Chapitre I
Les détours de la consommation
p. 27-68
Texte intégral
1En 1893, Émile Goudeau, romancier et poète humoristique rattaché au Chat Noir, publie un livre sur le thème de la consommation alimentaire dans la capitale française : Paris qui consomme. La préface de l’ouvrage, signée par son éditeur Henri Beraldi, présente un court survol de la situation historique du monde de la consommation quotidienne en cette fin de siècle. On peut y lire que : « L’extension formidable du besoin de consommer est un fait aussi remarquable dans notre siècle que la transformation des voies de communication. La consommation restreinte est aussi éloignée de nous maintenant que le suffrage restreint. Nous vivons désormais sous le régime de la consommation universelle. La consommation est la reine du Monde1. » Le préfacier exprime alors ses impressions teintées d’amusement et d’émerveillement devant ce tableau nouveau qui s’offre à ses yeux et ses humeurs. Le Paris qui consomme en 1893, lui semble à mille lieues des descriptions consignées en d’autres temps par Louis Sébastien Mercier2 ou Eugène Briffault3 sur les habitudes des Parisiens à table. Le livre de Goudeau lui-même s’inscrit pourtant dans cette tradition parisienne du xixe siècle que Walter Benjamin a désigné sous le nom de littérature panoramique : une œuvre poursuivant l’objectif de peindre le paysage global d’un phénomène en procédant par l’assemblage d’une multitude de courtes vignettes-types exemplifiant les différentes dimensions d’une culture urbaine qui se complexifie. En tant que substrat littéraire des changements provoqués par l’urbanisation, qui se traduisent en une diversification des formes culturelles et sociales, le témoignage de Goudeau sur différents sites de consommation alimentaire à Paris pendant la fin du xixe siècle (crémeries, bars étrangers, cafés-concerts, bouillons populaires, grands restaurants, etc.) découle de son observation de l’émergence de nouveaux liens qui se dessinent entre le corps des consommateurs, la ville et le monde. À cheval entre l’héritage des traditions populaires ou mondaines des différents espaces sociaux parisiens et les nouveautés introduites par le progrès technique et l’intensification des échanges économiques internationaux, ce livre tente de faire état d’une transition historique qui affecte profondément le quotidien de la population parisienne. La consommation étend sa portée sociale : les besoins s’accroissent, les marchandises se diversifient, tout comme la nouvelle classe de consommateurs qui dispose alors de davantage de temps et de moyens à la fin du siècle4.
2Ces constats, comme tant d’autres à l’époque, induisent un questionnement sur le rôle des Expositions universelles dans cette évolution historique. En tant que rituels politiques à grande échelle, les Expositions universelles réitèrent des certitudes et des identifications. Elles sont la solution symbolique et pacifique de tensions politiques et sociales. Mais inversement, leur caractère populaire a aussi pour effet de mettre en évidence de nouveaux problèmes. Le public qui se masse, avec son nombre, sa mixité et son caractère parfois imprévisible, met l’Exposition à l’épreuve et fait surgir des controverses et des points de blocage au cœur même de la manifestation. Ceux-ci concernent la définition d’enjeux macroscopiques comme l’identité de la Nation ou le sens du progrès, mais ces incertitudes touchent aussi des enjeux plus prosaïques comme le confort corporel des visiteurs. À ce propos, l’alimentation est un problème particulièrement important puisqu’en elle, s’entrelacent tant la matérialité des besoins corporels que la hauteur des considérations morales à une époque fertile en débats métaphysiques.
3Ce chapitre introductif, dont l’objectif est de situer les pratiques de consommation aux Expositions de 1889 et 1900, présente trois points de repères où s’opère cette dialectique entre certitudes et incertitudes qui structure les formes d’action du manger et du boire. La première section traite de la place de plus en plus importante des lieux de consommation aux Expositions universelles au fil de la seconde moitié du xixe siècle. Elle montre que la transformation progressive des Expositions universelles, d’œuvres éducatives dédiées à l’élévation culturelle des citoyens en fêtes foraines destinées à amuser et distraire les masses, nous amène au cœur de questionnements moraux propres à l’avènement de la démocratie. La seconde section porte sur les banquets officiels, événements cérémoniels de consolidation rituelle des grandes alliances et d’affirmation solennelle des grands principes, mais aussi objets de contestation pour ceux qui dénoncent les fastes et ornements du régime à droite comme à gauche. La troisième section analyse un mode d’ajustement face à l’incertitude des consommateurs générée par l’opacité grandissante de la métropole et son surplus de splendeurs : les guides de visite.
Splendeurs et moralités
Les expositions, universelles ou non, n’attirent, il faut bien le dire, qu’une faible minorité de visiteurs sérieux, économistes et technologues qui cherchent à se rendre compte des progrès de l’industrie, industriels intéressés à connaître les produits de leurs concurrents ; la grande majorité se compose de simples curieux, pour lesquels une exposition est une foire. Sans doute c’est une foire agrandie et perfectionnée, mais qui n’offre pas à l’intelligence des plaisirs sensiblement supérieurs à ceux qu’elle trouve dans les foires à roulottes.5
« Qu’est-ce que consommer ? »
4Toujours dans la préface du livre d’Émile Goudeau, Henri Bernaldi, dans sa tentative de définir ce qu’est effectivement « la consommation », nous amène sur un terrain aujourd’hui bien connu des sociologues et anthropologues de la consommation habitués à déconstruire les abstractions des économistes, celui de la dimension essentiellement culturelle de l’activité : « Consommer, c’est introduire dans l’appareil digestif, par manière de plaisir et sans nécessité absolument démontrée, une substance quelconque, plus particulièrement liquide, et de préférence dans un établissement public6. » Environ au même moment où, fort probablement, de l’autre côté de l’Atlantique, le sociologue Thorstein Veblen examine minutieusement les logiques sociales et culturelles de la consommation à l’occasion de l’Exposition universelle de Chicago, et explore le continent de valeurs, de symboles et de perceptions qui sert de trame signifiante à l’échange matériel de produits, Bernaldi juge utile de souligner que : « le trait essentiel de la consommation est d’être du superflu, cette chose si nécessaire7 ». Se nourrir est une chose, consommer en est une autre : « Prendre, après la journée de travail son repas autour de la table familiale, absorber le simple et sain dîner », c’est se nourrir. « Mais se titiller l’appétit par des apéritifs, mais s’alourdir de repas surtruffés, aux menus congrûment élaborés ; mais entasser Yquem sur Xerès, Romanée sur Pichon-Longueville, et Porto sur Roederer ; mais renouveler la faim par des sorbets ; mais forcer la digestion par des cafés ou des liqueurs, ou l’égayer par la fumée du tabac, c’est consommer !8 » Cette définition restreinte d’un savoir-faire gourmand implique bien entendu une distinction entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas consommer, c’est ainsi que cette affirmation prend un sens particulièrement aigu dans le contexte du Paris de la fin du xixe siècle, car elle pose une différence de nature dans la performance d’une même activité (celle de manger ou de boire), entre la fonction utilitaire et la jouissance esthétique. Cette opposition qui imprègne la littérature sociologique de l’époque9 se retrouve évidemment au fil des témoignages sur les Expositions universelles. L’ouvrage de Goudeau évoque d’ailleurs lui-même la fête de 1889 à quelques reprises. Cependant, alors que Goudeau se livre dans son essai à un éloge du superflu, à un dépassement culturel de la fonctionnalité physiologique, pour les moralistes de l’époque qui jugent les Expositions universelles, ce sont précisément leurs excès matérialistes qui posent problème.
Davantage de consommateurs, davantage de restaurants
5En 1867, peu après l’ouverture de la grande Exposition universelle, Gustave Flaubert, qui a alors déjà visité l’Exposition par deux fois, raconte à George Sand, sur un ton à la fois fasciné et désemparé, qu’on y trouve « des choses splendides et extra-curieuses », mais que « l’homme n’est pas fait pour avaler l’infini10 ». Il rajoute que : « On se sent là très loin de Paris, dans un monde nouveau et laid, un monde énorme qui est peut-être celui de l’avenir. – La première fois que j’y ai déjeuné, j’ai pensé tout le temps à l’Amérique et j’avais envie de parler nègre.11 » Un mois plus tard, le 12 juin 1867, toujours au centre du tourbillon international et festif de l’Exposition parisienne, il adresse une nouvelle lettre à George Sand dans laquelle il dit que « Paris, du reste, tourne au colossal. Cela devient fou et démesuré […]. L’individu a été tellement nié par la Démocratie qu’il s’abaissera jusqu’à un effacement complet comme sous les grands despotismes théocratiques.12 » L’expérience de choc causé par la masse de visiteurs de nouvelles splendeurs matérielles qui envahissent le paysage sensoriel parisien se traduit donc dans l’imaginaire de l’écrivain par la crainte d’une invasion de la multitude sous laquelle s’effondrerait la subjectivité individuelle. Dans l’allergie à la démocratie provoquée par les Expositions universelles chez les grandes âmes littéraires de la seconde moitié du xixe siècle, Flaubert ne fera pas cavalier seul, tant s’en faut, alors qu’aux expositions subséquentes, se joignent la plume des Goncourt, Maupassant, Huysmans et autres esprits atterrés par le gigantisme matériel de la civilisation moderne et technicienne, de même que par les avancées progressives du peuple sur la scène publique de la capitale française13. À ce propos, l’histoire des expositions universelles et internationales recoupe inévitablement la naissance de ce qu’on appelle pour faire court la « culture de masse » en Occident à la fin du xixe siècle et au tournant du xxe siècle14, accompagnée de son perpétuel cortège de dénonciations morales. Un indicateur de cette condition historique est la place grandissante accordée aux lieux de consommation sur les sites des Expositions de 1889 et 1900 par rapport aux précédentes exhibitions internationales de Paris. Cela témoigne déjà de l’importance croissante des services pour le public dans les préoccupations des organisateurs. Avec leurs établissements de consommation, les expositions accaparent plus que jamais le temps, les sensations et l’argent des visiteurs, de la même manière que le public accapare plus que jamais le paysage politique, économique et social de l’époque.
6Le fait de pouvoir consommer à l’intérieur de l’Exposition universelle en des endroits spécialement construits à cette fin n’est pas une nouveauté en 1889. Le Rapport de l’Exposition universelle de 1867 dit déjà que la Commission impériale chargée de l’administration de l’Exposition « s’est efforcée de satisfaire aux convenances des visiteurs, en créant pour la première fois à côté d’elle de nombreux intérêts privés15 ». Le « public et ses problèmes », pour reprendre le titre du livre de John Dewey16, est déjà au cœur des préoccupations politiques avant l’avènement de la IIIe République. Ce n’est cependant véritablement qu’en 1889 que les attractions, restaurants, bars, kiosques et cafés-concerts occupent une place significative au cœur des allées, des palais et des pavillons nationaux. Comparativement aux 39 établissements de consommation concédés à l’Exposition de 1878 (4 restaurants de luxe, 5 restaurants à prix fixe, 2 restaurants à bon marché, 28 buffets, brasseries, cafés, débits de liqueurs17), l’Exposition universelle de 1889 offre à ses visiteurs 86 lieux de consommation, dont 37 restaurants français et étrangers (9 restaurants de luxe, 8 restaurants à prix fixe et 20 restaurants populaires)18, auxquels on peut rajouter les 37 comptoirs de dégustation de produits étrangers19. En 1900, le phénomène prend encore de l’ampleur : les concessions sont plus nombreuses et mieux réparties sur les sites, de manière à répondre plus adéquatement aux exigences d’un public plus dispersé. Le rapport général indique que : « Éclairée par le précédent de 1889, l’Administration résolut de disséminer dans les diverses parties de l’Exposition des kiosques affectés à la vente de produits alimentaires et ayant un caractère essentiellement populaire20. » La demande d’une clientèle qui se diversifie en cette fin de siècle, tant par ses origines sociales que par ses habitudes de consommation, conduit ainsi l’Administration non seulement à concéder davantage d’espaces d’exploitation commerciale pour la restauration, mais aussi à laisser une plus grande place aux kiosques d’alimentation à bon marché21. 51 établissements de consommation (comprenant les restaurants de luxe, à prix fixe, et populaires) y sont installés22. Des 120 kiosques de vente établis en 1900 sur les Champs-Élysées, l’esplanade des Invalides, le Champ-de-Mars, le Trocadéro et les quais, 68 d’entre eux (occupant chacun un espace de 4, 8 ou 20 m2) sont affectés à l’alimentation. Les autres sont destinés à la vente de publications ou de fleurs. À cela, s’ajoutent 9 kiosques d’alimentation supplémentaires situés dans l’annexe de Vincennes23.
Fêter, montrer
7La genèse des grandes Expositions universelles dans la seconde moitié du xixe siècle se rattache à une constellation un peu confuse de contingences historiques telles que le développement des transports et des communications, les processus d’urbanisation, l’émergence de nouveaux modes de consommation, d’une « société de loisirs » et d’une industrie touristique, de même que l’affirmation d’identités nationales à travers l’invention de traditions et de grandes liturgies politiques24. C’est pourtant précisément le caractère imprécis et multivoque de ces développements à l’époque des grandes expositions qui constitue l’intérêt d’un examen des réactions à propos de ces questionnements sur la consommation, les divertissements de masse et le peuple, quand ce dernier devient un acteur politique incontournable sous la République et acquiert alors une plus grande visibilité publique. L’équilibre fragile entre l’éducation et la séduction des visiteurs apparaît alors comme une tâche tout aussi compliquée que nécessaire et leur articulation est au centre des questionnements concernant l’élaboration et la conception des Expositions universelles au xixe siècle, bien qu’elles varient selon les pays et les régimes. Alors qu’en Grande-Bretagne, des dissensions naissent très tôt entre les partisans d’une exposition didactique et ceux d’attractions populaires susceptibles d’attirer des visiteurs de toutes les couches de la société, en France, divertir et éduquer vont de pair aux yeux des organisateurs qui prônent un « divertissement exempt de vice et une éducation exempte d’efforts laborieux25 ». C’est notamment le cas en ce qui concerne la consommation ou plus généralement du commerce de marchandises.
