ».
Le passé consommé
31Les bouillons, avec leur système de service rapide, le roulement de la clientèle et leur rythme effréné en viennent ainsi à exemplifier l’expérience sensorielle de la ville moderne. Pourtant, il importe aussi de souligner dans les Expositions universelles la présence de contrepoids à cette vitesse urbaine et cette modernité que de nombreux témoins de l’époque perçoivent comme potentiellement destructrice des attachements sociaux et culturels qui seraient le socle de la Nation française. Les Expositions universelles de 1889 et 1900, malgré leurs odes au progrès technique, compensent également le vacarme des turbines dans les galeries des machines par d’autres expositions qui mettent en scène un retour aux origines de la Nation, manières de réinscrire le passé dans le présent pour garantir une continuité dans le sentiment d’appartenance. Soulignons à cet effet la symbolique passéiste attachée à certains produits alcoolisés qu’on y débite, comme le cidre et l’hydromel, productions plus ou moins désuètes, dont on dit dans le rapport du jury qu’elles sont perçues comme des boissons de l’ancien temps mais qui mériteraient justement d’être remises en valeur à l’occasion de l’Exposition. En fait, ce que les organisateurs des Expositions universelles de 1889 et 1900 tentent d’accomplir, c’est une synthèse harmonieuse de deux couplages de termes apparemment oppositionnels pour consolider l’ancrage républicain dans la Nation. Le premier est spatial : Paris et la province, ou ses nombreuses déclinaisons plus ou moins synonymiques comme l’urbain et le rural ou le centre et la périphérie. Le second est temporel et se superpose aisément quoique imparfaitement au premier, la tradition et la modernité.
32L’Exposition de 1889 présente ainsi une histoire de l’habitation humaine montée par Charles Garnier, qui consiste en une reconstitution d’habitations typiques représentant différentes civilisations et qui, par sa composition, en vient à représenter les différentes étapes dans le développement de la civilisation. Ce récit téléologique s’accorde évidemment avec le discours sur le progrès propre aux Expositions universelles, mais il est aussi pertinent de considérer, à côté de la signification de cette exposition, l’importance dans la possibilité qu’elle offre aux visiteurs de baigner dans un autre environnement sensoriel. Le retour à l’état de nature puis à l’enfance de la civilisation qui est proposé au public permet non seulement de mettre en valeur, par la force du contraste, les accomplissements de l’industrie moderne, mais aussi d’offrir un lieu de tranquillité. Après tout, l’efficacité des Expositions universelles tient justement en leurs capacités à assembler différents discours et différentes ambiances. Cependant, c’est surtout en 1900 que ces expositions à saveur rétrospective occupent une place importante. Le développement d’une conscience patrimoniale nationale au tournant du siècle va d’ailleurs de pair non pas avec un refus du changement, mais bien plutôt avec une valorisation du caractère vivant du passé s’opposant à la linéarité technicienne du présent93. Il s’agit de revivifier la Nation en exhumant son passé, en lui donnant corps et chair dans des activités festives qui replongent les visiteurs dans un monde, certes perdu, mais dont la réactualisation permet de réinscrire au présent un lien communautaire pour consolider l’unité de la Nation. La présence de ces reconstitutions vivantes peut alors être interprétée comme un témoignage des incertitudes qui recouvrent le contenu de l’identité nationale française dans le contexte d’un régime politique encore nouvellement établi et fortement contesté, et d’une modernisation urbaine qui entraîne, tant à droite qu’à gauche, un certain nombre de craintes face à une éventuelle fragmentation sociale.
33Deux lieux de l’Exposition universelle de 1900 reçoivent des exhibitions ethnographiques nationales mettant en valeur le passé français. Il y a d’une part, sur la Rive droite, une reconstitution monumentale, celle du Vieux-Paris d’Albert Robida, qui recouvre plus de 6 000 m2. Sur la Rive gauche, à l’esplanade des Invalides, on retrouve quatre villages régionaux : le mas provençal, le village du Poitou, le village auvergnat, et le village breton. Chacune de ces expositions se distingue par son caractère vivant, mettant en scène des habitants exerçant leurs activités quotidiennes et interagissant avec les visiteurs. En ce sens, bien que les discours qui sous-tendent ces expositions divergent, nous pouvons les situer dans la même sensibilité esthétique qui conduit au même moment à la présentation d’expositions ethnographiques de colonisés, aux « rues du Caire » et autres « zoos humains », bien qu’il y ait des différences manifestes dans les récits muséographiques et dans les relations de pouvoir qui s’actualisent dans les interactions entre les visiteurs et les acteurs. Au cœur de la conception de ces tableaux vivants, nous retrouvons l’attention pour le sensible et l’affectif dans la construction d’expositions destinées à la fois à informer et à divertir. Pour Albert Robida, dans l’élaboration du projet de son Vieux Paris, l’objectif est clairement d’instruire les visiteurs sur le patrimoine architectural de la ville tout en leur offrant un ensemble de loisirs et d’attractions pour captiver leur intérêt94. En ce sens, il s’efforce par cette exposition de résoudre la tension entre la valorisation d’un passé disparu et le développement, angoissant pour de nombreux témoins de l’époque, de la consommation en milieu urbain. Albert Robida signale avant l’ouverture de l’Exposition universelle que son Vieux Paris est la plus importante exposition privée jamais tenue à l’intérieur d’une Exposition universelle95. Il s’agit d’un travail de commercialisation d’un passé médiéval, alors en vogue à la fin du siècle aussi bien dans les milieux populaires que les élites intellectuelles, qui utilise les techniques de publicité les plus récentes pour vendre l’exposition96. Soulignons le grand nombre d’établissements de consommation à l’intérieur du périmètre du « Vieux-Paris » ; quatre restaurants : La Taverne du Pré-au-Clercs, l’Auberge des Nations, le Cabaret des Halles et le Cabaret de la Pomme de Pin, et de nombreux commerces vendant des produits alimentaires : Au Lansquenet (beignets), À l’Oriflant (cafés), Au Puissant Vin (champagne), Le Heaume (confiserie et pains d’épices), Aux Armes de Normandie (crêpes et cidre), À la Bonne Femme (galette et brioche), Au Cygne de la Croix (thé et lait), Au Moule à Gaufres (gaufres), À la Naïade (eaux de Vichy), Aux Armes du Périgord (gaufres), À la Perruche (chocolat à la tasse), Au Grand Châtelet (pâtisseries)97. Voilà la scène décrite dans le guide d’Alexis Carraud :
Une nombreuse figuration complète l’illusion de ce décor : aux portes d’entrée, des sentinelles en casaque de buffle, bourguignotte en tête et arquebuse sur l’épaule ; dans les rues, sur les places, dans les carrefours, des cavaliers empanachés, de gentes dames aux toilettes suggestives, des escholiers, des truands, des malandrins, des tire-laine s’esbaudissant sous l’œil indulgent du guet ; dans les tavernes, d’accortes servantes débitent la cervoise ; au pont de Change, des marchandes provoquent les chalands.98
34Le visiteur provincial Jacques de la Forge, qui considère le vieux Paris comme l’un des « clous » de l’Exposition, dit que : « L’univers viendra s’égarer dans ses rues tortueuses, s’esbaudir à ses théâtres, humer le piot dans ses tavernes, où l’on boira sans doute force bière de l’époque99. » Alors qu’au palais de l’Alimentation, les robinets de bière témoignent de la modernisation récente de cette industrie nationale, ici, dans un autre contexte avec une autre ambiance, et un autre vocabulaire parsemé d’archaïsmes, elle symbolise un retour vers un passé plus vivant, plus festif, plus insouciant. Alors que là, sa valeur découle de son lien avec les machines qui permettent sa production, ici, sa valeur découle de la socialité associée au lieu de consommation. Les tavernes sont alors en vogue dans le Paris de la fin du siècle et l’« Esprit gaulois » qu’on associe alors à Rabelais et Villon joue un rôle important comme référent identitaire à un passé vivant. À cet effet, le Moyen-Âge présenté par Robida est un Moyen-Âge populaire, porteur d’un discours essentiellement démocratique, mettant en valeur l’activité des artisans et des petits commerçants plutôt que celle des seigneurs et des ecclésiastiques100.
35Ce retour aux traditions ancestrales qui permet de tempérer le ton industriel, voire futuriste, des Expositions universelles, n’est cependant pas une nouveauté de la fin du xixe siècle. La présentation d’expositions mettant en valeur le monde paysan date de l’Exposition nationale de 1849101 et dès 1867, il y a une exposition de costumes français (bretons, alsaciens, auvergnats et normands)102, une tendance forte que l’on observe dans les autres Expositions universelles de la même époque103. En 1900, alors que le siècle se clôt et qu’il est temps de regarder comme le dieu Janus à la fois en avant et en arrière, l’Exposition propose un bilan d’un siècle et adjoignant à chaque groupe des sections rétrospectives qui présentent l’histoire des développements des différentes industries au fil du siècle. Le passé occupe un espace plus important qu’auparavant et autant peut-on en dire des provinces françaises. Leur rapport avec les grandes expositions parisiennes de l’époque est souvent perçu alors de manière problématique, notamment par l’économiste Paul Leroy-Beaulieu qui, dans un article de 1895, dénonce la tenue de ces grandes expositions qui selon lui ne font qu’accentuer la disparité économique entre Paris et les provinces en drainant pour un moment toute la population et tous les capitaux du pays104. La thèse inverse est cependant défendue par ceux qui prétendent que grâce à l’Exposition universelle, de nombreuses industries situées en province bénéficient d’une visibilité qu’elles n’auraient pas autrement. Pour Alfred Neymarck, l’Exposition universelle permet d’affermir les liens de dépendance économique entre Paris et les provinces, et c’est aussi le point de vue des organisateurs des Expositions de 1889 et 1900. La valorisation de l’ensemble du territoire national et des liens forts qui unissent les différentes régions de l’État-Nation prend cependant une nouvelle dimension sous les premières années de la IIIe République. Plus que jamais, la France est valorisée comme « variété dans l’unité », un discours qui dit la différence « en lui déniant toute valeur adversative105 ». Si les expositions célèbrent la grandeur de la capitale, placent Paris au centre du monde et en font le lieu d’ancrage de l’unité nationale, paradoxalement, comme l’a montré Olivier Ihl, les expositions participent aussi en tant que rituel politique républicain à un démontage de l’opposition entre centre et périphérie caractéristique de l’incarnation du pouvoir royal sous l’ancien régime pour mieux mettre en valeur l’ensemble du territoire de l’État-Nation106. De plus, sur le point précis de la circulation et la distribution des aliments, c’est justement la centralité commerciale de Paris, lieu où convergent et d’où partent les marchandises, qui contribue à lier entre eux différents espaces du territoire national et à rassembler sur un même plan, celui de la Nation, les singularités régionales107.
36C’est ainsi que doivent être approchés les villages régionaux reconstitués et placés les uns à côté des autres à l’esplanade des Invalides en 1900. De plus, ils s’inscrivent dans le développement du tourisme avec l’évolution des transports qui jouent un rôle essentiel dans la mise en valeur des traditions régionales108. Si l’on se déplace plus loin dans le temps, la chose prend encore une tout autre ampleur lors de l’Exposition de 1937109. Comme le souligne Julia Csergo : « Sous l’emprise de ce discours régionalisant, le déplacement, du moins symbolique, de la primauté gastronomique de Paris vers la province se trouve encore renforcé par l’accroissement du poids de la localité et de la ruralité sous une IIIe République attentive à susciter, dès son installation, un sentiment d’appartenance républicaine dans des campagnes encore largement bonapartistes110. » La réactualisation vivante du passé est ainsi une composante profondément présente dans ces reconstitutions villageoises. Le vocabulaire utilisé par le journaliste René Huette, dans la revue L’Exposition et ses attractions, est à cet effet explicite. Dans un article intitulé « La vieille France à l’Exposition », il nous explique que l’objectif de ces villages est de : « Faire revivre à l’Exposition de 1900, auprès de toutes les merveilles des arts et des industries modernes, notre vieille France architecturale, ethnographique et pittoresque, dans une savante restitution ou une reproduction fidèle de ses vieux monuments, une évocation de ses antiques usages, de ses anciens costumes, quelle magnifique entreprise, bien digne de tenter les artistes et les érudits111. » L’historienne Isabelle Collet, dans son étude des reconstitutions de villages régionaux, explique qu’ils s’insèrent dans un univers de représentations des provinces françaises, déjà présent dans les romans rustiques contemporains qui dépeignent les régions sur un ton aimablement pittoresque112. L’Exposition du siècle dit d’ailleurs : « Puisqu’on reconstituait le « Vieux Paris », pourquoi chaque province n’aurait-elle pas sa reconstitution particulière dans l’enceinte de cette Exposition qui appartient tout autant à la province qu’à Paris113 ? »
37À l’exemple des différents quartiers du Vieux Paris, chacun des villages a son établissement culinaire qui prépare sur place et sert le plat typique de la région. Le restaurant du village provençal sert de la bouillabaisse, au cœur du village breton on trouve une crêperie et l’Hostellerie de la Duchesse Anne sert cidre et muscadet, le restaurant auvergnat offre un gigot brayaude et pour l’Hostellerie de la Mélusine au village du Poitou, on sert des fouaces, pâtisseries de la région. Le guide italien de G. Barbesi défend d’ailleurs l’idée en 1900 que la supériorité de la cuisine française tient à la fois à son habilité à adopter d’autres plats, de même qu’à la diversité de ses spécialités régionales :
Una delle ragioni per cui la cucina francese è la prima ordi tutte, consiste nell’abilità sua di adottare i piatti migliori forestieri e provinciali, perfezionandoli ; cosi fece per la birra tedesca, il rostbeef inglese, il maccheroni all’italiana – ahimè ! quanto rovinandoli invece, questi ! – il vino di Chianti, il caviale russo, le acciughe svedesi, le ostriche di Ostenda, la bouillabaisse di Marsiglia, la trippa di Caen, le salciccie di Strasburgo, le allodole di Pethiviers, et le andouillettes di Troyes.114
38Mais la construction d’un passé à consommer ne se limite évidemment pas à la marchandise elle-même ingérée et, comme nous le montre le cas du Vieux-Paris, elle ne prend réellement son poids symbolique et identitaire que par son insertion dans un paysage multisensoriel entretenu par un assemblage d’équipements et d’acteurs. Ceux qui attirent le plus l’attention sont évidemment les femmes servant mets et boissons régionales en costumes traditionnels qui ajoutent à l’expérience gustative les costumes et les sonorités des régions. Les Provençales du restaurant arlésien font d’ailleurs entendre aux clients leur « musical accent de Mireille115 ». Les représentations de la féminité jouent ainsi un rôle déterminant dans le grand partage entre la nature et la technique à l’intérieur des ambiances contrastives de la communauté pastorale et de l’urbanité industrielle qui sont recréées lors des grandes expositions. Dans de nombreux lieux de consommation où les référents des traditions culturelles sont mis en scène, la figure de la serveuse folklorique en costume paysan est effectivement reprise pour incarner le retour aux racines, le point de fuite de ces tableaux identitaires où nature et culture vivent en symbiose.
