De la robe des champs au flocon de l’Aisne. L’approvisionnement, le choix et les modes de consommation de la pomme de terre en France (1950-1980)
p. 311-342
Texte intégral
1Entre la cuisson classique de la pomme de terre en robe des champs et la réussite commerciale de la purée industrielle fabriquée dans les usines du département de l’Aisne, toute une évolution de la consommation du tubercule a vu le jour dans un temps réduit. Si l’on s’en tenait à une simple observation statistique budgétaire, analyser la place de la pomme de terre dans la structure des consommations au milieu du xxe siècle tendrait à se polariser sur un sujet bien mince en apparence. Le survol de la consommation des ménages durant la décennie 1960, à l’aide des données établies par l’INSEE aux prix courants, suffit à le mesurer. La dépense effectuée pour acheter des pommes de terre, additionnée de la valeur estimée de l’autoconsommation, s’élevait à 2,2 % des dépenses d’alimentation en 1959, elles-mêmes représentant 37,3 % du budget des ménages. Dix ans plus tard, ces pourcentages avaient l’un et l’autre diminué passant respectivement à 1,2 % et 29,7 %1. Autant dire que la pomme de terre ne pesait plus guère dans le porte-monnaie. La modicité de son coût n’en était pas la seule cause. La quantité consommée reculait en raison de nombreuses évolutions dont certaines ne sont pas liées à la place du tubercule dans la composition traditionnelle des repas. Plusieurs facteurs du changement dans le comportement des consommateurs entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1980 ont relevé de transformations bien connues : élévation du taux de population active féminine et décroissance corrélative de la fonction traditionnelle de préparation des repas ; développement de la restauration hors foyer des adultes autant que des enfants scolarisés ; réorientation des budgets des ménages vers des consommations plus diversifiées. D’autres indices de l’évolution sont en revanche plus spécifiquement corrélés au marché de la pomme de terre : attentes de la clientèle en matière de conditionnement et de présentation qui se sont progressivement muées en exigences nouvelles des consommateurs ; promotion d’une esthétique corporelle plus efficace que le discours nutritionnel mais dont l’influence a situé la pomme de terre brute parmi les aliments en défaveur ; émergence de produits transformés suscitant l’appétence familiale pour ces aliments nouveaux et commodes à préparer.
2Pour comprendre comment les Français ont adopté des tendances alimentaires que les contemporains jugeaient modernes, il faut confronter leurs attitudes par deux voies d’analyse. L’une prend en compte les modalités de l’approvisionnement des ménages en pommes de terre. L’autre intègre les pratiques culinaires et par conséquent les formes de transmission des usages alimentaires. Hors de la restauration commerciale et des recettes des chefs qui ont pu maintenir ou faire évoluer des coutumes gastronomiques auxquelles on associait la pomme de terre depuis le milieu du xixe siècle, le regard se tourne nécessairement vers les mères et les filles, actrices parfois volontaires des changements domestiques et souvent chargées de l’élaboration du repas quotidien. Deux générations nous intéressent ici : les mères des années 1950, âgées de 30 à 50 ans, dont les filles âgées de 10 à 30 ans au cours de la même décennie eurent à leur tour l’âge de leur mère vingt ans plus tard, dans les années 1970. Entre les deux s’interposent des expériences et des contextes socio-économiques différents. Les premières étaient habituées à considérer la pomme de terre comme un aliment de base, une ressource horticole et culinaire providentielle des années de crise et de guerre, autrement dit celles de leur jeunesse. Les secondes ont découvert les facilités des chips et des pommes de terre réduites à l’état de flocons déshydratés en constituant dès leur enfance la première clientèle de ces produits industriels.
3Ce sont bien deux générations au vécu déterminant qui, en fin de compte, ont contribué à l’émergence d’innovations alimentaires que l’on peut considérer comme les matrices de la situation actuelle du marché de la pomme de terre. Sans cela, on ne s’expliquerait pas en effet aujourd’hui le succès des produits transformés, ni la diversité offerte à l’acheteur de pommes de terre qui peut privilégier plusieurs variétés, selon qu’il préfère une chair ferme, une farineuse ou une primeur, et peut tout aussi bien varier ses approvisionnements en fonction des multiples conditionnements. Ces évolutions sont le fruit de plusieurs basculements dans la consommation de la pomme de terre, engagés au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Une consommation atteinte par la médiocrité des approvisionnements
Un choix limité
4Selon les statistiques de l’INSEE, la production de pommes de terre oscilla au cours de la décennie 1950 entre 11 et 16 millions de tonnes, hors la récolte des jardins familiaux mais en incluant aussi bien les primeurs et les pommes de terre de conservation que les variétés produites pour le plant ou les féculeries2. Le ministère de l’Agriculture donnait de son côté une production totale de 12,2 millions de tonnes en 1959, dont 388 000 tonnes destinées à la semence et 393 000 aux féculeries3. La géographie de la production plaçait alors en tête les départements du Nord, du Finistère, du Morbihan, des Côtes-du-Nord, de l’Ille-et-Vilaine, du Pas-de-Calais, qui ensemble réalisaient 30 % de la production des pommes de terre de conservation. Quatorze départements produisaient plus de 2 millions de tonnes dans l’année et fournissaient la moitié de la récolte. En s’en tenant aux primeurs et aux pommes de terre nouvelles, le groupe restait le même à l’exception du Pas-de-Calais et du Morbihan qui laissaient leur place au Gard et à l’Hérault, les six fournissant 37 % de la production4.
5Situer la consommation par un niveau statistique est plus difficile. L’autoconsommation appuyée sur le potager domestique est insaisissable, bien que fondamentale dans une France qui n’a pas encore perdu ses pratiques rurales et n’a pas oublié les pénuries de la guerre. D’autre part, les achats des ménages ne sont pas encore enregistrés de manière fiable. Mais on peut au moins se remémorer qu’en 1912 les Français dévoraient plus de 300 kg par personne dans l’année5 et qu’avant la seconde guerre mondiale, 178 kg étaient consommés par an et par habitant en 19256. Au début des années 1960, le niveau était autour de 100 kg par personne et par an. La globalisation de la consommation fournit une mesure mais ne rend pas compte de la qualité des pommes de terre apportées à table. L’auteur d’un ouvrage réputé sur les caractéristiques des variétés de pommes de terre, R. Diehl7, notait en 1950 que :
les nouvelles créations variétales françaises sont extrêmement rares, situation d’autant plus regrettable que les productions étrangères, si elles sont quelquefois remarquables au point de vue de la productivité, de la précocité ou de la qualité industrielle, correspondent rarement aux désidérata du consommateur français, qui exige, la plupart du temps, des variétés oblongues à chair jaune, fine, tout au moins dans les grandes villes.8
6En fait les choix étaient assez réduits. Au début de cette décennie, les pommes de terre primeurs approvisionnaient surtout les marchés des grands centres urbains, une spéculation de proximité, laissant partout ailleurs une large place aux tubercules des variétés demi-hâtives ou tardives conservés jusqu’en mai ou juin. Si les consommateurs des années vingt trouvaient en priorité des pommes de terre Saucisse, Rosa et Industrie, elles étaient moins abondantes 25 ans plus tard. À leur place, en se basant sur la production de plants sélectionnés faite en France en 1948, la part des Bintje s’élevait à 81 %, devant la variété Ackersegen (10 %), plutôt une pomme de terre fourragère, dont nul n’ignore – écrit Diehl – « la productivité élevée mais aussi la qualité culinaire médiocre »9. La tendance nationale n’était pas pour autant la vérité régionale. Par exemple, l’Early rose en vogue dans la vallée de la Saône avant la guerre fut relancée grâce au syndicat des producteurs de plants de Neuville du Poitou en 1947 car les habitants du Bourbonnais l’appréciaient spécialement10. À l’inverse, la variété Institut de Beauvais, connue depuis 1854, bien adaptée par sa rusticité aux sols secs du Centre et du Midi disparaissait peu à peu, bien que son goût de pomme de terre à chair blanche un peu farineuse ait encore plu, sans pour autant faire l’unanimité puisque dans certaines contrées on la réservait au bétail11. La Bintje avait opéré sa percée en répondant à de multiples critères. Des essais de cuisson réalisés en 1939 à l’École ménagère de l’Isère – qui témoignent d’un travail de mesure scientifique mis au service d’une rationalisation économique – avaient révélé un temps de cuisson plus court de 5 minutes sur 45 par rapport à l’Eesterlingen et de 15 minutes sur 55 en comparaison des variétés Institut de Beauvais ou Early Rose12. Elle était surtout assez bonne à tout faire, notamment autant des frites que de la purée. En 1968, le directeur de l’Institut technique de la pomme de terre regrettait cette évolution qui datait selon lui des années vingt et avait substitué la Bintje à d’anciennes variétés, naguère choisies en fonction de l’usage souhaité, comme l’Institut de Beauvais ou la Violette d’Auvergne. Il en imputait la faute à la volonté du détaillant peu enclin à offrir une gamme étendue d’une denrée de faible rapport13. Un peu amer, un autre spécialiste des questions agricoles, ancien directeur du laboratoire de recherche sur la pomme de terre à Bréhoulou-Fouesnant, constatait lui-même en 1950 :
On peut dire que nous manquons surtout de variétés de qualité. Le fait est particulièrement net pour les types précoces… loin d’atteindre la qualité de la Belle de Fontenay et de l’ancienne Hollande de Roscoff.14
7De fait, la Belle de Fontenay à chair jaune pâle, dénommée aussi la Boulangère, était réputée, associée à tous les plats cuisinés des maîtres queux et des gourmets. Connue des ménagères, produite depuis les années vingt dans la moyenne vallée de la Loire à proximité de Blois et d’Orléans, et non plus dans son terroir d’élection en région parisienne, on reconnaissait en 1952 « qu’elle ne s’adresse qu’à une clientèle spéciale »15.