8Du côté sérieux, l’Exposition universelle remplit son rôle de diffuseur d’informations commerciales pour le bénéfice économique de tous. Les principes fondamentaux des Expositions universelles et de leurs ancêtres, les expositions nationales d’industrie de la première moitié du xixe siècle, demeurent en grande partie les mêmes que ceux des foires commerciales, comme la comparaison directe entre les différents objets exposés qui a pour but d’informer le visiteur afin qu’il les apprécie à leur juste valeur26. À l’image des marchands venant confronter leurs produits à ceux de leurs concurrents, les exposants viennent confronter leurs objets, possessions, marchandises ou artefacts avec ceux des autres exposants, et pour souligner le caractère sportif et froidement objectif et rationnel de la démarche, les jurys internationaux distribuent les récompenses aux plus méritants.
9Du côté festif, en 1889, on fait état d’une spécialisation du public avec la diversification des attractions : « La multiplication des restaurants et des théâtres, des hôtels temporaires et des fêtes nocturnes […] trace de nouvelles voies d’expérimentation ; on ne cesse d’innover pour organiser l’espace et l’accueil en fonction des impératifs sans cesse croissants de la consommation27. » Pour attirer un nombre plus important de visiteurs et garantir un effet positif sur le public, les organisateurs de l’Exposition universelle doivent aussi assurer leur confort par des distractions qui font contrepoids aux exhibitions officielles, ne serait-ce que pour détendre le corps et l’esprit des visiteurs avant une nouvelle excursion dans les galeries des machines ou au palais des Beaux-Arts. Joindre l’agréable à l’utile, ce leitmotiv de l’Exposition reste le meilleur moyen de concilier rentabilité économique, culturelle et politique28. Si l’on croit le Rapport sur les expositions de l’État, la symbiose recherchée est particulièrement heureuse en 188929. Pour le bien de ses millions d’hôtes, l’Exposition : « avait aussi le devoir d’offrir à ses hôtes, durant leur séjour dans la capitale française, un ensemble de distractions et de plaisirs propres à détendre leur esprit et à faire une agréable diversion à l’inévitable aridité que comporte une solennité du genre30 ». Les expositions participent de cette manière à la construction de l’image de Paris en tant que capitale du plaisir, notamment pour les étrangers qui arrivent alors en grand nombre lors des mois de festivités. Dans le témoignage anonyme sur L’Exposition de 1889 et la tour Eiffel, d’après les documents officiels par un ingénieur, on y indique que les visiteurs étrangers : « sont assurés de goûter à l’Exposition des plaisirs nombreux et variés et d’y rencontrer, avec toutes les recherches du confort, tout ce qui permet de parcourir, sans lassitude et sans ennui, d’aussi vastes palais31 ». Le nombre plus important de visiteurs et de participants à chaque Exposition (61 722 exposants en 1889 et 83 253 exposants en 1900) entraîne donc la construction et la dissémination d’un plus grand nombre de lieux de consommation et de détente sur les sites. La division de l’espace en 1900 s’inscrit directement dans ces préoccupations pour le confort d’un public qui risque de se fatiguer à force de parcourir un site si vaste qui concentre autant d’exhibitions variées. Dans le Catalogue général de l’Exposition de 1900, on peut y lire que : « On a réparti les groupes et les classes, de façon qu’elles ne soient point isolées des attractions générales ou reléguées en des endroits écartés. Pour une heure d’étude, on aura la minute de repos ; pour une exposition aride, on aura une exposition reposante32. » Sur ce point, l’évolution de 1855 à 1900 est évidente : nous sommes passés d’une exposition pour les producteurs à une exposition pour le public. Si l’on ne se méfiait pas un peu de la grandiloquence des expositions et de leur tendance à gommer la complexité des développements historiques, on pourrait y voir un témoignage global du passage en 50 ans de la civilisation industrielle à la société de consommation.
Le spectre de la décadence
10Évidemment, dans la perception de certains auteurs, l’avancée territoriale de la consommation de masse avec son armée de clients ne fait pas sans pertes au combat. Georges Pillement, auteur d’une série de livres nostalgiques sur la disparition du vieux Paris dans les années soixante et soixante-dix, déplore alors le déclin de l’esprit festif des foires médiévales sous le rouleau compresseur de la modernité. Il dit qu’en 1889 et en 1900, « L’Exposition est devenue une gigantesque kermesse33 », premiers pas glissants sur la pente dramatique de la marchandisation généralisée : « on peut constater avec mélancolie que la franche gaieté de jadis, et le bon enfant ont disparu. Il n’y a plus que des plaisirs tarifés et les fêtes d’aujourd’hui sont à celles de naguère ce que l’amour vénal est à l’amour tout court34 ». Un tel discours est évidemment déjà présent au temps des Expositions de 1899 et de 1900, alors que de nombreux témoins sentent poindre le spectre de la décadence sociale sous le ciel parisien35. La proportion entre les lieux d’exposition et les lieux de distraction qui se met à pencher de plus en plus en faveur des seconds, inquiète certains esprits qui appréhendent une dissolution des grands principes et des nobles objectifs de l’entreprise dans le magma des plaisirs populaires. Paul Morand, dans ses souvenirs sur l’Exposition universelle de 1900, se rappelle que : « [l]es marchandises étaient dissimulées sous des spectacles exotiques, féeriques lumineux ; la danse du ventre faisait oublier la statistique36 ».
11Mais ces spectacles annonçant la société du même nom et une ère de marchandisation de masse sont-ils aussi délétères pour l’esprit citoyen que le défendrait une certaine critique, de droite comme de gauche ? La question est évidemment fort délicate car si depuis la Révolution, « le bonheur est une idée neuve en Europe » selon les mots de Saint-Just, il devient un enjeu politique primordial sous une IIIe République naissante et en proie à des scandales et des menaces séditieuses de toutes sortes, des boulangistes de 1889 aux antidreyfusards de 1900 en passant par les anarchistes. Fernand Calmettes, témoin de cette fin de siècle mouvementée, dit d’ailleurs de 1900 que c’est : « pour effacer les impressions tristes, pour distraire l’opinion de l’angoisse politique qui l’étreint37 » que les responsables politiques comptent sur l’Exposition. Les féroces opposants au régime qui voient dans le mot République un synonyme de décadence n’y sont d’ailleurs pas dupes : le gouvernement veut abrutir le peuple et profite de l’aveuglement des masses qui se prosternent devant l’autel de la vie moderne.
12Dans ce tiraillement entre enchantements et dénonciations morales, la consommation alimentaire aux Expositions universelles devient un enjeu investi de plusieurs discours en opposition qui expriment chacun différentes attitudes face à l’évolution des Expositions universelles, de la culture parisienne et du monde en général. Commençons par la question du plaisir. Jean-Paul Aron, dans Le mangeur du xixe siècle, dit que l’Exposition universelle de 1889 marque un tournant où « Paris recommence à s’amuser38. » Cela fait directement écho au témoignage d’Émile Goudeau : moins que jamais l’alimentation n’est affaire de nécessité pour les consommateurs parisiens. On n’apprécie pleinement l’alimentation que quand elle cesse justement de n’être que de l’alimentation. Dans ses mémoires sur l’Exposition de 1900, le pataphysicien Jean Mollet, nommé secrétaire pour la classe de l’alimentation alors qu’il n’est pas encore une personnalité du monde littéraire parisien, se rappelle que : « l’on visitait le transsibérien et l’on prenait des consommations dans un wagon-restaurant, pendant que devant vous se déroulaient tous les paysages de la Russie ; on allait au pavillon de Ceylan boire le thé servi par des hommes vêtus d’un sarong, coiffés d’un chignon avec de superbes peignes d’écaille. On avait l’impression de constamment vivre un rêve éveillé39 ». Grâce aux grands dispositifs fantasmagoriques du complexe exhibitionnaire, la consommation alimentaire devient, pour certains clients, consommation d’atmosphères, consommation de l’événement et substitut d’aventures. Beaucoup a déjà été dit sur la fabrication de l’illusion aux Expositions universelles40, mais beaucoup moins sur le plaisir effectivement retiré par les visiteurs à l’intérieur des attractions. C’est pourtant le réel enjeu politique qui se dégage dans le passage en cette moitié de siècle de l’utopie saint-simonienne à la capitale du plaisir qui signe l’avènement de l’ère des foules ou du public, selon que l’on préfère Gustave Le Bon ou Gabriel Tarde, c’est-à-dire d’une manière ou d’une autre une nouvelle donne socio-politique. L’avènement des dernières grandes expositions s’inscrit dans le réaménagement des rapports de forces en France du milieu à la fin du xixe siècle alors que l’État prend en charge le développement culturel de la population, mettant ainsi à son service les œuvres et institutions culturelles pour remplir la double fonction de répondre aux demandes culturelles, à la fois de la population et de la classe politique, mais aussi, de baliser et, surtout, de plaire à l’opinion publique41. Elles rappellent que l’histoire ne se fait plus uniquement de haut en bas mais aussi de bas en haut, et c’est là le nœud du problème pour ceux qui craignent la désintégration de l’ordre social par l’invasion sur la place publique de la population et de ses désirs éphémères, artificiels et, bien entendu, bassement corporels. Un député en Chambre affirme même le 18 juin 1900, qu’à l’Exposition : « la pornographie s’y étalait au grand jour42 ». Les caricaturistes de l’époque, toujours attentifs aux tribulations du peuple ne se gênent pas pour grossir le trait dans le portrait des excès du public lors des Expositions universelles. Même Albert Robida, l’écrivain-dessinateur d’anticipation qui est derrière la conception de la grande reconstitution du Vieux-Paris lors de l’Exposition de 1900, s’amuse à dépeindre humoristiquement les aventures désaltérantes d’un visiteur imaginaire qui profite de l’Exposition de 1889 pour engloutir bières, cidres, vins, apéritifs et digestifs, sans non plus se priver d’aborder les accortes hôtesses des établissements de consommation, pour finir avec la vision éméchée d’une tour Eiffel qui danse.
13Le commerce sensuel qui accompagne le développement des lieux de consommation aux Expositions universelles entraîne donc inévitablement son lot de critiques, de défenses de l’ordre moral et de mesures pour garantir l’ordre pratique. L’Exposition de 1900 est d’ailleurs beaucoup plus contestée sur ces questions que la précédente. On ne peut dire si les aboyeurs sont plus nombreux qu’en 1889, mais ils sont certainement plus bruyants. Au tournant du siècle, la désillusion ou la lassitude commence à se faire sentir. Déjà quelques jours avant l’inauguration, un journaliste appréhende la foule bigarrée qui assiégera les restaurants : « Pour peu qu’on ait assisté déjà à deux ou trois Expositions universelles, on ne peut, sans une vague appréhension, voir revenir cette période carnavalesque, où l’aspect du boulevard fait chaque jour revivre à nos yeux l’animation d’une journée de mardi gras ; où les restaurants sont assiégés, les omnibus pris d’assaut, les fiacres introuvables43. » Un autre se questionne sur l’utilité de l’Exposition, trop tournée vers le choc visuel, pas assez vers la réflexion contemplative : « Les sections coloniales et étrangères surtout, sont d’un vif attrait pour les promeneurs ; mais tout cela donnera-t-il à la masse l’enseignement exact des mœurs et coutumes que l’on veut faire connaître ? Il est permis d’en douter. […] Aucune impression de grandeur ne peut rester, de la vue de ce fouillis d’objets disparates exposés sans ordre, sans classement. Nous ne garderons que le souvenir d’avoir parcouru un vaste bazar44. » Et enfin, après la clôture de l’événement, un essayiste s’interroge sur les répercussions morales de la foire et de sa tendance à tout marchandiser : « On a fait argent de tout, et, à ce point de vue, l’entreprise a été d’un scandaleux exemple, d’une immoralité pernicieuse45. » Déjà en 1889, Albert Delaporte, dans la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg constate qu’il est devenu naturel pour le public de se précipiter aux attractions sensorielles de l’Exposition plutôt vers les galeries éducatives : « Il est bien plus amusant d’aller dîner sur la tour Eiffel, d’écouter les lautars roumains, d’aller au théâtre annamite, de contempler les danseuses javanaises, d’assister aux contorsions d’un ventre d’almée authentique, ou de se faire porter en pousse-pousse que traîne un conducteur d’un sexe incertain. […] On va à l’Exposition comme on va à la foire de Neuilly qui, cette année, va ressentir les effets de ce terrible voisinage46. » L’usage du pronom indéfini, lorsqu’il renvoie à l’indistinction anonyme de la foule dans les sociétés de masse, appuie l’idée que les désirs sensuels du peuple aplaniraient les grandeurs de la culture. Mais au-delà des représentations sociales de la masse induites dans ces impressions, nous retrouvons dans chacun de ces textes la question pratique du rapport à l’espace et de la matérialité relationnelle qui constitue le partage du sensible aux Expositions universelles. Ces témoignages mettent en évidence une incertitude qui persiste dans les enjeux politiques (l’occupation de l’espace public), économiques (le fonctionnement effectif du marché) et expérientiels (l’entassement des êtres humains et des objets) qui sont mis de l’avant dans l’espace vivant d’une Exposition universelle. La peur du chaos économique, politique et sensoriel qui émergerait lors de l’événement laisse finalement transparaître une demande disciplinaire pour la gestion de l’Exposition universelle motivée par la crainte que la multitude de corps et d’objets y circulent de manière incontrôlable.