39Les gravures de P. Kauffmann représentant des servantes exotiques ou provinciales à l’Exposition de 1900 nous plongent dans cet univers sensoriel où des serveuses évoluent dans des établissements pour incarner des types ethnoculturels qui contribuent à construire une ambiance d’authenticité traditionnelle et à donner ainsi une valeur ajoutée à l’expérience de la consommation. Le fait qu’on y consacre ainsi deux séries d’illustrations et un article particulier sur le sujet signé Edgar Troimaux tend à nous confirmer qu’elles font partie, comme le dit l’auteur, des nombreuses « curiosités » qui s’offrent aux amateurs qui arpentent les allées de l’Exposition. À cet effet, l’intérêt des costumes « pittoresques » des employées renvoie à ce qui est déjà perçu à l’époque comme un monde en perdition, pour le meilleur et pour le pire, sous le rouleau compresseur de la modernité. À propos des Normands, Troimaux souligne que ceux-ci : « en relations constantes avec Paris et les baigneurs qui fréquentent la côte, ont à peu près totalement abandonné leurs modes locales ; cependant, les femmes du pays de Caux ont eu le bon esprit de conserver leurs coiffes si originales, et l’on en voit deux ou trois qui offrent aux passants leur pichet de cidre mousseux. Mais vous chercheriez vainement la légendaire Normande qui arborait jadis si crânement le bonnet de coton et fumait le brûle-gueule116. » Permettons-nous à cet effet de souligner les différences dans les représentations entre certaines serveuses provinciales, qui arborent un aspect plus maternel, et les serveuses exotiques qui animent d’autres désirs. Aux « robustes gaillardes » du Berry, on opposera les serveuses japonaises dont on dit qu’elles sont : « si douces, si lentes, si charmeuses, si énigmatiques117 », quoi que du côté français, les « jolies Poitevines » et les « jolies Arlésiennes » fassent également bonne figure. On ne peut que constater la prégnance dans ces mises en scène des deux figures les plus archétypales du féminin, désir et maternité, pour accompagner l’activité toute naturelle de s’alimenter à l’Exposition. L’économie des regards qui est façonnée à l’intérieur des lieux de consommation réitère de cette manière les grands partages qui organisent l’économie des significations dans l’univers moderniste de l’Exposition : la ville et la campagne, le corps et l’esprit, le public et le privé, l’homme et la femme.
40Les services de restauration dans les reconstitutions villageoises de l’Exposition universelle contribuent ainsi à charger les rôles sociaux féminins de différentes versions des mythes du retour à la Nature, entre pureté ancestrale du sol, communion familiale et évasion libidinale. Le corps public des serveuses offert aux sens des visiteurs incarne lui-même la double altérité temporelle constitutive de l’authenticité de l’expérience de consommation du terroir, celle d’une époque révolue par le progrès et celle d’une autre manière de vivre, d’un autre rythme d’activités plus paisible en stimuli sensoriels. Le contraste rythmique qui émerge avec le lourd passage quotidien de la masse de visiteurs à l’intérieur de ces environnements reconstitués exprime lui-même les frictions qui tissent le vécu de l’événement. Edgar Troimaux décrit l’étonnement ressenti par les employées poitevines devant la foule de clients parisiens : « leur teint frais, leurs grands yeux étonnés, leur sourire naïf et doux, leurs gestes lents et timides témoignent qu’elles n’ont point encore pris l’habitude des grandes villes et qu’elles se sentent gênées au milieu de la foule turbulente et gouailleuse des Parisiens118 ». Malgré la constitution de lieux tels que ces villages qui forment des poches de tranquillité sensorielle à l’intérieur de l’Exposition, l’ouverture de l’espace public crée malgré tout pour certains acteurs une sensation d’aliénation119.
41Cela confirme l’importance des caractéristiques sensibles du lieu dans la construction d’un paysage mémoriel participant à l’identification des terroirs. La présentation de mets typiques offerts à la clientèle métropolitaine ou cosmopolite pour lui faire apprécier leur valeur intrinsèque passe par la création d’écosystèmes culturels ou d’environnements à l’intérieur de l’Exposition universelle, où les visiteurs s’engagent intimement dans leurs explorations et leurs découvertes en s’imprégnant corporellement des ambiances construites pour la consommation en plus d’incorporer les mets et les aliments120. Par exemple, à l’exposition du mas provençal, le jardin qui entoure le village est peuplé de pins et d’oliviers, et le visiteur peut y voir et entendre des joueurs de galoubet et tambourinaires. À côté, est construite une section du vieil Arles comprenant également un restaurant où, selon quelques guides, il faut noter la mise de table en terraille antique de Provence121. Faire vivre et faire connaître, les cinq sens et l’intellect sont ainsi appelés dans cette redécouverte de la vielle province du midi : « les oreilles, les yeux, l’estomac et l’esprit y seront satisfaits122 ». Du côté de l’exposition de la Bretagne, organisée par Guiyesse, député du Morbihan, l’objectif affirmé est de présenter : « tout ce qui constitue le génie armoricain123 », où notamment « [d]e véritables bretonnes en costume national servent le cidre et l’hydromel dans une auberge du plus pur style breton124 ». L’écrivain J. Brélivet, dans un roman moraliste pour enfants qui relate le séjour d’un groupe de Bretons à l’Exposition de 1900 raconte alors la joie des protagonistes retrouvant au village leur cidre breton (car « Les Parisiens ne manquent pas de perfectionner tout ce qui leur tombe sous la main, mais ils n’en sont pas arrivés à fabriquer de ce cidre qui devait être la boisson des dieux »), leur lait de vache bretonne, leurs crêpes et leur côtelette de mouton pré-salé125. Une approche environnementale de ces expositions où l’on consomme nous invite donc à considérer le réseau d’objets matériels qui participent à la construction identitaire de l’espace sensible et dont l’actantialité soutient elle-même le mouvement du lieu, la « temporalité du paysage126 ».
42Pour chacune de ces expositions vivantes, il s’agit donc de jouer sur l’incarnation du passé en un patrimoine sensible qui se transmet vers le public par des pratiques d’incorporation127. L’ingestion corporelle, comme la reconstitution d’un environnement sensoriel adéquat, sont ainsi valorisés en tant que garanties d’authenticité, puisqu’elles amènent le visiteur dans un contexte d’expérience culturelle immédiate128. La pluralité des sensations offertes à l’Exposition est aussi une pluralité des sensibilités, entre exaltation du progrès et ancrage identitaire dans les traditions ancestrales. 1900 est à cet effet symptomatique de cette coexistence des régimes d’historicité alors que certains déplorent la persistance de styles architecturaux traditionnels qui rendent le passé trop présent dans le contexte d’une Exposition universelle129. Rendre les choses publiques ouvre des espaces discursifs et, comme nous pouvons le constater, la réification des identités culinaires régionales dans des ersatz de villages conduit aussi à des interactions vivantes qui entretiennent l’activité du site et contribuent tant à la valeur culturelle des mets qu’à la valeur de l’expérience de consommation à l’Exposition.
La singularité des vins
43Singularité française s’il en est une que celle du vin qui, par le millésime, fait explicitement référence aux particularités exceptionnelles d’un temps et d’un lieu130. Le rapport général de 1889 indique que : « La France a toujours été le centre du monde vinicole, ses crus restent pour la plupart inimitables131 », et l’Exposition est le lieu pour présenter et souligner publiquement les facteurs qui expliquent l’inimitabilité du caractère français en la matière. Dans une approche non essentialiste et irréductionniste de la valeur, il devient alors pertinent d’analyser la construction de cette inimitabilité en mettant en lumière les conceptions qui orientent l’établissement de registres de valorisation qui, à l’occasion de l’Exposition, seront mis à l’épreuve par des registres concurrents. Si la notion de terroir ne revient que très rarement dans les documents sur les Expositions de 1889 et 1900, elle imprègne néanmoins à l’époque les cadres de perception de la qualité alimentaire au point de prendre une dimension substantialiste dans les discours qui affirment la spécificité de l’agriculture et de la cuisine françaises132. Cependant, le discours essentialiste sur l’identité des régions vinicoles qui réduit leurs qualités aux données naturelles est lui-même contredit par la pratique dans le cadre même des Expositions universelles. L’histoire des grands terroirs viticoles tels que le Bordelais ou la Bourgogne montre que leur caractère incomparable s’est construit à la suite de nombreuses interventions humaines sur les conditions naturelles de production, du climat à la pédologie133. Dans le cas particulier du vin, où les caractéristiques gustatives sont particulièrement sensibles aux infimes variations environnementales et aux multiples interventions qui accompagnent sa production, les expositions sur la vigne et le vin présentées à Paris en 1889 et 1900 montrent précisément les différents assemblages où s’effectue l’entrelacement intime entre l’homme et le sol, les manières de faire et les enracinements territoriaux, les traditions et l’industrie, la nature et la culture.
44L’importance de l’industrie vinicole en France est évidemment tant hautement significative sur le plan symbolique à l’échelle des référents identitaires nationaux que dominante quantitativement à chacune des Expositions. En 1889, la classe 73 des boissons fermentées est la classe la plus importante non seulement dans le strict registre alimentaire, mais aussi de toute l’Exposition avec ses 8 315 exposants134. À l’Exposition suivante, le nombre d’exposants dans la classe 60 (vins et eaux-de-vie de vin) est supérieur à 10 000135 et les organisateurs construisent, dans la partie est de l’ancienne galerie des machines devenue palais de l’Alimentation, une cité des vignobles qui est la reconstitution de monuments « les plus caractéristiques » des différentes régions vinicoles136. Pour ajouter à la couleur locale, dans le même ton que celui des établissements dans les villages reconstitués, de nombreux producteurs établissent des bars où les boissons sont servies « par des personnes ; dont les costumes gracieux et pittoresques donnaient un charme de plus à cette partie de l’Exposition137 ». L’exposition du vin amalgame les représentations typiques des terroirs avec celles des avancées techniques de l’industrie ; l’objectivité brute de la production matérielle des marchandises s’entremêle avec la subjectivité de la valorisation culturelle de la production vinicole nationale. Il est alors intéressant de constater que dans les deux Expositions, la dimension informative d’intérêt économique sur le vin qui s’adresse au consommateur fonctionne en symbiose avec la dimension pittoresque qui s’adresse à l’attachement affectif des visiteurs aux terroirs. Nous avons vu comment ce phénomène se manifeste dans le cas de la bière, où, en 1900, il est possible de distinguer plusieurs espaces qui ont chacun leur régime de valorisation. La bière valorisée comme industrie nationale auprès des consommateurs se trouve au palais de l’Alimentation et la bière valorisée comme tradition nationale auprès des citoyens se trouve dans les établissements des villages reconstitués. Dans le cas du vin, le problème se pose différemment pour deux raisons. D’une part, la France n’est pas en position défensive face à de plus puissants concurrents internationaux, comme c’est le cas pour la bière. Elle doit simplement rappeler et répéter l’exceptionnalité, déjà mondialement admise, des vins français alors que les principaux écueils au développement de l’industrie viticole sont internes, comme les fraudes ou le phylloxéra. En 1878 et 1889, au cœur de la crise phylloxérique, les Expositions présentent les efforts de la lutte contre le fléau qui ravage la production, alors qu’en 1900, l’Exposition montre « à l’univers la France victorieuse du phylloxéra et des autres maladies de la vigne, ayant reconstitué ses vignobles et reconquis intégralement son antique splendeur138 ». D’autre part, alors que les brasseurs français du xixe siècle insistent d’abord et avant tout sur leur savoir-faire d’avant-garde en matière de techniques de production, la singularité de la production vinicole française, déjà ancrée historiquement, se trouve justifiée sur le registre du terroir qui tend à désigner « aussi bien des qualités de sols, de climats, que des pratiques traditionnelles légitimées par la loi139 ». La mise en scène de la production qui insiste sur les spécificités de chaque terroir est ainsi une manière de souligner le caractère multidimensionnel de la marchandise, en exhibant la variété des caractéristiques qui rendent un vin singulier140.
