Introduction de la deuxième partie
p. 121-122
Texte intégral
1Il est difficile d’échapper aux clichés lorsque vient le temps de se pencher sur l’histoire des Expositions universelles, d’autant que l’une de leurs raisons d’être est précisément la production de représentations consensuelles du monde. La question de la consommation alimentaire aux expositions peut alors s’interpréter dans les cadres 1) de la production des identités nationales, 2) de l’expansion des empires coloniaux et 3) de la consolidation du capitalisme mondial. Ainsi : 1) les mets et aliments étrangers présentés à Paris en 1889 et en 1900 participent à la construction des représentations nationales au même titre que l’architecture des pavillons nationaux et leur muséographie ; 2) les produits des coloniaux qui sont exposés et dégustés aux Expositions de 1889 et de 1990 contribuent à leur manière à la valorisation de l’aventure coloniale des puissances européennes ; 3) le rassemblement de tous ces objets commerciaux sur les sites des expositions a pour fonction d’établir une échelle de valeur universelle entre les différents produits de manière à mieux les situer sur un marché qui s’internationalise1.
2Dans le cadre de cette seconde partie, nous avons cependant délibérément laissé ces questions en arrière-plan pour travailler plutôt sur les incertitudes entourant tant la valeur que l’identité des aliments et des mets. Plutôt que valeurs et identités, disons donc procédures de valorisation et d’identification qui renvoient aux nombreuses épreuves matérielles et corporelles nécessaires à la construction et à la stabilisation des catégories et des attributs des objets. Ce qui distingue un vin français d’un vin américain est encore à l’époque une question débattue où se confrontent des manières concurrentes de qualifier et de différencier un produit. Ce qui constitue la qualité et l’authenticité d’un restaurant est une problématique qui semble aller au-delà de toute tentative de solution univoque. Est-ce la provenance de la nourriture ? l’origine de l’exploitant ? l’ambiance générale de l’établissement ? La problématique de l’authenticité nous permet d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle fenêtre sur le sujet déjà abondamment traité ces dernières années des exhibitions humaines de « spécimens » coloniaux. Si les « zoos humains » produisent sans nul doute des représentations qui mettent en valeur l’altérité radicale des peuples soi-disant primitifs, le problème de la condition politique des représentants des colonies est cependant loin d’être aussi unilatéral et une attention à la question de l’alimentation, tant celle des métropolitains aux établissements des sections coloniales que celle des colonisés exhibés à l’Exposition, nous montre à quel point les représentations sociales du colonialisme sont composées de multiples registres de distinction qui s’entrecroisent selon les lieux et les situations.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Jens Andermann, « Tournaments of Value : Argentina and Brazil in the Age of Exhibitions », Journal of Material Culture, vol. 14, no 3 (2009), p. 333-363.
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