Des pratiques culinaires domestiques éloignées de la diversité gastronomique
8La comparaison de 296 recettes proposées dans six ouvrages, publiés entre 1919 et 1956, destinés aux professionnels ou rédigés à l’intention des ménagères, permet d’appréhender au moins partiellement les emplois de la pomme de terre qui étaient les plus courants dans les années 1950, l’ensemble composant une culture culinaire que les générations concernées étaient en mesure de s’approprier. Certes, l’expérience au fourneau n’était pas toute tirée de la lecture d’une recette dont on sait qu’elle peut varier selon l’inspiration de l’instant, la nature du produit ou la façon de faire apprise hors de toute référence au livre de cuisine. Mais on y trouve au moins un cadre gastronomique de référence et une mesure de l’écart entre l’habileté du chef et la pratique familiale.
9D’un côté, la notoriété de volumes réputés présentant le raffinement et la complexité de l’art culinaire : l’Aide-mémoire culinaire d’Auguste Escoffier (1919), le Larousse gastronomique de Prosper Montagné (1936), l’Art culinaire moderne d’Henri-Paul Pellaprat (1950). De l’autre, les indispensables manuels inlassablement feuilletés par la mère et légués à la fille : La véritable cuisine de famille contenant 1000 recettes et 500 menus avec la manière d’utiliser les restes, de Tante Marie (1930), les Recettes de cuisine pratique rassemblées par une inspectrice de l’enseignement professionnel, G. Schéfer, et la directrice du cours d’enseignement ménager de la ville de Paris, H. François, (1936), et le très fameux et inusable Je sais cuisiner de Ginette Mathiot dans sa version de 195616. Dans les deux cas, très peu de conseils sur les variétés de pommes de terre étaient donnés, preuve d’une attention réduite à ce préalable ou faute d’un approvisionnement large. De rares modifications du texte des éditions nouvelles par rapport à la version initiale l’expliquent également. Escoffier n’évoquait que des Hollande quand il précisait. Mais cette préconisation valait pour préparer la purée comme pour faire des Macaire ou des croquettes17. Certes le Larousse recommandait les jaunes longues pour confectionner les pommes de terre Anna, la Vitelotte pour des pommes bouillies et garnies à la crème, des moyennes de Hollande pour préparer des Georgette, la purée ou des sautées. Mais rien n’était dit pour faire des frites, des Chatouillard (détaillées en long ruban à l’aide d’un appareil manuel spécifique puis soufflées en friture) et tout le reste. Quant à Pellaprat, il ne donnait pas plus d’indications sauf dans le cas exceptionnel de la réalisation compliquée des pommes de terre soufflées, dont la réussite dépendait à ses yeux de la maîtrise manuelle et de la matière première. Ainsi conseillait-il l’emploi de « belles pommes de terre de Hollande ben mûres et bien saines » ou, en dehors de la saison, « des pommes de terre d’Espagne, un peu chères, mais merveilleuses » surtout « entre mai et septembre, la pomme d’Espagne à peau rouge et chair blanche »18. Tante Marie ne connaissait que les Hollande, deux fois citait la Vitelotte, et bien souvent des « rondes » ou des « moyennes » sans autre mention. Ginette Mathiot n’évoquait plus que les Hollande. En revanche, le nombre de recettes était beaucoup plus important quand les professionnels en dressaient l’inventaire. Escoffier en fournissait 55, le Larousse 111 et Pellaprat s’en tenait à 46. La ménagère trouvait dans les ouvrages domestiques au mieux entre 25 et 33 idées de préparation. Pour elle, la simplicité commandait autant pour les dénominations que dans la suggestion pour accommoder la pomme de terre. On relève par exemple 18 à 23 % des recettes comportant une mention géographique dans les ouvrages des cuisiniers quand on en compte au maximum 7 % dans les autres. Le gratin dauphinois se retrouvait bien sûr de part et d’autre, mais ce n’était pas le cas des pommes de terre Mont-Dore, Saint-Flour ou à la sarladaise qui apparaissaient dans le Larousse plus complet. Cela ne signifie pas pour autant que l’usage local, sans être normé et codifié dans le langage culinaire, n’ait pu être une pratique courante. Par exemple, au milieu des années 1950, servir des « pommes de terre rondes » dans le Gard ou en Ardèche n’était que la traduction de pommes de terre en robe des champs, servies avec du fromage blanc de vache ou de chèvre en guise de beurre19.
10La répartition par mode de préparation privilégiait largement les recettes où l’on devait faire rissoler ou sauter les pommes de terre, ou bien les plonger dans une chaude friture. Les trois livres de cuisiniers en proposent au moins la moitié sur la somme des descriptions. Les ouvrages familiaux s’en tiennent au tiers. Les recettes de gratin ou de ragoûts, celles qui demandaient le four, sont mieux distribuées puisqu’à l’exception de Pellaprat qui n’en fournissait que 8 sur 46, les autres comptaient de 24 à 30 % de leurs suggestions dans cette rubrique. La cuisson à la vapeur ou à l’eau restait marginale, comme l’idée d’une salade de pommes de terre. En fait, le four et la friture prédominaient surtout dans la gastronomie (toujours plus de 70 % des plats), associés à des façons compliquées requérant plusieurs étapes avant la cuisson finale. Le guide domestique ouvrait d’autres choix en se centrant sur quelques plats bien maîtrisés où figuraient des propositions de purées, de pommes de terre écrasées et de garnitures diverses, ou bien de cuissons au bouillon ou en sauce. De la capacité à varier les accommodements résultait une relative diversité à la table familiale si l’on prenait en compte cet inventaire.
11Il ne faut pas pour autant conclure que l’originalité des menus était de règle et que les ménagères prenaient le temps de consacrer un soin particulier à ce légume, le plus souvent perçu comme rustique et simplement utile faute de mieux. De banales pommes de terre en robe des champs formaient le quotidien, à défaut même de toute mention statistique tirée des livres de recettes. Les conseils d’hygiène alimentaire que le journal La Vie du Rail dispensait aux femmes de la corporation cheminote rappelaient par exemple en 1955 que la meilleure façon d’accommoder les pommes de terre était de « les faire cuire, avec leur peau dans un peu d’eau ou à la vapeur… et si on désire changer, on peut varier à l’infini le goût et l’aspect » en les couvrant d’une sauce après les avoir pelées et coupées en rondelles. Le changement résidait dans la sauce – et non dans une variété de tubercule : béchamel additionnée de ciboulette, d’estragon ou de persil, mélangée à des champignons hachés, tomate, béarnaise, mousseline. Simplification des pratiques car, comme le souligne la revue, « si vous n’avez pas le temps d’éplucher les pommes de terre vous servirez la sauce à part »20. Signe d’une économie de moyens, les recettes présentées s’en tenaient à des formules très simples : cuisson au four avec la peau, épluchées et cuites à la poêle avec des oignons, épluchées et cuites à l’eau puis sautées avec des herbes et de l’ail pour les dire « à la provençale » ou avec de l’oignon haché gros pour les faire « à la lyonnaise ». L’inventaire des menus que l’Annuaire du cheminot dressait en 1957 tendait à répondre au souci quotidien de la maîtresse de maison en utilisant les ressources de la saison, en répondant aux règles d’hygiène et en s’harmonisant avec les occupations habituelles21. Quelle place y réservait-on à la pomme de terre ? Les menus proposés sont répartis selon une semaine type et énoncés pour tous les mois sauf celui de décembre où l’on n’indique que des repas de réveillon. Sur l’ensemble de ces 11 mois, soit 77 déjeuners et autant de dîners décrits et reproductibles pour l’ensemble de l’année, la pomme de terre est incorporée à 42 déjeuners et 13 dîners. Elle était donc recommandée dans 54 % des repas du midi et 16 % de ceux du soir au fil de l’an. La plus forte consommation apparaissait en juillet (citée dans 9 repas sur 14) puis à égalité six fois sans logique apparente en février (pour finir les réserves), août (profiter des pommes de terre nouvelles) et octobre (entamer les récoltes d’automne). Si le potage constituait l’essentiel de son emploi au dîner (9 fois sur 13), elle devait être cuisinée bien différemment au déjeuner mais sur 42 menus du midi, 19 (soit 45 %) s’en tenaient à la cuisson nature, à la vapeur, en robe des champs ou au mieux en purée ; la cuisson dans une matière grasse n’apparaissait que 11 fois (26 %), déclinée par les pommes de terre rissolées, sautées, frites ou en chips.