45Des comptoirs de dégustation sont ainsi construits pour permettre au visiteur d’évaluer lui-même la validité du discours publicitaire sur le vin. L’espace consacré aux comptoirs de dégustation pour les liquides alcoolisés est d’ailleurs justifié plus loin dans le Rapport. Pour un liquide, plus encore que pour un mets ou un produit alimentaire solide, le sens du goût est fondamental pour son appréciation, car elle ne peut se baser uniquement sur l’apparence visuelle du produit : « les rangées interminables de fûts et de bouteilles ne révèlent pas leurs secrets à la curiosité du public ; tout au plus admire-t-il la couleur et la limpidité du contenu de certains flacons ; la saveur, le bouquet et l’arôme, c’est-à-dire les points essentiels n’apparaissent nullement141 ». Cette attention, ainsi évoquée, est déjà indicative du rôle central occupé par le consommateur dans l’épreuve du produit lors de sa mise en marché. La consommation se démocratise et les producteurs qui font face à une hausse de la concurrence doivent mettre en valeur la spécificité gustative de leur marchandise auprès d’un éventuel public. Mais cette justification de la présence des comptoirs de dégustation pour la mise en valeur du vin montre aussi le caractère irréductible de l’appréciation sensible des produits pour leur qualification, la seule à même de pénétrer toute leur subtilité. Le moment liminaire de la dégustation publique, cet instant d’incertitude où l’objet vient aux sens du consommateur, est alors formalisé dans le cadre de l’Exposition où la confrontation des différents produits dans un contexte construit de neutralité permet aux goûteurs d’ouvrir un espace idéal de comparaisons d’où peuvent émerger de nouvelles sensibilités gustatives142. Le vin est « l’un des produits alimentaires qui suscite le plus de difficultés et de tentatives d’objectivation de sa qualité143 » mais, en raison même de sa complexité, il est également un produit qui se distingue par la variété du nombre de procédures de qualifications dont il est l’objet.
46C’est là qu’apparaît le rôle médiateur de l’Exposition universelle. Elle agit en tant que lieu où se constitue un attachement entre tous les acteurs impliqués dans la production et la consommation du vin, pour l’échange d’une information économique, scientifique et gustative sur la production du vin de manière à garantir le fonctionnement du marché pour ce produit singulier dont les critères de qualification sont multiples. Alors que l’économie de marché intègre progressivement de nouveaux produits et la consommation se démocratise vers les classes les moins aisées, le rapport entre producteurs et consommateurs devient de plus en plus incertain par la multiplication quantitative et qualitative tant des clients que des marchandises. Le rapport du jury de l’Exposition de 1889 décrit ainsi la situation d’incertitude à laquelle l’Exposition doit s’efforcer de remédier : « En France, où la fortune est très divisée, la moindre expérience devient ruineuse pour beaucoup de particuliers si elle vient à échouer. Dès lors, avant d’acheter du vin, de planter un cépage, de donner leur préférence à un type de bière, beaucoup hésitent et ne se décident qu’après avoir réuni tous les éléments d’appréciation144. » L’exposition des vins a donc deux principaux objectifs : « éclairer le consommateur sur les prix et sur les qualités des divers produits » et « perfectionner l’instruction technique du producteur, lui soumettre les divers modes d’action auxquels il peut avoir recours et lui montrer les résultats acquis145 ». La construction et la formalisation d’attachements entre les différents mondes du vin pour formaliser le marché sont d’ailleurs encore plus explicites en 1900 alors que l’Exposition réunit en un même lieu la classe 36 (matériels et procédés de la viticulture) et la classe 60 (produits alimentaires d’origine viticole, vins et eaux-de-vie de vin). Le Rapport du jury souligne : « On a pu voir entremêlés par une disposition des plus heureuses : la viticulture et le commerce ; les instruments aratoires, les outils du vigneron, les appareils de la vinification, ceux de l’œnologie et de la distillerie146 ». Pour les consommateurs, l’exposition et la dégustation de vins permettant de tester la marchandise leur fournissent un ensemble d’informations nécessaires pour la conduite d’une consommation éclairée. Pour les producteurs, l’exposition et les kiosques de dégustation leur permettent d’inscrire les marchandises dans un espace public matériellement organisé pour dissiper les éventuelles sources de défiance de la part des négociants et des consommateurs. Pour les négociants, l’Exposition leur permet de s’informer à la fois sur les méthodes des producteurs pour développer une expertise dans la détection des fraudes et sur les goûts du public et les différentes catégories de consommateurs pour la mise en marché des produits147. Chacun de ces groupes se retrouve dans un contexte d’action où interviennent plusieurs facteurs de brouillage qui pèsent sur le fonctionnement du marché et l’exposition agit alors à la manière de ce que Lucien Karpik appelle un dispositif de jugement148, un générateur d’information qui permet d’éclairer les acteurs dans une économie anxiogène du fait de son opacité. Dans cette optique, le rôle des jurys dans l’attribution des récompenses ne se limite pas à la fonction d’arbitrer les luttes entre les différents participants à ces concours pacifiques qui pourront ultérieurement jouir du capital symbolique que garantit l’obtention d’une médaille. Ils remplissent également la fonction pragmatique de distribuer par une pratique d’expertise des qualités générales sur des produits qui ont pour effet de contribuer à formaliser la relation entre le consommateur, le négociant et le producteur.
47C’est la raison pour laquelle l’Exposition devient un lieu d’opposition contre la prolifération des récupérations d’appellations et la menace de ce qui est perçu comme une fraude commise à l’endroit du consommateur. C’est par exemple le cas au sujet des importations de vin algérien, sujettes à des ajouts d’eau avec des colorants, d’alcool ou de glycérine : « Bon nombre de commerçants parisiens ont, on le sait, la fâcheuse habitude de vendre sous la rubrique de vins algériens des produits qui viennent de toute autre provenance que de notre colonie d’Afrique, ou qui ont subi des falsifications qui les dénaturent complètement149. » Les sections algériennes des Expositions de 1889 et 1900 bénéficient ainsi de comptoirs de dégustations qui permettent aux consommateurs de déguster d’authentiques crus, « qui n’ont du reste aucun rapport, avec les espèces de mélanges ou de falsifications, vendues comme vins d’Algérie150 ». Le contexte d’incertitudes alimentaires à la fin du siècle génère donc un développement des procédures d’authentification, par la définition juridique des éléments constitutifs de la propriété culturelle. Comme le dit Jean-Pierre Warnier : « l’institutionnalisation des procédures d’authentification, en tant que phénomène historique, doit beaucoup à l’histoire du faux et de la fraude, car la question de l’authenticité se pose dès que la fraude devient possible151 ». À cet effet, il devient pertinent de rappeler que pour le vin, la notion de falsification prend une grande importance politique et économique en France à la fin du xixe siècle. Avec l’industrialisation des techniques de production et le développement du commerce international, l’établissement de « types » de vins constants et standardisés devient essentiel pour l’insertion des produits sur un marché qui se mondialise152. La présence des vins falsifiés a alors pour effet direct de brouiller les prévisions sur les mécanismes du marché en propageant des informations trompeuses sur les produits.
48De plus, c’est à cette époque que, en France, sous l’impulsion du mouvement ruraliste et protectionniste, les références aux régions deviennent de plus en plus constitutives des représentations de l’identité nationales153, ce qui mène à une série de mesures pour l’appellation d’origine contrôlée prises de 1905 à 1908 à l’Assemblée nationale pour la protection de l’utilisation des appellations régionales154. C’est ainsi qu’à l’Exposition de 1900, le Jury des vins présidé par Gustave Kester prend le 19 juin 1900 une résolution indiquant que les vins affichant une étiquette avec une fausse indication de leur origine ne seraient pas examinés par le jury, donc exclus de la compétition officielle. Cette réglementation de dernière minute sur les appellations engendre évidemment la contestation des concurrents directement visés par cette mesure, qui ont d’ailleurs eux aussi leur propre perspective sur ce qui constitue l’authenticité d’un produit. C’est le cas particulièrement des représentants Américains. Un grand nombre de vins américains exposés sont touchés par cette mesure. Une lettre que H.W. Wiley, membre du Jury et chimiste en chef au Département d’agriculture à Washington, adresse à F.W. Peck, Commissaire général de l’Exposition américaine, expose la situation : des appellations telles que Bourgogne, Sauterne, Chablis sont utilisées pour dénoter des types de vins, sans aucune intention de tromper la clientèle sur leur provenance, alors que chaque étiquette de vin américain est claire sur l’origine du produit avec l’indication du vignoble et l’adresse du producteur. Les problèmes que soulève Wiley résident dans le fait que cette mesure est prise si tardivement alors que les vins sont déjà disposés pour l’évaluation, et aussi qu’en 1889, les mêmes vins, portant les mêmes étiquettes, étaient éligibles à la compétition et ont même remporté des médailles155. Les sensibilités ne sont plus les mêmes en 1900 et dans cette controverse qui émerge lors de l’Exposition universelle, l’objet du débat, ce à quoi renvoie un nom propre, ouvre une discussion sur ce qui garantit l’unicité d’un vin. Écoutons les discours de H.W. Wiley dans l’introduction de son rapport sur les vins américains à l’Exposition de 1900 :
It is now well established that the character of a wine depends solely upon its chemical composition. It is further established that this character depends, first, upon the constitution of the grape itself, and second, upon the changes to which the grape juices are subjected in passing from the fresh state to that of the finished wine. These changes are wholly of a chemical nature, and are induced chiefly by certain chemical reagents known as ferments.156
49Le chimiste Harvey Washington Wiley est d’ailleurs aujourd’hui connu aux États-Unis pour son action dans la promulgation du Pure Food and Drugs Act de 1906 sur l’hygiène et l’étiquetage des aliments, et pour la défense d’une définition strictement chimique de la « pureté » alimentaire dans un contexte de mutation des habitudes alimentaires et d’introduction de nouveaux produits sur le marché, tels que la margarine, la poudre d’alun ou divers types d’aliments en conserve, générant des craintes chez certains producteurs sur leur part du marché et des doutes chez des consommateurs à propos de leur santé157. Dans la perspective de Wiley qu’on pourrait qualifier de « naturaliste » et qui n’accorde de valeur de réalité en dernière instance qu’à la composition moléculaire des choses, celui-ci est donc d’emblée moins réceptif aux arguments sur la particularité culturelle des traditions vinicoles. Les variations culturelles sont ainsi perçues comme étant peu significatives dans la détermination de la qualité d’un produit par rapport à la neutralité scientifique de la composition chimique des crus, eux-mêmes déterminés, d’abord et avant tout, par la constitution biologique du raisin et la méthode de fermentation plutôt que par les particularités géologiques des vignobles. Le contenu des références aux vignobles français dans l’étiquetage des vins américains ne renvoie donc plus au sol, à la terre d’origine, ou à la tradition, dont les spécificités naturelles et culturelles ne sont pas perçues comme importantes dans la fabrication du vin, mais simplement à l’origine des cépages et au mode de fabrication. Sous cette perspective « naturaliste » de la production vinicole qui réduit la qualité d’un vin à des critères chimiques, il est évident que l’enjeu de la singularité du nom, et du produit qui lui est associé, ne se pose pas : « Has not the vinedresser the right to present these different wines to the public under the name of their prototypes, provided their American origin is not concealed or rendered doubtful158 ? »
50Dans une économie où la qualité d’une marchandise se limite d’abord et avant tout à sa composition moléculaire expliquée uniquement par la qualité du cépage et le mode de fermentation, la notion de falsification ne se pose donc plus de la même manière, et ne peut plus recouvrir des facteurs comme l’héritage historique d’une production ou le rapport d’une communauté à son terroir, d’où l’incompréhension de Wiley devant la mesure prise par le jury. Le caractère public de l’Exposition universelle contribue ainsi à mettre au jour deux conceptions conflictuelles de la pureté alimentaire, qui chacune s’inscrivent dans les contextes économiques et politiques particuliers de France et des États-Unis. D’un côté, on isole un nombre réduit de caractéristiques standardisées et universelles susceptibles de déterminer la qualité objective et commensurable d’un produit mis en marché, de l’autre, on insiste sur l’infinité des facteurs qui rendent un produit singulier et inimitable.
51Aux expositions parisiennes c’est justement dans l’objectif de mettre en valeur ces dimensions propres aux vignobles de France et toute la constellation de facteurs qui rendraient impossible une reproduction exacte des grands crus français que sont constituées les expositions des productions vinicoles régionales. Parmi les groupes de producteurs craignant le plus la menace des falsifications, il y a ceux de Champagne qui bénéficient d’une grande représentation dans chacune des Expositions universelles de 1889 et de 1900. Avant la première guerre mondiale, le champagne est central dans la culture bourgeoise alors qu’il est utilisé dans de nombreux événements. Le vin mousseux est alors utilisé tant pour délimiter des frontières sociales, en tant que produit de qualité supérieure, que pour créer de nouvelles solidarités, par son utilisation courante dans les rituels collectifs qui s’intensifient sous la République159. L’importance symbolique du champagne comme marqueur social et outil de socialisation est ainsi intimement liée aux débats sur l’authentification du produit. La publicité du vin, à la fin du xixe siècle, s’appuie alors sur le récit d’un héritage historique noble et sur l’existence d’une communauté régionale de producteurs dont l’ancrage territorial est constitutif de l’identité vinicole160. Le caractère « magique » et « inimitable » du produit qui justifie sa renommée est indissociable de la dimension aristocratique qu’on lui prête, et celle-ci ne prend sens que dans un contexte d’extension démographique du public de consommateurs et de développement des moyens de transports et des outils de production qui permettent d’étendre socialement et géographiquement l’offre des produits alimentaires de qualité.
52Mais l’un des aspects les plus significatifs dans la publicité du produit qui soutient le discours sur son exceptionnalité est sa capacité à transcender les considérations bassement commerciales. Lisons le discours de M. Walbaum, président du syndicat du commerce des vins de Champagne à l’Exposition de 1889, dans lequel il exprime les enjeux de l’Exposition pour la production vinicole champenoise :
Ce n’est pas dans un but de réclame vulgaire que notre commerce a voulu prendre part à ce magnifique concours de l’Exposition universelle de 1889, dont le succès est si merveilleux : ce que nous avons cherché, c’est de faire connaître notre chère Champagne viticole, la nature et le mode de culture de ses vignes, l’importance de sa production, l’extension de son importation, luttant incessamment contre les concurrences qui s’abritent sous son nom magique, mais sans pouvoir égaler ses inimitables produits, dont les qualités spéciales et précieuses sont un don de la nature, que peuvent seuls posséder les produits fournis par le sol champenois.