14Il faut noter que c’est précisément à la fin du xixe siècle qu’émerge réellement en Occident la notion de « consommateur »47, dans un effort de rationnaliser et de domestiquer les nouveaux comportements sociaux qui se diffusent dans les centres urbains. En France, l’apparition de ces nouveaux programmes de recherche sur les habitudes de consommation s’accompagne d’ailleurs souvent d’une distance critique qui subordonne l’intérêt individuel de celui qui consomme à ceux de la Nation ou de la classe selon les orientations politiques. À cette époque, la nouvelle donne sociale et politique engendrée par l’essor de la consommation pose effectivement problème, tant chez les conservateurs et cléricaux qui y voient le signe de la sécularisation et de la démocratisation du monde, que chez les républicains, qui craignent une érosion de l’esprit civique avec le déploiement d’intérêts narcissiques48. En s’appuyant sur l’exemple contemporain de divers engagements éthiques orientés dans une critique de la « surconsommation » l’anthropologue Richard Wilk montre que les considérations morales sont souvent intimement intriquées dans la définition même des pratiques de consommation49. À cet effet, dans le cadre des Expositions universelles de 1889 et 1900, il serait sans doute juste de parler d’un certain encastrement moral de l’alimentation lorsqu’on constate à quel point le caractère commercial de l’événement donne lieu à un faisceau de discours critiques qui fondent leur légitimité sur la défense d’un ordre transcendant menacé par le caractère sensuel et matériel des plaisirs à l’Exposition. Une attention pour ces discours moraux, plutôt que de nous entraîner sur le terrain représentationnel et fermé de l’exhibition des pouvoirs et des pouvoirs de l’exhibition qui se déploient aux Expositions universelles, nous conduit en fait vers le terrain pratique et ouvert des controverses qui contribuent à façonner l’événement tant du côté de son organisation que du côté de sa réception. Et l’alimentation, qu’elle soit symbolique, sociale ou biologique selon les circonstances, lorsqu’elle occupe l’espace public des Expositions universelles, se mêle inévitablement de politique.
Politiques de l’abondance : les banquets
On ne doit pas, en politique,
Dans un parti se confiner.
Moi, je suis pour la République
Lorsque l’on m’offre un bon dîner !
Mais que Pierre ou Paul la dévore,
Je n’en aurai que peu d’ennui,
Surtout si l’un me fait encore
Gobichonner comme aujourd’hui !
Ça m’est égal de voir le ministère
Boiter par devant, boiter par derrière…
On peut crier tout ce qu’on voudra,
Moi je suis pour qui me régalera !
Car faut avouer qu’un p’tit gueul’ton
C’est bon ! (Ter)
Jamais j’n’ai tant bu, c’est certain
J’en aurai mal aux ch’veux d’main matin !
Ah ! Quel festin !50
15« Moi je suis pour qui me régalera ! ». Les vers de l’écrivain humoristique Richard O’Monroy (pseudonyme du vicomte Jean-Edmond de l’Isle de Falcon de Saint-Geniès) résonnent comme un vieux mot de sagesse populaire. D’abord la nourriture, les vrais problèmes, ensuite les vaines, les vaniteuses et partisanes querelles politiques. Mais ces propos n’exemplifient-ils pas à leurs limites les principes mêmes des Expositions universelles qui se présentent comme un dépassement des idées partisanes et des préjugés par les faits matériels ? La science exposée aux Expositions universelles n’est certainement pas exempte de considérations politiques, mais inversement la politique de la IIIe République se drape explicitement de l’habit de la science. Quand les Expositions universelles de la fin du xixe siècle se présentent, selon la formule consacrée et réitérée à l’époque, comme des « leçons de choses », des productrices d’évidences51, c’est une manière de dire qu’elles ne sont pas qu’une exhibition, mais aussi une démonstration, objets/faits à l’appui, de la marche historique de la Nation, du régime, du monde. Abreuvée au scientisme de l’époque, l’Exposition universelle présente ses faits et confond les sceptiques. Le statisticien Adolphe Coste, auteur notamment des Principes d’une sociologie objective, déclare en 1900 que : « l’Exposition a été autrement instructive que toutes les spéculations des métaphysiciens ou des mathématiciens de la sociologie, qui prétendent édifier la science en fermant les yeux en quelque sorte sur le monde extérieur52 ».
16Pourtant, la politisation, ou plutôt le caractère partisan de l’événement avec sa promotion du régime en place est trop voyant pour échapper à l’attention des ennemis de la République, qu’ils soient monarchistes, boulangistes ou anarchistes, et il échappe encore moins aujourd’hui à l’œil des historiens contemporains, exercés à déceler les marqueurs de la culture politique d’une époque riche en production de symboles. La chose est d’autant plus évidente du fait que chaque événement intervient dans le contrecoup d’une grave crise politique, menaçante pour la stabilité du régime : le boulangisme en 1889, l’affaire Dreyfus en 1900. Il s’agit de « spectacles anxieux » du fait qu’elles se situent à une période de tumultes politiques, dont le plus évident est la poussée du boulangisme. La dimension politique des festivités, pacifiantes devant les tensions politiques du moment est d’ailleurs assumée pleinement quand chaque État, et tout spécialement l’État qui reçoit, transpose sur le plan symbolique les rivalités politiques et commerciales en travaillant à démontrer sa grandeur par l’exhibition de ses richesses et la mise en valeur de sa culture et de son industrie. L’universalisme et la communion internationale proclamés de l’Exposition prennent la forme d’une joute pacifique entre nations dont l’avantage va toujours au pays hôte53.
17Mais quel rôle joue, à cet effet, l’alimentation ? Le manger et le boire sont associés, peut-être plus que toute autre activité humaine, autant au bien-être matériel d’une population qu’aux rituels de pacification d’une collectivité. À la veille de l’ouverture de l’Exposition de 1889, une chronique anonyme déclare que : « C’est qu’en effet demain c’est le jour de la victoire pacifique du travail, et c’est Paris qui donne le banquet où tous les peuples ont été appelés à fraterniser54. » L’énoncé prend évidemment un sens métaphorique mais il faut néanmoins rappeler que les banquets d’Exposition sont l’exemple le plus évident de politisation d’une pratique alimentaire où le matériel et le symbolique s’entremêlent dans la lourde organisation d’un agencement de signes. Ils mettent en scène un code alimentaire qui s’enrobe d’un code discursif. Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil aux nombreux comptes-rendus de banquets officiels dans la presse, alors que les discours prononcés à l’occasion des toasts semblent tous interchangeables dans leur contenu : un échange de remerciements, des vœux de franc succès pour les organisateurs de l’Exposition, et une prophétie de lendemains prometteurs pour le monde civilisé. La standardisation des procédures du banquet marquerait ainsi déjà le développement d’une culture globale avant l’heure où s’effacent les particularités culturelles nationales et régionales, mais dont l’effectivité tient justement au caractère éphémère, contingent et situé du rituel55.
18Pour illustrer la chose, prenons trois exemples de discours prononcés lors de banquets nationaux pendant l’Exposition de 1889. Au Banquet des républiques américaines du 20 mai 1889, citons l’allocution du ministre Pierre Tirard qui suit le toast porté par Mac Lane, président de la section américaine, à l’endroit des collaborateurs de l’Exposition et du président de la République :
Lorsque la France, dit M. Tirard, a convié les puissances étrangères à prendre part à la grande manifestation industrielle dont M. le ministre des États-Unis vient de parler, elle croyait qu’il s’agissait non pas seulement de fêter l’art, l’industrie et le commerce, mais elle pensait aussi qu’elle aurait l’occasion de se retrouver au milieu des peuples : il est bien temps, en effet, Messieurs, que les peuples s’unissent ensemble dans une seule pensée, la pensée de la fraternité des nations.56
19Ce à quoi rajoute le ministre français des Affaires étrangères Eugène Spuller un hommage au 400e anniversaire de la découverte de l’Amérique, terre de liberté et de justice. Au Banquet roumain du 2 juin 1889, citons l’allocution du Prince Bibesco :
Je lève mon verre en l’honneur de M. le président de la République française et de Mme Carnot ; je bois à M. le président du conseil, commissaire général de l’Exposition universelle de 1889 ; je bois à vous tous, Messieurs, je bois à la France ; à la France qui, depuis ses malheurs immérités, ne cesse de travailler et de grandir au sein de la paix, paix qu’elle a voulue, qu’elle s’assure depuis trois ans au monde civilisé par cette œuvre de Titans à laquelle les peuples ont mis la main, forgeant ainsi, dans leur effort commun, un souvenir impérissable sur l’enclume de l’immortalité. À la France ! à sa grandeur ! à sa gloire !57
20À cela répond encore le ministre Tirard : « Je ne pourrais dire l’émotion que j’éprouve au milieu des marques de sympathie et d’affectueuse cordialité qui ne cessent depuis quelques jours d’être prodiguées à la France par les hôtes qui sont venus de tous les points du globe embellir et enrichir notre entreprise internationale. » Au Banquet de la section néerlandaise, M. Friewald, délégué de la commission néerlandaise, remercie l’administration française pour sa bienveillance et de sa courtoisie : « Nous sommes fiers, a-t-il dit, d’avoir collaboré à cette grande œuvre de l’Exposition universelle de 1889, qui restera comme une date glorieuse, non seulement pour la France, mais encore pour le monde entier. Elle efface, par ses dimensions inusitées, sa splendeur, toutes celles qui l’ont précédée, et donne au monde l’idée la plus élevée du génie de cette France si grande dans l’histoire et toujours si sublime58. » Les références nationales demeurent dans les discours pour souligner la singularité des liens, mais le respect des procédures établies atteste du poids des normes codifiées dans le rituel.
21Mais le festin le plus important de tous est celui qui tente de sceller le pacte national, tout aussi fragile que la paix internationale surtout lorsqu’il tonne en écho aux grandes agitations politiques de la Nation française59. Les sites des banquets sont moins les marqueurs d’une distinction entre la capitale et la province que le site d’un rassemblement national coïncidant avec l’appartenance républicaine60. Tant en 1889 qu’en 1900, les banquets des maires constituent un moment fort de l’Exposition, ne serait-ce que par les ressources exceptionnelles qu’elles mobilisent pour les 13 000 convives rassemblés le 18 août à l’Exposition de 1889 et les 22 000 maires réunis le 22 septembre à l’Exposition de 1900. Les menus, publiés le lendemain dans tous les quotidiens, donnent déjà un aperçu de l’ampleur de l’organisation que chaque événement nécessite. 12 services en 1889 et 9 en 1900 que l’on peut s’amuser à multiplier par le nombre d’invités.
menu du banquet des maires de 1889
Potage Parisienne.
Hors d’œuvres variés.
Truites saumonées sauce française.
Filet de bœuf à la gelée.
Gélatine de poularde truffée.
Dindonneaux rôtis.
Pâté de caneton.
Salade russe.
Petits soufflés glacés.
Babas au rhum.
Gâteaux variés.
Dessert.
Vins
Madère.
Graves.
Médoc.
Pommard, Bouchard aîné.
Champagne frappé.
Café – Liqueurs.
Menu du banquet des maires de 1900
Hors d’œuvre
Darnes de saumon glacées Parisienne
Filet de bœuf en Bellevue
Pains de canetons de Rouen
Poulardes de Bresse rôties
Ballottines de faisans de Saint-Hubert
Salade Potel
Glaces Succès Condé
Dessert
Vins
Preignac et Saint-Julien en carafes
Haut-Sauternes
Beaune, Margaux J. Calvet 1887
Champagne Montebello
Café
Rhum Saint-James
Liqueurs
22L’aspect symbolique des banquets des maires a d’ailleurs déjà été finement étudié61. Le rassemblement de différentes spécialités régionales culinaires (les darnes de saumon glacées Parisienne, les pains de canetons de Rouen, les poulardes de Bresse rôties) et vinicoles (Preignac, Sauternes, Baune, Champagne) qui allie l’exceptionnalité de la manifestation au recours à des références régionales établies marque en 1900 l’union matérielle de la Nation qui est simultanément incarnée par la présence des maires. La consommation commune d’aliments et de boissons dans un rituel d’une envergure considérable amène les convives à constater par le caractère exceptionnel l’événement dont l’ampleur de la réussite est elle-même un argument politique. Mais d’un autre côté, la codification des symboles alimentaires du banquet se constitue aussi par l’usage de référents qui renvoient à une expérience partagée62. Nous pouvons d’ailleurs constater l’évolution du menu d’un banquet à l’autre avec la place plus grande des traditions régionales dans la construction de la Nation républicaine. De plus, alors que l’Exposition rassemble invités, dignitaires et visiteurs de partout dans le monde, le banquet agit aussi comme un spectacle tourné vers l’extérieur, qui montre aux étrangers la solidité de la République, l’engagement massif de ses édiles et l’unité du territoire français. Dans les mots du chroniqueur du Petit Parisien en 1900 : « L’effet produit sera considérable à l’étranger. Le monde remarquera que nous ne sommes pas dans une de ces fiévreuses périodes où les enthousiasmes sont fréquents et éphémères. C’est en pleine paix morale et matérielle que la France prête ainsi un serment solennel et réfléchi aux institutions démocratiques qu’elle s’est données depuis trente ans. Les peuples l’entendront63. » Le nombre d’invités témoigne donc du succès national et politique des banquets, et en tant que telles, ces manifestations nous amènent au cœur de l’entrelacement entre la sémioticité et la matérialité des objets alimentaires alors que la quantité des ressources mises à contribution est une attestation de la réussite technique de l’Administration dans l’organisation pragmatique des grands événements, vertu qui a ses actifs dans le grand investissement pour la fructification républicaine en capital symbolique.