Des incitations à prendre le consommateur en compte
12Pour sortir de cette banalité d’usage des pommes de terre et démentir le consommateur prompt à considérer que la qualité des tubercules était meilleure naguère, on comprend que des préconisations plus précises aient été envisagées dès cette période. Au début de la décennie 1950, un nouvel état d’esprit avait émergé, traduit par cette observation judicieuse dans les colonnes de la Pomme de terre française :
Par une propagande appropriée, il faudra apprendre à consommer des primeurs et agir auprès des consommateurs pour qu’ils goûtent la pomme de terre au lieu de se contenter de la manger.22
13Certains producteurs avaient bien perçu qu’ils devaient donner une nouvelle approche gustative de la pomme de terre. Après l’objectif de production quantitative qui avait prévalu depuis plusieurs décennies, soit pour apporter une nourriture de base, soit pour pallier les pénuries de guerre, dont la mémoire était immédiate, la priorité de la qualité était l’antidote au dégoût et à la lassitude que nombre de consommateurs commençaient à éprouver. L’exemple d’une stratégie commerciale active était donné à la même époque par les campagnes de publicité que la United Fresh Fruit and Vegetable Association conduisait aux États-Unis en proposant des formations aux détaillants, un bulletin mensuel de fournitures à destination de la restauration, des idées de menus largement diffusées et des améliorations pour rendre les emballages moins défectueux, une classification des pommes de terre par type d’utilisation, des indications sur les modes de cuisson23. La sensibilité du consommateur évoluait. On remarquait ainsi qu’il était moins tolérant quant aux défauts de présentation. Comme le nota un agronome dans un article dédié à la qualité culinaire des pommes de terre en 1958 :
C’est une nécessité de prendre en compte tous les points de vue, notamment celui de la ménagère qui achète avec ses yeux et qui découvre après la qualité plus ou moins bonne de la pomme de terre au risque d’abaisser sa consommation.24
14La publication d’ouvrages culinaires sous la plume de professionnels de la sélection des semences ou de l’horticulture alla dans ce sens. C’était le cas par exemple de La pomme de terre dans votre assiette, paru en 1960 et salué comme un livre qui ne s’en tenait pas aux principes de culture mais intégrait les questions de valeur nutritive et culinaire, les problèmes posés par l’achat et le choix des variétés suivant l’utilisation en cuisine25. La décision prise par un décret du 19 août 1955 sur la répression des fraudes dans le domaine des fruits et légumes apparaît donc capitale dans ce contexte d’information du consommateur. Le texte précise que les « pommes de terre de consommation seront vendues désormais sous leur appellation véritable, telle qu’elle figure au catalogue des espèces et variétés »26. Le secrétaire général de la Commission de contrôle des plants apprécia ce changement radical puisque :
La ménagère des marchés citadins est appelée à choisir et à exercer le meilleur des contrôles. Perdue, égarée jusqu’ici dans les tubercules anonymes ou frauduleux, elle va désormais apprendre à connaître 3, 4 ou 5 noms de variétés, très probablement et surtout les noms des vieilles variétés – la plupart françaises – qui seules méritent d’être servies sur une bonne table.27
15Encore fallait-il pour cela que la ménagère trouve ces pommes de terre – la Belle de Fontenay, la Rosa, la Saucisse ou la Ratte – et que leur dégénérescence ne constitue pas un obstacle à l’approvisionnement. Un an plus tard, un arrêté du secrétaire d’État à l’Agriculture précisait les normes en matière d’emballage, de conditionnement, de dénomination, de calibrage minimum, de poids des primeurs et des grenailles. Un consommateur devait ainsi différencier facilement une pomme de terre « commune », une « Perle rose » inscrite en liste I, une « Étoile du Léon » en liste II28. Mais cette réglementation supposait également que les circuits commerciaux y souscrivent. Or à la fin des années 1950, seuls 13 % des agriculteurs français alimentaient le marché de la pomme de terre par le relais des détaillants, les 87 % restant pratiquaient l’autoconsommation de leur récolte ou en assuraient la vente sur les bords de route29. Dès 1961, un arrêté pris par le ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani, tendait à corriger cette situation en imposant que la réglementation s’applique dès le stade de la production quelle que soit la forme de vente30. A priori, l’acheteur de tubercules devait être bien renseigné.
Les facteurs de basculement de la consommation de pommes de terre au milieu du siècle
La voie de la modernité à l’étranger dès le début des années 1960
16Si l’on se souciait de mieux informer la ménagère, d’autres évolutions se préparaient quant aux choix culinaires. La montée en puissance de l’industrie des produits transformés à base de pomme de terre changeait déjà la donne aux États-Unis. Dans sa livraison d’avril 1957, la Pomme de terre française annonça que :
La Maine Potato Commission a fait un essai de vente sur le marché de flocons de pomme de terre. Plus de 40 magasins ont participé au test qui fut un succès. Le service de recherches de l’Agriculture qui a mis au point ce produit prétend que l’on peut facilement le convertir en purée de pommes de terre en y ajoutant du lait, du sel, du beurre et de l’eau bouillante.31
17Une nouvelle tendance se créait après l’obtention de pommes de terre déshydratées et d’une farine de pommes de terre industrielle au cours de la première guerre mondiale. Cette évolution correspondait bien à la volonté des femmes interrogées en 1961 lors d’une enquête américaine : les deux tiers d’entre elles avouèrent souhaiter utiliser des pommes de terre prêtes immédiatement32. Les statistiques de consommation de produits transformés aux États-Unis corroboraient cette mutation. Entre 1950 et 1960, la part de ces produits (farine de pommes de terre, pommes de terre déshydratées, boîtes, soupes, frites congelées et chips) passa de 9,5 % à 22,7 % de l’emploi de la production de pommes de terre. Dans le même temps, la consommation de frites congelées décupla, celle de chips passa de 619 tonnes à plus d’un million. Quand l’Américain consommait par tête 38 kg de pommes de terre fraîches en 1960, il en mangeait aussi 5,8 kg sous forme de chips, 3,6 kg congelées et 2,7 déshydratées33. Si l’on décale l’observation dans la chronologie, les évolutions sont encore plus spectaculaires : 847 % d’augmentation des produits surgelés entre 1956 et 1967, 592 % pour les produits déshydratés et 224 % pour les chips34. Par habitant, la consommation de produits surgelés à base de pommes de terre passa de 100 grammes en 1948 à 8 kg en 196735. L’extrême diversité des produits proposés rendait compte de cette tendance. Le Potato Year Book de 1962 enregistrait 29 sortes de produits surgelés, 12 produits déshydratés, 7 sortes de chips, 5 types de pommes de terre pré-pelées, 11 produits en boîte et 6 produits dits « expérimentaux »36.
18Une observatrice française revenue d’Amérique se déclara peu convaincue par la purée demi-cuite mais très amusée par les frites congelées. En tout cas, elle ne voyait pas ce changement venir en France à brève échéance, faute d’une chaîne du froid aussi développée qu’aux États-Unis où les congélateurs étaient courants37. Au milieu des années 1960 pourtant, le basculement vers une progression spectaculaire de la consommation de produits transformés survint en Europe, en raison de l’urbanisation, du développement du travail féminin et de la propension à l’achat de produits alimentaires plus élaborés comme signe d’un confort nouveau. Bien sûr la plupart des pays européens n’atteignaient pas le stade américain où la pomme de terre transformée représentait 40 % de la consommation. Toutefois, dès 1963, 9 % des pommes de terre étaient transformées en Grande-Bretagne, le tonnage travaillé aux Pays-Bas tripla entre 1961 et 1965, en Allemagne plus de 200000 tonnes de pommes de terre étaient déshydratées à ces dates. En 1968, les Pays-Bas exportaient 17000 tonnes de pommes de terre transformées, principalement vers l’Allemagne, la Belgique et l’Italie, soit quatre fois le tonnage de 196338. Entre 1962 et 1968, la quantité de pommes de terre fraîches utilisées pour fabriquer ces produits industriels passa de 250000 à 650000 tonnes en République Fédérale d’Allemagne39. On constatait à la même époque que les consommateurs néerlandais par exemple allaient de plus en plus vers des produits dérivés chers. C’était au point que les marchands ambulants de frites préparées se multipliaient et que quatre coopératives zélandaises avaient créé une entreprise spécialisée dans cette production, capable de fournir une tonne par heure alors que la consommation de pommes de terre fraîches déclinait rapidement40. L’inventivité progressa au rythme de l’appréciation des consommateurs. En 1969, les chips, les purées déshydratées et les frites surgelées ne suffisaient plus ; une société se basa sur une étude de marché pour lancer des waffelchips (gaufrettes de pommes de terre) plus appropriées comme accompagnement des boissons alcoolisées41.
19La France n’en était qu’au stade expérimental mais on mettait déjà en garde contre un biais à ne pas emprunter : celui d’une évacuation dans la chaîne industrielle des tubercules de mauvaise qualité ou invendables sur le marché de consommation. À la seule condition de sélectionner les pommes de terre bien adaptées – par exemple celles contenant un fort taux de matière sèche, une faible teneur en sucres et une forme régulière pour fabriquer des chips – le consommateur pourrait s’habituer à considérer la pomme de terre comme un produit élaboré en l’achetant désormais au supermarché42. Cependant, tout n’était pas lié à la capacité de vente des magasins de grande distribution ni au savoir-faire des publicitaires pour convaincre les ménagères. Comme dans chaque processus d’innovation, des réticences culturelles ont opéré. Ainsi que le rapporte une étude sur la consommation de pommes de terre en boîtes, l’idée a pu surprendre le Français qui ne voyait pas l’avantage de cette présentation43. À l’inverse, en Suède, le marché fut conquis en l’espace de sept années, des premières recherches en 1958 au lancement réussi en 1964. Une enquête faite sur un échantillon de 2000 ménagères montra que le produit était mieux accepté chez les jeunes urbaines et surtout le week-end. En quelques années, des ménagères de toutes catégories sociales et d’âge en faisaient usage. Mais en 1967, le rapport de cet emploi en France et en Suède était de 1 à 30 alors que la population scandinave était bien moindre. Les consommateurs français étaient jugés « traditionalistes » au regard des ménagères allemandes qui déclaraient à 62 % d’entre elles que l’épluchage des pommes de terre était une corvée, au point que le tiers de ces cuisinières se disaient prêtes à dépenser plus pour acheter des pommes de terre en boîte compte tenu de l’économie de temps réalisée44. Les colonnes de la Pomme de terre française soulignèrent en 1970 que « la France a pris un retard considérable » dans l’usage des pommes de terre transformées45, remarque visible sur le graphique ci-dessous.
Un discours de mode défavorable à la pomme de terre de conservation : la génération « minceur »
20Les statistiques de consommation tendent à démontrer que, malgré un décalage quantitatif réel, les Françaises n’étaient pas si en retard que cela pour employer des produits dérivés de pommes de terre. Pour peu que la cuisson du plat ait supposé plusieurs phases, le spectacle des mères astreintes à des heures assez longues en cuisine – si elles souhaitaient préparer des pommes de terre autrement qu’en robe des champs – influença les filles de manière plus radicale que parmi les générations précédentes. Devenues ménagères à leur tour, mais pas nécessairement rivées au foyer, bien au contraire, la simplicité d’emploi des produits transformés pouvait suffire à les convaincre.