Ce que nous avons voulu faire connaître encore, c’est le travail minutieux et les soins multiples et délicats que réclament les vins de Champagne, depuis le moment où les raisins cueillis dans les vignes sont chargés sur le pressoir et pressurés, jusqu’au moment où la bouteille, prête à être livrée à la consommation, reçoit sa dernière et élégante toilette, pour être emballée et expédiée sous toutes les latitudes : dans les contrées les plus froides comme dans les régions les plus chaudes.
Pour atteindre ce but, notre commerce, réuni dans un esprit fraternel de solidarité, a mis de côté toute idée personnelle et toute pensée de concurrence, n’ayant en vue que de conserver intact sa vieille renommée d’honneur commercial, et fier en même temps, tout en exposant aux visiteurs intelligents les détails caractéristiques de la culture viticole champenoise et du travail des vins, de pouvoir ajouter qu’à la seule exception du liège que lui fournit l’Espagne, il n’emprunte à l’étranger aucun des éléments principaux ou accessoires de sa production.161
53De nombreux points méritent qu’on s’y attarde. Tout d’abord le rappel rapide que cette participation champenoise à l’Exposition universelle ne poursuit pas « un but de réclame vulgaire », qu’il ne s’agit pas simplement de vendre des produits mais aussi d’informer le public sur des questions d’intérêt général. Car dans leur présentation du problème, il n’en va pas que des profits de quelques particuliers, mais également de la mise en valeur des traditions d’une communauté, partageant une « nature » singulière, un sol doté de qualités incomparables, un patrimoine viticole unique et procédé de fabrication qui mérite d’être appelé un art, reposant sur un « travail minutieux » et des « soins multiples ». Le président du syndicat juge d’ailleurs utile de souligner que la production champenoise « n’emprunte à l’étranger aucun des éléments principaux ou accessoires de sa production ». En affirmant mettre de côté « toute idée personnelle et toute pensée de concurrence », il s’agit donc de rendre le champagne incommensurable par rapport à ses éventuels ersatz internationaux. La « nature spéciale du sol », la « situation géographique de l’ancienne province de Champagne » et « l’utilisation ingénieuse des forces naturelles162 », telles que présentées à l’Exposition sont utilisées pour attester que ce produit commercial ne peut être traité comme un autre produit en apparence équivalent. L’événement permettrait donc la comparaison de l’incomparable en exhibant pour le bénéfice du public tout ce qui est constitutif de la singularité du produit. Le dévoilement des secrets de la marchandise fétiche conduit paradoxalement à sa sacralisation, sa mise en valeur comme objet authentique, magique, aristocrate, transcendant les intérêts commerciaux.
54L’exposition des techniques de fabrication du champagne tend donc à montrer que « champagne » renvoie à quelque chose de plus qu’un vin, une entité géographique ou un procédé de fabrication. Le Syndicat du commerce des vins de Champagne a ainsi son exposition pour défendre son combat contre la falsification et surtout l’utilisation frauduleuse de ce qui ultimement garantit l’unicité du produit devant le public de consommateurs, son nom. Selon Émile Monod, il serait alors en cette fin de siècle :
l’objet de tentatives d’usurpation de la part de certains producteurs de vins mousseux d’autres contrées qui, pour justifier leurs procédés envers le commerce des vins réellement et authentiquement originaires de la Champagne, invoquent pour prétexte que le nom de cette province a perdu son sens primitif et que les expressions Champagne, vin de Champagne, dans leur signification actuelle sont applicables à tous les vins mousseux, quelle que soit la provenance, qui sont traités et manutentionnés suivant des procédés qui originairement n’étaient en usage et mis en pratique qu’en Champagne seulement.163
55Monod rétorque qu’en admettant un tel principe : « Ce serait pour les fraudeurs un moyen facile de tromper la bonne foi du consommateur et d’écouler leurs produits sous de faux noms d’origine et de provenance sans avoir à redouter l’action de la justice164 ». Nous voyons donc que l’enjeu de l’authentification du vin à la fin du xixe siècle n’est pas, comme dans les cas du saucisson ou de la limonade évoqués au chapitre précédent, d’ordre sanitaire, mais concerne avant tout la discipline de la concurrence sur les marchés nationaux et internationaux. À l’Exposition de 1900, la présentation des productions champenoises revient sur les mêmes facteurs qualitatifs tributaires de l’exceptionnalité du produit, ce qui devrait inciter tant le consommateur potentiel que le législateur à comprendre que le nom « champagne » ne peut être associé à des produits qui ne rassemblent pas ces qualités singulières où se lient une nature et une culture, chacune incommensurables. Lemercier bénéficie sur le Champ-de-Mars d’un bâtiment privé, conçu pour présenter à la fois la production et la consommation de manière à mettre en valeur le caractère exceptionnel du produit. Au sous-sol, des dioramas montrent les étapes de la préparation et vin avec toutes les manipulations, et à l’étage supérieur, un bar débite la marchandise aux consommateurs165. Elle présente une reconstitution du lieu d’origine et des nombreuses étapes de fabrication pour mieux souligner le caractère singulier du produit dans son rapport au sol, à la végétation, au climat et à la collectivité locale :
Un palais, style Louis XIV, où nous pénétrons par une arcade décorée de sculptures, « vignerons et vigneronnes à la vendange » ; nous sommes dans une cave, une crayère, comme on dit en la contrée rémoise de toute excavation d’où l’on a extrait de la craie. Une charmante vitrine nous peint en relief l’armée viticole champenoise, vignerons et vigneronnes d’un décimètre de haut, et tout ce monde travaille ferme, quelle que soit la saison : en hiver, plantation des ceps, ceps bas ; au printemps, le bêchage de la terre, la taille de la vigne, le provignage, le fichage, c’est-à-dire la pose des échalas tuteurs ; en été, le sarclage, le liage, le sulfatage ; en automne, la vendange.
Au premier étage, se continue dans une autre vitrine la préparation du vin : pesage du raisin, triage et épluchage des grappes sur des claies, pressage, cuvage, bouillage. Le vin est mis dans d’immenses tonneaux, puis il est soutiré, « travaillé », car la nature du sol et le choix des cépages ne donnent pas au champagne toutes ses qualités, sa délicatesse, son esprit, sa ferveur soudaine : l’art y est pour beaucoup.
De la crayère on passe dans une cave voûtée où des ouvriers en chair et en os achèvent la fabrication du vin mousseux : le remuage qui amène au goulot de la bouteille le dépôt qui s’est formé dans le liquide, le dégorgement par lequel on l’expulse, le dosage qui donne le vin le degré de douceur demandé par le goût des consommateurs de tel ou tel pays. Dans une autre cave, on procède à l’étiquetage des bouteilles, à l’emballage, etc.
Du salon d’honneur, au premier étage, on a la vue la plus charmante de la Ville du vin. On déguste, si l’on veut ; on apprend que la production de 1895 à 1899 a été de 400 000 l.166
56La mise en valeur de l’authenticité vinicole s’appuie donc sur l’élaboration d’une exposition sur les différentes étapes de la production, mais dans laquelle le recours aux techniques est mobilisé pour la construction d’un espace scénographique tridimensionnel et surtout vivant, avec « des ouvriers en chair et en os » qui rendent le dispositif à la fois ludique et informatif. La valeur du vin comme objet mémoriel, porteur d’une tradition collective est ainsi mise en avant et transmise par ces expositions vivantes sur leur production qui participent à la reconstitution d’un contact sensible entre le visiteur de l’Exposition et la culture des terroirs. Dans sa visite au palais de l’Alimentation de l’Exposition de 1889, Georges Crouigneau affirme qu’il a pu « revivre ces jours charmants, que beaucoup d’entre nous ont connus, et que l’on appelle le temps des vendanges167 », évoquant en un souffle, « le pays est en mouvement », « la rosée du matin », et « la brume déjà froide » d’octobre, et l’ambiance générale qui fait voyager son esprit hors de l’agitation métropolitaine de l’Exposition : « l’évocation de cette vie paisible et laborieuse de nos campagnes apporte à l’esprit un peu de sa suave et douce poésie, qui repose et réconforte au milieu du tourbillon cosmopolite, qui ici nous enserre et nous coudoie sans trêve168 ». Le cas du vin aux Expositions de 1889 et 1900 introduit ainsi le visiteur dans tout un réseau de facteurs qui sont mobilisés et exposés afin d’affirmer et de justifier la propriété culturelle d’une communauté sur une marchandise perçue comme singulière et inimitable. La complexité et la multiplicité des actants humains et non-humains, vivants et techniques, matériels et immatériels, techniques et culturels, visuels, gustatifs et olfactifs, nécessaires pour la fabrication des grands crus est ainsi mise en valeur dans ces dispositifs d’exhibition qui reproduisent, à l’échelle de l’Exposition universelle, le pont entre la production, la mise en marché et la consommation.
57Pour chacun des quatre exemples présentés qui incarnent l’authenticité française sur le plan alimentaire, nous pouvons observer d’une part le caractère fluctuant et controversé de l’identité nationale qui doit incidemment, par ces grands rituels que sont les Expositions universelles, être réaffirmé pour la pacification des controverses sur la singularité des référents identitaires de la Nation. Rendre l’alimentation nationale publique en articulant des rapports entre consommateurs et producteurs ou restaurateurs dans lesquels interviennent des technologies, des sociabilités, des discours et des ambiances ouvre la porte à des questionnements, des incertitudes et des mutations sur la définition du contenu de l’identité nationale.
Le tour du monde culinaire dans les restaurants
58Malgré les réticences internationales générées par la commémoration du centenaire de la Révolution en 1889, les participations étrangères augmentent en 1889 par rapport à l’Exposition parisienne précédente de 1878. Si le nombre de pays participant officiellement reste le même (35), les participations non officielles passent de 1 (l’Allemagne en 1878) à 19 pays en 1889. Ceux-ci comprennent notamment, en plus de l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, le Portugal, et la Russie. Bref, toutes les puissances européennes ont leurs représentants à Paris pour l’Exposition et cela se manifeste par la variété des opportunités de découvertes alimentaires offertes aux visiteurs.
59L’Exposition de 1889 rassemble ainsi dans son périmètre une variété inédite d’établissements internationaux permettant aux visiteurs de découvrir de nouvelles traditions culinaires : « Restaurants and beer bars abound ; the cuisine of almost every nation may be tried169 » nous dit le Anglo-American Guide de l’Exposition de 1889. Le phénomène prend d’ailleurs de l’ampleur à l’Exposition de 1900 alors qu’un espace est spécialement aménagé pour les restaurants nationaux. Entre les deux sites principaux, soit le secteur Champ-de-Mars/Trocadéro et le secteur esplanade des Invalides/Vieux-Paris, l’Exposition est reliée sur la Rive gauche par une rue des Nations où sont rassemblés les principaux pavillons nationaux et les sous-sols donnant sur le quai abritent pour la plupart un établissement de consommation. La Serbie a une taverne, la Suède a la Brasserie A. Klopp, l’Espagne a le restaurant de la Féria, la Norvège a un bar, la Belgique a un cabaret flamand qui offre une dégustation de bières belges, la Hongrie et la Bosnie ont chacun un restaurant, l’Autriche abrite la brasserie Dreher, les États-Unis ont un café américain, la Turquie et l’Italie ont chacun un local de dégustation de vins, et l’Allemagne a son Deutsche-Weine Restaurant.
60Les restaurants étrangers poursuivent de cette manière la logique encyclopédique et éducative de l’Exposition en se publicisant comme univers de découvertes et leur intégration à l’intérieur des palais nationaux en 1900 confirme en quelque sorte le lien entre la consommation alimentaire et la muséographie nationale. Déjà en 1889, Louis Rousselet dit dans ses souvenirs de l’Exposition que les visiteurs ont la possibilité de « mettre en pratique les connaissances gastronomiques170 » acquises dans les galeries des produits alimentaires, en allant déguster les mêmes produits préparés dans les restaurants. Le restaurant complète ainsi gustativement l’expérience visuelle d’observation, l’expérience corporelle de visite et l’expérience cognitive de découvertes éducatives dans les galeries et les pavillons. Par son architecture, sa disposition pavillonnaire et la logique classificatoire qui sous-tend toute son organisation, l’Exposition universelle permet l’insertion des mets présentés dans une scénographie qui facilite la construction d’identifications nationales sur certains plats reconnus comme typiques. Louis Bertin, dans l’Encyclopédie du siècle, prétend que pour les consommateurs à l’Exposition de 1900 qui seraient intéressés par de nouvelles expériences alimentaires : « Il y aura de quoi varier les menus à l’infini, et les gastronomes d’un estomac assez héroïque pour passer du sterlet russe et de l’eau-de-vie de grain aux nids d’hirondelles chinois, aux filets de kangourous australiens, au rizzotto italien, auront là une occasion unique d’acquérir une compétence culinaire encyclopédique171. » L’ingestion de ces plats susnommés, chargés symboliquement de leurs référents nationaux, peut donc se traduire spirituellement par le développement d’un savoir global sur les cuisines internationales. Insistons d’ailleurs sur le qualificatif utilisé pour décrire l’Exposition : une « occasion unique » offerte aux visiteurs avec cette concentration spatiale inédite d’une grande variété d’établissements alimentaires étrangers. Cependant, l’association entre des plats offerts aux restaurants et des identités culturelles prêtes à être appropriées et incorporées est, comme on peut s’en douter, loin d’être aussi simple.