23La maison de traiteurs Potel & Chabot, appelée pour l’organisation des deux banquets, met en branle pour chaque événement une armée de travailleurs, d’aliments et d’appareils pour assurer la longue tenue du grand repas. Pour coordonner le tout, le directeur de la maison fait publier en 1900 un livret d’instructions de 18 pages pour ses employés dans lequel il indique la distribution des tâches et des espaces, la répartition des couverts, des serviettes et des salières, l’ordre dans le service des vins, les moments de pause pour le repas des employés, les mesures à prendre en cas d’accidents, et de nombreuses autres prescriptions destinées à assurer le confort des convives64. Comparons les statistiques. En 1889, l’organisation du banquet nécessite 12 barriques de 225 l de consommé pour le potage à la parisienne, 2 800 boîtes de radis et 280 m de saucisson pour les hors-d’œuvre, trois barriques de mayonnaise pour accompagner les 4 000 kg de truites, 3 500 kg de filet de bœuf, 2 500 kg de galantine truffée, 1 200 dindonneaux embrochés, 800 canetons pour les pâtés, 15 000 soufflés et 30 000 pains. Pour ce qui est du liquide : 12 barriques de café, 120 barriques de vin, 4 000 carafes frappées, 5 000 siphons d’eau de seltz ou d’eau Saint-Galmier. Le dessert a nécessité 1 000 corbeilles de fruits parmi lesquels se trouvaient 10 000 pêches. Le service était fait par 1 000 maîtres d’hôtel, 150 cuisiniers, 100 aides, 80 sommeliers et 250 hommes de service. Un maître d’hôtel servait 15 personnes et de plus il y avait 1 maître d’hôtel en chef par 10 hommes65. Pour le banquet de 1900, le nombre de convives fait plus du double, les chiffres en tant que tels ne sont pas plus élevés, mais les ressources sont plus variées : 2 400 kg de filets de viande, 2 430 faisans, 2 000 kg de saumons, 2 700 canetons, 1 200 l de mayonnaise, 2 500 poulardes de Bresse, 1 000 kg de raisins, 10 000 pêches, 4 000 figues, 20 000 physalis, 6 000 poires, 4 000 pommes, 20 000 prunes, 60 000 petits pains. Pour les boissons : 50 000 bouteilles de vins rouges et blancs, 3 000 l de café, 1 000 l de liqueurs. Pour le service : 95 000 verres, 66 000 couverts, 250 000 assiettes et plats, 606 tables, 8 000 nappes, 30 000 serviettes, 23 000 menus. Pour le personnel : 6 chasseurs, 1 215 maîtres d’hôtel, 3 645 serveurs, cuisiniers et laveurs, donc un total de 4 866 employés pour 22 600 convives66. À cela s’ajoute le recours à de nouvelles technologies : « La République s’est mise au goût du jour, ne reculant devant aucune hardiesse. Un immense réseau téléphonique unit les 606 tables avec les offices et les 11 cuisines ; de petites autos circulent sans cesse sous les deux tentes gigantesques, facilitant la transmission des ordres, le transport des plats et de l’innombrable matériel67. » La mobilisation de ressources matérielles et humaines presque infinies pour assurer le déroulement des banquets a de quoi impressionner les convives et les observateurs, et c’est bien entendu son objectif : frapper l’imagination par la sensorialité des symboles et par les symboles de la sensorialité. Au milieu d’un univers de bruits, d’odeurs et de saveurs, les tables des banquets fabriquent l’union nationale par la bouche et les discours.
24Cependant, une telle occupation tonitruante de l’espace public républicain ne se déroule pas sans les contestations des laissés pour compte de la grande distribution alimentaire nationale. Rendre ainsi la mangeaille publique de manière si ostentatoire, c’est évidemment s’exposer aux cris des affamés qui ne sont pas conviés au buffet. À la première semaine de l’Exposition de 1889, Grainville, dans l’hebdomadaire de tendance monarchiste, Le Pilori signe deux chansons qui contestent les inégalités alimentaires qui deviennent évidentes lors des festivités en temps d’Exposition :
C’qu’i nous faut d’abord, c’est du pain,
Du travail, puis un peu d’aisance ;
Mais j’crains qu’i’ nous pos’nt un lapin
Avec tout’ leur sal’ manigance !
L’Exposition c’est épatant
À c’qu’i’ chant’nt ; c’est bon, mais que diantre,
C’est pas ça qui nous remplit l’ ventre ;
Ohé, dis donc, Gouvernement !68
On a fêté le Centenaire
En grande pompe et cependant,
Ô peuple, dupe séculaire,
Tu souffres, toi, toujours autant !
Les beaux Messieurs à belles places
Sont satisfaits, repus joyeux ;
Bon peuple, nourris ces rapaces,
Trime pour eux !69
25Une autre plume de ce même journal se plaint d’ailleurs, au moment du banquet des maires, que les impôts des contribuables les plus démunis servent à financer une telle célébration à laquelle ils ne sont pas conviés : « je ne puis m’empêcher de songer d’abord à tous les malheureux, à tous les sans-travail que le gouvernement n’invite pas, eux, à ses banquets70 ». Paul de Cassagnac à L’Autorité, usager régulier des lieux communs de l’extrême droite sur la corruption et l’hypocrisie des élites politiques démocratiquement élues, ne se gêne évidemment pas pour critiquer cette politisation de l’abondance qui ne serait qu’un vernis républicain recouvrant la triste réalité de l’état matériel du peuple français :
Et les bouchons de champagne sauteront, faisant une joyeuse explosion autour des multiples et attrayantes exhibitions qui ont pour but de prouver que la France est heureuse, riche, prospère sous la troisième République.
Oui… mais rien de tout cela n’est vrai, malheureusement.71
26Pour l’éditorialiste bonapartiste, il est indécent de fêter, de dépenser des millions pour l’organisation de l’Exposition : « Pendant que les petits, les misérables ne ramasseront même pas les miettes tombées de ce festin inouï72. » Le rituel politique organisé par le régime qui devait rassembler la nation à sa table donne finalement des armes argumentatives à ses opposants, tant à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche. En cette fin de siècle parisienne traversée par des grèves massives et des attentats anarchistes, l’arrogance d’une certaine classe politique et d’une certaine classe sociale qui exhibe avec ostentation sa grandeur ne peut qu’être dénoncée dans une presse aux orientations politiques révolutionnaires. La prose enflammée des feuilles anarchistes de l’époque mérite un détour pour constater la centralité de l’alimentation comme enjeu politique qui surgit avec vivacité au moment des banquets d’Exposition universelle. Pavé dans la mare des célébrations, chaque journal avertit son lectorat prolétaire de ne pas se laisser duper par le grand étalage de richesses. « Réalité ! » est le titre d’un éditorial du Libertaire, à l’inauguration de l’Exposition de 1900, dans lequel l’auteur s’insurge contre les faux-semblants de la manifestation qui masquent la dureté des conditions du peuple : « Malheureux, insensés, ne sentez-vous pas votre détresse, ne comprenez-vous pas que cet étalage de luxe et de richesse est un défi insolent à votre misère, que ces magnifiques palais éphémères sont le produit de votre sueur et de votre labeur continu et que vous avez le droit et le devoir de montrer des dents73 ? » Alors que le gigantisme matériel des banquets met en valeur la dimension symbolique des repas, les protestations des anarchistes répondent évidemment en rappelant l’évidence de sa dimension physiologique, support de la vie et du bien-être qui manque cruellement au peuple alors même que les représentants politiques se goinfrent. On lui donne des jeux, mais on oublie de partager le pain. C’est en suivant ce raisonnement d’une féroce simplicité que se déclame, dans les journaux libertaires de la fin du siècle, la dénonciation de l’arrogance de ces foires de l’abondance marchande qui surplombent le peuple affamé. Ainsi la Révolte en 1889 :
27Alors qu’une tour vertigineuse dresse son faîte orgueilleux et stupide à trois cents mètres du niveau du sol, comme pour proclamer plus haut l’orgie universelle à laquelle les bourgeois de France ont convié tous les bourgeois du monde ; alors que tous ces adorateurs du veau d’or, immolent l’humanité aux caprices de leur égoïsme ; qu’ils se vautrent dans un luxe fou et dans des luxures étranges, gaspillant toute la force, toute l’intelligence et toute la vitalité des peuples à monter ces féeries homicides ; alors que toute la France bourgeoise, pavoisée, enguirlandée, brille dans la lumière des guirlandes, flambe dans l’éclat du triomphe, et monte dans les splendeurs de l’apothéose suprême : il y a là une foule immense, grouillante et rampante à ses pieds, qui crève de misère, qui crève d’ignorance, qui crève d’abrutissement.
Les pères sont mis en prison parce qu’ils vont ramasser quelques déchets de plomb dans les détritus, pour acheter de quoi nourrir leurs enfants ; et les mères restées seules, sans pain, sans espoir, en sont réduites à étrangler leurs petits pour ne pas les voir se tordre dans les convulsions de la faim.74
28La République n’a certainement pas arrangé sa cause pour l’utilitarisme moderne avec l’édification imposante de sa Tour qui scintille alors de sa spectaculaire inutilité sociale. La longue compilation des réactions hostiles à sa construction est là pour en témoigner. Il est cependant essentiel de constater dans le discours pragmatique revendiqué des anarchistes, la place centrale accordée à l’alimentation, ou plutôt à l’absence d’alimentation du peuple, comme contre-argument à la surcharge symbolique de l’Exposition et au gaspillage fétichiste et ostentatoire des ressources. Ernest Gégout, ancien guesdiste récemment converti à l’anarchisme et fondateur du journal L’Attaque, tient les propos suivants lors de l’Exposition de 1889 :
On a cavalcadé, ces jours derniers, pour clamer les affres de la faim, pour clore la bouche des râleux, pour endormir les tourments des estomacs vides et laissés au milieu de ce grand ventre de Paris, un tout petit abri momentané aux trimardeurs impatients. […] En face, l’horizon social rapprochait chaque jour ses menaces. La projection ombrale de la grande Tour de fer, assombrissait déjà les premiers rangs de l’armée en marche des sans-pain, qui veulent prendre place au banquet international ; à cette grandiose et géniale Exposition de leur œuvre, à cette manifestation de la pensée, du muscle et de l’audace.
Il fallait mettre entre eux, les travailleurs infatigables à boyaux creux, et eux, les impuissants à lourdes tripes, la bannière d’une philanthropie tamtamesque, d’une solidarité tambourinante et cimbalique.75
29On y retrouve la présence lourde de la tour Eiffel, opposée au vide des boyaux des ouvriers, mais aussi l’association de l’Exposition universelle à un « banquet international », auquel ceux qui sont le plus atterrés par la faim ne sont pas conviés. En 1900, Charles Albert, dans un autre journal anarchiste, Les Temps Nouveaux, conserve davantage de modération dans le ton, mais il maintient son irritation devant la démonstration d’abondance qui présente des biens à l’admiration publique sans les offrir à la consommation :
Après avoir admiré tout un jour des vêtements gracieux et durables, des meubles élégants et solides, des aliments sains et légers, d’un mot tout ce que peut rêver notre besoin de confortable et de luxe, la plupart de ces gens n’allaient-ils pas recommencer le lendemain une vie insuffisante, malsaine et laide ? […] Au milieu de nos expositions, le peuple, quand il peut y venir, reste un étranger. Il n’y voit guère que des choses trop belles ou trop bonnes pour lui.76
30Le commentateur anarchiste le plus éloquent – et sans doute aussi le plus amusant – à propos de la nourriture, reste cependant l’infatigable Émile Pouget qui, par l’entremise de son Père Peinard, hurle de concert avec ses confrères politiques, mais en employant un ton plus humoristique, plus « populo ». Une semaine avant l’ouverture de l’Exposition universelle, il sent déjà bien que certains y seront plus « universaux » que d’autres, pour paraphraser un autre écrivain anarchiste d’outre-Manche plus tardif77, et que les plaisirs de la manifestation sont surtout destinés à une classe particulière de citoyens qui a davantage de raisons de s’accommoder du régime en place :
Mais si le populo y trouve peu d’agréments, en revanche, le riche qui a le gousset bien garni y sera superbement.
Y aura des centaines de fauteuils roulants ou les fainéants pourront s’affaler : des purotins affublés d’une blouse et d’une casquette, les rouleront et leur feront la postiche.
Pour la mangeaille y aura des restaurants épatants ; pour se rincer la dalle, des troquets très hurf, à la mode de tous les patelins, etc., etc.78
31Permettons-nous de citer extensivement plusieurs passages du Père Peinard dans lesquels il exprime ses récriminations pour bien montrer toute l’importance que prend la nourriture dans l’expression de sa contestation du régime en place. Dans la livraison suivante, Pouget poursuit sur sa lancée :
Quand à l’Exposition en elle-même, la carcasse, elle a bougrement de l’œil. C’est important et grandiose, on se sent épaté, quand on voit la puissance qu’a acquise l’homme.
Et c’est justement parce que c’est si grand et si immense que ça prouve que rien ne serait plus facile de nous arranger de façon à ce que la table soit mise pour tout le monde.
Alors on pourrait en faire des expositions, et des très bath, nom de dieu. Jusque-là on ne fera que des déballages qui auront un côté méchant, comme qui dirait des espèces d’araignées qui sucent le sang humain.
Comment diable pourrait-on avoir le cœur à la rigolade, quand on pense qu’il y a quantité de pauvres bougres qui n’ont pas soufflé leur soûl, hier ni aujourd’hui et qui ne boufferont pas demain.
On nous serine constamment des fouteries sur l’émancipation : et nom de dieu, y a qu’une émancipation de vraie, celle qui remplit le ventre.79
32À propos de l’alimentation des invités de marque de l’Exposition, ceux qu’il nomme « les ripailleurs de l’hôtel de ville », il ne se gêne pas pour assortir le menu d’un de leurs banquets de ses commentaires personnels :
Ils ont chouettement ripaillé les cochons : jamais dans le cours de notre sacrée existence, nous ne boufferons pareillement ; Pigez-moi un peu ce menu, les aminches :
Potage, crème d’écrevisse Saint-Germain
Rissoles-Lucullus. – Tartelettes Conti
Saumon sauce indienne
Turbot sauce normande (comment, nom de dieu, le saumon ne leur suffisait pas.)
Quartier de mercassin moscovite
Poulardes périgourdines (ils ne sont pas encore gavés les jeanfoutres.)
Homards bordelaise
Chanfroids [sic] de becfigues
Granités fine champagne (chaufroids, granités, en voilà des mots, c’est moi qui leur en aurais foutu des granités des trâs beaux en plomb. Mais c’est pas fini)
Spoom au clignot (?? connais pas !)
Paons truffés (paraît que c’est ce qu’il y a de plus mieux, sous la culotte des cieux)
Rocher de foie gras (oh, là là ! des cailloux en fait de rochers, je leur aurais collé. Ce qu’ils méritent tout au plus, c’est deux ronds de frites, un verre à la wallace et pour dessert, un bon coup de pied dans le cul.)
Salade russe
Asperges sauce mousseline
Glace Eiffel (était-elle arrosée de la sueur des ouvriers ?)
Glace centenaire (Ah ! zut, ça n’en finit plus, quels ventres ils ont nos dirigeants, c’est à en baver !)
Gaufrettes. – Gâteau Millefeuille. – Gâteau Napolitain
Et après tout ça le dessert, qui devait être bougrement varié, si on en juge d’après les plats de résistance.