21Mais d’autres arguments s’ajoutaient durant les années 1960 contre l’emploi de la pomme de terre fraîche. Celle-ci ne présentait pas seulement une qualité parfois discutable et le désavantage d’une utilisation qui réclame un peu de temps. Le discours prônant une esthétique féminine synonyme de minceur posa la pomme de terre en ennemie, sans tenir compte de préoccupations nutritionnelles réfléchies et connues. La promotion de régimes écartant les glucides au cours de la décennie 1970 n’allait pas en faveur de sa consommation46. Une longue recension d’articles culinaires tirés des périodiques féminins, comme les slogans des canons de la beauté ou l’observation des silhouettes valorisées sur le papier glacé en témoigneraient facilement. Conséquence logique, la place que la pomme de terre occupe seule dans les recettes proposées aux lectrices de magazines féminins décroît. La revue La Bonne Cuisine se limite par exemple en 1969 à 4 mentions parmi 92 autres recettes consacrées aux légumes, soit moins que les aubergines ou les champignons (5), autant que les carottes (4) et à peine plus que les concombres ou les navets (3)47. D’une manière encore plus générale, c’est l’état de l’opinion qui inclinait à délaisser une consommation trop fréquente de la pomme de terre fraîche. Une enquête conduite en 1974, interrogeant aussi bien les mères que les filles, rapportait que 74 % des personnes interrogées considéraient la pomme de terre comme un aliment bourratif – le pire antonyme de la légèreté recherchée dans les régimes en vogue –, 69 % étant convaincues qu’elle fait grossir quand 22 % déclaraient le contraire ; 30 % seulement des sondés reconnaissaient ses qualités nutritives comme un avantage, prenant complètement à revers toute promotion sur ce plan48.
22Certains détracteurs sont moins attendus à la barre de la critique. Voici le directeur général de la production et des marchés au ministère de l’Agriculture, Michel Cointat49, qui ne plaide pas en faveur de la pomme de terre en 1966 :
La sélection, la technique, l’art de Taillevent, ont permis d’oublier le goût pâteux, l’insipidité naturelle, la qualité malsaine de cet aliment, mais il semble bien que la belle époque des pommes de terre soit terminée.50
23Certes, il y avait des arguments pour diminuer la production ou se tourner vers l’exportation afin de stabiliser le marché mais les propos n’étaient guère enthousiastes. Contre l’orientation d’une désaffection croissante, il fallait opposer un autre discours pour convaincre le consommateur. Il était facile de démontrer à partir des études de diététique que les pommes de terre préparées en chips ou en frites développaient une quantité de calories de 3 à 7 fois plus élevée que des pommes de terre cuites à l’eau avec la peau et que le rapport en lipides passait pour 100 g de pomme de terre d’1/10e de g à 13,2 g (frites) et 39,8 g (chips). Pour cette raison, le nutritionniste Trémolières préconisait en 1969 l’emploi de pommes de terre trois fois au déjeuner dans la semaine et la même ration au dîner, éventuellement incorporée aux potages d’hiver51. Quatre ans avant lui, sa collègue Yvonne Serville écrivait dans un opuscule dédié à l’alimentation familiale que la pomme de terre qui « contient une assez grande quantité de vitamine C, assure de juin à décembre une partie de la ration de vitamines »52. Inaccessibles à la masse des consommateurs, ces explications ne suffisaient pas si elles ne trouvaient pas de relais médiatique. Une autre forme de propagande était envisagée au début des années 1970 par les professionnels à travers l’éditorial de la Pomme de terre française :
On colporte trop souvent, à tort et à travers, qu’il faut proscrire la pomme de terre de notre alimentation parce qu’elle fait engraisser. Allons donc ! En réaction contre les défaitistes, pourquoi ne pas mener campagne pour informer le public de la tenue en calories comparativement aux autres produits de l’alimentation ? Imprimés sur des petits emballages de papier ou de matière plastique joliment présentés, des graphiques représentant la richesse en calories par rapport aux œufs, à la viande, au lait, aux glaces… voilà qui est rassurant pour celles qui font la guerre aux grammes superflus à une époque où le canon de la beauté féminine n’a plus rien à voir avec celui qu’appréciaient Rubens et les peintres flamands. C’est un détail de propagande qui ne manque pas de valeur quand on sait l’influence de la publicité sur les groupes humains. Il ne serait pas dépourvu d’intérêt non plus de diffuser des recettes, imprimées sur l’emballage, pour éviter à la ménagère des recherches laborieuses dans un livre de cuisine que, peut-être, elle ne possède même pas.53
24Les circuits commerciaux devaient ainsi être abordés avec des stratégies plus efficaces. Soit par des préconisations de présentation, soit par un conditionnement alimentaire qui valorise mieux le produit, il fallait rapprocher les arguments de vente d’un plus grand nombre de consommateurs. A posteriori cette prise de conscience fut essentielle car elle intervint au cours d’une phase de profonds bouleversements de la chaîne de distribution des produits alimentaires en France.
Le ravitaillement au cœur de comportements nouveaux
25Selon l’INSEE, la répartition des achats alimentaires se modifia durant la décennie 1965-1974 dans les proportions suivantes54 :
Lieux d’achats | 1965 | 1969 | 1974 |
Marché | 8,1 % | 8,6 % | 6,1 % |
Commerces spécialisés et traditionnels | 64,7 % | 59,7 % | 49 % |
Libre service (vente ambulante, super et hyper) | 22,5 % | 27,5 % | 39,7 % |
Coopératives et magasins d’entreprises | 1,8 % | 1,7 % | 2 % |
Achats à la ferme | 2,9 % | 2,5 % | 3 % |
26La montée en puissance des libres services et magasins de grande distribution et le déclin corrélatif des commerces spécialisés et traditionnels, même s’ils doivent être pondérés en fonction de la zone d’habitation urbaine ou rurale, constatés au niveau de l’approvisionnement alimentaire en général, affectaient de la même manière le ravitaillement en fruits et légumes frais. La pomme de terre échappait partiellement à cette tendance puisque selon l’enquête conduite en 1973, déjà citée plus haut, les consommateurs déclaraient effectuer leurs achats au marché (31 %), chez un petit détaillant (29 %), dans un libre-service (25 %), les autres trouvant plutôt leurs tubercules chez le producteur, pour tous ceux qui n’étaient pas eux-mêmes dotés d’un potager où puiser55. Mais en 1980, une étude du GIRA indiquait que 35,5 % de la vente au détail se faisaient dans les hypermarchés (11 %), les supermarchés (19 %) et les supérettes (5,5 %), les commerces traditionnels ne réalisaient plus que 11 % et le marché 16 %56. Le basculement était net par rapport à la situation de 1967, lorsque le commerçant indépendant fournissait 39 % des achats de pommes de terre en commune rurale et 33 % dans les agglomérations de moins de 100000 habitants. À cette date, les ruraux s’approvisionnaient aussi chez le producteur pour un quart de leurs besoins et les citadins pour un septième57. Les critères déterminants à l’achat montrent que la qualité et le prix, que privilégiaient au moins 4 consommateurs sur 10, l’emportaient sur le calibre, apprécié par seulement 22 % des clients, ou la mention de la variété, que recherchaient 15 % des clients. Si ces derniers points n’étaient pas encore considérés comme des indications importantes du conditionnement, c’est en partie lié au fait que la forme de présentation principale restait le vrac. En effet, 43 % des acheteurs contre 34 % choisissaient cette forme plutôt qu’un filet. Celui-ci était plus commode pour ceux – et surtout celles – qui souhaitaient des volumes moindres, le poids de 5 kg étant le plus fréquent. Un quart des clients demandaient des sacs de 25 ou 50 kg, signe d’une propension au stockage lorsque la place était suffisante à domicile et que l’on pouvait se faire livrer58, et 8 % seulement manifestaient leur intérêt pour des filets de 2 kg mais la tendance à la réduction des volumes achetés était inscrite dans l’évolution des mœurs. En 1976, la présentation en petits emballages avait progressé puisque 38 % du tonnage vendu de 1 à 10 kg étaient présentés en filets de 2 ou 3 kg et 53 % en 5 kg59.
27La stratégie de commercialisation en conditionnements réduits, munis d’indications de provenance, de variété et de préconisations culinaires pouvait rencontrer une demande de la ménagère urbaine et jeune. Moins désireuse que sa mère de faire des provisions de sécurité, en éprouvant également moins la nécessité, la profusion alimentaire aidant, elle devint moins encline à faire un usage régulier de ce légume au fur et à mesure que la diversité des étals suggérait une composition des menus plus variée. Cependant, lorsqu’elle en achetait, il lui fallait encore « voir » ses pommes de terre. Moins de 15 % de la clientèle émettaient le désir que les tubercules soient placés dans des emballages opaques, sacs en papier ou caissettes. L’habitude, la nécessité de regarder et de toucher pour opérer son ravitaillement, comme la méfiance vis-à-vis du commerçant, se conjuguaient puisqu’à l’expérience l’une des critiques récurrentes des acheteuses était la fréquence de tubercules endommagés et mal calibrés. De fait, une étude conduite en 1970 à l’Institut technique de la pomme de terre démontra que 75 % des tubercules étaient indemnes de blessures au stockage après la récolte, mais seulement 10 % à l’ensachage dans la chaîne de conditionnement. Au total moins de 5 % n’étaient pas endommagés lorsqu’ils étaient présentés à la vente au détail, ce qui donne une idée des progrès spectaculaires accomplis depuis. Il en résultait forcément une perte monétaire pour la consommatrice après l’épluchage, sans compter le risque de pourriture par noircissement interne du tubercule60. Ces attentes du consommateur furent peu à peu prises en compte sous d’autres formes. La recherche de labels de qualité que la Coopérative agricole de la vallée moyenne de la Loire et des établissements du Loiret obtinrent les premiers en 1967 pour la Belle de Fontenay amorça une dynamique de qualité nouvelle. Un syndicat de défense de la Bintje de Merville apparut l’année suivante. Au début des années 1970, le Groupement régional des producteurs de pommes de terre de conservation de Bretagne et la Coopérative des agriculteurs de la vallée de l’Ourcq s’engagèrent dans le mouvement. Un tournant était pris, visant autant à approvisionner des consommateurs exigeants qu’à jouer la carte de l’exportation61. La démarche ne déployait pas seulement l’ambition d’améliorer la vente de pommes de terre. Elle illustre en fait la césure qui s’opérait depuis les années 1960 entre la diminution de la consommation de pommes de terre fraîches en raison d’une qualité médiocre et d’une lassitude culinaire, d’un côté, et de nouveaux comportements sociaux désormais plus en phase avec l’emploi de produits préparés et plus faciles à utiliser, de l’autre. Les rédacteurs du journal professionnel La pomme de terre française l’ont bien perçu. Signe de l’alerte donnée au secteur, en juillet-août 1976 paraissait un numéro spécial sur la qualité. Deux ans auparavant, en septembre-octobre 1974, une partie de la revue avait été dédiée à la présentation de l’enquête sur la consommation effectuée en 1973 par l’Institut d’études et de recherches marketing. Le moyen d’inverser la tendance ou de garder une clientèle que l’on pensait acquise à l’usage de la pomme de terre comme aliment de base était d’admettre précisément que le consommateur ne craignait plus de manquer mais qu’il avait désormais besoin de diversité et d’une gamme de choix plus élaborée.