61Les facteurs évoqués pour l’appréciation d’un restaurant ne se réduisent pas aux considérations culinaires, comme par exemple lorsque Léon Daudet et ses amis décident d’un commun accord de boycotter, pour des raisons politiques, le restaurant allemand en 1900172, alors que d’autres comme Jules Renard et Lucien Guitry le fréquentent de bon cœur car, disent-ils, « les nationalistes nous assomment173 ». Nous pouvons aussi nous référer au témoignage d’Henri Fouquier sur la variété des restaurants étrangers à l’Exposition de 1889, où il est somme toute très peu question de cuisine :
On pouvait déjeuner en Roumanie, boire le petit vin blanc des vignes que les colons Romains plantèrent sur la terre des Daces, dîner chez les Russes, avec le caviar servi par les moujicks en blouse et les Livoniennes à tête casquée d’or ; prendre son café dans un cabaret en bambous, où vous le présentait la main fine et maigre des noirs Malgaches qui le cultivent. Je ne parle que pour mémoire du rosbif anglais, de la polenta et du macaroni d’Italie, choses répandues et devenues vulgaires pour nos palais.174
62Les entrepreneurs qui exploitent les restaurants étrangers, s’ils capitalisent sur le recours aux référents ethno-culturels pour vendre leurs mets à une clientèle en demande d’exotisme en période d’Exposition universelle, misent plutôt sur l’orchestre, l’accoutrement des employés, et la décoration de l’établissement, plus faciles à importer que certains aliments. Malheureusement, les deux problèmes de l’authenticité des mets offerts au public dans les restaurants étrangers et de la réception de ces établissements au sein du public ne peuvent être traités en profondeur en raison du manque de documentation tant en ce qui concerne les menus des restaurants que les impressions des clients. Par ailleurs, les négociations culturelles qui se mettent en œuvre dans le cadre de restaurants exotiques ont déjà fait l’objet d’études de cas qui mettent en lumière la construction sociale des identités culinaires dans l’espace public et le rôle du marché comme facteur de changement des référents ethniques par l’interaction culturelle qu’il implique entre entrepreneurs et consommateurs175. Ces conclusions générales s’appliquent sans trop de problèmes aux restaurants étrangers des Expositions universelles, alors que des témoignages confirment que les restaurateurs s’efforcent d’adapter leurs produits au goût du public, tout en maintenant dans la présentation de leur établissement un ensemble de symboles culturels forts qui répondent au désir d’exotisme du public et à la volonté chez les entrepreneurs de conserver le lien avec leur culture d’appartenance. Cependant, par rapport aux restaurants exotiques étudiés dans les récents travaux sociologiques ou ethnologiques, les restaurants des Expositions universelles de la fin du xixe siècle ont trois particularités qui doivent être prises en considération, car elles ont un poids déterminant sur leur organisation, leur gestion, leurs menus et l’expérience du public : leur durée de vie limitée, qui implique qu’ils ne peuvent entretenir un rapport interactif à long terme avec leur clientèle ; la popularité des Expositions universelles qui leur amène potentiellement une grande quantité de clients, ce qui a un effet sur la mobilisation de ressources ; la double vocation d’éducation et de divertissement des expositions qui, malgré les incertitudes et la complexité de leur réception auprès du public, construit inévitablement pour la clientèle un champ d’expérience et un horizon d’attente différents de ceux d’un restaurant régulier. Les motivations de la clientèle d’un restaurant d’Exposition universelle, et surtout d’un restaurant étranger, ne peuvent donc être complètement calquées sur celles qui animent la clientèle d’un autre restaurant urbain, exotique ou non, tout simplement parce que l’exposition suscite son univers particulier de perceptions, d’expériences et d’expectatives.
63C’est ce que nous constatons dans les principales appréciations dont nous disposons sur les restaurants des Expositions de 1889 et 1900, celles qui sont publiées dans les périodiques culinaires spécialisés tels que Le Pot-au-feu ou l’Art Culinaire. Les commentaires des gastronomes ayant publié leurs impressions sur les restaurants étrangers aux Expositions universelles sont majoritairement négatifs, et cela s’explique par la hauteur des attentes face à l’événement quand un sentiment de déception transparaît lorsqu’un visiteur découvre que les mets présentés aux restaurants étrangers n’ont finalement rien de spécialement nouveau. En cela, ces restaurants sont représentatifs de la situation parisienne de la fin du xixe siècle, « capitale-emblème » sur le plan culinaire où plusieurs traditions s’y retrouvent, mais : « sous la forme de représentations en partie imaginaires et parfois assez superficielles176 ». Les contemporains de la fin du xixe siècle s’accordent pour constater les bouleversements apportés par le développement des transports à l’échelle européenne sur la diffusion des cultures culinaires, tout en insistant sur la supériorité culturelle de la France en la matière, ce qui rend en somme les introductions culinaires étrangères sur le territoire français peu significatives177. Duchardon, dans ses « Lettres gourmandes » publiées dans l’Art culinaire à l’occasion de l’Exposition de 1900, va même se questionner sur l’utilité gastronomique d’une exposition internationale alors que la cuisine qu’on y mange est « à une très minime exception près, la cuisine quotidienne de nos restaurants178 ».
64Dans le contexte particulier de l’Exposition, l’authenticité culinaire des restaurants demeure un enjeu d’une importance certaine pour un public de gastronomes qui attend précisément l’événement pour expérimenter de nouveaux mets. À l’Art culinaire en 1889, on attend l’ouverture de l’Exposition pour pouvoir : « juger le mieux, dans son ensemble pratique, de la cuisine de tous les pays, cette cuisine dont la théorie a été si bien classée par Urbain Dubois dans l’un de ses plus complexes ouvrages179 », mais après quelques semaines, Châtillon-Plessis est déçu de n’avoir « guère rencontré de choses intéressantes au point de vue gourmand180 » du côté des sections latino-américaines. Le guide gourmand de l’Art culinaire publié pour l’Exposition constate avec dépit que : « À part quelques exceptions heureuses, mais insuffisantes, les restaurants de l’Exposition n’apprennent rien au visiteur181. » Jean-Louis dans le Pot-au-feu, emploie l’adjectif superficiel pour caractériser la majorité des restaurants exotiques sur le site de l’Exposition de 1900, car pour le gastronome, la nourriture est évidemment affaire d’esprit : « Naturellement, un grand nombre de restaurants sont dits “étrangers” . Est-il besoin de dire que cet exotisme, comme dans les Expositions universelles précédentes, est assez superficiel182 ? » La superficialité, autre mot pour dire l’absence de découvertes, d’enrichissement culturel, de ce surplus symbolique qu’un visiteur éduqué culinairement serait en droit d’attendre dans une Exposition universelle où le monde vient à soi.
La circulation internationale d’êtres humains, d’objets et de représentations compose ses mélanges cosmopolites dans la cité universelle. Le familier se déguise pour se rendre attrayant, l’étranger se familiarise pour s’adapter à la clientèle. Pour le meilleur ou pour le pire selon les sensibilités des observateurs qui sont malgré tout bien conscients du jeu.
65À lire les quelques témoignages publiés sur les restaurants de la rue des Nations en 1900, il est cependant difficile de donner tort aux gastronomes en ce qui concerne le manque de nouveauté. Un visiteur américain s’étonne, après avoir essayé de nombreux établissements, d’en retrouver au moins une demi-douzaine avec des menus semblables183. Selon lui, la plupart des restaurants présents à l’Exposition sont à peu de chose près des cafés-concerts (notons d’ailleurs qu’il est souvent davantage question des orchestres que de la nourriture dans les témoignages sur les restaurants) et il repart avec l’impression que les mets sont une considération secondaire pour les restaurateurs184. Dans un des récits de Cleg sur l’Exposition publié dans la Vie Parisienne, la compagne du narrateur se fâche contre le garçon du restaurant norvégien qui lui propose un saumon sauce verte et un filet béarnaise, bref, « n’importe quoi de pas du tout norvégien ». Heureusement dit-il que « la musique est agréable et les découpures du paysage sympathiques185 ». Jean-Louis s’étonne d’ailleurs d’y lire l’enseigne : « Brasserie Norvégienne : Bière de Munich186 ». En ce qui concerne le restaurant espagnol de la Féria, il dit : « À la Féria, restaurant espagnol, du moins le jour que j’y ai déjeuné, à part les vins d’Espagne et certain saucisson national que l’on peut aimer, rien d’espagnol sur la carte […]. Il est vrai que l’on aperçoit cinq ou six danseuses espagnoles ; mais tout le monde ne peut pas en manger187. » Le problème se pose aussi pour le personnel des établissements, qui ne fait pas toujours « couleur locale ». Toujours selon Jean-Louis : « Tout homme comptant plusieurs années de brasserie est assuré de retrouver quelque figure amie parmi les garçons essentiellement parisiens qu’exhibent les restaurants étrangers de l’Exposition188. » Sa critique est cependant surtout dirigée envers le restaurant du pavillon Bosniaque de 1900, célèbre pour son menu dessiné par Alfons Mucha représentant une jeune femme en costume folklorique servant un café turc189.
Il y a quelques jours, sur la carte du restaurant bosniaque, deux noms baroques, très bosniaques, éveillèrent mon appétit ; l’un s’appliquant à des œufs, l’autre concernant un gigot. Je consultai Hector, une vieille connaissance. Il s’agissait, hélas, tout simplement d’œufs pochés aux épinards et de gigot aux haricots. Et le brave garçon échangeant avec moi ce sourire de blague discrète obligatoire entre gens comme il faut, m’avoua que son patron n’avait jamais songé à offrir le plus petit mets bosniaque, en dehors des écrevisses de Sarajevo. Or il n’y en avait point ce jour-là !190
66La seule chose bosniaque qu’il consomme est un vin local et son appréciation est lapidaire : « De ma vie, je n’ai jamais goûté vin ayant un bouquet naturel de vinaigre aussi parfait191. » Malgré tout, l’auteur de ces lignes demeure fort conscient des difficultés logistiques propres à l’organisation d’un service de restauration étrangère dans le cadre de l’Exposition, car les restaurateurs doivent composer à la fois avec les goûts et dégoûts du public parisien et avec les limitations techniques pour le transport des denrées les plus fines :
Nous savons depuis longtemps que les cuisines étrangères offrent peu de spécialités s’harmonisant avec le goût français, et le Monsieur qui s’attendrait à manger sur les bords de la Seine des choses aussi succulentes qu’extraordinaires, ne serait pas précisément dans le train. Il faut songer, du reste, que les meilleurs produits gastronomiques de certains pays sont souvent de transport fort difficile. Et si M. Henri Moser, commissaire général de la Bosnie, s’est engagé à nous faire servir quelquefois des écrevisses de Fezero, il aurait beaucoup de peine à nous offrir chaque jour des sterlets du Volga ou des truites du lac Balaton.192
67Le gourmet américain « Yank » en fait d’ailleurs la cruelle constatation en ce qui concerne des aliments provenant de la France même, alors que les procédés de conservation des produits maritimes ne semblent pas encore en être au même point qu’aux États-Unis : « I ordered a brill à la Dieppoise. The sauce was good. I have no fault to find with the Dieppoise ; but it seems a pity that the methods of bringing fish from the sea to Paris are not as satisfactory as bringing, let us say, salmon from California to Buffalo. Americans have much to learn about cooking, but the thing to be cooked is better in their own country193. » Ce commentaire qui revient sur un lieu commun dans les perceptions comparatives entre la France, pays de l’Art, et les États-Unis, pays de la Technique, a toutefois le grand mérite de poser explicitement l’enjeu de l’un des nombreux attachements qui lient intimement l’art à la technique dans le domaine culinaire. En fait, nous pouvons observer à quel point, dans le contexte particulier de l’Exposition universelle, l’appréciation gustative d’un plat typique, Bosniaque ou Normand pour citer les derniers exemples, est directement liée non pas tant au savoir-faire des cuisiniers, dont le travail n’est pas vraiment remis en cause, qu’aux conditions matérielles de production des mets.
68Y a-t-il donc bien un restaurant qui offre une cuisine nationale authentique à l’Exposition ? La réponse est tout autant compliquée que la notion même d’authenticité. Déjà, curieusement, les restaurants étrangers qui emportent le mieux la faveur des critiques sont ceux qui ne sont pas situés sur la rue des Nations, comme le restaurant Viennois qui brille de son architecture Jugendstil sous les quinconces de l’Esplanade des Invalides, et qui, malgré l’absence de cafés viennois sur la carte, compte sur la présence d’un chef autrichien préparant des spécialités nationales194. En comparant le contenu des repas de « Yank » au Restaurant viennois et à la Féria espagnole, on remarque en effet, qu’alors que chacun des mets consommés à la Féria n’ont rien de particulièrement espagnol, on retrouve néanmoins quelques mets typiques du côté autrichien, comme le carré de porc et la tarte au sucre, dont la valeur exotique est sans doute renforcée par le recours (pas forcément nécessaire) aux termes germaniques. Pourtant, un lecteur du The New York Herald European Edition s’étonne d’ailleurs que « Yank » n’ait pas commandé davantage de spécialités autrichiennes lors de ses deux repas au Restaurant viennois : « Why on earth does he go to the Vienna Restaurant to eat a “Homard à l’américaine” ? […] He did not indulge in those fascinating “kraën-wurst” (horseradish sausages) or a “Wiener-schnitzel” or even a “paprika Hühn” (fricassee of spring chicken done in cream, and fresh red Hungarian peppers)195. » Les spécialités du lieu sont donc bien présentes, mais elles se mêlent à d’autres plats comme le homard à l’Américaine dont la présence sur le menu semble inexplicable, sinon pour s’assurer de conserver quelques valeurs sûres dont la popularité peut compenser le manque de couleur locale.