Inutile de vous faire l’émunération [sic] des vins qu’ils ont lichés, ça tiendrait bien deux pages.
S’il n’y a pas de quoi vous foutre en rage.80
33Mettre en évidence les disparités alimentaires entre les politiciens et le peuple devient alors pour lui une action politique, un dévoilement de l’injustice dont est victime une population sous-alimentée : « Populo, pendant que tu crèves la misère, en turbinant comme trente-six nègres, tes maîtres s’amusent, godaillent avec ta belle galette et boivent à ta santé. Il y a cent ans que ces bourgeois, qui ont remplacé le roi absolu et les nobles font la noce. Populo fête le centenaire, et crie bien fort : Vive la République des riches81. » La prose a sa particularité, mais le procédé reste en soi classique. Le recours au « tu » de manière à personnifier la revendication, à l’incarner pour lui donner une teneur de réalité, l’utilisation du type pour justifier l’argumentation politique montre de quelle manière les perceptions sur un même objet peuvent aboutir à des conclusions opposées selon la table à laquelle on mange. La réaction est d’ailleurs en soi intéressante, car elle a pour effet de mettre en relief le caractère politique des choses, l’importance d’une juste redistribution matérielle dans la définition de ce que doit être une bonne ou une mauvaise organisation politique82. Face aux 13 000 maires qui jouissent du banquet, le cas d’un jeune homme qui meurt de faim à Paris suffit dans cette logique argumentative à déconsidérer la légitimité de la cérémonie, d’autant qu’on imagine qu’il ne fait pas exception dans la situation :
Au moment même où les treize mille maires des divers patelins de France rappliquaient à Paris, se léchant les lèvres à l’idée du grand boulottage de dimanche, à ce même moment, un pauvre bougre ; pas vieux, vingt-deux ans seulement ! s’est affalé, les jambes flasques, blanc comme un drap de lit, tournant déjà au vert, sur la porte d’un gros richard, là-haut, du côté de Montmartre.83
34Ces dénonciations ne sont évidemment pas l’apanage des anarchistes, et il est aisé de retrouver ailleurs la fameuse rhétorique du « pendant ce temps ». Dans une autre famille politique, beaucoup plus modérée et plutôt conservatrice, Alphonse Karr, en 1889, dénonce également les festins républicains alors que « ce soir-là, combien de malheureux, combien de femmes, combien d’enfants se sont couchés sans souper84 ». À propos des activités du ministre Millerand à l’Exposition de 1900, un journaliste du Correspondant déclare ironiquement que : « On croyait naïvement que ces puritains socialistes, qui parlent sans cesse de “la sueur du peuple”, se nourrissaient stoïquement de brouet noir85. » La politique spectacle peut difficilement faire consensus lorsqu’elle se déploie sur l’espace public démocratique. Évidemment, cela ne signifie pas pour autant que le banquet et les festivités de l’Exposition ne parviennent à pacifier les esprits. Un journaliste du Figaro, constate que les mœurs politiques semblent s’assouplir et se détendre à l’occasion des nombreux dîners officiels lors de l’Exposition de 1900 : « Il faut qu’il arrive une exposition pour que certains Français se fréquentent et s’apprécient. Il est vrai qu’à ce moment-là, ils se rattrapent. Ils dînent presque tous les soirs ensemble, ils sont de toutes les fêtes : ils ne se quittent plus. On disait, jadis, qu’en France tout finit par des chansons. Il est peut-être aussi vrai qu’en politique tout finit par des dîners. Ne serait-il pas plus sage, alors, de commencer par là86 ? » Même le très monarchiste Gaulois admet qu’il apprécie (quoique modérément) le discours du président Loubet lors du banquet des maires de 190087, comme quoi la fête a malgré tout sa part d’efficacité. Cependant, comme tout rituel social, les banquets produisent à la fois de l’inclusion, ils inscrivent une identité individuelle dans une identité groupale, ils participent à « une éthique codée de distinction sociale et de satisfaction collective88 », de même que de l’exclusion89. Ils ont un rôle stabilisateur et pacificateur évident, celui de préserver les liens et les alliances entre gouvernements dans le cas des banquets nationaux ou de consolider symboliquement l’établissement national du régime républicain dans le cas des banquets des maires, et leur instrumentalisation pour la construction d’un consensus et d’une fraternité politique est indéniable. Mais inversement, l’universalisme peut encore, surtout à l’époque, difficilement refouler le surplus de sa part maudite. L’alimentation est un sujet trop réel, trop sensible, pour ne pas ouvrir la porte à d’interminables controverses sur la légitimité du régime. Ainsi, dans les affrontements qui se jouent sur la frontière du pacte politique, l’organisation des banquets et leur contestation par certains contemporains tendent à montrer que non seulement l’Exposition universelle est autant un lieu de contestation que de certitudes, mais surtout que l’alimentation, la consommation de nourriture, demeure un enjeu politique central, symboliquement et matériellement, qu’on soit du côté du Roi, de la République ou de l’Anarchie.
Apprendre la ville en temps d’Exposition : les guides
35Les attractions sensuelles posent problème aux moralistes et les fastes de la République posent problème aux anarchistes. La ville de Paris, elle, pose problème à beaucoup de monde. Certains Parisiens ne s’y retrouvent plus après quelques décennies de grandes réformes urbanistiques, sans compter les vagues de migrations rurales et les conflits armés et changements de régime qui imprègnent les sensibilités urbaines. Malgré leurs grandes prétentions positivistes de mise en ordre du monde, les Expositions universelles n’arrangent pas forcément les choses avec ce qu’elles amènent de touristes étrangers et provinciaux sur le territoire de la capitale. D’ailleurs, s’il y a des gens envers qui Paris est susceptible de tendre des pièges, c’est bien eux. Le développement de la consommation à Paris fait certainement surgir des écueils moraux et politiques, mais il pose aussi des problèmes pratiques avec l’essor du tourisme national et international. Comment ne pas perdre inutilement son précieux temps de vacances à Paris ? Où et quand aller manger ? Que doit-on éviter ? Comment doit-on se comporter dans les lieux de consommation ? Devant l’inconnu d’une grande ville qu’ils connaissent mal, les masses de voyageurs qui viennent de près ou de loin ont besoin de garde-fous. En Grande-Bretagne, les voyages organisés de Cook’s permettent aux voyageurs peu adaptés aux coutumes locales et sans connaissances langagières du pays visité de bénéficier d’un encadrement sécuritaire. Cook’s se charge de l’hébergement et de garantir viande et œufs au petit-déjeuner pour une clientèle qui ne se contenterait pas forcément que de café et croissants90. En année d’Exposition, de nombreux éditeurs saisissent la demande et Paris peut offrir à ses touristes une panoplie de guides qui ont pour principale raison d’être de faciliter leur séjour en fournissant notamment des informations pratiques utiles sur un marché de restauration qui se diversifie. En mobilisant une connaissance sur la ville, ils permettent ainsi la régulation de la rencontre entre les logiques d’action des consommateurs et celles de la ville qu’ils rencontrent pour faciliter leurs dispositions pendant le voyage91.
36Les guides touristiques sur Paris ont déjà été étudiés dans le cadre d’analyses des images de la ville qui en émanent et la construction du Paris mythique qui en découle92. Nous voulons aborder ces sources autrement, c’est-à-dire sous un angle pragmatique qui prête d’abord attention à l’utilité pratique du livre en le considérant comme un dispositif qui propose un programme d’action à son utilisateur. En d’autres termes, nous prenons les guides au sérieux dans leurs ambitions proclamées. Ce choix est justifié par deux raisons. La première tient au contenu des sources elles-mêmes. À notre grande déception, les guides publiés lors des Expositions universelles ont en grande majorité, très peu de choses sinon rien du tout à dire à propos des mets disponibles aux restaurants présents sur les sites. Peu de descriptions culinaires et encore moins d’appréciations gastronomiques. Sur les 40 guides (19 pour l’Exposition de 1889 et 21 pour l’Exposition de 190093), seulement deux incluent des commentaires sur la qualité des mets aux restaurants, et ceux-ci ne remplissent que quelques lignes, sinon quelques mots ; de plus, la liste des restaurants référencés n’est pas exhaustive94. Cela s’explique très facilement : la plupart des guides sont rédigés avant l’ouverture de l’Exposition, donc il est naturel qu’ils ne contiennent pas de descriptions ou de critiques pour des restaurants encore inaccessibles. Il y a donc peu de choses à tirer des guides en ce qui concerne les représentations collectives associées à l’alimentation pendant les Expositions universelles de 1889 et 1900. Mais nous voulons cependant insister sur la seconde raison qui invite à examiner l’utilité pratique des guides plutôt que simplement les représentations qu’ils offrent de la ville. Si l’un des objectifs des guides est évidemment de stimuler l’intérêt pour un lieu, et de vendre cet intérêt95, il apparaît pourtant à la lecture des préfaces et introductions des nombreux guides consultés que le discours mercantile, ou plus généralement touristique et publicitaire, est beaucoup moins important dans la présentation des objectifs de la publication que les recommandations pratiques96. L’intérêt des guides de l’époque ne réside donc pas uniquement dans leurs récits sur les beautés de la ville et tous les petits morceaux de prose lyrique qui exaltent les splendeurs de la capitale, mais aussi, dans les informations qui viennent généralement dès les premières pages : les réseaux de transports, les informations sur les gares, les tarifs pour les omnibus, les tables de conversion pour la monnaie, la localisation des bureaux de poste et de télégraphe, les lieux où se procurer des billets pour l’Exposition, les adresses des ambassades, la localisation des W.-C. sur les sites des expositions, etc. De plus, ils peuvent fournir un support matériel pour la planification des journées. Des publications telles que L’indicateur alphabétique, guide complet de l’Exposition de 1900 et le Guide Lemercier qui proposent un système de plan quadrillé pour que les visiteurs puissent rapidement localiser un endroit dans l’Exposition. Chaque lieu de l’Exposition (dont les restaurants) possède ses coordonnées97 et peut être rapidement localisé avec un plan général divisé en plusieurs parties et chacune de ces parties est quadrillée avec sur la page une indication de « ce dont peut avoir besoin le visiteur », c’est-à-dire fleurs, journaux, librairies, limonadiers, produits alimentaires, restaurants, water-closets, etc. L’essor du tourisme et de la consommation, la prolifération des établissements et la diversification des attractions dans la Ville Lumière crée de nouveaux choix et de nouveaux imaginaires, de même que des incertitudes quotidiennes qui demandent le regard éclairé d’un guide. En ce qui concerne l’alimentation, nous en avons dégagé trois : le temps, l’argent, le comportement.
37Time is money nous dit le dicton bien connu, et ainsi en est-il dans la planification et la répartition des investissements à la bourse du plaisir. Paris qui, à la fin du siècle, s’est déjà imposée comme première destination touristique internationale, a beaucoup – trop – à offrir à l’œil de ses visiteurs qui, s’ils n’y prêtent garde, auront manqué l’essentiel et perdu leur précieux temps et leur précieux argent dans le superflu. Situons les choses en 1889. Dans le quotidien L’Événement, le journaliste Marcel Huard constate à l’occasion de l’inauguration de l’Exposition que : « On a dit de l’Exposition qu’elle était une grande cité sortie de terre au milieu de la capitale. On peut dire des alentours du Champ-de-Mars et de l’esplanade des Invalides qu’ils ont fait éclore une ville nouvelle, – ville de guinguettes de tout style, ville de bars et de tirs, de pâtisseries et de charcuteries improvisées, de restaurants et de cafés concerts98. » L’avènement de l’Exposition transforme la ville, non seulement sur le terrain des sites mais également en périphérie avec l’éruption de nouveaux commerces et attractions. Il s’agit bien d’un processus de transformation de la morphologie urbaine parisienne qui est déjà entamé et que les Expositions universelles accélèrent. S’il se publie en 1889 et 1900 autant de guides spéciaux pour l’Exposition et Paris, c’est en partie, selon ce que le Guide-Boussole de l’Exposition de 1900 laisse entendre, parce que la ville change énormément sous le contrecoup de ces événements : « Même si l’on est déjà venu à Paris précédemment, la Capitale s’est tellement transformée en vue de l’Exposition que l’on fera bien de se procurer, assez longtemps à l’avance, le Guide-Boussole et de lire, à plusieurs reprises, les renseignements qu’il donne, tant sur Paris que sur l’Exposition, pour se familiariser avec eux et pouvoir les retrouver rapidement en cas de besoin99. » La rédaction même d’un guide semble d’ailleurs poser problème pour certains esprits confrontés au changement perpétuel de la ville. Une publication pour voyageurs italiens à l’Exposition de 1889 mentionne dans ses premières pages que la capitale échappe maintenant définitivement à l’entendement humain et que toute tentative de la cristalliser dans un guide est vouée à l’échec avec le rythme effréné des transformations urbaines : « No, non è cosa subito fatta il far conoscere une città come Parigi, una città, cioè, che, come nuovo Proteo, assume aspetto defferente ad ogni stagione, ad ogni ora del giorno, diremmo quasi, ad ogni minuto100. » Avec l’émergence rapide de ces lieux qui transforment autant les perceptions que les habitudes, un visiteur mal averti risque donc de s’y perdre et d’y laisser inutilement son temps et son argent, et c’est pourquoi le guide remplit la fonction de standardiser la visite et de réduire l’imprévisibilité. L’historien Frédéric Moret rappelle que le guide parisien de la fin du xixe siècle : « dessine les contours, en creux, d’un touriste “idéal”, bourgeois voire petit-bourgeois101 ». Il proposerait ainsi une représentation normative de l’« esprit bourgeois », soit une « utile distribution des activités et un emploi rationnel du temps102 ».