28La peur du risque d’un approvisionnement insuffisant s’estompait en effet. La production de plants de pommes de terre, toutes classes additionnées, s’inscrivait durant les décennies 1950-1960 entre 300 et plus de 400 milliers de tonnes. En 1968, le Finistère procura à lui seul 160 milliers de tonnes de plants sur les 340 000 de l’année et la Bretagne dans son ensemble 65 %62. Tandis que le taux d’auto-approvisionnement de la France était de 100 en 1960, il dépassait 107 dix ans plus tard. Il fallut les mauvaises récoltes de 1975 (6,6 millions de tonnes) et 1976 (4,3 millions) pour se rappeler que ce légume gardait un caractère essentiel63. On le nota dans la revue professionnelle en juin 1976 après les premières difficultés d’approvisionnement de l’automne 1975 :
On a retrouvé les acheteurs du dimanche chez les producteurs, les ventes au bord des routes et dans les stations-service. On a même revu le marché noir avec les arrière-boutiques. Qui l’eût cru ? Et la soudure qui n’est même pas assurée par les primeurs.64
29Quant à la diversité de la production, elle n’était plus la règle au milieu des années 1970, suite logique des évolutions engagées après la guerre. Le Comité national de la pomme de terre constata en 1976 que la Bintje représentait 95 % des ventes, sauf en Bretagne (où elle se limitait à 49 %) et en Pays de Loire65.
L’improbable abandon des saveurs domestiques
De la diversité des consommateurs à la prise de conscience de nouveaux enjeux alimentaires
30Bien que les informations à destination du consommateur n’aient donc cessé d’être étendues, au milieu des années 1970 plusieurs demandes n’étaient pas encore satisfaites. En premier lieu, l’enquête de 1974 démontra que 80 % des ménagères trouvaient l’amélioration de la qualité de la pomme de terre comme la proposition la plus intéressante, ce que confirme le fait qu’à 79 % elles souhaitaient moins de déchets à l’épluchage. La garantie d’un label était par exemple demandée par 65 % des enquêtées. Un choix plus large était aussi espéré, à la fois dans chaque point de vente (55 % des réponses) et dans l’information sur les variétés (63 %). À l’inverse, on ne demandait pas plus de produits à base de pommes de terre puisque seulement 21 % des ménagères exprimaient ce vœu. D’autres désirs portaient sur le conditionnement : 24 % auraient aimé des pommes de terre lavées, 14 % seulement acceptaient le sac opaque en papier, 22 % auraient apprécié un ensachage de 1 kg tandis que 41 % en restaient au 25/50 kg. Bien que depuis le décret du 4 janvier 1973 une étiquette apposée sur l’emballage de commercialisation renseignât sur le calibrage des pommes de terre, les avis étaient partagés quant à l’option de n’avoir qu’un seul calibre dans un même emballage (51 %)66. Des évolutions qui ont trouvé une autre résonance depuis les années 1980 étaient donc en gestation au cours de la décennie 1970 : la réduction des volumes commercialisés et leur conditionnement plus commode ; la répugnance à devoir nettoyer ses pommes de terre ou à les transporter terreuses en vrac, voire en gros sacs, dans la voiture ; la diversification des variétés ; l’exigence d’une meilleure qualité. Il fallut une vraie prise de conscience des professionnels, notamment sous l’impulsion du CNIPT fondé en 1978, pour que cela se traduise par une transformation des pratiques de commercialisation.
31Au début des années 1980, d’autres perceptions prédominaient cependant chez les producteurs. La diminution de la consommation de pommes de terre fraîches devenait de plus en plus patente. Toutes catégories sociales confondues, la ration annuelle diminua presque de moitié dans ces décennies de basculement 1960 et 1970. Selon les données de l’INSEE, la consommation de pommes de terre à l’état frais en 1975 atteignait 75 kg par an et par personne. Dix ans plus tard, en 1985, le niveau était descendu à 40 kg67. Si, dans le détail, on pourrait observer avec l’exemple de la pomme de terre les habitudes alimentaires de chaque catégorie sociale décrites plus généralement, la simple comparaison des pratiques des agriculteurs et des cadres supérieurs renseigne sur une tendance de fond. Comme le montre le graphique suivant, la décroissance affectait l’assiette du campagnard habitué à s’attabler pour refaire ses forces comme le repas que le citadin désirait plus varié quand les premières publicités alimentaires défilaient sur son récepteur de télévision. Bien sûr, des écarts persistaient en fonction de traditions culinaires et il serait aussi facile de démontrer que le nordiste gardait toute sa prédilection au tubercule quand le méditerranéen en faisait de moins en moins cas. La réduction n’en était pas moins inscrite durablement.
La croissance des produits transformés
32Pourtant, s’en tenir à cette diminution de la consommation serait une vision tronquée car dans le même temps, d’autres usages de la pomme de terre allaient croissants. La génération des filles qui devinrent les ménagères des années 1960- 1970 fut la première à pouvoir opérer un choix de consommation de pommes de terre qui ne repose plus sur des aptitudes à bien savoir les préparer ou à accepter d’y consacrer du temps. Au début de cette période, ne plus cuisiner comme sa mère ce fut d’abord la décision de faire une purée en flocons.
33Quatre usines de trois sociétés fournissaient ce produit à la fin des années 1960 mais celle de la SITPA, une filiale du groupe Nestlé implantée dans l’Aisne à Braine, couvrait à elle seule les 2/3 du marché. C’est là que la fameuse Mousline apparut en 1963, fruit du rachat d’un procédé américain. Flodor installé à Flaucourt dans la Somme lança à son tour une purée déshydratée en 1966 avant d’être rejointe sur ce segment commercial par la SICABeau Marais (Pas-de-Calais) puis vint Vico, la coopérative de Vic-sur-Aisne. Le succès de ce produit s’explique principalement par le gain de temps obtenu. Parmi les ménagères qui en devinrent des adeptes, 28 % plaçaient au premier plan le côté « pratique » et 27 % trouvaient qu’elle avait bon goût, ce que ne contestaient même pas celles qui n’en achetaient pas puisque 9 % seulement des non-utilisatrices le justifiaient par le goût68. Appréciation relevant de la représentation qu’elles s’en faisaient car les ménagères qui en achetaient, déclaraient quand même pour 16 % d’entre elles le mauvais goût ! Indice significatif, les femmes de plus de 50 ans qui employaient ce produit déclaraient pour 40 % d’entre elles (le plus fort taux parmi toutes les classes d’âge) cet aspect pratique, un taux que ne dépassaient pour elles que le potage en sachet ou la mayonnaise en tube. Le côté pratique était particulièrement apprécié auprès des ménagères des foyers de commerçants (37 % citaient les purées déshydratées par cette motivation) puis d’employés (28 %) tandis que dans les ménages d’ouvriers on n’en faisait cas que pour 22 % des réponses. « Pouvoir faire un repas à l’improviste » ne fut pas pourtant le seul argument commercial de Mousline. La communication fut d’emblée déclinée sur la qualité dans les documents proposés aux clients. Un dépliant des années 1960 souligne « la bonne saveur de pommes de terre… [et ajoute] Vous sentez tout de suite que Mousline est fabriquée exclusivement avec les meilleures Bintje du Soissonnais ». La publicité peut même jouer à contre-emploi avec cet argument : « Si vous aimez cuisiner, profitez du temps gagné avec Mousline pour essayer une recette savoureuse »69.