69Il semblerait que le meilleur secteur pour les amateurs de cuisine exotique à l’Exposition de 1900 soit la colline du Trocadéro, non pas du côté de l’exposition des colonies françaises, mais au sein des pavillons de l’Inde, du Japon, de la Chine et de la Russie, tous réputés pour leur thé et surtout pour l’exotisme supporté par l’accoutrement des serveurs196. Après tout, à la fin du xixe siècle, le chemin de prédilection vers l’altérité alimentaire demeure celui de l’Orient, pour le meilleur et pour le pire. Aller boire du thé au pavillon chinois est perçu comme une « petite débauche orientale », car semble-t-il que : « il est bon ton d’aller s’enchinoiser197 ». Le potentiel de distinction sociale par la consommation ostentatoire d’un Orient susceptible d’enrichir son identité personnelle, devient alors un facteur déterminant dans l’appréciation publique du marché de la restauration où le caractère nouveau des mets et la découverte sensorielle qu’ils sont susceptibles d’offrir est un critère déterminant dans leur qualification. Jean-Louis, dans le Pot-au-feu, trouve ainsi que le restaurant chinois est l’un des rares qui offre au public métropolitain une cuisine réellement exotique, notamment grâce à l’usage de la sauce soja et à deux plats qui ont un succès vif, le poisson en tranches au vinaigre et le poulet roulé. Dans ses descriptions, il mentionne aussi les crevettes sautées, la choucroute aux champignons, les beignets de pigeon, la salade de poulet et il rajoute que : « Pour 8 francs, on peut s’offrir un vulgaire potage au nid d’hirondelles ; pour 6 francs, un aileron de requin à la sauce rouge. Comme mets particulièrement originaux, il faut citer encore la corne de poisson, sorte de poulpe peu appétissante ; les pousses de bambou aux œufs de crevettes ; les nerfs de coquillages en sauce. Dans quelques jours, quand le four spécial à ce nécessaire sera achevé, nous pourrons nous initier aux charmes du canard laqué198. » Le gastronome met sa bouche à l’épreuve dans l’espace public et son aventure dans l’inconnu gustatif, qu’elle se solde par une jouissance ou par une répulsion, peut ainsi être mise en valeur au bout du périple gustatif. Quand le journaliste Adolphe Brisson raconte les dégoûts et les couleurs de ses expériences culinaires avec les pousses de bambou qui ont une « saveur nauséabonde » et le sashimi qui lui attire « une insurmontable répulsion199 » au restaurant du Japon, ou, au restaurant Chinois, avec les œufs de mille ans de saveur « neutre et médiocre » et la salade au ricin qu’il trouve impossible à avaler, il certifie néanmoins, par son appréciation négative, l’authenticité de ce qu’on lui sert qui se traduit corporellement par sa répulsion des objets comestibles qui s’imposent à ses sens et à ses organes. Sur le plan des représentations sociales, les conclusions qui découlent de ces expériences culinaires orientales peuvent donc être diamétralement opposées, tout en constituant les deux côtés de la même médaille qu’on obtient et qu’on exhibe à l’issue de nos aventures culinaires dans l’inconnu. Chez l’un, la cuisine chinoise : « est en général excellente, et même dans ses raffinements elle va plus loin que la cuisine française200 » et chez l’autre, on constate que : « Ce qu’il y a d’excellent dans la cuisine exotique, c’est qu’elle fait ressortir les mérites de la cuisine française201… » et chacun des témoignages sur les restaurants remplissent effectivement l’un des rôles qui leur est dévolu spécialement dans le cadre de l’Exposition universelle, soit non seulement de repaître mais aussi de faire découvrir d’autres cultures et d’élever le savoir des visiteurs. Par contre, sur le plan de l’expérience incarnée, les différences d’appréciation nous rappellent que malgré tout, la matérialité du goût, le caractère incertain de l’activité de goûter, entre le biologique et le social, interdisent une réduction des mets alimentaires à leurs référents culturels. Malgré l’inflation des discours de toutes sortes aux Expositions universelles, il y a bien quelque chose dans le goût qui ne se discute pas.
Des repas de « Yank » à l’Exposition de 1900
Restaurant viennois
Déjeuner
Melon
Poisson
Homard à l’Américaine
Entrée
Omelette aux pointes d’asperges
Dessert
Amandes vertes
Café
Diner
Potage
Solférino
Poisson
Truite à la meunière
Entrée
Schweincarré mit sauerkraut
Légumes
Haricots verts
Entremets
Zucker torte
Dessert
Pêche
Café
≪ “Yank” Has a Healthy appetite ≫, The New York Herald European Edition, no 23324 (2 juillet 1900), p. 3.
Feria espagnole
Déjeuner
Œufs pochés joinville
Poisson
Saumon froid à la Neva
Entrée
Sauté d’agneau paysanne
Légumes
Asperges
Dessert
Amandes vertes
Café
Chablis
Diner
Potage
Crème à la Marie-Christine
Poisson
Bar à la livonienne
Entrée
Carré d’agneau à la Chevalière
Légumes
Épinards à la crème
Glace
Café
Corton
≪ “Yank” Full of Trouble ≫, The New York Herald European Edition, no 23325 (3 juillet 1900), p. 3.
70Il apparaît par ailleurs que la marchandisation des cultures étrangères par le biais de la cuisine est intimement dépendante de l’univers de perceptions qui se construit à l’occasion de l’Exposition universelle pour imprégner le corps des consommateurs. L’attraction culinaire la plus marquante dans le secteur du Trocadéro est ainsi le restaurant du transsibérien monté par la Compagnie des Wagons-lits entre les sections russes et chinoises qui reproduit dans un wagon reconstitué l’expérience d’un voyage ferroviaire de Moscou à Pékin avec un jeu de dioramas faisant défiler les paysages à travers la vitre : « Think of it, soup at the ancient capital of Russia, fish at Omsk, entrée at Tomsk, roast while crossing the Irkut River at Irkutsk, fruit at the great northern naval port of Vladivostok, and coffee in sight of the frowning walls of Peking202. » Paul Morand en fait également mention dans ses (lointains) souvenirs de l’Exposition, ce qui confirme que l’attraction a frappé durablement les palais comme les esprits :
On mangeait toutes sortes de zakouski, tandis que se succédaient ces plaines désespérées, traversées jadis par des guerriers tartares et les Novigorodiens marchands de zibeline. Soudain (il me suffit de fermer les yeux un instant pour retrouver toute ma surprise) le moujik de service disparaissait, et c’était un boy chinois, en robe de soie bleue, qui apportait du thé parfumé au jasmin, dans une petite tasse de porcelaine.203
71C’est l’insertion de la cuisine dans un dispositif multisensoriel soutenu par un assemblage d’appareils, un environnement matériel et un personnel d’acteurs et qui a pour objectif de reproduire la sensation de voyage, qui rend l’expérience de consommation singulière. L’objet alimentaire possède un caractère irréductiblement liminaire, dans un entre-deux de la nature et de la culture. Par son incorporation, il opère une liaison entre le monde extérieur et l’intérieur de soi204. Par son caractère matériel, il permet selon la perspective du sujet d’expérimenter individuellement un passage intime et privilégié vers un statut supérieur par l’incorporation d’objets symbolisant des cultures, des vertus, des idées, des valeurs, ou selon la perspective de l’objet d’incorporer sa culture de référence dans la chair du consommateur205, dont le corps, mis à l’épreuve, devient alors lui-même l’objet ostentatoire206.
Conclusion
72Nous avons abordé dans ce chapitre trois types de lieux qui représentent chacun une organisation spatiale opérant selon ses logiques propres de mise en valeur des marchandises alimentaires. Cela nous ramène au problème classique de l’encastrement social, culturel et matériel des activités économiques, depuis Weber et Simmel jusqu’à Bourdieu et Granovetter207. L’Exposition universelle possède cependant deux particularités qui la distinguent des autres marchés : son caractère exceptionnel ou « événementiel », et son caractère « idéologique ». Puisque l’Exposition ne prétend pas être (et n’est pas) à priori qu’un lieu d’échange de marchandises, mais aussi un méga-événement, un temps de festivités, un programme politique et une œuvre d’éducation, les éventuels consommateurs d’aliments n’y vont pas que pour acquérir et ingérer des marchandises alimentaires, mais également, surtout, pour s’amuser, pour s’instruire et pour s’instruire en s’amusant. Ainsi, pour revenir au problème de l’encastrement des activités économiques, il apparaît que la performativité des pratiques de consommation à l’Exposition universelle ne s’oriente pas tant vers l’actualisation d’un habitus qui reproduirait les catégories sociales que la création et l’extension d’un réseau social et culturel d’échanges économiques. En rendant publiques par leur ingestion la technique, la Nation et les cultures étrangères, l’Exposition universelle participe peut-être davantage à la construction d’un monde plutôt qu’au maintien des liens sociaux et d’univers de signification.
Notes de bas de page
1 Lucien Karpik, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.
2 Igor Kopytoff, « The Cultural Biography of Things: Commoditization as Process » dans Arjun Appadurai (dir.), The Social Life of Things : Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 64-91.
3 Gabriel Tarde, Psychologie économique, Paris, Félix Alcan, 1902.
4 Comme ce serait la cas en suivant la notion d’industrie culturelle développée par Theodor Adorno, « Culture Industry Reconsidered » dans The Culture Industry, Londres, Routledge, 2001 (1975), p. 98-106.
5 Maurice Isaac, Les Expositions internationales, Paris, Larousse, 1936, p. 34.
6 Ibid., p. 35.
7 M. Tamir, Les Expositions internationales à travers les âges, Paris, Galerie Jeanne Bucher, 1939.
8 Chaim Rosenberg, America at the Fair : Chicago’s 1893 World’s Columbian Exposition, Mount Pleasant, Arcadia Publishing, 2008, p. 108.
9 « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 7 (20 mai 1889), p. 2-3.
10 Émile Monod, L’Exposition universelle de 1889. Grand ouvrage illustré historique, encyclopédique, descriptif publié sous le patronage de M. le Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, Commissaire général de l’Exposition, Paris, E. Dentu, 1890, vol. 2, p. 596.
11 Paul Bluysen, Paris en 1889 : Souvenirs et croquis de l’Exposition, Paris, P. Arnould, 1890, p. 81.
12 « À l’Exposition », La Petite République, 25e année, no 8778 (27 avril 1900), p. 2. Le Journal des pâtissiers-biscuitiers propose également dans ses pages des recettes de pièces montées commémorant l’Exposition de 1900.
13 Paris et l’Exposition : Bijou-guide illustré avec plusieurs plans, Paris, A. du Chatelard, 1889, p. 23.
14 Ibid.
15 Louis Rousselet, L’Exposition universelle de 1889, Paris, Hachette, 1890, p. 304.
16 Alfred Grandin, « Le roi des tonneaux : le plus grand tonneau du monde », Livre d’or de l’Exposition, p. 30-31.
17 « Le plus grand foudre du monde », La Nature, 28e année, 2e trimestre (1900), p. 287-288.
18 Gabriel Tarde, Psychologie économique, Paris, Félix Alcan, 1902.
19 Voir Yves Citton, « Entre l’économie psychique de Spinoza et l’inter-psychologie économique de Tarde » dans Yves Citton et Frédéric Lordon (dir.), Spinoza et les sciences sociales : De la puissance de la multitude à l’économie des affects, Paris, Éditions Amstredam, 2008, p. 47-68.
20 Georges Gérault, Les Expositions universelles envisagées au point de vue de leurs résultats économiques, Paris, Librairie de la Société du recueil général des lois et des arrêts, 1902, p. 62.
21 Donna R Gabaccia, We Are What We Eat: Ethnic Food and the Making of Americans, Cambridge, Harvard University Press, 1998.
22 Louis Phalanchet, « L’Uruguay » dans C.-L. Huard (dir), Le livre d’or de l’Exposition. Journal hebdomadaire illustré, Paris, L. Boulanger, 1889, p. 643. À leur sujet, le médecin Georges Croigneau dit : « Les viandes desséchées et en poudre, et un aliment complet, que nous goûtons et qui nous semble assez bien répondre à un desideratum souvent formulé, trouver une poudre très nutritive qui ne soit pas trop désagréable à prendre. » Georges Crouigneau, Promenades d’un médecin à travers l’Exposition (souvenirs de 1889), Paris, Société d’éditions scientifiques, 1890, p. 51.
23 Émile Monod, L’Exposition universelle de 1889. Grand ouvrage illustré historique, encyclopédique, descriptif publié sous le patronage de M. le Ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, Commissaire général de l’Exposition, Paris, E. Dentu, 1890, vol. 3, p. 650.
24 A. Hasterlik, « Reiseeindrücke von der Pariser Weltausstellung 1900 », Zeitschrift für Lebensmitteluntersuchung und Forschung A, 4e année, 15 janvier 1901, p. 51.
25 Warren Belasco, Meals to Come: A History of the Future of Food, Berkeley University of California Press, 2006, p. 151-171.
26 Crouigneau, op. cit., p. 228-229. Nous soulignons.
27 Louis Rousselet, L’Exposition universelle de 1889, Paris, Hachette, 1890, p. 300.
28 Michael Taussig, Defacement: Public Secrecy and the Labor of the Negative, Stanford, Stanford University Press, 1999.
29 Auguste Cornet, « Produits de la boulangerie et de la pâtisserie » dans Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapports du jury international. Groupe VII. Produits alimentaires 1re partie. Classes 67 à 73 (1re partie), Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 49-50.
30 « Les petits goûters », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 84 (7 août 1889), p. 1-2.
31 Citons aussi à cet effet un des nombreux comptoirs de gaufres hollandaises décrit par un journaliste, charmé par la scène où « des piles de gâteaux répandent un exquis parfum de vanille ; de grandes jattes contiennent le lait et la crème, et d’immenses vases de cuivre étincellent au soleil » et où cinq ou six Hollandaises font le service en costume « fort authentique ». « Chronique de l’Exposition », L’Univers illustré, 32e année, no 1792 (27 juillet 1889), p. 475.
32 « Les Attractions », Revue encyclopédique, vol. X, no 345 (1900), p. 299.