38Dans la définition d’une bonne gestion du temps touristique, les restaurants prennent leur importance justement par leur rôle de restauration des forces psychiques et corporelles suite aux explorations sur les sites d’Exposition parfois éprouvantes tant pour le corps que pour l’esprit. Afin de soutenir la structuration de la visite à l’Exposition, le temps et les espaces parcourus et utilisés par le visiteur sont divisés et hiérarchisés qualitativement dans l’économie de l’expérience103. S’il est évident que, dans une Exposition universelle, la distinction entre une attraction et un dispositif de support, comme un restaurant, n’est pas en soi définitive lorsque pour une catégorie de visiteurs, par exemple les gourmets ou les gastronomes, les lieux de restauration peuvent constituer une attraction de plein droit, cette répartition fonctionnelle des espaces, qui est bien réelle sur le plan administratif, se traduit aussi dans le contenu des guides de visites. L’association des lieux de consommation aux fonctions pratiques dans la répartition des rôles explique l’espace que les lieux de consommation occupent à l’intérieur même des guides d’expositions et le propos qui est tenu à leur endroit. Celui-ci se limite plus souvent qu’autrement aux caractéristiques les plus matérielles comme l’échelle de prix et la localisation, données précieuses pour le visiteur occupé à planifier son budget, son agenda d’explorations et son itinéraire sur les sites.
39Le visiteur limité par son corps est incidemment limité par son temps, et à cet effet, certains titres sont évocateurs de cette contrainte matérielle : The Way to Spend Six Days at the Exhibition 1889104, Huit jours à Paris pour cent francs, guide et méthode105. D’autres justifient pareillement leur existence dès les premières pages qui sont régulièrement utilisées pour justifier l’existence et la pertinence du guide, précautions qu’on imagine nécessaires devant l’abondante concurrence éditoriale en ces années de festivités. Imaginant le touriste confronté à l’immensité de l’Exposition de 1889, le Guide de l’étranger à l’Exposition universelle demande : « Comment faire pour ne pas s’égarer dans ce labyrinthe autrement redoutable que celui de la Crète, de mythologique mémoire106 ? » La réponse est évidemment « en suivant les avis et les itinéraires de ce petit Guide ». L’analogie crétoise semble d’ailleurs fort populaire pour l’Exposition de 1900 alors que le Guide universel se propose « d’offrir aux visiteurs de l’Exposition et de Paris un fil d’Ariane qui leur permette de se reconnaître dans le magnifique labyrinthe de ces deux villes concentriques, leur évite les tâtonnements et les pertes de temps qu’ils entraînent, et leur donne le moyen de voir un maximum de merveilles dans un minimum d’heures107. » Le Guide Armand Silvestre de Paris et de ses environs et de l’Exposition de 1900 mentionne quant à lui qu’il est conçu pour « faciliter le pèlerinage » du lecteur à Paris, et « épargner son temps précieux108 ». En suivant de tels énoncés, on peut s’étonner de constater que l’Exposition, malgré ses prétentions à la mise en ordre et la compartimentation du monde, se révèle, par son gigantisme même, une génératrice de « labyrinthes », de désorientation pour un visiteur mal préparé. La quantité de choses à voir et à consommer est trop importante pour qu’un esprit et qu’un corps puissent espérer s’y retrouver sans préparation préalable. On doit lui indiquer comment voir et on doit aussi lui indiquer comment consommer. Le guide publié par Hachette pour l’Exposition de 1900 affirme à ce propos qu’il est sage « d’arrêter immédiatement l’itinéraire, le programme de chaque journée […] et la somme qu’on peut dépenser », car : « c’est la seule manière de gagner du temps et de voir ce qu’il faut voir. Sans plan de visites et de courses, on risque de courir à droite et à gauche, d’arriver au jour de fermeture, ou trop tôt ou trop tard109 ». Ainsi, pour chaque jour, un itinéraire efficace est proposé qui s’efforce de tenir compte (de manière variable selon les guides) du transport, des contingences spatiales de la ville et de l’Exposition de même que de la fatigue des visiteurs de manière à proposer un moment adéquat pour la réfection. Une science expérimentale de la visite (construite, on peut le supposer, au fil de l’accumulation d’expériences de consommation dans la capitale de la part de l’auteur sur une longue période de temps) dévoile ainsi ses typologies et ses lois de la visite efficace et de la dépense. Le peu sérieux Guide du Rire dans Paris et à l’Exposition de 1900 présente lui-même : « en une savante classification, la liste de tous les lieux de plaisirs110 ». Même dans le registre des jouissances de la chère ou de la chair, le client demande à être informé pour éviter les confusions faciles dans la capitale du Plaisir. D’ailleurs, tout comme les lieux de consommation se diversifient, les pratiques de la clientèle deviennent elles aussi plurielles dans le monde métropolitain de la fin du siècle. L’organisation des repas dans la planification des journées doit ainsi s’adapter selon les habitudes des visiteurs et selon les circonstances de l’Exposition qui changent de jour en jour. Dans ses itinéraires proposés, le guide de Conty de 1900 indique ainsi, dépendamment de si l’on se lève tôt ou tard, à quel moment s’arrêter pour le déjeuner et s’il est mieux de manger avant la visite de tel ou tel palais à l’Exposition111. Le Gagliani’s Guide to the Exhibition de 1900, signale de son côté que le choix de prendre son repas à l’extérieur de l’enceinte n’est pas mauvais en soi car cela permet d’éviter la grande affluence dans les établissements du site, mais il peut le devenir le soir si une foule trop importante encombre les sorties : « On ordinary days it would, perhaps, be advisable to leave the Exhibition, lunch in the city, and afterwards return, thus avoiding much crowding and discomfort, but in the evening this plan is not so convenient112. » L’espace vivant de l’Exposition, celui qui se constitue par les corps et les objets qui circulent, s’accumulent, se pressent et se détachent, définit, dans ses fluctuations, la forme des habitudes alimentaires du public. Les consommateurs font l’Exposition tout autant qu’ils la subissent.
40La présence de plusieurs guides anglophones pour l’Exposition est d’ailleurs symptomatique de l’un des aspects les plus évidents de la diversification du public, son internationalisation lors des Expositions universelles. Dans le guide d’Alberty, qui est bilingue et s’adresse spécifiquement au public anglo-américain, l’auteur prétend, en parlant de lui à troisième personne, que : « Il sait quels sont les goûts et les préférences des étrangers à Paris, notamment ceux des Américains et des Anglais parmi lesquels il a longtemps vécu et avec lesquels il est en relations suivies113. » Si l’objectif d’un guide est bien de « remplacer auprès du lecteur l’ami ou le cicerone, connaisseur des bons coins et recoins de Paris114 », c’est qu’il s’adresse d’abord aux profanes pour leur communiquer un apprentissage de Paris. Autour de l’alimentation, un ensemble d’informations susceptibles de faciliter le passage des touristes dans la Ville Lumière est communiqué dans les guides qui leur sont destinés : les différents types d’établissements, les habitudes alimentaires des Français, les rudiments de la langue française pour l’interaction avec le personnel des restaurants, les pièges tendus aux visiteurs étrangers et les règles de l’étiquette parisienne. Certains, comme le Bemrose’s Guide to Paris, and the 1889 Exhibition, le Black’s Guide to Paris and the Exhibition of 1889 et l’Anglo-Saxon Guide to the Paris Exhibition, 1900 incluent même un glossaire exhaustif avec une section sur la nourriture, les repas ou les restaurants115, ou, dans le cas du Parigi : Guida pratica della città e dei dintorni seguita da un apendice sulla Esposizione del 1900 de Barbesi, une traduction en italien et une explication du contenu des plats (civet, poulet en cocotte, le caneton à la bigarde, les pommes duchesse) et des sauces (à la Godard, Bordelaise, financière, Joinville, Pompadour, Condé, Conti, Rossini Richelieu)116.
41L’apprentissage sur la culture commerçante parisienne met en garde le touriste contre les « enseignes tapageuses117 » et lui donne surtout une échelle moyenne des prix selon les types d’établissements pour ne pas qu’il se fasse escroquer par un restaurateur peu scrupuleux118. La variété inédite de l’offre dans le domaine de restauration, associée à la l’immensité de la demande en année d’Exposition universelle incite alors les auteurs des guides à proposer une clarification de cette économie essentielle à la santé, tant de l’événement que de ses visiteurs. « Nessun paese offre tante risorse a chi vuol sprecare il suo denaro in ghiottonerie119 » dit Giacomo Capon dans le Guida pratica di Parigi di Folchetto per l’Esposizione universale del 1889 : « nul pays n’offre tant de ressources à qui veut gâcher son argent la gloutonnerie ». Puisque Paris se distingue par la diversité de ses lieux de réfection, les guides misent donc sur une classification susceptible de faire connaître au visiteur la mesure de ses besoins et de l’orienter vers un établissement adéquat. Dans la presse populaire parisienne, on imagine bien les situations où le visiteur étranger sera la victime malheureuse des pratiques malhonnêtes de certains commerçants :
Ah ! vous voulez du vin, pas mèche !
Pour égayer le bacchanal,
On vous servira du campêche
Allongé de l’eau du canal.
Pour que vos noces soient parfaites
Et que votre appétit soit prompt,
Vous aurez des absinthes faites
Avec des fonds de pantalon.120
42Pour éviter à ses compatriotes des mésaventures alimentaires, le guide de Capon comprend donc une section sur « Come si mangia a Parigi » dans laquelle il introduit le lecteur aux différents établissements (crémeries, marchands de vin, bouillons, table d’hôte, restaurants à prix fixe, grands restaurants), et à la répartition normale d’une carte avec les prix moyens pour le couvert, le potage, les hors-d’œuvre, le plat de résistance, le poisson, le fromage, le vin, etc.121 De plus, le guide dresse également une liste des principaux restaurants de l’Exposition, le restaurant russe, le restaurant flamand, les bouillons Duval, en conseillant au visiteur de toujours consulter d’abord son budget avant de pénétrer dans un établissement de l’Exposition, et ensuite de ne pas hésiter à questionner les restaurateurs sur les tarifs des repas et des consommations122.
43Sur le plan des manières, la consommation en contexte interculturel implique aussi évidemment un rappel des règles de conduites non écrites qui codifient le monde particulier des cafés et restaurants parisiens. La question épineuse du pourboire, potentiellement génératrice de conflits et de mésententes, est ainsi abordée dans le Guida pratica di Parigi di Folchetto per l’Esposizione universale del 1889 qui indique ce qu’il perçoit être les normes françaises en la matière : 10 centimes pour le café, 10 à 25 centimes pour une collation de 2 à 4 francs, 50 centimes pour un plat à la carte de 6 à 12 francs123. Le Bemrose’s Guide fait d’ailleurs du pourboire sa règle numéro 5 dans ses douze règles de conduite pour les visiteurs à Paris : « Remember that “tipping” – though an evil – is a necessity, if comfort and attention are to be secured124. » Il faut mentionner à cet effet que les visiteurs étrangers n’ont pas toujours bonne presse sur ce tableau dans la Ville Lumière alors qu’on peut les accuser de feindre l’ignorance des normes monétaires dans la coutume du pourboire125. Par contre, la question du respect de l’heure des repas ne fait pas l’unanimité. Les auteurs du Bemrose Guide invitent leurs compatriotes à suivre le rythme moyen et les habitudes des Parisiens dans la règle 10 de leur code : « Eat the same food and the same hours as the French do, without asking questions. The food is generally well cooked and wholesome. Snails and frogs are not likely to be ever offered you. Always drink the wine or light beer of the country, and not English ales. On the other hand, French cigars and tobaccos are not nice, and best left alone126. » Cependant, du côté allemand, Paul Lindenberg, dans son Paris und die Weltausstellung 1900, préfère recommander aux visiteurs germanophones d’éviter précisément de fréquenter les restaurants à l’heure habituelle des repas pour ne pas avoir à subir les aléas de la foule et le manque de tables : « Frühstück 12-1 Uhr, Mittagsmahl 6-7 Uhr. Später in den Restaurants zu essen, ist nicht empfehlenswert, die Fülle ist meist groß, manche speisen fehlen, der Aufenthalt nicht angenehm127. » Pour certains, il est question de vivre la ville, pour d’autres il est d’abord question de vivre confortablement.
44Par ailleurs, une spécificité italienne sur laquelle nous nous garderons de développer est l’insistance sur l’importance de la politesse dans les lieux de consommation. Le Parigi : Guida pratica della città e dei dintorni seguita da un apendice sulla Esposizione del 1900, contient une section spéciale sur la « gentilezza francese » en traitant particulièrement des règles à suivre dans les cafés : « Liberté, Égalité, Fraternité, non è a stupire, che, almeno nelle apparenze, si debba trattare con riguardo anche chi è obligato, per la sua professione stessa, a serviri128 » et le guide de Capon introduit son lecteur aux manières justes de formuler les demandes aux serveurs pour éviter les malentendus, telles que l’usage de la deuxième personne du pluriel et l’inévitable « s’il vous plaît », à préférer dans les lieux publics au « je vous prie », et en faisant de l’excès de normes mondaines une particularité nationale des Français : « I Francesi eccedono nelle formole di gentilezze banali, e chi non le segue è ipso facto qualificato da loro come un uomo male educato129. » Les Britanniques ont d’autres mises à livrer à leurs compatriotes en ce qui concerne la consommation. Le Bemrose’s Guide rappelle la différence entre le café et le restaurant, et les différents usages qui s’y rattachent :
The café proper is a restaurant where time is supposed to be of no object, and money but an incident. Nothing eatable is supplied but in the merest shadow. Coffee, beer, liqueurs, and syrups are the staple commodities. The average Frenchman will consume, say, three glasses of beers (bocks) in an evening, and spend perhaps three of four hours at his café smoking, reading the newspapers, and discussing « the situation » or the latest scandal.130
45Pour les visiteurs étrangers, il avertit : « Café au lait, if ordered in the evening, generally provokes a look of mingled wonder and contempt on the visage of the waiter, as would equally the request for something to eat131. » Autre recommandation, cette fois émanant du Anglo-Saxon Guide et concerne cette fois la santé des touristes : ne jamais consommer l’eau de la Seine, surtout lors des mois estivaux132. Avec toutes ces mises en garde à respecter, peut-être n’est-ce alors pas étonnant que certains guides étrangers signalent également des lieux pour les visiteurs nostalgiques de la terre natale133. Lindenberg indique les restaurants allemands disposant d’un personnel germanophone et les endroits dans Paris où il est possible de consommer de la bière allemande134 et Barbesi souligne la présence de nombreux négociants faisant le commerce de produits alimentaires italiens et de nombreux restaurants purement italiens, permettant au visiteur de manger comme à Milan, Naples, Rome ou Venise135.