34Dans les années qui suivirent sa mise sur le marché, la purée déshydratée était utilisée par 25 % des ménagères, taux qui s’élève à 36 % dans les grandes villes et s’abaisse à 7 % en milieu rural et 18 % dans les petites villes. Ces scores attestent la demande mais ne situent pas ce produit parmi les choix privilégiés des ménagères qui étaient beaucoup plus nombreuses à utiliser les entremets instantanés (74 % des cas), les poissons surgelés (69 %) ou les yaourts parfumés (64 %). En revanche, la pomme de terre en flocons correspondait bien à un marché potentiel basé sur la préparation accélérée des repas puisqu’un taux d’emploi élevé des potages en sachet (65 % des ménagères, 74 % en grande ville et tout de même 48 % à la campagne) confirme cette tendance. L’absence de différences significatives quant à l’âge de celles qui déclaraient faire de la purée déshydratée prouve la volonté de simplification par rapport aux générations précédentes : 30 % des ménagères entre 30 et 50 ans, 20 % au-delà de 50 ans et 11 % après 60 ans. De même, les familles de cadres y recouraient autant que les foyers ouvriers (38 %, 31 %), beaucoup plus en tout cas que les exploitants agricoles (10 %). On peut y lire l’emploi du temps des femmes mais aussi un rapport nouveau, bien connu, à l’activité culinaire. La purée déshydratée rendait surtout service aux mères de plusieurs enfants car leur taux d’utilisation doublait par rapport à celles qui n’en avaient pas70. Un autre fascicule publicitaire de Mousline déploie en 1978 une propagande achevée sur 23 pages, à l’aide d’images traditionnelles comme une tablée campagnarde, le paquet de Mousline à proximité d’un beau panier d’œufs, d’une profusion de poissons et de viandes bien parées ou d’un véritable étal de légumes. Un discours nutritionnel sur les qualités de la pomme de terre vient conforter la ménagère dans son choix. Le processus de production est expliqué à l’aide d’un schéma détaillant l’usine de Rosières en Santerre, dont le document rappelle subtilement que la localisation est « non loin de Montdidier, ville natale de Parmentier ». La déclinaison des critères de qualités met en avant la sélection « sévère » des pommes de terre, les conditions « rigoureuses » de stockage, les contrôles « permanents » dans la chaîne de fabrication et l’emballage « spécialement étudié ». Pour la préparer « on commence par des opérations très simples, comme à la maison ». Traditionnelle, au lait, aux légumes, aux carottes, au céleri ou aux épinards, la Mousline se prête ensuite à toutes les recettes71. Tout le discours repose sur l’ambivalence d’un rappel permanent des qualités organoleptiques de la pomme de terre et la simplicité du mode de préparation, d’un côté, et, de l’autre, la mise en avant des tendances modernes déclinées sur plusieurs registres grâce à l’emploi de la Mousline : moindre quantité de lipides employés et de calories obtenues, technicité maîtrisée (déduction des antioxydants, qualité constante), services rendus « indéniables » (gain de temps, suppression des corvées de transport, lavage, coupe, cuisson, conservation facile dans l’armoire).
35Bref, Mousline pouvait incarner une synthèse de l’innovation alimentaire des années 1970 sans se départir d’une référence à l’émergente tendance d’une nostalgie campagnarde figurée par les jeunes fermières de David Hamilton ou en appeler aux valeurs traditionnelles en proposant des dauphines de Mousline pour que le repas du dimanche soit une « vraie petite fête »72. Le volume de flocons déshydratés consommé par les foyers ne cessa d’augmenter. On passa de 15000 tonnes en 1970 à 28000 tonnes dix ans plus tard. Le besoin restait basique malgré la diversification des goûts tentée par les producteurs. En 1986, 81 % de la purée déshydratée était « nature », 15 % au lait, 2 % aux légumes et 2 % au fromage73. Alors que l’emploi de cette purée introduisait une facilité pour préparer un plat très commun des tables familiales, le développement de la production de chips répondit à d’autres types de demandes. Apparues sur le marché français au tout début de la décennie 1960 elles pouvaient s’associer aux nouvelles mobilités des Français, qu’il s’agisse du pique-nique de fin de semaine à la belle saison ou du camping estival. Elles furent surtout prisées au départ parce qu’elles s’accommodaient très bien à l’apéritif. Mais dès le milieu des années 1960 on relevait un glissement du statut de « snack-food » à celui de garniture d’un plat, les habitudes prises au restaurant pénétrant peu à peu un espace familial où les classes d’âge du baby-boom formaient une clientèle toute désignée. Ce segment d’approvisionnement suscita la multiplication des entreprises, associées majoritairement à des huileries, avant que deux sociétés ne finissent par contrôler le marché. On produisait en France 13000 tonnes de chips en 1970 et le double 15 ans plus tard, mais il avait suffi des cinq premières années de la décennie 1970 pour ériger les chips en symbole du comportement jeune, avec un taux de progression de 53 %74. Au milieu de cette décennie, l’enquête conduite auprès de 1000 consommateurs démontra que les chips étaient le produit dérivé dont la fréquence de consommation était la plus élevée : 23 % seulement des personnes interrogées rapportaient ne jamais en manger, contre 40 % pour la purée déshydratée et 91 % pour les frites surgelées ; 16 % en consommaient rarement mais 40 % y recouraient quelquefois et 15 % fréquemment75. Bien que la diversification des modèles ait déjà été tentée les chips « standard » restèrent le produit principal de ce segment pour quelques années encore76. La concentration des entreprises limita en revanche le nombre de marques : en 1986, Flodor et Vico assuraient 65 % des ventes, alors que dans la décennie 1960, lorsque le tonnage produit n’excédait pas quelques milliers de tonnes, le consommateur pouvait choisir des « Samo » à Marseille, des chips « Orbizette » en Saône-et-Loire, des « Gringoire » dans le Nord.
36Simplifier la préparation des repas conduisait à utiliser une purée en flocons ou des chips, sans produire un choc de goût ou de saveurs. Il n’en allait pas de même dans le cas des autres produits dérivés. Les Françaises restaient réfractaires aux pommes de terre en boîte et lorsqu’elles voulaient éviter la corvée de l’épluchage, elles se tournèrent plus facilement vers les pommes de terre stérilisées sous vide aux qualités organoleptiques supérieures. Les produits surgelés, composés de pommes dauphine, de pommes sautées et de frites, sont restés peu consommés durant cette période au regard des habitudes étrangères mais il faut distinguer la restauration collective, où leur emploi progressait au rythme de la croissance des repas pris hors foyer et l’usage domestique qui maintenait la tradition de la frite maison ou des pommes de terre sautées à la poêle. Une première raison tient à l’équipement des ménages puisqu’il faut rappeler que, si les Français disposaient en 1977 de réfrigérateurs pour 74 % d’entre eux, ils n’étaient que 19 % à s’être équipés d’un congélateur. Un autre facteur tient aux circuits de distribution. La consommation de frites surgelées restait très dépendante des importations qui d’ailleurs augmentèrent dans la seconde moitié des années 1970. Le tonnage importé passa ainsi de 14000 tonnes en 1975 à 27000 tonnes en 197977. Cette tendance correspondit à une mutation qui s’affirma au cours de la décennie. Tandis que la consommation de pommes de terre en produits surgelés augmenta de 2,6 kg en 1973 à 7,6 en 1979, le tonnage de pommes de terre transformées par l’industrie du froid connut une spectaculaire progression en une décennie : 16000 tonnes étaient converties en 1969, 252000 en 197978. Cela ne traduit pas pour autant plus d’appétence des Français pour ces produits qu’ils découvraient à peine et qu’ils n’avaient pas l’habitude de préparer au four, contrairement à leurs homologues anglo-saxons. Le basculement vers une consommation plus significative n’est venu qu’au cours des deux décennies suivantes. Dans l’immédiat, cette consommation restait l’apanage de la restauration. Mais, dans une perspective plus globale, il est évident que l’emploi des pommes de terre transformées dans les repas quotidiens progressait. Elle passa à partir de la décennie 1970 dans une dynamique nouvelle. Le volume de pommes de terre converties en produits industriels démarque nettement, comme le montre le graphique suivant, les années 1960, qui furent celle de la découverte de ces facilités offertes aux ménagères, et les années suivantes qui furent celles de l’innovation.
La persistance d’une consommation traditionnelle
37Symétriquement on pourrait analyser qu’en reprenant des pratiques déjà très marquées hors de France, les consommateurs de l’Hexagone s’inscrivaient dans une baisse tendancielle de la consommation de pommes de terre fraîches. Dans certaines catégories sociales pourtant, la pomme de terre gardait toute sa valeur ancienne. Ainsi, 18 % des habitants de petites villes (souvent ruraux en transit), 17 % des ruraux et 15 % des citadins de grandes agglomérations déclaraient encore en 1966 que la pomme de terre était leur aliment préféré, juste après la viande de boucherie. Certes, des différences apparaissaient entre l’habitant des Bouches-du-Rhône et l’Auvergnat ; entre les femmes et les enfants ou les adolescents79.
38Des événements comme la récolte insuffisante de 1975 (6,62 millions de tonnes produites) et la sécheresse de 1976 (4,3 millions) rappelèrent à beaucoup que ce besoin était aussi un des éléments indispensables de leur alimentation courante. En 1974 d’ailleurs, plusieurs indices statistiques démontraient le maintien d’une consommation traditionnelle encore forte et la faiblesse des récoltes inquiéta. Les fréquences d’utilisation étaient élevées pour une part notable de la population : 33 % déclaraient en manger tous les jours et 48 % plusieurs fois par semaine. Seuls 4 % des consommateurs n’en faisaient usage que rarement dans le mois. Huit foyers sur dix ne concevaient donc pas se priver de pommes de terre, symbole nutritif toujours perçu comme rassurant même à l’heure du basculement vers une innovation alimentaire accélérée80. Le maintien de ces achats était d’autant plus favorisé que les prix restaient modiques. Seules quelques variétés bénéficiaient d’un prix plus élevé : les BF 15, la Belle de Fontenay, la Ratte, la Roseval ou la Saucisse. Selon la distance d’expédition le prix au calibre était majoré mais par exemple, un sac de 10 kg revenait à 4 centimes au kg en 1966. Le cours mensuel d’une Bintje, en francs constants de 1965, n’avait dépassé depuis 1950 que trois fois les 15 c/kg81. Quant aux primeurs on les trouvait en mai 1968 sur le marché de Saint-Pol de Léon à 8 c/kg et à Cavaillon à 10 c/kg82. Privilégier l’emploi de la pomme de terre dans les plats cuisinés (85 % des enquêtés en 1974) et comme plat principal (51 %) allait comme une évidence pour beaucoup au début des années 1970. Dans le premier cas, des frites, de la purée et des pommes de terre sautées étaient servies le plus souvent (76 % à 68 %) comme moyen d’accompagnement de la viande en sauce, du ragoût et des viandes grillées. Le gratin se substituait en alternance avec la purée en cas de plat principal (36 % et 43 %). Ces pratiques coutumières engendraient la préférence marquée pour acheter des tubercules dont la consistance ne soit pas « farineuse » (72 % des ménagères) ou de pommes de terre qui « ne se défont pas » (57 %). Ces critères de choix apparaissaient d’autant plus forts avec la jeunesse de l’acheteuse, support possible d’une prédilection pour les pommes de terre à chair ferme83. L’intérêt des pommes de terre qui ne se « défassent » pas était associé au choix de recettes appropriées : les frites, les pommes de terre sautées, les pommes vapeur, en robe des champs ou en salade auxquelles les ménagères destinaient plus de 80 % de leurs pommes de terre fermes. Si le ragoût, le gratin ou les pommes boulangères étaient au menu, l’arbitrage était encore en faveur de ces variétés à plus de 50 % des cas. Par contre, si 12 % des ménagères pensaient que l’on pouvait en faire une purée, la grande majorité (78 %) pensait bien qu’il fallait employer des pommes de terre qui se « défont » dans cette préparation.