33 « Il n’y a pas d’alcool inoffensif, si faible qu’en soit la dose. Il n’y a pas de bon alcool, si rectifié qu’il soit. En vain les brochures officielles distribuées dans le pavillon russe du Champ-de-Mars, veulent nous édifier sur la pureté des produits vendus par le gouvernement. Pur ou non, c’est un poison, le plus néfaste de tous, que débite la régie impériale. […] Mais, du moins, rappelons les gouvernements à la pudeur. Qu’ils s’abstiennent d’élever des temples à l’alcool dans l’enceinte des Expositions universelles ». Daniel Lesueur, « Le règne de l’alcool », La Fronde, 4e année, no 969 (4 août 1900), s. p.
34 Voici comment se présente le palais de l’Alimentation en 1889 : « Au rez-de-chaussée seront les liquides, vins, bières, cidres, alcools, etc. Au premier, tout ce qui se mange ; de quoi rassasier Gargantua. Des bars de dégustation, où les exposants feront savourer leurs liquides à leurs contemporains, agrémentant les abords de ce coin d’exposition. Ce palais, c’est le ventre de l’Exposition ». Émile Michelet, « Autour de l’Exposition », Paris illustré, 7e année, no 72 (25 mai 1889), p. 369.
35 Cornot, op. cit., p. 51.
36 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 55 à 59, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 422.
37 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 2e partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 549.
38 Ibid.
39 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapports du jury international. Groupe VII. Produits alimentaires. 2e partie. Classe 73, Paris, Imprimerie nationale, 1892, p. 611.
40 Ibid., p. 612
41 « Chronique de l’Exposition », L’Intransigeant, no 3257 (14 juin 1889), p. 2. Il rajoute d’ailleurs dans un autre article deux semaines plus tard qu’en termes de savoir-faire brassicole : « MM. Tourtel […] viennent de prouver que les brasseurs français n’auraient rien à apprendre de nos voisins ». « Chronique de l’Exposition », L’Intransigeant, no 3274 (2 juillet 1889), p. 2.
42 Ibid., p. 615.
43 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapports du jury international. Groupe VII. Produits alimentaires. 2e partie. Classe 73, Paris, Imprimerie nationale, 1892, p. 690.
44 Ibid.
45 « le simple visiteur et les hommes techniques ont pu faire les études comparatives les plus instructives ». Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. Deuxième partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 508.
46 Les statistiques de la dégustation donnent une consommation de 2 886 hectolitres de bière de fermentation basse et 545 hectolitres de bière de fermentation haute, pour un total 3 431 hectolitres de bière, ce qui équivaut à 19 hectolitres par jour, donc 11 400 bocks. Robert Charlie, « La bière française à l’Exposition », Le Brasseur Français, 10e année, no 48 (1er décembre 1900), p. 1.
47 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. Deuxième partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 508.
48 Cité dans Marie-Claire Bancquart, Fin de siècle gourmande 1880-1900, Paris, PUF, 2001, p. 5.
49 Robert Charlie, « À l’Exposition », Le Brasseur Français, 10e année, no 29 (21 juillet 1900), p. 1.
50 Otto N. Witt (dir.), Weltausstellung in Paris 1900 : amtlicher Katalog der Ausstellung des Deutschen Reichs, Berlin, Selbstverlag des Reichskommissariats, 1900, p. 254.
51 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapports du jury international, Groupe VII. Produits alimentaires. Deuxième partie. Classe 73 (2e partie), Paris, Imprimerie nationale, 1892, p. 611. Nous soulignons.
52 Theodore de Wyzewa, « Le palais de l’Alimentaiton », Revue de l’Exposition universelle, vol. 2 (1889), p. 143.
53 Ibid.
54 Charlie, op. cit., p. 1.
55 Robert Charlie, « La bière française à l’Exposition », Le Brasseur Français, 10e année, no 48 (1er décembre 1900), p. 1.
56 Op. cit.
57 Voir Marie-France Garcia, « La construction sociale d’un marché parfait : le marché au cadran de Fontaines-en-Sologne », Actes de la recherche en sciences sociales, no 65 (1986), p. 2-13.
58 Voir Marcus Power, « Exploring the Myth of Portugal’s “Maritime Destiny”. APostcolonial Voyage through Expo “98” » dans Alison Blunt et Cheryl McEwan (dir.), Postcolonial Geographies, New York, Continuum, 2002, p. 132-146 ; François Confino, « Les Expositions universelles ou la grande illusion » dans Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Ronald Kaehr (dir.), La grande illusion, Neufchâtel, MEN, 2000, p. 149-154.
59 Gaspard de Cherville, « L’alimentation à l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 129 (22 septembre 1889), p. 5.
60 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 55 à 59, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 286.
61 Les expositions sont d’ailleurs un agent pour la construction de l’identité nationale française, qui n’était pas forcément un fait évident au milieu du siècle. Wolfram Kaiser, « Vive la France ! Vive la République ? The Cultural Construction of French Identity at the World Exhibitions in Paris 1855-1900 », National Identities, vol. 1, no 3 (1999), p. 227-244.
62 James Clifford, On the Edges of Anthropology: Interviews, Chicago, Prickly Paradigm, 2003.
63 Pascal Ory, « La gastronomie » dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire III : Les France II : les traditions, Paris, Gallimard, 1994, p. 824.
64 Fulbert du Monteil, « La cuisine française », L’Art Culinaire, Paris-Gourmand, supplément (1900), p. III.
65 Alberto Capatti, Le goût du nouveau : Origines de la modernité alimentaire, Paris, Seuil, 1989, p. 61-86.
66 Voir par exemple Gail Lippincott, « “Something in Motion and Something to Eat Attract the Crowd” : Cooking with Science at the 1893 World’s Fair », Journal of Technical Writing and Communication, vol. 33, no 2 (2003), p. 141-164.
67 Alain Drouart, Histoire des cuisiniers en France : xixe xxe siècle, Paris, CNRS, 2004 et Amy B. Trubek, Haute Cuisine : How the French Invented the Culinary Profession, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2000, p. 94-99.
68 Achille Ozanne, « Encore l’Exposition et la cuisine », L’Art culinaire, 7e année, no 16-17 (31 août-15 septembre 1889), p. 158.
69 Chatillon-Plessis, « Courrier de l’Exposition : Nouvelles lettres gourmandes », L’Art culinaire, 7e année, no 9 (15 mai 1889), p. 91.
70 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 55 à 59, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 152.
71 Paul Davignon, « Actualités culinaires : De la décadence de la cuisine », L’Art culinaire, 7e année, no 11 (15 mai 1889), p. 110.
72 Ibid., p. 417.
73 Ibid., p. 417.
74 Ibid., p. 419.
75 Voir Wolfram Kaiser, « Vive la France ! Vive la République ? The Cultural Construction of French Identity at the World Exhibitions in Paris 1855-1900 », National Identities, vol. 1, no 3 (1999), p. 227-244.
76 Sylvie-Anne Mériot, Le cuisinier nostalgique : Entre restaurant et cantine, Paris, CNRS, 2002, p. 34.
77 Chatillon-Plessis, « Courrier de l’Exposition : Nouvelles lettres gourmandes », L’Art culinaire, 7e année, no 12 (30 juin 1889), p. 131.
78 Chatillon-Plessis, « Courrier de l’Exposition : Nouvelles lettres gourmandes », L’Art culinaire, 7e année, no 10 (31 mai 1889), p. 103.
79 Alfred Schweitzer, Les États-Unis à l’Exposition universelle de 1900, Paris, Imprimerie Dubreuil, 1900.
80 Eugen Weber, « Review of Rebecca L. Spang, The Invention of the Restaurant : Paris and Modern Gastronomic Culture », American Historical Review, vol. 105, no 4 (2000), p. 1401-1 402.
81 Jean Frollo, « Paris qui dîne », Le Petit Parisien, 14e année, no 4754, s. p.
82 Le rapport indique également la consommation de 516 130 kg de pain ; 424120 de viande de boucherie ou de charcuterie ; 140 608 kg de volaille, gibier ou poisson ; 207 800 kg de primeurs, légumes, conserves, café, sucre, etc. ; 9 270 hectolitres de vin ; 1 316 hectolitres de bière ; 199 hectolitres de cidre ; 180 hectolitres de cognac ou liqueurs diverses ; 3 310 bouteilles, demi-bouteilles ou quart de bouteilles de champagne ; 337 280 siphons, bouteilles ou demi-bouteilles d’eau minérale. Rapport général de 1889, t. 3, p. 283.
83 Le guide de l’Exposition de 1900, Paris, Flammarion, 1900, p. 45.
84 Henry de Pène, Née Michon, Paris, P. Ollendorff, 1887, p. 3.
85 Jonathan Culler, « Semiotics of Tourism », American Journal of Semiotics, vol. 1, no 1-2 (1981), p. 127-140.
86 Frédéric Moret, « Image et réalité de la restauration parisienne à travers les guides touristiques 1855-1889 » dans Alain Huetz de Lemps et Jean-Robert Pitte (dir.), Les restaurants dans le monde et à travers les âges, Grenoble, Glénat, 1990, p. 28-29.
87 1900. Paris Exposition. Guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition, Paris, Hachette, s. d., p. 17.
88 Paris, sa vie, ses plaisirs : guide à l’Exposition universelle, Paris, Bibliothèque Chacornac, 1889, p. 61.
89 Capatti, op. cit., p. 67.
90 Ibid. « La serveuse du restaurant Duval » (1875) de Renoir nous la montre dans son uniforme caractéristique.
91 « Duval and his Bouillons (from the London Truth) », New York Times, 23 octobre 1883.
92 Étienne Grosclaude, L’Exposition comique, Paris, E. Dentu, 1889, p. 55-56.
93 Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, Paris, PUF, 2006, p. 16.
94 Voir l’étude de Elizabeth Emery, « Protecting the Past : Alfred Robida and the Vieux Paris Exhibit at the 1900 World’s Fair », Journal of Europeqn Studies, vol. 35, no 1 (2005), p. 65-85.
95 Albert Robida, « Le Vieux Paris à l’Exposition de 1900 », L’Encyclopédie du siècle, vol. II, p. 65.
96 Elizabeth Emery, « Protecting the Past : Albert Robida and the Vieux Paris Exhibit at the 1900 World’s Fair », Journal of Europeqn Studies, vol. 35, no 1 (2005), p. 65-85.
97 Albert Robida, Le Vieux Paris : Guide historique, pittoresque et anecdotique, Paris, Ménard et Chaufour, 1900, p. 191-195.
98 Alexis Carraud, Exposition de 1900 : Guide bleu du Figaro, Paris, Figaro, 1900, p. 20-21.
99 Jacques de la Forge, À travers l’Exposition, Saint-Dizier, O. Godard, 1900, p. 38-39.
100 Elizabeth Emery et Laura Morowitz, Consuming the Past: The Medieval Revival in fin-de-siècle France, Londres, Ashgate, 2003.
101 Isabelle Collet, « Le monde rural aux Expositions universelles de 1900 à 1937 » dans Muséologie et ethnologie, Édition de la Réunion des musées nationaux, 1987, p. 101.
102 Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales : Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999, p. 197.
103 Voir Martin Wörner, Vergnügung und Belehrung: Volkskultur auf den Weltausstellungen 1851-1900, Munich, Waxmann, 1999.
104 Paul Leroy-Beaulieu, « Les grands inconvénients des foires universelles et la nécessité d’y renoncer », L’économiste français, 7 décembre 1895, p. 729-731.
105 Anne-Marie Thiesse, Ils apprenaient la France : L’exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme, 1997.
106 Olivier Ihl, « Les territoires du politique : sur les usages festifs de l’espace parisien à la fin du xixe siècle », Politix, vol. 6, no 21 (1993), p. 15-32.
107 Priscilla Parkhurst Ferguson, Accounting for Taste: the Triumph of French Cuisine, Chicago, University of Chicago Press, 2004, p. 123-126.
108 Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales : Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999, p. 252-253.
109 Shanny Peer, France on Display: Peasants, Provincials and Folklore in the 1937 Paris World’s Fair, Albany, State University of New York, 1998.
110 Julia Csergo, « L’émergence des cuisines régionales » dans Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996, p. 833.
111 René Huette, « La vieille France à l’Exposition », L’Exposition et ses attractions (1900), vol. XII (1900), p. 8.
112 Isabelle Collet, « Le monde rural aux Expositions universelles de 1900 à 1937 » dans Muséologie et ethnologie, Édition de la Réunion des musées nationaux, 1987, p. 111.
113 « Les vieilles provinces à l’Exposition », L’Exposition du siècle, vol. III, p. 265.
114 G. Barbesi, Parigi : Guida pratica della città e dei dintorni seguita da un apendice sulla Esposizione del 1900, Roma, Casa Editrice Italiana, 1900, p. 90.
115 Edgar Troimeaux, « Les servantes exotiques », L’Encyclopédie du siècle, Paris, Montgrédien, 1900, vol. III, p. 169.
116 Ibid., p. 169.
117 Ibid., p. 170.
118 Ibid., p. 169.
119 Comme le souligne Paul Carter, l’agoraphobie demeure une anxiété qui est essentiellement d’ordre environnemental. Paul Carter, Repressed Spaces: Poetics of Agoraphobia, Londres, Reaktion, 2002.
120 Voir James G. Carrier, « Mind, Gaze and Engagement: Understanding the Environment », Journal of Material Culture, vol. 8, no 5 (2002), p. 5-23.
121 Mentionné dans le Guide universel de Paris et de l’Exposition de 1900, Paris, Guide universel, 1900, p. 263 et L’Exposition 1900. Renseignements pratiques sur Paris et l’Exposition, Paris, Guides Conty, 1900, p. 93.
122 C. Fromentin, « La Provence à Paris », L’Exposition universelle 1900. Bulletin des lois, décrets et documents officiels relatifs à l’Exposition, 7e année, no 142 (1900), p. 9.