46L’apprentissage des normes et l’ajustement des perceptions ou des préjugés prend donc son importance pour éviter les malentendus et les mauvaises surprises tant du côté du consommateur que du côté du commerçant et de ses employés : le petit guide devient un diplomate international qui a pour fonction de pacifier les échanges dans une économie de marché en contexte interculturel. Cependant, même si le guide tend à nous présenter un public constitué de visiteurs de passage, il nous invite paradoxalement à approcher le phénomène du tourisme qui se déploie avec une amplitude toute particulière lors des Expositions universelles dans une perspective qui va au-delà de la dualité entre le visiteur et le visité136. Ils mettent en scène l’interaction des uns et des autres, l’usage des sites, les manières de table et tous les effets de la pratique du tourisme, tant sur l’identité des touristes eux-mêmes que sur l’identité des sites visités et consommés. Ce coup d’œil sur ce qui est dit de la consommation alimentaire dans les guides nous montre que Paris et les Expositions universelles ne sont pas des lieux donnés, les canevas géographiques sur lesquels des êtres circulent et observent, mais des mondes pluriels en constante recomposition par l’activité touristique qui demandent une mise en commun dans laquelle participe un éventail d’acteurs.
Conclusion
47Il est évident que les expositions républicaines de 1889 et de 1900 participent à la démocratisation des pratiques alimentaires, l’extension des loisirs gastronomiques dans la population parisienne et l’intégration de nouveaux mets et produits dans le marché de la restauration. Elles sont à la fois le miroir et le catalyseur de ces différents processus, révélatrices stroboscopiques du monde et génératrices de nouveaux cadres sociaux ou matériels pour la consommation. Mais la grandeur de ces événements, malgré leurs accents triomphants, est incidemment source de doutes et d’incertitudes, multiplication d’épreuves. La démocratisation de la consommation ne va pas sans poser aux esprits de l’époque des questionnements sur les conséquences politiques et morales d’un tel développement. Ainsi en est-il également du flux international de marchandises et de visiteurs convergeant simultanément à Paris pour les Expositions de 1889 et 1900, et ainsi en est-il aussi de ces grandes festivités symboliques célébrant la présence des grands dignitaires nationaux et étrangers. Alors que la ville se modernise et s’internationalise, que Paris devient « capitale du xixe siècle » au rythme des Expositions universelles, la ville se rend aussi de moins en moins lisible et saisissable pour ses habitants137. Ces importants événements suscitent de non moins importantes controverses, des angles morts dans la surcharge de signes, de l’invisibilité par la concentration visible des marchandises : avec leurs grandes prétentions à produire des certitudes, les Expositions universelles doivent inévitablement générer leur lot d’incertitudes et c’est précisément cette rencontre qui structure la particularité de la consommation alimentaire à Paris en 1889 et 1900.
Notes de bas de page
1 Henri Beraldi, préface de Émile Goudeau, Paris qui consomme, Paris, Beraldi, 1893, p. V.
2 Le Tableau de Paris est cité en épigraphe, assaisonnée de la remarque suivante : « Après cent douze ans écoulés, peut-être seras-tu curieux de savoir où nous en sommes ! » Ibid., s. p.
3 Auteur en 1846 du Paris à Table, essai sur l’histoire de l’alimentation à Paris.
4 Voir Jean-Pierre Rioux, « Laïcisations, massifications, sécessions (1885-1918) » dans Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire culturelle de la France. 4. Le temps des masses : le vingtième siècle, Paris, Seuil, 1997, p. 75-92.
5 Gustave de Molinari, cité dans Revue encyclopédique, vol. X, no 361 (1900), p. 613.
6 Bernaldi dans Goudeau, op. cit., p. III-IV.
7 Ibid., p. IV.
8 Ibid.
9 Roberta Sassatelli, Consumer Culture : History, Theory and Politics, Londres, Sage, 2007.
10 Voir Gustave Flaubert, « Lettre à George Sand, 6 mai 1867 » dans Correspondance III (janvier 1859-décembre 1868), Paris, Gallimard, 1991, p. 635.
11 Ibid., p. 635-636.
12 Gustave Flaubert, « Lettre à George Sand, 12 juin 1867 ». Italiques dans le texte original.
13 Malgré tout, peu seront aussi intransigeants que Léon Bloy dans l’opposition à la vénération bourgeoise des fausses idoles de la civilisation matérialiste. Il se vante ainsi dans son journal de ne pas visiter l’Exposition en 1900.
14 Voir par exemple Raymond F. Betts, A History of Popular Culture : More of Everything, Faster and Brighter, Londres, Routledge, 2004, p. 107-112.
15 Rapport sur l’Exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, Imprimerie impériale, 1869, p. 230.
16 John Dewey, Le public et ses problèmes, Paris, Gallimard, 2010.
17 Rapport administratif sur l’Exposition universelle de 1878 à Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1881, vol. II, p. 407-408.
18 Alfred Picard (dir.), Exposition universelle internationale de 1889 à Paris. Rapport général, Paris, Imprimerie nationale, 1890, vol. III, p. 282.
19 Ibid., Pièces annexes, p. 443.
20 Alfred Picard (dir.), Exposition universelle internationale de 1900 à Paris. Rapport général administratif et technique, Paris, Imprimerie nationale, 1902-1903, vol. 7, p. 201.
21 Toujours selon le Rapport général de l’Exposition de 1900, ibid. : « Beaucoup de visiteurs ne devaient prendre à l’Exposition qu’une légère collation ; d’autres apportaient les principaux éléments de leur repas et se bornaient à acheter le complément dans l’enceinte. Les restaurants, organisés pour servir des repas complets, ne pouvaient, ni pratiquement, ni économiquement, fournir les ressources nécessaires à ces deux catégories de visiteurs ».
22 Ibid., p. 347.
23 Ibid., p. 203-204.
24 Eric Hobsbawm utilise justement l’expression « mass producing traditions » pour caractériser ces formes de culture politique qui prennent un grand essor dans l’Europe de cette période en insistant sur l’importance d’adapter ces manifestations instrumentalisées politiquement à l’arrière-plan culturel du public auxquelles elle sont destinées. Eric Hobsbawm, « Mass Producing Traditions : Europe, 1870-1914 » dans Eric Hobsbawm et Terrence Ranger (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambrige University Press, 1984, p. 263-307.
25 Paul Greenhalgh, « Education, Entertainment, and Politics : Lessons from the Great International Exhibitions » dans Peter Vergo, The New Museology, Londres, Reaktion Books, 1989, p. 84.
26 Elsbeth A. Heaman, The Inglorious Arts of Peace : Exhibitions in Canadian Society during the Nineteenth Century, Toronto, University of Toronto Press, 1999, p. 10-20.
27 Florence Pinot de Villechenon, Fêtes géantes. Les Expositions universelles : pour quoi faire ?, Paris, Autrement, 2000, p. 77.
28 Voir ibid., p. 32-33 : « Gages de succès, les distractions maximisent la fréquentation des lieux, assurant à tous les exposants une audience élargie et une diffusion optimale de leur message. Les attractions sont aussi un complément nécessaire pour un public gavé d’informations mais qui demeure sollicité par l’instinct du divertissement. »
29 « Ce succès sans précédent a été dû à l’originalité des constructions parsemées d’une façon si pittoresque sur l’esplanade des Invalides, à la multiplicité des produits, au bon goût qui a présidé à leur installation et aussi à la variété des campements indigènes, qui ont été une innovation des plus heureuses et des plus utiles ». Exposition universelle de 1889, Les expositions de l’État au Champ-de-Mars et à L’Esplanade des Invalides, t. 1, Paris, Imprimerie des journaux officiels, 1890, p. 176.
30 L’Exposition de 1889 et la tour Eiffel, d’après les documents officiels par un ingénieur, Paris, Gombault et Singier, 1889, p. 144.
31 Ibid.
32 Exposition internationale universelle de 1900, Catalogue général officiel, Lille, L. Danel, 1900, vol. 1, p. 13-14.
33 Georges Pillement, Paris en fête, Paris, Grasset, 1972, p. 406.
34 Ibid., p. 407.
35 Il n’est pas non plus une spécificité parisienne à la fin du xixe siècle. Voir par exemple Katja Zelljadt, « Presenting and Consuming the Past : Old Berlin at the Industrial Exhibition of 1896 », Journal of Urban History, vol. 31, no 3 (2 005), p. 308-309.
36 Paul Morand, 1900, Paris, Flammarion, 1931, p. 64-65.
37 Fernand Calmettes, « 1900 » dans Charles Simon (dir.), Paris de 1800 à 1900 d’après les estampes et les mémoires du temps. Tome III : 1870-1900, Troisième République, Paris, Plon, 1901, p. 573. Dans leur histoire des Expositions universelles, Linda Aimone et Carlo disent que dès l’Exposition de 1900 : « Les expositions se transforment en une machine de propagande qui séduit plus qu’elle n’informe, faite sur mesure pour un public désireux de consommer un spectacle dans un espace aussi bariolé que dispersé. » Linda Aimone et Carlo Olmo, Les Expositions universelles 1851-1900, Paris, Belin, 1993, p. 34.
38 Jean-Paul Aron, Le mangeur du xixe siècle, Paris, Payot, 1989 (1973), p. 105.
39 Jean Mollet, Les Mémoires du Baron Mollet, Paris, Gallimard, 2008 (1963), p. 27-28.
40 Par exemple Debora Silverman, « 1889 Exhibition : the Crisis of Bourgeois Individualism », Oppositions, vol. 8 (1977), p. 71-91 ; Emmanuelle Toulet, « Le cinéma à l’Exposition universelle de 1900 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 33 (1986), p. 179-209 ; Lieven de Cauter, « The Panoramic Ecstasy : On World Exhibitions and the Disintegration of Experience », Theory, Culture & Society, vol. 10, no 4 (1993), p. 1-23 ; Tom Gunning, « L’image du monde : cinéma et culture visuelle à l’Exposition internationale de Saint-Louis (1904) » dans Claire Dupré la Tour, André Gaudreault et Roberta Pearson (dir.), Le cinéma au tournant du siècle, Québec, Nota Bene, 1999, p. 51-62 ; Christophe Prochasson, Paris 1900 : essai d’histoire culturelle, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 103-105 ; Lynda Nead, « Velocities of the Image c. 1900 », Art History, vol. 7, no 5 (2004), p. 745-769.
41 Voir Wolfhard Weber, « The Political History of Museums of Technology in Germany Since the Nineteenth Century » dans Brigitte Schroeder-Gudehus (dir.), Industrial Society and its Museums, Chur, Harwood Academic Publishers, 1993, p. 13-25 et Eilean Hooper-Greenhill, « The Museum in the Disciplinary Society » dans Susan Pearce (dir.), Museum Studies in Material Culture, Leicester, Leicester University Press, 1989, p. 71-72.
42 Cité dans Adolphe Démy, Essai historique sur les Expositions universelles de Paris, Paris, A. Picard et fils, 1907, p. 615.
43 Paul Bonhomme, « Chronique parisienne », Soleil du dimanche, 3e année, no 15 (15 avril 1900), p. 1.
44 Charles de Suffren, « Nos Colonies au Trocadéro », L’Exposition des colonies, 4e année, 20 juin 1900, p. 1.
45 Gustave Babin, Après Faillite. Souvenirs de l’Exposition de 1900, Paris, Dujarric & Cie, 1902, p. 288.
46 Albert Delaporte, « L’Exposition de 1889 », La Grande Revue de Paris et de Saint-Petersbourg, 2e année, t. 3 (1889), p. 622. Nous soulignons.
47 Frank Trentmann, « The Evolution of the Consumer : Meanings, Identities, and Political Synapses Before the Age of Affluence » dans Sheldon Garon et Patricia L. Maclachlan (dir.), The Ambivalent Consumer : Questioning Consumption in East Asia and the West, Ithaca, Cornell University Press, 2006, p. 21-44.
48 Cela est particulièrement le cas dans l’exemple des pèlerinages massifs à Lourdes qui inquiètent, pour des raisons différentes, tant les intellectuels catholiques que les élites républicaines. Voir Suzanne Kaufman, Consuming Visions : Mass Culture and the Lourdes Shrine, Ithaca, Cornell University Press, 2005, p. 62-94.
49 Richard Wilk, « Consuming Morality », Journal of Consumer Culture, vol. 1, no 2 (2001), p. 245-260.
50 Richard O’Monroy, « Paris-Exposition » dans La nuit parisienne, Paris, P. Arnould, 1890, t. 1, p. 261.
51 Le devise de l’Exposition universelle de Chicago en 1893 est « Voir c’est savoir ».
52 Adolphe Coste, Impressions de l’Exposition universelle de 1900, Paris, V. Giard et E. Brière, 1900, p. 5.
53 À l’instar de l’Exposition de 1900 qui selon Christophe Prochasson peut être vue : « autant comme un espace d’affrontements symboliques que comme un hymne à l’harmonie et à l’entente pacifique ». Christophe Prochasson, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 105. Une dualité également soulignée par Elsbeth Heaman à la fin de son volume : « Exhibitions had a dual role : They encouraged the display of cultural diversity, often to the point of caricature, and they also seriously impaired this diversity. Exhibitions were supposed to increase universal assimilation by bringing all cultures into contact in the world’s market. These cross-cultural transactions could never be wholly honest ». Heaman, op. cit., p. 310.
54 « Comment on peut se distraire à Paris : Demain lundi 6 mai 1889 : Le matin », Le Plaisir à Paris. Journal programme quotidien, cosmopolite et illustré de toutes les distractions de Paris et de l’Exposition, no 5 (mai 1889), s. p.
55 Voir Ulf Hannerz, Transnational Connections : Culture, People, Places, Londres, Routledge, 1996.
56 « Banquet des Républiques américaines », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 8 (21 mai 1889), p. 4.
57 « Le banquet du comité roumain », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 21 (3 juin 1889), p. 3.
58 « Les banquets », Bulletin officiel de l’Exposition universelle de 1889. Quotidien illustré, 2e série, no 5 (18 mai 1889). p. 3.