39Cette connaissance de la pomme de terre trouvait son prolongement dans la demande des consommatrices. Au milieu des années 1970, 34 % d’entre elles souhaitaient trouver des pommes de terre spécialement recommandées pour les frites ; 31 % pour faire des pommes de terre à la vapeur, 31 % pour la purée, 30 % pour les pommes de terre sautées. Il est impossible de déterminer si ces taux recouvrent des consommateurs d’identités variées, ni que ces préparations étaient les plus courantes (bien que ce soit logique) mais ils attestent au moins qu’un tiers des Françaises étaient en attente de meilleures informations pour maintenir des manières de cuisiner spécifiques ou pour assurer la réussite de la façon. La majorité d’entre elles ne connaissaient que les Bintje (75 % des ménagères citaient cette variété en 1974), les Roseval (27 %), les Hollande (16 %), les Belle de Fontenay (14 %) et les BF 15 (11 %). Assortir une variété à des usages précis était déjà annoncé dans les années 1950, on l’a vu, comme une politique commerciale nécessaire. Il fallait pour cela une meilleure diffusion des possibilités offertes. La presse culinaire féminine s’en empara lorsque celle-ci devint un segment important des ventes en kiosque, à partir des années 1980. Auparavant, la Pomme de terre française joua ce rôle, à destination des professionnels. La revue édita en 1970 un numéro spécial consacré à la gastronomie et donc à des suggestions d’emploi. On recensait 28 types de soupes et potages qui reprenaient des appellations anciennes comme la chaudrée poitevine et la cotriade de Quiberon ou s’en tenaient à une mention régionale (flamande, gasconne, catalane, franc-comtoise, pyrénéenne). La rubrique « légume d’accompagnement » fut la plus fournie avec 86 recettes, soit 36 % des 236 recettes inscrites. Les hors-d’œuvre et les entrées suscitaient 33 propositions, les salades 20. La viande et le poisson trouvaient la pomme de terre comme alliée dans 21 t 24 cas. On trouvait encore 24 recettes de desserts, à la viennoise, angevin ou suédois. Un peu plus de 40 % des recettes – prévues pour 4 personnes – invitaient la ménagère à employer plus de 500 g de pommes de terre ; 15 recettes réclamaient même le kg. Six ans plus tard, un autre numéro spécial insista sur la valeur alimentaire en fonction des modes de préparation84.
40Plus qu’une évolution lente, il faut voir dans les années décrites le contexte d’un basculement radical du rapport des consommateurs français avec la pomme de terre. Lorsqu’en 1975, on pouvait écrire dans une étude consacrée à la pomme de terre de consommation dans la région Nord – Pas-de-Calais que le Français « n’est pas très attiré » par les produits transformés, « en raison de ses habitudes alimentaires et dénigrant ces produits indignes de la gastronomie française » l’appréciation restait campée sur la permanence de comportements alimentaires traditionnels85. Le même document annonçait également que l’évolution était inévitable du fait des « exigences de la vie moderne », et s’appuyait entre autres sur une étude du ministère de l’Agriculture qui prévoyait à terme que les Français consommeraient de plus en plus ces produits transformés. De fait, l’évolution de la consommation de pommes de terre a changé. D’une moyenne annuelle dépassant 100 kg par personne avant les années 1960, la consommation est tombée en 2008 à 22 kg pour un adulte et 19 chez les enfants86. Inconnue en France au lendemain de la seconde guerre mondiale, la fabrication de produits transformés à base de pommes de terre a pris une place importante autant dans les linéaires de la grande distribution que dans les bacs d’articles surgelés. En se limitant aux 7000 types de produits que la chaîne du froid propose aujourd’hui au consommateur, ceux issus de la transformation de pommes de terre représentent 6 % du tonnage vendu en France, soit plus que la gamme des desserts87. Lorsque l’entreprise Mac Cain édifia son usine de fabrication de frites surgelées à Harnes, dans le Pas-de-Calais, un département « patatier », le 23 octobre 1981, elle donna le signal symbolique de ce virage opéré par les Français.
41Cette mutation de la place de la pomme de terre dans le repas est significative d’autres comportements nutritionnels et plus largement d’autres mœurs. Elle illustre la défection d’une partie des Français dans le soin apporté à la préparation personnelle du repas. Si la corvée de pluche est une image récurrente de la vie en collectivité, son maintien à domicile est progressivement apparu comme une perte de temps inutile. Tout comme le lent mouvement d’un moulin à légumes manuel ou l’écrasée à la fourchette pour fabriquer une purée ont paru des manières obsolètes à l’heure du tout électrique. La prédilection pour consommer d’autres plats, porteurs de saveurs appréciées ou suscitant un nouvel imaginaire culinaire, a favorisé une demande croissante de produits composés ou faciles à mettre en œuvre. C’est au fond, toute l’histoire des innovations alimentaires depuis le milieu du xxe siècle qui se réduit dans l’exemple de la pomme de terre. Mais le basculement a aussi été le fruit de l’insatisfaction des consommateurs, désireux d’acheter des produits de meilleure qualité. Cette demande était bien exprimée dans les enquêtes conduites au début des années 1970. On l’a vu, la prise en compte de nouvelles exigences a tout bouleversé, du conditionnement des sacs de pommes de terre à la mise sur le marché de variétés plus diversifiées et appropriées à des modes culinaires moins restreints. De ce point de vue, les années décrites ont produit une autre évolution qui n’est pas achevée : reconsidérer les usages possibles de la pomme de terre fraîche en fonction de sa sapidité. Cette évolution est au moins aussi importante. Elle replace le vendeur en position d’arbitre, entre des producteurs qui ont adopté des démarches culturales nouvelles et des consommateurs dont une fraction importante est sensible à une résurgence du plaisir de la préparation culinaire.
Notes de bas de page
1 « La consommation des ménages de 1959 à 1968 », Collection INSEE, série m3, août 1970, p. 20.
2 Annuaire statistique rétrospectif de l’INSEE, 1948-1966, p. 334.
3 INSEE, Annuaire statistique de la France, 1961, p. 132.
4 Ibidem, p. 132.
5 La Pomme de terre française (ci-après PDTF), no 2, août 1938, p. 5.
6 L’univers gourmand de Mousline, document publicitaire, 1978, p. 2.
7 Diehl R., La pomme de terre. Caractère et description des variétés, Paris, Imprimerie nationale, 1938, 157 p.
8 PDTF, no 124, janvier 1950, p. 7.
9 Ibid., p. 10.
10 PDTF, no 133, octobre 1950, p. 5.
11 PDTF, no 124, janvier 1950, p. 12.
12 PDTF, no 7, janvier 1939, p. 2.
13 PDTF, no 327, juillet 1968, p. 59. La Bintje adoptée dans les années vingt était une variété récente puisqu’elle fut obtenue par sélection variétale en Hollande en 1905.
14 PDTF, no 124, janvier 1950, p. 13.
15 PDTF, no 149, janvier 1952, p. 10.
16 Escoffier A., L’aide-mémoire culinaire, Bibliothèque professionnelle, Paris, 1919 ; Montagné P., Larousse gastronomique, avec la collaboration du Docteur Gottschalk, Paris, Larousse, 1938, 1087 p. ; Pellaprat H. P., L’art culinaire moderne. La bonne table française et étrangère, Monte-Carlo, Éditions du Livre, 1950, 722 p. ; Tante Marie, La véritable cuisine de famille contenant 1 000 recettes et 500 menus avec la manière d’utiliser les restes, Paris, A. Taride, 1930, 480 p. ; Schéfer G. et François H., Recettes de cuisine pratique, Paris, Delagrave, 1936, 396 p. ; Mathiot G., Je sais cuisiner, Paris, Albin Michel, 1956, 700 p.
17 Pommes de terre Macaire : pulpe de Hollande cuite au four, assaisonnée et additionnée de beurre, dorées en galette à la poêle dans du beurre clarifié.
18 Pellaprat H. P., L’art culinaire…, op. cit., p. 440.
19 La Vie du Rail, no 523, 1955, p. 27.
20 La Vie du rail, no 523, 1955, p. 26-27.
21 Annuaire du cheminot, 1957, p. 222-230.
22 PDTF, no 133, octobre 1950, p. 3.
23 PDTF, no 151, mars 1952, p. 5.
24 Baribeau B., « Pour une meilleure qualité culinaire des pommes de terre », PDTF, no 227, juillet 1958.
25 Bouteillère N. de la, La pomme de terre dans votre assiette, Paris, Société d’éditions des ingénieurs agricoles, 1960. L’ouvrage est préfacé par le président de la Commission officielle de contrôle des plants de pommes de terre (C. Vezin) et la directrice de l’École nationale d’enseignement ménager agricole de Coëtlogon-Rennes (F. Augé).
26 Décret no 55-1126 du 19 août 1955 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne le commerce des fruits et légumes.
27 PDTF, no 194, octobre 1955, p. 6.
28 PDTF, no 205, septembre 1956, p. 3. L’arrêté du 23 août 1956 comprend 14 articles. L’article 3 prévoyait que « les tubercules constituant des lots de pommes de terre de consommation doivent être propres, intacts, sains et non germés ». La vente de lots comprenant en poids une proportion supérieure à 3 % de tubercules impropres à la consommation était interdite. On les considérait comme tel quand apparaissaient « toutes altérations portant préjudice à leur présentation ». Selon l’article 4, la variété devait être mentionnée. L’article 8 précisait le calibrage applicable selon le type de tubercule.