123 Guide universel de Paris et de l’Exposition de 1900, Paris, Guide universel, 1900, p. 264.
124 Ibid. À l’inauguration du village breton : « Les visiteurs ont pu se régaler d’excellentes crêpes de Morlaix, offertes par des Bretonnes authentiques, des craquelins de Lanvallon, et d’excellent cidre de Cornouaille au son du biniou et de la bombarde. » « L’Exposition », L’Univers, no 11783 (18 mai 1900), s. p.
125 J. Brélivet, Iannik à l’Exposition de 1900 : Aventures d’un groupe breton, Paris, Chez l’auteur, 1901, p. 271-275.
126 Tim Ingold, « The Temporality of the Landscape », World Archaeology, vol. 5, no 2 (1993), p. 152-174.
127 Voir Paul Connerton, How Societies Remember, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
128 Voir Regina Bendix, In Search of Authenticity: The Formation of Folklore Studies, Madison, University of Wisconsin Press, 1997.
129 Pascal Forthuny, « L’Exposition universelle de 1900 », Revue encyclopédique, vol. X, no 350 (1900), p. 381-385.
130 Georges Durand, « La vigne et le vin » dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire III : Les France II : les traditions, Paris, Gallimard, 1994, p. 784-821.
131 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapport du jury intenational. Groupe VII. Produits alimentaires. 1re partie. Classes 67 à 73 (1re partie), Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 289.
132 Voir Amy B. Trubek, The Taste of Place: ACultural Journey into Terroir, Berkeley, University of California Press, 2008.
133 Jean-Robert Pitte, Bordeaux-Bourgogne : les passions rivales, Paris, Hachette, 2007, p. 81-144. Voir aussi Roger Dion, Le paysage et la vigne : essais de géographie historique, Paris, Payot, 1990, p. 205-226.
134 Ibid., p. 287.
135 Le rapport du jury international indique que le nombre d’échantillons de vin envoyés à l’Exposition de 1900 est de 35 000 par rapport à 25 000 pour l’Exposition de 1889. Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 10.
136 « À l’Exposition », La Patrie, 60e année, 5 mai 1900, p. 2.
137 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapport du jury international. Groupe VII. Produits alimentaires. 1re partie. Classes 67 à 73, Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 288.
138 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. Première partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 10.
139 Marie-France Garcia-Parpet, Le marché de l’excellence : les grands crus à l’épreuve de la mondialisation, Paris, Seuil, 2009, p. 14.
140 Sur le sujet, voir Sophie Dubuisson-Quellier, « Confiance et qualité des produits alimentaires : une approche par la sociologie des relations marchandes », Sociologie du travail, vol. 45, no 1 (2003), p. 95-111.
141 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 60 à 62, p. 10.
142 Voir Antoine Hennion, Geneviève Teil, Frédéric Vergnaux, « Questions of Taste » dans Bruno Latour et Peter Weibel (dir.), Making Things Public: Atmospheres of Democracy, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 670-677. Sur la formalisation de l’appréciation du vin, voir Geneviève Teil, De la coupe aux lèvres : Pratiques de la perception et mise en marché des vins de qualité, Paris, Octarès, 2004.
143 Teil, op. cit., p. 68.
144 Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, Rapport du jury intenational. Groupe VII. Produits alimentaires. 1re partie. Classes 67 à 73, Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 288.
145 Ibid.
146 Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 10.
147 Chez Moët et Chandon, on découvre à l’Exposition de 1889 que les goûts varient selon l’origine nationale des consommateurs : « les Anglais préfèrent le Dry Imperial 1884, les Italiens le Crémant d’Ay, les Belges et les Hollandais le Sillery mousseux impérial ». Claire Desbois-Thibault, L’extraordinaire aventure du champagne. Moët & Chandon : Une affaire de famille 1792-1914, Paris, PUF, 2003, p. 231.
148 Lucien Karpik, « Dispositifs de confiance et engagements crédibles », Sociologie du travail, vol. 4 (1996), p. 527-550.
149 « Falsification de vins », L’Algérie à l’Exposition universelle de 1900, journal hebdomadaire, no 9 (8 septembre 1900), s. p.
150 « Échos », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré. 2e série, no 73 (27 juillet), p. 4. En 1900, il est dit à propos des vins Algériens à l’Exposition que : « les consommateurs de la métropole commencent à se rendre compte de l’audacieuse duperie dont ils ont été victimes. Des maisons honnêtes leur ont fait apprécier les qualités des vins algériens, que les dégustations, dans le pavillon officiel du Trocadéro, achèveront de réhabiliter. »« Les vins d’Algérie », L’Algérie à l’Exposition universelle de 1900. Journal hebdomadaire, no 8 (1er septembre 1900), s. p.
151 Jean-Pierre Warnier, « Les processus et procédures d’authentification de la culture matérielle » dans Jean-Pierre Warnier et Céline Rosselin (dir.), Authentifier la marchandise : anthropologie critique de la quête d’authenticité, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 23.
152 Alessandro Stanziani, Histoire de la qualité alimentaire xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 2005.
153 Kolleen M. Guy, « Wine, Champagne and the Making of French Identity in the Belle Époque » dans Peter Scholliers (dir.), Food, Drink and Identity : Cooking, Eating and Drinking in Europe since the Middle Ages, Oxford, Berg, 2001, p. 165.
154 On retrouve d’ailleurs ce même problème pour le vinaigre. Le Rapport du jury de 1900 dit : « à l’Exposition de 1900, n’avons nous pas trouvé, étalés dans une vitrine étrangère, des récipients, bouteilles et étiquettes identiques à ceux des premières marques françaises et annonçant, par surcroît, comme vinaigres de vin de Bordeaux, de simples vinaigres d’alcool ! ». Exposition universelle internationale, Rapports du jury international. Groupe X. Aliments. 1re partie. Classes 55 à 59, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 411.
155 H. W. Wiley, American Wines at the Paris Exposition of 1900: Their Chemical Composition and Character, Washington, Government Printing Office, 1903, p. 12-13.
156 Ibid., p. 3. Nous soulignons.
157 Clayton A. Coppin et Jack High, The Politics of Purity: Harvey Washington Wiley and the Origins of Federal Food Policy, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1999, p. 30-33. Sur les différentes applications de la notion de pureté chez Wiley selon les produits alimentaires, voir James Harvey Young, Pure Food: Securing the Food and Drug Act of 1906, Princeton, Princeton University Press, 1989.
158 H. W. Wiley, op. cit., p. 14. Il faut par ailleurs souligner aussi que le problème des identités régionales à cette époque, ne se pose pas du tout de la même manière aux États-Unis et suscite beaucoup moins de controverses dans les débats sur l’identité de la Nation.
159 Kolleen M. Guy, « “Oiling the Wheels of Social Life” Myths and Marketing in Champagne during the Belle Epoque », French Historical Studies, vol. 22, no 2 (2002), p. 211-239.
160 Kolleen M. Guy, When Champagne Became French : Wine and the Making of a National Identity, Baltimore, Johs Hopkins University Press, 2003, p. 10-39.
161 Reproduit dans Ch. L. « Le vin de Champagne à l’Exposition », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré. 2e série, no 31 (14 juin 1889), p. 4-5.
162 Monod, op. cit., t. III, p. 667.
163 Ibid., p. 666.
164 Ibid., p. 666-667.
165 Exposition universelle internationale, Rapport du jury international. Groupe X. Aliments. 2e partie. Classes 60 à 62, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 152.
166 Louis Rousselet, L’Exposition universelle de 1900, Paris, Hachette, 1901, p. 238-239.
167 Georges Crouigneau, Promenades d’un médecin à travers l’Exposition (souvenir 1889), Paris, Société d’éditions scientifiques, 1890, p. 255.
168 Ibid., p. 256.
169 Paris Exhibition, 1889. Anglo-American Guide. Paris and its environs. Amusements and Monuments, Paris, s.n., 1889, p. X. Souligné dans le texte.
170 Louis Rousselet, L’Exposition universelle de 1889, Paris, Hachette, 1890, p. 304.
171 Louis Bertin, « Les restaurants et l’Exposition », L’Encyclopédie du siècle, vol. II (1900), p. 32.
172 Léon Daudet, Salons et journaux, Paris, Bernard Grasset, 1932, p. 172.
173 Jules Renard, Journal 1887-1910, Paris, Robert Laffont, 1990 (1887-1910), p. 468.
174 Henry Fouquier, « Autour de l’Exposition » dans Émile Monod, L’Exposition universelle de 1889, Paris, E. Dentu, 1890, vol. 1, p. 280.
175 Par exemple : Shun Lu et Gary Alan Fine, « The Presentation of Ethnic Authenticity : Chinese Food as Social Accomplishment », The Sociological Quarterly, vol. 36, no 3 (1995), p. 535-553 et Samantha Barbas, « “I’ll Take Chop Suey” : Restaurants as Agents of Culinary and Cultural Change », Journal of Popular Culture, vol. 36 (2003), p. 669-686.
176 Geneviève Sicotte, « Les capitales gastronomiques : de l’unité passée au cosmopolitisme d’aujourd’hui » dans Julia Csergo et Jean-Pierre Lemasson (dir.), Voyages en gastronomies : l’invention des capitales et des régions gourmandes, Paris, Autrement, 2008, p. 66.
177 « Si les chemins de fer ont bouleversé les mœurs, ils nous ont aussi initié aux goûts et à la cuisine des différents pays, mais il n’en est pas moins vrai que la cuisine française la bonne et la véritable sera toujours la première. » Serpolet, « Chronique de la cuisine », L’Art culinaire, 7e année, no 13 (15 juillet 1889), p. 134.
178 L. Duchardon, « Lettres gourmandes », L’Art Culinaire, Paris-Gourmand, supplément (1900), p. VI. L’auteur rajoute plus loin : « La cuisine française ne gagnera rien à ce rapprochement des autres cuisines, qui ne sont que ses copies. L’étranger y pourra calquer ses décorations de plats, qu’une école nouvelle a portées à la perfection. Seulement sera-ce reproduit avec l’entente et le goût qui distinguent nos artistes ? N’est-il pas à craindre que cette Babel culinaire, où la spéculation a tant de place, et qui ne nous rapporte que ce que nous avons exporté, ne résulte simplement un vulgaire volapuk ? »
179 « L’Art culinaire à l’Exposition universelle de 1889 », L’Art culinaire, 7e année, no 8 (30 avril 1889), p. 74.
180 Chatillon-Plessis, « Courrier de l’Exposition : Nouvelles lettres gourmandes », L’Art culinaire, 7e année, no 10 (31 mai 1889), p. 103.
181 Louis Berenger, « Paris et l’Exposition », L’Art culinaire, Paris-Gourmand en 1889, supplément II (juillet 1889), p. I.
182 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 8 (15 avril 1900), p. 122.
183 « “Yank” Full of Trouble », The New York Herald European Edition, no 23325 (3 juillet 1900), p. 3.
184 « At the Palais de la Femme », The New York Herald European Edition, no 23328 (6 juillet 1900), p. 3.
185 Cleg, « Le grand bazar », La vie parisienne, 38e année, no 20 (19 mai 1900), p. 279.
186 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 8 (15 avril), p. 122.
187 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 10 (15 mai), p. 158.
188 Ibid., p. 157.
189 Jana Orlikova, « Alphonse Mucha at the World Exhibition 1900 », dans Milan Hlavacka, Jana Orlikova et Petr Stembera (dir.), Alfons Mucha – Paris 1900 : The Pavilion of Bosnia and Herzegovina at the World Exhibition, Prague, Obnecni dum, 2002, p. 61.
190 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 10 (15 mai 1900), p. 157.
191 Ibid.
192 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 8 (15 avril 1900), p. 122.
193 Yank, « At the Palais de la Femme », The New York Herald European Edition, no 23328 (6 juillet 1900), p. 3.
194 « You dine on the roof, and, although I have done better in Vienna, there are dishes not to be despised at the “Restaurant Viennois”. This is due to the fact that an Austrian cook flourishes over Austrian specialities […]. They do not serve coffee in the Vienna style, which is a regrettable omission. » Yank, « “Yank” Has a Healthy appetite », The New York Herald European Edition, no 23324 (2 juillet 1900), p. 3.
195 « “Yank” Full of Trouble », The New York Herald European Edition, no 23325 (3 juillet 1900), p. 3.
196 Karr Eyme, « La cuisine à l’Exposition », L’Exposition et ses attractions (1900), vol. XXIII (1900), p. 25-26.
197 « Aux cafés exotiques », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 22 (4 juin 1889), p. 3.
198 Jean-Louis, « À travers l’Exposition », Pot-au-feu, 8e année, no 11 (1er juin 1900), p. 158.
199 Adolphe Brisson, « Promenades et visites à l’Exposition : Un déjeuner chez les Japonaises », dans L’Exposition de Paris (1900), vol. III, p. 82.
200 Karr Eyme, « La cuisine à l’Exposition », L’Exposition et ses attractions (1900), vol. XXIII (1900), p. 26-28.
201 Adolphe Brisson, « Cuisines exotiques », La Liberté, 35e année, no 12946 (20 mai 1900), p. 1.
202 « “Yank” Dines on the Rail », The New York Herald European Edition, no 23323 (1er juillet 1900), p. 3.
203 Paul Morand, 1900, Paris, Flammarion, 1931, p. 107-109.
204 Deborah Lupton, Food, the Body and the Self, San Fransisco, Sage Publications, 1996, p. 16-17.
205 Parkin, loc. cit., p. 22.
206 Voir Michael S. Carolan, « The Conspicuous Body : Capitalism, Consumerism, Class and Consumption », Worldviews, vol. 9, no 1 (2005), p. 82-111.
207 Dans sa grande étude du marché poissonnier de Tokyo, l’anthropologue Theodore Bestor nous montre à quel point les réseaux économiques mondialisés de l’industrie halieutique sont performés dans un lieu d’échange singulier doté de significations sociales et culturelles propres au Japon qui formalisent les interactions entre acheteurs et vendeurs. Theodore C. Bestor, Tsukiji : The Fish Market at the Center of the World, Berkeley, University of California Press, 2004.
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