59 Voir Olivier Ihl, La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996, p. 210.
60 Olivier Ihl, « Les territoires du politique : sur les usages festifs de l’espace parisien à la fin du xixe siècle », Politix, vol. 6, no 21 (1993), p. 15-32.
61 Olivier Ihl, op. cit. et « De bouche à oreille : sur les pratiques de commensalité dans la tradition républicaine du cérémoniel de table », Revue française de science politique, vol. 48, no 3 (1998), p. 387-408.
62 Voir Michœl Deitler, « Theorizing the Feast : Rituals of Consumption, Commensal Politics, and Power in African Contexts » dans Michael Dietler et Brian Hayden, Feasts : Archaeological and Ethnographic Perspectives on Food, Politics and Power, Washington, Smithsonian Institution Press, 2001, p. 69.
63 « La voix de la France », Le Petit Parisien, 25e année, no 8731 (23 septembre 1900), s. p.
64 Jeanne B. Barondeau, Curnonsky, souvenirs gastronomiques, Munich, Curnonska, 2007, p. 31-33.
65 « Le banquet des maires », La Revue culinaire, vol. 7, no 10 (15 août 1889), p. 88-89.
66 « La fête des maires de France », Le Figaro, no 266 (23 septembre 1900), p. 1.
67 Robert Burnand, Paris 1900, Paris, Hachette, 1951, p. 248.
68 Grainville, « Les Gueux à l’Exposition », Le Pilori, 4e année, no 159 (5 mai 1889), s. p.
69 Grainville, « Le Centenaire », Le Pilori, 4e année, no 160 (12 mai 1889), s. p.
70 Armand Mariotte, « Les maires à Paris », Le Pilori, 4e année, no 175 (25 août 1889), s. p.
71 Paul de Cassagnac, « Le trompe-l’œil », L’Autorité, 4e année, no 131 (11 mai 1889), s. p.
72 Ibid.
73 Albert Henri, « Réalité ! », Le Libertaire, 5e année, no 25 (22 au 29 avril 1900), s. p.
74 « Civilisation bourgeoise », La Révolte, 2e année, no 35 (12 au 18 mai 1889), p. 1-2.
75 Ernest Gégout, « Philanthropie bourgeoise : la “bouchée de pain” », L’Attaque, 2e année, no 36 (6 au 13 avril 1889), s. p.
76 Charles Albert, « L’Exposition », Les Temps Nouveaux, 6e année, no 30, p. 1.
77 George Orwell, La ferme des animaux, Paris, Gallimard, 1984.
78 « La Foire au Champ-de-Mars », Le Père peinard, no 10 (28 avril 1889), p. 5.
79 « Raté, nom de dieu ! », Le Père Peinard, no 12 (12 mai 1889), p. 12. Nous soulignons.
80 « Les ripailleurs de l’Hôtel-de-Ville », Le Père peinard, no 13 (19 mai 1889), p. 7-9.
81 Ibid., p. 9.
82 Bruno Latour, « From Realpolitik to Dingpolitik or How to Make Things Public » dans Bruno Latour et Peter Weibel (dir.), Making Things Public : Atmospheres of Democracy, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 11-41.
83 « Crevé de faim », Le Père peinard, no 27 (25 août 1889), p. 13.
84 Alphonse Karr, « Les bêtes à bon Dieu », La Grande Revue de Paris et de Saint-Petersbourg, 2e année, t. 3 (1889), p. 619.
85 « À travers l’Exposition », Le Correspondant, 72e année, t. 199 (1900), p. 979.
86 « La politique à table », Le Figaro, 46e année, 3e série, no 162 (11 juin 1900), p. 1.
87 L. Desmoulins, « Les maires à Paris », Le Gaulois, 35e année, no 6861 (23 septembre 1900), p. 1. L. Desmoulins est le pseudonyme de Robert Robert-Mitchell, ancien député bonapartiste et sympathisant boulangiste.
88 Claude Rivière, Les rites profanes, Paris, PUF, 1995, p. 190.
89 Voir Michael Dietler et Brian Hayden, « Digesting the Feast – Good to Eat, Good to Drink, Good to Think : An Introduction » dans Michael Dietler et Brian Hayden (dir.), Feasts : Archaeological and Ethnographic Perspectives on Food, Politics and Power, Washington, Smithsonian Institution Press, 2001, p. 1-20.
90 Harvey Levenstein, Seductive Journey : American Tourists in France from Jefferson to the Jazz Age, Chicago, Chicago University Press, 1998, p. 159.
91 Voir sur le sujet Lucien Karpik, « Le Guide rouge Michelin », Sociologie du travail, vol. 42, no 3 (2000), p. 369-389.
92 Par exemple Pascal Ory, « Le mythe de Paris, Ville-Lumière, dans les années 1900 » dans Pierre Milza et Raymond Poidevin (dir.), La puissance française à la Belle époque, Bruxelles, Complexe, 1992, p. 134 ; Frédéric Moret, « Images de Paris dans les guides touristiques en 1900 », Mouvement social, no 160 (1992), p. 79-98 et « Image et réalité de la restauration parisienne à travers les guides touristiques 1855-1889 » dans Alain Huetz de Lemps et Jean-Robert Pitte (dir.), Les restaurants dans le monde et à travers les âges, Grenoble, Glénat, 1990, p. 27-30 ; Claire Hancock, Paris et Londres au xixe siècle : Représentations dans les guides et récits de voyage, Paris, CNRS, 2003.
93 Cela comprend soit des guides portant spécialement sur les Expositions de 1889 ou 1900, ou alors des guides de Paris publiés en 1889 ou 1900 qui contiennent une section spéciale sur l’Exposition universelle.
94 Il s’agit de deux guides pour l’Exposition de 1900 : E. Brocherioux (dir.), Guide-Boussole : Exposition et Paris : 1900, Paris, Paul Ollendorff, 1900 et de L’Exposition 1900. Renseignements pratiques sur Paris et l’Exposition. Paris, Guides Conty, 1900.
95 Voir Nicholas Green, The Spectacle of Nature : Landscape and Bourgeois Culture in Nineteenth Century France, Manchester, Manchester University Press, 1990, p. 167.
96 Il est par contre très présent dans les publicités illustrées qui occupent parfois des dizaines de pages à la fin du livre.
97 L’indicateur alphabétique, guide complet de l’Exposition de 1900, Paris, Robert, 1900, vol. 1, p. 6.
98 Marcel Huart, « L’inauguration », L’Événement, 18e année, no 6253 (8 mai 1889), s. p.
99 Brocherioux, op. cit., s. p.
100 Parigi nel 1889. Guida pratica tascabile, illustrata per il viaggiatore italiano a Parigi, Milan, E. Sonzogno, 1889, p. 5.
101 Frédéric Moret, « Images de Paris dans les guides touristiques en 1900 », Mouvement social, no 160 (1992), p. 80.
102 Werner Sombart, Le bourgeois : contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme économique moderne, Paris, Payot, 1926, p. 135.
103 Shuai Quan et Ning Wang, « Towards a structural model of the tourist experience : an illustration from food experiences in tourism », Tourism Management, vol. 25 (2004), p. 297-305.
104 The Way to Spend Six Days at the Exhibition 1889, Paris, Garnier Frères Éditeurs, 1889.
105 Huit jours à Paris pour cent francs, guide et méthode, Lyon, Waltener et Cie, 1889.
106 Guide de l’étranger à l’Exposition universelle, Paris, Louis Gabillaud, 1889, p. 3.
107 Guide universel de Paris et de l’Exposition en 1900, Paris, Bureaux du Guide universel de l’Exposition, 1900, p. 5.
108 Armand Silvestre, Guide Armand Silvestre de Paris et de ses environs et de l’Exposition de 1900, Paris, Didier et Méricant, 1900, p. 7.
109 1900. Paris Exposition. Guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition, Paris, Hachette, s. d., p. XVI.
110 Les plaisirs de Paris. Guide du Rire dans Paris et à l’Exposition de 1900, Paris, Juven, 1900, p. VI.
111 L’Exposition 1900. Renseignements pratiques sur Paris et l’Exposition, Paris, Guides Conty, 1900, p. 26-29.
112 Gagliani’s Guide to the Exhibition, with plan, 1900, Paris, Gagliani Library, 1900, p. XVI.
113 Alberty, Guide dans Paris et l’Exposition, Paris, Sauvaitre, 1889, p. 2.
114 Ibid., p. 2.
115 Sieverts Drewett, Bemrose’s Guide to Paris, and the 1889 Exhibition, Londres, Bemrose and Sons, 1889, p. 2 ; B. Bernard, Anglo-Saxon Guide to the Paris Exhibition, 1900, Londres, Boot and Son, 1900, p. 172-174 et Gaston Meissas, Black’s Guide to Paris and the Exhibition of 1889, Edimbourg, Black, 1889, p. 103-110.
116 G. Barbesi, Parigi : Guida pratica della città e dei dintorni seguita da un apendice sulla Esposizione del 1900, Roma, Casa Editrice Italiana, 1900, p. 90.
117 Guide universel de Paris et de l’Exposition en 1900, Paris, Bureaux du Guide universel de l’Exposition, 1900, p. 71.
118 Par exemple, le guide Hachette signale que : « La vie n’est guère plus chère à Paris que dans les autres villes ; on trouve, dans tous les quartiers, des restaurants pour toutes les bourses, où le beefsteack vaut de 60 c. à 5 F. À prix fixe, on peut même dîner à partir de 1,25 F, vin compris ». 1900. Paris Exposition, Paris, Hachette, s. d., p. 14.
119 Giacomo Capon, Guida pratica di Parigi di Folchetto per l’Esposizione universale del 1889, Milan, Fratelli Treves, 1889, p. 155.
120 Wasp, « La Ronde des Rastaquouères », Le Courrier français, 6e année, 19 (12 mai 1889), p. 2.
121 Ibid., p. 165-166. Dans le guide de Barbesi pour l’Exposition de 1900, il y a aussi un chapitre sur « comment on mange à Paris » où l’on aborde la question du budget en distinguant cinq classes de consommateurs (pauvre, très modeste, modeste, aisé, riche) et en établissant une grille avec montant quotidien recommandé pour chaque repas de la journée. Par exemple, pour la collation, le guide propose : Ricchi, 10 francs, Agiati, 5, Modesti 2, Modestissimi, 1,25, Poveri, 0,75 (à la crèmerie). Barbesi, op. cit., p. 87.
122 « Il visitatore di giorno e di sera consulterà il suo budget avanti di entrare in questi ristoranti. […] suggerisco ai visitori de informarsi senza alcuna vergogna avanti di entrare in un restaurant, se è a prezzo fisso o alla carta, se è di genere modesto, o di lusso. Cosi non avrete ingrate sorprese ». Ibid., p. 243. On retrouve aussi cette dernière mise en garde dans le Anglo-American Guide pour l’Exposition de 1889 : « Visitors are advised to ask for the tariff before ordering anything, as otherwise the bill may be far heavier than they imagine ». Paris Exhibition, 1889. Anglo-American Guide. Paris and its environs. Amusements and Monuments, Paris, s.n., 1889, p. X.
123 Capon, op. cit., p. 8-9.
124 Drewett, op. cit., p. 16.
125 « Le truc des étrangers, pour se soustraire au pourboire, est d’ailleurs assez ingénieux et il fonctionne admirablement. Ils entrent par bande dans un café et y consomment sous la conduite d’un chef, directeur et ministre des finances. C’est lui qui règle en bloc tout le monde et, après avoir payé, il laisse… cinq centimes au garçon. Celui-ci refuse, en général, cette somme dérisoire, et, sans plus s’en préoccuper, le chef se retire noblement avec ses amis ». Richard O’Monroy, « Courrier de Paris », L’Univers illustré, 43e année, no 2363 (7 juillet 1900), p. 419.
126 Ibid.
127 « Frühstück 12-1 Uhr, Mittagsmahl 6-7 Uhr. Später in den Restaurants zu essen, ist nicht empfehlenswert, die Fülle ist meist gross, manche speisen fehlen, der Aufenthalt nicht angenehm ». Paul Lindenberg, Paris und die Weltausstellung 1900, Minden, Bruns’ Verlag, 1900, p. 131.
128 G. Barbesi, Parigi : Guida pratica della città e dei dintorni seguita da un apendice sulla Esposizione del 1900, Roma, Casa Editrice Italiana, 1900, p. 36.
129 Capon, op. cit., p. 10.
130 Drewett, op. cit., p. 25.
131 Ibid.
132 B. Bernard, Anglo-Saxon Guide to the Paris Exhibition, 1900, Londres, Boot and Son, 1900, p. 133.
133 L’historienne de l’architecture Joanne Vajda, souligne qu’à la fin du siècle : « Paris compte de nombreux restaurants étrangers. Ceux-ci sont consécutifs aux Expositions universelles où les Parisiens découvrent les cuisines étrangères qui connaissent alors un grand succès, mais résultent aussi d’une demande émanant des étrangers de passage désireux de retrouver le goût de leurs mets nationaux ». Joanne Vajda, « La construction des restaurants parisiens comme lieux d’attractivité touristique – fin xixe-début xxe siècle » dans Julia Csergo et Jean-Pierre Lemasson (dir.), Voyages en gastronomies : l’invention des capitales et des régions gourmandes, Paris, Autrement, 2008, p. 81.
134 Lindenberg, op. cit., p. 131.
135 « Per nostra consolazione, esistono nella capitale francese, oltre numerosi negozi, e magazini che smerciano tutti i prodotti alimentari italiani che si desiderano, molti restaurants pure italiani, ove si mangia come a Milano, Roma, Napoli, Venezia ». Barbesi, op. cit., p. 92.
136 Gunnar Thór Jóhannesson, « Tourism Translations : Actor-Network Theory and Tourism Research », Tourist Studies, vol. 5, no 2 (2005), p. 133-150.
137 Christopher Prendergast, Paris and the Nineteenth Century, Oxford, Blackwell, 1992.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un aliment sain dans un corps sain
Perspectives historiques
Frédérique Audouin-Rouzeau et Françoise Sabban (dir.)
2007
La Pomme de terre
De la Renaissance au xxie siècle
Jean-Pierre Williot et Marc de Ferrière le Vayer (dir.)
2011