29 PDTF, no 209, janvier 1959, p. 7.
30 Arrêté du 31 octobre 1961 relatif au commerce des pommes de terre, Journal Officiel du 22 novembre 1961.
31 PDTF, no 212, avril 1957, p. 23.
32 PDTF, no 262, juillet 1961, p. 24. Enquête du National Food Opinion Panel. 1618 femmes ont répondu à l’enquête.
33 PDTF, no 328, octobre 1968, p. 34.
34 PDTF, no 336, 1970, p. 19.
35 PDTF, no 336, 1970, p. 20.
36 APRIA (Association pour la promotion de l’industrie et de l’agriculture), La pomme de terre et ses industries, 1966, p. 102.
37 Témoignage de Brigitte Lepage dans Informations et documents, no 141, mai 1961, rapporté dans PDTF, no 263, août 1961. Les statistiques confirment l’effet induit par le taux d’équipement. En 1963-1964, 40,4 % des ménages français sont dotés d’un réfrigérateur, mais les cadres supérieurs qui pouvaient tirer ce type de consommation en sont équipés chez 86 % d’entre eux. Il n’est pas question de congélateur à cette date ; plus de dix ans après, seuls 19 % des ménages français en possèdent un.
38 PDTF, no 325, mars 1968. On comptait alors 6 fabriques de chips, 6 de produits déshydratés, 25 fabriquant des frites, 3 conserveries et fabricants de croquettes de pommes de terre. En 1963, 63 % des produits étaient des frites, 29 % des pommes de terre déshydratées et 8 % des chips. Les pourcentages en 1968 étaient respectivement : 46 %, 36 %, 18 %. D’après l’étude de l’APRIA réalisée en 1966 (op. cit., note 36), on estimait qu’une soixantaine d’entreprises fabriquait des préfrites en Allemagne.
39 PDTF, no 338, 1970, p. 31.
40 PDTF, no 293, février 1964, p. 22.
41 PDTF, no 338, 1970, p. 32.
42 PDTF, no 318, janvier 1967, p. 10.
43 PDTF, no 330, janvier 1969, p. 19.
44 PDTF, no 321, août 1967, p. 5. Parmi ces ménagères 37 % acceptaient un prix supérieur de 65 pfennigs la boîte de 600 g, 22 % un prix de 90 pfennigs, 8 % un prix de 1, 20 deutsche mark.
45 PDTF, no 339, août 1970, p. 18.
46 Régnier F., Lhuissier A. & Gojard S., Sociologie de l’alimentation, Paris, La Découverte, 2006, p. 68.
47 La Bonne Cuisine, parution bimestrielle, Éditions presse professionnelle, groupe de presse Robert Hersant. La revue est vendue 2,50 F le numéro.
48 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 31-39. L’enquête a été réalisée en 1973 auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 1000 personnes. La distribution par âge comprenait 16 % de 25-34 ans, 20 % de 35-44 ans, 17 % de 45-54 ans, 18 % de 55-64 ans ; par sexe on comptait 86 % de femmes et 13 % d’hommes, issus de toutes les CSP et des régions de France, comprenant des foyers de 1 à plus de 5 personnes.
49 Michel Cointat fut ministre de l’Agriculture en 1971-1972, après avoir été directeur de cabinet d’Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture, en 1962 et directeur général de la production et des marchés au même ministère de 1962 à 1967.
50 PDTF, no 316, octobre 1966, p. 16.
51 Trémolières J., Serville Y. & Jacquot R., Manuel élémentaire d’alimentation humaine, Paris, Éditions sociales françaises, 1969.
52 Serville Y., Petit guide de l’alimentation familiale, 3e éd., Paris, Éditions sociales françaises, 1964, p. 67.
53 PDTF, no 336, janvier 1970, p. 4.
54 INSEE, séries M. 11, M. 69 ; Annuaire rétrospectif 1946-1988, p. 148.
55 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 36.
56 Gira, Rossi J., Smith N. et alii, La filière pommes de terre…, op. cit., p. 22.
57 PDTF, no 322, octobre 1967, p. 32.
58 Yvonne Serville indique dans Petit guide de l’alimentation familiale, op. cit., p. 79, un rythme de livraison mensuel de 50 kg pour une famille de 5 personnes, quantité à conserver « dans une caisse à claire-voie dans un endroit obscur, frais, mais où il ne gèle pas ». Il était donc utile de le préciser en 1964 !
59 PDTF, no 374, mai-juin 1976, p. 10.
60 PDTF, no 337, mars 1970, p. 6-9.
61 PDTF, no 375, juillet 1976, p. 31.
62 PDTF, no 334, 1969, p. 51.
63 Statistiques INSEE, Annuaire statistique rétrospectif, 1946-1988, p. 335 : productions végétales, pommes de terre. La statistique comprend tous les types (plants, primeurs, conservation, féculières).
64 PDTF, no 374, mai-juin 1976, p. 3.
65 Ibid., p. 10.
66 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 38.
67 Statistiques INSEE, Annuaire statistique rétrospectif, 1946-1988, p. 130-131.
68 Claudian J., Serville Y., Trémollières F., « Enquête sur les facteurs de choix des aliments », Bulletin de l’INSERM, t. XXIV, 1969, no 5, p. 1318.
69 Document « Mousline purée de pommes de terre en flocons », SOPAD – Paris. Le document propose quatre recettes : purée Saint-Germain, hachis Parmentier, purée à la Lorraine, gratin de purée au jambon.
70 Claudian J., Serville Y. & Trémollières F., art. cit., p. 1315 et sq.
71 L’univers gourmand de Mousline, 1978, 24 p. Le fascicule compte 10 pages de recettes, expose la place de la pomme de terre dans l’alimentation (2 p.), le processus de fabrication (2 p. : de la purée maison à Mousline ; la fabrication Mousline : une cuisine géante), décline la variété culinaire (3 p.) et rappelle en quatrième de couverture le slogan « Mousline, un légume en or ».
72 Publicité parue dans Modes & Travaux, no 868, avril 1973, p. 37. Une série de réclames reprend alors le slogan « Pour choyer un peu plus ceux qu’on aime » et place la mère en situation, le mercredi au zoo pour voir les ours et le dimanche dans la cuisine familiale. Dans les deux cas, il s’agit de croiser le temps disponible et l’appréciation gustative, purée du mercredi, dauphine du dimanche.
73 Gira, Rossi J., Smith N. et alii, La filière pommes de terre…, op. cit., p. 26. Durant cette période la purée déshydratée absorbe 90 % du volume de flocons de pommes de terre produits sur le marché français. En 1986, Mousline détenait 54 % du marché devant les marques de distributeurs, fournies par Flodor et Mac Cain, avec 26 % des parts et Vico 12 %.
74 Gira, Rossi J., Smith N. et al., La filière pommes de terre…, op. cit., p. 40.
75 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 38.
76 Selon l’étude du Gira, précitée, en 1986 le marché des chips était réparti de cette façon : chips standards 86 % ; super chips 5,5 % ; pommes paille et gaufrettes 3,5 % ; aromatisées 2 % ; allégées 3 %.
77 Chambre de commerce et d’industrie de Lille-Roubaix-Tourcoing, La pomme de terre, approches sur l’économie du produit, juin 1981, p. 65.
78 Ibidem, p. 133.
79 Claudian J., Serville Y. & Trémollières F., « Enquête sur les facteurs de choix des aliments », Bulletin de l’INSERM, t. XXIV, 1969, p. 1285. Les « grands enfants » de 7 à 13 ans, selon la terminologie de l’enquête, classaient la pomme de terre comme leur aliment préféré dans 21 % des cas, devant les « petits enfants » de 1 à 6 ans (20 %) et les « adolescents » de 14 à 20 ans (17 %). Les hommes aimaient plus la pomme de terre (15 %) que les femmes ne l’appréciaient (12 %). Si l’on observait encore plus finement la prédilection des consommateurs, les frites gagnaient le palmarès dans toutes les catégories, sauf chez les petits qui préféraient tracer des champs dans leur purée avec leur fourchette. Les Français dans leur ensemble marquaient leur préférence selon le trio suivant : viande (29 %), féculents (26 %), légumes et desserts à égalité (15 %). Prise isolément, la pomme de terre affichait un taux de 16 %, au second rang derrière la viande de boucherie (19 %). Les écarts géographiques faisaient apparaître un héritage culinaire plus marqué : le Marseillais ne faisait de la pomme de terre son aliment préféré qu’à 12 % alors que l’habitant du département de la Loire la plaçait au premier rang (18 %).
80 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 31-39.
81 PDTF, no 315, juillet-août 1966, p. 22 et no 312, janvier 1966, p. 29.
82 PDTF, no 328, septembre 1968, p. 24.
83 PDTF, no 364, septembre 1974, p. 35. L’enquête permit même d’observer que l’acceptation de la pomme de terre farineuse décroissait avec l’élévation du statut social et l’aisance budgétaire.
84 PDTF, no 375, juillet-août 1976.
85 MM. Feutrie, Lasselin, Leplus, La pomme de terre de consommation dans la région Nord – Pas-de-Calais, Document CNIPT, 1975, p. 55.
86 Enquête INCA 2, AFSSA, 2008. L’enquête indique que la répartition de cette consommation se fait à raison de 13 kg de pommes de terre « brutes » (c’est-à-dire fraîches) par an chez les adultes contre seulement 8,3 kg chez les enfants ; le rapport est inverse si l’on observe la seule consommation de produits transformés à base de pdt : 9,1 kg par pour un adulte, 10,5 kg pour un enfant.
87 Le marché du surgelé et ses exigences, SIAL, 2008.
Auteur
Professeur en histoire contemporaine,
Cermahva & IEHCA, Université François-Rabelais de Tours.
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